Mes matins au Kenya

 

   Première Africaine prix Nobel de la paix, en 2004, la fondatrice du Mouvement de la ceinture verte * se présente à 67 ans aux élections législatives au Kenya, son pays. Avant le scrutin du 27 décembre, elle nous raconte son quotidien à Nairobi.  

 

Je me réveille très tôt, vers 5 h 30. Les matins sont frais au Kenya,     mais je débute ma journée par deux heures d’exercice – gymnastique ou vélo suivis d’une demi heure de méditation. Je vis à Nairobi, la capitale, dans une maison très simple avec un grand jardin. Nairobi est une ville très pauvre – elle abrite l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique où survivent plus de 700 000 personnes – mais aussi très verte. Avec la plus ancienne réserve naturelle du pays et d’innombrables espèces d’oiseaux.

Le paradis d’Ihithe

 

Le paradis d’Ihithe

 

Je suis née au village d’Ihithe. Dans une région de hauts plateaux dominée, au nord, par le mont Kenya.     Mes grands-parents et mes parents étaient des paysans de la tribu des Kikuyus. J’étais très proche de ma mère, Wanjiru. Du matin au soir, je la suivais avec mes deux petites soeurs aux champs ou au marché de Nakuru pour vendre nos légumes. Le soir, j’écoutais les conteuses, avec elle, au coin du feu. C’était notre paradis. Et puis j’ai vu, au fil des années, la déforestation, l’érosion des sols, la mort des cultures vivrières au profit des plantations de thé ou de café, denrées destinées à l’exportation. C’est pour protéger la biodiversité que j’ai fondé The Green Belt Movement, le Mouvement de la ceinture verte, en 1977. C’est une organisation non gouvernementale basée sur une idée simple : planter des arbres pour redynamiser les zones rurales avec l’aide des femmes africaines.

Une équipe formidable

 

Une équipe formidable

 

Quand j’arrive au bureau dans le centre-ville de Nairobi, vers 8 h 30, c’est toujours l’effervescence. J’ai mille coups de fil à passer, mille dossiers à classer, mille voyages à organiser...Je suis aidée par une équipe formidable, dont ma fille, Wanjira (36 ans). Depuis quatre ans, elle s’occupe des relations internationales de mon ONG. Elle gère les levées de fonds, m’accompagne à l’étranger. Elle a travaillé aux Etats-Unis pendant six ans, puis elle est rentrée m’épauler. J’ai également deux fils. Muta (34 ans) est chercheur en chimie à Philadelphie et Waweru (38 ans) est juriste à New York. J’ai essayé d’élever mes enfants dans le respect des autres. Je leur ai toujours dit : « Ne vous contentez pas de votre petit bonheur égoïste en célébrant votre réussite mais donnez, donnez... »

L’Amérique m’a métamorphosée

 

L’Amérique m’a métamorphosée

 

Ma mère ne savait ni lire ni écrire. C’est pourtant grâce à elle que je suis allée à l’école.     J’ai appris l’anglais à 11 ans et j’ai décroché mon baccalauréat en 1959. A 20 ans, je suis partie aux Etats-Unis avec une bourse de la fondation John-Fitzgerald-Kennedy. L’Amérique m’a métamorphosée ! J’ai découvert le mouvement pour les droits civiques. En rentrant en Afrique, cinq ans plus tard, j’avais soif de liberté. Biologiste de formation, j’ai enseigné à l’université de Nairobi tout en militant pour l’égalité salariale. J’ai été bénévole pour la Croix-Rouge et l’Association kényane des femmes universitaires. J’ai connu plusieurs coups d’Etat, j’ai même fait de la prison pour cause d’activisme. Mais je n’ai jamais abandonné mon combat pour les droits de l’homme et pour l’environnement. Alors, le 8 octobre 2004, le jour où j’ai reçu le prix Nobel de la paix, j’ai pleuré de joie.

Une femme qui dérange

 

Une femme qui dérange

 

Beaucoup de personnes pensent que je ne devrais pas me présenter aux législatives.     Je suis une femme, je dérange, je bouscule l’ordre établi. Mais j’ai déjà réussi à me faire élire au Parlement en 2002 et à être nommée ministre adjointe à l’Environnement en 2003. Le soir, quand je suis à la maison, j’en profite pour voir mes amis. Certains travaillent dans des services sociaux, d’autres sont professeurs ou militent dans des associations. Je leur prépare un njahi, plat traditionnel à base de viande, accompagné de haricots. Quand je cuisine, j’oublie tout ! Je m’endors vers minuit, en me disant qu’il reste tant à faire au Kenya et en Afrique. Mais je suis optimiste. Sur ce continent, il y a tellement de gens merveilleux !

 

   The Green Belt Movement : www.greenbeltmovement.org        *A lire, l’autobiographie de Wangari Maathai : « Celle qui plante les arbres », traduit de l’anglais par Isabelle Taudière (éd. Héloïse d’Ormesson, octobre 2007. Livre imprimé sur papier écologique)  

 

         Propos recueillis par Julia Dion              Le 24 décembre 2007