Gaston Miron

    Gaston Miron est n� en 1928 � Sainte-Agathe-des-Monts : � Je suis n� ton fils en-haut l�-bas/dans les vieilles montagnes r�p�es du nord � (L'Octobre). Il passera quelques vacances d'�t� � Saint-Agricole et au Lac de l'Orignal, dans le canton de l'Archambault, lieu souvent �voqu� dans son �uvre : � Pays de jointures et de fractures/vall�e de l'Archambault/�troite comme les hanches d'une femme maigre � (Fragment de la vall�e) Tout jeune, il vit son premier choc culturel : il d�couvre que son grand-p�re, qu'il admire, patauge dans le plus � noir analphab�te �.

    A�n� d'une famille de cinq enfants, il a 12 ans lorsque son p�re d�c�de. Dans la lign�e paternelle, on est charpentier de p�re en fils et ce n'est pas sans regret que Miron d�laisse cette tradition : � dans un autre temps mon p�re est devenu du sol / il s'avance en moi avec le go�t du fils et des outils � (Art po�tique). � Sainte-Agathe, qui se transforme l'�t� en centre de vill�giature pour fortun�s anglophones, il fait une premi�re exp�rience de son � bilinguisme de naissance � : la langue du majoritaire, qui est celle de l'argent, plonge les siens dans un �tat de d�pendance servile.

    Son secondaire, il le fait � Granby dans un juv�nat des Fr�res du Sacr�-C�ur. On l'initie � la po�sie d'Octave Cr�mazie, de Pamphile le May, de N�r�e Beauchemin� Entre-temps, sa m�re � avec ses mains d'obscures tendresses � se remarie et la famille d�m�nage � Saint-J�r�me. Il la rejoint � la fin de ses �tudes et travaille un an comme man�uvre aupr�s des plombiers. � 19 ans, il quitte le milieu familial et s'installe � Montr�al. Le choc est brutal :

        or je suis dans la ville opulente
        la grande Ste Catherine Street galope et claque
        dans les Mille et une Nuits des n�ons
        moi je gis, mur� dans la bo�te cr�nienne
        d�po�tis� dans ma langue et mon appartenance
        d�phas� et d�centr� dans ma co�ncidence
        (Monologues de l'ali�nation d�lirante)

    Le jour, il exerce un peu tous les m�tiers : commis de bureau, instituteur, serveur... Le soir, il �tudie les sciences sociales � l'Universit� de Montr�al et rencontre Olivier Marchand qui le met en contact avec la po�sie moderne : Eluard, Desnos, Aragon� Ce m�me Marchand l'introduit � l'Ordre de Bon Temps. Ce mouvement, issu de la JEC (Jeunesse �tudiante catholique) et vou� � la d�fense du folklore canadien-fran�ais, tente de d�velopper l'esprit d'initiative chez les jeunes.

    Le Devoir et Am�rique fran�aise publient ses premiers po�mes en 1949.

    � l'Ordre de Bon Temps, en plus d'Olivier Marchand, il rencontre Gilles Carle, Louis Portugais, Mathilde Ganzini et Jean-Claude Rinfret, les personnes qui vont devenir ses premiers compagnons de route. En 1953, ce groupe fonde l'Hexagone, une maison d'�dition mais aussi un lieu de rassemblement pour les po�tes et les artistes. Miron choisit le nom. � Nous �tions six le jour o� nous en avons d�cid� la cr�ation. � Ce mouvement, que Miron dirige et anime jusqu'en 1983, fera date dans l'histoire de la litt�rature qu�b�coise. La m�me ann�e, Miron et Marchand publient conjointement Deux Sangs. Pour financer l'entreprise, le groupe lance une souscription aupr�s d'amis et fabrique de fa�on artisanale le recueil, tir� � 500 exemplaires, dont 200 � autographi�s par les auteurs, [et] sp�cialement destin�s � ceux dont la confiance et le soutien [ont permis] la pr�sente �dition �.

    D�s 1954, Miron commence � r�diger ses grands cycles po�tiques : La vie agonique, La marche � l'amour et La bat�che. De 1954 � 1958, les po�tes de l'Hexagone (auxquels se sont joints Jean-Guy Pilon, Fernand Ouellette, Paul-Marie Lapointe...) donnent plusieurs r�citals, ici et l� au Qu�bec.

    Miron adh�re au Parti social d�mocratique en 1955 et est candidat d�fait dans Outremont en 1957. Il collabore � la fondation de la revue Libert� en 1959. La m�me ann�e, il quitte le Qu�bec et va �tudier les techniques de l'�dition � l'�cole Estienne � Paris. Il visite l'Europe et fait beaucoup de rencontres d�cisives parmi les po�tes fran�ais : Andr� Fr�naud, Eug�ne Guillevic, Robert Marteau, Michel Deguy, �douard Glissant, Maurice Roche, Jean-Pierre Faye� Pourtant, lui-m�me abandonne pour ainsi dire l'�criture, � cause de l'isolement social qu'elle conf�re, pour se consacrer tout entier � l'action.

    De retour en 1961, il travaille dans l'�dition. En m�me temps, il participe activement � la R�volution tranquille. En fait, il est de tous les combats : il milite tour � tour dans le R. I. N., le M. L. P. (Mouvement de lib�ration populaire), le P. S. Q. (Parti socialiste qu�b�cois), le M. U. F. Q. (Mouvement pour l'unilinguisme fran�ais au Qu�bec), le F. Q. F. (Front du Qu�bec fran�ais). En 1963, il est membre de l'�quipe de Parti pris, revue et maison d'�dition dans la lign�e de l'Hexagone, avec un discours social et artistique beaucoup plus v�h�ment toutefois.

    Il renoue avec la po�sie et publie des fragments de ses grands cycles po�tiques. La marche � l'amour est publi�e en 1962 dans Le Nouveau Journal, La vie agonique et La bat�che le sont en 1963 dans Libert�, L'amour et le militant en 1963 chez Parti pris, � Les po�mes de l'amour en sursis � en 1967 dans Libert�.

    En 1966, une conf�rence de Jacques Brault, intitul�e Miron le magnifique, atteste de l'estime que l'on voue au personnage. � Qui parmi nous ne conna�t pas Gaston Miron? Cet homme r�pandu comme une l�gende, animateur et agitateur de premi�re force, dont le visage se confond presque avec le visage de notre soci�t�... � Miron est d�j� un mythe, m�me s'il refuse de publier, lui qui retouche sans cesse ses po�mes, luttant contre les mots, � comme un cheval de trait / tel celui-l� de jadis dans les labours du fond �. (Paris)

    En 1969 na�t sa fille Emmanuelle qu'il �l�ve seul et � qui il d�diera L'Homme rapaill�. � Dans la floraison du songe / Emmanuelle ma fille / je te donne ce que je r�apprends � (L'h�ritage et la descendance).

    Son travail dans l'�dition l'am�ne souvent en Europe et il en profite pour faire conna�tre la litt�rature qu�b�coise. Il participe � l'organisation de la � Rencontre des po�tes canadiens � en 1968 et � celle de la c�l�bre � Nuit de la po�sie � pr�sent�e au G�s� en mars 1970. En avril de la m�me ann�e, pouss� par Georges-Andr� Vachon et Jacques Brault, Miron finit par rassembler ses po�mes et quelques textes en prose et publie L'Homme rapaill� aux Presses de l'Universit� de Montr�al. Ph�nom�ne jamais vu au Qu�bec, le recueil figure sur la liste des best-sellers. En octobre, il fait partie des 350 personnes arr�t�es en vertu de la Loi des mesures de guerre. Il passe 13 jours en prison : � je crache sur votre argent en chien de fusil / sur vos polices et vos lois d'exception � (S�quences). Quelques jours apr�s sa sortie de prison, il re�oit le prix France-Qu�bec. Ce recueil lui vaut aussi le prix de la revue �tudes fran�aises en 1970, celui de la ville de Montr�al en 1971 et le prix Belgique-Canada en 1972.

    Toujours dans les ann�es 1970, il est �crivain r�sident aux universit�s d'Ottawa et de Sherbrooke, il enseigne � l'�cole nationale de Th��tre de Montr�al et il travaille aux �ditions Lem�ac. En 1975, il publie un deuxi�me recueil, Courtepointes. En 1977, il entre � l'Acad�mie Mallarm� (fond�e en 1937 pour honorer la m�moire du grand po�te symboliste).

    Dans les ann�es 1980, il donne de multiples lectures de ses po�mes, ici, mais aussi en Europe et aux �tats-Unis. En 1981, une nouvelle version de L'Homme rapaill� est publi�e aux �ditions Maspero � Paris et, la m�me ann�e, il re�oit le prix Guillaume-Apollinaire. C'est la cons�cration internationale. Dans cette �dition sont ins�r�s les po�mes de Courtepointes.

    Plusieurs grandes r�compenses couronnent cette �uvre exceptionnelle : le prix Duvernay (1977), le prix Athanase-David (1983), le prix Molson du conseil des arts du Canada (1985). On lui d�cerne aussi la m�daille de l'Ordre des francophones d'Am�rique en 1991 et les insignes de Commandeur des Arts et des Lettres de la R�publique fran�aise en 1993.

    Miron a �galement particip� � l'�laboration de deux anthologies : �crivains contemporains du Qu�bec en 1989 avec Lise Gauvin et Les Grands Textes ind�pendantistes en 1992 avec Andr�e Ferretti. Il a �crit beaucoup d'articles dans les revues et les journaux. Un �change �pistolaire, � bout portant, qu'il a tenu avec Claude Haeffely, a �galement �t� publi� en 1989. � partir de 1991, il donne un peu partout, accompagn� de musiciens, un spectacle po�tique, La Marche � l'amour.

    Il meurt le 14 d�cembre 1996. Tout le Qu�bec reconna�t en lui le grand �crivain mais aussi l'ambassadeur infatigable de la culture qu�b�coise et pour en t�moigner, on lui offre des obs�ques nationales. Il est inhum� au cimeti�re de Sainte-Agathe, pr�s des siens. � Ci-g�t, rien que pour la frime / ici ne g�t pas, mais dans sa langue / Archa�que Miron / enterr� nulle part / comme le vent. � (St�le)

    Pour honorer sa m�moire, la biblioth�que de Sainte-Agathe-des-Monts et celle de la D�l�gation g�n�rale du Qu�bec � Paris portent d�sormais son nom. Dans les Sentiers Po�tiques de Saint-Venant-de-Paquette, un site est am�nag� en son honneur et une st�le immortalise sa vie po�tique.

    En 1998, un colloque international, � Miron ou la marche � l'amour� en po�sie �, est tenu � l'Universit� de Toronto.

    En 2003, Marie-Andr�e Beaudet et Pierre Nepveu pr�sentent un recueil posthume, Po�mes �pars, qui regroupe certains po�mes parus dans des revues, d'autres publi�s dans Deux Sangs mais non int�gr�s � L'Homme rapaill�, ainsi que certains in�dits.

R�daction : Jean-Louis Lessard
Recherche : Jean-Louis Lessard
Codification : Claire Fafard


D�voilement d'un dixi�me panneau d'interpr�tation

Miron le Magnifique retrouve sa place � la biblioth�que


Par Daniel Deslauriers

Un dixi�me panneau d'interpr�tation a �t� d�voil�, le 29 septembre, en hommage au po�te Gaston Miron. Une c�r�monie toute simple, empreinte d'�motions, au cours de laquelle on a rendu hommage au po�te de Sainte-Agathe sur le parvis de la biblioth�que qui porte maintenant son nom.

Le d�voilement officiel du panneau en hommage � Gaston Miron. Dans l'ordre habituel, le com�dien Marcel Sabourin, Emmanuelle Miron, le d�put� Claude Cousineau, la conseill�re Kathleen S. Labelle, le conseiller Jacques Trudeau, le pr�sident du Comit� du Patrimoine, Ren� Girard, et la conjointe de Gaston Miron, Marie-Andr�e Beaudet. Le d�voilement officiel du panneau en hommage � Gaston Miron. Dans l'ordre habituel, le com�dien Marcel Sabourin, Emmanuelle Miron, le d�put� Claude Cousineau, la conseill�re Kathleen S. Labelle, le conseiller Jacques Trudeau, le pr�sident du Comit� du Patrimoine, Ren� Girard, et la conjointe de Gaston Miron, Marie-Andr�e Beaudet.(Photo Daniel Deslauriers)

Ce dixi�me panneau, que le Comit� du Patrimoine a intitul� Miron le Magnifique, contient quelques photos d'�poque, des extraits de po�me et une courte biographie du po�te qui a �crit L'homme rapaill�, le plus c�l�bre de ses recueils.

Le porte-parole qu�b�cois des Journ�es de la Culture, le com�dien Marcel Sabourin, n'a pas manqu� de ressasser quelques souvenirs. �C'�tait un conteur, un homme de sc�ne qui lisait ses vers sur la place publique�. Il se souvient de son grand rire et des moments partag�s ensemble � Paris, un endroit o� Miron semblait toujours tr�s heureux, selon le com�dien.

Don � la biblioth�que

La veuve du po�te, Marie-Andr�e Beaudet, a confi� qu'il �tait tr�s attach� � Sainte-Agathe et qu'il s'ennuyait souvent de ses "vieilles montagnes r�p�es". En reconnaissance pour ce bel hommage, Mme Beaudet a fait don � la biblioth�que de la collection des diff�rentes �ditions de L'homme rapaill� dans lequel on retrouve un peu des Laurentides, selon elle. Les m�dailles et les prix honorifiques qu'il a re�us y seront expos�s aussi. �C'est un endroit propice pour montrer toutes ses r�compenses�, selon Mme Beaudet.

La fille de Gaston Miron, Emmanuelle, quelques-unes de ses s�urs, neveux et ni�ces ont assist� aussi � la c�r�monie. Le d�put� de Bertrand, Claude Cousineau, a lu, quant � lui, un message de la ministre d'�tat � la Culture et aux Communications, Diane Lemieux.

Le panneau en hommage � Gaston Miron sera install� devant la biblioth�que. Une belle fa�on de souligner les Journ�es de la Culture � Sainte-Agathe.


La mort du po�te

Pierre Vadeboncoeur
Extraits de �Hommage � Gaston Miron�
texte lu par Gilles Pelletier aux fun�railles du po�te

Nous n'avons jamais trait� Gaston comme un personnage, mais comme l'un d'entre nous tous et aussi comme l'un d'entre le peuple. C'est ainsi qu'il se concevait lui-m�me, du reste, et il n'a jamais cru, parmi nous, parmi tous, qu'on p�t le regarder autrement.

De lui � tous et aussi � nous ses amis, et de lui au peuple comme � la nation, il n'y a jamais eu de degr�s, c'est-�-dire de diff�rence de taille � laquelle il aurait pens� ou que nous aurions nous-m�mes imagin�e. Jamais il n'aurait eu l'id�e de vouloir s'avantager par rapport � tous et par rapport � chacun. Cette id�e ne lui est jamais venue, quoi qu'il p�t penser de son talent; car il finit par y croire, � ce talent, tellement il lui fut confirm� et reconfirm� par l'ext�rieur et aussi par nous.

Je crois que l'oeuvre po�tique de Miron est tout simplement un sommet de la po�sie d'expression fran�aise universelle contemporaine. Proclamer cela, c'est parler avec mesure, puisque cela reste dans l'exacte v�rit�. (...)

L'oeuvre de Miron est une oeuvre dont il ne conviendrait de parler que dans l'absolu, donc sans emphase aucune.(...)

Si, au cours des ans, nous passions par lui pour aller dans l'�me dont il �tait le lieu, il passait par tous, lui, pour y �tre aussi.

Son souvenir et son �uvre continueront pour nous ainsi. Nous nous souviendrons que, par son humanit� et par sa po�sie, nous �tions dans les lieux les plus pr�cieux de sa pens�e. Nous nous rappellerons �galement que, lui-m�me, dans ces m�mes lieux, il �tait avec nous dans nos pens�es � nous. Et il y �tait avec tous, et dans les pens�es de tous.

Comment parler d'une grandeur quand cette grandeur est � hauteur d'homme et dans une telle authenticit�? Justement, ce n'est pas un probl�me: hauteur et mesure, altitude et v�rit�, tout cela ici se confond, et l'exc�s n'en fait pas partie. Je sais d'exp�rience que de tels mots risquent de verser, par leur sens et par leur usage commun, dans l'exag�ration. Il n'y a pas d'exag�ration. Ce n'est pas notre faute si l'�ternit� peut �tre regard�e � travers l��uvre de Miron.(...)

Prenons par exemple la pens�e politique de Miron. Cette pens�e est riche de peuple. Elle est avec tous. Soulignons-le aussi: elle n'est contre personne. Remarquons que ce trait-l�, �minemment, ressemble � Gaston. Dans cette pens�e, rien n'est froid, ni isol�, ni d�raisonnable. Elle comprend, outre de la raison, beaucoup de communion. Elle ne tient pas toute seule en l'air. Elle est riche de valeurs, ainsi que d'une grande abondance de faits et d'intuitions. Elle embrasse beaucoup de r�alit�. Et d'esprit. Et de mati�re. (...)

Il a obtenu la gloire, mais il ne l'a jamais cherch�e. Il n'a jamais cherch� que ce qu'il cherchait, qui �tait au-del� et qui �tait au coeur.

(... ) La gloire est quelque chose d'extr�mement rare. Miron re�oit celle qu'il n'a pas cherch�e et c'est la seule v�ritable. C'est la seule pure et la seule qui n'est pas condamn�e. (...)

La po�sie, l'art, c'est ce qu'il y a de plus proche de l'�ternit�, � part la mystique; et c'est l'�ternit�.

Voil� pourquoi nous sommes r�unis, autour de Marie-Andr�e, d'Emmanuelle et de leurs familles, nous, les amis, et le peuple, et la nation, et le corps de l'�tat. C'est pour regarder, � travers la po�sie de Miron et � travers l'existence qui la portait ce qu'il lib�rait, ce qu'il lib�re.

Tout cela est ouvert vers le jour. (...)