Les anciens souvenirs
Jacques Beaucage


printemps 1984

Th�o Jacques peux-tu m'expliquer dans quelles circonstances tu as �t� embauch� � l'ONF ?

Jacques Fran�oise Rodier, qui �tait � l'Action Catholique, m'a dit il y a un poste qui s'ouvre � l'ONF. J'�tais all� voir tout de suite et ils m'avaient laiss� entendre que �a pouvait marcher. Trois mois apr�s, je re�ois un coup de fil pour me dire que je commen�ais le 19 mars 1949. On m'a dit vois Cloutier, qui �tait repr�sentant de Montr�al, il va te dire quoi faire et regarde les films. J'ai �t� trois jours au bureau de Montr�al et une semaine � St-Jean avec un certain Th�o Picard et puis je suis all� aussi � Granby avec Maurice Bastien et puis le 20 avril je partais pour Sherbrooke avec un projecteur, un �cran et dix-huit films.

Th�o Quelles sortes de directives t'avait-on donn�es ?

Jacques Aucune.

Th�o Aucune directive ?

Jacques Aucune. Tout ce qu'on m'avait dit : il vous faut une auto.

Th�o Est-ce qu'on s'�tait inform� si t'avais des connaissances en cin�ma ?

Jacques Cette question-l� n'a jamais �t� pos�e.

Th�o Quel est le territoire que tu avais � parcourir pour la r�gion de Sherbrooke ?

Jacques Il y avait une dizaine de comt�s. J'avais tous les Cantons de l'Est, plus Brome-Missisquoi.

Th�o Mais tu es arriv� � Sherbrooke dans un bureau ?

Jacques Absolument pas, je n'avais aucun bureau, c'�tait la chambre dans laquelle je vivais, que j'avais lou�e, de la grandeur de mon salon ici. Je n'�tais pas encore mari� et cette chambre-l� servait de bureau de l'ONF. Les films �taient en-dessous du lit et le projecteur aussi, s�il n'�tait pas dans l'auto.

Th�o Est-ce qu'on t'avait oblig� � avoir une auto ?

Jacques Oui c'�tait une condition pour avoir le poste. J'avais une vieille Ford 36 que j'avais pay�e 750 dollars dans le temps en 49, qui a tenu juste le temps qu'il faut.

Th�o Te rappelles-tu des tout premiers contacts que tu as faits ?

Jacques Oui. Quand j'ai quitt�, on m'avait dit il y a un abb� Lebrun qu'il faut voir, qui s'occupe des loisirs et il y avait un groupe d'anglophones, je me rappelle pas le nom, qui fallait voir, et puis c'est tout.

Th�o On s'�tait assur� que tu �tais bilingue parce que dans ce coin-l� il y avait pas mal d'anglophones ?

Jacques Oui. On �tait sens� me payer plus cher que Guy Beaulieu, qui commen�ait en m�me temps que moi. On me donnait 200 piastres par mois alors que lui je pense qu'on lui donnait 180 ou 190.

Th�o Comme toi t'avais pas fait l'arm�e, avais-tu des points ? Parce que ceux qui avaient fait de l'arm�e ils avaient un esp�ce de pointage qui leur donnait un petit avantage.

Jacques Absolument pas.

Th�o Les premiers films que tu as pass�s qu'est-ce que c'�tait ?

Jacques Avec l'abb� Lebrun, c'�tait des films sur les loisirs. Il m'a recommand� le groupe d'Action catholique alors �a �a �t� tout de suite un r�seau qui a �t� facilement organis� avec la J.O.C. ( note du webmestre : Jeunesse ouvri�re catholique) Et puis tout de suite apr�s, �a �t� avec l'U.C.C. ( note du webmestre : l'Union des cultivateurs catholiques) qui couvrait toutes les paroisses et puis �a a �t� le programme mensuel. C'est gr�ce � l'U.C.C. si j'ai pu organiser des r�seaux,. J'avais organis� le circuit de Richmond, de Wolfe, de Frontenac, de Compton, de Stanstead et puis dans le circuit anglophone il y en avait autant. J'avais dix circuits au bout de quelques mois. D�s la premi�re ann�e, j'avais 200 s�ances par mois.

Th�o Mais tu n'avais qu'un projecteur, comment organisais-tu �a ?

Jacques � mesure que les circuits montaient, ils m'envoyaient d'autres projecteurs. �a n'a pas �t� long que j'ai eu six projecteurs.

Th�o Tout �a c'�tait remis� dans ta chambre. La r�paration des films, qui faisait �a ?

Jacques On m'avait montr� comment faire mais c'�tait pas mon fort ces petits travaux pratiques. D�s le mois d'octobre, je d�m�nageais de la chambre � un deux-pi�ces et puis en m�me temps j'avais un garage. Alors, les projecteurs �taient l� au froid dans le garage, pis les bo�tes de films aussi.

Th�o Quand �a brisait chacun s'organisait pour r�parer ?

Jacques Je leur ai montr� comment coller les films.

Th�o Mais il n'y a pas eu de p�pins ?

Jacques Ah il y en avait. � un moment donn�, je recevais un coup de fil et en vitesse je devais aller d�panner un gars qui avait oubli� de mettre la lentille au point. M�me si je l'avais montr� � un tel gars, ce gars-l� �tait disparu et je ne l'avais pas montr� � l'autre.

Th�o Avec qui faisais-tu affaires pour l'organisation des salles ?

Jacques Je n'avais pas � chercher des salles. J'allais voir le responsable de l'U.C.C. et je lui demandais : voulez-vous des films ? Les gars disaient oui. Les conditions sont les suivantes : vous avez � vous occuper de la salle, on va vous montrer comment �a marche et vous avez aussi � envoyer le projecteur et les films au village suivant. S'il n'y avait pas d'autobus, le gars s'organisait avec le laitier, le boulanger ou un voyageur de commerce ou il allait le porter lui-m�me.

Th�o C'est toi qui avait d�cid� que �a marchait comme �a ?

Jacques C'est moi qui avait d�cid� �a, on n'avait pas de budget.

Th�o � ce moment-l�, qu'est-ce que c'�tait le r�le du repr�sentant ?

Jacques Il n'y avait pas de travail �ducatif l�-dedans, c'�tait l'organisateur d'un r�seau de distribution de films. Celui qui avait le plus de cartes blanches et le plus de s�ances de films dans le mois, c'�tait celui qui �tait vraiment le meilleur.

Th�o L'objectif c'�tait d'en faire voir le plus possible ?

Jacques On �tait strictement jug�s sur le quantitatif. On envoyait les cartes blanches � chaque fin de mois � la direction avec un rapport. Alors les premiers mois, je trouvais �a le fun, le premier mois il y avait eu peut-�tre quatre, cinq s�ances. Le deuxi�me mois, il y en avait eu quinze, vingt, et � la fin de l'ann�e il y en avait deux cents. � ce moment-l�, Georges �tait venu voir et il avait dit : �a n'a pas de bon sens que tu aies tant d'assistances que �a. Parce que pour ne pas courir apr�s les cartes, je faisais signer les gars d'avance. Je mettais une moyenne de 150, 200 d'assistance mais je pensais que c'�tait vraiment �a.

Th�o Mais il �tait repr�sentant, qu'est-ce qu'il avait d'affaire � �a ?

Jacques Ah bien il avait vu �a dans les rapports du directeur r�gional. Il �tait venu me voir et il m'a dit : tu me coules toi, tu travailles trop.

Moi je pense que les statistiques que je donnais repr�sentaient pas mal la r�alit�. Il pouvait peut-�tre y avoir une salle avec quinze, vingt personnes � un moment donn� mais dans l'autre salle � c�t� il y en avait trois, quatre cents. Parce qu'il ne faut pas oublier que ces gens-l� ,dans le fond de Wolfe et de M�gantic, ces gars-l�, des vues, ils n'en avaient jamais vues. J'ai vu des enfants de l'�ge de dix ans, quand je montrais au p�re comment faire fonctionner le projecteur, l'�cran �tait dans cuisine, et les petits gars de dix ans se sont approch�s de l'�cran et ils essayaient de saisir le bateau qu'il y avait dessus. J'en ai vu qui se cachaient dans la bo�te � bois quand j'arrivais.

Th�o Parce que ils avaient peur que �a saute ! Les objectifs du d�but est-ce qu'ils se sont pr�cis�s ensuite ?

Jacques �a n'a pas �t� long que je me suis rendu compte que les gens avaient beaucoup d'int�r�t autour de certains films, soit des films � port�e sociale ou �conomique, qui collaient plus � leur r�alit�. � la fin de la projection, quand j'y allais quand les gens �taient mal pris, les gens me posaient des questions, ils me disaient qu'est-ce que �a veut dire telle affaire. Je pense � des films pour les cultivateurs, sur la fa�on de labourer de fa�on horizontale dans les coteaux, en contour, pas labourer de haut en bas. On expliquait que si on labourait sur les terres en pentes, de haut en bas, plut�t que de labourer en contour, l'�rosion mangeait cette terre-l�, parce que les pluies charroyaient la terre arable vers le bas.

Il y avait des films qui avaient beaucoup d'impact. Je pense au film o� on montrait comment le p�re devait c�der la terre � son fils assez t�t parce depuis toujours la tradition c'�tait que le p�re donnait la terre � son fils en mourant, de sorte que le gars avait 50, 60 ans et il fallait encore qu'il demande cinq cennes au p�re pour la qu�te le dimanche. Ce film est peut-�tre celui qui a eu le plus d'impact dans les milieux ruraux. C'�tait un probl�me qui ni monsieur le maire, ni monsieur le cur�, ni le notaire, personne ne pouvait r�gler. Mais l� c'�tait impersonnel, on pr�sentait le film � toute la paroisse et d'un coup l'�tincelle se faisait dans les yeux.

L� je me suis aper�u que notre r�le pouvait �tre un r�le non pas simplement de distributeur mais un r�le en �ducation populaire. En voyant les gens me poser des questions, j'ai dit c'est l'fun.

Je n'aurais pas �t� heureux dans ma vie d'�tre simplement un vendeur. J'ai toujours pens� que j'avais un autre r�le � jouer et que �a pouvait �tre � travers le contact avec les groupes, de voir comment on peut am�liorer le milieu, am�liorer les gens, s'am�liorer soi-m�me, �changer avec des gens sur les vraies valeurs.

Th�o As-tu vu les premiers films de guerre ?

Jacques J'en ai connu quelques uns qui �taient tr�s populaires d'ailleurs.

Mais il y avait un film, je ne me rappelle plus le titre, je croyais que c'�tait un film qui traitait de l'aviation. Un ex-pilote de guerre, le colonel Bennett, �tait venu me demander un film sur l'aviation. Je vois �a, je me dis c'est un film qui touche � l'aviation et je lui pr�te �a. Le gars reviens, insult� : votre �coeuranterie, t'aurais pu garder �a pour toi. Je regarde le film ; c'�tait un film sur la maladie des vaches qui se font piquer par les tons et �a fait du pus, tu vois l'agronome qui sort le pis des vaches, ah sainte, j'ai jamais revu le gars, �a �t� fini les films de guerre.

Th�o Tu n'avais pas le temps de tous les voir ?

Jacques Bien, les films anglais hein (rires)�

Th�o Tu as toujours eu une distribution � peu pr�s 50 % fran�ais- 50% anglais ?

Jacques Au niveau des auditoires, oui mais au niveau des cartes de rapport, il y avait pas plus de fran�ais que d'anglais. Ce sont les �coles francophones qui n'ont pas embarqu�, ou par la porte d'en arri�re.

Th�o Pourquoi ?

Jacques Le gouvernement du Qu�bec nous d�fendait de distribuer des films directement dans les �coles, parce que l'�ducation �a relevait des provinces. Au fond, ils avaient raison.

Et les anglophones qui nous disaient de tricher. Ces m�mes anglophones �taient scandalis�s quand je disais que je trichais sur l'imp�t f�d�ral ou sur la douane. Ils me disaient il faut que tu respectes la loi, oui mais tu ne nous dis pas de respecter la loi quand c'est la distribution de films.

Th�o Mais dans le territoire as-tu eu des complications � cause des restrictions de Duplessis ?

Jacques Non. Les gens des Cantons de l'Est, il faut te dire, je parlais de mes �pais, parce que ce n'�taient pas des gens bien �volu�s, et puis le mot �tait dans le dictionnaire fran�ais, �a veut dire quelqu'un qui est intellectuellement engourdi, �a ne veut pas dire qu'il n'a pas d'intelligence. Ce mot l� �tait peut �tre p�joratif mais au fond je les aimais les gars, et puis quand on les d�gourdissait �a marchait, la preuve c'est que j'en ai eu des rendements.

Th�o Mais ils n'avaient pas eu des instructions de refuser des films de l'ONF ?

Jacques Ils en ont peut-�tre eu mais les gens des Cantons de l'Est c'est pas des fanatiques, c'est des gens pond�r�s, c'est des gens qui ont beaucoup de gros bon sens, c'est pas pour rien que cette r�gion-l� s'est d�velopp�e plus que d'autres r�gions du Qu�bec. Faut dire que les anglophones leur ont donn� un coup de main. Ils ont vu comment les anglophones proc�daient, et, �tant donn� que les anglophones �taient majoritaires, ils ne pouvaient pas faire grande chicane. Quand ils sont devenus majoritaires, les anglais se sont tass�s mais les anglais gardaient le contr�le du commerce. Pendant longtemps, les magasins de gros de Sherbrooke c'�tait Webster, c'�tait les anglophones dans tout ce qui avait de gros.

J'avais de bons amis dans les milieux anglophones. Je pense par exemple au r�v�rend Cameron, le United Churh man qui venait chez nous � tous les mois. Il venait manger chez nous, j'allais manger chez eux, il m'a invit� � ses noces. J'ai eu de tr�s bons rapports avec ces gens l�. Il y en a un qui �tait devenu l'�v�que des anglicans de la r�gion, � St-Peter Church, j'ai �t� bien chum avec ce gars-l�.

Th�o �a veut dire qu'ind�pendamment des directives qu'ils pouvaient recevoir de la province, parce que tu �tais chum avec eux, �a fonctionnait quand m�me ?

Jacques Les anglophones se sacraient bien de la loi de Duplessis, �a allait direct et moi �a me donnait des statistiques.

Mais chez les francophones, je me rappelle que je suis all� dans certains couvents chez les s�urs et la soeur sup�rieure me disait non on peut pas les passer mais je voudrais vous pr�senter le professeur d'histoire. Et l� le professeur d'histoire me disait il y a une s�rie sur l'histoire indienne, envoyez �a � untel, �a para�tra pas.

Th�o Ensuite apr�s Custeau, qui as-tu eu comme directeur ?

Jacques �a a �t� Boudreau.

Th�o Est-ce que �a a fait des changement dans les directives ?

Jacques Pat Boudreau lan�ait des grandes th�ories et il les appliquait plus ou moins. C'est un gars avec qui je ne me suis pas du tout entendu, il a m�me essay� de me mettre � la porte.

Th�o Pourquoi ?

Jacques Un certain Jean Montcalm, qui n'�tait pas trop heureux du fait qu'il n'�tait pas pr�sident du Conseil du film, m'avait accus� de voyager trop. Il avait fait un rapport contre moi � l'ONF. Il m'accusait d'�tre dans le commerce des projecteurs. C'�tait totalement faux. Ils sont venus v�rifier et se sont aper�u que ce n'�tait pas vrai.

Th�o Rappelles-moi donc l'incident qui s'�tait pass� avec Custeau et un repr�sentant anglais.

Jacques Les anglais s'�taient plaints que je ne les servais pas � la cuiller comme Bob Taylor, qui m'avait pr�c�d�. Taylor lui allait chaque soir faire la projection. Il couchait chez les gens, il d�jeunait l�, il �tait bien chum avec tout ce monde l�, il �tait re�u comme un roi et puis le lendemain il continuait � l'autre village, il se faisait nourrir par les gens mais chargeait sur son compte de d�penses.

Moi j'ai dit vous allez prendre le projecteur, vous allez l'envoyer chez le voisin selon le syst�me de circuit. Alors les anglais ont accept� mais ils ont bougonn� et ils ont fait un rapport. Ils ont dit Taylor nous servait mieux que �a. Mais Taylor il faisait quinze, vingt s�ances par mois. Alors que moi j'en faisais deux cents. Alors Custeau est venu voir, il a d�couvert qu'ils �taient bien servis. Quelque temps apr�s, je re�ois une copie de lettre que Custeau avait envoy�e � Ottawa et il le disait dans la lettre . J'ai pas besoin de te dire que le m�me Custeau m'aurait demand� de me jeter � l'eau, dans boue que je l'aurais fait.

Th�o Comment t'organisais-tu pour pr�voir l'ensemble de ton travail ?

Jacques On n'avait aucune directive dans ce sens-l�. On savait qu'il fallait se tenir dans la moyenne des statistiques, �a voulait dire qu'il fallait maintenir les circuits et d�velopper les d�p�ts de films dans les principales villes du territoire.

Th�o Le films, o� les prenais-tu ?

Jacques Sit�t qu'on avait r�ussi � ce qu'une ville, une commission scolaire ou un autre organisme accepte de faire la distribution de films on faisait une demande � Montr�al et ils nous envoyaient quinze, vingt, vingt-cinq films de plus. J'avais organis� un d�p�t � M�gantic, qui n'�tait pas une ville tellement importante, qui �tait loin, ils �taient isol�s, mais ils avaient une grosse consommation.

Th�o Toi t'avais un amour pour les gens de loin !

Jacques J'ha�ssais pas �a aller � M�gantic, c'est vrai . C'�tait beau et puis �videmment c'�tait � soixante milles de distance. Sur le compte de d�penses c'�tait vraiment une bien belle somme.

Th�o Lac M�gantic pis Cowansville !

Jacques Pis Cowansville !

Th�o (rires) Parce que tu te rapprochais de Montr�al et du Forum ! (rires)

Jacques Maudit Th�o, va donc te cacher !

Th�o (rires)

Jacques On avait la cl� pour entrer au Forum dans ces ann�es l�.

Th�o C'�taient les trucs du m�tier, se servir de son travail pour se rapprocher de ses go�ts personnels, c'est pas d�fendu je pense bien.

Quelle sorte de rapports tu �tais tenu de faire ?

Jacques On nous demandait de faire un rapport mensuel mais on ne nous a jamais dit comment. J'envoyais les rapports statistiques, les nouveaux endroits qui �taient couverts par les circuits ou par les d�p�ts et les noms de certaines personnalit�s du milieu que j'avais rencontr�es, les groupes � qui j'�tais all� parler de l'ONF. � tour de r�le, dans le milieu, Sherbrooke en particulier, tous les clubs sociaux m'ont demand� d'aller parler de l'Office national du film.

En novembre 53 j'ai organis� une semaine du film, la premi�re au Canada. J'avais fait venir le commissaire, on avait comme artiste invit� F�lix Leclerc qui revenait d'Europe et tous les groupes sociaux avaient accept� de remettre leur d�ner hebdomadaire pour affecter ce budget-l� au banquet de la Semaine du film.

Non seulement il y avait eu un banquet o� le commissaire avait parl� de l'ONF, mais il y avait eu chaque jour de cette semaine-l� une activit� pr�cise dans une institution o� on pr�sentait les films appropri�s.

Monsieur le maire �tait l'invit� d'honneur et puis tous les repr�sentants des diff�rents milieux, �a avait �t� un �v�nement. Il y avait eu une page compl�te dans la Tribune. Et des retomb�es ensuite. Le nombre de projections avait plus que doubl�.

Th�o J'aimerais �a que tu me rappelles les souvenirs concernant ton automobile. �a a toujours �t� un probl�me pour voyager. T'est-il arriv� des choses qui sortent un peu de l'ordinaire ?

Jacques ... et les tours que vous m'avez jou�s....

Th�o Entre autres !

Jacques Je me souviens que quand il y avait un gars des quartiers g�n�raux que j'aimais pas trop, quand il venait se promener dans mon bout, il avait toute une ride !

J'ai toujours eu une Studebaker, c'�tait une voiture tr�s basse, tu pouvais prendre une courbe plus vite que d'autre, et puis je te garantis que de Sherbrooke � M�gantic, les courbes tu ne les voyais pas bien bien d'avance. Marshall, qui m'avait pas mal cochonn�, me disait que je conduisais vite !

Th�o T'as re�u la visite de Custeau ?

Jacques Bien Custeau c'�tait un gars avec qui j'ai eu beaucoup de plaisir. Je me rappelle qu'� un moment donn� je suis arriv� deux minutes en retard et puis je lui avait dit : je m'excuse M. Custeau, j'ai fait laver ma voiture et ils ne me l'ont pas rapport�e � temps. Il me dit : pourquoi t'as fait �a ? Bien de recevoir le directeur, �a m�rite consid�ration !

Th�o Apr�s Custeau �a �t� Pat Boudreau ?

Jacques Lui c'est le gars qui a tout essay� pour me mettre dehors.

Th�o Qu'est-ce qu'il avait tant contre toi ? Tu parlais trop ?

Jacques Je parlais peut-�tre trop � son go�t. Il nous sortait des affaires des fois ! Moi je ne me g�nais pas pour lui dire : aye aye aye �a n'a pas d'allure �a ! Je me rappelle qu'� un moment donn� le p�re L�vesque �tait venu et Pat nous avait dit vous �tes douze, vous �tes les douze ap�tres. J'ai dit : vous autres si vous �tes les douze ap�tres, moi je suis le Christ !

Th�o Apr�s �a tu as eu Bernier ?

Jacques Bernier est arriv� au moment o� Boudreau avait mauvaise presse et Marshall aussi. On me demandait de donner ma d�mission. Je n'ai jamais accept� �a, c'�tait suite � tout le chichi que j'avais eu dans le temps de Boudreau. Moi j'avais eu une trentaine de lettres d'appr�ciation des organismes du milieu que j'avais apport�es au commissaire. Et dans ce temps-l�, il y avait le s�nateur Howard qui avait de bonnes relations avec le premier ministre Louis St-Laurent qui venait des Cantons de l'Est. J'ai fait du lobbying pour qu'il y ait des pressions qui s'exercent dans le sens contraire. Le commissaire Truman, qui �tait venu � l'occasion de la Semaine du film, savait tr�s bien que j'avais aussi fait du beau travail. � un moment donn� j'ai appris que tout �tait r�gl�. Et puis ce qui est le plus cocasse c'est qu'une couple d'ann�es apr�s, on m'offrait le poste de directeur et on doublait quasiment mon salaire.

Th�o Qui t'a offert �a ?

Jacques Le commissaire, le nouveau commissaire Roberge et puis l'ensemble de ceux qui �taient � la direction de l'ONF. � tour de r�le ils m'ont re�u � d�ner pour me dire faut que tu prennes le poste. A ce moment-l�, c'est moi qui avait d�cid� de quitter et tout d'un coup on m'offre un poste de directeur. Je leur ai demand� : comment faites-vous pour doubler mon salaire alors que vous me mettiez dehors il y a quelques ann�es. Vois-tu une logique l�-dedans ?

Th�o C'�tait peut-�tre pour que tu sois plus pr�s de la direction, que tu sois facile � convaincre ?

Jacques Ouais, peut-�tre �a, mais je n'ai pas mordu et j'ai quitt� l'ONF en 63. Je ne l'ai jamais regrett�, quoique j'ai beaucoup aim� l'ONF.

Vallier Savoie voulait me garder et j'avais �t� recommand� par Roger de Bellefeuille. Le commissaire m'avait dit vous prenez le poste et dans deux ans c'est vous qui �tes le directeur. Et puis il y avait Ladouceur qui m'avait invit� � d�ner, Ladouceur �tait le directeur de je ne sais quoi ( note du webmestre : directeur du personnel) et puis il y avait le directeur de la distribution (note du webmestre : Bill Cossman). Ils s'�taient mis quatre, cinq apr�s moi pour pas que je parte.

Th�o Mais en partant en 63 as-tu connu les cin�math�ques ?

Jacques Oui les cin�math�ques avaient commenc� suite � la politique des d�p�ts, �a avait commenc� en 60. Nous avions des directives qu'il fallait appliquer mordicus, organiser des cin�math�ques et des Conseils du film. Et quelques ann�es apr�s, on s'organisait pour faire dispara�tre la f�d�ration des cin�math�ques parce qu'elle avait acquise une certaine renomm�e, un certain ascendant sur l'ONF, ce que certains ne voulaient pas. Puis on s'est organis� aussi pour que les Conseils du film disparaissent. Des directives contradictoires sur des politiques fondamentales d'un organisme, �a c'est aberrant.

On avait mis un effort inou� dans certains cas pour faire accepter aux municipalit�s ou aux autres organismes la mise sur pied d'un budget pour qu'il y ait une cin�math�que dans ces villes l�, pour l'achat de films, pour le personnel et tout. Moi � Sherbrooke j'ai �t� membre du comit� de biblioth�que � partir de sa fondation, pour surveiller mes propres int�r�ts et il a fallu que je sois le secr�taire du comit� pendant des ann�es pour que �a marche bien. Alors, quand j'ai appris mon vieux, ce que faisait l'ONF, �a vraiment c'est d�gueulasse.

Th�o J'ai l'impression que les repr�sentants n'avaient pas tous la m�me conception de ce que c'�tait qu'un Conseil du film ou qu'une cin�math�que bien �tablie. Est-ce que l'ONF a fait les efforts n�cessaires pour entra�ner les repr�sentants � bien comprendre le syst�me qu'il voulait �tablir ?

Jacques Maudite belle question �a Th�o. C'est une question cl� �a. Dans le temps de Bernier, je te dirais oui. Il y a eu � ce moment-l� des gens qui sont venus nous montrer comment faire, qui sont les leaders des principaux corps interm�diaires au Qu�bec. Tu te souviens il y a eu des sessions o� on invitait � tour de r�le les repr�sentants du milieu syndical, du milieu coop�ratif, des �glises, des groupes anglophones, enfin ceux qui sont les plus repr�sentatifs du leadership dans les milieux. C'�tait les pr�sidents de f�d�rations qu'on avait � rencontrer. �a �a nous montrait o� se situe le leadership, pour les gars qui l'auraient pas compris.

Th�o Dans ce temps-l�, as-tu eu des relations avec la production ?

Jacques Pas assez � mon go�t. A chaque r�union, quand on nous pr�sentait la nouvelle production, tu te souviens les gars disaient qu'on n'avait pas assez de films qui pouvaient atteindre les organismes de base dans leurs probl�mes de fond.

Th�o �a veut dire que malgr� tout ce que tu pouvais d�celer de besoins dans la population, comme repr�sentant tu avais peu d'influence sur la production ?

Jacques J'avais engag� le d�bat dans des r�unions et je m'�tais fait r�pondre qu'un r�alisateur c'est un artiste, c'est un gars qui produit selon l'inspiration du moment et qu'on ne peut pas lui imposer un th�me, c'est �a l'art. De toute fa�on, les gens de la production nous consid�raient pas. On n'�tait pas dangereux. On �tait des gars qui �taient � leur service. Les gens de la production venaient assister aux r�unions comme observateurs, ils venaient pas l� pour entendre les dol�ances des repr�sentants.

Th�o Au point de vue publicit� et information, as-tu des souvenirs, comment �a se faisait ?

Jacques Il y avait une feuille imprim�e sur chacun des films, on faisait circuler �a avec les circuits. L'impression que j'ai � distance c'est que ce n'�tait pas assez percutant. C'�tait bien �crit, dans un bon fran�ais, il aurait peut-�tre fallu qu'on en dise moins mais qu'on sorte l'essentiel.

Th�o As-tu d�j� ressenti que t'�tais trop seul pour tout ce travail, comment un repr�sentant pouvait arriver � faire tout ce travail-l� tout seul ?

Jacques Non, j'ai pas senti �a. �a n�cessitait beaucoup de planification et ceux parmi nous qui �taient quelque peu dou�s dans ce sens-l� pouvaient donner quand m�me de tr�s bons r�sultats. Tout l'aspect technique de notre travail, strictement l'aspect distribution, on a trouv� des b�n�voles pour faire �a. Plus tard on a eu les Conseils du film qui ont permis de rejoindre le leadership du milieu. Apr�s est arriv� l'animation, on a sensibilis� les gens sur la fa�on de proc�der pour qu'ils sortent le plus important d'un film. C'est peut-�tre ce qui me semble, dans les retomb�es secondaires, le plus important de ce qu'on a fait. Dans un temps o� la g�n�rosit� ne manquait pas, on a d�velopp� un potentiel de b�n�volat au Qu�bec qui est unique. �a se faisait joyeusement. � ce compte-l� l'ONF a rendu au Qu�bec un service extr�mement pr�cieux. Il a permis � des organismes de se rencontrer, qui normalement ne se rencontraient pas. Il y avait autour de la m�me table dans un Conseil du film, un gars de la Chambre de commerce et les gars du syndicat, il y avait des gars des Alcooliques anonymes et puis les gars de�

Th�o Les repr�sentants de la Commission des liqueurs ?

Jacques Non ! Les Alcooliques anonymes et les Lacordaire, puis les Jeanne-d'Arc, les Chevaliers de Colomb et les Chevaliers de Jacques-Cartier, il y avait un ministre protestant et le cur�. Personne ne regroupait ces gens-l�.

Th�o Dans ces dix-sept ann�es l� quelles ont �t� tes plus grandes satisfactions ?

Jacques Mes plus grandes satisfactions �a �t� au moment o� j'ai tenu des ateliers du film � travers le Qu�bec. L� vraiment je me suis rendu compte de toute l'influence que pouvait avoir l'ONF qui, � ce moment-l�, �tait dans son �ge d'or.

J'avais le titre d'officier et non simplement de repr�sentant et �a consistait � aider mes confr�res dans la tenue d'ateliers du film et de les sensibiliser aux m�thodes d'animation.

Th�o �a c'�tait pour poursuivre l'entra�nement qui avait �t� commenc� avec Guy Beaugrand-Champagne ?

Jacques C'est �a.

Th�o Toi, parce que �a t'a plu, tu as embarqu� � cent pour cent l�-dedans. Ils ont dit comme tu as plus de facilit� que les autres, tu vas continuer � montrer � ceux qui en ont moins ou qui sont moins convaincus.

Jacques Oui.

Th�o As-tu eu des r�sultats concrets ou bien donc des p�pins concrets dans ce travail-l� ?

Jacques Quand j'ai commenc� � saisir l'importance du travail d'�ducation populaire avec le documentaire, il y a deux r�alit�s qui m'ont frapp�. La premi�re vient du fait qu'on m'avait demand� de donner des cours de cin�ma � l'Universit� de Sherbrooke. �a m'a forc� � �tudier davantage le cin�ma en g�n�ral, son langage, ses �coles, l'art cin�matographique comme tel et, dans cet art, des ph�nom�nes bien pr�cis comme le ph�nom�ne de l'identification et du transfert, comme quoi le spectateur d'un film s'identifie au h�ros du film et veut transf�rer, il se produit chez lui un transfert sur l'ensemble des valeurs qu'il voit.

Th�o Pourquoi t'ont-ils demand� de donner des cours � l'Universit� de Sherbrooke, simplement parce que tu �tais repr�sentant de l'ONF ?

Jacques Exactement.

Th�o Ils ont dit lui il doit conna�tre �a.

Jacques J'avais eu une Semaine du film � Sherbrooke, j'avais rencontr� l'ensemble des clubs sociaux dans lesquels se retrouvaient des dirigeants de l'Universit�.

Th�o Mais quand t'arrivais avec l'enseignement du cin�ma, �a c'�tait plus pr�s de la production que la distribution. C'est pas la distribution qui te donnait cette connaissance-l�.

Jacques J'�tais inquiet de voir qu'on me demandait �a mais je l'ai pris au s�rieux et pour au moins pour six mois, un an, je m'�tais �quip� de tous les volumes. J'avais mis 500 � 1000 dollars, je les ai encore en-bas. J'avais �tudi� d'abord, j'avais pr�par� un cours sur tout le langage cin�matographique.

Th�o Comment l'ONF voyait �a ?

Jacques Le directeur du temps m'avait demand� de cesser de donner des cours. Je lui avais r�pondu : tu peux vouloir m'arr�ter mais je continuerai de les donner gratuitement. Alors il m'a laiss� faire.

Il ne le savait pas mais ces cours-l� �a me payait 30$ de l'heure. Aussit�t que j'ai eu un premier 2000$ j'ai achet� une terre puis ma terre a �t� chang�e pour un premier bloc �

Th�o Quand tu allais dans un autre territoire, les repr�sentants �taient-ils ouverts � recevoir un repr�sentant qui s'en venait lui donner des directives, comment �tais-tu per�u ?

Jacques Ah il a fallu que j'y aille en douce, je te garantis mon vieux que �a ne s'est pas fait tout seul.

Th�o C'�tait d�licat �a. As-tu v�cu des circonstances peut-�tre dramatiques ?

Jacques Non, parce que je n'avais pas int�r�t � bousculer les gars. Ceux qui avaient bien pr�par� le travail je m'en rendais compte, les leaders �taient l�. Ceux qui ne l'avaient pas pr�par�, bien la fois suivante je m'organisais pour y aller plus vite, puis leur dire �coute je vais t'aider, on va aller voir untel untel untel. Dans le groupe, il y avait des gens qui �taient capables de faire ce travail-l�, qui voulaient le faire, il y avait qui �taient capables mais qui ne voulaient pas le faire, et il y avait qui n'�taient pas capables et qui ne le faisaient pas.

Il y en a qui n'ont jamais rien compris ce que �a veut dire faire de l'animation. Les gens �taient int�ress�s � venir discuter des films parce que ils d�couvraient pour la premi�re fois ce que �a veut dire la permissivit�. J'ai vu des aum�niers, des dirigeants de groupes qui me disaient le lendemain matin Jacques on n'a pas dormi de la nuit avec ta maudite affaire. Tu nous montres un film dans lequel les gens vivent un probl�me, un probl�me qu'on vit aussi ici, et tu nous poses des questions et � un moment donn� �a sort du groupe et tu as des gens qui se sont aper�us qu'ils peuvent dire des choses sur ce qu'ils vivent. Moi je suis aum�nier, je suis l� depuis des ann�es, je n'ai jamais r�ussi � leur faire dire �a. Toi tu arrives, tu ne les connais pas, et les gens parlent ! Alors ils se sont aper�us que si on cr�e une ambiance, si on cr�e un climat chaud, que les gens se sentent � l'aise, que les gens vont s'exprimer, ils vont dire ce qu'ils vivent.

Th�o Qu'est-ce que tu faisais pour cr�er une ambiance ?

Jacques L'accueil, l'identification au d�part. Et puis �viter que les sources de conflit �mergent trop vite, pour qu'ils puissent s'associer. Que les gens s'aper�oivent que tout le monde a droit de parole. �a c'�tait un ph�nom�ne nouveau.

Th�o Oui et le cur� qui se gardait le mot de la fin.

Jacques Oui on voyait bien � ce que �a ne se fasse pas.

Th�o �a veut dire �a que pendant plusieurs ann�es il y a eu un travail de contact social et d'interaction parmi les gens. C'�tait tr�s bien pens� de la part de l'ONF.

Jacques Ouais, � l'ONF, c'est un peu fort de dire �a. Parce que �a ne s'est pas fait au Canada anglais.

Th�o Mais il y avait des Conseils du film au Canada anglais.

Jacques Il y avait des Conseils du film, �a voulait dire des gars qui se donnaient en commun un service pour acheter des projecteurs puis distribuer des films. Mais il y a pas eu d'organisme qui a vu � ce que les r�gions se prennent en mains.

Th�o �a ne t'�tonne pas de voir cette grande libert� d'action qui �tait laiss�e aux repr�sentants ? Il y avait une directive qui devait �tre provinciale, de travailler dans l'animation, et un repr�sentant pouvait tr�s bien passer � c�t�, ne pas s'en soucier.

Jacques Le peu de directives qu'on nous donnait, avec toute la latitude qu'on avait, au fond moi au d�part, les premi�res ann�es, �a me rendait craintif jusqu'� un certain point. Je me disais on ne nous a rien dit, je pourrais donc faire des erreurs, des erreurs magistrales puis me faire passer par-dessus bord. �a me rendait extr�mement prudent mais, par contre, �a me donnait confiance en moi-m�me, je me disais ils doivent supposer que je sais ce qu'il faut faire, et, dans ce sens-l�, c'�tait le contraire des attitudes que j'avais toujours connues au Qu�bec. J'avais travaill� au gouvernement provincial, qui exigeait des rapports hebdomadaires. Quand j'ai voulu poser des questions au premier directeur, Custeau, s'il �tait content de moi, il m'a dit : on t'as-tu dit que �a va mal ? C'�tait la r�ponse qu'il m'avait donn�e. On te le dirait si �a n'allait pas bien, �a va bien ton affaire.

Th�o Pas de plainte, �a allait bien.

Jacques Je me suis rendu compte que l'attitude administrative chez les anglophones par rapport � l'attitude administrative chez les francophones �tait tout � fait diff�rente. C'est un peu comme tout l'aspect l�gal en France et en Angleterre. Un gars se fait prendre en Angleterre, l��tat doit prouver que le gars a tort, tandis qu'en France le gars doit prouver qu'il n'est pas coupable. �a remonte au p�ch� originel !

Th�o Pr�c�demment, quand on parlait du directeur plut�t que du superviseur, au Qu�bec, le directeur de la province il �tait plus directeur que superviseur, parce qu'il prenait des initiatives qui ne se sont pas faites ailleurs au Canada.

Jacques C'est vrai. Mais on a eu des gars au Qu�bec, certains gars qui �taient plus forts que l'ensemble des autres directeurs. Un gars comme Bonnier, un type comme DeBellefeuille avec la formation de base.

Th�o Est-ce que c'est parce que la haute direction se souciait moins de donner des directives au Qu�bec ? Ils laissaient faire le directeur. Ce que tu feras dans le Qu�bec �a te revient, un peu comme le directeur faisait avec le repr�sentant, ce que tu feras ce sera bien tant qu'on n'aura pas de plainte.

Jacques C'est plus profond que �a. Je l'ai constat� quand j'ai quitt� l'ONF. Le Canada anglais ne tient pas tellement � ce qu'il se d�veloppe du leadership r�gional. Il ne tient surtout pas � ce que �a se fasse au Qu�bec. Quand ils ont d�couvert que c'�tait fort au Qu�bec, ils ont eu peur qu'� travers le leadership r�gional se d�veloppe un leadership provincial. Ce qui est arriv� avec le Parti qu�b�cois. Ils ne tenaient pas � �a, �a c'est une r�alit�, c'est une premi�re partie de la r�ponse. La deuxi�me partie de la r�ponse c'est que des gars comme Bonnier et DeBellefeuille avaient une formation de base qui �tait sup�rieure � la formation de base qu'avaient les autres directeurs. Ils avaient plus de latitude d'esprit, plus de profondeur.

Th�o C'est peut-�tre pour �a qu'apr�s leur d�part on s'est rendu compte que c'�tait pas mal diff�rent.

Jacques Je pense que j'ai fait un travail extr�mement important et m�me si on a mis quelqu'un � ma place je n'ai pas l'impression que j'ai �t� remplac�. On n'a pas continu� de faire ce que j'avais commenc�, parce que pour le faire, il fallait une formation en cin�ma, une formation en psychosociologie, fallait avoir �tudi� l'animation pour comprendre, ce que ceux qui m'ont remplac� n'ont pas fait. On ne rentre pas l�-dedans n'importe comment. Moi j'ai �t� quatre, cinq ans � me pr�parer � ce travail l�. Pense � l'ensemble des cours de dynamique de groupe, c'�tait essentiel pour comprendre comment un groupe �volue. Th�r�se Roy, celle qui m'a remplac�, elle n'a pas eu �a, pas au m�me niveau en tout cas.

Th�o As-tu suivi des cours en dynamique de groupe ?

Jacques J'ai �t� avec le P�re Mailhot, j'ai eu plusieurs sessions qui m'ont tremp�. Ma femme me disait tu parles trop Jacques, il y a un gars qui a demand� la parole, tu ne l'as pas vu. J'ai appris qu'il fallait me taire pour que les gens parlent. Fallait pas que je participe dans le contenu. Une autre fois, on me disait une telle l�, Catherine, elle parle trop, tu n'as pas trouv� le moyen de l'arr�ter. Il a fallu que j'y pense la fois suivante, pour �tre capable de dire �

Th�o T'es bien chanceux d'avoir une assistante chevronn�e !

Jacques Ah oui.

Th�o C'est vrai parce que moi j'avais des enfants, je ne pouvais pas faire �a.

Jacques Et puis j'apprenais comment m'y prendre pour faire taire Marie-Louise ou Catherine et dire �coutez madame, vous dites des choses tellement int�ressantes qu'il y en a d'autres qui voudraient vous entendre. Laissez moi une chance de commenter ce que vous avez dit. Je trouvais des fa�ons polies de les faire taire. � un moment donn� aussi ma femme me disait que j'�tais perdu dans le fil de la r�union, je ne savais plus du tout ce qui se passait � tel moment. Alors j'ai r�alis� qu'il fallait faire des synth�ses de ce que les gens ont dit, de temps en temps. J'avais les principes de base d'animation, la non participation dans le contenu, la participation maximum des gens de la salle et puis une synth�se qui soit polie.

Th�o Mais c'est curieux que ce processus se soit d�velopp� � l'Office national du film et non pas par des organismes officiels d'�ducation, provincial par exemple. On faisait un travail d'�ducation, on venait du f�d�ral, et on r�ussissait � faire �a dans le milieu !

Jacques Oui c'est vrai �a, il y a un concours de circonstances qui a jou� en notre faveur. Il n'y avait pas d'organisme provincial qui avait un instrument aussi fort que le mien, un film, un documentaire, un instrument o� tout l'art s'est r�uni pour aider la communication.

Th�o Mais il y avait le service de cin�-photographie du Qu�bec. Mais c'�taient des projectionnistes.

Jacques Oui. Mais il n'y avait pas d'organisme du Qu�bec qui avaient syst�matiquement donn� � ses permanents des sessions de perfectionnement comme l'ONF l'a fait. Il y avait un concours de circonstances, le perfectionnement qu'on a eu et, je dirais, le contexte social du temps, �a c'est important aussi. �a se faisait dans le temps le plus creux du duplessisme et l� o� je l'ai commenc� moi c'�tait avec l'�v�que le plus phallo au Qu�bec qui disait aux gars que c'�tait lui qui menait. Alors �a, c'�tait un challenge pour les leaders de ce milieu-l�.

Th�o C'�tait une des raisons pour lesquelles nous avons �t� jusqu'� un certain point assez pr�s des id�es d'un type comme le P�re L�vesque qui lui aussi avait des difficult�s � implanter les sciences sociales.

Jacques C'�tait un challenge pour lui le p�re L�vesque, c'�tait une raison de plus de se d�vouer et d'essayer de faire quelque chose.

Th�o Maintenant, apr�s les satisfactions, as-tu eu des grandes d�ceptions, as-tu frapp� des noeuds ?

Jacques Ah j'en ai frapp� des n�uds avec les cur�s. Les cur�s �taient tr�s directifs. Il y en a un qui me disait : je suis le grand ma�tre de ma paroisse. Il y en a un autre qui me disait : vos �coeuranteries, on n'en veut pas. Parce qu'il avait vu le sein d'une femme qui nourrissait son b�b�.

Bonnier m'a trait� de gars qui manquait de jugement quand j'allais r'virer � Piopolis pour m'exercer, loin de Sherbrooke, sur les m�thodes d'utilisation du film. Parce que moi j'allais � St-Evariste, � La Guadeloupe, j'allais m'exercer l�. Si je manque mon coup l� c'est pas grave mais manquer mon coup � Sherbrooke, j'aurais �t� mort.

Th�o Comment �tais-tu per�u dans le territoire par les autorit�s civiles et religieuses, scolaires, �tais-tu per�u comme un professeur ou bien comme un repr�sentant de l'ONF ?

Jacques �a ce sont des questions que je me suis pos�es � partir du d�but. Je me suis rendu compte que j'avais un statut sp�cial. Les consid�rations qu'on avait pour Jacques Beaucage c'�tait pas parce que je m'appelais Beaucage mais c'est parce que j'�tais l'ONF. Contrairement aux autres travailleurs du milieu qui devaient se soumettre aux directives du clerg�, mois je n'avais aucun compte � rendre. Des cur�s allaient se plaindre � l'�v�que qu'il y avait un gars qui se promenait dans le territoire et qui n'avait pas � tenir compte d'eux.

Alors qui j'�tais moi, j'�tais pas dans les groupes professionnels, j'�tais pas dans l'Action catholique, dans aucun groupe confessionnel, j'�tais pas non plus dans les groupes protestants, alors j'�tais ni protestant, ni catholique pour certains, je n'�tais pas dans les groupes politiques, je n'�tais pas avec les bleus ou les rouges, je devais �tre un communiste ! Les gens ont dit �a. Je me rappelle que pendant les �lections, la police provinciale m'avait suivi parce que j'�tais all� faire une s�ance de projection avec discussion. La police m'avait suivi pour voir ce que je faisais, pour voir si je ne faisais pas de la propagande. Quand je suis d�barqu� de ma voiture, je suis all� les voir et j'ai dit vous m'avez suivi depuis l�-bas, qu'est-ce que vous voulez ? Ils avaient des ordres de me suivre.

Th�o Mais �a c'�tait � l'�poque de Duplessis, ils avaient un gros contr�le eux autres en temps d'�lection, sur tout le monde.

Jacques Mais je reviens au statut. Le fait d'�tre rattach� � un organisme f�d�ral, et d'avoir autant de latitude, le fait qu'aucun organisme r�gional ne pouvait avoir d'emprise sur cet organisme l� et que, bien au contraire, on aurait voulu que j'observe les directives qui venaient du clerg�. Plus j'�tais populaire, plus je pouvais �tre bien per�u, �a me donnait beaucoup de cran. Mon statut �tait d� au fait aussi que j'avais fond� les cin�-clubs et pour eux c'�tait une comp�tence dans le cin�ma. En fait, � ce moment-l�, la comp�tence que j'avais c'�tait dans l'animation, c'�tait pas dans le cin�ma. Mais je me suis dit puisqu'ils pensent que j'en ai, je vais essayer d'en donner. Alors quand j'ai vu �a, que j'�tais reconnu dans tous les milieux comme �tant la comp�tence au niveau du cin�ma, des cin�-clubs, des �coles de chant, j'�tais respect�.

Th�o L'ONF, malgr� son statut f�d�ral, avait une excellente renomm�e, et �a venait de quoi, des films, des repr�sentants ?

Jacques �a venait des films, �a venait de certains repr�sentants. Il y avait des gars qui s'�taient donn� la peine, ils avaient des attitudes correctes avec la population, ils se donnaient la peine de s'am�liorer, d'approfondir par les cours de perfectionnement, par leur �tude du cin�ma.

Th�o Peut-�tre aussi parce que le repr�sentant a d� se lier avec les leaders de la soci�t�.

Jacques C'est s�r, c'est s�r.

Th�o Parce que quand le pr�sident de toute une association r�gionale disait le gars de l'Office est un maudit bon gars, il conna�t son affaire, il disait la m�me chose dans son groupe.

Durant une certaine p�riode, l'�quipe des repr�sentants a �t� tr�s unie, pour toi est-ce que �a �t� exact ? Si c'est vrai, comment �a se fait, parce que les repr�sentants �taient �parpill�s � travers la province ?

Jacques Ouais, �a c'est parti de Custeau. On doit lui donner le m�rite � Custeau, c'est lui qui les avait choisis, il avait choisi les gars qui avaient un syst�me de valeurs, qui �tait peut-�tre pas uniforme mais sur lesquels ils devaient se rejoindre. Les gars avaient fait de l'action catholique, certains d'entre eux donnaient le ton. Ceux qui n'�taient pas tout-�-fait � la hauteur, � cause de leur formation, ils pouvaient ne pas avoir une grande facilit� d'expression, bien ceux-l� sentaient le besoin de suivre, � tel point que s'il arrivait quelques coups � certains, on se serrait les coudes. Je pense qu'on a fait une sacr�e belle job et ce travail d'�quipe l� a �t� continu�.

Le repr�sentant se consid�rait comme un �ducateur, avec un film qui �tait un outil extr�mement fort.

Th�o Sur le plan administratif, est-ce que �a �t� des embarras pour toi ou si �a �t� positif la fa�on dont le c�t� administratif �tait appliqu� ?

Jacques Ce que j'aimerais signaler de positif c'est que dans les m�thodes administratives appliqu�es selon l'esprit des anglophones �a d�veloppe une personnalit� beaucoup plus permissive, et �a cr�e beaucoup plus de motivation.

C'est une des raisons pour lesquelles �a �t� une p�riode de pointe, on atteint une ardeur, une influence unique, �a n'aurait pas �t� possible sans �a.

Th�o Depuis ton d�part as-tu eu l'occasion de voir des films, de suivre un peu l'�volution de l'ONF ?

Jacques Eh, pas assez � mon go�t. �videmment j'ai eu des s�ances r�guli�res dans mon sous-sol avec mes enfants et des amis, pendant des ann�es.

Puis je dirais que j'ai pass� � travers toute la gamme des opinions possibles, je me suis m�me demand� si �a avait encore sa raison d'�tre l'ONF, �tant donn� la crise �conomique actuelle. Je pense que oui.

Th�o Peux-tu me rappeler d'autres faits in�dits de ton passage � l'ONF ?

Jacques Fernand Dansereau m'a offert une job � l'ONF � la production, il m'a offert d'�tre directeur de production de films pour Arcand. Je le vois encore au motel � Matane m'offrir �a.... Mais moi j'ai toujours eu des jobs o� le patron �tait loin. La derni�re des jobs que j'ai eue, le patron �tait en Afrique !

Th�o Il ne dit pas un mot, un bon boss, ... loin....

Jacques Bien c'est pour �a �


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