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23/09/2004 | BELGIQUE | N°C.02.0424.F-C.02.0425.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 septembre 2004, C.02.0424.F-C.02.0425.F


N° C.02.0424.F
BANQUE BRUXELLES LAMBERT, société anonyme dont le siège social est établi à Bruxelles, avenue Marnix, 24, inscrite au registre du commerce de Bruxelles sous le numéro 77.186,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,
contre
H. D. et cons.
défendeurs en cassation,
N° C.02.0425.F
SERVICES ET TRAVAUX, en abrégé SERVITRA, société anonyme en liquidation, représentée par sa liquidatrice, Ma

ître Isabelle Van Clemput, avocat, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue Tumelaire, 71,
...

N° C.02.0424.F
BANQUE BRUXELLES LAMBERT, société anonyme dont le siège social est établi à Bruxelles, avenue Marnix, 24, inscrite au registre du commerce de Bruxelles sous le numéro 77.186,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,
contre
H. D. et cons.
défendeurs en cassation,
N° C.02.0425.F
SERVICES ET TRAVAUX, en abrégé SERVITRA, société anonyme en liquidation, représentée par sa liquidatrice, Maître Isabelle Van Clemput, avocat, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue Tumelaire, 71,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,
contre
H. D. et cons.
défendeurs en cassation,
I. La décision attaquée
Les pourvois en cassation sont dirigés contre l'arrêt rendu le 25 mars 2002 par la cour d'appel de Mons.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Christine Matray a fait rapport.
L'avocat général Xavier De Riemaecker a conclu.
III. Les moyens de cassation
I. Pourvoi inscrit sous le numéro de rôle C.02.0424.F
La demanderesse présente deux moyens dont le premier est libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 1798, spécialement alinéa 1er, du Code civil;
- principe général du droit selon lequel les créanciers dépourvus de cause légitime de préférence sont traités de manière égale dans une situation de concours, dont les articles 8 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 et 184 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, tel qu'il était applicable à l'espèce, actuellement remplacé par l'article 190, § 1er, du Code des sociétés faisant l'objet de la loi du 7 mai 1999, sont des applications particulières ;
- pour autant que de besoin, violation de chacune de ces dispositions.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir relevé que «la société anonyme Servitra a été mise en liquidation par décision d'une assemblée générale extraordinaire tenue le 16 octobre 1997» et que«sur la base de l'article 1798 du Code civil, les sous-traitants de la société anonyme Servitra ont exercé des actions directes contre les maîtres des ouvrages sur lesquels ils sont intervenus (pour tous, postérieurement à la date de l'assemblée générale extraordinaire précitée)», l'arrêt décide «qu'à bon droit, le premier juge a dit recevables les actions directes exercées par les parties Herman, société anonyme Immo Rome, s.p.r.l. La Druezienne, s.p.r.l. DF Habitations, Meneceur, société anonyme Clarenne Béton, Cobut et s.p.r.l. Ateliers Lefevre» en se fondant sur les motifs que «l'action directe de l'article 1798 du Code civil peut s'exercer à concurrence de toute la créance du sous-traitant au jour de l'intentement de l'action (accessoires compris), mais dans les limites de ce qui reste dû par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur principal ; que le droit d'agir directement s'exerce sur les sommes dues par le maître d'oeuvre à l'entrepreneur principal, au moment où est intentée l'action du sous-traitant (avec la conséquence que la dette envers l'entrepreneur est frappée d'indisponibilité) ; que le sous-traitant ne peut agir directement contre le maître de l'ouvrage qu'à raison des créances se rapportant aux travaux relatifs au chantier confié par le maître à l'entrepreneur principal et, ensuite, par celui-ci au sous-traitant ; que la créance du sous-­traitant et celle de l'entrepreneur principal doivent donc procéder de travaux réalisés sur le même chantier; qu'en cas de pluralité d'actions directes, il y a lieu, le cas échéant, à une répartition proportionnelle au marc le franc; que s'il s'agit d'actions directes successivement introduites, l'assiette des droits des sous-traitants, répartissable au marc le franc, comprend ce qui est dû par le maître de l'ouvrage jusqu'au jour de l'intentement de la dernière action directe dont le tribunal est saisi ; qu'en cas de faillite ou de mise en liquidation de l'entrepreneur principal, l'action directe reste acquise aux sous-traitants qui peuvent l'exercer au détriment des autres créanciers dudit entrepreneur général; que l'action directe permet en effet aux sous-traitants d'extraire leurs créances contre le maître de l'ouvrage du patrimoine de l'entrepreneur général et d'échapper à tout concours avec les créanciers de ce dernier».
En conséquence, l'arrêt attaqué:
«Condamne la société anonyme Mabille à payer à D. H. la somme de 1.772,44 euros (71.500 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 28 octobre 1997 jusqu'au complet paiement;
Condamne la société anonyme Totalfinaelf à payer à D. H. la somme de 2.178,49 euros (87.880 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 28 octobre 1997 jusqu'au complet paiement;
Condamne la société anonyme Mabille à payer à la société anonyme DF Habitations la somme de 1.232,80 euros (49.731 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 14 juillet 1999 jusqu'au complet paiement;
Condamne la société anonyme Totalfinaelf à payer à la société anonyme DF Habitations la somme de 4.985,76 euros (201.125 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 14 juillet 1999 jusqu'au complet paiement ;
Condamne la s.c.r.l. Mon toit fleurusien à payer à J. C. la somme de 6.899,82 euros (278.338 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 31 octobre 1997 jusqu'au complet paiement ;
Condamne la s.c.r.l. Mon toit fleurusien à payer à la société anonyme Clarenne Béton la somme de 2.801,20 euros (113.000 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 31 octobre 1997 jusqu'au complet paiement;
Condamne la s.c.r.l. Mon toit fleurusien à payer à Y. M. la somme de 15.886,13 euros (640.845 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 18 octobre 1999 jusqu'au complet paiement;
(.);
Condamne la s.c. Foyer Louvièrois à payer à D. H. la somme de 14.635,01 euros (590.375 francs), augmentée des intérêts judiciaires depuis la citation jusqu'au complet paiement ;
Condamne la s.c. Foyer Louvièrois à payer à la société anonyme Immo Rome la somme de 67.572,92 euros (2.725.885 francs), augmentée des intérêts moratoires depuis le 15 octobre 1997 jusqu'à la citation et ensuite des intérêts judiciaires jusqu'au complet paiement ;
(.);
Condamne la Société wallonne du logement à garantir la s.c. Foyer Louvièrois des condamnations prononcées à charge de cette dernière et au profit de D. H. et de la société anonyme Immo Rome ;
Condamne la société anonyme Totalfinaelf à payer à la société anonyme Servitra en liquidation la somme de 2.558,71 euros (103.218 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 29 janvier 1999 jusqu'au complet paiement;
Dit non fondée la demande de la société anonyme Servitra en liquidation contre la société anonyme Garage Mabille ;
(.);
Condamne la société anonyme Servitra en liquidation à payer à:
-J. C. la somme de 6.899,82 euros (278.332 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 31 octobre 1997 jusqu'au complet paiement ;
-la société anonyme Clarenne Béton la somme de 2.801,20 euros (113.000 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 31 octobre 1997 jusqu'au complet paiement;
-Y. M. la somme de 15.886,13 euros (640.845 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 14 octobre 1998 jusqu'au complet paiement;
- la s.p.r.l. La Druezienne la somme de 7.292,58 euros (294.182 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 27 mai 1998 jusqu'au complet paiement ;
-la société anonyme Immo Rome la somme de 67.572,92 euros (2.725.885 francs) ;
(.);
-la Société wallonne du logement la somme de 82.216,86 euros (3.316.620 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 12 décembre 1997 jusqu'au complet paiement».
Griefs
Pour produire ses effets en faveur de son titulaire, l'action directe octroyée au sous­-traitant par l'article 1798, alinéa 1er, du Code civil doit être intentée avant que ne soit mise en oeuvre une mesure entraînant l'indisponibilité de la créance formant l'assiette de cette action, à savoir la créance de l'entrepreneur principal envers le maître de l'ouvrage. Un tel effet d'indisponibilité peut être engendré par une saisie-arrêt, une action directe antérieure, une déclaration de faillite ou une autre situation de concours, telle celle qui naît, comme en l'espèce, de la décision de mise en liquidation d'une société anonyme.
Dès la dissolution de la société anonyme Servitra, les créanciers de celle-ci ont acquis un droit irrévocable à ce qu'aucun d'entre eux ne soit payé dans une proportion plus forte qu'un autre, à moins de pouvoir vanter valablement l'une des causes légitimes de préférence que sont les privilèges, les gages et les hypothèques. Ce droit irrévocable repose sur le principe général du droit selon lequel les créanciers dépourvus de cause légitime de préférence sont traités de manière égale dans une situation de concours, dont les articles 8 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 et 184 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, tel qu'il était applicable à l'espèce, actuellement remplacé par l'article 190, § 1er, du Code des sociétés faisant l'objet de la loi du 7 mai 1999.
Or, en l'espèce, l'arrêt constate que les actions directes intentées par les sous-traitants, Monsieur D. H., la société anonyme Immo Rome, la s.p.r.l. La Druezienne, la s.p.r.l. DF Habitations, Monsieur J. C. et la s.p.r.l. Ateliers Lefebre, ont toutes été intentées postérieurement à la date de l'assemblée générale extraordinaire du 16 octobre 1997 décidant la mise en liquidation de la société anonyme Servitra. En vertu des dispositions légales et du principe général du droit visés par le présent moyen, la liquidation de la société anonyme Servitra avait entraîné une situation de concours provoquant l'indisponibilité des créances appartenant à celle-ci envers ses cocontractants, la s.c. Foyer Louvièrois, la société anonyme Totalfinalelf Belgium, la s.c. Mon toit fleurisien et l'a.s.b.l. Ecole Saint Jean.
Il s'ensuit que c'est en méconnaissant les dispositions légales et le principe général du droit visés au moyen que l'arrêt attaqué décide que sont recevables lesdites actions directes et qu'il prononce en conséquence les condamnations décrites plus haut.
II. Pourvoi inscrit sous le numéro de rôle C.02.0425.F
La demanderesse présente deux moyens dont le premier est libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées
-article 1798, spécialement alinéa 1er, du Code civil;
- principe général du droit selon lequel les créanciers dépourvus de cause légitime de préférence sont traités de manière égale dans une situation de concours, dont les articles 8 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 et 184 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, tel qu'il était applicable à l'espèce, actuellement remplacé par l'article 190, § 1er, du Code des sociétés faisant l'objet de la loi du 7 mai 1999, sont des applications particulières;
- pour autant que de besoin, violation de chacune de ces dispositions.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir relevé que «la (demanderesse) a été mise en liquidation par décision d'une assemblée générale extraordinaire tenue le 16 octobre 1997 (...)» et que «sur la base de l'article 1798 du Code civil, les sous-traitants de la (demanderesse) ont exercé des actions directes contre les maîtres des ouvrages sur lesquels ils sont intervenus (pour tous, postérieurement à la date de l'assemblée générale extraordinaire précitée)», l'arrêt décide «qu'à bon droit, le premier juge a dit recevables les actions directes exercées par les parties H., société anonyme Immo Rome, s.p.r.l. La Druezienne, s.p.r.l. DF Habitations, Meneceur, société anonyme Clarenne Béton, Cobut et s.p.r.l. Ateliers Lefèvre», en se fondant sur les motifs que «l'action directe de l'article 1798 du Code civil peut s'exercer à concurrence de toute la créance du sous-traitant au jour de l'intentement de l'action (accessoires compris), mais dans les limites de ce qui reste dû par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur principal; que le droit d'agir directement s'exerce sur les sommes dues par le maître d'oeuvre à l'entrepreneur principal, au moment où est intentée l'action du sous-traitant (avec la conséquence que la dette envers l'entrepreneur est frappée d'indisponibilité) ; que le sous-traitant ne peut agir directement contre le maître de l'ouvrage qu'à raison des créances se rapportant aux travaux relatifs au chantier confié par le maître à l'entrepreneur principal et, ensuite, par celui-ci au sous-traitant; que la créance du sous­-traitant et celle de l'entrepreneur principal doivent donc procéder de travaux réalisés sur le même chantier; qu'en cas de pluralité d'actions directes, il y a lieu, le cas échéant, à une répartition proportionnelle au marc le franc ; que s'il s'agit d'actions directes successivement introduites, l'assiette des droits des sous-traitants, répartissable au marc le franc, comprend ce qui est dû par le maître de l'ouvrage jusqu'au jour de l'intentement de la dernière action directe dont le tribunal est saisi ; qu'en cas de faillite ou de mise en liquidation de l'entrepreneur principal, l'action directe reste acquise aux sous-traitants qui peuvent l'exercer au détriment des autres créanciers dudit entrepreneur général ; que l'action directe permet en effet aux sous-traitants d'extraire leurs créances contre le maître de l'ouvrage du patrimoine de l'entrepreneur général et d'échapper à tout concours avec les créanciers de ce dernier ».
En conséquence, l'arrêt attaqué:
«Condamne la société anonyme Mabille à payer à D. H. la somme de 1.772,44 euros (71.500 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 28 octobre 1997 jusqu'au complet paiement ;
Condamne la société anonyme Totalfinaelf à payer à D. H. la somme de 2.178,49 euros (87.880 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 28 octobre 1997 jusqu'au complet paiement ;
Condamne la société anonyme Mabille à payer à la société anonyme DF Habitations la somme de 1.232,80 euros (49.731 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 14 juillet 1999 jusqu'au complet paiement ;
Condamne la société anonyme Totalfinaelf à payer à la société anonyme DF Habitations la somme de 4.985,76 euros (201.125 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 14 juillet 1999 jusqu'au complet paiement ;
Condamne la s.c.r.l. Mon toit fleurusien à payer à J. C. la somme de 6.899,82 euros (278.338 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 31 octobre 1997 jusqu'au complet paiement;
Condamne la s.c.r.l. Mon toit fleurusien à payer à la société anonyme Clarenne Béton la somme de 2.801,20 euros (113.000 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 31 octobre 1997 jusqu'au complet paiement ;
Condamne la s.c.r.l. Mon toit fleurusien
à payer à Y. M. la somme de 15.886,13 euros (640.845 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 18 octobre 1999 jusqu'au complet paiement;
(.);
Condamne la s.c. Foyer Louvièrois à payer à D. H. la somme de 14.635,01 euros (590.375 francs), augmentée des intérêts judiciaires depuis la citation jusqu'au complet paiement ;
Condamne la s.c. Foyer Louvièrois à payer à la société anonyme Immo Rome la somme de 67.572,92 euros (2.725.885 francs), augmentée des intérêts moratoires depuis le 15 octobre 1997 jusqu'à la citation et ensuite des intérêts judiciaires jusqu'au complet paiement ;
(.);
Condamne la Société wallonne du logement à garantir la s.c. Foyer Louvièrois des condamnations prononcées à charge de cette dernière et au profit de D. H. et de la société anonyme Immo Rome ;
Condamne la société anonyme Totalfinaelf à payer à la société anonyme Servitra en liquidation la somme de 2.558,71 euros (103.218 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 29 janvier 1999 jusqu'au complet paiement ;
Dit non fondée la demande de la [demanderesse] contre la société anonyme Garage Mabille ;
(.);
Condamne la [demanderesse] à payer à:
- J. C. la somme de 6.899,82 euros (278.332 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 31 octobre 1997 jusqu'au complet paiement ;
- la société anonyme Clarenne Béton la somme de 2.801,20 euros (113.000 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 31 octobre 1997 jusqu'au complet paiement ;
-Y. M. la somme de 15.886,13 euros (640.845 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 14 octobre 1998 jusqu'au complet paiement ;
- la s.p.r.l. La Druezienne la somme de 7.292,58 euros (294.182 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 27 mai 1998 jusqu'au complet paiement ;
-la société anonyme Immo Rome la somme de 67.572,92 euros (2.725.885 francs) ;
- (.);
-la Société wallonne du logement la somme de 82.216,86 euros (3.316.620 francs), augmentée des intérêts légaux depuis le 12 décembre 1997 jusqu'au complet paiement».
Griefs
Pour produire ses effets en faveur de son titulaire, l'action directe octroyée au sous­-traitant par l'article 1798, alinéa 1er, du Code civil doit être intentée avant que ne soit mise en oeuvre une mesure entraînant l'indisponibilité de la créance formant l'assiette de cette action, à savoir la créance de l'entrepreneur principal envers le maître de l'ouvrage. Un tel effet d'indisponibilité peut être engendré par une saisie-arrêt, une action directe antérieure, une déclaration de faillite ou une autre situation de concours, telle celle qui naît, comme en l'espèce, de la décision de mise en liquidation d'une société anonyme.
Dès la dissolution de la demanderesse, les créanciers de celle-ci ont acquis un droit irrévocable à ce qu'aucun d'entre eux ne soit payé dans une proportion plus forte qu'un autre, à moins de pouvoir vanter valablement l'une des causes légitimes de préférence que sont les privilèges, les gages et les hypothèques. Ce droit irrévocable repose sur le principe général du droit selon lequel les créanciers dépourvus de cause légitime de préférence sont traités de manière égale dans une situation de concours, dont les articles 8 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 et 184 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, tel qu'il était applicable à l'espèce, actuellement remplacé par l'article 190, § 1er, du Code des sociétés faisant l'objet de la loi du 7 mai 1999.
Or, en l'espèce, l'arrêt constate que les actions directes intentées par les sous-traitants, Monsieur D. H., la société anonyme Immo Rome, la s.p.r.l. La Druezienne, la s.p.r.l. DF Habitations, Monsieur J.C. et la s.p.r.l. Ateliers Lefèbre, ont toutes été intentées postérieurement à la date de l'assemblée générale extraordinaire du 16 octobre 1997 décidant la mise en liquidation de la demanderesse. En vertu des dispositions légales et du principe général du droit visés par le présent moyen, la liquidation de la demanderesse avait entraîné une situation de concours provoquant l'indisponibilité des créances appartenant à celle-ci envers ses cocontractants, la s.c. Foyer Louvièrois, la société anonyme Totalfinalelf Belgium, la s.c. Mon toit fleurisien et l'a.s.b.l. Ecole Saint Jean.
Il s'ensuit que c'est en méconnaissant les dispositions légales et le principe général du droit visés au moyen que l'arrêt attaqué décide que sont recevables lesdites actions directes et qu'il prononce en conséquence les condamnations décrites plus haut.
IV. La décision de la Cour
Attendu que les pourvois inscrits sous les numéros C.02.0424.F et C.02.425.F du rôle général sont dirigés contre le même arrêt ; qu'il y a lieu de les joindre;
Sur le premier moyen de chacun des pourvois :
Attendu que l'article 1798 du Code civil accorde notamment aux sous-traitants qui ont été employés à la construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise, une action directe contre le maître de l'ouvrage jusqu'à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur à l'entrepreneur au moment où leur action est intentée ;
Qu'aux termes de l'article 8 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, les biens du débiteur sont le gage commun des créanciers et le prix s'en distribue entre eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ;
Attendu que, dès la mise en liquidation d'une société, les droits réciproques des créanciers dont la créance est née avant la mise en liquidation sont déterminés d'une manière irrévocable ;
Que ce principe fait obstacle, dès ce moment, à l'intentement par un sous-traitant de l'action directe visée à l'article 1798 du Code civil ;
Attendu qu'en considérant «qu'en cas de [...] mise en liquidation de l'entrepreneur principal, l'action directe reste acquise aux sous-traitants qui peuvent l'exercer au détriment des autres créanciers dudit entrepreneur général; que l'action directe permet, en effet, aux sous-traitants d'extraire leurs créances contre le maître de l'ouvrage du patrimoine de l'entrepreneur général et d'échapper à tout concours avec les créanciers de ce dernier», l'arrêt viole les dispositions légales visées au moyen ;
Que le moyen est fondé ;
Attendu que la cassation de la décision rendue sur les actions directes des première, sixième, septième, huitième, neuvième, dixième, douzième et treizième parties défenderesses s'étend, en raison du lien établi par l'arrêt entre ces décisions, à celles par lesquelles il statue, d'une part, sur la demande en intervention de la société anonyme Banque Bruxelles Lambert, d'autre part, sur les demandes de la société anonyme Services et Travaux en liquidation contre les troisième et quatrième parties défenderesses ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'examiner le deuxième moyen de chacun des pourvois, qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue ;
Et attendu que les demanderesses ont intérêt à ce que l'arrêt soit déclaré commun aux parties appelées devant la Cour à cette fin;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Joint les pourvois inscrits au rôle général sous les numéros C.02.0424.F et C.02.0425.F ;
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur les actions directes des première, sixième, septième, huitième, neuvième, dixième, douzième et treizième parties défenderesses, sur la demande en intervention de la société anonyme Banque Bruxelles Lambert et sur les demandes de la société anonyme Services et Travaux en liquidation contre les troisième et quatrième parties défenderesses ;
Déclare l'arrêt commun à la société anonyme CBC Banque et à la société anonyme Caccioppoli;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Christian Storck, Didier Batselé, Albert Fettweis et Christine Matray, et prononcé en audience publique du vingt-trois septembre deux mille quatre par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.02.0424.F-C.02.0425.F
Date de la décision : 23/09/2004
1re chambre (civile et commerciale)

Analyses

SOCIETES - DIVERS / Société commerciale / Mise en liquidation / Créanciers / Egalité

Dès la mise en liquidation d'une société, les droits réciproques des créanciers dont la créance est née avant la mise en liquidation sont déterminés d'une manière irrévocable.

LOUAGE D'INDUSTRIE / Contrat d'entreprise / Sous-traitant / Action directe / Entrepreneur principal / Mise en liquidation / Action directe intentée postérieurement à la mise en liquidation / Concours de créanciers

Le principe selon lequel dès la mise en liquidation d'une société, les droits réciproques des créanciers dont la créance est née avant la mise en liquidation sont déterminés d'une manière irrévocable, dès ce moment, à l'intentement par un sous-traitant de l'action directe visée à l'artcile 1798 du Code civil.


Références :

Cass., 19 janvier 1984, Bull. et Pas., 1984, I, 546. / Voir en matière de faillite Cass., 27 mai 2004, RG C.02.0435.N, n° ... . Voir E. Dirix, "Het voorrecht en de directe vordering van de onderaannemer", R.W., 1995-96, p. 1232; P. Gerard et J. Windey, "Action directe des sous-traitants, faillite et concordat judiciaire: à contre-courant." In "Liber amicorum L. Simont", Ed. Bruylant, 2002, p. 385.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2004-09-23;c.02.0424.f.c.02.0425.f ?
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