Festival de Chassepierre : le drôle de quotidien des artistes de la rue

À la veille du festival de Chassepierre, clowns, marionnettistes et autres souffleurs de feu racontent leur quotidien, et les enjeux qui entourent un secteur un peu trop créatif.

chassepierre
Nature et acrobatie, l’ambiance de Chassepierre. © Véronique Mergaux

La rue est leur domaine, mais en été, ils débarquent aussi dans les festivals. Certains leur sont totalement dédiés, comme Chassepierre. D’autres les intègrent dans une programmation plus large. Cela a été le cas de LaSemo et d’Esperanzah! Où que ce soit, petits et grands se pressent pour assister à des shows toujours plus singuliers. Au cœur de l’abbaye de Floreffe, où Esperanzah! prend ses quartiers, il s’agissait d’arriver tôt pour s’assurer de voir La calèche aux âmes, impressionnant spectacle de feu. À l’heure où le divertissement numérique est jusque dans la poche, on se demandait si l’organique fonctionnait encore. Aucun doute, la réponse est oui.

Nos dernières vidéos
La lecture de votre article continue ci-dessous

En avril, mai, juin, septembre et octobre, je pars le week-end en camionnette avec mes collègues, commence Bram Dobbelaere, arbitre et animateur d’un match de jonglerie entre deux frères, les De Cuyper. En juillet, on a joué 28 fois notre spectacle, estime celui qui nous répond du ­Danemark, où il s’apprêtait à prendre son sifflet. Cela veut dire décharger, mettre le décor, jouer, démonter, recharger, dormir à l’hôtel, repartir. On joue principalement en France. Il y a beaucoup de bons festivals en Belgique, mais en général, on les fait durant la première année de notre tournée. On a aussi décidé de ne plus jouer à plus de 500 km. Une réflexion écologique, mais aussi économique.”

À 26 ans, Céline Dumont vient de débarquer dans cette vie d’itinérance. “On a eu d’énormes journées et là on est en stand-by avant Chassepierre pour dormir un peu. Et en hiver, on crée, ou on travaille pour d’autres projets.” Après une formation de comédienne au Conservatoire de Bruxelles, elle s’est tournée vers la marionnette avec sa meilleure amie. “J’ai commencé le théâtre visuel via un stage, via la marionnette et je me suis découvert une passion. On lutte beaucoup contre l’image “jeune public”. On est un “tout public”. On parle du burn out, du monde qui va trop vite...

Une part de chance

Le monde va trop vite, y compris le leur. Quand on est parti plusieurs mois par an, comment ­concilier cette vie avec la vie de famille? “C’est clair que c’est particulier, mais ici mon amoureuse est partie avec moi en tournée. Elle fait du cirque, donc elle connaît les contraintes de cette vie.” Bram Dobbelaere confirme. “Il y a de longues périodes où on est absent, mais durant l’hiver on peut être tout le temps avec les enfants. Quand j’ai ­commencé, j’ai vu des relations s’arrêter à cause de ça, mais dans mon cas, ça a marché.

Bernard Massuire sera aussi à Chassepierre. Artiste multiple, entre comédie, chanson et clownerie, il fait figure d’ancien dans le microcosme des arts de la rue en Belgique. “Je me souviens quand les enfants étaient petits, il y a des étés où je ne les ai pas vus beaucoup. En 1994, je suis parti 300 jours sur l’année. Ce sont des choix. D’ailleurs mes enfants ont bien insisté sur le fait qu’ils ne voulaient pas être artistes de rue”, sourit-il.

art de rue

La compagnie des Petits Bras. © DR

Et la passion, ça ne remplit pas un frigo. “Je dirais qu’on peut en vivre, mais pour le moment, sans le statut d’artiste qui permet d’avoir un plus quand on n’a pas de représentation, ce serait impossible.” Bernard Massuire ne débute pas. Cela fait 34 ans qu’il écume les scènes sauvages. “C’est un challenge de vivre de son art, probablement encore plus aujourd’hui qu’avant. Quand j’ai commencé, il y avait moins de propositions. Si tu avais un super-spectacle qui cartonnait, tu tournais partout. Maintenant, il faut se démarquer davantage. Mais si la matière est bonne, les spectacles ont une belle vie et les artistes peuvent en vivre décemment. En n’oubliant pas l’aide du statut d’artiste.” Pour Bram Dobbelaere, cela dépend du nombre de personnes sur et derrière la scène. “On fait tout nous-mêmes, et on joue entre 80 et 100 dates par an. Ce qui nous permet de ne pas devoir trop travailler hors saison. Certains combinent cela avec un spectacle en hiver, on l’a fait. Ce n’est pas toujours lié à la qualité du spectacle, il y a une part de chance.

L’été 2023 étant parfaitement pourri, la pluie et le vent menacent régulièrement les représentations. “Avec un vent au-delà de 25 kilomètres/heure, on ne joue pas”, signale Sébastien ­Goderniaux. Il fait partie de plusieurs compagnies, dont celle des 7 vies qui a enchanté le public d’Esperanzah! avec sa Calèche aux âmes. Une performance totalement tributaire de la météo. Il est en parallèle responsable de la ­programmation du festival et l’assure, les annulations restent extrêmement rares. “Ça fait treize ans que je suis à Esperanzah!, on n’a annulé que deux petits spectacles. Cela dit, on n’a jamais eu un été comme ça. Avec la compagnie, on a joué au Luxembourg, on aurait dû annuler. 800 personnes nous attendaient, on a décidé de jouer. Les mèches ne s’allumaient pas et ça ne donnait pas l’effet de notre spectacle. La prochaine fois, on annulera, par respect pour notre spectacle et du public.” En cas d’annulation, une clause est normalement prévue dans les contrats pour que les artistes soient rémunérés à 100 %. Le secteur a attendu l’année 1999 pour être reconnu par la Fédération ­Wallonie-Bruxelles. “Cette reconnaissance a été positive, mais l’institutionnalisation a cadré les choses, avec une petite dérive d’uniformisation des propositions. On a un peu perdu l’aspect subversif”, explique Bernard Massuire.

Des créations et des messages

En attendant, ce sont chaque année un peu plus d’artistes qui se confrontent au public de rue. Et comme Bernard Massuire le disait, le nombre de propositions a explosé. Un ressenti partagé par Charlotte Charles-Heep, directrice du festival de Chassepierre. “C’est plus compliqué pour les compagnies émergentes parce qu’il y a trop de nouveautés. On demande aux compagnies de créer, créer, créer pour qu’elles aient leurs subventions. Elles sont dans une ­logique de création alors qu’elles viennent de ­terminer un spectacle. Et après elles doivent tourner, mais il n’y a pas assez d’événements pour les accueillir. Les nouvelles compagnies doivent se faire leur place là-dedans.

Dans la rue, je retrouve un sentiment d’entraide. Quand on est en festival, c’est très chaleureux entre les artistes.

Alors elles doivent compter sur la solidarité. “Dans la rue, je retrouve un sentiment d’entraide. Quand on est en festival, c’est très chaleureux entre les artistes, on se croise, on va se voir. Et le bouche à oreille peut aider à trouver un endroit où jouer”, se réjouit Céline Dumont. Sébastien Goderniaux est un témoin ­privilégié. “Sur Facebook, le groupe “Entraide statut d’artiste” réunit presque 3.400 artistes, tous les jours il y a des questions et des ­réponses. On est dans un statut qui change tout le temps, on a besoin de s’aider les uns les autres. En tant que programmateur, je trouve ça super-important de connecter les artistes entre eux.

Jouer dans la rue offre aussi l’occasion de toucher un autre public, et de faire passer certains mes­sages. Il conclut: “Dans les salles de théâtre, on croise des gens qui vont vers la culture, alors que dans la rue ou dans les festivals, qui ne sont pas très chers, on voit des gens qui n’y ont pas spécialement accès. On a commencé le théâtre pour porter des messages aux gens, et pas juste à des universitaires qui les reçoivent déjà”.

Semer des graines

Ces 19 et 20 août aura lieu la 49e édition de Chassepierre avec ce fil rouge: “Des idées aux idées claires”. “L’idée est de montrer des engagements, via les sentiers de la poésie, de l’absurde, du rire, précise la directrice Charlotte Charles-Heep. Les spectacles vont semer des graines dans l’esprit des spectateurs pour les faire réfléchir sur l’égalité, le vivant, la dépendance aux écrans.” Elle a déjà, dans un coin de la tête, des idées pour la 50e d’édition. “Par ce programme, on veut donner un avant-goût des cinquante ans, avec un spectacle sur le thème de l’anniversaire. La compagnie des Petits Bras fête ses vingt ans, et clôturera le festival cette année. Cela donnera la couleur de l’édition suivante. Des festivals de cinquante ans, dans un petit village, organisés par des bénévoles, je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup. D’autant qu’on est toujours dans un combat puisque le secteur des arts de la rue reste sous-financé. L’enveloppe actuelle ne pourrait soutenir que 34 % des demandes. C’est assez questionnant quand on sait que ce sont les arts les plus diffusés à l’international.

Festival de Chassepierre, les 19 et 20/8. Chassepierre. www.chassepierre.be

Débat

Sur le même sujet
Plus d'actualité