ABDERRAHMANE REBAHI
Petite anthologie des poèmes
du jeu féminin de la Boûqâlah
Introduction, texte arabe vocalisé, traduction et notes
Strictement réservé aux femmes algériennes, le jeu de la
boûqâlâh – du nom d’un petit récipient traditionnel en terre
cuite – est réglé par tout un rituel de préparation et de mise
en condition de l’assistance – fumigation (tebkhîrah), invocations (dou‘â’) –, mais ce qu’il y a de plus intéressant en fait
dans ce passionnant divertissement, ce sont surtout les beaux
couplets en arabe dialectal qui y sont récités pour être dédiés
aux divers êtres chers : maris, fiancés, pères, mères, frères,
sœurs, fils ou filles, tous ceux qui occupent une place de choix
dans le cœur des pénélopes algériennes !…
Même s’il a certainement été autrefois une forme primitive bénigne de divination populaire, le jeu de la boûqâlah
s’articule essentiellement autour du principe de fâl ou bon
augure, une fenêtre largement ouverte sur tous les champs de
l’espoir et du rêve…
Journaliste free lance, auteur et éditeur délégué,
Abderrahmane Rebahi est né le 19 septembre
1955 dans le quartier de la basse-Casbah
d’Alger, et a toujours vécu à Bab-El-Oued
et Notre-Dame d’Afrique. Il a notamment
publié Fleurs de Sapience. Dits attribués à
‘Aliyy ibn Abî Tâlib, quatrième des califes
de droiture, ainsi que Qâl al-Madjdhoûb
(al-Madjdhoûb dixit !), un choix critique des
quatrains attribués au saint barde marocain du XVIe siècle, Sîdî ‘Abd
ar-Rahmân al-Madjdhoûb, ainsi que le Petit Guide des croyances
musulmanes de Cheikh Tâhir al-Djazâ’irî (1852-1920). Il publiera
bientôt la traduction avec texte arabe et commentaires de la fameuse
Profession de foi (‘Aqîdah) d’Abû Dja‘far at-Tahâwî (al-‘Aqîdah
at-Tahâwiyyah), texte majeur qui institue le credo du salafisme
classique, Esprit et Sagesse sans frontières. Dictionnaire des citations,
maximes, dictons et proverbes du monde entier.
Ô fumée du Benjoin !
L’édition arabe originale du présent ouvrage a paru à Alger
en 1998 (à compte d’auteur), sous le titre de : Bakhkharnâk bel-djâwî. 147 boûqâlah moukhtârah. Nouçoûç wa
chouroûh.
Cet ouvrage a bénéf icié du soutien du Programme
d’aide à la publication de l’Institut Français d’Algérie.
© Alger-Livres Éditions, Alger, 2016.
Tous droits réservés pour tous pays.
(La reproduction de tout ou partie de cet ouvrage, par quelque procédé que
ce soit, est strictement interdite, sauf accord préalable écrit de l’Éditeur).
ISBN : 978-9947-897-45-4
Dépôt légal : 1er semestre, 2016.
ISBN de l’édition arabe originale : 9961-849-00-0
Abderrahmane Rebahi
ô f umée du b enjoin !
Petite anthologie des poèmes
du jeu féminin de la Boûqâlah
Introduction, texte arabe vocalisé,
traduction et notes
Tél. : 0773 60 62 67 - Fax : 021 32 51 09
E-mail : editions_gal@yahoo.fr
DÉ DIC AC E
À toutes les filles de Hawwâ’ (Ève) — Algériennes ou autres,
peu importe!… —, qui ont la fibre de l'espoir et de la poésie…
À tous les honorables devanciers et pionniers dans la défense et
l’illustration des cultures populaires du monde entier…
À toutes celles et à tous ceux qui savent goûter et apprécier
l'or et les gemmes vives et rutilantes de l'esprit, là où ils les
trouvent…
Je dédie ce modeste bouquet de boûqâlât.
A.R.
Le poème-boqala nous permet, par des paraboles, des
comparaisons, des métaphores, d'interroger le futur,
de voir le présage. Connaître l'avenir. Une projection
sur demain.
Docteur Laâdi Flici (1937-1993)
13
Introduction
EN GUISE D’INTRODUCTION
Une histoire de pot de terre, de poésie,
de jeu et de divination…
« Il ne faut pas croire que la différence des sexes soit
purement du domaine de la physiologie : l’intelligence et
le cœur aussi ont un sexe. À mesure qu'une culture plus
parfaite aura développé l’homme et la femme, chacun selon
son génie propre, l’attrait naturel des âmes sera plus sensible
et formera des unions morales plus fécondes en vertus. »
Marie d'Agoult (1805-1876), Esquisses morales (1849)
V
oici une petite anthologie de poèmes-boûqâlât1 dont
j’ai déjà publié, il y a plusieurs années de cela, une
version strictement arabe2.
1. On dit boûqâlât ou bwâqal, forme plurielle du mot féminin de boûqâlah, qui désigne le récipient traditionnel en terre cuite dont on se sert pour le jeu de la boûqâlah.
Comme on peut le voir sur les dessins reproduits dans l’ouvrage de K. M’hamsadji
(Le jeu de la boûqâla, Office des Publications Universitaires, Alger, 1989, réimpr. :
2003, p. 20), une boûqâlah n’est ni une gargoulette, ni une cruche, ni une jarre, ni
une amphore… Avec un col évasé, deux anses (wdînât, litt. « oreillettes ») et un aspect rondelet et ventru, le récipient rappelle, par sa forme, beaucoup plus réduite
certes, celle d’une antique amphore grecque. On lit dans le vieux Dictionnaire pratique
arabe-français de Marcelin Beaussier (Alger, 1958, p. 90, 2e colonne) : «boûqâlah, pl.
bwâqal, sf. : pot de terre pour boire avec deux anses|| Darb al-boûqâlah : divination
au moyen de ce vase. »
Si les termes que nous venons de citer ne sont pas un ajout postérieur intervenu
lors de la révision due à Mohammed Ben Cheneb, il n’est donc pas exclu que Beaussier
(mort en 1873), dont la notice, on le voit bien, ne fait pas la moindre allusion à un
jeu quelconque – féminin ou autre –, mais se borne tout juste à attester le nom d’un
« pot de terre pour boire avec deux anses » ainsi qu’un mode divinatoire où cet ustensile
est utilisé, a eu connaissance du jeu de la boûqâlah et de son rituel, et peut-être même
des pièces poétiques qu’on y déclame.
2. Bakhkharnâk bel-djâwî, plaquette de 64 pages éditée à compte d’auteur, Alger,
1998. Une première mouture de la traduction française paraîtra l’année suivante en
plusieurs livraisons dans le supplément « Spécial Ramadân » du quotidien El Moudjahid (décembre 1999/ramadân 1409).
Introduction
14
Formulées en arabe dialectal algérien1, les strophes
dont on trouvera ici le texte arabe, la traduction française
(avec parfois quelques notes-commentaires pour une
meilleure intelligence du texte) sont l’âme même du jeu
de la boûqâlah, vieux divertissement citadin2, en principe
exclusivement féminin, auquel s’adonnaient notamment
les femmes d’El-Djezaïr, ancienne capitale éponyme de la
Régence ottomane d’Alger, mais également celles d’autres
vieilles cités algériennes, comme Blida, Médéa, Cherchell,
Miliana, Ténès, Dellys ou Bejaia…
Joyaux anonymes de la tradition orale féminine
algérienne, ces délicieux petits poèmes sont récités au cours
de la cérémonie qui accompagne le déroulement du jeu
lui-même. À l’instar des séances familiales réservées aux
contes (mhâkyât) et aux devinettes (mhâdjyât), les qa‘dât
ou djelsât, séances spécialement consacrées à ce jeu social,
ont généralement lieu, à la nuit tombée, dans un cadre très
intimiste de veillée familiale, souvent au cours du mois de
ramadân – mois dont on passe les journées en état de jeûne
(çiyâm), depuis l’aube (fedjr) jusqu’au coucher du soleil
1.Pesant bien mes mots, je m’abstiens de parler ici d’improvisation – attitude dont
j’assume pleinement la responsabilité et dont je donnerai plus loin les arguments !…
Pour ce qui a trait de l’improvisation des petits couplets chantés dans le mode hawfî,
Saâdeddine Bencheneb a écrit : « Ils constituent une sorte de répertoire que toute petite fille
tient à apprendre. Mais le respect de la tradition s’arrête à la connaissance du jeu et de ses
règles. Dès que le procédé est saisi, l’originalité des petites filles essaie de se manifester, et si
celles qui sont dépourvues d’invention se contentent de répéter les strophes apprise, d’autres
en composent de nouvelles. » (« Chansons de l’escarpolette », in Revue africaine, t. 89,
1945, p. 92).
2. Signalons qu’il y a quelques années, l’association culturelle El-Djahidhia de feu
Tahar Ouettar (dont les locaux se trouvent 8, rue Rédha-Houhou, Alger) avait publié
une petite plaquette en arabe sur le jeu de la boûqâlah en milieu rural (al-boûqâlah
ar-rîfiyyah ?), dont je n’ai jamais pu prendre connaissance et qui malheureusement
semble être passée tout à fait inaperçue ! Il aurait été certes très intéressant de pouvoir constater en quoi le rituel, les éléments matériels et les textes poétiques de cette
hypothétique façon rurale et campagnarde du jeu de la boûqâlah pourraient bien avoir
un air de famille ou bien différer de ceux – autrement mieux connus – de son homologue citadin !
15
Introduction
(maghrib)1… De ces séances était bien sûr exclue la gent
masculine – seuls les jeunes garçons pouvant y être admis2.
Le jeu de la boûqâlah et les morceaux poétiques qui y sont
utilisés étant du domaine de l’expression populaire de la
poésie arabe algérienne, il n’est pas inutile de dire quelques
mots sur le statut de la culture populaire dans le monde
arabe. De fait, même s’il est évident que les choses ont beaucoup évolué depuis le début du XXe siècle, l’engouement
pour la chose culturelle populaire – dans le monde arabe,
en général, et dans le Maghreb et en Algérie, en particulier –
est une chose relativement récente. Les gardiens du temple
de la littérature classique – la culture « savante » – ont, on
le sait bien, toujours regardé avec le plus profond dédain
les multiples formes d’expression culturelle non conformes
aux canons officiels auxquels leurs esprits bornés ont été
formatés. Aux yeux de ces cuistres, ce genre de littérature
devait être rejeté et proscrit sans appel. Au mieux (chez les
esprits les moins fermés), ce qu’on appelle aujourd’hui adab
cha‘bî, thaqâfah cha‘biyyah (littérature, culture populaire…)
n’est guère qu’un banal et peu intéressant phénomène
infra-culturel sans valeur notable. « C’est, notait autrefois
le Professeur Abdelkader Noureddine, un fait notoirement
établi que la littérature populaire – nous entendons par là la
1. Après la rupture du jeûne (iftâr), une fois le repas (ftoûr) terminé, on voit
d’ordinaire les hommes quitter la maison pour s’en aller accomplir la prière d’al-‘Ichâ’
et celle des tarâwîh dans les mosquées, ou pour se délasser dans les cafés jusqu’à une
heure assez tardive de la nuit, laissant ainsi la maison entièrement à la disposition de
l’élément féminin de la famille. C’est donc le moment le plus propice pour s’adonner
au jeu de la boûqâlah !
2. Kaddour M’hamsadji observe très justement, que « pendant longtemps on tenait
pour niswâni, efféminé, tout homme d’esprit quelque peu moderniste, présent dans une réunion de femmes ». (Le jeu de la boûqâla, op. cit., p. 31). Et il note un peu plus loin (p.
32) : « (…) L’évolution des esprits et des mœurs a favorisé aussi la présence des hommes à
la séance, sans toutefois faire perdre aux femmes, en tout cas aux plus âgées, le privilège de
dire, elles seules, les bawâqal. »
Introduction
16
production littéraire exprimée dans la langue arabe courante
utilisée dans la conversation de tous les jours – n’a jamais été,
depuis les plus anciennes époques, du goût des gens de science
et de plume, car ces derniers n’ont jamais pris cette littérature
au sérieux et ne se sont jamais vraiment donné la peine de la
connaître. Et ce, malgré les pièces d’importance capitale que ce
genre de littérature recèle1. » Et l’on rappellera également ici
ce qu’Ibn Khaldoûn (1332-1406) écrivait dans sa Mouqaddimah, il y a plus de six siècles : « Dans les pièces [i.e. : de
vers populaires en dialecte arabe bédouin] dont nous parlons, ces Arabes montrent une éloquence extraordinaire. Ils ont
d’excellents poètes et des poètes mineurs. Pourtant, les savants
contemporains, pour la plupart, méprisent ce genre de poèmes,
quand ils les entendent, et, quand on les récite en leur présence,
refusent de les considérer comme de la poésie. Ils s’imaginent
qu’elles offensent le bon goût, parce qu’elles sont, grammaticalement, incorrectes et dépourvues de déclinaisons2. » Tout doit
être relativisé, certes, mais quand on pense à l’étude, à la
mise en valeur et à la promotion du folklore algérien, force
est de reconnaître que n’étaient les travaux entrepris par
ceux que l’on appelle « auteurs coloniaux », ce patrimoine
serait certainement demeuré dans le plus complet état de
déshérence. Et de façon générale, on ne peut s’empêcher de
donner raison à l’historien français Gabriel Esquer (18761961), auteur de la monumentale Iconographie historique de
l’Algérie, lorsqu’il écrit : « La recherche intellectuelle en Algérie
est une œuvre purement française et pour laquelle il n’existait
dans le pays rien, ni personne, qui puisse nous être de quelque
1. Voir Al-Qawl al-ma’thoûr min kalâm ach-Chaykh ‘Abd ar-Rahmân al-Madjdhoûb,
Imprimerie Thaâlibiyya, Roûdoûsî Kaddoûr Ben Mourâd at-Tourkî, éditeur, Alger,
sans date, p. 94.
2. Voir Ibn Khaldûn, Discours sur l’Histoire universelle (la Muqaddimah), trad.
Vincent Monteil, éd. Unesco/Sindbad, Paris, 1967-68, t. III, p. 1330.
17
Introduction
utilité1. » Si ce genre de propos fait mal, il n’en reste pas
moins vrai.
Le matériel, le rituel et les règles propres au jeu de la
boûqâlah
De façon générale, tout jeu – quel qu’il soit – suppose
la disponibilité d’un matériel minimum ainsi que le respect
d’un certain nombre de règles, d’un code, d’un rituel ou
protocole opératoire bien défini, d’un système autour duquel
doit s’articuler la connivence tacite de tous les participants,
afin d’en assurer le bon et harmonieux déroulement.
Pour pouvoir jouer à la boûqâlah, dans le respect du rituel
traditionnel, on doit tout d’abord disposer d’une boûqâlah –
petit récipient fétiche dont le jeu tire son nom et que l’on est
censé emplir d’eau avant d’ouvrir le jeu. Il faut également
prévoir un nâfekh ou un kânoûn (brasero en terre cuite), du
charbon, de l’encens, du benjoin (djâwî), du bois d’aloès et
divers autres ingrédients aromatiques pour la fumigation.
Du point de vue matériel, c’est là pratiquement tout ce que
nécessite le jeu. On prévoit bien sûr aussi, pour l’agrément
de la veillée, la confection de gâteaux traditionnels aux
amandes et au miel, du thé à la menthe, du café à la
cardamome (hill), de la confiture de coings (sfardjel) ou
de cédrats (lârandj/nârandj), de la citronnade, enfin toutes
sortes de rafraîchissements propres à assurer que la soirée
se déroule dans l’atmosphère la plus conviviale…
Jusqu’à la fin des années 1970, il était encore possible de
faire l’emplette d’une boûqâlah chez les commerçants vendeurs de poterie (fakhkhârdjiyyah) ou chez les charbonniers
(fahhâmîn) – deux types de commerces, autrefois très souvent jumelés. On peut, sans nulle exagération, dire que le
1. Cité par Salah Guemriche, Alger la Blanche. Biographies d’une ville, éditions
Barzakh, Alger, 2013, p. 331.
Introduction
18
métier artisanal de la poterie est, depuis des lustres, moribond en Algérie, pour ne pas dire qu’il est définitivement
mort ! Pourtant, à l’occasion de la résurgence qu’a connue
ces dernières années le jeu de la boûqâlah – phénomène
fortement amplifié par la radio et la télévision algériennes,
puis par le récent développement du tout puissant Internet –, on a vu timidement réapparaître dans le commerce,
des boûqâlât en terre cuite, hélas de fort médiocre qualité.
Si l’on tient à se conformer aux vieux usages traditionnels
transmis de bouche à oreille et scrupuleusement suivis par
plusieurs générations de femmes de la ville d’El-Djezaïr et de
ses proches faubourgs et campagnes (fahs) – Bouzaréah, Oued
er-Roumane, Birkhadem, Bir-Mourad-Raïs, El-Biar… –, le
modus faciendi et les règles du jeu de la boûqâlah pourraient
être résumés comme suit.
Les participantes – parentes, voisines et amies – se
réunissent dans la maison de l’une d’entre elles, sous la
houlette d’une meneuse de jeu, laquelle est, en général,
une femme d’un certain âge censée parfaitement bien
connaître le jeu, ses règles et le répertoire des poèmes qui y
sont ordinairement récités – ce qui lui confère une autorité
morale sur toutes les autres femmes de l’assemblée. On
commence tout d’abord par apprêter la boûqâlah et par
l’emplir d’eau – une eau provenant de sept sources ou
fontaines (seb‘a ‘yoûn)1, d’après certaines informations
1. Jadis, les femmes d’Alger – en particulier les épouses de corsaires sortis en
expédition ! – avaient coutume de se rendre aux Sept-Sources (seb‘a ‘yoûn – ou la‘yoûn
tout court !), qui se trouvent au bord de la mer, dans les rochers, au commencement
du boulevard de Saint-Eugène (actuellement Bologhine). Cette coutume était encore
vivante dans les premières années de l’Indépendance, j’en témoigne à titre personnel.
« Cette fontaine, dénommée Seba-Aïoun (les sept sources) existait jadis, sur la route
de Saint-Eugène, près de la Salpêtrière. La construction du boulevard Front de Mer la fit
disparaître.
« Des négresses y venaient le mercredi offrir des poulets en sacrifice aux Génies du lieu,
dans le but d’obtenir de ceux-ci une guérison ou la réalisation d’un vœu. » (Comité du Vieil
Alger, Feuillets d’El-Djezaïr, t. II, Éditions du Tell, Blida, 2003, p. 51-52, où l’auteur de
l’article fournit un très bon résumé sur ce site et sur les rites magiques africains, assez
proches de la Santería et du Vaudou, qui y sont pratiqués. – Émile Dermenghem en dis-
19
Introduction
orales ! On met dans le récipient un quelconque bijou
(bague, chaîne en or ou en argent…) appartenant à l’une des
participantes. La séance (qa‘dah/djelsah) commence ensuite
par le rituel de la fumigation (tebkhîrah), qui s’accompagne
d’un poème désigné du même nom dont les termes sont
adressés à la boûqâlah elle-même1 ; on poursuit par la
récitation d’un autre poème, du genre appelé frâch (litt.
« lit », auquel est assignée une fonction de préambule, de
préparation et de mise en condition psychique et spirituelle
de l’assistance2, et une fois ce poème-invocation déclamé,
on récite le poème du bon augure ou fâl3. On peut alors
procéder à la ‘ouqdah (nouement symbolique d’un bout
d’étoffe, d’un mouchoir, d’un bout de linge…), la niyyah ou
« vœu » (litt. « intention ») est ainsi dédiée à une personne
– généralement à un être cher, homme ou femme –, et
alors on peut commencer la récitation des boûqâlât, qui est
suivie de leur interprétation, de l’épreuve et de la contre
épreuve… La vérité est qu’il ne s’agit pas d’un vrai rituel, un
rituel sacré, immuable et intangible… La meneuse de jeu n’a
rien de sacerdotal dans son office.
Je crois que la meilleure et plus fidèle description de la
matérialité du jeu de la boûqâlah se trouve dans l’ouvrage
de Kaddour M’hamsadji, dont l’expérience radiophonique
et les différents contacts de toute première main avec
différentes connaisseuses attitrées reste la plus directe et
la plus riche4… Âgé aujourd’hui de 83 ans, mais toujours
serte également dans Le culte des saints dans l’islam maghrébin (Gallimard, Paris, 1954,
p. 89). On peut aussi voir une allusion probable à ce site marin dans quelques-unes des
rares boûqâlât où se trouve évoquée la mer (bhar). Voir pp. 109-110, n°s 90-91.
1. Voir, plus loin, pp.39-40, la pièce n° I.
2. Voir, plus loin, pp.40-42, la pièce n° II.
3. Voir, plus loin, p.43, la pièce n° III.
4. On trouvera ainsi de plus amples détails sur le jeu et les règles de son déroulement chez cet auteur pionnier (voir Le jeu de la boûqâla, op. cit., p. 35 sq.), lequel
fait cette remarque très significative à propos de l’observance du rituel : « Lors de la
diffusion du Jeu de la boûqâla à la radio sur les Chaînes 1 et 3 de la Radiodiffusion Télévision Algérienne (RTA), de nombreux auditeurs ont demandé au producteur et au réalisateur
de faire écouter immédiatement les bawâqal, sans plus répéter les éléments du rituel devant
créer l’ambiance favorable au jeu. » (op. cit., p. 32). CQFD !
Introduction
20
vif et alerte, cet auteur a été un véritable capitaine au long
cours du jeu de la boûqâlah, le « Monsieur-Boûqâlah » pour
tout dire !
Les principaux thèmes des poèmes-boûqâlât
Les principaux thèmes autour desquels s’articule la
matière poétique qui forme ce qui pourrait être désigné
par le terme de corpus du jeu de la boûqâlah sont tout
naturellement : l’amour et les états des amants, la description
élogieuse hyperbolique et sublimée des caractéristiques
physiques de l’élu du cœur, l’attente impatiente et fiévreuse
de l’union avec l’aimé, les chagrins et les douleurs causés
par le mal d’amour, les doutes et les accès de jalousie qui
rongent les cœurs des amants, les amours impossibles,
les rivalités de l’amour, la séparation de l’être aimé, les
déchirements cruels de la passion amoureuse, les soupirs
des jeunes adolescentes rêvant d’amour et de mariage, en
contemplant un bouton de rose qui éclot ou un bout de ciel
bleu, les feux sanglants d’un soleil moribond ou quelque
silhouette fugitive lourde d’évocations… Thèmes universels,
s’il en est, et si Ibn Hazm (383-456 H./993-1064 J.-C.),
poète, philosophe et grand maître andalou ès-Amour,
pouvait être ressuscité, il y retrouverait sans nul doute toute
la matière de son magnifique Tawq al-hamâmah (le Collier
du Pigeon)1 !…
Tous ces élans passionnés, toutes ces prunelles rougies par les larmes, tous ces profonds et brûlants soupirs,
toute cette douce-amère tristesse et cette langoureuse
mélancolie se tiennent souvent tapis au cœur d’un dédale
de portes dérobées, d’antichambres insoupçonnables, der1. Ibn Hʼazm al-Andalusî, Le collier du pigeon ou De l’amour et des amants (Tʼawq
al-hʼamâma fîʼl-ulfa waʼl-ullâf). Texte arabe et traduction française avec un avant-propos, des notes et un index, par Léon Bercher, Jules Carbonel, Alger,1949 (XIV-429
pages). Plusieurs rééditions.
21
Introduction
rière l’écran discret des petites lucarnes, des moucharabiehs et des jalousies, au sein d’alcôves dont l’atmosphère
feutrée grouille de secrets et de mystères et où planent les
fragrances envoûtantes caractéristiques des gynécées de
naguère… Dans ce décor, on peut, sans grand effort d’imagination, se les figurer, coincées entre quatre murs, ces
belles et patientes pénélopes arabes pétries du limon d’une
fidélité à toute épreuve, qui se morfondent dans le creux de
l’attente stoïque de celui qui, hypothétiquement, doit venir
– ou revenir… ce qui, certes, était tout particulièrement le
lot des femmes des corsaires d’Alger durant plus de trois
siècles. Monde fantôme et évaporé, renversé par les temps
modernes culminant dans la période coloniale ; monde
qui, depuis longtemps déjà, n’est plus de ce monde !… Car
la marche de l’Histoire est irrésistible, et rien n’arrête le
progrès dans ce qu’il a de meilleur – ou de pire ! L’univers révolu que nous laissent donc imaginer les boûqâlât ne
survit plus que dans une mémoire collective diffuse, fragmentée, estropiée. Un monde fané dont il ne demeure plus,
du fait de l’épaisseur des siècles, que des phrases, des mots,
de pâles et fugitives couleurs, des souvenirs de souvenirs…
Un monde qui fut l’un des ultimes témoins résiduels de la
belle et douce Andalousie, ce salutaire « Orient dans l’Occident » que le très génial miniaturiste algérien Mohammed
Racim (1896-1975) – bien qu’en ayant à peine connu les
ultimes reflets agonisants – a pourtant si admirablement
su faire revivre avec une saisissante authenticité dans ses
incomparables compositions picturales. On peut d’ailleurs
considérer chaque miniature de ce grand peintre comme
un symbole parfait, un thème de choix, pour une séance du
jeu de la boûqâlah. D’ailleurs l’un des reproches que ceux
qui n’ont jamais pu l’atteindre à travers l’inattaquable et
insurpassable qualité de son art, adressent comme un vilain
Introduction
22
et stupide coup de pied de l’âne à ce grand maître, consiste
à prétendre que ses miniatures sont irréalistes, totalement
décalées par rapport au quotidien de la société algérienne
actuelle, car elles représentent et décrivent des êtres, des
lieux, des choses, des scènes, des décors, des atmosphères
et des ambiances qui aujourd’hui ne sont que de pâles et
fantomatiques ombres… Ce n’est là, bien sûr, que l’histoire
du macaque qui veut faire de la critique d’art ! Que tous
ces tristes esprits béotiens aillent donc au diable ! Il n’y a
pas de doute que dans l’âme et dans l’esprit de l’artiste, du
poète, les charmes mordorés d’un bel et radieux hier sont
mille fois plus roboratifs et sains que la laideur pailletée
des faux ors des gadgets technoïdes et des standards déprimants qui encombrent la lourde et écœurante banalité de
nos vies quotidiennes d’animaux tristes !…
À propos de la qualité littéraire des poèmes-boûqâlât
Mais il est vrai que, dans toute œuvre poétique, on ne
regarde pas seulement à l’aspect sentimental, car en fait,
la forme et l’art poétiques y ont très souvent beaucoup
plus d’importance. Pour ce qui est des boûqâlât, à côté de
strophes si admirablement élaborées, sans nulle vulgarité
dans le ton ni préciosité ou afféterie dans le style, on trouve
malheureusement assez souvent dans la grande masse des
couplets en circulation, une forte quantité de pièces sans
nul intérêt artistique, de simples et mièvres phrases de prose
mal assonancées, de parfaites platitudes, pour tout dire1 !…
Il faut, par ailleurs, ruiner ici le mythe très courant qui
– de façon implicite ou explicite – voudrait faire accroire
que, dans le jeu de la boûqâlah, les participantes improvisent
1. À titre d’illustration et pour un tableau plus complet, j’en ai fait figurer
quelques-unes dans cette collection.
23
Introduction
vraiment tous les poèmes qu’elles déclament… Rien n’est plus
inexact, bien sûr, si, en l’espèce, on s’applique à raisonner
de façon générale. Exception confirmant la règle, il n’est
pas du tout exclu, bien sûr, qu’au cours d’une séance de jeu,
il advienne parfois que l’une des participantes réellement
douée de talent poétique s’enhardisse à improviser un texte
de son propre crû, sinon à pasticher, remanier, modifier
ou augmenter de quelque deux ou trois vers une boûqâlah
connue (ce qui s’est déjà produit !) ; mais la plupart du
temps, par esprit de bonne discipline sans doute, les joueuses
se contentent de réciter très sagement des boûqâlât bien
connues et déjà répertoriées dans une pratique usuelle bien
rodée. De plus, l’examen et l’analyse systématiques et bien
attentifs du contenu général des textes utilisés démontrent
clairement que les boûqâlât – comme c’est le cas d’ailleurs
pour les hawfîs – ne sont de pas toujours, bien loin s’en faut,
des poèmes de pure création féminine… On peut dire que si
certaines pièces apparaissent comme étant indubitablement
d’auteurs-femmes, une part assez congrue est, sans conteste
possible, issue de la veine poétique d’auteurs bien masculins
ceux-là, tandis qu’un caractère neutre, indéfinissable,
ambigu affecte d’autres pièces du corpus.
Le mystère des origines exactes du jeu de la boûqâlah…
On ignore pratiquement tout des origines du jeu de la
boûqâlah, et, faute d’informations fiables, on s’est jusqu’à
présent contenté d’émettre des hypothèses aussi bien en ce
qui concerne l’étymologie du mot de boûqâlah qu’en ce qui
a trait au jeu proprement dit.
Personne ne peut se vanter d’avoir la moindre petite
information fiable concernant l’histoire du jeu de la
boûqâlah. Sur ce point, tous les efforts déployés par plusieurs générations de chercheurs – algériens ou étrangers –
pour tracer l’origine du jeu sont demeurés tout à fait vains,
se limitant aux plus hasardeuses conjectures. On est tou-
Introduction
24
jours au stade du statu quo, et force est donc de reconnaître
que l’état de la recherche n’a pas du tout évolué depuis que
Saâdeddine Bencheneb (1907-1968) en a laconiquement
résumé la problématique : « Aucune donnée, nous dit-il, ne
permet de déterminer la date à laquelle la consultation de la
bûqâla a fait son apparition en Algérie (…) La date et la localisation demeurent un mystère. L’étude de la langue n’apporte
guère de lumière à ce sujet »1.
La seule trace écrite attestée dont il est possible de
faire état – trace au demeurant fort rachitique et fort peu
concluante ! – consiste en quelques poèmes du jeu de la
boûqâlah « découverts [en 1840] dans un livre de comptes
d’épicerie »2. En l’absence de preuves certaines, tout ce qu’il
est permis de dire à ce sujet, c’est qu’aussi bien le jeu de
la boûqâlah, en tant que divertissement de société, que les
couplets qui y sont récités, remontent incontestablement à
une époque très ancienne, avec les divers et multiples avatars que l’usage leur a probablement fait subir. Pour résumer la question (sur laquelle il n’est pas dans mon propos
de m’appesantir), il faut souligner l’indéniable et frappante parenté thématique et linguistique qui existe entre les
poèmes du jeu de la boûqâlah et les chants du hawfî (chansons du jeu de la balançoire), notamment pratiqué dans la
région de Tlemcen, qui se fondent dans le creuset du grand
et très vaste patrimoine arabo-andalou, en langue dialectale.
Poèmes-boûqâlât, hawfî, mouwachchah, zadjal et
chi‘r melhoûn…
Entre le hawfî, les qaçîdât des grands poètes populaires
du melhoûn maghrébin – les Lakhdar Ben Khloûf, Moham1. « Des moyens de tirer des présages au jeu de la bûqâla », in Annales de l’Institut
d’études orientales d’Alger, tome 14, 1956, pp. 29-31.
2. Saâdeddine Bencheneb, « Des moyens de tirer des présages au jeu de la
bûqâla », art. cit., p. 29. – Voir également Kaddour M’hamsadji, Le jeu de la boûqâla,
op. cit., p. 23 sq.
25
Introduction
med Ben M’sayeb, Bou Medien Ben Sahla, ‘Abd el-‘Azîz
El-Maghraoui et tant d’autres !… – et les textes poétiques
utilisés dans le jeu de la boûqâlah, il existe une étroite et
indéniable parenté. Et cette parenté est certes encore nettement plus sensible et plus prononcée en ce qui concerne
les poèmes-boûqâlât et les ariettes du hawfî tlemcénien ou
autre, à un point tel qu’on voit assez souvent les pièces des
deux corpus se confondre sans nul trouble et avec le plus
parfait bonheur..
William Marçais (1872-1956), ancien directeur de la
Médersa de Tlemcen, grand nom de l’orientalisme et des
études arabes, ainsi que Joseph Desparmet (1863-1942)
seront les premiers à étudier le genre poétique hawfî1. Par
la suite, ce fut Saâdeddine Bencheneb, l’ancien doyen de
la faculté d’Alger, qui se penchera plus profondément sur
la question et fournira le texte arabe et la traduction de
23 pièces inédites de hawfî (I-XXIII)2. Quarante ans plus
tard, les études sur le hawfî vont s’enrichir de la brillante
et très rigoureuse étude de Mourad Yelles-Chaouche3,
qui désormais sera la plus sûre autorité en la matière. Ce
remarquable et profond travail scientifique d’anthropologie
culturelle et sociale comporte, en prime, une imposante
collection de pièces poétiques du genre hawfî, avec
indication systématique du nombre de variantes existantes,
ce qui en fait un véritable corpus référentiel. L’auteur y a
magistralement poursuivi et porté à maturation le travail
de recherche entrepris par Saâdeddine Bencheneb et ses
autres savants devanciers.
1. William Marçais, Le dialecte arabe parlé à Tlemcen, Ernest Leroux, éd., Paris,
1902, pp. 205-213. – Joseph Desparmet, Enseignement de l’arabe dialectal (seconde
période), 2e éd., Adolphe Jourdan, Alger, 1913, pp. 142-143 et 170-171.
2. « Chansons de l’escarpolette », art. cit., pp. 89-102.
3. Mourad Yelles-Chaouche, Le Hawfi. Poésie féminine et tradition orale au Maghreb, Office des Publications Universitaires (OPU), Alger, 1990.
Introduction
26
Plus près de nous, on a un autre excellent livre,
publié à titre posthume, dont l’auteur, Mohamed Elhabib
Hachlaf (1924-2005), est sans conteste l’un des meilleurs
connaisseurs de la poésie populaire maghrébine : El Haoufi,
Chants de femmes d’Algérie1.
Je marque ici une petite pause pour préciser que,
contrairement à ce qu’il en est des différentes variétés du
chi‘r al-melhoûn maghrébin, ni le hawfî, ni encore moins les
poèmes-boûqâlât n’admettent l’utilisation d’instruments
de musique. Même si les textes du hawfî sont des textes
de chansons, lesdites chansons sont exécutées a cappella,
sans aucun accompagnement instrumental, tandis que
seule intervient la voix humaine – sans mélodie – dans la
déclamation des poèmes-boûqâlât…
Par ailleurs, de par sa nature même, la pratique traditionnelle du hawfî était moins citadine, plus bucolique, plus
champêtre, voire, dans bien des cas, plus osée, plus polissonne, plus comique, plus espiègle, en un mot, plus enfantine et plus insouciante2. Le jeu de la balançoire permettait
une très profonde communion avec les choses de la nature,
la verdure environnante des vergers, et rendait encore plus
sensible la poésie naturelle qui se dégageait de ce que S.
Bencheneb appelle les huertas de la campagne algérienne,
ces espaces aujourd’hui dévorés par le béton ou le bitume
des routes, qui, de façon générale, formaient jadis le cadre
le plus approprié pour le déroulement en plein air de ces
naïves et riantes joutes poétiques de gamines sémillantes,
au rythme enivrant du jeu de la balançoire (dja‘loûlah/
1. Éditions Alpha, Alger, 2006.
2. « Chansons de l’escarpolette », art. cit., pp. 91-92 ; voir également les pièces
II, p. 94, IX, p. 96, XXII et XXIII, p. 102.
27
Introduction
djughlîlah)1. Saâdeddine Bencheneb nous dit que « ces créations de l’esprit féminin à leur éclosion sont pleines de vie, de
grâce et de gaieté (…), aimables et légères comme l’escarpolette
qui, dans la huerta algérienne, berce les rêveries des petites filles
ou leur permet de voir ce qui se passe hors de l’enclos familial »2.
Autre différence non moins notable, le jeu de la balançoire
est un divertissement diurne qui, du fait qu’il doive se tenir
à l’air libre, exige un minimum de beau temps, un ciel bien
dégagé, un bon ensoleillement de l’espace qui accueille
les jeux des fillettes. Ce qui n’est pas le cas du jeu de la
boûqâlah, qui, lui, est un jeu auquel on s’adonne lors des
veillées familiales, un jeu donc essentiellement nocturne…
Autre nuance qui a aussi son importance : le jeu de la
boûqâlah est un jeu spirituel, où il n’y a aucun grand effort
physique à fournir, alors que l’on imagine aisément tout ce
que devaient naguère dépenser comme calories les corps
fragiles mais exubérants de toutes ces filles et jeunes filles
chantant et répétant à tue-tête les refrains de leurs hawfîs,
en s’agrippant fermement aux cordes de la balançoire ou en
poussant énergiquement cette dernière ! Le hawfî est donc
un jeu destiné à de jeunes gamines à l’énergie débordante,
tandis que le jeu de la boûqâlah concerne au premier chef
1. S. Bencheneb, « Chansons de l’escarpolette », art. cit., p. 91, souligne que « le
premier vers est le leitmotiv du jeu ou le refrain » et que « chaque fille dit son couplet, en
reprenant le premier vers refrain ».). La première pièce qu’il donne (pp. 93-94) est la
suivante, qui schématise la règle principale du hawfî :
ْ ��ك * َوْلولِ��ي ْن��ر ّد ْعل
ْ َح�� َوف انَْ�� َو ْف َم َع
ِي��ك
ِ
ْ �جي َن ْس �ق
ِيك
ِ �أَْن
ْ �ت ْحِب ّي َق��ة امْ� ُر
ِ ��وج * َواَن��ا ْن
ْ �صاَن
ْ ��ر َل
ْ ����يك َواَن ْعن َع
ْ �ق
ْ �ك
�ك
ِ �َن ْس
َ اغ
َْ ��ك * َوْن َك
ْ ن * يَ��� َرد
ْ َ �ب َرِب��ي
ْ ���م َك���اَن
�ك
ْ �الِن
ْ �َوَنطل
ْ َك َل
«Chante, je t’accompagnerai de mon chant ; pousse des youyous, je te répondrai.
Tu es un petit basilic dans les prés et je viens t’arroser.
Je t’arroserai, te donnerai la fraîcheur de la menthe et ferai croître tes branches.
Et je demande à Dieu le Compatissant qu’il te ramène chez toi saine et sauve. »
2. « Chansons de l’escarpolette », art. cit., p. 92
Introduction
28
des adolescentes ou des femmes adultes que leur maturité
contraint à un minimum de réserve et de pruderie…
D’autre part, le jeu de la boûqâlah étant un divertissement
féminin nocturne, il exige donc un bon éclairage. On se
doute bien qu’autrefois – avant l’arrivée des bienfaits de
l’électricité –, il était plus prudent de programmer la tenue
d’une qa‘dah de jeu de la boûqâlah pour une nuit de pleine
lune, c’est-à-dire la veille du 13e, 14e ou 15e jour du mois,
notamment en hiver, lorsque la pluie et le vent risquaient
de compromettre le déroulement du jeu sur la terrasse de la
maison ou dans une cour intérieure. L’éclairage électrique
est une chose relativement récente pour les populations
indigènes algériennes, la lampe à huile d’olive ayant pendant
très longtemps été l’unique moyen d’éclairage nocturne, au
même titre que le fut, au XIXe siècle, l’huile de baleine ou
le gaz d’éclairage pour beaucoup de pays d’Europe. Et il faut
aussi avoir à l’esprit qu’une ampoule incandescente produit
environ 40 fois plus de lumière qu’une chandelle de suif ou
de paraffine !…
D’autre part, ayant abordé plus haut le problème de
l’origine du jeu de la boûqâlah, on doit avouer que celle
du hawfî est loin d’être aussi obscure. « À Tlemcen, nous
dit Mourad Yelles-Chaouche, (…) la tradition veut que le
premier hawfî ait été composé par une figure légendaire sur
laquelle nous ne disposons d’aucun renseignement, mais que la
coutume désigne sous le nom de Rôh el-ghrèb1. » Nous savons,
par ailleurs, qu’Ibn Khaldoûn a très évasivement évoqué le
hawfî dans sa Mouqaddimah2.
1. Le Hawfi…, op. cit., p. 109.
2. Après avoir signalé qu’« Ibn Khaldûn qui vivait au XIIIe (sic !) siècle J.-C. connaissait le hawfî », Saâdeddine Bencheneb ajoute que William Marçais « fixe une époque
approximative à l’une des pièces qu’il reproduit et n’hésite guère à croire qu’elle fut composée
sous le règne des Banû Zayân, c’est-à-dire au XVIe siècle de l’ère chrétienne ». (« Chansons
de l’escarpolette », art. cit., p. 92).
29
Introduction
Par ailleurs, il me paraît tout aussi intéressant et instructif d’entreprendre une étude comparative sérieuse des
corpus respectifs du hawfî et des boûqâlât avec les petits
couplets anonymes que les femmes marocaines de Fès
avaient autrefois l’habitude de chanter à l’occasion d’un certain Mawsim al-Houbb, dont un auteur français, aujourd’hui
oublié, avait recueilli, traduit et publié quelques pièces, il y
a plus de soixante ans – le même auteur devant ensuite se
servir de ce thème exotique dans le cadre d’un petit roman
également tombé dans l’oubli…
Le jeu de la boûqâlah est-il un moyen divinatoire ou bien
un simple et « innocent » divertissement féminin ?
Doit-on considérer les séances du jeu de la boûqâlah
comme étant vraiment des séances de divination par
hydromancie ? À l’exception de Kaddour M’hamsadji, pour
la plupart des nombreux auteurs qui ont écrit sur le sujet1,
la chose ne fait aucun doute. À propos d’hydromancie, Ibn
Khaldoûn – toujours lui ! – évoque, dans sa Mouqaddimah2,
différents modes de divination qui existaient chez les
peuples arabes et musulmans de son époque. Il cite, entre
autres, ceux où – chose qui ne manquera pas de fournir
une intéressante piste de recherche historique pour
aborder la problématique de l’art divinatoire dans le jeu
de la boûqâlah – les officiants « regardent à travers des corps
transparents, miroirs ou bols d’eau » (an-nâziroûna fî ’l
1. Parmi ces derniers, on peut citer William Marçais, Joseph Desparmet, Saâdeddine Bencheneb, Mostefa Lacheraf Mohammed Benhadji Serradj, Jean Sénac, Youcef
Oulid Aïssa, Jacques Grand’Henry, Martine Bertrand, A. Boucherit… Et l’on compte
même une récente petite étude d’une universitaire américaine (University of California, Los Angeles) : Susan Slyomovics, « Algerian Women’s Bûqâlah Poetry : Oral
literature, Cultural Politics and Anticolonial Resistance » parue dans le numéro 45
(2014) du Journal of arabic literature (Brill, Leyde).
2. Ibn Khaldûn, Discours sur l’Histoire universelle, op. cit., t. I, p. 210). Cf. également Toufic Fadh, La divination arabe, éditions Sindbad, collection « La Bibliothèque
Arabe », Paris, 1987, p. 49.
Introduction
30
-adjsâm ash-shaffâfah mina ’l-marâyâ wa tisâs al-miyâh).
Et Ibn Khaldoûn – qui nous dit que l’on désignait celui qui
s’adonnait à ce type de catoptromancie et d’hydromancie du
nom de dârib al-mandal, c’est-à-dire un devin expert dans
l’art de retrouver les choses égarées et de démasquer les
voleurs – de conclure : « Tous ces faits existent : nul ne peut
les nier ou les ignorer. » Personnellement, je ne manquerai
pas de rapporter ici l’anecdote suivante.
Lors de la sortie, en juillet 1998, de la version arabe de
cette anthologie, une ex-consœur journaliste au quotidien
Horizons, réagissant au scepticisme que j’affichais au sujet
de ce que je considérais comme de bénignes sornettes et
superstitions de bonne femme, m’avait affirmé – ce qu’elle
donnait comme un témoignage authentique de sa part –
que des femmes de la région des Issers (est d’Alger, dans
les actuelles wilayas de Boumerdès et de Tizi-Ouzou) dont
est originaire sa famille, s’adonnaient parfois à des pratiques divinatoires en employant des bassines remplies
d’eau. Après la récitation de certaines formules incantatoires magiques, on pouvait, d’après elle, voir se dessiner
nettement à la surface du liquide l’image de la personne qui
devait arriver (ou alors être désignée comme coupable d’un
méfait donné !). Les champs de l’irrationnel étant particulièrement tortueux et scabreux, je me contente de rapporter cette information telle que je la tiens de la bouche de
cette consœur, sans ajouts ni commentaires de ma part.
Le jeu de la boûqâlah à l’heure présente
Aujourd’hui, le jeu de la boûqâlah a manifestement
repris du poil de la bête, non pas seulement en reprenant
racine dans les milieux féminins des vieilles cités où il était
31
Introduction
traditionnellement ancré, mais en se propageant également
dans tous les coins d’Algérie, et – les traditions étant de
nature communicative – il ne serait pas du tout surprenant
de voir aujourd’hui des Marocaines, des Tunisiennes,
voire des Égyptiennes ou des Syriennes s’y adonner à leur
manière, en l’adaptant à leur propre milieu. La culture ne
connaît certes pas de frontières, pas plus que le couscous, la
choucroute ou le foie gras !
Le jeu de la boûqâlah connaît actuellement une période
faste et bénéficie désormais de la promotion active et
soutenue de la part des grands médias algériens (radio,
télévision, Internet). Même si l’on trouve rarement la
qualité des émissions radiophoniques autrefois animées
par Kaddour M’hamsadji. Pire encore, la boûqâlah, aussi
bien en ce qui concerne ce jeu social féminin en tant
que tel qu’en ce qui a trait aux pièces du corpus poétique
qui doit l’accompagner, est outrageusement galvaudée,
mercantilisée, bafouée. À telle enseigne qu’on s’est mis à
imprimer des assemblages de mots pastichant les poèmesboûqâlât sur toutes sortes d’emballages de caramels, de
chocolats, de chewing-gum, de café, de coca-cola, et toutes
sortes de produits du grand commerce. Le patrimoine
culturel paie de la sorte sa dîme aux plus viles formes de
marketing dans la plus honteusement roturière des sociétés
de consommation.
Poèmes-boûqâlât en langue française…
Tout comme de très grands poètes français d’horizons
aussi divers et contrastés qu’un Paul Claudel (18681955) ou un Paul Éluard (1895-1952), séduits par les
haïkus japonais, avaient en leur temps, avec le plus parfait
Introduction
32
bonheur, entrepris de composer des haïkus dans la langue
de Voltaire1, la militante communiste et combattante
pour l’indépendance de l’Algérie Danielle Minne (Djamila
Amrane), passionnément éprise de la poésie des boûqâlât,
devait pour sa part imiter en français les belles strophes
d’amour et d’espoir qui sont la sève nourricière du jeu de la
boûqâlah2. L’initiative de cette moudjahida a bien pu inspirer
et ouvrir la voie à d’autres poétesses et poètes d’Algérie,
mais personnellement je n’en connais pas beaucoup qui
aient taquiné la muse dans cette veine particulière. Ce qui
ne signifie pas que la chose soit impossible, dans un pays
où en général, on doit tenir compte du fait qu’un poète
aura toujours les plus grandes peines à trouver un éditeur,
même lorsqu’il n’est pas un simple et pâlot faiseur de vers,
un vulgaire rimailleur sans talent…
L’intérêt que j’ai, pour ce qui me concerne personnellement, porté à ce domaine particulier de la culture populaire algérienne était – et demeure encore – essentiellement
fondé sur la valeur esthétique des textes que les femmes
qui s’y adonnent récitent au cours des longues veillées
familiales, ayant moi-même très souvent assisté dans mon
1. Paul Claudel, qui s’était déjà bien exercé à la mode des rythmes poétiques
d’Extrême-Orient au cours de son séjour consulaire en Chine (1895-1899, voir, làdessus, Connaissance de l’Est, Mercure de France, Paris, 2e éd., 1907), fera son entrée
dans la mode haïku en écrivant, entre autres, son fameux Dodoitzu (1936). Voir Ploc¡,
la lettre du haïku, n° 39, novembre 2010, publiée par l’Association pour la promotion
du haïku, qui organise chaque année des concours et des expositions de thèmes. – On
peut également lire et apprécier les haïkus composés par Paul Éluard – et d’autres
poètes français dont on ne parle plus aujourd’hui : Pierre Albert-Birot, Jean Breton,
Jean-Richard Bloch… – dans le numéro 4-5 de la Nouvelle Revue Française (NRF,
Gaston Gallimard, Paris)..
2. Boqala, de Djamila Amrane, in recueil collectif de Denise Barrat, Espoir et
parole. Poèmes algériens, Pierre Seghers, éd., Paris, 1963. Cette boûqâlah en français
devait être reprise quelques années plus tard par le défunt hebdomadaire Algérie-Actualité.
33
Introduction
enfance à ce genre de séances ludiques, dont je garde les plus
beaux et plus chauds souvenirs. Mes deux grands-mères,
paternelle (Fettoûma-Laâkri Khider, 1914-1999) et maternelle (Dahbia Mahmoudi, 1900-1981), ma mère (Houria
Charani, 1935-2011) et sa jumelle, Zahia, ainsi que leur
plus jeune sœur, Mahdia, aujourd’hui âgée de 75 ans, pouvaient toutes en réciter des dizaines, avec une foultitude de
variantes, souvent très intéressantes, allant même jusqu’à
préciser les sources exactes d’où elles les tenaient – « Cette
boûqâlah-ci, c’est Llâ Aouaouche qui la récitait, ma défunte
mère quant à elle récitait une tout autre version ! », pouvait-on
entendre en guise de commentaire… Mes aïeules, comme
c’était le cas de la quasi majorité des femmes algériennes
durant la période coloniale, étaient totalement analphabètes et n’ont jamais su griffonner leurs noms ou déchiffrer un seul mot d’arabe ou de français, même si ma grandmère paternelle parlait et comprenait parfaitement le dialecte pied-noir ! Ma mère et mes tantes maternelles lisaient
et écrivaient sommairement la langue de Molière et de La
Fontaine, ayant brièvement suivi une scolarité rudimentaire chez les Sœurs Blanches de la Casbah d’Alger dans les
années 1940 et 1950 ! Elles n’ont pourtant jamais songé
à consigner par écrit les nombreuses les boûqâlât qu’elles
connaissaient par cœur et pouvaient réciter à tout moment
sans la moindre hésitation. Dieu m’ayant moi-même doté
d’une excellente mémoire, j’ai bien sûr appris par cœur
beaucoup de ces délicieux petits poèmes (que je n’ai vraiment commencé à apprécier à leur juste valeur qu’à l’âge
adulte, en en découvrant les significations réelles et toutes
les beautés cachées. J’ai mémorisé des dizaines de couplets,
depuis les plus artistement élaborés jusqu’aux plus banals
et plus médiocres…
Introduction
34
Terminé il y a bien longtemps, le présent petit livre a
tardé à paraître, car il était initialement prévu que je le
publie dans la revue (Cultures populaires) que je projetais
de lancer au début des années 1990. Le projet n’a jamais
pu aboutir pour des raisons que je ne veux pas évoquer ici.
Contre vents et marées, j’ai ensuite publié la version arabe,
chose qui s’est faite à la va-vite en 1998, à mes propres
frais, risques et périls, pour reprendre ici l’expression
consacrée. Cela a sans doute permis au public de graphie
arabe de disposer enfin d’un recueil de poèmes-boûqâlât
qui lui était exclusivement destiné. Les 6000 exemplaires
de l’unique tirage effectué ont pu être très bien écoulés,
malgré la mauvaise publicité faite à cette petite plaquette
par les milieux wahhâbites et crypto-wahhâbites, pour qui
le jeu de la boûqâlah est une pratique divinatoire, donc
religieusement illicite et condamnable. Il n’y a pas à s’en
étonner, car toute autre forme d’expression culturelle est
d’ailleurs logée à la même enseigne dans l’esprit de ces
ostrogoths des deux sexes ! Et je ne parle pas des incroyables
carences endémiques qui affectent le secteur de la diffusion
livresque en Algérie. Ceci est un tout autre problème.
Les 151 boûqâlât – toutes variantes comprises ! – qui
forment cette collection sont données ici avec le texte
arabe vocalisé précédant la traduction. Des amis et des
amies m’ont demandé d’y adjoindre également le texte
arabe transcrit en lettres latines, mais j’ai renoncé à le faire
pour cette première édition, ce qui ne signifie pas que je ne
m’y résoudrai pas dans le cadre d’une édition ultérieure.
Plusieurs notes-commentaires intercalaires accompagnent
la traduction lorsque cela s’avère vraiment nécessaire – ce
qui est assez souvent le cas. Je n’ai pas craint non plus d’être
disert en certaines occurrences, ne voulant laisser aucune
35
Introduction
obscurité dans le texte. Pour ce qui est de la traduction à
proprement parler, j’ai systématiquement opté pour le motà-mot quand cette façon de traduire n’était pas trop sèche
et rebutante, mais j’ai souvent dû broder pour tenter de
rendre les tonalités mignardes et ingénues, implicites mais
certaines, du style féminin de quelques couplets, conjurant
ainsi toutes sortes de carences sémantiques ou esthétiques.
Traduire en vers français suivant la prosodie classique aurait
à l’évidence été aussi périlleux que sans intérêt poétique
réel, le génie respectif de la langue source et de la langue
cible n’étant absolument pas de même nature.
Abderrahmane Rebahi
ô f umée du benjoin !
texte arabe vocalisé, traduction et notes
Quelques modèles de textes du rituel
préliminaire du jeu de la boûqâlah
Comme nous l’avons indiqué plus haut, il y a, dans le jeu de
la boûqâlah, tout un cérémonial traditionnel dont il faut respecter les règles.
Les trois premières pièces de vers qui suivent sont respectivement :
•un poème de la tabkhîrah (fumigation);
•un frâch, poème d’ouverture du jeu ou préambule;
•et un poème de bon augure ou fâl.
Les modèles que nous donnons ici sont parmi les mieux tournés et les plus connus. Il en existe d’ailleurs différentes variantes
et, le jeu étant par essence et vocation, un jeu où l’improvisation devrait en principe être un élément clé, rien n’empêche les
participantes d’en inventer de nouveaux, dans le respect de la
tradition et de l’esthétique poétique de la boûqâlah1.
1. Voir K. M’hamsadji, Le jeu de la boûqâla, op. cit., p. 38 sq. J’ai, par ailleurs,
déjà expliqué plus haut ce qu’il en est réellement de l’improvisation dans le jeu de la
boûqâlah.
41
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
(I)
التبخرة
َ ْ ������اك َب
ْ
ْ َ يبيَنا
ال
بََ ْرَن
َاوي
َْ ال
ِ ��������اوي * ِج
ِ
ِ ر َم ْن اْلقه
َْ ������������اك َب
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ْ َ يبيَنا
ر َم ْن َم ْز َغَّنة
بََ ْرَن
َْ ال
ِ الَّن�����ا * ِج
ْ بََ ْرَن
َْ ���ب الَْ َج َالة * ِج ِيبيَنا
َ اك َب ْشَب
الَْر َم ْن عْن ْد ال َّر َج َالة
ْ اش
ْ
ْ َ يبيَنا
�����اك َبال ِز
بََ ْرَن
يت
ْ
ْ ر َم ْن ُك ّْل ِب
َْ ال
ِ ي����������ت * ِج
ُْ الَْر َم ْن َعْن ْد
ْ بََ ْرَن
َْ �������اج * ِج ِيبيَنا
الر َت
ال َج ْاج
ْ
ّْ اك ْب َشْل ْخ
Tabkhîrah (poème de la fumigation)
Nous t’avons fumigée1 au benjoin,
apporte-nous les nouvelles des cafés.
Nous t’avons fumigée au henné,
apporte-nous les nouvelles de Mezghenna2.
Nous t’avons fumigée avec les fils de frange d’un vêtement
de veuve,
apporte-nous les nouvelles du côté des hommes.
Nous t’avons fumigée avec les éclats du bois d’un pivot de
porte,
apporte-nous les nouvelles de la part des pèlerins.
1. Les paroles de cette incantation s’adressent à la boûqâlah.
2. Il s’agit là d’Alger, dont l’ancien nom était Djazâ’ir Banî Mazghannah (litt. « les
Ô
FUMÉE DU
42
BENJOIN !
Îlots des Béni-Mezghenna »). Ancien comptoir phénicien dans l’antiquité, la ville, localité côtière d’importance minime, avait alors pour nom Icosim (litt. « l’île des oiseaux, ou des mouettes », en punique), nom qui, sous l’occupation romaine, sera latinisé en Icosium. Détruite et saccagée par les Vandales en 400 de l’ère chrétienne, ce
n’est qu’en 950, sous les Zîrides, que Boulouggîn ibn Zîrî fera surgir une nouvelle cité
sur les ruines de l’ancien site romain. Avec la Reconquista, un grand nombre de musulmans et de juifs d’Andalousie vinrent s’y installer sous la protection Arabes hilâliens
de la tribu sédentarisée des Tha‘âlibah, dont le dernier prince, le Cheikh Sâlim at-Toûmî, périra traîtreusement assassiné par l’aîné des Frères Barberousse, le corsaire Bâbâ
‘Arroûdj. On est donc bien fondé de croire que l’auteure du texte de cette tabkhîrah
résidait en dehors des murs d’El-Djezaïr (Blida, Cherchell, Dellys, voire Bouzaréah,
Birkhadem ou Bir-Mourad-Raïs…). Sur les différentes époques historiques d’Alger,
on se référera à l’ouvrage d’Albert Devoulx, El Djazaïr. Histoire d’une Cité : d’Icosium à
Alger, éd. Entreprise nationale des arts graphiques (ENAG), Alger, 2003.
(II)
فراش
ي���ت
ْ صِل
ْ اس�����������م اهْ ْبد
ِ ِي���ت * َو ْعَل���ى الّْن
َ ���ي
ْ َب
�ت َي���ا َخاْلقِ�������ي
ْ � ضي
ّْ ��ت * َو َع َيط
ِ الص َحاَب��ة ْر
ّْ َو ْعَل��ى
َ ال
ّْ ِيث ُك
ْ �ل ُم ْس َتغ
ْ َيا ُمغ
يالِي
ِ ْ ِي���ث * َيا ِسيدِي َعْب َد اْل َقا َد ْر
َ �ر * َي ��ا َه������ ��ادِي َال
ْ � َدا ْي
�اب
ْ � قط
ْ � �رك َم ْف َت
ْ � �اح ُك ّْل ِخ
ِ َي��ا
ْ َْالل��ي َش َف����اك َحالِ�����ي * دِي� ْر ِل��ي َف ام
ْ �ق ْط ِر
ْ �ض َي
يق
���ن ال َّز ْه����� ْو ْع َالِ���ي
َ ودِي��� ْر لِ���ي َف اْلْبح���و ْر * ْم
َ ال
َ َي������ا م ْع���������� ُر
ياِل��ي
ْ وف اهْ * ِس��يدِي ُب
ِ ْ وع��ا ْم
43
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Frâch
(préambule)
De par le Nom de Dieu, j’ai commencé1,
et sur le Prophète, j’ai prié2.
Puis j’ai appelé la Satisfaction divine sur les Compagnons3
et me suis écriée : Ô mon Créateur !
Ô Secoureur de tout homme en détresse implorant ton
secours !
Ô Sîdî ‘Abd el-Kâder el-Djîlâlî !
De toi, j’ai fait pour moi la clé de tout bien,
ô toi le Guide Suprême de tous les Pôles de la sainteté4 !
Ô toi que mon lamentable état apitoie sur mon sort !
fraie-moi donc une voie sûre au milieu du défilé étroit
Et accorde-moi dans les mers
des réjouissances en des séjours sublimes !
Ô toi qui es le Don suprême de Dieu,
Sîdî Boualem El-Djilâlî5.
1. Tous les actes de la vie du musulman (boire, manger, faire ses ablutions, faire
acte de chair, égorger rituellement un animal, tirer à l’arc ou au fusil à la chasse…)
doivent être précédés par la prononciation de la formule Bismi ’Llâh (De par le Nom
de Dieu !), pour s’assurer bénédiction et réussite et écarter de soi les maléfices du
Démon.
2. La prière sur le Prophète (as-çalât ‘alâ ’n-Nabî) est une injonction coranique
(voir sourate al-Ahzâb {Les Coalisés}, XXXIII, verset 56). Aucun musulman ne doit
prononcer ou entendre prononcer le nom du Prophète sans le faire suivre par la formule eulogique suivante : çallâ ’Llâhu ‘alayhi wa sallam (Dieu prie sur lui et le salue !).
Notons que dans les prêches (khoutab), les lettres (rasâ’il) et les incipits de livres, la
coutume doxologique sunnite englobe dans ce genre de prière de glorification et dans
l’ordre suivant : le Prophète, les membres de la Maison du Prophète (âlih), ses épouses
(azwâdjih) – même celles d’origine juive ou chrétienne –, ainsi que tous ses compagnons fidèles (açhâbih/çahbih), sans aucune distinction.
3. Lorsqu’un compagnon (çahâbî) ou une compagnonne (çahâbiyyah) du Prophète
est nommé, à n’importe occasion, il est également de bon usage, dans le sunnisme, de
prononcer la formule eulogique suivante : Radiya ’Llâhou ‘anh ou ‘anhâ (Dieu l’agrée,
soit satisfait de lui/d’elle !).
4. Sur les toutes questions liées à la sainteté (wilâyah) dans l’islam, lire notam-
Ô
FUMÉE DU
BENJOIN !
44
ment Titus Burckhardt (Ibrâhîm ‘Izz ad-Dîn), Introduction aux doctrines ésotériques de
l’islam, éditions Librairie de Philosophie et de Soufisme, Alger, 2015, et Michel Chodkiewicz, Le Sceau des saints. Prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn Arabî, Gallimard,
Paris, 1986.
5. Ce préambule (frâch) classique dans le jeu de la boûqâlah est la version non
« arrangée » du texte original, tel que le reproduisent la plupart des auteurs, dont
Kaddour M’hamsadji lui-même. Quant au texte figurant dans la version exclusivement arabe de cette anthologie (autoédition, Alger, 1998), c’était en fait l’une des
nombreuses versions de compromis expurgées des références au culte des saints, grâce
auxquelles – il faut bien le noter ici ! – le jeu de la boûqâlah a peu ou prou réussi à reprendre du poil de la bête dans une société algérienne censurée à tous les niveaux par
une idéologie wahhâbite omniprésente. Cf. Kaddour M’hamsadji, Le jeu de la Boûqâla,
op. cit., p. 109, où l’auteur livre son opinion de bon musulman sur la question du culte
des saints (notes 1 et 2 notamment). Ce qu’il est curieux de relever chez cet infatigable et très honnête érudit, c’est le fait qu’il prétende que le saint musulman ‘Abd
al-Qâdir al-Djîlânî « n’a rien de commun avec l’illustre résistant algérien l’Émir Abdelkader » (sic !), ce qui n’est pas du tout vrai, car on sait fort pertinemment : 1° que
la famille de l’Émir Abdelkader était de longue date affiliée à l’ordre de la Qâdiriyyah,
la plus importante et plus ancienne de toutes les confréries soufies l’Afrique du Nord ;
2° que, comme son nom l’indique, l’Émir porte lui-même le nom de ‘Abd al-Qâdir en
mémoire du grand saint iranien enterré à Bagdad ; 3° que son père s’appelait Mohieddine (Muhyî ’d-Dîn = vivificateur de la religion), qui est aussi bien le surnom (laqab)
honorifique de ‘Abd al-Qâdir al-Djîlânî que celui d’Ibn ‘Arabî, un grand maître soufi
andalou ayant lui aussi exercé une très profonde influence sur le futur émir !) ; 4° enfin, que lors du pèlerinage à La Mecque (hadjdj) que Mohieddine et son jeune fils effectuèrent quelques années avant la conquête française, ces derniers ne manquèrent pas
d’aller visiter le mausolée du saint à Bagdad, où ils séjournèrent trois mois. Sans parler
de la qualité de charîf (descendant du Prophète) que les deux hommes avaient en commun… Notons que beaucoup de prénoms masculins maghrébins – Djelloûl, Kaddoûr,
Boualem (Aboû’l-A‘lâm = l’Homme aux étendards déployés) – sont des noms par
lesquels on désigne le saint lui-même. Au sujet de l’Émir Abd El-Kader, voir l’excellente biographie que lui a consacrée le colonel anglais Charles-Henry Churchill : La
vie d’Abd El-Kader, introduction, traduction et notes de Michel Habart, pp. 51-55 ;
sur ‘Abd al-Qâdir al-Djîlânî, on se reportera utilement à l’excellente monographie
de Mehmmed-Ali Aïni, Un grand saint de l’islam, Abd-Al-Kadir Guilani (1077-1166),
Librairie Orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1938 et 1967, réédition en cours par la
Librairie de Philosophie et de Soufisme, Alger, 2016.
45
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
(III)
الفال
ْ ���ق َس���ْب َع ا ْق َف
ْ ��������ال َي����������ا َفْل َف
ْ
ْ ت َت
���ال
َف
َْ���ال * َي���ا ْم
َ ال
َْ ���ن عْن��� ْد ا ْوَل ْد
ْ
���ا ْل
اع ِطيَن������������ا اْل َف
ْ
ْ ������ال * َم
Fâl
(poème du bon augure)
Bon augure, ô toi piment de l’existence !
Ô toi qui fais sauter les sept cadenas du sort !
Donne-nous donc un bon présage
de la part des gens de bonne famille1.
1. Le mot wlâd ’l-hâl signifie littéralement « enfants de naissance légitime, licite »
par opposition à wlâd ’l-hrâm (litt. : « enfants illégitimes, adultérins », le préjugé populaire – cruel et fort injuste ! – voulant que la première catégorie a en général pour
vocation de donner à la société des gens bienfaisants et de bonne éducation, alors que
la seconde a la propension de lui fournir ses criminels, ses voyous, ses débauchés ainsi
que toutes sortes de mauvais sujets sans foi ni loi.
BOÛQÂLAH
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
PETITE
47
ْن ْ
َب َ
ـخـر َ
اك َب ْال َ
ـاوي
ـج ِ
1
�ا ِمي ْعَل ��ى َدا ْرَن ��ا * َو ْس � َ
ْك����� � َ
�ا ِمي ْعَل ��ى اْل ُغ ْرف ��ة
ْح ُي ْ
وبيَب������اْنهَا ُق��� ْر َف������ة
وطهَ���ا َم ْ
���ن َذ َه ْ
���ب * ِ
���ن َع َس ْ
���رب َم���ا َن ْكت َف���ى
���ل * وَن ْش ْ
ر َه����ا َم ْ
َوِب ْ
Mes paroles ont pour objet notre maison,
et mon salut de paix s’adresse à sa grande pièce,
Dont les murs sont d’or
et les portes, de cannelle.
Son puits est de miel,
et j’en boirai sans jamais pouvoir étancher ma soif.
2
اْل���َب�����اء َوال������ َت����اء * ُك ّْ
���ل َما َج���اءَنا َي ْت َوا َتى
َح َت�������ى ْ ُ
ال��و َت�������ة * َت ْغ َ
������ب َو ْت�� ُع����و ْم
����ل
ْ
ُم�������� ْر َدة َو َي ُ
ْ
اق���و َت�ة
َو َس
�������اق ْحِبي���ْب�تِ���ي * ز ُ
وَ
��ج���و ْم
يا ز ِ
الس َم����اء * َحا ْز ُت��������ه الّْن ُ
َاه��ي َف ّْ
ِ
ْ
الس
������اق امَْ� ْو ُش�����و ْم
ال���� َزْن����� ْد َوال������ ّْذ َر ْ
اع * َو َ
�ب ْخلِيْلتِ����ي * َو ِ
ُْوت
ُْوت ي ْ
اللي َيْبغِ����ي ي ْ
أََن�����ا ْن َ
�ح ّْ
Ô
FUMÉE DU
48
BENJOIN !
En tous points1,
tout ce qui nous vient nous sied
Jusqu’au poisson qui vainc
le courant et y plonge.
La jambe de mon aimée
est telle une émeraude ou une hyacinthe
Ou telle une lumière brillant dans le ciel
que les étoiles ont pris en chasse.
Ah ! cette épaule et ce bras et ce mollet tatoué…
Moi, j’aime ma bien-aimée à la folie,
et crève donc qui veut en crever !
1. Litt. : b et t (al-bâ’ wa ’t-tâ’). Dans le vieux parler algérois, on disait : n’djîbhâ
lek be-’l-bâ’ wa ’t-tâ’ (je te la rapporterai avec le b et le t, au sujet d’une affaire, d’un
événement, d’une question, c’est-à-dire avec ses plus minutieux et rigoureux détails,
sans rien en omettre. = Litt.: b et t (al-bâ’ wa ’t-tâ’). Dans le vieux parler algérois,
on disait : n’djîbhâ lek be-’l-bâ’ wa ’t-tâ’ (je te la rapporterai avec le b et le t, au sujet
d’une affaire, d’un événement, d’une question, c’est-à-dire avec ses plus minutieux
et rigoureux détails, sans rien en omettre. L’ambiguïté de cette expression a porté S.
Bencheneb (« Des moyens de faire des présages… », art. cit., p. 53 n. 24) à supposer
qu’il s’agit d’une formule de serment !…
3
ْ ���اح َم����ا َن
اكُل�����ه * َوِبي� ْه نَْ َم��� ْر ْخ����دُودِي
ْ ال َت َف
ِ َو
ْ يخ َم��ا َن
ْ الش
���اع َالْب َح�� ْر َن ْر ِمي ْه
ْ اخ������� ُذه * ِف َق
ُ َن
ْ ر * ِف َقْل ْب اْلف َر
اش َنْل َعب ِبي ْه
اخ��� ْذ ْشَب
ْ
ْ ������اب
ْ ص ِغ
Les pommes, je ne les mangerai pas :
avec leur couleur rouge, j’empourprerai mes joues.
Quant au vieux barbon, je ne l’épouserai pas,
mais au fond de la mer, je le précipiterai !
49
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
J’épouserai un beau petit jouvenceau,
avec lequel je folâtrerai au cœur du lit !
4
ْ َ �اع
ص أَ ْع َجْبنِ����� ��ي
ّْ � ْحَبط
ْ � �ت ْال َق
ْ � الَن
ْ �ان * َواْل َق ��ا َر
ْ ص َم ��ا َن
ْ � ���������َْ�وش * ن
ْ � اكُل
�اف ْي َش َينِن���� ��ي
ْ َواْل َق ��ا َر
ِ َو
ْ ���يخ َم���ا َن
ْ الش
ْ اخ��� ُذ
ان َي ْغنِينِ��������ي
ْ وش * َي���ا ُل��� ْو َك
ِ * غ���ر
ُ َن
الل���ي َق���دُه ْي َواتِينِ�����ي
ْ اخ��� ْذ ْشَب
ْ ����اب
ْ ص
Je suis descendue au fond du jardin,
et les citrons me plurent.
Mais je ne mangerai point de citron,
car j’ai peur qu’il me fasse maigrir1.
Et jamais je n’épouserai un vieux barbon,
même s’il me comblait de richesses…
J’épouserai un beau petit jouvenceau
dont la taille serait parfaitement à mon goût !
1. En dépit du joli parfum dégagé par son essence et du goût exquis qu’il a lorsque
l’on prend le soin d’en atténuer l’acidité avec du miel ou du sucre, le citron est un
fruit qui a toujours eu la très fâcheuse réputation d’émacier les visages et les corps
des jeunes filles, surtout celles en âge d’être mariées, lesquelles, pour cette raison,
évitaient de trop en consommer, car les hommes d’hier et d’aujourd’hui et sous toutes
les latitudes, ont toujours été du même avis esthétique que l’Oncle Archibald de la
chanson de Georges Brassens : Fi des femelles décharnées !/ Vivent les belles un tantinet
rondelettes !…
Ô
FUMÉE DU
50
BENJOIN !
5
َ َك َعْند
ْ َع ّْم����تِ�ي َي���ا َع ّْم���تِ�ي * َش��دِي َولِي����د
َك
ِ ����ط َف ال ّْز َه�� ْر * َو ُه�� َو َب
ْ أََن��ا ْنَل َق
ج�نِ�ي
ْ َ اللي���� ْم َي ْر
ْ ْولِي���د
ْ َك َم�ا َن
�����ان َي ْغنِينِ�ي
اخ������� ُذه * َي���ا ُل��� ْو َك
ْ
Ma tante, ô ma tante paternelle !
retiens donc un peu ton fils auprès de toi.
Alors que je ramassais des fleurs d’oranger,
lui me lapidait avec des limons.
Sache bien que ton fils, je ne l’épouserai jamais,
même s’il me comblait de richesses !
6
ْ َرانِ������ي َرانِ�������������ي * ف َو ْس
���ط ْجَن��������انِي
ِ
�����ر َواْلبهَ�����������اء * ِري ُت���������ه َب ْع َي���انِ����ي
َ
ّْ الس
َرانِ������ي َرانِ�������������ي * َحاْل� َف�����ة َبال َرَب�������انِي
ُ َه���������� َذي امَْ���������� َرة * َم ��ا َن
راِن ��ي
ََ�ر اْل
ْ � اخ�� ْذ ِغ
Je suis là ! je suis là !
au milieu de mon jardin…
Le charme et la splendeur,
je les vois de mes yeux.
Je suis là ! je suis là !
jurant par le Seigneur Dieu
Que cette fois-ci je n’épouserai
qu’un étranger1 !
51
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
1. L’auteure de cette boûqâlah devait sans doute être une jeune veuve ou une
femme répudiée amèrement déçue par une précédente union avec un proche parent,
ce qui était une pratique très courante, notamment dans les vieilles familles aisées
d’autrefois.
7
َ َي������ا ُم
ْ َ ���ول ْت
ْ اش ِب
ْ ���ان * َو
ْ ي���ك َغ
ضَب�اَن����ة
ْ الَن
ُْ يك ْعَلى
ْ إِ َذا ِب
ْ ال
وخ َوال ُر َم ْان * َرانِ������ي َشْب َع�����اَن�����ة
ْ �ِو ِي� َذا ِبي
�واس * َرانِ����ي َع َي�������اَن���������ة
ْ ��ك ْعَلى ال َت ْح
َ ِيش�����ي َه َج
ْ �الر َج
ْ �ِوي� َذا ِبي
����ال���ة
ِ �ال * َم��ا ن
ّْ �ك ْعَل��ى
Ô maîtresse du jardin,
qu’as-tu donc à te fâcher comme ça?!
Si c’est à cause des pêches et des grenades,
moi, je n’ai pas faim.
Si c’est à cause de la promenade,
moi, je suis fatiguée.
Et si c’est à cause des hommes,
je ne suis pas veuve sans mari1.
1. Le mot de hadjdjâlah désigne, en général, une veuve, voire même une divorcée,
en tous les cas une femme non mariée ayant déjà eu un premier mariage. Dans certaines régions d’Algérie, le terme est même très injurieux.
8
ص َط َف��ى * َن��ا َر ْك َم��ا َتْنط َف������������ا
ْ ص َط َف��ى َي��ا ُم
ْ ُم
Ô
FUMÉE DU
52
BENJOIN !
ِ ���وش * َيا
ُ ����ن َم ْر
ُ اللي ْم َرِبي ْعَلى اْل
ْ دق
ْ فش
وش
ِ َيا ْغ
ْ ص َي
ِ �ش ف َجّن�َ��ة * َي��ا
ِ
ْ �الل��ي َم��ا تَْ َم
اهاَن��ة
َ �ل
ِ ْ �َي��ا الل��ي َعا َي
ِ����������ي اَن���ا
���ان * ْي َف��� َر ْج ْعل
َ ْ ِس���يدِي َعْب��� َد ال َر
ْ ح
َ
Mostafâ, ô Mostafâ !
jamais en moi ta flamme ne pourra s’éteindre !
Ô petite branche de marjolaine !
Ô toi qui fus élevé dans la mollesse !
Ô toi qui vis dans un paradis,
ô toi qui ne supportes pas le dédain !…
Sîdî ‘Abd er-Rahmân1
m’accordera la délivrance !
1. ‘Abd ar-Rahmân ath-Tha‘âlibî (1384-1470), saint patron d’El-Djezaïr, était un
éminent théologien, jurisconsulte et maître soufi. On lui doit notamment un commentaire du Coran (al-Djawâhir al-hisân fî tafsîr al-Qur’ân), 4 vol., Alger, 1327 H./1904,
réédité en 1985 par le Dr Ammar Talbî (5 vols., ENAL, Alger, 1986). Comme son nom
l’indique, Sîdî ‘Abd er-Rahmân appartenait à la grande tribu arabe hilâlienne sédentarisée des Tha‘âlibah, dont les cheikhs étaient les princes seigneurs d’El-Djezaïr et de
toute la plaine de la Mitidja (Mettîdjah). Après la fondation de la régence ottomane
d’El-Djezaïr, en 1517, les Turcs vouèrent une grande vénération au mausolée du saint
patron de la ville, que chaque navire corsaire devait, en entrant dans le port ou en en
sortant, saluer par des salves de canon. Notons que ‘Abd er-Rahmân avait eu pour
disciple le grand théologien et jurisconsulte tlemcénien Muhammad ibn ‘Abd al-Karîm
al-Maghîlî (1417-1503), auteur de la fameuse fatwâ qui devait déclencher la guerre
contre les juifs du Touat et du Gourara qui avaient la mainmise sur le commerce caravanier avec l’Afrique subsaharienne. Voir Achour Cheurfi, Mémoire algérienne. Dictionnaire biographique, éd. Dahleb, Alger, 1996, pp. 783-784 et pp. 562-563.
9
ان
���امة * ِب
ِ ���م
َ ان َش
ْ ومي َك
ْ ي�������ن اْل ُع ْش�������� َر
ْ
ُ َم ْش
ْ
ِ�������ن ا ْذَب
َو ْم��ن
واب�����ي َخِلي���� ُته
ْ
ِ �������ال * َف ال ّْز
53
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
ْ ����������ْع َس
ان
ْ �ر اْل َق ْط � َر
ْ ��ل َكَن��������ا َو ْه * َم��ا ْب َق��ى ِغ
���ري َخِلي ُت���ه
ّْ أََن��������ا َح ِق���ي ْكلِي ُت���ه * َو َح
ِ ���ق ِغ
ِ اش ْب َق���ى ف ْغ َزالِ���ي * ُي���و ْم
ْ َو
الل�����ي ْر ِمي ُت���ه
ِ
Mon bouquet1 était une marque distinctive
parmi l’assemblée,
Mais lorsqu’il se fana,
je le laissai choir dans le dépotoir.
On le surnommait miel,
mais il n’y reste plus que du goudron.
Moi, j’ai mangé ma part,
et j’ai délaissé celle d’autrui.
Qu’est-il resté en ma gazelle
depuis le jour où je l’ai rejetée?
1. Le mot machmoûm (litt. « ce qui se hume ») signifie bouquet de fleurs, mais il
peut également désigner le vase décoratif rempli d’eau qui accueille ce bouquet.
10
ّْ ����ان * َي���ا َو ْر ْد ُك
���ان
ْ ْعلِ���ي َي���ا ال ُت� ْر ْج
ْ ����ل ْجَن
ْ ���م
ْ َج���ازُوا ْعل
ان
ْ ِي���ك َالْبَن
ْ وك َف ْامِي��� َز
ُ ���ات * َو َق ّْس
���ان
ْ اح���دَة ا َد
ْ اح���دَة ا َد
ْ ات َس�������اَپة * َو
ْ َو
ْ ات َق ْف َط
����ان
ْ َواَن���ا ا ِد
ْ ي���ت ِش���ي ْع َت ْك * ِك ِشي َع
ْ السْل َط
ُ �����ت
‘Ali, ô drogman,
ô rosier de tout jardin !
Les filles sont passées devant toi,
Ô
FUMÉE DU
54
BENJOIN !
et t’ont partagé sur la balance.
L’une d’elles a pris une sâppa1,
une autre, un caftan.
Mais moi, j’ai emporté ta renommée,
pareille à celle du Sultan.
1. La sâppa est une espèce de corbeille avec anses en sparterie que les femmes
citadines utilisaient pour transporter leurs effets de toilette – gants de crin, pagne,
savon, poudre dépilatoire (noûra), miroir, etc., voir dessin reproduit dans l’ouvrage de
K. M’hamsadji, op. cit., p. 130 – lorsqu’elles se rendaient au hammâm. La plus simple
logique des mots et l’honnêteté intellectuelle la plus élémentaire commanderaient
d’accorder la préférence à la version du texte hawfî donnée par Saâdedine Bencheneb,
« Chansons de l’escarpolette », art. cit., p. 100, pièce n° XVIII, dont voici le texte
arabe et la traduction in extenso :
�ان
ْ � ������َي�������� ��ا ُت��� ْر ْج�م
ْ � �ان ُت ْر ْج
ْ � �ان * َي ��ا َو ْر ْد ُك ّْل ْجَن
ْ ���م
ْ َج���ازُوا ْعل
َان
ْ ِي���ك َالْبَن
ْ وك َب ْامِي������ز
ُ ���ات * َو َق ّْس
اح���دَة ْخ��� َذ ْت ْح���زَا ْم
ْ َو
ْ اح���دَة ْخ��� َذ ْت َكا َپــــة * َو
ُ
ْ
َ ِيت ُش
�ان
ْ ����ان * َت ْقط���� ْر ْب ِزي
ْ �وش
ْ َواَنا ْخذ
ْ ���ت الَب
ْ �ت ِس��يدِي ْف
Drogman, ô drogman,
fleur de tout jardin.
Les jeunes filles sont passées près de toi,
et t’ont partagé au poids.
L’une a pris une cape,
l’autre a pris une ceinture.
Quant à moi, j’ai pris la mèche des cheveux de Monsieur Un tel,
Toute ruisselante d’huile parfumée au mimosa.
Saâdeddine Bencheneb note que le tachdîd (gémination) de la lettre p dans le
mot cappa « semble indiquer que le mot est emprunté à l’italien cappa et non à l’espagnol
capa ». Pour ce qui est du mot sâppa (panier, corbeille en sparterie renfermant le
nécessaire de bain des femmes), celui-ci est attesté dans un contexte logique et tout à
fait approprié dans la boûqâlah nº 19 (voir plus loin, p. 58), où il est question d’une
belle devant quitter sa maison pour se rendre au hammâm !… Le père de Saâdeddine
Bencheneb, Mohammed Ben Cheneb (pour Ibn Abî Chaneb) (1869-1929) attribue
au mot sâppa une origine turco-persane (seped, sepet…), avec la définition suivante :
« Sorte de panier en sparterie avec couvercle, de forme rectangulaire, dans lequel
les femmes d’Alger mettent leur linge quand elles vont au bain. » (Mots turks et persans conservés dans le parler algérien, Jules Carbonel, éd., Alger 1922, rééd. Faculté des
lettres de l’Université d’Alger, p. 49).
55
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
11
ِ �ن
�ر
ْ ��������ر * َيا ِعي
ْ ��������الط
ْ �َي��ا ِس��يدِي ْعلِي َي��ا الَ ِم
ِ
ْ
ْ َ ْ
��ري��������� ْر
ِ َي ��ا الل ��ي اط َراف ��ك ْزَب ��ا ْد * َو َج ْس��دَك ْح
ْ
ْ ����������اك * َر ْق���دَة ُف
���ري ْر
ي�������ت ْم َع
تَِْن
ْ
ّْ ���وق
ِ الس
ْعَل��ى َط����� ْر ْف امَْ َخ������دَة * َيا َو ْج ْه َال ْق َم ْر َي��ا َخ ّْد اْل َو ْر ْد
Ô mon seigneur ‘Ali, ô toi l’émir !
Ô œil de faucon !
Ô toi dont les membres sont de civette
et le corps tout de soie !
Je souhaite être en ta compagnie
couchée sur un lit,
Sur le bord de l’oreiller…
Ô toi dont le visage a l’éclat de la lune ! ô toi dont la joue
est une rose !
12
ْ ِسيدِي ِسيدِي ويْن َتى َنْل َق
ّْ �������اض ا
ْ
لدِي��� ْد
الر َي
ّْ اك * َف
ِ
ْ َ الض َح ��ى * َواَن ��ا َن ْرجَ���� ��ى
ُ َح ْر َق ْتنِ� ��ي َن ��ا ْر
�ب
ْ � الِبي
َ
�������ا ْل اْلعِي������� ْد
الصا َي��� ْم * ِف ْه
َ ِك َم���ا َي ْرجَ���ى
ْ � �ب * َومَّْْب َت
ْ � ِس ��يدِي َو ْج َه
�ب
ْ � �ك َم ��ا ْب َغ
ْ � �ات ْتغِي
ْ � ����ك َغا َي
Mon seigneur ! mon seigneur ! quand donc ferai-je ta rencontre
Au sein du nouveau parc?
Ô
FUMÉE DU
56
BENJOIN !
Au cœur de la matinée, le feu ardent du soleil me brûlait
alors que, pleine d’espoir, j’attendais l’aimé,
Ainsi que le jeûneur guette
le croissant de la nouvelle lune annonçant l’Aïd…
Mon seigneur ! ton visage est certes absent,
mais ton amour refuse de s’évanouir.
13
ْ َيا لََلتِ�ي َف
ْ
���������ك
���ان َخاْل� َق
ْ اط َمة َيا لََلتِ�ي َف ُطو ْم * ُسْب َح
ْ ��������ماء * ْح َسْبت ُه���� � ْم َس َاق
�ك
ْ �ِري
َ �الس
ّْ �ت الّْن ُج��و ْم َف
ْ
ْ ِ���ن َتْب ِك���ي ْعل
������ك
�����ب َم ْش َت َاق
ْ اْلع
ْ ِي���ك * َواْل َقْل
Ô Dame mienne Fatma ! ô Dame mienne Fattoûm !
Gloire à Ton Créateur !…
Comme j’ai vu les étoiles briller dans le ciel,
je les ai prises pour le galbe de ta jambe !
Mon œil pleure par ta cause
et mon cœur te désire avec beaucoup plus d’ardeur !
14
ُ اطم�������ة * َي���ا لََل�تِ�����ي َف
ْ َي���ا لََلتِ����ي َف
�����وم
ط
ْ
ُ الس َم����اء َس
���لو ْم
َ لَ َف اْل
ّْ بح��� ْر َقْن َط����� َرة * َولَ َف
َ ِي���ك َي���ا لََلتِ������ي * نَْلِ���ي ْب
ْ ْعل
�����ا ْد ال��� ُرو ْم
57
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
َ ر
ْ يط�����ة * َوْن َع َي
َنْلَب
���ط َي���ا َسْن ُي����و ْر
َِ ��������س اْل
ْ
Ô Dame mienne Fâtma,
ô Dame mienne Fattoûm !
Il n’est point de pont sur la mer,
ni d’échelle dans le ciel !
Pour toi, ô Dame mienne !
Je m’en irai dévaster le pays des Roûm1 !
Je porterai le calot des galériens2
et m’écrierai : Ô señor3 !
1. Par Blâd er-Roûm, on doit, bien sûr, entendre ici les pays de l’Europe chrétienne
en guerre avec l’empire ottoman. Le mot désignait autrefois les Gréco-Romains de
Byzance, sachant bien que la trentième sourate du Coran suivant l’ordre traditionnel porte le nom de soûrat ar-Roûm. Cette appellation avait cours dans les États du
Maghreb, tandis qu’au Moyen-Orient prévaudra plutôt l’usage du mot Ifrandj, Frandj
(Francs), en souvenir de l’époque des croisades.
2. Berrîta, bernîta (Tunisie): calot, casquette, béret, porté par les galériens dans
les pays de l’Europe chrétienne.
3. Variantes : senhôr (portugais), signor (italien), ou encore Chemhoûr, nom mythique d’un djinn.
15
ْ َي���ا لََلتِ����ي َف
���اب
ِ ���اب َر
ْ اس����ي َش
ْ اط َم������ة * َش
ْ ِي���ك * َم���ا َي
ْ َم���ا ط��� َرا لِ���ي ْعل
َ ط������ َرا َل
اب
ْ لش���َب
َ ْ �ج َرة َو
َ َت ْر ُق� ْد
�اب
ْ �الش
ْ ����ال ْج َرة * َو َي ْت َعاْن ُق������وا الَ ْحَب
ْ �َواَن��ا ْن َق��ا َر ْع ف ْخ َي
ْ ��������ال لََل��ة * ِف ْش َق
�اب
ْ ���������اق اْلَب
ِ
Ô Dame mienne Fâtma !
Blanche est devenue ma tête, et encore plus blanche !…
Ô
FUMÉE DU
58
BENJOIN !
Ce qui m’arrive par ta cause
n’arrive jamais aux autres jeunes gens !
L’arbre et la pierre à la fin s’endorment,
pendant que les amants s’enlacent…
Mais moi, je suis toujours là à guetter fébrilement l’ombre
de ma Dame
par l’entrebâillement de la porte1…
1. Autre sens possible de l’expression chqâq al-bâb : interstices, fentes, etc.
16
���ر
ْ تَِْن
َ ���ج َرة ْم
ْ ي���ت ْعَل���ى َخاْلقِ���ي * َش
َْ ���ن اْل َعْن
��������ر
ح������ا ْم ْي َق
َ ْ َو ْعَل���ى ُك ّْل َع��� ْر ْف َمْنهَ���ا * َف��� ْر ْخ
ّْ
ْ �ات ْخ ِديَة َو ْخدِي���� ْم * َم ْن ُذ
ّْ وك
ْ الظ َر
الس ُم ْر
ْ َو ْم َي
ّْ اف
ْ �ن ُذ
ْ ��ات أَْل
الص ُف� ْر
ْ �َو ْم َي
ْ ��ف ُسْل َطانِ�����ي * َم
ّْ وك َال ْكَب��ا ْر
ُ الص َف��اء * َو
ط��������ولَ ْن َال ْع َم������ ْر
ّْ َو ُتوَب��ة َو َح َج��ة َو
Je souhaite obtenir comme don de la part de mon Créateur
un arbre tout en ambre.
Et que, sur chacune de ses branches,
soit un petit pigeon qui roucoule.
Et puis cent servantes et valets,
du genre de ceux qui sont tout mignons et bruns.
Et puis encore cent mille sultânîs
qui seraient fort grands et bien jaunes.
Et, pour couronner le tout, une repentance, un pèlerinage à
59
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
La Mecque, la pureté d’âme
et une très longue vie !…
17
���ن امَْ ْف ُق���و ْد
ْ تَِْن
َ �����ن َخاْلقِ���ي * َس���ْب َعة ْم
ْ ي���ت َم
َ ال� َز ْه��������� ْو َواْلغَن��������ا * َو َش���اَبة َو
ض��� ْر ْب اْل ُع���و ْد
السْلطَن����ة * َوال َد ْر َه����� ْم امَْ� ْو ُج����و ْد
ُ َواْل َع������ ّْز َو
Je souhaite Je souhaite obtenir comme don de la part de
mon Créateur
sept choses parmi les plus rares:
Plaisirs et chant,
une belle jouvencelle et la musique du luth,
La puissance et la royauté
et des pièces d’argent à profusion !
18
ْ َ * ي���ت ْعَل�����ى َخاْلقِ���ي
���ن امَْ ْو ُج���و ْد
ْ تَِْن
َ خ َس���ة ْم
َ اْل َغالِ�������ي َواْلكَب��اَب����ة * َو
ض����� ْر ْب اْل��� ُع�������و ْد
ُ ْ َو
���وت َم���ن امَْ ْقَل���ى * َوامَْ���اء َم���ن اْل َعْن ُق���و ْد
ْ ال
ْ ���ن أَ ْه������� َوا ْه * ُف
ْ ���وق َال ْف��� َر
اش ْر ُق���و ْد
ْ َواَن���ا َو َم
َ و
ْ ���وق َالْب َس
ْ ي���ا ُف
���اط ْق ُع���و ْد
ِ
Ô
FUMÉE DU
60
BENJOIN !
Je souhaite de la part de mon Créateur
cinq choses de ce qui se peut trouver:
Parfum de haut prix, cubabe,
musique du luth,
Poisson frit dans la poêle,
et doux nectar de la grappe…
Et puis que moi et celle que j’aime
soyons sur un lit couchés
Ou alors bien confortablement vautrés sur un tapis.
19
ْ
��������ك
ام
َ َ أَ َعّْل ِمينِ����ي َي���ا لََل����ة * ْنهَ���������ا ْر
َح
ْ َن���� ْر َف ْد َل
ْ
�������ك
َام
َ الس���ا َپة * َونَْ ِش�����ي ُق��د
َ �����ك
َْ ����ك * َوْنزي��� ْد ْعَل���ى
ْ ش َال
ْ ْن���دُو ْر ْعَل����ى ْيِيَن
���ك
ِ
َ َ���ك
ُ طا َي��� ْع * ْعَل���ى
ْ
ْ ������ول ْز َماَن
ْ َوَنْب َق���ى ْخ ِدي
���ك
ط
Informe-moi, ô Dame mienne !
du jour où tu te rendras au hammâm.
Je porterai pour toi la sâppa1
et marcherai devant toi.
Je me tournerai vers ta droite,
et puis encore sur ta gauche.
Et resterai ton serviteur tout obéissant
aussi longtemps que tu vivras.
1. La sâppa, mot qui semble d’origine italienne, est une corbeille en sparterie
que les femmes utilisent pour transporter ce dont elles ont besoin pour se rendre au
hammâm. Voir, plus haut, boûqâlah n° 10 et note.
61
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
20
صيُب����������ه َي ْق����� َرا
ِ َجا ْي��� َزة ْعَل���ى ْام ِس���ي ْد * َوْن
���وت اْل َعالِ�������ي
َويََْن
ْ الص
ُ ������ن َي�������ا إِلَ ْه * َب
ْ
َ �ات اْلف
ِياِل ��ي
ْ � ْح ّْز َم
َ السْلطَن��� ��ة * َولَ َمت
ُ َم ��ا َوْل��دُو ْه
اع ْمُل������ه َي�������ا إِلَ ْه * ْوِل َي��������� ْد ْح َالِ�������ي
َ َو
Comme je passais devant l’école coranique,
Je le trouvai qui lisait le Saint Livre
et en psalmodiait les versets, ô Dieu !
à bien haute voix…
Les sultanes elles-mêmes n’ont pu enfanter un fils comme
lui.
ni celles dont la taille est prise dans une ceinture en filali…
Fais de lui donc, ô Dieu !
un vertueux1 jeune homme.
1. Le qualificatif hlâlî veut littéralement dire légitime, le préjugé populaire supposant que les enfants légitimes sont de bonnes pousses pleines de promesses. Voir plus
haut le texte du poème du bon augure (fâl), (III), p. 43 et la note y afférente.
21
َ ص��� ّْو َر ْك * َو َخ
���اس
َ ���ن
ْ ان َم
ْ ُس���ْب َح
ْ ���ا ْك ِف ْتَن���ة َللَن
َ ُوك َف اْلَب ْه َج���اء * َولَ َم َر
ْ َم���ا َوْل���د
ْ اك
���اس
ْ ����ش َولَ َف
ْ َف����ا َت ْح ْعَل���ى َخ����د
����اس
ْ السْب��������� َع
ْ اج�َن
َ * َك
ْ � �ن * ق َرْن َف
�اس
َو ْر ْد َو َي
ِْ
ْ � ���������������اسي
ْ � �ل َو ِخيِل ��ي َو َي
Ô
FUMÉE DU
62
BENJOIN !
ْ ���ر * َو
���اس
ْ اش َخِليتِ����ي َللَن
َ ا ِديتِ����ي ْجي��� ْع
ّْ الس
Gloire à Celui qui t’a donné tes si belles formes
et t’a laissée objet de séduction pour les hommes !
Jamais on n’a enfanté ta pareille, ni à El-Bahdja1
ni à Marrakech ni à Fès ! …
Sur ta joue sont écloses
les sept variétés de fleurs:
rose et jasmin,
œillet, giroflée et myrte.
Tu as pris tout le charme,
qu’en as-tu donc laissé aux autres?!
1. Surnom de la ville d’El-Djezaïr (Alger), nom particulièrement flatteur qui signifie « belle dont la beauté est merveilleuse, éclatante ».
22
َ ���ن ْع
ْ ���ا
ْ
ِي���ن
ش * َم���ا تَْ ُي
ِ َي���ا َخ َي
ْ اط
ْ �����وش الد
ُ َم��ا ف
ْ �ِيك ْم
�ن َي ْش َف������ ْع فِيَن�������ا
ْ �ومِن
ْ ��ن * َم
ْ �ش َي��ا ُم
ُ ف
ّْ اح��� ْد
اب * ْشِبيه
ِي�������ن
َ�������ت امَْ ْقن
ْ
َ ِيك��� ْم َو
ْ الش���َب
ْ
ِ���ن * َوِبي ُه�������� ْم ْيَن ِكي��َن�����ا
ْ ِعينِي��������� ْه ْم َز ّْوق
ْ َه������� ْر
ْ ط ِو
ي���ل * َيْن���������� َد ْم َوْيِي�َن�������ا
ْ إِ َذا الد
Ô vous couturiers ! pourquoi donc
ne revivifiez-nous pas la religion2 ?
N’y a-t-il donc pas parmi vous, ô croyants !
quelque bonne âme pour intercéder en notre faveur ?
63
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Il se trouve parmi vous un très joli jouvenceau
semblable à un chardonneret,
Dont les yeux sont si joliment colorés,
et par leur charme il nous fait enrager !…
Mais si le temps se prolonge encore,
il finira bien par regretter et alors il reviendra vers nous…
1. Le fait de s’appliquer à faire revivre la religion (ihyâ’ ad-Dîn) suppose de mettre
en usage une coutume louable, d’utilité générale avérée. Ici, c’est le principe de la réconciliation (içlâh dhât al-bayn) et de l’intercession (chafâ‘ah) qui est l’objet de l’allusion (talmîh). La poétesse espère ici une intervention pour un amour qui, en l’espèce,
pourrait être condamnable aux yeux de la loi religieuse, même si ses intentions sont
absolument platoniques et chastes…
23
ْ ���يت ْال َذ
ْ
َْ اك
���������ط لَ َرنَْ��������ة
���ان * ْنَل َق
ْ ْم ِش
ْ الَن
ْ َ �ت
�ب َو ْح����دُه
ْ � �اع اْل�� َوا ْد * ْل ِقي
ْ � �ت ْال َق
ْ � الِبي
ّْ � َو ْهَبط
اس َخ�دُه
ِ َش
ْ ـرة * َو َخاَن��ة ْعَل��ى َر
َ اش ّْي ُت������ه ْم َع ْن ْڤـــــــ
َ ط
ُ طوْل ُت ��ه
ُ
اي َم�������� ��ا َعْن �دُه
ْ � ول
ْ اب * َوال � َر
ْ �ت اْل ُع � َز
Je me suis rendue en ce jardin
pour y ramasser une bigarade1.
Puis je suis descendue au fond de l’oued,
où j’ai trouvé mon bien-aimé assis tout seul.
Sa chéchia était penchée sur le côté de sa tête2
et un grain de beauté ornait le haut de sa joue.
Il a la taille des jeunes hommes célibataires,
mais il est complètement dénué de cervelle !
1. Lârandjah ou nârandjah est le nom usuel de la bigarade ou orange amère, dont
Ô
FUMÉE DU
64
BENJOIN !
on tire le néroli, l’écorce, épaisse et rugueuse servant aussi à confectionner de la marmelade d’orange. Le bigaradier était autrefois très abondant dans les vergers et jardins
de la Mitidja.
2. Par esprit de snobisme et de bravade, les jeunes citadins maghrébins d’autrefois adoptaient certains usages et modes vestimentaires et une démarche ostensiblement insolente et crâneuse pour se singulariser, avoir l’air d’un dur et taper dans l’œil
de la gent féminine ! D’où la mode du t‘anguîr, qui est une façon de porter la chéchia
inclinée vers la tempe. Le succès des voyous auprès des femmes est vieux comme le
monde, et ce n’est pas pour rien qu’il existe une marque de parfum « viril » nommée
Balafre (dont la publicité ornait naguère la quatrième page de couverture des polars
de la célèbre Série Noire de la NRF (éditions Gallimard). Et n’oublions pas de rappeler
ce qu’écrivait ce très fin connaisseur en la matière qu’était Alphonse Boudard dans La
métamorphose des cloportes : « Le gangster est le seul héros valable de notre temps. »
On pourrait même dire, hélas ! de tous les temps et de tous les lieux !
24
َ ِش���ة * َي���ا َم ْس���ُب
َ ِش���ة َي������ا عائ
َ عائ
ّْ وغ ْت
الش��� َع ْر
ْ
ْ �������اءك
ال
َج
�������ري
ِ����������ر * أَ ِج���������ي ت َدّْب
ْ
ِ
ْ اش ْن َدَب ْر * ْحِبيي َما ْي َف َر
ْ َق َال ْت َو
ُْوت
ْ ان ي
ْ ط ِف َيا * َو َيا ُلو َك
ِ
َ ْ ِيك
ْ صوا ال ّْد َيار * ْنِبي���� ْع َعل
ْ َقال ِلي ك
����وت
الاُن
ْ
ُ ِيف يَْ َا
« ‘Aïcha, ô ‘Aïcha !
Ô toi dont la chevelure est si joliment teinte !
Voici le bien qui vient à toi,
lève-toi donc pour aviser à tes affaires !
– À quoi bon aviser ? répond-elle,
puisque mon bien-aimé ne néglige rien pour mon bien-être,
dût-il en mourir !
“Lorsque, m’a-t-il assuré, toutes mes maisons seront liquidées,
pour toi, je vendrai ma propre boutique !” »
65
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
25
ْ َخ�����������د
ّْ ���ك َخ
ْ اجَب
���ط ْم َع��� َر ْق
ْ َك َيْب��������� َر ْق * َح
ْ ط����� َر ْت َال ْع��������� َر ْق * ْعَل���ى َخ�����د
ْ َق
ْ َك َت ْزَل
���ق
ْ
ْ ������������ول ِش����������ي ْز َو
اق
ْت ُق
َ �����م * ْقَب
ْ َحْب َط
������م
�ال�����������ة َلْل ُف
ْ ����ت َم
ّْ ���ن َث
ّْ
َ َم���������ا َي ْتَب َس���������� ْم * َم������������ا َيت
َ ْك
���ل����� ْم
ْ ْت ُق
َْ���ول ِش��������ي ْعلِي��� ْه َخ���ات
Ta joue est reluisante,
ton sourcil est une ligne en boucle…
La goutte de sueur
Qui sur ta joue glisse
Est comme un filet de peinture…
Elle en suinte ensuite
tout droit vers ta bouche,
Qui ne sourit pas
ni ne dit mot.
Comme si on y avait apposé un sceau !…
26
���ون ال ّْد َوالِ���ي
ْ لََل���ة َي���ا ِمْن َوالِ���������ي * َي���ا َع ْر ُج
َسْب���������� َع ا َي����������ا ْم * َو َسْب�������� ْع ْل َي�الِ�������ي
���ت َن ْع َم�����ة * َو َم���ا تََْل�������ى لِ���ي
ْ َم���ا ُذ ْق
َ ��������َما ْع َر ْف ْت إِلَ َم ْن َع ْشقِ���ي * وي
�ا َم ْن هَبالِ�����ي
ِ
Ô
FUMÉE DU
66
BENJOIN !
Dame mienne, ô toi qui es si parfaitement à mon goût !
Ô douce grappe des treilles !
Sept jours
et sept nuits durant,
Je n’ai point goûté à la nourriture
ni éprouvé le moindre appétit !
J’ignore si tout ça est dû à mon amour
ou si c’est pure folie de ma part !
27
ْ �ك َو ْح����������د
ْ ���امْن� ْد * َي��ا لِيْل َت
َ �أَْن
َك
ِ �ت َي��ا ْف
َ �ص اْل َي
ْ �ص َي
ْ ������ض * َرِب���������ي ْي َك َم
ْ الس� ْع ْد الَْب َي
�ل َل ْك
َ َيا ُمولَ ْت
ْ �اح�دَة َم ْثَل
�ك
ْ �َان * َم��ا ْلقِي
ْ �ت َو
ْ َح����� َو ْس ْت اْلُبْل�������د
َ يب ِح
ْ
�������ك
�����ون ِف َك ْسَب
الس َماء * َوْن ُك
ْ
ْ َِرِبي ْي
ّْ يلة ْم َن
Ô toi, petite gemme de diamant !
Ah ! la nuit où te retrouveras seule dans ta tombe !
Ô toi qui possèdes une chance toute de blancheur,
puisse Dieu parachèver Ses bienfaits sur toi !
J’ai sillonné tous les pays,
sans jamais rencontrer une seule femme qui puisse t’égaler !
Que Dieu me procure un stratagème céleste
Pour que je sois dans ton lot !
67
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
28
َْام����� ��ى
َ ان َيت
ْ � َجا َي�� ْز ْعَل ��ى َب
ْ �اب ال��دَا ْر * َس ْك������ َر
�رة َم ��اء
ْ * َق ��ال ِّل ��ي َي� ��ا ْخلِيْلتِ� ��ي
َ � اع ِطينِ� ��ي ْق ِط
يس�����اَن������ة
ْ
ْ اع ِطي ُت���ه َك
َ ����اس َم���اء * َو َو ْر َدة َو ِس
ّْ َر ّْد لِ���ي
َ ���ق فِي��� ْه * ُخ
ْ الطَب
وخ�������ة َو ُر َماَن������ة
Il passait devant le seuil de notre maison,
complètement ivre et titubant…
« Ô ma douce amie ! me dit-il,
donne-moi une petite goutte d’eau à boire. »
Je lui ai offert une coupe d’eau,
ainsi qu’une rose et un lys.
Il m’a rendu le plat avec
une pêche et une grenade.
29
ام َراة َجاَب ْت كِي َف ْك ْوَل ْد
ْ مَُ َم������� ْد َيا مَُ َم��������� ْد * َما َك ْان
ِ �ان اْل َق������ ّْد * َيا
امي
ِ اب َم ْن تَْ َم
ْ اللي َما َغ
ْ �����َي������ا َم ْز َي
َ � �ك ْس
ِ �ت
ِ * �ر
ْ � �ب َل
�ا ِمي
ْ � َواهْ َم ��ا ْل ِقي
ْ � الل ��ي ْيِي
ْ � ���الط
Mohammed, ô Mohammed !
Aucune femme au monde n’a jamais donné naissance à un
fils qui te soit pareil !
Ô toi dont la taille est si bien prise !
Ô toi qui jamais n’es absent de mes pensées !…
Ô
FUMÉE DU
68
BENJOIN !
Par Dieu ! Je n’ai pas encore pu trouver l’oiseau
qui te portera mon salut !
1. Il va sans dire que l’acheminement des missives amoureuses par la poste à
pigeons n’est ici que pur phantasme et simple vue de l’esprit !
30
ْ أُ ُم
ْ سا َت
َ اس��� َم ْعلِ�����ي َب
ََ ���ك
اش����ا
ْ �����ك ْعلِ���ي * َب
ِ �وف ْك َف الّْن َه��ا ْر * َف
ِ َو
َ �الل��ي ْي ُش
ْ ���اللي
َ �ل َي ْت َغ
اش���������ى
َْ َي���ا
�����ت َال ْوقِي����� ْد * َف امَْْن������ َز ْه اْل َعالِ������ي
ْ ش َع
ْ ���ك
ْ وح
ْ اج���ي ْت ُش
���وف َحالِ���ي
َ دِي��� ْر ْب ُر
ْ طِب
ِ ي���ب * َو
َْ ْ ش َل ْك ْف� َر
ْ ������الري ْر * َوْن َغ ِطي
ْ ْن َف� َر
َاري
ِ �ك ِب�������از
ِ اش
Ta mère t’a donné pour nom ‘Alî
en souvenir du nom de ‘Alî Pacha1.
Et celui qui te voit le jour
la nuit, tombe évanoui.
Ô cierge allumé
dans le plus haut belvédère,
Déguise-toi donc en médecin,
et viens voir l’état pitoyable dans lequel je suis !
Alors j’étalerai pour toi une couche toute de soieries
et je te couvrirai de mon propre drap.
1. S’agit-il ici du dey Bâbâ ‘Alî Neksîs, dit Boûsba‘, ou alors faut-il supposer que
le personnage auquel fait allusion cette boûqâlah n’est autre que le pacha triennal
« qui commanda l’Algérie de 1637 à 1640 ». À l’instar de S. Bencheneb, « Chansons de
69
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
l’escarpolette », art. cit., p. 100, n° XVII, n. 9), ? Cette pièce a pour variante – avec de
fort notables additions et modifications – celle qui la suit immédiatement.
31
ْ ي
ْ سا َت
ََ ََ���اك
اس��� َم ْعلِ���ي َعالِ���ي
ْ ���ك ْعلِ������ي * َو
َ اس
ْ
�����ش َخْل َخالِ���ي
���طة َف اْلع َق��� ْد * َي���ا َن ْق
ْ َي���ا َو
ال��� َذ ّْل َم������ا نََ ْمُل�����ه * َواْل َع������� ّْز َرَب���انِ������ي
Ta mère t’a donné pour nom ‘Alî,
le nom de ‘Alî qui est si élevé1.
Ô médaillon au milieu de mon collier !
Ô ciselure de mon périscélide !
L’opprobre, je ne puis l’endurer,
moi qui fus élevée dans la fierté !
1. Le nom propre arabe ‘Alî (qui se prononce très exactement ‘Aliyy) signifie haut,
élevé, et il fut par surcroît celui du quatrième calife de l’islâm, ‘Alî ibn Abî Tâlib, cousin
et gendre du Prophète, époux de sa fille Fâtimah. La poétesse anonyme fait donc ici
une très flatteuse allusion au fait que son bien-aimé porte d’honorable façon un nom
aussi prestigieux.
32
َ ْ ي���������ت َال ْغ َزال�������ة * َف
ْ
ِر
�ي����ح
ص
الَب
ْ
ِ �������ل ْت
ْ
ْ َت ْر َع���ى َف
ْ ام����ة * َو ْت َق َي
ِ ����ل َف
ي������ح
الش
َ ال�� َز
ْ
َ ���ق َر
ّْ َو َح
ي����ح
���ب الَن َاق���ة * َو َح
ْ ���������ب ال َت ْسِب
ّْ
ْ اك
َ الل ��ي ْي َف ��ا َر ْق ْحِبيُب����� ��ه * ُك ّْل ْع
ِ
�ح
ِ ظ�� ْم َمُن ��ه ْي
ْ � صي
Ô
FUMÉE DU
70
BENJOIN !
J’aperçus la gazelle
qui criait sur la montagne,
Broutant parmi les lavandes
et faisant la sieste au milieu de l’armoise.
Par celui qui montait la Chamelle1 !
et par les grains du tasbîh2 !
Celui qui se sépare de son aimé,
tout os en son corps se met à hurler !
1. C’est-à-dire le Prophète, dont la chamelle – qui portait le nom d’al-‘Adbâ’ (litt.
« celle dont les oreilles sont fendues ») – était réputée imbattable à la course jusqu’au
jour où elle trouva son vainqueur dans un méhari appartenant à un Arabe nomade.
Cela causa beaucoup de peine aux musulmans, qui ne purent supporter ce revers. Mais
le Prophète, avec beaucoup de philosophie, déclara : « C’est un fait obligé pour Dieu de
ne jamais laisser quelque chose s’élever sur cette terre sans finalement la rabaisser ! »
2. Le tasbîh est le fait de répéter la formule rituelle de soubhâna ’Llâh (Gloire
à Dieu !). Ici, il s’agit du chapelet ou rosaire qu’utilisent les musulmans pour leur
dhikr quotidien, et qui est constitué de 99 pièces (3 fois 33), généralement des perles
d’ambre, de verre ou de bois poli, voire de matière plastique, ou encore même, pour
les plus riches, de vraies perles, chose que la morale réprouve, car cela risquerait de
faire tomber l’homme dans les pièges de l’orgueil et de l’ostentation…
33
َ َط َاق���ة َال
الط َاق���ة * َو َط َاق���ة لَ ْت َو ِريهَ����ا
ِ * َس���ّْل ُموا ْعَل�����ى لََل���ة
اع�����دَة فِيهَ���ا
ْ الل���ي َق
�ج������� ��ي َن ْس ِقي��هَ� ��ا
ْ �ج
ْ � �اس ال ّْذ َه
ْ � �يب َك
ِ � �ْن
ِ �ب * َوْن
ُ ْ َن ْر َف ْد ْغ َزاْلتِ�ي َمن
ومة * َوَن ْه������� ُرب ِبي��هَ���������ا
َ ال
Fenêtre face à fenêtre…
Mais une fenêtre ne doit jamais être montrée du doigt !
Transmettez donc mon salut de paix à la belle dame mienne
71
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
qui se trouve assise près d’elle !
J’apporterai avec moi une coupe en or,
et viendrai lui verser à boire.
J’enlèverai ma gazelle de ce quartier,
puis je m’enfuirai avec elle !
34
ْ ِبينِ����ي َوِبيَن
�������اس
���ك ْط َو ّْي َق���ة * َق������� ْد ُدو ْر اْل َك
ْ
َ ���ك ْك
ْ ِبينِ����ي َوِبيَن
ْ ����ا ْم * َو
���اس
ّْ اش َو
ْ صُل���ه َللَن
ُ َم���ا ْي
ْ
���اس
ون ِح
ْ �����ك
ْ ي�������ط * َح َت���ى َي ْس���َب ْق ْال َس
���اس
���ر ْبَن
ْ
ْ َو َم���ا َي� ْرف����دُوا ال��� َذ ّْل * ِغ
ْ ������ات الَن
Entre moi et toi, est une lucarnette,
aussi menue que le pourtour d’une coupe…
Entre moi et toi, il y eut des paroles:
qu’est-ce donc qui les a fait parvenir aux oreilles des gens?!
Aucun mur ne peut s’élever
Si ses fondations ne sont d’abord bien affermies !
Or seules, hélas ! doivent supporter l’humiliation
les filles des autres gens1 !
1. L’expression bnât en-nâs (sing. : bent en-nâs) désigne, dans la conversation
courante, les filles, les femmes issues d’autres fratries, par opposition aux membres
féminins d’un groupe familial (mère, sœurs, tantes ou cousines). Lorsqu’il s’agit d’un
homme, l’expression est inversée et mise au masculin, et l’on parle alors de wlîd en-nâs
(plur. : wlâd en-nâs), littéralement : « fils des gens ». Émise en bonne part, l’expression sous-entend fils ou fille de bonne famille, khyâr ’n-nâs), alors qu’en mauvaise
part, elle signifie tout simplement intrus ou intruse… L’épouse étant censée constituer
un dépôt de confiance (amânah) auprès du mari ainsi que des parents de ce dernier,
notamment la belle-mère, entre gens bien élevés, un mari s’adressera à sa femme
en employant la pudique expression de yâ bent en-nâs (ô fille des gens de bonne fa-
Ô
FUMÉE DU
72
BENJOIN !
mille !). Autrefois très couramment utilisées, ces vieilles façons de parler poliment,
qui demeurent encore plus ou moins vivantes dans le répertoire de la conversation des
femmes algériennes actuelles, ne concernaient pas seulement les rapports familiaux
ou matrimoniaux. Dans le contexte de cette boûqâlah, le ton amer de la poétesse indique que bnât en-nâs est pris ici en mauvaise part.
35
���س
ْ ِ ْخ
ْ ِ���ري * َو ْي ِز ّْيُن���ه َم����ا َيْلَب
ِْ ِ���ري َي�����ا ْخ
ْ ْي َع��� َر
�������ري
���ن * َو ْي َع������� َذ ْب الَن ْس
ِْ ش ْعَل���ى اْل َي
ْ اس
ِ
ْ � ������ك * َشا ْر ُك������ ��ونِي فِي
ْ � َب ْع�� ْد َم ��ا َعا ْي ُروِن ��ي ِبي
�ك
ْ ����ص ف
َ أَْن
ِي���ك
ِ ���ب * َواَن���ا ْف
ْ ص َي
ْ ���ت ْخ ِوي َت��� ْم ْم َذ َه
ِ تض�ا ْرُب�����وا * َو
ْ ���ب َتد
َ نََ���� ْر ُجوا َن
ِي���ك
ْ الل���ي َت ْغَل
Gracieux brunet, ô le gracieux brunet !
lui qu’embellit tout vêtement qu’il endosse !
Il grimpe sur le jasmin
et il torture les narcisses…
Après qu’elles m’eurent dénigrée à ton sujet1,
elles te disputèrent à moi !
Tu es une petite bague en or,
et je suis le petit chaton qui l’orne…
Nous sortirons donc nous battre,
et que celle qui aura vaincu te prenne pour elle seule !
1. Comme on le voit dans ce texte, le teint de la peau fait souvent l’objet de quolibets et d’insultes en milieu féminin, aussi bien à l’encontre des femmes qu’à l’égard
des hommes, quand bien même – ironie du sort ! – il n’est pas rare du tout que l’objet de la flamme amoureuse soit, comme c’est le cas ici, très précisément un homme
de race noire ou un métis, un khmiyrî, « gracieux brunet »… Voir, plus loin, p. 71,
boûqâlah n° 36.
73
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
36
ْ
ي�������ك
ِ���ري * َعا ْي ُرونِ���������ي ِب
ْ ِ ْخ
ِْ ِ���ري ْخ
ِْ ِ���ري ْخ
ْ ��ك * َح ْس������دُونِ�������ي فِي
ْ �َوَب ْع� ْد َم��ا َعا ْي ُروِن��ي ِبي
�ك
ْ يب َي����ة ف
َ
ِي���ك
أَْن
ِ ��������ت ْش ِو
ِ يش َي�������ة * َواَن���ا ْش ِر
ْ ِيَل������ة ف
َ
ِي���ك
أَْن
ّْ �����������ت ْب��دِي ِع َي����ة * َواَن���ا ْقف
ْ �������ت ْس�ري�������� َو ْل * َواَن�����ا ْت ِك ّْي َك���ة ف
ِي���ك
أَْن
ِ َ
ْ ���ص ف
َ
ِي���ك
أَْن
ِ ��وي َت������� ْم * َواَن���ا ْف
ْ ص َي
ِ ���������ت ْخ
ِ اع * َو
ْ ���ت َتد
َ َن
ِي���ك
ْ الل���ي َغْلَب
ْ تضا ْرُب���وا َبال������� ّْذ َر
Gracieux brunet ! Gracieux brunet ! Gracieux brunet !
On m’a dénigrée par ta cause ! …
Et après m’avoir dénigrée à cause de toi,
Voilà maintenant que l’on m’envie pour toi…
Toi tu es une jolie petite chéchia,
et moi j’en suis la houppette…
Toi tu es un charmant petit gilet,
et moi j’en suis l’un des tout mignons petits boutons…
Toi tu es un tout petit séroual,
et moi je suis la fine cordelette qui le retient…
Toi tu es une petite bague,
Et moi je suis le petit chaton qui l’orne…
Nous irons toutes lutter de force,
et que celle qui vainc t’emporte !
Ô
FUMÉE DU
74
BENJOIN !
37
ْ
�������اش َن ْت َف������������ َر ْج
���ت ْال ِس���يدِي ْف��� َر ْج * َب
ْ ُر ْح
َ َوْنَب�����ا ُت����وا ل
َّْ ���ون
���ج
ْ َِْيل���������ة * ت
ُ ���ت ْغ
ْ التْن
ْ ص
َ �����اب َال ْق َم��� ْر * َو ْج ُه��������ه ْي
ض���� ِوينَنا
ِوي��� َذا َغ
ْ
�ري ُق�������ه َي ْسقِيَن������ا
ْ ِوي��� َذا َغاُب���وا َال ْع ُي
ِ ���ون * ْب
ْ وع
اجيَن���ا
َ ِس���ي������دِي ِسي��������دِي * أَ ْر َف��� ْد ْقُل
ِ ���ك َو
Je pars à Sidi-Fredj
pour y jouir du spectacle1.
Nous y passerons une nuit
sous les branches des ponciriers2.
Si la lune est absente,
son saint visage nous éclairera !
Si les sources manquent,
de sa salive il nous abreuvera !
Sîdî ! Sîdî !
Hisse donc bien haut tes voiles et viens à nous !
1. Le mausolée qui autrefois abritait les sépultures de deux saints algériens, Sidi
Fredj et Sidi Rokko (un Italien converti du nom de Rocco, sans doute !), se trouvait
dans la presqu’île – la Torre-Chica – où le corps expéditionnaire français commandé
par le général de Bourmont avait débarqué le 14 juin 1830. Quelques années plus
tard, afin de permettre au génie militaire d’entamer les travaux nécessaires à l’aménagement du port, les reliques des deux saints hommes – qui, d’après la légende, avaient
d’abord eu une carrière d’intrépides corsaires avant de faire retraite en ce lieu désert
loin des bruits du monde, afin de se vouer à la méditation et à la prière – seront exhumées en présence des autorités civiles et militaires d’Alger, ainsi que du muphti et
du commissaire de police du canton de Bab-el-Oued, pour être ensuite réinhumées à
Alger, dans le cimetière de Sidi ‘Abd ar-Rahmân ath-Tha‘âlibî.
Situé à quelque 30 kilomètres à l’ouest d’Alger, l’ancien petit village côtier de Sidi-Ferruch – ainsi orthographié par la toponymie coloniale officielle – est aujourd’hui
une cité touristique de tout premier plan, du ressort administratif de la commune de
Staouéli et de la sous-préfecture de Zéralda. Doté des meilleures infrastructures hôte-
75
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
lières du pays – sa marina est la plus belle de toute la côte algérienne –, Sidi Fredj est
un lieu de villégiature pour les Algériens les plus riches.
2. Trandj est le nom arabe, d’origine turco-persane, du poncirier (Poncirus trifoliata) ou citronnier épineux, dont le fruit, la poncire, est très volumineux et se caractérise par une écorce très épaisse et un parfum des plus exquis. À cause de leur
très forte amertume, les poncires sont en général très rarement consommées crues
comme dessert et servent surtout à préparer de la marmelade.
38
ْ ِس��يدِي ْف َر ْج ِس��يدِي ْف� َر ْج * َب
اغ َي����������ة َن ْت َف������� َر ْج
ِ ���ت
َ َوْنَب���ا ُت����وا ل
َّْ اللي��� ْم َو
���ج
ْ َِْيل����������ة * ت
ْ التْن
ْ �����اب َال ْق َم��� ْر * َخ���د
َ َك ْي
ِوي��� َذا َغ
ض ِوينَن����������ا
ْ
ْ َ �����اب
ْ
َ ال َم��� ْر * ِر
���������ك َي ْسقِيَن�����ا
يق
ِوي��� َذا َغ
ْ
ْ وع
اجيَن���ا
َ ِسي������دِي ِسي�����������دِي * أَ ْر َف��� ْد ْقُل
ِ ���ك َو
Sîdî Fredj ! Sîdî Fredj !
Ah ! que j’ai envie de jouir du spectacle !…
Et nous passerons alors une nuit
sous les bigaradiers et les ponciriers !…
Si la lune est absente,
ta joue nous éclairera.
Si le vin nous manque,
ta salive nous abreuvera.
Sîdî ! Sîdî !
Hisse donc bien haut tes voiles et viens à nous !
Ô
FUMÉE DU
76
BENJOIN !
39
ْ ْ َ ْ َ َجا َي��� ْز ْعَل����ى َباْبَن���ا * ْي َف
���ري
ِ ص���ل ف ال َعك
ْ ص
���ل ْعَل�����ى َق���دِي
ْ ُقْل
َ اب * َف
ْ ���ت ُل���ه َي���ا ْش���َب
َق���ال ِل���ي َي���ا ْخلِيْلتِ����ي * َح َت���ى جِ�������ي َعْن����دِي
�ن َعْن�����دِي
َ ْن َف
ْ �������ب * َوْن ِزي ْد َم
ْ ��َ�ص ْل َل ْك ْش َوا ْر ال ّْذه
Il passait devant le seuil de notre porte,
taillant des robes dans un coupon d’étoffe amarante…
« Ô beau jeune homme, lui ai-je dit,
taille donc à mes mesures !
– Ô ma mie ! m’a-t-il répondu,
Tu dois tout d’abord venir à moi !
Et alors, je taillerai pour toi tout un trousseau d’or
et en rajouterai de mes propres deniers. »
40
ُ ْ ِي��������ك
ْ
ّْ اح��� ْد
وم�����ة
اب * ِف ذ
ْ ِر
َ ي���ت َو
َ ال
ْ الش���َب
ْ ي���ب
ان * َي���ا ِسي������دِي ِف َي���دُه
ِ َو ْق
ْ الِي������ ْز َر
ْ ض
ْ فِ� ��ي َذ
�ان
ْ � يس
ْ � ������اك اْلُب ْس َت
ِ �ان * َال ْق������ َرْن َف ْل َو
َ الس
ي���ن ْعَل���ى َخ���دُه
ْ ان * َدا ْي ِر
ْ السْب������ َع اْل��������� َو
َ َو
ْ َ ِسي��������دِي
����ري * َرا ْه َم َال ْك��نِ����ي َعْن���دُه
ِْ ال ِم
J’ai aperçu un beau jouvenceau
dans ce quartier.
77
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Et il tenait une badine de jonc,
ô seigneur ! dans sa main…
En ce verger, l’œillet, le lys
Et les sept couleurs
enveloppaient sa joue…
Mon seigneur le brunet
me tient sous le joug de son charme !…
41
َ َماِن ��ي ْطِب ْي ِس ��ي َنت
ْ � �ْك َس�� ْر * َمانِ������� ��ي َو ْر َدة َن ْذَب
�ال
َ ���ب * ف َي��� ّْد ِس���يدِي َع
���ا ْل
ِ ْ َرانِ���ي ْخ ِوي َت��� ْم ْذ َه
Je ne suis pas une petite assiette qui se casse
et ne suis pas non plus une rose qui se fane…
Je suis une petite bague en or
ornant la main de mon seigneur ‘Allâl !
42
ْ ��ب امَُْل
ُ ال فِ����ي ا ْو َر
ْ �وك َجاِن��ي ْه ِد َية * َم ْذَب
اق��������ه
ّْ �َح
ُ �وت َولَ ْف���� َر
اق� ��ه
ْ � ����ُْ�ب ِل ��ي ْب َر َي ��ة * ام
ْ � وب ��ي ْك َت
ِ مَُْب
Des cerises me sont parvenues comme présent
Et elles avaient leurs feuilles toutes fanées…
Mon bien-aimé m’a envoyé une lettre :
la mort plutôt que d’être séparée de lui !
Ô
FUMÉE DU
78
BENJOIN !
43
لََل�����ة َي���ا لََل����������ة * ُف���و ْز ْعَل�������ى ُف����و ْز
ُ ���ك ْر َو
َ الس
الل���و ْز
ُ َي�����������ا امَْ���������� َرّْب َية * ْعَل���ى
ْ َ ����ن نهَ���������ا ْر * ْيِ������������ي
ْ َو
ي����ن
ْ اش َم
ْ ال ِس
َن������ ْرف������� ْد ُل��ه الِزَا ْر * َوْن ُق��ول ُّل��ه ِس��يدِي ُج��و ْز
Dame mienne ! Ô Dame mienne !
À toi réussite sur réussite !
Ô toi qui fus élevée au sucre et aux amandes !
En quel jour donc viendra
l’homme aux si belles qualités,
Afin que je soulève devant lui la tenture de la porte1
et lui dise : Seigneur, passe à l’intérieur !
1. Autrefois, à part l’huis principal de la maison, les portes des autres pièces
étaient rarement fermées à clé pendant la journée. Seul un léger rideau en tissu servait
d’écran. Le visiteur qui se présentait à la porte saluait et appelait les habitants par les
simples mots de mwâlîn ad-dâr (ô gens de la maison !), alors que l’étranger de passage
qui venait demander l’hospitalité du maître de céans – nourriture et gîte – s’annonçait
par la même formule qu’il faisait suivre par dayf Rabbî (un invité pour vous de la part
de Dieu !).
44
ْ ْه����ا * َق
���ب َمْ�ُب����و ْذ
ْ اس
َ ���ت ْعَل���ى َق ّد
َ َق
ْ ���اط ْذ َه
َ ْه���ا * َس
ْ ���ال ْف اَ ْك َح
����ل مَُْت���و ْد
ْ َو َطْل َق
َ ���ت ْعَل���ى َخ ّد
ُ ْ �ل َو
َ �اه
ْ �ض
ْ �ل اْل َف
ال��و ْد
ْ ُكوُن��وا ْعِل َي����ا ْش ُه�������و ْد * َي��ا
اَن���ا ْخدِي��� ْم َط������ا َي ْع * ِف َي������ ّْد لَلَ ْه ْعُب�����و ْد
79
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
La belle ajusta à sa taille
un costume complet brodé de fil d’or…
Puis elle laissa retomber sur sa joue
une guirlande de longs cheveux noirs…
Soyez-m’en témoins,
ô vous gens de vertu et de générosité !
Je suis un valet tout obéissant
qui, dans la main de sa Dame, est un esclave absolument
soumis1 !
1. Cette boûqâlah est souvent altérée par des femmes du peuple ne connaissant
pas bien les significations les plus élémentaires des mots de la langue arabe classique
ou même dialectale. Par exemple, on atteste une absurde version où le qualificatif
ma‘boûd (adoré, servi) est substitué à ‘aboûd (serviteur totalement soumis et obéissant, adorateur parfait…), ce qui est incohérent, même s’il n’est pas rare qu’au sein
de la masse populaire inculte et ignorante, se trouvent des individus qui le plus innocemment du monde commettent d’aussi déplorables confusions langagières ! Ainsi
entend-on parfois le mot madjhoûl (ignoré, inconnu…) prononcé comme insulte par
quelqu’un qui devrait plutôt utiliser le mot djâhil (ignorant)…
45
ْ �اجَب
ْ ������������ِعيَن
�ك زَا ُدوا ْم َش� َقة
ْ �ك َز ْر َق������اء * َو ْح َو
���ح
ْ َوخ�������دُو َد ْك ْم َطّْب َق���ة * ْعلِي ُه��� ْم اْل��� َو ْر ْد َفا َت
ْ
���اح
�����ت امَْْنط َق���ة * َي���ا ِر
ْ َي���ا ِزيَن
ْ ي��������ق ال َت َف
َ ض� َرْبتِي�ن�ِ���ي
ْ
اح
ْ ض ْرَب������ة * لَ َباُن����������وا َال
ْ ����ج َر
ْ َو َقْلِب������ي َرا ْه َعْن�������د
���اح
ْ صْب
َ َك * َم���ا
ْ ���ت ُل���ه َم ْف َت
Ton œil est bleu
et le charme de tes sourcils ajoute à ma peine.
Tes joues sont pleines,
Ô
FUMÉE DU
80
BENJOIN !
et sur elles, les roses sont écloses.
Ô toi qui es la parure de toute cette contrée !
Ô toi dont la salive a un goût de pomme !…
Tu m’as asséné un coup
dont les plaies ne sont pas visibles.
Mon cœur est captif auprès de toi
et je ne trouve point de clé pour le délivrer…
46
ْ اف ْح������ َذ
ْ �اض * َوا ْل َڤـــ ــا ْر َڤ
ْ � الر َي
اك
ْ َي ��ا اْل َق
ّْ اع��دَة َف
ْ
ْ َق���د
���������اك
ُوج ْم َس
ْ ���اري * ِب
ْ ���ن ز
ِ َك ُع����و ْد ْق َم
ِ ���ك * َوَف
ْ َْج
ْ
ْ َف الّْن�هَ����ا ْر َن ْت َو ّْح َش
الل
���اك
َ ي������ل َنت
ْ �ل َعْن��د
ْ �تحى َيْب��د
ْ �ص
َاك
َ � اس
َ َقْلِب�� ��ي ْح
ْ َك * َو ُف ِم ��ي
Ô toi qui est assise dans le parc
avec un tambour à broder près de toi1 !…
Ta taille ressemble à un fin bâton d’aloès
entre deux morceaux de musc…
Le jour, je m’ennuie de toi
et la nuit, je te guette plein d’espoir…
Mon cœur est retenu auprès de toi,
mais ma bouche est trop timide pour s’enhardir à t’en
parler…
1. D’origine turco-persane, le mot gargâf (Mohammed Ben Cheneb, Mots turks
et persans conservés dans le parler algérien, op. cit., p. 68) désignait autrefois le cadre
de bois ou métier de broderie utilisé par les femmes d’intérieur pour ce genre d’ouvrage. Aujourd’hui, autant le mot que l’instrument ne sont plus qu’un vague et loin-
81
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
tain souvenir dans la mémoire des très vieilles femmes d’Alger, les jeunes brodeuses
ne connaissant guère que le tnîbar, litt. « petit tambour », mot emprunté au français…
47
ََ
ْ اك * َوَب ْه � َو
ْ �ض َب ْه � َو
ْ � مري
اك َراِن ��ي ْن���� �دَادِي
ِ َي ��ا لل ��ة
ْ يت َنْب��د
�ت َغ ��ادِي
ْ � �َم
ْ � �يت َو َوِّلي
ْ �تح
ْ � ِجي
ِ � اس
ِ َاك * اْند
ْ �ت
Ô dame mienne, je suis malade de la passion que j’ai pour
toi,
passion dont je suis tout endolori…
Je suis venu à toi, mais, trop timide pour te déclarer ma
flamme,
j’ai vite regretté mon audace et suis reparti tout honteux !…
48
َ �ر ُف
ْ � الر َي
��وط ْتهَ����� ��ا
ْ َي ��ا اْل َق
ّْ � �����َْ�اض * َوج
ّْ اع��دَة َف
ْ ��������ن َدا ْرِن��ي ْج ِوي ْه� َرة * ف َو ْس
�ط َر ْقَب ْتهَ������ا
ْ �َو َي��ا َم
ِ
ْ � ����ن َدا ْرِن ��ي ْحِب ّْي َق ��ة * ف َو ْس
�ط ُغ���� ْر َف ْتهَ� ��ا
ْ � َو َي ��ا َم
ِ
ّْ
َ���ن * َوْن َع
��������ض َش َف ْتهَ�������ا
َ ���وس َخ ّد
ْ ْه���ا الِي
ْ َوْنُب
Ô celle qui se trouve assise dans le parc,
traînant le bas de sa foûta1 sur le sol !…
Ah ! puissé-je devenir une toute petite perle
bien au milieu de son cou !…
Ah ! puissé-je me muer en un petit pot de basilic
Ô
FUMÉE DU
82
BENJOIN !
tout au milieu de sa chambre !…
Alors j’embrasserai sa joue droite
et je lui mordrai goûlument la lèvre…2 !
1. La foûta est une sorte de pagne en tissu de laine que les femmes portaient noué
autour du bassin.
2. Variante: ’nmouçç (je sucerai) au lieu de ’n‘add (je mordrai). Le texte du hawfî
que donne S. Bencheneb, « Chansons de l’escarpolette », art. cit., p. 94, pièce n° IV)
atteste, pour un sens identique, l’expression mâ ’thabbnî au lieu de yâ man çâbnî.
49
َ �اض * َوت�� َد َو ْر ُف
ْ � الر َي
وطتْه���������� ��ا
ْ َي ��ا اْل
ّْ قاع��دَة َف
ُ ْ �����ن َو
َ ����ن * ْع
ْ َ َو
����لى ُر ْك�َب��تْ��هَ��������ا
ْ ال ِس
ْ ال َس
ْ
ُ ��������ال َن
���اخ������ ْذ َها
َشا ْف�هَ�������ا َال�� ْو ِزي����� ْر * َق
َ السْل
ْ ��������ان * َق
����ال َن ْغ��نِ����ي���هَ�����ا
ط
ْ
ُ َش���ا ْفهَا
�������اس ْعلِ��يهَ��������ا
���ان * َع َس
َ ْ ِس���يدِي َعْب��� َد ال َر
ْ ح
ْ
Ô toi qui te trouves assise dans le parc,
retournant ta foûta
Et tenant El-Hasan et El-Husayn1
sur tes genoux !…
Lorsque le vizir t’a vue,
il a dit : « Je l’épouserai ! »
Lorsque le sultan t’a ’aperçue,
il a dit : « Je la comblerai de richesses ! »
Or, c’est Sîdî ‘Abd er-Rahmân
qui veille sur elle2 !…
1. Al-Hasan et al-Housayn étaient les petits-fils du Prophète par sa fille Fâtimah,
épouse de ‘Alî ibn Abî Tâlib. Toutes ces saintes figures des premiers temps de l’islam
83
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
font partie des Ahl al-Bayt, les Gens de la Maison du Prophète, qui sont tout aussi
bien vénérés dans le chiisme que dans le sunnisme. Notons que, contrairement à ce
qui est parfois rapporté dans les contes populaires, al-Hasan et al-Housayn n’étaient
pas des frères jumeaux, même si une certaine coutume veut que les jumeaux reçoivent
ces deux noms.
2. Formule pour conjurer le mauvais œil ! Dans la version arrangée, le dernier
vers se lit ainsi : C’est le seigneur Très-Généreux et Miséricordieux / qui veille sur elle !
50
ْ َ ان ال َز ْه��� ْو ف ْجَن������انِي * َو
رانِ���ي
ْ َك
َ ال َس��� ْد َعْن��� ْد ِج
ِ
وم���ي ُن���و ْم الَْ�انِ�����ي
ِ َواَن���ا َف ْر َحاَن���ة َب ْز َمانِ���ي * َوُن
ْ ���اعَب���������ا ْد اهْ * َش ْف ُت����ونِي َك
اش َرانِ���ي
ْ َو ْال ْن َي
َ اللي َرِبي ْب
ِ َم ْن َو ْق ْت
ْ ���انِي * ْب َع ْش ْق َذ
ّْ اك
رانِي
ْ الشَب
ََاب اْل
Le plaisir était dans mon jardin
Et l’envie rongeait le cœur de mes voisins !
J’étais contente de la vie que m’offrait mon époque,
dormant d’un sommeil très paisible…
Mais à présent, ô serviteurs de Dieu !
ne voyez-vous donc pas ce qui m’est arrivé
Depuis que Dieu m’a éprouvée
par l’amour de ce beau jouvenceau étranger ?!
51
ْ ُه�� َو َج ��ا ْز َذ
ُ �اب * َو َقْلِب� ��ي ْم َش ��ى ْر َد
ّْ اك
اف�� ��ه
ْ � ��الشب
Ô
FUMÉE DU
84
BENJOIN !
ْ �ْان َح��ا ْت ُق
ْ �ص
ص ُاف��ه
ْ �اب * َوْب ِقي
َ ��ول ِش��ي ْس
َ �ف ا ْو
َ �ت َن ْو
ْ �ح
À peine était-il passé devant moi, ce beau jouvenceau
que mon cœur affolé s’élança sur ses pas !…
Sa silhouette s’effaça brusquement, tel un nuage !
et je demeurai là à me repasser ses traits dans ma mémoire…
52
َ الس َماء َما ْت َض ِوي ْه ِغ ْر
ْر الَنار
ْ الش ْم ْس * َوامَْاء َما ْت َغِلي�ْ��ه ِغ
ّْ
َ ْ ر َال ْك ُح ْل * َو
ّْ
ر َال ْع َكا ْر
ْ الش َف ْر َما ْي َز ّْيُنه ِغ
ْ ال ّْد َما ْي َواتِي ْه ِغ
ْ الر َج
ر الَْب َكا ْر
ِ ْ ال ِف
ْ جي ْع اْلُبْل���د
ْ َان * َما ِري ْت ُه ْم َي َع ّْش ُقوا ِغ
ّْ َو
Le ciel, seul le soleil peut l’éclairer,
et l’eau, seul le feu la fait bouillir…
Le cil, seul le khôl l’embellit,
et la joue, seul lui sied le carmin…
Quant aux hommes, en tous pays,
je ne les ai vus s’éprendre que des vierges.
53
ُ * الرِبي��� ْع
���ح ا ْز َه���ا ُره
ْ الل���و ْز َي ْف َت
ّْ ِك���ي ْي َرَب������ ْع
ِ �س
ْ � اللي
َ �ل * َال ْق َم � ْر َي َت ْف
�ح َباْن � َوا ُره
ْ �ض
ْ � ��َو ِك ��ي ْي َع ْس َع
ْ َه � ُذ
ْ َ وك
ْ �اس * َو
اش ِبي ُه��� � ْم ْع َك��� ��ا ُروا
ْ � ال �دُو ْد َي ��ا َن
85
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
َ َ�������ات اْل َع
ْ
اش
َه ْيه
اس��� َرا ُره
ْ
ْ ������ق * َم���ا تَْ َف������ى
Quand arrive le printemps
Les amandiers font éclore leurs fleurs…
Quand la nuit étend son obscurité,
la lune se trahit par sa clarté…
Ah ! ces belles joues, ô bonnes gens !
qu’ont-elles donc à s’empourprer ainsi?!
Certes, jamais au grand jamais, l’amoureux
ne pourra dissimuler ses sentiments !…
54
َ ِ���ن اْل َك ْح
َ ُم
َ ْ ���اء * َو
ون
���ب ْالَ ْڤ
َ ال
ْ ���ول اْلع
ْ ــــــــر
ْ اج
ُ
َ �َبَل��� ْغ ْس
ِ �ا ِمي الِي�������� ْه * َو
ُْوت
ْ الل��ي َما َيْبغِي ِش��ي ي
Ah ! celui dont l’œil est noir d’encre
et dont les sourcils sont bellement jumelés !…
Transmets-lui donc mon salut,
et que celui qui n’en est pas content en crève !
55
ْ َ ������ل * َو
ْ َدا ْرَن�������ا َف
ْ
ْ
������ل
�����يب اَ ْس َف
الِب
ال�َب
ْ
ْ � �ن َن ْر َس
�ل
ْ � صْب
َ ِك��� ��ي َح َجْبنِ� ��ي َب��اَب� ��ا * َم ��ا
ْ � �ت َم
ْ ���ص ُعْن
ح���ا ْم
َ ْ �����ق
ّْ ���ب * َواْل َف
ْ ا ْر َس���ْل ْت ْخ ِوي َت��� ْم ْذ َه
Ô
FUMÉE DU
86
BENJOIN !
َ ْ �����ت
ْ ي���ت َذ
ّْ اك
الشَب
ال َم���ا ْم
ْ ْل ِق
ْ ������اب * ِف ْس ِقي� َف
ْ
���ت َسْب���� َع ا َي���ا ْم
ْ ص ْم
ْ َب ْس
ُ ِيمَن����ى * َو
ْ ���ت َي���دُه ال
Notre maison est sur la colline
Alors que mon bien-aimé habite plus bas…
Quand mon père a décidé de me cloîtrer1,
je n’ai alors trouvé personne pour lui porter mes lettres !
J’ai alors envoyé une petite bague en or
ornée d’un chaton d’améthyste…
Puis, ayant rencontré ce beau jouvenceau
dans le vestibule du hammâm,
J’ai baisé sa main droite
et j’ai ensuite jeûné sept jours par pénitence.
1. Dans l’ancien ordre musulman traditionnel de la famille algérienne, toutes les
filles étaient systématiquement voilées et cloîtrées dès les premiers signes évidents de
puberté (apparition des seins, premiers poils pubiens, premières règles…). La jeune
fille était alors soustraite aux regards de tout étranger de sexe masculin, qu’elle ne
pouvait rencontrer que dans une tenue décente et en présence d’un membre mâle de
sa famille ayant la qualité de mahram.
56
َ ْ �ت
ْ َ َط��ا ْر
ال َم��ا ْم
ْ �ِيم��ا ْم * َوْن� َز ْل ْعَل��ى ُقَب
َ ال َم��ا ْم َوزَا ْد ال
َ ���وق ْس
ْ يض���اء * ُف
َ ام���ة ِب
���ط ْح اْل ُغ ْر َف���ة
ْ َن ْزَل
َ ْ ���ت
َح
َ َْي���ت ِسي���� ْد ام
َ ����ن َيتْ���� َو
ضأ
ْ ِر
ْ الس ِح
ّْ �����ا ْح * َف
�������ت ُل����ه َو ْر َدة
َ�����ن * َو َر َش ْق
ْ
ْ َب ْس
ْ ���ت َخ���دُه الِي
Les pigeons se sont envolés, puis les tourterelles,
et se sont posés sur la coupole du hammâm.
87
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Une colombe blanche s’est posée
sur la terrasse de la chambre haute…
J’ai aperçu le seigneur des beaux jeunes hommes
faisant ses ablutions dans le corridor.
J’ai alors baisé sa joue droite
et lui ai planté une rose dans les cheveux.
57
َ الط َاق ��ة ْح�� َذا
َ ال���دَا ْر ْح�� َذا ال��������دَا ْر * َو
الط َاق ��ة
ْ ���ون َي ْتَن
���وب َع َش َاق�����ة
ْ اظ��� ُروا * َو َال ْقُل
ْ َو َال ْع ُي
َ وس ��ى * َو َر
َ �ب الَن
ّْ � َو َح
���اق������� ��ة
َ يس ��ى َو ُم
ْ � ��اك
َ �ق ِع
َ ي���ف َتت
ْ ���وب ِك
ْا َق���ى
َ َم���ا
ْ ���ر َي���ا ِعَب��������ا ْد * َال ْقُل
ّْ اح
Sa maison est attenante à ma maison
et sa fenêtre si proche de la mienne…
Nos yeux échangent des regards tendres
et nos cœurs s’aiment avec ardeur…
Par la vérité de Jésus, de Moïse
et de Celui qui montait la Chamelle1 !
Ô combien sont torrides, ô serviteurs de Dieu !
les âmes quand elles s’unissent !
1. Râkab an-nâqah ou Çâhab an-naqah est un surnom populaire que l’on donne au
Prophète Mouhammad. Voir plus haut la boûqâlah n° 32, pp. 67-68 et note afférente.
Notons également que dans le credo musulman, Moïse (Moûsâ) et Jésus (‘Îsâ), ainsi
que tous les autres prophètes de la Bible sont révérés comme d’éminentes figures de la
tradition de l’islam le plus antique, que la révélation coranique a refondé et restauré
sur les bases et les principes d’un monothéisme sans faille et une pratique souple et
sans contrainte.
Ô
FUMÉE DU
88
BENJOIN !
58
َ ���ك ْط َو ْي َق���ة * َق��� ْد َدا َر ْت اْل
ْ ي���ي َوِبيَن
������اس
���ك
ِ ِب
ْ
ِ ِي���ث
َْ
ْ الد
ْ الل���ي ِبيَنا ْتَن���ا * َو
���اس
ْ اش َج��اُب�����ه َللَن
َ
َ َع ْر
ص
اب ْخ
َ الر
ْ اص * إِ َذا َذ
ْ �������������ا
ْ ص
ّْ ض اْب َن آد ْم ِك
Entre moi et toi, est une toute petite fenêtre
aussi minuscule que le pourtour d’une coupe…
La conversation qu’il y eut entre nous deux,
qu’est-ce donc qui l’a fait parvenir aux oreilles des gens ?!
L’honneur du fils d’Adam est semblable au plomb :
une fois qu’il a fondu, il n’y a plus rien à faire1.
1. Variante pour les derniers vers: ki ’z-zdjâdj (comme le verre), idhâ tâh (une fois
tombé par terre).
59
ُ َم َش ّْيتِ�����ي َع���اْل َي������ة * َو
ط��وْل�تِ����ي َداْل َي������ة
ْ
���ب�� ُع�����وا فِ�� َي�������ا
ْن َس��������اء َو ْر َج
ّْ ��������ال * ْي َت
ُ َوي
ِ���ن * ِك ْحمي������� ْر اْل َق� ْر َي����ة
ْ َْش��������وا َم ْذُلول
Ma démarche est altière,
ma taille est aussi souple et aérienne qu’une vigne qui
grimpe !…
Tous ! femmes et hommes, me suivent docilement,
marchant tout aussi humbles que les baudets du village !
89
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
60
َ َك ُسْن
ْ َق���������د
اه َي���ة َف امَْ���اء
ْ ب��ل������ة * َي�����ا اْلَب
َْ َي���ا
َ شع������ة ُت
ج��� ْع اْل ُعَل َم���������اء
ْ َ وق������ ْد * ِف
ْ صَل���ى و َر
جي��� ْع َم
�������ن ثََ���ة
ِ ْ ِم���ا ْم * َو
َ اءك ال
َ
ْ
ْ َو ْع����د
�����ن َواْل ُغ َم���ة
ْ الس ْج
َ ُوك َي���ا لََل������ة * َف
Ta taille, ô belle rayonnante ! est une jonquille
baignant dans l’eau de son vase…
Ô toi cierge allumé
dans l’assemblée des doctes !
L’imâm lui-même a prié derrière toi,
ainsi que toute l’assemblée présente !…
Et que ton ennemi, ô Dame mienne,
croupisse dans le cachot et l’angoisse !
61
���ن * َي���ا الَناْب َت���ة َف ال����دَا ْر
ِْ ���ج َر ْت اْل َي
ْ َي���ا َش
ْ اس
َ اس
َ اع� َر
َ ْع
ْ اف
ْ روق
����ك زَنَْ���������ا ْر
ْ ر * َو
ْ جب
ْ �����ك
ِ ���كْن
َ ْ �ق
ْ � احَل ��ى َع ْش
ال ��ا ْر
ْ َو ْر ْق ْال�� َوى ْعَل ��ى ْال��� َوى * َم ��ا
ْ
���وب فِيهَ���ا الَن���ا ْر
������ون َي ْتَن
َال ْع ُي
ْ �����اظ ُروا * َو َال ْقُل
ْ
Ô arbuste de jasmin,
ô toi qui pousses au sein de notre demeure !
Tes racines sont gingembre
et tes rameaux vert-de-gris !…
Ô
FUMÉE DU
90
BENJOIN !
Les feuilles de la passion poussent sur la passion,
ô combien doux est l’amour du voisin !…
Les yeux échangent des regards énamourés,
alors que les cœurs sont en flammes !…
62
ِ ي���ق
ّْ ���ن
ْ الط ِر
وب���ي
ْ َوا َي
ِ الل���ي فِيهَ���ا مَُْب
ََ ْ اب َم
���ري ْه
ْ ِجيُب���وا لِ���ي ال ّتْ���� َر
ِ ���ن ث���ة َن ْش
���وب�����ي
ِ َن َع ْمُل�������وا ْج ِع ْي��َب�����ة ِف َم ْك ُت
ْ ض���وا ِعيِن َي���ا ْن َك َح
ُ ِوي��� َذا َم ْر
���ل ِبي��� ْه
ِ ي���ب
ْ َ ���ن
���ي
ِ الل���ي ْه������ َوا ْه َقْل
ْ َوا َي
ْ الِب
َ � ه�� َو َم ��ا ْي َس
ْ �ل ْم ِف َي ��ا َواَن ��ا َم ��ا ْن َف�� َر
ط فِي�� ْه
Où se trouve donc le chemin emprunté par mon bien-aimé?
Ramenez-m’en un peu de terre, je vous l’achèterai !…
Je la conserverai précieusement au sein d’une petite fiole au
fond de ma poche,
Et quand mes yeux seront malades, je l’utiliserai comme
collyre !…
Où donc est l’aimé, objet de la passion qui embrase mon
cœur?
Jamais lui ne m’abandonnera et jamais moi ne serai
négligente à son égard !
91
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
63
ْ
ْ ������ق ِف َدا ْرَن������ا * َواْل َع ْش
اْل َع ْش
�����ق َرَب���اَن�������ا
ْ
�������ق ِف ِبي����� ْرَنا * َح َت���ى ْحَل�����ى َماءَن���ا
اْل َع ْش
َ ������ق مََْب
ْ َواْل َع ْش
���ان
ْ �����ق�����ة * َح َت���ى ْر َم
َ ���ات َال ْغ
ْ ص
ْ َواْل َع ْش
������ان
اض���ي َولَ ُسْل َط
ِ ���ق َم���ا ْيَن ِحي��� ْه * َق
ْ
L’amour habite notre maison,
l’amour nous a élevés.
L’amour est dans notre puits,
si bien que notre eau est sucrée.
L’amour est un pot de basilic
qui a fini par faire ramper ses tiges.
L’amour, personne ne peut le supprime,
ni cadi ni sultan !…
64
ْ الر َي
���ري َن��ا َدانِ�������ي
ْ َدز
ْ ِي���ت َب
ّْ ���اب
ِ ���اض * َوالَن ْس
اْل��� َور ْد َح���ل ِل���ي اْلَب���اب * َوال ّْز َه�������� ْر َعَن ْقنِ�������ي
ْ ���ن َذ
ّْ اك
اب * لَ ْب َغ������ى ْي َكَل ْمنِ�������ي
ِْ َواْل َي
ْ الش���َب
ْ اس
Comme je poussai la porte du parc,
l’églantine m’interpella.
La rose m’ouvrit la porte
et les fleurs d’oranger m’enlacèrent !…
Ô
FUMÉE DU
92
BENJOIN !
Quant au jasmin, ce beau jouvenceau,
Lui, il a refusé de me parler.
65
َ لس
ْ َ �������ح * َن ْس��قِ��������ي
ْ
ْ ال�َب
�����ق
ط
ْ طَل ْع
ْ
ّْ �����ت َل
َ
ْ
��������ا ْر
ي������ق اْل���َب
����ر
ِ َباْب
َ * َج���������������ازُوا ْعِل َي���ا
ثا َث���ة ْم���ن الَ ْق َم���ا ْر
اح���������دَة ْف�َن�������ا ْر
ْ اح��������دَة ْغ��� َزال����ة * َو
ْ َو
ُ ��������ل * َف اْل
ْ
�����وب ال�َن������ا ْر
قل
اح������دَة َت ْش َع
ْ َو
ْ
Je suis monté sur la terrasse
pour arroser le basilic
Avec une aiguière en cristal,
Quand passèrent devant moi
trois filles aussi resplendissantes que des pleines lunes !…
L’une était comme une gazelle,
l’autre tel un fanal,
Et la troisième allumait des brasiers
dans les cœurs !…
66
َ ِ���ر * َس
اب
ْ ْع َمْل
ِ ���ت ْب ُر
ْ ���اك ْن ِف مِْ������������ َر
ْ وح���ي ْفق
ُ وح�����ي َم
ْ ْخ
ُ َم���ا َند
ْك���و ْم
ِ ���ل َم���ا نَْ��� ُر ْج * َعْن��� ْد ُر
93
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
َ �اك مَْ���� ْر
ْ ����������ات * بََْي
بل�����ة
ْ �َج��ازُوا ْعِل َي��ا ْث َا َث��ة ْبَن
َ �ب
ُوم�������ة
َ ����ل�����ة * ِف َح َال���ة َم ْعد
ّْ ََْو ْش ُع������و ْر م
ُّ ُوج��ة َو َف
ومة
َ ر َخد
َ ط
ْ �اس * ِغ
ْ ����������َما َسّْبتِ���ي َيا َن
Je me suis transformé en pauvre ermite
habitant dans un oratoire.
Sans entrer nulle part ni sortir,
vivant sur moi-même replié.
Trois jeunes filles passèrent devant moi.
Elles étaient drapées dans des haïks fripés,
Leurs cheveux étaient tout ébouriffés
et elles semblaient dans un état d’extrême dénuement…
Mes soucis n’ont certes pour cause, ô serviteurs de Dieu !
que Kheddoûdja et Fettoûma !
67
ْ ���ل َي�����ا ْع َس
ْ ْع َس
ْ �����ل * ِف َبا ْق َي���ة َخ
ض������� َراء
ََ َي���ا
ْ ���ت اْل َع
�����ت ال َز ْه��� َراء
ْ يم
ْ ام
َش
ْ اش��� ِق
َ ِن * َي���ا ْن
َ َْ���ف ِسي���� ْد ام
ْ ْحَل
ام��� َراة
ِ ���ا ْح * َم���ا ْي َر
ْ اش����ي
َ ْ �اش َتْنط َف� ��ى
ْ � �اءت ْغ َزاْل ُت ��ه * َب
ال ْم�� َرة
ْ � �ر إِ َذا َج
ْ � ِغ
Miel, ô doux miel !
dans une petite écuelle verte !
Ô bouquet fleuri des amants !
Ô petit astre de Vénus !…
Le seigneur des beaux jeunes hommes a fait le serment
solennel
Ô
FUMÉE DU
94
BENJOIN !
de ne point jeter son regard sur aucune femme.
Et ce n’est que lorsque viendra sa douce gazelle
que s’éteindra la braise qui dévore son âme.
68
ْ َخ���د
اجَب���ك لَ ُب��� ّْد َي ْغ َم��� ْز
ْ َك ُق������ ْر ُم��������� ْز * َح
ّْ ��ج����� َو ْز * َو
اْل ُف
الش ِف ْي َف������ة َع ْك ِر َي���ة
َ ����������م ْم
ّْ
ْ ص�������� ْد َر ْك ْمَب������� َر ْز * َم َث�ْل ُت����ه َل ْف��� َر
اخ ْال َو ّْز
َ
ْ ْ ي����������ن ْي���������� َد َر ْز * ِب
���اف َي���ا ُخو َي���ا
ِح
ْ
ِ ���ن الف َي
���������ت َقْلِب��������ي * اهْ ْح ِس���يَب ْك َي���ا َط ْفَل���ة
َع� َذْب
ِ
ْ ��ك * َواَن��ا َم��ا ْن ُق
ْ ��ول َل
ْ ���������احَب
�ك ِش��ي
َ ���ب������ي
ِ َقْل
ْ َو ِعين����ي ْت َق���ا َر ْع َل
������ك * ْعَل���ى َق��� ْد ْر َم���ا تَْ ِش���ي
َم��� َز ْم * َوالّْنِب�������ي اْل ُق� ْر ِش����ي
ْ َم َك���ة َوِبي���� ْر ز
ْ
َواَن������ا َم���ا َنْن َس
���ر إِ َذا َر ْف���دُوا َن ْع ِش���ي
ْ ��������اك * ِغ
Ta joue est cramoisie,
Ton sourcil ne peut se retenir de lancer des œillades…
Ta bouche a l’arrondi parfait d’une belle noix1
et ta petite lèvre est carmin…
Ta poitrine porte des seins glorieusement saillants
que je compare à des oisons
Lorsque ceux-ci s’ébattent
dans les campagnes désertes, ô mon frère !…
Tu tortures mon cœur,
Dieu t’en fera rendre compte, ô jeune fille !
95
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Mon cœur t’a aimée,
mais moi je ne t’en ai jamais rien dit !…
Or, mon œil t’épie
à mesure que tu marches…
Par La Mecque, par le puits de Zem-Zem2
et par le Prophète qurayshite !…
Jamais je ne t’oublierai
jusqu’à ce que l’on me porte sur ma civière mortuaire !…
1. On peut également supposer que le qualificatif m’djawwaz, qui réfère à la noix
(djoûz), ne fait pas allusion à la forme arrondie du fruit à laquelle semble être comparée ici la bouche (foumm) de la femme aimée, mais plutôt peut-être à la teinte rougeâtre que procurent les feuilles et l’écorce de noyer à celles qui en usent comme d’un
siwâk pour se curer les dents et les gencives.
2. Puits de la ville sainte de La Mecque, dont la Tradition et l’histoire sainte de
l’islam attribue l’invention à Hâdjir (Agar), mère d’Ismaël, après que, agissant sur
l’ordre de Dieu, Abraham eut conduit et laissé cette dernière seule avec son jeune
fils dans ce lieu rocailleux perdu au milieu du désert d’Arabie. Le puits de Zem-Zem
assure l’approvisionnement en eau de millions de pèlerins depuis plusieurs siècles, et
la piété populaire crédite son eau de vertus miraculeuses. Ainsi, après en avoir bu à
l’envi durant leur séjour dans la ville sainte, les pèlerins n’oublient jamais d’en ramener quelques litres avec eux à leur retour au pays, pour en donner aux parents et amis,
notamment à ceux qui souffrent de maladies graves réputées incurables. Pour satisfaire les énormes besoins en eau de ces innombrables pèlerins, le puits de Zem-Zem
est soutenu par l’eau de ‘Ayn-Zoubaydah. La chronique nous apprend que Zoubaydah,
richissime cousine et veuve de Hâroûn ar-Rachîd, le cinquième calife ‘abbâsside (786809), avait sacrifié sa colossale fortune, évaluée à plus d’un milliard de dînars-or de
l’époque, pour financer la construction d’un ingénieux système de conduites hydrauliques devant amener l’eau d’Irak jusqu’aux lieux saints de l’islam.
69
ِ �ان * ْب َع�� ْر ْف
ْ َ �اع
اللي����� ْم َنت�� َد َر ْق
ّْ � ْهَبط
ْ � �ت ْال َق
ْ � الَن
ّْ َج��ازُوا ْعِل َي���ا
ن
ِ �يب َم ْس
ْ �ك
ْ الط ُي������و ْر * َق ُال��وا ِل��ي ْغ ِر
اح����ة
َ يب * َولَ فِ�ي ُغ ْرْبتِ���ي َر
ْ ُقْل ْت لُْ ْم َواهْ َما َرانِي ْغ ِر
Ô
FUMÉE DU
96
BENJOIN !
ْ َ ���ن
َ ي���ب * َر ْم َي����ة َو َت
���اح������ة
َ �ف
ْ ِبين����ي َوِب
ْ الِب
ْ اسهَ������ا ُبْل��ُب
�����ل
ْ َت َف
ْ احتِ����ي َم
ْ ���ن ْذ َه
ْ ���ب * َوِف َر
ْ اْلُبْلُب
الس���ا ْق َية * َوامَْ���اء ْي َوْل��� َول ُل���������ه
َ ���ل ْعَل���ى
َ ْ �ب
ِ َو
ح � ْر * َرِب��ي ْي َك َم�������ل ُل��������ه
َ ْ َال � ّْد ال
ّْ �َْالل��ي ي
Je suis descendu au fond du jardin
En me dissimulant derrière les rameaux des limoniers
Des oiseaux passèrent au-dessus de ma tête
et me dirent : « Un étranger, le pauvre ! »
« Par Dieu ! leur répondis-je, je ne suis point étranger,
et mon exil n’est pas de tout repos !
Entre moi et ma bien-aimée1,
il y a tout juste la trajectoire d’une flèche vers le pommier
qu’elle cible.
D’or est mon pommier
et sur son sommet est perché un rossignol.
Le rossignol est au-dessus d’un canal,
dont l’eau l’appelle par ses youyous.
Or, celui qui affectionne la joue rose,
Dieu ne manquera sûrement pas d’exaucer son vœu ! »
1. En raison de l’ambiguïté des termes et des formulations, il peut être parfois très
difficile, voire impossible, de déterminer avec exactitude si, dans un texte de boûqâlah
ou de hawfî, le locutor est de sexe féminin ou masculin. Contrairement à S. Bencheneb
« Chansons de l’escarpolette », art. cit., p. 98, pièce n° XII), nous optons ici pour le
genre masculin..
70
�����اب * ِف َي���دُه ْق ِطي��� ْع ا ْز َر ْق
َج���ا ْز ْعِل َي���ا ْشَب
ْ
ڤـــرة * َوَلَب ْس ُت�����ه َتْب��������� َر ْق
ِ َش
َ اش ّْي ُت�������ه ْم َع ْن
97
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
َ ْعلِي��� ْه َن���� ْر ِمي الَ ْولَ ْد * َو ْعلِي�������� ْه َن
ْ تطَل
�����ق
َ َو ْعلِي��� ْه نَْلِ���ي َالْب
ْ ���ا ْد * َوْن������ َر ّْد َها َفْن���������د
َق
Un beau jouvenceau passa devant moi,
tenant en sa main une petite branche verte.
Il portait la chéchia de guingois1 sur le côté de la tête,
et ses habits étaient tout reluisants.
À cause de lui, j’abandonnerai mes enfants,
et à cause de lui je me ferai répudier !…
À cause de lui, je dévasterai le pays
et le transformerai en caravansérail2.
1. Voir, plus haut, pp. 61-62, boûqâlah n° 23, et note 2.
2. S. Bencheneb, « Chansons de l’escarpolette », art. cit., p. 97, pièce n° X),
donne ce texte comme un hawfî avec des différences très notables, et traduit ainsi le
dernier vers : Pour lui je rendrai Alger un désert et j’en ferai une écurie.
71
ِ ���ان * ْب َع��� ْر ْف
ْ َ اس
اللي������ ْم َنت��� َد َر ْق
ْ ْطَل ْع
ْ الَن
ْ ���ت ْال َر
ْ َج���ا ْز ْعِل َي���ا َذ
ّْ اك
اب * تَْفِي ْف ُت���������ه َت��ْب������ َر ْق
ْ الش���َب
َ ْعلِي��� ْه َن ْر ِم�����ي الَ ْولَ ْد * َو ْعلِ��ي���� ْه َن
ْ
��������ق
تطَل
ّْ َو ْعلِي��� ْه نَْلِ���ي ا
ْ ل َزا َي��� ْر * َوْن َر ّْد َه�������ا َفْن���������د
َق
Je suis montée tout en haut du jardin,
me dissimulant derrière des branches de limonier,
Quand passa devant moi ce beau jeune homme,
dont brillait le visage tout fraîchement rasé…
Pour lui, j’abandonnerai mes enfants,
Et pour lui, je me ferai répudier !
Ô
FUMÉE DU
98
BENJOIN !
Pour lui, je dévasterai Alger
et la transformerai en caravansérail !
72
ْ � �������ح َي ��ا مَُْل
�وك
ِ �اب َدا ْرَن ��ا * َو ْي
ْ � َجا َي�� ْز ْعَل ��ى َب
ْ � صي
ْ تينِ����ي ُب
���وك
َ * َق���ال لِ���ي َي������ا لََل���ة
ِ ام���ا َي ْش
ُ ْ يك * َو
ْ ���ت
ْ ���ت ُل���ه َم���ا
���اع
ْ ُقْل
ْ ���ر َم�����������ا َيْنَب
ّْ ال
ِ يش
ُ
�اع
ْ � �ب * َو َم ��ا ْت ُكوْن ِش�� ��ي َط َم
ّْ � �ب َال ال ّْذ َه
ْ � �م ال ّْذ َه
ّْ � ط
ْ َق���ال ِّل���ي نَْ��� َد ْم ْعل
ص�������� َر ْف اْل َغالِ������ي
ْ ِي���ك * َوَن
ْ الر َج
جي������ ْع َمالِ���ي
ْ َو ْعَل���ى ْبَن
ِ ْ ���ال * نَْ َس��� ْر
ّْ ���ات
Il passait devant la porte de notre maison,
criant : « Esclave à vendre ! »
« Ô dame mienne ! me dit-il,
ton père ne voudrait-il pas m’acheter ?!
– Non, lui répondis-je, il ne t’achètera pas,
car l’homme de condition libre n’est jamais à vendre !
Amasse donc pièce d’or sur pièce d’or
et ne sois pas cupide…
– Pour toi, me dit-il alors, je vais travailler sans répit
afin de te donner les choses les plus chères…
Car, pour les filles des hommes,
je suis prêt à dilapider tout ce que je possède ! »
99
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
73
اس��ة
ْ �َخ ْر َج
َ �اس * ِف َي ّد
ْ ��ت َم
َ ْه��ا َف � ْر َدة َم ْس َي
ْ ��������ن َف
ُْ
���ن َو ْذنِيهَ����ا
َ ال
ْ ���و ُدوا َم
ّْ اص * َه
ْ وه��� ْر َوالَ ْخ����� َر
ْ ����ت َذ
���اس
ْ وس�����ة * َوَلْب َس
ْ َخ ْر َج
َ �����ت َال ْع ُر
ْ اك الّْلَب
ّْ َوْب َق����ا ْوا ُك
ي����ن فِيهَ������ا
ِ ْه
ُ ���اس * َمد
ْ ��وش
ْ ����ل الَن
ِ
ْ � �ات َآل
�ف * ْيِ���� ��ي َوي��������دِيهَ���� ��ا
ْ � الل ��ي َعْن �دُه ْم َي
ِ َو
الل���ي َم���ا َعْن���دُه ِش���ي * َم�����ا َي ْط َم������ ْع فِيهَ������ا
Elle sortit de Fès,
avec, à son bras, un unique bracelet,
Perles et boucles d’oreilles
pendaient à ses oreilles.
Ainsi sortit la mariée,
revêtue de tous ces beaux atours,
Et voilà donc que tous les gens
demeuraient là stupéfaits à la dévorer des yeux… !
Celui qui possède cent mille pièces d’or
viendra l’emmener avec lui.
Mais celui qui n’en a point
n’osera jamais la désirer.
74
ْ
ْ �و َي
َ
صِبي��َب
أَْن
����ط فِي��� ْه
ْ ��������ت
ِ �����ط * َواَن���ا ْخ
َ ِيس
ْ ��ل
َ
ِي َس���ة فِيهَ���ا
أَْن
ّْ �����ة * َواَن�����ا ْخ
ْ ��������ت ْسل
َ
�����رة فِي��� ْه
أَْن
َ �����وي َت������ ْم * َواَن���ا ْح ِج
ِ ������ت ْخ
Ô
FUMÉE DU
100
BENJOIN !
ِ �ق
ّْ َو
ُ الل ��ي َت
ْ � الط ِري
�ون فِيهَ���� ��ا
ْ � ����اخ ْذ َه ��ا * أََن��� ��ا ْن ُك
Tu es un tout petit soulier,
et moi j’en suis le lacet.
Tu es une délicate petite chaînette,
et moi je suis la petite khamsa1 qui l’orne.
Tu es une toute petite bague,
et moi je suis la petite pierre qui la rehausse.
Quel que puisse être le chemin que tu emprunteras,
sache que moi aussi je m’y trouverai.
1. Khmiysah, diminutif affectueux de khâmsah (qui vient du mot khamsah : chiffre
cinq), péjorativement appelée « main de fatma », est un signe figurant les cinq doigts
de la main, que l’on oppose, par mesure prophylactique, aux envieux et autres jettatore
à l’œil maléfique, manière de leur dire : khamsah fî ‘înîk (« cinq doigts qui crèvent tes
yeux ! »). Réputé avoir un pouvoir conjuratoire efficace contre toutes sortes de maléfices (mauvais œil, envoûtements, emprise des mauvais djinns…), ce signe cabalistique
est généralement porté en pendentif, ou à l’oreille (dans ce dernier cas, on lui donne
le nom de ‘ayyâchah – litt. « celle qui fait vivre » –, et on en affuble les enfants mâles
d’une famille particulièrement éprouvée par la mortalité infantile. Autrefois, l’imagerie propre à l’artisanat populaire maghrébin faisait que ce signe était naïvement
reproduit accompagné d’un d’une espèce de caducée figurant un œil, une vipère, un
scorpion avec la transcription d’un verset coranique sur de belles faïences à l’entrée
des maisons. On la trouvait aussi dans des enluminures, chromos ou affiches soigneusement encadrées et dans des calendriers (roûz-nâmâ)…
75
ّْ �ن ا
ْ � �����َس ُالونِ������ ��ي ْعلِي
ل َزا َي�� ْر َال امَْ ِد َي ��ة
ْ � �ك * َم
ْ
�������اك * َي���ا ُن��������و ْر ِعينِ� َي����ا
َواهْ َم������ا َنْن َس
ْ � ������َس ُالونِ����� ��ي ْعلِي
اص�� ْر
َ �س ْال َم
ْ � �ك * َم
ْ � �ن ُتوَن
ْ
ُ ���������اك * َي���ا
ص��� ْر
َواهْ َم���ا َنْن َس
َ ض������وء َالْب
101
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
On m’a interrogée sur toi
depuis Alger jusqu’à Médéa.
Par Dieu ! jamais je ne t’oublierai,
ô pupille de mes prunelles !
On m’a interrogée sur toi
depuis Tunis jusqu’au Caire1.
Par Dieu ! jamais je ne t’oublierai,
ô lumière de mon œil !
1. Mâçar, altération, par prolongation de la première voyelle, du mot Miçr (Égypte
et, plus spécifiquement, Le Caire, sa capitale.
76
َق ّْط ُعونِ���ي ْق ِطي��������� ْع ال ّْز ُرو ِد َّي���ة
ي����������س اْل َك ْر ِو َّي���ة
َو َد ْر ُس���ونِي ْد ِر
ْ
ْ ���م ْح ف
�م����و ِعينِ� َّي�������ا
ُ ِي���ك * َي���ا ُم
َ َواهْ َم���ا َن ْس
On m’a découpée en rondelles comme une carotte
Puis on m’a écrasée au pilon comme du carvi.
Mais, par Dieu ! jamais je ne renoncerai à toi,
ô pupille de mes yeux !
77
َ وع ��ي ْق َرْن
ْ � �ت َل
ح�� َراء
ّْ � ْب َعث
ِ �اب * ْد ُم
ْ َ فل ��ة
ْ � �����ك َي ��ا ْشَب
�ام������� َراة
ْ َي���ا ْع���دُو َب
ْ ���ن ع���دُو * َب� َدْلتنِ�����ي َب
Ô
FUMÉE DU
102
BENJOIN !
ْ َق���ال ِل���ي َواهْ َي���ا لََل���ة * َم������ا َب َّدْل� َت
ِ���ر
ْ �����ك َباْلغ
ِ ���يب
ْ
���ر
مَّْْب� َت
ْ ���ب�����ي * َح َّت���ى ْي ِش
ْ الط
ِ ������ك ِف َقْل
Je t’ai envoyé, ô beau jouvenceau !
mes larmes comme un œillet rouge…
Ô ennemi fils d’ennemi !
tu as donc osé me troquer contre une autre femme ?!…
« Par Dieu ! ô Dame mienne, me répondit-il,
je ne t’ai pas remplacée par une autre !
Ton amour est toujours vivant dans mon cœur,
Et le restera jusqu’à ce que blanchisse le plumage de l’oiseau…
78
َ ثت ُله ْق َرْن
ْ ص ْف�� َراء * ْش ُط
وطهَا ْذ َه ْب َو َقْلبهَا َف َضة
ّْ ْب َع
َ فلة
ْ ��ت ُل��ه ْخ َس��ا َرة ْعلِي
ْ �ك * َب�� َدْلت���نِ���ي ُب
���اخ��� َرى
ْ �قْل
ْ َق���ال ِل���ي َم���ا َب َدْل َت
���ك * َح َت�����������ى َن� ْف��َن�����ى
ِ الطي������� ْر * َو
ِ ي������ب
���يب
َو ْي ِش
ْ ���ر َم���ا ْي ِش
ْ
ْ الط
ِي���ب
ْ َومَُْب��وَب
ْ ����ب������ي * بَْ���ا ْه َرِب���ي َم���ا ْتغ
ِ ����ت َقْل
Je lui ai envoyé un œillet jaune
dont les pétales étaient d’or et le cœur d’argent.
« Quel grand dommage de ta part ! lui ai-je dit.
Ainsi tu as osé me troquer contre une autre femme !…
– Par Dieu ! me répondit-il, jamais je ne t’échangerai,
jusqu’à ce que je meure
Et que blanchisse de vieillesse le plumage de l’oiseau,
103
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
sachant bien que jamais la canitie n’affecte le plumage des
oiseaux…
Or moi, la bien-aimée de mon cœur,
par la grâce de Dieu, jamais ne sera loin de moi absente !
79
َ �����ك ْبر َي���ة * َو ْق َرْن
ْ ث�����ت َل
ح������ َراء
ْب َع
ّْ
ْ َ ف�ل�����ة
ِ
جي��� ْع َم�����������ا َت ْق��� َرا
َم
ِ ْ ���������ن
ْ
ْ �ْخ َس��ا َرة ْعلِي
ْ
�����اخ����� َرى
وب��ي * َب َدْلتنِ�����ي ُب
ِ �ك َي��ا مَُْب
ََب��� َدْلتنِ�����ي ْنَب�� ّد
ْ ِ�����ك * ْر ِمي ْتنِ����ي َن�� ْرم
ْ ْل
ي�����ك
ِ * �������ك
ْ الل���ي ْعزي��� ْز ْعل
ْ
ُ َوَن
ِي����ك
�احَب
ْ ص
َ ����اخ ْذ
ِ
ْ ������ك َو َي ْر َج��� ْع َي ْش���َب ْه ف
ْ
ِي���ك
���������س َلَب ْس َت
َيْلَب
ْ
Je t’ai envoyé une lettre
accompagnée d’un œillet rouge,
Chargée de tout ce que tu pourrais lire.
Quel grand dommage de ta part, ô mon tendre chéri !
Tu as donc osé prendre une autre à ma place !…
Tu m’as échangée ? Je t’échangerai à mon tour !
Tu m’as rejetée ? Je te rejetterai moi aussi !
Et j’épouserai ensuite ton propre ami,
celui-là qui t’est le plus cher…
Il portera alors tes vêtements,
et ainsi il te ressemblera parfaitement !…
Ô
FUMÉE DU
104
BENJOIN !
80
ْ �اب َدا ْرَن ��ا * ْي َف������ َر
ش َف� ��ي اْل��� َو ْر ْد
ْ � َجا َي�� ْز ْعَل ��ى َب
ْ الش
ُ ���س * َو
َ َواْل��� َو ْر ْد َم���ا َيْن
���اس
ْ ���وك َم���ا َيْنَب
ْ عف
���اس
���ر ْبَن
ْ
ّْ ََْوال
ْ ���م َم�����ا َي ْرف���دُو ْه * ِغ
ْ �����ات الَن
Passant près du seuil de notre maison,
il étalait sur son chemin tout un lit de roses…
Mais les roses ne se piétinent pas,
pas plus que les épines ne peuvent être embrassées !
Quant aux chagrins d’amour, seules sont condamnées à les
supporter
les filles des hommes…
81
َ �اس * ُك ّْل ل
�اس
ْز
ْ � ِيل ��ة ِب�هَ��� ��ا َوَن
ْ � ���َه َرت ��ي َف� ��ي اْل َك
ْ �ضي
�ق ِب�هَ�����ا َحاِل��ي
ِ �امي * َم��ا ْي
ِ ����ِكْن ُش��و ْفهَا فِ���ي ْمَن
�اح
ْ � الصَب
ْ � ���������ب���� ��ي َي�� ْر َت
ّْ ِكْن ُش ��و ْفهَا َف� ��ي
ِ �اح * َقْل
ْ �������اري * َبْن َت
���اري
���اري َي���ا َج
ْ ���ك َش ْعَل
ِ ����ت َن
ِ
ِ َج
ْ ص��������� ْد
ْ ال��د
ِي����ث
ْ ���اي َال اْلِب
ْ َرانِ���ي َج
َ ي���ت * َن ْق
En son vase est ma jolie fleur,
et chaque nuit, je veille en sa compagnie.
Quand je la vois en rêve,
je n’en éprouve aucun malaise.
Et quand je la vois au petit matin,
105
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
mon cœur s’en trouve rasséréné.
Voisin, ô mon voisin !
Ô toi dont la fille a allumé ma flamme !
Je m’en vais venir en ta demeure
pour m’en ouvrir à toi…
82
ْ ���������م
ْ�ام ُرؤ َي��ا َم ْن َعْن َد اه
ْ ��ت َي������������ا اهْ * َوامََْن
ْ َن
َ ��ام����ة ِب
����حْن َح ْن ْعِل َي���ا
ْ يض��������اء * َج
َ ���اءت ْت
َ �م
َ ْح
ْ
ْ اج
ِ���ر
�����ل * َعْن���دُه َم
َ ام������ة َر
َ �ح َم
ْ َال
ْ �������ال ْكث
ْ
�������ش ْع��لِ�� َي����ا
�ج�������يء * ْي َف�� َت
ْ َرا ْه ْق ِر
ِ ي���ب ْي
J’ai eu un songe, ô mon Dieu !
et le songe est certes une vision provenant de Dieu…
C’était ne colombe blanche
qui roucoulait au-dessus de moi…
La colombe, m’a-t-on dit, s’interprète comme étant un
homme
dont la fortune est considérable
Qui bientôt doit venir
chercher après moi…
83
َْ �اع
�ت َز ْرِب����� َي�� ��ة
ْ � �����ان * َو َف َر ْش
ّْ � ْهَبط
ْ � �ت ْال َق
ْ � الَن
وس ال ّْذ َه ْب * َح َت������ى اْل����ى َو ْذنِ�� َي���ا
ْ َح ْر َق ْس ْت بَْ ْر ُق
Ô
FUMÉE DU
106
BENJOIN !
��م����ا * َس ْع�������دِي َوَل����ى ِل َي���ا
َّ أَ َف ْر ِح������ي َي���ا َي
َ َنت
ْش َف�����ى َف اْلع������دُو * ِك َم���ا ْت َش َف������ى فِ���� َيا
Je suis descendue au fond du jardin
et j’ai étalé un tapis.
Puis je me suis fait un harqoûs d’or1
que j’ai étiré jusqu’aux oreilles.
Réjouis-toi donc, ô ma mère !
car ma bonne fortune est revenue vers moi !
Je vais bientôt me réjouir des malheurs de l’ennemi
ainsi qu’il s’est lui-même réjoui des miens !
1. Le harqoûs est une bande artificielle de poudre noire ou – exceptionnellement
pour la mariée – dorée, que les femmes se peignent entre les deux sourcils.
84
َ ْ �ن َر ْجِل َي ��ا * َو
ْ
ْ � الطَب
�ن َي� ِد َي� ��ا
ْ � �ق َم ��ا ِب
ْ � �ال ��اتَْ َم ��ا ِبي
�م����ا * َس ْع�����دِي َوَل����ى لِ���� َيا
َ اف��َ���� ْر ِحي َي���ا َي
َ َنت
ْش َف�����ى َف����ي اْلع���دُو * ِك َم���ا ْت َش�� َف�����ى فِ� َي�����ا
La corbeille de mes fiançailles repose entre mes jambes
et ma bague est entre mes mains !…
Réjouis-toi donc, ô maman !
Car ma bonne fortune est revenue à moi !
Et je me vais bientôt me réjouir des maux de l’ennemi
tout comme lui même se réjouissait des miens.
107
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
85
َ َم���ا َندِيهَ���ا ْطو
اش�������ي
ِ يل����ة * َسُل��������و ْم َر
ِ
��اش��������ي
ِ ون َم
ِ َم���ا َن����دِيهَا ْق
ْ صي���� َرة * َف ْك���� ُر
اشي
ْ وع
َ َندِيهَ���ا َم ْرُب
ِ ���ت اْل َق��� ّْد * ْت َع َم��� ْر لِ���ي ْف������� َر
Je ne prendrai pas pour épouse une femme de trop grande
taille,
semblable à une échelle vermoulue !…
Ni n’épouserai non plus une courtaude,
genre tortue rampante !…
J’en épouserai une de taille bien proportionnée
qui m’emplira mon lit !…
86
ُ �ج������ َرة * ْم َع ّْم��� َرة َباْل َي
�����وت
���اق
ْ
ْ َعْن���دَن�����ا َش
����وت
�ح
ْ
ُ َو َع��ْن��دَن����ا ُف������� َوا َرة * ْم َع ّْم������ َرة َب�اْل
َ تك����� ْم * و
ُ طونِ�������ي َبْن
ُ أَ ْع
وت
ْ ����م
ْ ي���ا ْن ِط
ُ ي���ح ْن
ِ
Nous avons chez nous un arbre
Dont les branches sont chargées de rubis…
Et avons aussi un bassin à jet d’eau
plein de poissons…
Accordez-moi la main de votre fille,
ou bien je tombe raide mort !
Ô
FUMÉE DU
108
BENJOIN !
87
ُ اع ُطوِن��ي َبْن
تك� ْم امَْ ْز َياَن��ة
ْ * �اس َمْل َي��اَن�����ة
ْ �������َي��ا َن
ِوي���ا َن ْه���� ُرب ِب�هَ������ا * َوَندِيهَ��������ا َع ْر َي�اَن�����ة
Ô vous gens de Miliana1 !
accordez-moi la main de votre fille si mignonne.
Sinon je l’enlèverai,
et l’emporterai toute nue2 !
1. Miliana, vieille cité algérienne, perle du Zaccar, a été fondée voilà plus de 1000
ans, en même temps qu’El-Djezaïr et Médéa, par Boulouggîn ibn Zîrî. Le regretté cheikh
Abderrahmane El-Djillali (1908-2010) a consacré une monographie à cette triple
fondation et à ses enjeux stratégiques dans le Maghreb central de l’époque (Târîkh
al-moudoun ath-thalâth : al-Djazâ’ir, al-Madiyyah, Milyânah, SNED, Alger, 1966). Un
autre grand érudit algérien, Mahammed Hadj Sadok (1907-2000), nous a lui aussi
laissé un ouvrage très bien documenté : Milyâna et son patron (walî) Sayyid-î Ahmad
b. Yûsuf [1432-1524], éd. Office des Publications Universitaires, Alger, 1994. Et on
n’omettra pas d’évoquer ici ces très dignes enfants de la que furent Ali Ammar, dit AliLa-Pointe (1930-1957), et Hassiba Ben Bouali (1937-1957), tous les deux martyrs de
la guerre de libération nationale et grands héros de la fameuse Bataille d’Alger.
2. Toute nue (‘aryânah) est bien sûr pris ici au sens figuré, c’est-à-dire sans son
trousseau de mariée. À propos d’une fille pauvre mal dotée par ses parents, les mauvaises langues féminines disent qu’elle est « partie toute nue » (râhat ‘aryânah).
88
ْ َ اس
ّْ ���ت
���س
ْ صْب
ْ ْطَل ْع
َ ���ان * َو
ْ الَن
ْ ���ت ْال َر
ْ الض��� ُرو َياَب
ْ َو ُقْل ْت ُله َي����ا
س
ْ ض�������� ُرو * َما َش ْف ْت ِش��ي مَُ َم ْد َرا َي
�س
ُ َق��ال ِل��ي َي����ا لََل����������ة * َر
ُ اه��و َف اْل
ْ �بح��و ْر َغا َي
ْ َ ���اس
ْ
���س
ال ِري��� ْر * َو ْم َعَن
ْ ���س ْلَب
ْ لََب
ْ ��������ق َال ْع َرا َي
109
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Je suis montée tout en haut du jardin
et j’y ai trouvé le lentisque tout desséché…
« Ô lentisque ! lui ai-je demandé,
n’as-tu point vu Mohammed-Raïs1 ?
– Ô Dame mienne ! m’a-t-il répondu,
il se trouve occupé à sillonner les mers2, tout de soie vêtu
et enlaçant de fraîches épousées !…
1. Mohammed ou M’hammed Raïs, nom d’un chef corsaire impossible à identifier. Les corsaires d’El-Djezaïr – dont le plus célèbre et le plus prestigieux fut Hamidou-Raïs (mort en 1815) –, formaient une caste patricienne très puissante jouissant de très grands privilèges au sein du pouvoir de la Régence turque. Beaucoup
d’entre eux étaient des chrétiens européens (ou des juifs) convertis à l’islam que leurs
anciens coreligionnaires traitaient de renégats et qui auront souvent l’occasion d’accéder au pouvoir suprême. Depuis longtemps déjà, on sait que la Course n’était pas
le seul fait de ceux qu’on appelait les « Barbaresques », du moment que les nations
européennes chrétiennes s’y adonnaient elles-mêmes sans vergogne, bien souvent au
détriment de leurs propres coreligionnaires, que ces derniers fussent catholiques, protestants, orthodoxes ou autres… Pour plus de clarté et d’objectivité à ce sujet précis,
on peut lire, entre autres : Sir Godfrey Fisher, Barbary legend. War, trade and piracy in
North Africa (1415-1830), Oxford, 1957 (trad. française par Farida Hellal: Légende
barbaresque, guerre, commerce et piraterie en Afrique du Nord de 1415 à 1830. Office des
Publications Universitaires, Alger, 2000; Salvatore Bono, I corsari barbareschi (Les corsaires barbaresques), Turin, 1964 ; trad. française : Pirates et corsaires de la Méditerranée, éditions Paris-Méditerranée, Paris, 1998 ; Moulay Belhamissi, Marine et marins
d’Alger (1518-1830), Bibliothèque Nationale d’Algérie, Alger, 2003, t. I : « Les navires
et les hommes ». Sans bien sûr oublier l’incomparable petit livre de Lucette Valensi,
Le Maghreb avant la prise d’Alger (1790-1830), Flammarion, Paris, 1969 –, plus spécialement le chapitre V : « Les Barbaresques et la mer », pp. 62-69. Au sujet du Raïs
Hamidou, on se reportera à la monographie d’Albert Devoulx : Le Raïs Hamidou, Notice biographique sur le plus célèbre corsaire algérien du XIIIe siècle de l’Hégire, Alger, 1859
(réédition ornée de gravures d’époque, avec présentation et notes critiques de Abderramane Rebahi, Alger-Livres-Éditions/Musée Maritime National, Alger, 2010. Les
archives ottomanes algériennes (registres des prises maritimes, actes de fondation
des biens de main-forte (habous/waqf) étudiés et publiés au XIXe siècle par Albert
Devoulx, regorgent des noms de ces raïs.
2. Litt. « plongé » (ghâyes), altération phonétique de ghâyiç. Voir toutes les variantes qu’offre le texte donné par Saâdedine « Chansons de l’escarpolette », art. cit.,
p. 97, pièce n° XI). On y relève notamment – respectivement au second hémistiche
du 2e vers et au second hémistiche du dernier vers – les termes de n‘altak yâ droû
(maudit sois-tu, ô lentisque !) et ’y‘annaq at-tâwas (il enlace le paon).
Ô
FUMÉE DU
110
BENJOIN !
89
ْ ََق ُال��وا ِل��ي ل
َان
ْ �ب َف اْلُبْلد
ْ �ش َف ْر َحاَن����ة * َو ْحِبيَب ْك َغا َي
ِ َيا
ْ َه
ان
َ ِي َت ْك تد
ْ اسَبا ُته ْي َطا َر ْد َف اْل َع ْد َي
ّْ اللي ن
ْ اس * َح
ْ ش الَن
ْ َك َوْن َس
ْ �ك َو ْح���د
ْ َت ْر َك
ان
ْ ���اك * َوْب َقى َعْن ْد ِغ َر ْك ْم َن الَّن ْس َو
ِ ول
ْ الر َج
ْ ال اْل ُك ّْل َه َذا َشاْن ُه��� ْم * َم ْهُب
اللي َي ْق َرا فِي ُه ْم الَ َم ْان
ّْ
ان
ْ ِيس * ْك َا ْم ُك ْم ُكُل�ه ْك َذ ْب َوُب ْه َت
ْ ُقْل ْت لُْ ْم َما ِشي َتَل ْعُنوا اْبل
ُ َال ْع ِزي ْز َعْندِي َمن اْلَب��ا َر ْح * َما َشدُو ْه ْن َساء
السو َد ْان
ُ َالت ْك َول
Elles m’ont dit : « Pourquoi donc es-tu si joyeuse,
alors que ton bien-aimé est absent, voguant à travers les
pays du monde ?
Ô toi dont la candeur surprend tellement les gens !
Tu le crois peut-être pourchassant les ennemis,
Lui qui t’a laissée seule et t’a oubliée
pour aller s’établir auprès d’autres femmes que toi.
Les hommes ont tous le même comportement :
bien folle celle qui irait leur faire confiance ! »
Je leur ai alors répondu : « Ne feriez-vous pas mieux de
maudire Iblîs1 ?!
Tous vos propos ne sont que mensonge et calomnie !
En vérité, mon chéri se trouve chez moi depuis hier,
il n’a jamais été retenu par les femmes des Turcs ou celles
des Soudanais ! »
1. Satan, le démon.
111
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
90
ْ � ��الر َم
�ل َي ْغِل ��ي
ّْ � ْهَبط
ْ � صْب
ْ � �ت ْال َق
َ �اع َالْب َح�� ْر * َو
ّْ �ت
�����ري
ْ ْر َف���د
ْ ِيمَن���ى * َو َح ِط
ْ ْت َباْل َي��� ّْد ال
ِ ي���ت ِف َح ْج
ْ ��ق ِل��ي امَْْل
ْ �ْن َط
�ب ْي َف���� َر ْج َرِب�����ي
ْ ����ك َق��ال ِل��ي * ْق ِري
َْ ي���ك َس
ْ َِوْي
���ال َغاَن����� ْم * بَْ���ا ْه الّْنِب����ي اْل َع ْرِب���ي
Je suis descendue au fond de la mer
et j’y ai trouvé le sable qui bouillonnait.
J’en ai pris une poignée dans ma main droite
Et l’ai déposée dans mon giron.
L’ange s’est alors adressé à moi et m’a dit :
« Bientôt, Dieu apportera la délivrance,
Et alors il reviendra vers toi sain et sauf et chargé de butin,
par la grâce du Prophète arabe1.
1. An-n’bî ’l-‘arbî (le Prophète arabe) désigne bien sûr le prophète Mouhammad. La poésie populaire maghrébine (melhoûn) regorge d’expressions telles que n’bî
’l-‘arabî (le prophète arabe), Mouhammad ach-chrîf al-‘arbî (Mouhammad le noble
prophète arabe), etc.
91
ّْ �َجا ْي� َزة ْعَل��ى َش
ْ ������الر َم
�ل ْي ْغلِ����ي
َ * �ط َالْب َح ْر
ّْ صْب ْت
�������ري
ِيمَن���ى * َو َد ْر ُت�����ه ِف َح ْج
ّْ ْر َف
ْ ���دت ْب َي���دِي ال
ِ
ُ وص
ْ
ْ �ات * َم ��ا
�ري
ْ � ������يك�� ْم َي ��ا ْبَن
ِ ُن
ِ تاخ ُذ
ِ � وش ��ي الَب ْح
َْ ْ �����ْم
�ري
ْ �َي ْر ِم��ي َال ْقُل
َ �وع َف اْل
ُ بح � ْر * َويَِْل��ي ال ّد
ِ ��وع ج
Ô
FUMÉE DU
112
BENJOIN !
Passant sur le bord de la mer,
J’y ai trouvé le sable bouillonnant…
Alors, j’en ai pris une poignée dans ma main droite
et l’ai déposée dans mon giron.
Voici le bon conseil que je vous donne, ô jeunes filles :
N’épousez jamais un marin !
Car il alors il déploiera les voiles sur la mer1,
en laissant les larmes couler derrière lui !
1. Cf. Saâdedine Bencheneb, « Chansons de l’escarpolette », art. cit., p. 99, pièce
n° XIV, où l’on lit chqaf (navire, esquif) à la place de bhar (mer).
92
ْ َك ْعَلى َخد
ْ يك َيد
ْ اش ِب
ْ ْم َعّْل َمة َي��������ا ْم َعّْل َم�����ة * َو
َك
َ ���ك * و
َ ْ َالْب������ َرة ْم َش
ْ َ ي���ا
ْ ص
���ك
َ ال ِري��� ْر َخ
ِ ْ ���ات ل
َْ ���ات لِ���ي * َو
صنِ����ي
ْ َالْب��� َرة َم���ا ْم َش
ّْ ال ِري��� ْر َم���ا َخ
ِ * �ون
ْ �ِب َي��ا ْعَل��ى َك ْح
الل�����ي ْم َش���ى َو َخ َاِن��ي
ْ ��ل اْلع ُي
« Patronne, ô patronne !
Qu’as-tu donc à poser ta main sur ta joue ?!
Est-ce l’aiguille qui t’a échappé
ou bien le fil de soie qui te manque ?
– Non, répond-elle, ce n’est ni l’aiguille qui m’a échappé,
ni le fil de soie qui me manque !…
Mes soucis ont pour cause l’homme aux beaux yeux noirs
qui est parti loin de moi et m’a délaissée ! »
113
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
93
ْ َخاَن���ة ْعَل�����ى َخ���د
َك * َخ��اَن�����ة َهْن�� ِد َّي�������ة
ُ َخِلي���نِ������ي َنْن�ت���� َر ْك * َي���ا
ض������� ْوء ِعيِن َي���ا
ْ ��ك * َم��ا َعْن�دِي ُش
ْ َماِن��ي ْسَب����� ْع َن
ْ �����اكَل
�وك ِف َي َد َي��ا
�ت َال ال َدْن َيا
ْ ��ر ِك َم��ا ِجي
ْ �ب
ْ �����أََن��ا ْشِب�� َي
ْ �صغِي���� ْر * ِغ
Un grain de beauté est sur ta joue,
semblable à la marque que portent au front les femmes de
l’Inde…
Laisse-moi donc t’attirer tout contre moi,
ô lumière de mes yeux !…
Je ne suis pas un lion qui risque de te dévorer
et il n’y a pas d’épines dans mes mains !…
Je ne suis qu’un beau petit jouvenceau,
tout juste venu en ce bas monde !…
94
َْ �اع
����وش� َي���� ��ة
�ان * َوي����دِي ُم
ّْ � ْهَبط
ْ � �ت ْال َق
ِ
ْ � الَن
ْ
ْ الر َي
�������وف َي�� ِد َي��������ا
���اض * َب ْك ُف
ْ َحِل
ْ ي���ت َب
ّْ ���اب
َ ���������ال * َوتَّْْب
ْ
����ت ال���دَاْل َي�����ة
ْ ��ل
اْل َعْن� ُق�����و ْد ْذَب
ْ � اب ْي ُق
ْ � َال ْق َم � ْر ْي ُق
ْ � ����ول َن ْك َش
�وب
َ � الس
ْ � �ول ْذُن
ْ �ح
ّْ �ف * َو
ْ َ �ب ْم� َع
ْ َ َخِل��ي
�وب
ْ ���يب * َح َتى يُْ�������و ْز امَْ ْك ُت
ْ الِب
ْ �الِبي
Je suis descendue au fond du jardin,
ma main ornée de superbes dessins1.
Ô
FUMÉE DU
114
BENJOIN !
J’ai ensuite ouvert la porte du parc
avec les paumes de mes mains.
La grappe y était étiolée
et la vigne tout embrouillée…
Le clair de lune disait : « Je dévoile ! »
et les nuages lui répliquaient : « Ce serait un péché !
Laisse donc l’amant avec son aimée
jusqu’à ce que s’accomplisse le destin !… »
1. Contrairement au wachm, qui est un vrai tatouage sous-cutané indélébile, que
l’islam interdit aussi bien aux hommes qu’aux femmes le wachy – opération de maquillage féminin consistant à dessiner des motifs ornementaux à même la peau de la
femme (mains, bras, épaules…) – peut être effacé sans aucune difficulté, exactement
comme on le fait aujourd’hui avec des procédés plus modernes de peinture corporelle
(transferts, décalcomanies…).
95
ْ �����������وت * َو ْح َواجَب
�������وت
���ك َي ُاق
ْع ُي�����وَن ْك ُت
ْ
ْ
ِ �ب ْخلِيلِ���� ��ي * َو
�وت
ْ �ُْ�وت ي
ْ �ُْالل ��ي ْب َغ ��ى ي
ّْ � ������َْأََن ��ا ن
Tes yeux sont noirs comme des mûres
et tes sourcils pareils à des hyacinthes !…
Moi, j’aime mon bien-aimé,
et crève donc qui veut en crever !
96
�����وت
اج�����ُبه َي ُاق
ِعينِ�ي����� ْه ُت
ْ
ْ
ْ �����������وت * َو ْح َو
ْ ان َم ��ا َن
ْ اخ�� ُذ
�وت
وش * ْن
ْ � �����������������������م
ْ َوُل ��و َك
ُ
115
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Ses yeux sont noirs comme des mûres
et ses sourcils aussi beaux que que des hyacinthes…
Si je ne l’épouse pas,
j’en meurs !
97
ِ ���ك
ْ ْمَن����ى َل
�����ت امَْْنط َق���ة
ْ الل َق����اء * َي���ا ِزيَن
َ َنت
ْ
�����اح
ي�������ق ال َت َف
َي���ا ْخ������دُو ْد اْل����� َو ْر ْد * َي���ا ِر
ْ
َ ي�����������ب * ل
���اح
حب
ْ ِيل���ة َو
ْ اح���دَة َو َي ْر َت
َ َنت
ْ
ِ ْمَن���ى َلْل
Je te souhaite la rencontre,
ô parure de cette contrée !
Ô toi dont les joues ont l’incarnat de la rose
et dont la salive a le goût de la pomme !…
Je souhaite avec l’aimé
une seule nuit de bonheur, puis qu’il se repose…
98
َ ْ الش�� ْع ْر امُْ��ورْ * َب
َ ات ِعينِ� ��ي
الَن������ ��اء َم ْظ ُف���� ��و ْر
ْ َر
َ ْ َو
ِ ال��� ّْد
ْ ط
ي���ك اْن َع�ا ُت���������ه
ِ الل���ي ْيَن������ َو ْر * َن ْع
ْ ص
ام������وا ا ْو َقا ُت���ه
ُ الرِبي���� ْع * َم���ا َد
ْ َه��� َذا َف
ّْ ���ل
ْ َ ِس ��يدِي
ْع������� ��ي بََْيا ُت ��ه
ِ �ري ْي َع�� َر ْج * َواَن ��ا َند
ِْ � ال ِم
Mon œil a vu ces cheveux magnifiques aux reflets irisés
teints au henné et tressés en nattes…
Ô
FUMÉE DU
116
BENJOIN !
Et de la joue fleurissante de splendeur.
je donnerai ici la description parfaite…
Voilà donc la saison printanière,
à point nommé arrivant1…
Mon seigneur le brunet gravit l’escalier,
et moi, je prie pour sa vie avec ferveur !
1. Il faut signaler ici que le texte arabe original de cette boûqâlah, notamment ce
vers et ceux qui lui font suite, n’est pas très clair, du moins dans la version qu’on en
a rapportée. Ce ne serait donc pas trop hasarder que de rendre l’expression hâdhâ
façl ar-rbî‘ mâ dâmoû ’wqâtoû par : Voilà donc arrivant la saison printanière aux heures si
éphémères… !
99
ْ اس َخ��د
ْ َق����������د
اج ��ي
ْ ��اج���� ��ي * َو َر
ِ َك َر ْج َر
ِ َك َع
َ َْي���ت ِس���ي ْد ام
اج����ي
ْ َوْل ِق
ِ ���ا ْح * ِف َزْنقتِ��������ي َم
اج���������ي
�������ب ْم
َن ْطُل
ْ �������ن اهْ * ْي َســـ َڤ ْم
َ
ْ
ِ اع َو
Ta taille est ivoirine
et les pommettes de tes joues sont toutes frémissantes…
J’ai surpris le seigneur des beaux jeunes hommes
qui avançait en marchant dans ma ruelle.
J’implore donc Dieu
de corriger mes défauts…
100
السقِي َفة لَ ْهَبة َبالَنا ْر
َ * اب ال����دَا ْر
ْ ْخ َر ْج ْت ْعَلى َب
ّْ صْب ْت
117
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
اءه���ا
ْع ُي
ْ ��������ون امَْ�ْن�� َي������ا ْر * لَ ْق ِو
َ ي���ت ْعَل���ى َد
ْ
َل
اه���ا
ْ ِيل���������ة َوْنهَ�����������ا ْر * َطْل َع
َ وح ْم َع
ْ ���ت ال��� ُر
���اها
َ َواَن����������������������ا َواه * َي���ا لََل���ة َم���ا َنْن َس
Sorti sur le seuil de la porte de ma maison,
je trouvai le péristyle tout en flammes…
Ah ! ces beaux yeux d’ortolan1…
je n’eus pas la force d’en supporter le mal !
L’espace d’une nuit et d’un jour,
mon âme allait s’exhaler sous leur charme dévastateur… !
Et moi, j’en jure par Dieu,
ô Dame mienne ! que jamais je ne l’oublierai !
1. Le manyâr, bruant ortolan (Emberiza hortulana) est un très bel oiseau chanteur
migrateur, aujourd’hui pratiquement disparu en Algérie. Met de fin gourmet, depuis
l’antiquité, l’ortolan ornait les tables des monarques et des seigneurs.
101
ْ َ ���اب
ط���ت َي���ا لِيلِ���������ي
ّْ ���ان * َو َع َي
ْ ْم ِش
ْ ���يت ْال َب
ْ الَن
ْ اح��وا
�ت َمْندِيلِ�����������ي
ْ ��ب * َو َف َر ْش
ُ َط
َ اغ
ْ �ص
ْ ��ان ال ّْذ َه
���ري
ي���ت امَْل
ْ أََن���ا ا ِد
ْ
ِ ِي��������ح * َواْن ُت َم���ا ا ِدي��� ْوا ِغ
Je me suis dirigée vers la porte du jardin,
en m’écriant : « Ô ma nuit ! »
Des rameaux d’or sont tombés sur le sol,
et j’ai alors étalé ma nappe pour les recueillir.
Ô
FUMÉE DU
118
BENJOIN !
Moi j’ai pris pour moi le beau jeune homme,
et à vous de prendre autre chose !…
102
اه���ا
ْه���ا * َق ْف َط
ْ اس
َ �����������ان َوا َت
َ ���ت ْعَل�����ى َق ّد
ْ
َ َق
ِ * ْه����ا
����اءها
َ الل���ي يَّْْب���هَ����ا َج
َ ����م ْت ْعَل���ى َزْند
َ َر ْش
اها
���ب * ُل���و َك
َ ان َق ّد
َ ������ان ْس���َب ْكَن
ْ ُل���و َك
ْ
ْ ْه���ا ْذ َه
������اها
����ان ْف َت ْحَن
َ
َ ان َق������� ّد
ْ ْها َو ْر َدة * ُل���و َك
ْ ُل���و َك
������اه��������ا
َح َو ْسَنا ْعَلى ْغ َز َالة ْم َثْلهَا * َولَ ْو َج��� ْدَن
َ
Elle ajusta à sa taille
un caftan lui allant à merveille…
Elle imprima sur son épaule :
« Quiconque m’aime vienne donc à moi1 ! »
Si sa taille était d’or,
nous l’aurions fait fondre puis coulée en lingots !
Si sa taille était une rose,
nous l’aurions fait éclore !
Nous avons tant cherché une gazelle aussi belle qu’elle,
mais c’était peine perdue, elle était introuvable !
1. Litt. « qui l’aime vienne à elle » (ellî ’yhabbhâ djâhâ).
103
���ن َث������ َم * َباْل ُف
���������م ْمَل َث�������� ْم
ْ َخ ْر َج
ْ ���ت َم
ّْ
119
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
َ����������ت امَْْب َس������� ْم * َقت
ِزيَن
ْل ْتنِ�������ي بَْ َعانِيهَ�������ا
ْ
ُ َن ْط
ْ
����������اش ْن َك�افِيهَ�����ا
����ب ال����� َر ّْب اإِلَ ْه * َب
ْ �ل
ِ
ْ الل���ي َعْن������دُه ال ْر َي
���ال * ُه��������� َو َي����دِي�هَ�������ا
ِ َو
ْ اللي َما َعْن�دُه ال ْر َي������ال * َما ْي ُش
وف ِشي َح َت��ى فِيهَا
Elle sortit de ce lieu,
la bouche recouverte d’un voile.
Ah ! celle qui a cette si belle façon de sourire
et qui m’assassine avec ses allusions perfides !…
J’implore mon Seigneur Dieu
de m’accorder les moyens de combler ses désirs…
Celui qui a des réaux1
l’aura pour lui.
Et celui qui n’a point de réaux
ne posera pas même son regard sur elle !
1. D’après l’Aperçu historique, statistique et topographique sur l’état d’Alger, publié
en 1830 par le Dépôt Général de la Guerre « à l’usage de l’armée expéditionnaire
d’Afrique », le rial était une pièce de monnaie d’argent de la régence d’Alger, dont
la valeur, par rapport à une monnaie d’or comme le soltânî ou sequin d’Alger, était
sensiblement inférieure au quart : 4 rials boudjous ½ = 1 soltânî. On notera que la
valeur des monnaies en cours dans l’empire ottoman était soumise à de très fortes et
constantes fluctuations.
104
ْ �ت ْعَل��ى َذ
الس� َ�ال ْف َع ْرَياَن��ة
ْ �ْج ِري
ُ اك
َ الس��و ْر * َخ ْر َج� ْ�ت ِل��ي ُم��ولَ ْت
ْ �وف * َي�������� ��ا َذ
ْ � اش ْت ُش
ْ � اك امَْ ْك ُش
ْ �ت ِل ��ي َو
�وف
ْ � َق َال
ْ ���ت لَْ���ا َرانِ���ي ْن ُش
���ت ُمولََن����������ا
ْ ُقْل
ْ ���وف * ِف ْخلِي َق
Ô
FUMÉE DU
120
BENJOIN !
َْ
يساَن������ة
ال������ ّْد َع ْك
َ �����������ري * َواْل ّْرقِيَب���ة ِس
ِ
ِ ���ت اهْ ْعَل���ى
����������ر َم ْز َياَن���ة
الل���ي * لَلَ ْه ِغ
ْ َوَل ْعَن
ْ
Je courais au-dessus de ce rempart,
Quand, vêtue légèrement1, sortit vers moi celle dont les
cheveux coulent en guirlandes sur ses joues…
« Qu’as-tu donc à me regarder ainsi, me dit-elle,
ô toi indiscret surpris en flagrant délit ?!
– Je suis, lui répondis-je, en train d’admirer
la splendide création de notre Seigneur :
Cette joue de carmin
et ce cou blanc comme un lys !…
Et que la malédiction de Dieu soit donc sur celui
dont la Dame aimée n’est pas de toute beauté !
1. ‘Aryânah (litt. « nue ») signifie ici en négligé d’intérieur, tenue légère qui ne
convient pas pour s’exposer aux regards d’un étranger.
105
ر ثََة َر ِسيَنا
ْ ر ثََة َمْل َت ِم
ْ ِجيَنا َم ْن ا ْز ِم
ْ ن * َوَف اْلَب ْح ْر َال ْكِب
ُْ الس�ْل َط ْان * َو ْق َرا ْه اْل ُقْب َط ْان َو
وجة فِيَنا
َ ال
ُ َجاءَنا اْل ِف ْر َم ْان َم ْن َعْن ْد
ِ أَ ْف َر ْح َيا اْل َقْل ْب
احَن��������ا َراَن�����ا ِجيَن�ا
َ اللي َتت
ْ * َْجى فِيَنا
ِ * �ن
الل ��ي َم���� ��ا َيْبغِي�����َن� ��ا
ْ � ��َوال َّزنَْ� ��ا ْر فِ� ��ي ِعينِي
Nous sommes venus d’Izmir1 où nous étions rassemblés
et dans la grande mer, nous avons fait mouillage.
Un firman nous est alors parvenu de la part du Sultan2,
dont le coptan3 et le khodja nous ont donné lecture.
121
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Réjouis-toi donc, ô cœur qui espères en nous !
Nous voici venus,
Et que le vert-de-gris4 ronge les yeux
de celui qui ne nous aime pas !
1. Cité millénaire particulièrement chargée d’histoire, Izmir (Smyrne), qui est aujourd’hui l’un des plus importants ports maritimes de Turquie, fut intégrée à l’empire
ottoman en 1424, après avoir été pillée et dévastée en 1402 par les hordes mongoles
de Timûr-Lang (Tamerlan). Lieu de rencontre et d’union de l’Asie et de l’Europe, ville
marchande par excellence, Izmir, Perle de l’Orient, jouit d’une situation géographique
privilégiée sur la côte ouest de l’Anatolie, avec un golfe disposant des meilleurs mouillages de la côte. C’était à partir d’Izmir que s’embarquait le gros des contingents de
janissaires destinés à l’odjak (milice) d’Alger, que les raïs et les kouloughlis désignaient
par le sobriquet outrageusement dédaigneux de « bœufs d’Anatolie ». Par ailleurs, le
nom patronymique Zmirli est assez courant en Algérie.
2. C’est-à-dire le Grand Sultan, le calife ottoman à Istanboul (Constantinople).
3. Qobtân (capitaine) désigne le commandant du navire, tandis que khôdja (mot
turc) signifie écrivain, secrétaire. Les noms patronymiques de Khodja, Benkhodja,
Belkhodja, etc., sont assez souvent attestés en Algérie, alors que celui de Kobtan y est
très rarement rencontré.
4. Le vert-de-gris, zindjâr, hydrocarbonate de cuivre, était souvent utilisé comme
poison et comme ingrédient entrant dans la composition de certaines préparations de
magie noire.
106
ِ الس���فِيَنة
ْ
����������اش ْن َك�������افِيهَا
���اءت * َب
ْ الل���ي َج
ّْ
ُ َب
��اشيهَ����ا
ِ الس َك�������� ْر * َن ْط َع�������� ْم َغ
ُ الل�����و ْز َو
اريهَ�����ا
ْ َوَبال� ّْزَب�����ا ْد َو َال ْع َط����� ْر * َن ْطلِ�������ي
ِ ص َو
ُ َوَن
���ب َرِب���ي َال ْع ِزي��� ْز * َلْل َح
���������ج َيدِيهَ���������ا
ّْ
ْ طل
Ce navire qui vient d’accoster,
avec quoi vais-je le gratifier ?
D’amandes et de sucre,
je régalerai son monde !
Ô
FUMÉE DU
122
BENJOIN !
De civette et de baume,
j’enduirai ses mats !
Et je prierai Dieu le Tout-Puissant
de l’emporter vers les lieux du pèlerinage1.
1. De crainte d’être capturés en mer par les corsaires de nations chrétiennes
ennemies – comme l’Espagne ou le Portugal –, les Algériens désireux d’accomplir le
pèlerinage à La Mecque par voie maritime (jusqu’à Alexandrie) sollicitaient le Dey
d’affréter pour les transporter des navires de nations avec lesquelles Alger était en
paix, chose qui leur assurait une relative sauvegarde. Ainsi, en 1777, des pèlerins algériens voyageant sous l’immunité de la bannière française furent capturés et durement
maltraités par un corsaire espagnol. Cet événement, qui provoqua un grand émoi et de
graves difficultés diplomatiques entre le dey Baba Mohammed, le comte de Sartines,
secrétaire d’État de la Marine française et la cour d’Espagne, est relaté comme suit
par Eugène Plantet (Correspondance des Deys d’Alger avec la cour de France, Félix Alcan,
éd., Paris, 1889, tome II : 1700-1833, pp. 349-350 n. 4) : « La polacre française Le
Saint-Victor, commandée par Claude Barthole, de Saint-Tropez, et chargée de 183 pèlerins à
destination de La Mecque, fut capturée le 28 août 1777 par une frégate espagnole, La Vierge
des Carmes, qui l’emmena à Carthagène. Le Gouvernement de Madrid fit relâcher aussitôt
cette prise, mais la cargaison avait été presque entièrement pillée. Les passagers déclarèrent
qu’ils ne voulaient plus continuer leur pèlerinage, mais revenir au plus tôt à Alger pour s’y
faire rendre justice. Cette affaire causa à notre Consul les altercations les plus pénibles, et de
la Vallée dut s’engager à procurer aux Algériens le prompt remboursement de leurs effets. »
En de pareilles circonstances, les pèlerins – les femmes d’entre eux, notamment ! –
étaient complètement terrifiés par le risque d’être faits captifs et d’être réduits en
esclavage !
107
ُ �ن َعْن
دك ْم
ْ ������َع َش
ْ ��ر َجاء َم
َْ��ات َال ْع ِش َي���������ة * َولَ ْخ
َ ْس
ُ ���م َي ْه���� َد ْر ِب
���كْن ُتوا َف اْل َقْل
يك��� ْم
ْ
ّْ �������ب * َواْل ُف
ُ َْج
يك������� ْم
ْ َي���ا ْه ْعَل���ى َم
ِ ���ن َجاءنِ���ي * َوَب َش������ ْرنِي ب
َن ْر َه
��اب����ي * َوَن ْع ِط���ي ْب َشا َر ْت ُك������� ْم
ْ
ِ ���������ن ْث� َي
Voici le soir qui arrive,
mais aucune nouvelle ne m’est venue de votre part…
123
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Vous hantez mon cœur
et ma bouche n’arrête pas de parler de vous.
Ah ! Quel est donc celui qui viendra à moi
pour m’annoncer votre venue ?!
Je mettrai tous mes vêtements en gage
pour pouvoir donner sa récompense à qui m’apportera
cette heureuse nouvelle à votre sujet.
108
���اح
ْ صَب
ْ َن ْت َف َك ْر ُك������ ْم ِف ُك ّْل ْم َس���اء َو
ِ ف
ْ الل
�����������ران َب ْك َم ُال���ه
ي���ل َس ْه
ْ
َْص���دْري َو
َ ُحّْب ُك��� ْم َس
ش ُال���ه
ْ ِ���اك ْن ْي
ِ َ ���ن
َ اك�������� ْم ِش���ي ْخ
ُ َو َم���ا َنْن َس
ص
ْ ���ا
ّْ ���ر اِ َذا َم���������ا ْن َس���ى
يح
ِ الش
ْ ���ح
ِ ِغ
ُ اس َم
����ال���������ه
َغ����ا َي
ْ
ْ �����������ت َر
Je songe à vous chaque soir et chaque matin
et aussi tout au long de la nuit que je passe en veille…
Votre amour loge tant dans le côté droit de ma poitrine
qu’en son côté gauche1.
Et jamais absolument jamais, je ne vous oublierai
À moins que l’avare puisse oublier
la grandeur de son capital !
1. Ymîn çadrî wa chmâloû (litt. « le côté droit et le côté gauche de mon corps »),
c’est-à-dire : votre amour hante mon foie (kabdah) et mon cœur (qalb), sachant que,
Ô
FUMÉE DU
124
BENJOIN !
dans la croyance populaire arabe – et, de façon générale, orientale – ces deux organes
vitaux sont réputés être le siège des passions et des émotions humaines..
109
الس ْجَن���������ة
ْ �َعْن�دِي ْم َي
َ ْ �ر
ْ ����ح��ا ْم * ِف َقْل
ْ ��ات ِط
َ �ب
ْ �اه � ْم الّْل َق
اه�� � ْم امَْ��اء
ُ اع َط
ُ اع َط
ْ �ن
ْ �ن
ْ ��ط * َولَ َم
ْ �لَ َم
ْ ي���ت لُْ��� ْم الّْل َق
���ط * َو َز ْد ْت لُْ��� ْم امَْ������������اء
ْ اع ِط
ْ
ْ ��ت الِي
�ك َي��ا َخاْلقِ����ي * ْتَن ِح��ي ِل��ي َه� َذي اْل ُغ َم��ة
ْ �ِجي
َ ��ان * وي
ِ �ر َم��ن
الل��ي ُكَن��ا
ْ ��ا ِخ
ِ ْ �������ْن ُع��و ُدوا ِك َم����ا ْز َم
Je détiens cent pigeons
au cœur de mon pigeonnier.
Personne ne leur a donné du grain,
Ni ne leur a donné de l’eau…
Je leur ai donc donné du grain
et leur ai ajouté de l’eau.
Me voici venu(e) à toi, ô mon créateur !
afin que tu m’ôtes cette angoisse qui m’étouffe…
Ainsi pourrons-nous redevenir aussi bien que nous étions
naguère
ou même beaucoup mieux que nous ne fûmes jamais !
110
ِ ������ت
ْ َ ������ت
ال ِري��������� ْر
الطي������� ْر * ْب َت َك
كم
ْ
ْ
ْ ْح
125
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
ْ ���ر * َب ْع��� ْد َم���������ا َو َال
���ف
ْ َم���ا َظِني ُت�����ه ْي ِط
ْ
ِ���ر
ِ اخَل������ى َق ْف
َ عم��� ْر َق ْف
َ ص���������ي * َو
ْ ���ص اْلغ
َ َو ْر َمانِ���ي ف بُْ���������و ْر * َخ َانِ���������ي َت
ْ
������ف
�ال
ِ
�����وع * َولَ ْو َج
���اري َولَ ْقُل
�����دت ْم َق���ا َذ ْف
ّْ
ْ
َ َل
ِ ص
ْ َه��� َذا َح
َْاري َوي
ْ
ال����������ف
ْ ���ال ال ّْز َم
ِ ���ان * ْي����� َو
J’ai attrapé un oiseau
avec un cordon de soie.
Je ne l’ai pas cru capable de s’envoler
après s’être laissé apprivoiser !
Ainsi, il a déserté ma cage
et a rempli la cage d’autrui,
Me jetant dans des mers
Et me laissant complètement hagard…
Sans mat, ni voiles
Et ne trouvant point de godilles !
Il en est ainsi du temps :
parfois propice, d’autres fois, non1 !
1. Les deux premiers vers de cette boûqâlah se trouvent dans un des quatrains (roubâ‘iyyât) attribués au grand barde et saint marocain Sîdî ‘Abd ar-Rahmân al-Madjdhoûb (909/1504-976/1569). Voir Abderrahmane Rebahi, Qâl al-Madjdhoûb, AlgerLivres éditions, 3e éd. revue, Alger, 2011, p. 37, quatrain n° 21.
111
ْ ���ت ْم َهِن����ي َقْب
���ل َم���ا َن ْع َر ْف ُك��� ْم
ْ ُكْن
َ � �ت نَْ ُك�� ْم ف ْب
ْ � �ادِي َم ْث
ان
ْ � ُكْن
ْ الس��ْل َط
ُّ �ل
Ô
FUMÉE DU
126
BENJOIN !
ُ ���وب َرِب���ي لَ َقانِ���ي ِب
����ك ْم
ْ َواْل ُي���و ْم َم ْك ُت
َ َو
ْ �م
����ان
َ ل����ك اْل
ّْ �ج
ْ مل ْك ُتونِ���ي ِك َم���ا َي
ُ � �الل ��ي َّتَبَل ��ى ِب
ِ �ب
�ك ْم
ْ � َه �ذِي َح َال
ْ � �ت اْل َقْل
ُ َواهْ َم���ا َنْن َس
���ان
ْ ���اك ْم ِغي���� ْر ِف الَ ْك َف
J’avais l’âme en paix avant de vous connaître !
Je commandais dans mon pays comme un sultan…
Mais aujourd’hui que le décret de Dieu m’a fait vous rencontrer,
vous m’avez possédé comme possède le djinn !
Tel est le sort du cœur qui a été éprouvé par votre amour…
Par Dieu ! jamais je ne vous oublierai,
jusqu’à ce que je sois enveloppé dans les draps de mon linceul !
112
ْ ���ت ْم َهِن����ي َي���ا ْعَب���ا ْد * َقْب
���ل َم���ا َن ْع َقْل ُك��������� ْم
ْ ُكْن
ْ
�����ان
���اري ف�ِ���ي ْمدِيْنتِ����ي * ِك
ْ السْل َط
ُ ���ي�������ف
ِ ْن َس
ْ
َخِلي ُت�����ونِي ْهِب
صَب������ ْر َعْن ُك��� ْم
ْ ي�������ل * َم���ا َن
ْ ْم َش��� َو
�����ان
����ب َح ْر َق
ْ
ْ كبي��������دَة * َواْل َقلِ� َي
ِ ط اْل
ُ اشت َغ ْل َقْلِب���ي إِلَ ِب
ُ َواهْ َم�������ا َنْن َس
ْ �اك������ ْم * َو َما
�ك ْم
�ان
ِ وح * َوْن
ْ َح َت ��ى تَْ � ُر ْج ِل ��ي ال � ُر
ْ � ����ر فِ� ��ي الَ ْك َف
ْ �ص
J’étais en paix, ô serviteurs de Dieu !
avant de vous connaître…
127
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Je circulais librement la nuit dans ma ville,
comme un sultan !
Vous venez de me laisser complètement fou,
incapable de me consoler de votre absence…
Mon petit foie est sur le gril
et mon petit cœur tout en flammes !…
Par Dieu ! je ne vous oublierai jamais !
Et jamais mon cœur n’aura d’autre sujet de préoccupation
que vous !…
Jusqu’au jour où me quittera mon âme
et où je serai enveloppé dans les draps de mon linceul !
113
ُ ���ت َمْن ُك��� ْم َوال
���ت َب���� َرانِ�����ي
ْ اصَب ْح
ْ ُكْن
ْ ِيك��� ْم * َو
ْ �الص
ْ �الص
�ف ال َثاِن��ي
ْ �ُكْن
ُ * �ف الَْ َو ْل
َ �ت َف���ي
َ ص� ْر ْت َف
َ ول�����وا ْل ُسْل
ُ َواْل ُي���و ْم َي���ا ْع���� ُذولِي * ُق
ط������انِي
����ح ْمُله * َواْل َع������ ّْز َرَب���انِ�������ي
َ ال��� ُذ ّْل َم�����ا َن
J’étais des vôtres à part entière,
or voilà qu’à présent je suis un étranger !…
J’étais au premier rang
et maintenant je suis relégué au deuxième !
Aujourd’hui, ô vous mes censeurs !
allez donc dire à mon sultan
Que l’opprobre, je ne le supporterai pas,
car c’est dans la fierté que je fus élevé !
Ô
FUMÉE DU
128
BENJOIN !
114
ْ ْخ
ُ ���ت َند
�وب�������ي
ْ ِك ُكْن
ِ ���ل َونَْ��� ُر ْج * َوْن َط َم����� ْر ْحُب
ْ
الس
ْح���� ّْد ُثوا ْح
������ر َوال�ِن�� َي�������ة
َ َوَنت
َ * �دي�����ث
ّْ
ُّ ت����ح
ِ * الط َع���ا ْم
ّْ طوا لِ���ي
َ ���ون ْم
�خِب����ي
َ
ْ الل���ي ْي ُك
ْ َواْل ُي���و ْم َي���ا ْع ُذولِ���ي * ِك
���ت الِن َي���ة
ْ ي���ف َح َال
ْ �ْخ
ُ �ت َند
ْ ���ل َوَن
�ون َم ْر ِخ َي��ة
ْ �ْر َج ْع
ِ �خ ُر ْج * ْن
ْ ��ب َال ْع ُي
ْ � صي
Au temps où j’allais, entrant et sortant à mon aise
et veillant à j’ensilage de mes grains1,
Nous échangions des propos
de confidence en toute bonne foi…
Vous me serviez alors à manger la nourriture
qui était précieusement tenue celée…
Mais aujourd’hui, ô vous mes censeurs !
la bonne foi s’étant flétrie,
Me voici entrant chez vous ou en sortant,
et je constate dans vos yeux un air de profond dédain !
1. N’tammar ’hboûbî ـوب
ِ (نْطَ َمـ ْر ْح ُبـj’ensile mes grains) au lieu de la leçon certainement
fautive où l’on trouve : nthammar hboûbî ـوب
ِ ( نْ َث َمـ ْر ْح ُبـje fais fructifier mes grains), qui n’a
pas de sens pour le plus simple connaisseur, car c’est à la notion d’ensilage qu’est lié
le mot grain (habb, plur. : hboûb) et à celle de fructification. Cette mauvaise transcription – un thâ’ ثau lieu d’un tâ’ ( طt mouillé sonore, comme dans tabl, tambour) – est
à l’évidence due à une mauvaise prononciation du mot. Cf. K. Mhamsadji, Le jeu de la
boûqâla, op. cit., p. 138, n° 70.
115
ُ َبالَ ُك���وا ْت ُق
����دت
ول���وا ِك َر ْح ُت���وا ْتَن َك
ّْ
129
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
�ب َمْنُبو َت ��ة
ْ � الس َك� � ْر َف� ��ي اْل َقْل
ُ َح ْج � َر ْت
���ج������ َرة
ْ ���اح
َ ِوي������ َذا َط
ْ �����ت َح
�������ت َي ُاق�����و َت�����ة
صْب
ْ
َ َرانِ���������ي
Détrompez-vous de croire que lorsque vous m’avez quitté
j’en ai éprouvé une quelconque peine !…
Il y a toujours un morceau de sucre qui pousse dans mon
cœur.
Chaque fois que de ma main tombe un caillou,
C’est une hyacinthe que je retrouve à sa place !
116
َ ْب َي�دِي َق
�ت ُل��ه اْب َزا ُره
ْ ��ت الّْل َح����� ْم * َو ْب َي�دِي ْع َمْل
ْ �ط ْع
ْ ���ت َال
َْ ْب َو ْذنِ���ي
�����ن َق ُال���ه
ْ س ْع
ْ ���ك َا ْم * َو ْع َر ْف
ْ ���ت َم
ِ اش
ْ
ْ ������ل اْل َع���ا ْر * َو
َي���ا َق��ا َي
����ح
ْ الل�����ي َت�� ْرَب
ْ السَب������� ْع ف َغاْب� ُت����ه * َخِل���ي َال
���ح
ْ ���ك َا ْب َتْنَب
ّْ
ِ
De ma propre main, j’ai découpé la viande
et de ma propre main je lui ai mis son assaisonnement.
De ma propre oreille, j’ai entendu les paroles malveillantes
et j’ai ainsi su qui en était l’auteur !…
Ô toi qui tiens de si odieux propos !
Qu’as-tu donc à y gagner ?
Le lion est dans sa forêt,
qu’on laisse donc aboyer les chiens !
Ô
FUMÉE DU
130
BENJOIN !
117
ُ �ولوا ُق
ُ � ��ول ��وا ُق
ُ ُق
وصْلنِ� ��ي
ُ ول�� ��وا * ُقوْل ُك�� ْم َر
َ اه ��و
َواهْ َم��������ا فِ���� َي������ا * َح َت���ى ِش������ي ُدونِ���ي
�اب
ْ �ر ْعَل ��ى ز
ْ � ��َه�� ْو الدُن َي ��ا * َك ْر ُه��ونِ��� ��ي الَ ْحَب
ْ � ِغ
�����اب
�س
َش ّْر ُق�����وا َس�� ْع�������دِي * َو ِط
ْ
َ ي�������ري اْن
ِ
Parlez, parlez, et parlez encore !
Vos paroles sont parvenues jusqu’à moi.
Mais, par Dieu ! il n’y a certes en moi
aucune chose répréhensible !
Ce n’est qu’à cause des plaisirs de ce bas monde
que mes amis m’ont détesté.
Ils ont chassé mon bonheur vers le levant
et mon oiseau s’est volatilisé1.
1. L’oiseau (tayr), être aérien par excellence, est un symbole sentimental et onirique très marquant, qui exprime l’idée de liberté, d’amour, d’espoir… On signalera
bien sûr tous les aléas d’une traduction qui, en l’occurrence, est forcément approximative.
118
ِ
ِ ���ر
ْ الل���ي َط���ا ْر لِ���ي * َي
صْب�� ُت����ه
َ ���اك َرانِ������ي
ْ الط
ْ َق��ال ِل��ي َمَن ْك َه� َذا
ّْ ����ال َفاء * َو َمَن ْك ُك
�اب
ْ ������ل الَ ْسَب
�اب
ِ أَ َف ْر ُحوا لِي َس� ْعدِي ت َْسـ َڤ ْم * َو
َ �ري اْن
ْ �����ص
ِ �������طي
L’oiseau qui m’a échappé,
sachez donc que je l’ai retrouvé.
131
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Il m’a dit: « Tu es la cause de cet éloignement
et à toi incombent tous les torts ! »
Réjouissez-vous pour moi ! Ma chance s’est corrigée
et mon oiseau a enfin été retrouvé…
119
ِ أََنا
ْ يف ال ّْذ َه ْب * َن ْع َي����ا َوَن ْر َج������ ْع ِس
ْ اللي ُكْن ْت ِس
ي�ف
ِ أََن���ا
ْ كم
َْ ���ت َع
ْ
ي�����ف
���ال ش����ِْر
ْ الل���ي ُكْن
َ ���ال * َوَباْل
ْ اْل ُي�����و ْم َي����ا َع
ْ ن * ْر َج ْع ْت فِ�ي َذا ال ّْز َم ْان ْر ِه
يف
ْ ��ِاشق
ّْ َْ���ب َال ْعزي��� ْز * َوان
ْ ْ ْ
ْ
ِي��������ف
صن
ْ ���ط َلل َت
ِ ْ اْن��� َذ ّل ال َقل
Moi qui naguère fus un sabre d’or,
me voilà à présent devenu sabre ordinaire !
Moi autrefois homme docte et savant
Que ses qualités parfaites rendaient plus noble encore,
Aujourd’hui, ô vous amoureux !
me voilà, en ce temps présent, devenu tout chétif !
Mon cœur naguère si fier est aujourd’hui humilié,
jeté en pâture à toutes les critiques !
120
َ �م����� َز ْق
���ان َت ْر َع���ا ُده
ِ طْب�����لِ�������ي * َب ْع��� ْد
َ ص
ْ يح
َ ْت
َْ اشت َفا ْوا
ِ ْظهَ���� ْر
ْ الل���ي مَْ��ِب�����ي * َو
ِين ف ا ْو َرا ُده
ْ اسد
ْ ال
Ô
FUMÉE DU
132
BENJOIN !
اه ْل َم ْن ا َدا ُته ِعيُنه * َو َيدُه َو َر ْجُل�����ه َل ْف َس��ا ُده
َ َي ْس� َت
La peau de mon tambour s’est déchirée
après que son bruit eut si longuement résonné alentour…
Ainsi s’est étalé sur la place publique ce qui était caché,
et désormais les envieux se réjouissent de l’extinction de ses
sons…
Il mérite bien son sort, celui-là que son œil,
sa main et son pied ont eux-mêmes conduit à sa ruine !
121
ْ ي���ض * َو ْم ِر
ْ َق ُال���وا ْخلِيلِ���ي ْم ِر
اس
ْ ي���ض َباْل َو ْس����� َو
اس
ْ ��ْر َكْب
ْ ��ت ْعَل������ى ْبغِيْلتِ���ي * ْنِي
ْ �ب ُله ال� ّْد َواء َم ْن َف
�اس
ْ � ِجي
ْ � صْب
َ * �اس
ْ � �ت ْال َب
ْ � �ت َالْب َك� ��اء َوالَن
ْ � �اب الّْن َح
َ اك اْل
ْ ���ت َذ
ْ ����ت َذ
اس
ْ اك ال������� ّْد َواء * َو َه َر ْس
ْ ص
ْ َق
ْ ���ك
ْ ���َوَب� ْر َك
اس
ْ �اك َي�����ا ْع ِويْنتِ���ي * َما َتْب ِكي ْعَلى َوْل� ْد الَن
On m’a dit que mon bien-aimé était malade,
souffrant de troubles de l’âme…
J’ai alors enfourché ma petite mule
et suis partie quérir pour lui un remède dans la ville de Fès1.
À mon retour, arrivée à la porte du malheur2,
j’y trouvai les gens attroupés et tout en sanglots.
Je jetai alors au loin le remède
et en fracassai la fiole !…
Mais arrête-toi donc, ô ma petite prunelle !
de verser des larmes sur le fils des gens…
133
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
1. Le Maroc était – et demeure jusqu’à présent – réputé avoir les magiciens et les
désenvoûteurs les plus habiles, médecins de l’âme hors pair, hautement qualifiés dans
la guérison des personnes maléficiées…
2. Bâb an-nhâs de bâb an-nahs (litt. « porte de la malchance, du malheur »), que
l’auteure de ces vers nomme ainsi par dépit, en raison de l’événement macabre qui s’y
est produit. Kaddour M’hamsadji, op. cit., p. 132, n° 57, a rendu le terme coranique
de waswâs par neurasthénie, choix tout à fait valable et légitime et qui ne manque
certes pas d’originalité… Cf. également Mourad Yelles-Chaouche, Le Hawfi…, op. cit.,
p. 294, n° 76.
122
َ ْ �اق ْعلِ� َي����ا
ْ ال
ْ ��اض َي
ْ يت ْبقْلِب���ي َي ْو َج ْعنِ�ي * َو
�ال
ْ حس
ِ
َ ِي���ت ُل���ه َباْل
َ ْ َش��� َرْب ْت ُل���ه
َ الْن
اس
ْ ظل���ة * َو َعد
ْ ���ك
ْ َ
اس
ْ ��ويْنتِ���ي * َم��ا َتْب ِكي ْعَل��ى َوْل ْد الَن
ِ َب ْرك�����اك َي����ا ْع
J’ai senti mon cœur me faire mal,
et un profond malaise s’est emparé de mon âme…
J’ai donc fait boire à mon cœur de la coloquinte
et lui en ai servi plusieurs coupes !
Arrête-toi donc, ô ma petite prunelle !
de pleurer sur le fils des gens !
123
َ يت ْال َال ْو
ْ طا * و
������ان
�����ت ْج���َن
ْ اهَبْلنِ�ي ِج
ْ َغ َر ْس
ْ َما
ْ
������ت َباْل َغَل������ة
َد َو ْر ُت�����ه ْب َط��اْب�� َي�����ة * َو ْط َم ْع
ْ
ّْ � �����ت اْل�� َو ْر ْد َوال ّْز َه�� ْر * َواْل ُف
ْ � ْغ َر ْس
�ان
ْ � ���يس
ِ �ل َو
َ الس
Ô
FUMÉE DU
134
BENJOIN !
َ ي������ب * َوَل����ى لِ������ي َد ْف
ْ َ ���ن
ال ِس
�ل����ى
ْ َواْل َي ْاس
ْ
ْ ْد َخ
���ان
َ ���ل الِي������� ْه َال ْع���دُو * َو َك َس��� ْر لِ���ي الَ ْغ
ْ ص
ِ �������ت فِي���� ْه * َو
الل���ي ْب َغ�����ى َيتْ��� َوَل
أََن���ا َسَل ْم
ْ
Oh ! quel fou j’étais lorsque je suis parti dans la plaine
pour y planter un jardin !…
Je l’ai ceint d’une clôture d’adobe,
avec l’espoir d’en tirer quelques fruits.
J’y ai planté des rosiers, des fleurs de toutes sortes,
du jasmin sambac et du lys…
Mais l’illustre jasmin
y devint pour moi aussi amer que du laurier-rose !
L’ennemi s’est introduit dans mon jardin
et a saccagé toutes les branches de ses arbres…
Moi j’y ai renoncé,
et que celui qui veut s’en occuper le fasse !
124
���ن
احَن���ا َال ْثن
ْ ُكَن���ا
ْ ِي�����ن * َف اْل ُغ ْر َف�����ة َجاْل ِس
ْ
ِ اب
ْ الل
يل َش َت ْتَنا
ْ ْنَن ِكي����� ْوا
ْ اع���دَاءَن������ا * َجا ْز ْعلِيَنا ْغ َر
ْ ي�������ن * ِك
ي���ف َق����� َد ْر ُمولََن���ا
ص����ا َد ْتَن�����ا ِع
َ
ْ
َ ْ � ان َم
�ت أََن ��ا
ْ � ���ت�ج���� َر ْع
َ �م * ِك َم ��ا
ْ َم ��ا َك
ّْ � َْ�ن ج�� َر ْع ال
Nous nous trouvions tous les deux,
assis seuls dans la pièce haute,
Faisant crever de dépit nos ennemis,
135
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Lorsque, pareille à un noir corbeau, la nuit passa au-dessus
de nous
et nous dispersa !…
Un œil maléfique nous a atteints
ainsi que l’a décrété notre Seigneur !…
Personne n’a jamais avalé autant de peines
que moi-même en ai avalées !
125
الس�� َف ْر * َواَن ��ا ْت�� َو ّْح ُش�� ��ه َقْلِب� ��ي
َ � ُخو َي ��ا َع ��ا ْد ْم
ّْ �ن
شي ْع� ُت�������ه
ِْ الس َم�������اء * ُك�وُن������وا
ّْ َي���ا نُْ���و ْم
َ
ْ �خ������اء * ُك�وُن����وا ْف��� َر
َي���ا ْرِبي��� ْع اْل
اش ُت������ه
ْ ِوي��� َذا ْع َط
ِي�������ن َوالَ ُت���������ه
���ش ُخو َي���ا * اْلع
ْ
���ون ُح َس���ا ْد ُته
ْ ���ن ْع ُي
ْ َو َرِب���ي َال ْك ِري��� ْم ْيَن ِجي��� ْه * َم
Mon frère est revenu de voyage
et moi, mon cœur s’ennuie tellement de lui…
Ô vous étoiles du ciel !
soyez sa petite chandelle !
Ô vous herbes de la campagne déserte !
soyez pour lui un lit douillet !
Si mon frère a soif,
la sourse est à sa portée…
Et puisse Dieu le Très-Généreux le préserver
du mauvais œil de ses envieux !
Ô
FUMÉE DU
136
BENJOIN !
126
ْ َ �ن َه� َذا
ْ �ال ِري
�ف * َو َم��ا لَ ْق ِب َي��ا ُش ْرِب���������ي
ْ �َمِلي
ْ ��ت َم
ْ احوا الَ ْو َر
�يت أََن�������ا َر ْجلِ�����ي
ْ ��ن * َط ِم
ُ ن َط
ْ ْمِن
ْ اق الَْ ّْوِل
ِ
ْ الل
ِي���ب * َوالّْنهَ����ا ْر َع����� َذْب��نِ����ي
ْ ي���ل َجانِ���ي
ْ صع
ُ ْ ول���وا
ُ ُق
َ �ج�����ي ْي� َر
اف ْق���نِ����ي
ِ لو َي���ا َال ْع ِزي��� ْز * ْي
Je suis las de cet automne
et le seul fait de boire de l’eau m’écœure !…
Dès que s’étaient mises à tomber les premières feuilles des
arbres,
moi, j’ai replié mes jambes.
La nuit m’est très pénible
et le jour est pour moi un vrai supplice !…
Allez donc dire à mon frère chéri
de venir me tenir compagnie.
127
محَل���ة َش��� َو ْر
َ ْ َي���ا
َ ْم��������ا ْم * َش��� َو ْر َلْل
َ ح���ا ْم َبال ّت
َْ ���ش ْعَل���ى
ُ ال ِاب َي�����ة * َواْن��� َز ْل ْعَل���ى ا ْل ِڤ
ْ َع َش
ـــون
ْ يط
َ�َس
ْ �ط َذ
ْ ���ل ْم ْعَل��ى ُخو َي��ا َال ْعزي� ْز * ف َو ْس
اك اْل ُق������و ْم
ِ
ِ
Ô colombe en tout point parfaite,
Cours donc rejoindre la caravane !
Fais ton nid sur la grande jarre
et va te poser sur la guitoune !
137
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Transmets donc mon salut de paix à mon frère chéri
qui se trouve au milieu de ces gens-là1 !
1. Cf. Mourad Yelles-Chaouche, Le Hawfi…, op. cit., p. 332, n° 114. Le texte du
hawfî que donne l’auteur est de loin beaucoup plus cohérent que celui de la variante
proposée par K. M’hamsadji (op. cit., p. 115, n° 16), et dont l’énoncé a donné lieu à
une traduction en contresens. Force est de reconnaître ici que la tradition orale tlemcénienne, mieux conservée, est beaucoup plus authentique et sûre que celle d’Alger,
dont le lourd « destin national » et le statut de capitale, donc de ville de convergence
et d’accueil, a exposé le riche et précieux héritage culturel andalou à toutes sortes
d’adultérations et d’avanies depuis le début de la période turque.
128
ْ
�ح
�م������� ْع
ُ اْل
َ ����وش ْم َرَب�������� ْع * َو َق� ْر ُم����و ُده َيْل
َ �������ل ْقِب
ّْ
يل���ة
���ن ُك
َوالَن
ْ ����اس مَْ ّْف�� َت���������ة * َم
ْ
َ اط����ري * أََي���ا ْم َرِب�����ي ْطو
ْ ���ر َي���ا َخ
يل���ة
ْ َأ
َْ ص
ِ
ِ
La ferme est de forme carrée
et les tuiles de sa toiture brillent de tout leur éclat…
Les gens sont assemblés alentour,
venus de toutes les tribus.
Patiente donc encore, ô mon âme !
les jours de Dieu sont longs à venir…
129
ْ َرِب��ي ِس��يدِي َم��ا
اط� َو ْل ْعِل َي��ا ْل َيالِي َه� َذا اْل َعا ْم
ُ ُُْي���و ْم ام
ان ْك َا ْم
ْ ان َش���اء اهْ َم�������ا َك
ْ ول���و ْد
Ô
FUMÉE DU
138
BENJOIN !
َ � الص
َ � �ا ْح ْم
ْ � رِب ��ي ِس ��يدِي َي ْع َم
ان
َ �ل َف�� ��ي
ْ �ك
�������ان ْبعِي�������� ْد
�������ن َك
ْي َق�������� َر ْب َم
ْ
ْ
َم ْش��� َي ْت َع���ا ْم َت ْر َج����� ْع ِف ْنهَ���ا ْر ْف ِري��� ْد
َ ات
َت َم ْع���دُو َدة
ْ ���ر َج������������از
ْ ����ام
َ َي
ّْ الش
َ ر َمْب ُس
ان َشاء اهْ َومَْدُو َدة
ْ �ام
ِ ْ ات
َ ��َو َي
ْ وط���ة
ْ ال
Dieu ! ô Toi mon maître ! combien sont pour moi interminables les nuits de cette année !
Le jour du Mouloud, si Dieu le veut, sans faute, mon Dieu et
maître rendra possible la réalisation d’une bonne affaire !
Il rapprochera alors celui qui est éloigné,
Et ainsi la marche d’une année s’accomplira en un seul
jour !
Les mauvais jours sont passés en nombre limité,
Alors que les beaux jours seront pleins de joie et, plaise à
Dieu, interminables !
130
ِ َال ْع���دُو
َ الل���ي َي ْط َغ���ى * اهْ ْي
����خ َي ْب َم ْك������� ُره
ِ اب
ْ � الل ��ي َي ْع َط
�ش * اهْ َي ْسقِي���� � ْه َم ْط��� � ُره
ْ َوال ّتْ� � َر
ِ َو
ْ الل
ي����ل َرا ْه ْم َش������ى * َواْل َف ْج����� ْر لَ ْح َع ْك��� ُره
ِ ال َم���ا ْم
ْ َ َو
الل���ي َط���ا ْر * اهْ ْي������ َر ُده ْال َو ْك��� ُره
L’ennemi qui fait montre d’arrogance,
Dieu fera avorter son stratagème !
139
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
La terre qui a soif,
Dieu l’arrosera de son ondée…
La nuit passée,
voici l’aube qui manifeste sa rougeur…
Quant au pigeon qui s’est envolé,
Dieu le ramènera dans son nid !
131
َ
ْ
ْ
ْ اع
����ف الَ ْق���������دَا ْر
َ ���ري * َو َس
ِ ل َت ْقُن���ط َي���ا َخاط
ْ اه
َه������ ْر اْل َف�����انِ�����ي
َ �م
ْ ����ب * ال�د
َ �م
َ َو ْت
ْ صا َي
ْ ������ل َل
ْ َ���ن ِف ال
ض��� َرا ْر
ْ ام
َ َم���ا َد
ْ ������ت َش�������دَة * ْعَل���ى َم
�ج������ َو ْز * َدْني ُت���������ه َه����انِ����ي
َ الص�اَب���� ْر ْم
َ َو
Ne désespère point, ô mon âme !
et sois accommodante avec les arrêts du destin.
Use de bonne patience envers les calamités
de cette vie éphémère !
Car l’adversité ne dure jamais
pour celui qui est dans la détresse,
Et celui qui fait preuve de patience
passera sa vie dans la paix1.
1. Cette « boûqâlah » constitue en réalité la première partie d’une belle qaçîdah
du grand poète populaire Abdallah Benkarriou (1871-1921), avec quelques légères
modifications par rapport au texte figurant dans le dîwân de ce dernier (publié à Laghouat en 1999). L’attestation de cette pièce dans le corpus usuel des boûqâlât est une
preuve évidente que les amatrices du jeu n’étaient pas dénuées de lettres et ne répugnaient nullement à aller chercher les beaux vers là où ils se trouvaient !
Ô
FUMÉE DU
140
BENJOIN !
132
ْ ض
ي����������ب
ي���ق * َف��� َر ْج اهْ ْق ِر
ِ َي���ا َقْلِب����ي لَ ْت
ْ
ِ
ْ ������ن * َي
ْ طَل
اح�������ه
الس ْج
ُ ���ق اهْ ْس َر
ْ
َ الل���ي َف����ي
ْ َ ���وف ْولِي��� ْد
ْ ُش
��ي������ب
ص
ِ ال َم���ا ْم * َب ْع������ ْد ال َت ْق
ْ
ْ ْخَل
��اح�������ه
ُ �جَن
ْ ���ف ْعلِ��ي������� ْه اهْ * َو َق َي��� ْد َب
َ َواْل َع
ْ
اح�����ه
اش
ُ ���������ق َرّْبَن������ا * ْي��َب����ا َد ْر َب ْس��� َر
mon cœur ! ne te resserre pas,
car la délivrance de Dieu est très proche…
Celui qui est en prison,
Dieu lui rendra bientôt sa liberté !
Considère donc un peu le petit du ramier :
après qu’on lui a coupé le plumage des ailes1,
Dieu vient de le lui faire repousser,
et le voilà donc qui recommence à voler de ses propres ailes !
Et il en est-de même de l’amoureux que notre Seigneur
s’empresse toujours de délivrer de ses peines !
1. Le taqçîb est une opération qui consiste à couper les plumes des ailes d’un pigeon que l’on cherche à apprivoiser, en le laissant en liberté dans une cour, un jardin,
une terrasse, afin de l’empêcher de s’envoler.
133
ّْ اع َم
ْ
ْ ��������ب َو
ْ ه���م ْط ِر
اض َح
أَْل َع
ي���ق
ْ �������ك * َو
ْ
ّْ ���ل َلْل
����مت اهْ َم ْو ُج���و َدة
َي�������ا َس����ا َي�ْل��نِ������ي * َر ْح
ْ
ِ �ن َه� َذا
ْ �الضي
�ق
ْ �َق������������ا َد ْر َرِب�����������ي * ْي َف ّْكَن��ا َم
141
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
ّْ ََْوي
ْ �����ل * ْمَن�����از
ْ طَن��������ا ف َم ْث
َل َم� ْر ُف�������و َدة
ِ
ْ َق���د
َاش َم���ن ِّن ْع َم�����ة * َعْن��� ْد َرِب���ي َم ْو ُج���و َدة
Amuse-toi, ris
et trace un chemin pour évacuer le souci…
Ô toi qui m’interroges !
la miséricorde de Dieu est bel et bien réelle !
Dieu peut facilement
nous délivrer de cette peine
Pour nous installer dans des sortes de belvédères surélevés !…
Que de bienfaits
auprès de Dieu existent !
134
َ احتَن�������ى َو ْتَن
ُ ُق
ِ ول��وا
ْض
َ لل��ي
��ك����� ْد
ْ ص ْد ُره * َو
َ اق
َ
َ ش َي ْتَن
ْ ْي َش��� ّْد ف َحْب
ْ ��������ا
��ك������ ْد
الر َج���اء * َو ْع
ّْ ���ل
ِ
ِ وح��ه َل
ِ * �ر
ْ ������م َث
ص ْد
ُ �ل ُر
َ َْالل��ي َم��ا َي� ْز َر ْع َم��ا ي
َ ْي
ْ �لط
َ َو َيت
ِ * ْ��������ل ْعَل�������ى اه
ْ
َ الل���ي َم���ا ْي
اح��� ّْد
ْك
َ ض َي��� ْع
Dites à celui dont la poitrine s’est resserrée1
et qui s’est courbé et mis en peine
De bien se cramponner à la corde de l’espérance,
car à quoi bon donc se ferait-il du chagrin ?!
Qu’il prenne exemple sur l’oiseau,
qui ne sème ni ne moissonne
Et qu’il s’appuie donc sur Dieu,
Ô
FUMÉE DU
142
BENJOIN !
qui jamais n’abandonne aucune de Ses créatures.
1. Variante : allî dâq çabrû (« celui dont la patience est à bout ») au lieu de allî dâq
çadrû (« celui dont la poitrine s’est resserrée »), leçon qui, bien entendu, est beaucoup
plus logique dans le présent contexte !
135
�ون
ْ � أََن ��ا َقْلِب� ��ي َم ��ن ْال ُم ��و ْم ْر َج�� ْع َكاُن
ِ اع���ة َي ْڤـ
ّْ ��َاب الَن��ا ْر ُك
ـدي فِي� ْه
َ �ل َس
ْ َم ْش�ه
ون
ْ صَب�� ْر َح ّْب ال ِزي ُت
ْ صَب�� ْر َيا َقْلِب���ي َما
ْ َأ
َ � وي
ّْ �ا َف � ْر ْخ
الظلِي � ْم َط��ا ْر الَن ْس � ْر ْعلِي � ْه
ِ
َ �وي
َ �ا َف
ون
ْ �اخ
ُ �ص��ه َرا ْه َم ْس
ُ �ت فِ���ي َق ْف
ْ �ج
ِ
ْ ��وف ْي ُش
ْ �الش
ُ
ْ ���وف َو َال
وج ح َرا ْم ْعلِي ْه
ْ �خ ُر
َ � وي
َ��ا َم ْس
ْ ���اجنِيُنه ْج ُي
�وش ال� ُرو ْم
ْ ��ل ْم َس
ِ
َْ
����حدِي ْد ِف َيدِي��� ْه
َ الد
ْ ْم���ة يَْ��� َد ْم َو َال
ِ َه���ذِي ْعَل���ى
َ الل������ي ْي َس
���ل ْم ِف َي���ا
َ َواَن���ا َم������ا ْن َس
�����ل��������� ْم فِي��� ْه
Moi, mon cœur, de tant de peines, s’est transformé en brasero !
Le tisonnier, à chaque instant, y ravive les flammes…
Résigne-toi donc, ô mon cœur ! à l’exemple des olives qu’on
gaule
Ou de l’autruchon1 sur qui s’abat l’aigle !
Ou comme la blanche tourterelle en sa cage captive,
143
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Qui peut regarder au-dehors, mais pour qui sortir est chose
interdite !…
Ou encore comme un musulman prisonnier des armées des
Roûm2,
Voué aux travaux forcés et les mains chargées de fers !…
Ce que je dis concerne l’homme qui m’a laissée tomber,
alors que moi, je ne puis me résoudre à renoncer à lui !
1. Farkh ad-dlîm désigne l’autruchon, poussin de l’autruche (n‘âm). Appelée également dlîm, l’autruche était un gibier de choix, très abondant, vivant en troupeaux
dans plusieurs régions sahariennes. On peut donc supposer que l’auteure de cette
boûqâlah habitait, ou avait habité, une région où l’on pouvait voir des autruches à l’état
sauvage. Parmi les exportations de la régence d’Alger vers l’Europe, les plumes d’autruche figuraient en bonne place ! Il faut noter ici que plusieurs fermes d’élevage d’autruches avaient été créées durant la période coloniale, notamment dans le Sud-Oranais (Aïn Sefra), dans le village colonial de Trezel (Djebel Nador, à 27 km de Tiaret),
à Alger (Jardin d’Essais du Hamma et Kouba)… Complètement disparu ou presque de
tout le Sahara où l’on pouvait en rencontrer encore il y a quelques décennies, ce grand
oiseau coureur semble aujourd’hui retenir l’intérêt des autorités algériennes chargées
de la préservation de la faune et de la flore, qui œuvreraient sérieusement à sa réintroduction dans des zones protégées. On l’espère de tout cœur !
2. Voir, plus haut, pp. 54-55, boûqâlah n° 14, note 1.
136
الس ُع������و ْد * َيْن َغ�� ْر ُس�����وا َباْل� ُع����و ْد
ْ ُل���و َك
ّْ ����ان
�ات ُعو ْد َو ُعو ْد * ِف َو ْط َية َو ْح������������دِي
ْ �س ْم َي
ْ َن ْغ� َر
ْ الس ُع������������و ْد * ف َي���د
َك َي���ا َم ْعُب����و ْد
ْ َل ِك
ّْ ���ن
ِ
الس ُع�����و ْد * َســـ َڤ ْم لِ���ي َس ْع�����دِي
ّْ َي���ا َســـ َڤا ْم
ُ � �اس اْل
�ب َو ْح��دِي
ْ �ك ّْل َب
ْ � ����احَباْب ُه�� ْم * َواَن ��ا ْغ ِري
ْ � الَن
Ô
FUMÉE DU
144
BENJOIN !
Si les heureuses chances
se pouvaient planter en bouture,
J’en planterais cent et une boutures,
dans un champ à moi seul !
Mais les heureuses chances sont en Ta Main, ô Dieu adoré !
Ô Redresseur des Chances !
redresse donc la mienne.
Les gens sont tous avec leurs aimés,
tandis que moi je suis étranger et esseulé1.
1. Cette fois encore, on trouve dans une boûqâlah à peu près les mêmes mots que
dans deux versions de l’un des nombreux quatrains (roubâ‘iyyât) attribués à Sîdî ‘Abd
er-Rahmân el-Medjdhoûb (909 H./1504 J.-C.-976 H./1569). Voir Abderrahmane
Rebahi, Qâl al-Madjdhoûb, op. cit., p. 67, quatrains n°s 81 et 82.
137
ْ �ص
�ل فِي� ْه ال�دَاء
َ َقْلِب��������ي فِ���ي َش�����دَة * َو ُك ّْل َم ْف
اه�������دَة
ْص
َ ان
ْ َح َت���������ى اْل َك��ْب�����دَة * َبالِني���� َر
اح���دَة
ُل���و َك
َ ��������ان ال�������دَاء * َي
ْ تج��� َر ْع َم��� َرة َو
ْ
اح�����دَة * َولَ ْش��� َفا َي ْت الَ ْع���دَاء
ْ ُم����و َت������ة َو
Mon cœur est dans la peine,
chacune de mes articulations est minée par le mal…
Et mon foie lui-même
est dévoré par les flammes.
Si tout au moins le mal
pouvait être absorbé d’une seule traite !...
145
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Mieux vaut mourir d’un seul coup bien porté
que de s’offrir en spectacle pour réjouir ses ennemis !
138
ُ
ي���ح
ْ ���اوي ْوا ال ِر
ِ ْي َد ِوي�� ْوا ْي َد ِوي�� ْوا ْي َد ِوي�� ْواْ * كّْل ُه��� ْم ْي َس
َ ِي����ح * َو َقْن��دِيلِ�������ي
���اوي
ْ َواَن���ا َس��� ْعدِي ْمل
ِ ض
ي��ح * َو ُك ّْل َما َنْبنِ�ي أََنا َي ْس َجى لِي
ْ ُك ّْل َما َيْبنِ�ي َبَنا ْي ُه ْم ْي ِط
َ وع
َ ال
ْ
أََن������ا ِب���اهْ َوِب
يالِ���ي
ْ ��������ك * َي���ا ُب
ِ ْ ���ا ْم
Elles caquètent, elles caquètent, et puis elles caquètent
encore !…
mais toutes ensemble, elles ne valent que du vent.
Tandis que moi, ma chance est heureuse
et ma lampe, si lumineuse !
Tout ce que construit leur maçon s’effondre
et tout ce que moi je construis résiste et tient bon.
Je m’en remets à Dieu et à toi,
ô Sîdî Boualem El-Djilâlî !1
1. Dans une version remaniée de cette boûqâlah, aseptisée, le dernier vers devient :
ْ َرانِي َشادَة ف
وم َيا َعالِي
ْ يْ َيا َق ُي
ّ �اه * َي��ا َح
ْ ِي���ك َي���ا
Rânî châddah fîk yâ ’Llâh/yâ Hayy yâ Qayyoûm yâ ‘Âlî
C’est à toi que je me cramponne, ô mon Dieu !
Ô Toi le Vivant ! Ô Toi le Subsistant ! Ô Toi le Très-Haut !…
Cf. K. Mhamsadji, Le jeu de la boûqâla, op. cit., p. 143, n° 83 et n.
Ô
FUMÉE DU
146
BENJOIN !
139
���اب�������ي * َد َف���ة ْعَل������ى َد َف�����ة
َر ِد
ْ
ِ ي���������ت َب
َ اش�����ي * َل َف�����ة ْع
�ل�����ى َل َف���ة
َو ْط ِو
ْ
ِ ي������ت ْف� َر
َْ َواَن���ا َس��� ْعدِي
َ ام�����ي َتْن
طف���������ا
ِ ش َع�����ة * َج
J’ai refermé ma porte,
en ajustant chaque battant contre l’autre.
Puis j’ai plié le linge de ma literie,
une pièce après l’autre.
Quant à moi, mon bonheur est un cierge
qui jamais1 ne s’éteint.
1. Le mot jamais َجا ِمــيest en français dans le texte, ce qui, vraisemblablement,
et à moins d’une altération a posteriori, permet de situer l’auteure de cette boûqâlah
comme ayant vécu bien après la conquête de l’Algérie par les troupes françaises –
probablement même après l’Indépendance ! –, et qu’il s’agissait même d’une femme
suffisamment « acculturée » pour employer des mots français dans la conversation
féminine arabe ordinaire..
140
ْ َ �اب
�ت َي ��ا ُم����� ��ولَ ْه
ْ � ْم ِش
ّْ � �ان * َو َع َيط
ْ � �يت ْال َب
ْ � الَن
َ
ْ �����أَ ْرَب
ْ �ْخ
ْ ������������اَب
ْ ��ل ْن ُش
ُ �ك * َند
ْ ��وف ِكي
�ف َرا ْه
�ط ْك
�ن ُكَن��������ا فِي � ْه
ْ ������َي��ا َح ْس � َرا ْه ْعَل��ى ْجَنانَن��ا * ْمنِي
َّ
الص َغ���ا ْر َيَل ْعُب���وا فِي��� ْه
ّْ الط���ا ْر َوال َتْن َت�����اَن�������ة * َو
ْ ش َع َش
ْ َواْل ُي������و ْم َي�������ا لََل����ة * ال��� َزا َو
���ش فِي��� ْه
ْ َ ���ن
ِ���ن * َمْل ْكَن��������ا َن ْف����دِي������ ْه
ْ الن
ّْ ََْو ُي���و ْم َم���ا ي
147
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
Je me suis dirigée vers la porte du jardin
et j’ai crié : « Ô propriétaire de ce lieu1 !
Attache donc tes chiens,
que je puisse y entrer et constater l’état où il se trouve ! »
Hélas ! pour notre jardin et pour l’époque où nous en étions
les maîtres !…
Finie l’époque où la musique du târ et les chants l’emplissaient
et où l’on y voyait les enfants s’ébattre !…
Or aujourd’hui, ô Dame mienne !
les moineaux y ont établi leurs nids…
Mais il viendra un jour où le Maître de la Pitié nous fera
miséricorde,
et alors nous pourrons racheter notre bien2 !
1. Au lieu de la leçon sans doute altérée de ce texte de hawfî où l’on trouve yâ
moulây ( يَــا ُمــوا َْيlitt. « ô mon seigneur ! »), je préfère celle, plus juste et plus cohérente, qui donne : yâ moûlâh ( يَــا ُمــواَ ْهlitt. « ô toi, maître de [ce lieu] ! »), lecture qui
s’accorde parfaitement bien d’ailleurs avec la rime en -âh de tous les autres vers.
2. Cela suppose que la poétesse (ou plutôt le poète ?) s’attendrit ici avec tous
ces accents nostalgiques sur une propriété familiale sous hypothèque (rahn) ou toute
autre forme d’aliénation temporaire.
141
َ َجا َي�������� ْز ْعَل��ى َباْبَن������ا * ْيِبي� ْع َف
�اص اْل َعالِي
ْ �اللْن َج
ام����������ه َعالِ�����ي
ُ ���ومه َغالِ���ي * َو ْم َق
ُ َتْل َق���ى ُس
َ ي�������ف * َو ْي َس
ِ َي ْر َح������ ْم
ْ
الض
���خ ْف ال َزا َوالِ������ي
ْ
ُ ������ل
جي���� ْع الَ َهالِ���ي
اه
َ َي ْس َت
ِ ْ ���ن
ْ الش ْك������ر * َم
Ô
FUMÉE DU
148
BENJOIN !
Il passait devant notre porte,
vendant des poires du plus haut choix,
De prix fort cher
mais de très haute qualité !…
Elles réjouissaient l’invité
et mettaient en appétit le pauvre hère !…
Un homme pareil mériterait la gratitude
de tous les gens du quartier !
142
يب����ي َم���������ا ْن َو ِري������ ْه
َس
ّْ
ِ ������ر ْحِب
ْ َ �ت
ْ � ��ح
ام ��ة
َ �م نَْ َف � ْر ُل ��ه َق
َ ال َج � ْر
ْ َت
ّْ � الص
َ ْث
َ ���ا ْث ْقَن
��������ت ْعلِي��� ْه
�اط������ ْر َذ َوْب
ْ
ّْ اح���ه َعْن��� ْد
ام���ة
ُ َو َم ْف َت
َ الط ُي���و ْر الَْ َو
ِس���ي������������دِي ِس����ي�������������دِي
ْ
ْ اجَب
��������ك ْد َوا َي���ة
���ك ْقَل��� ْم َو ِعيَن
ْ َح
Le secret de mon aimé, je n’en dévoilerai rien.
Sous le roc dur et sourd, je lui creuserai un trou profond
d’une toise !
Je ferai fondre sur lui trois quintaux d’airain,
Puis j’en confierai la clé aux oiseaux errants… !
Mon Seigneur ! mon Seigneur !
Ton sourcil est un calame et ton œil un encrier !
149
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
143
َْ ِ���ن َال
َ َي���ا
ْ الَب
���ل * أَ ِد ْونِ����������ي َع�������� ْز ِري
ْ الطاْلع
َ
ْ
����ري
ّْ َن ْر ِح���ي ْل ُك��� ْم
ِ الر َح���ى * َوْنل َق��������ط الَن ْس
َ ف َخ
ِ * اب
ْ اط��� ْر َذ
ْ
ّْ اك
����ري
ْ الش���َب
ُ الل���ي ْلَب
ِ اس���ه َعك
ِ
Ô vous qui partez en montagne !
prenez-moi donc avec vous comme esclave…
Je moudrai pour vous le grain
et ramasserai les roses sauvages…
Rien que pour l’amour de ce beau jouvenceau
à l’habit couleur amarante !
144
َ اع
ِ يق��ي َو ْت َو
يت
ْ �م��ِن
ْ ض
ْ ْر َف�د
ِ ْت اْب ِر
ْ يت * َرِبي
َ طانِي َما ْت
J’ai pris mon aiguière et j’ai fait mes ablutions rituelles :
Dieu m’a alors accordé tout ce que je souhaitais…
145
ِ ���ت َف
ْ
الل
ي�������ل * َن ْطُل
ْ ْخ َر ْج
ْ��������ب َف������ي اه
ْ
ْ � �������ن * ْب ِسي� �دِي ْر ُس
ْ � صْب
َ
ْ � �ت الّْن ُج ��و ْم َدا ْي ِري
ْ�ول اه
َ
ْ
������ال
���������ول * اْل َغ
ُك ّْل نَْ َم���ة ْت ُق
ْ������������ب اه
ْ
ْ ���ر َم���ا
َ
ْاع َط�����ا ْه اه
ْ اح��� ّْد َم���ا َي���دِي ْب َي���دُه * ِغ
Ô
FUMÉE DU
150
BENJOIN !
Je sortis dans la nuit
implorer Dieu…
Je trouvai les étoiles en cercle
autour de mon seigneur l’Envoyé de Dieu1 !
Chaque étoile disait :
« Le Vainqueur est Dieu !
Nul n’emportera dans sa main,
hormis ce que Dieu lui aura accordé ! »
1. Rasûl Allâh, c’est-à-dire le Prophète Mouhammad.
146
ْ ���ب َنْن َس
ْ َرِب������������ي َرِب�����������ي * َم���ا َر
���اك
ْ اك َغا َي
َي���ا َح
�������ي لَ َيَن���ا ْم * َو ِّف���������ي ُم������� َرادِي
ّْ
ّْ * ْ���������ب َعْن����� ْد اه
َن ْطُل
ان
ْ الشهَ�����ا َدة َواْل ُغ ْف���� َر
ْ
َ ْ َو
الَن����ة َي�����������ا إِلَ ْه * َواْل���� َو ْر ْد ْو َس���������ادِي
ْ
ُ َند
ْ ��������ل َوَن
�خ���� ُر ْج * َونّْن َق������ ْم َع ْد َي���انِ�����ي
ْخ
Mon Dieu ! mon Dieu !…
Tu n’es point absent pour que je risque de T’oublier !
Ô Toi le Vivant qui jamais ne dort !
veuille donc bien exaucer mon vœu.
Je demande de la part de Dieu
la Chahâdah1 et le Pardon,
Ainsi que le Jardin du Paradis, ô mon Dieu !
où j’aurai des roses pour coussins…
Alors, j’entrerai et sortirai à ma guise
et ferai crever de dépit mes ennemis !
151
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
1. La Chahâdah (litt. « témoignage ») désigne ici la profession de foi des musulmans, premier des cinq piliers (arkân) sur lesquels repose l’islam, et qui consiste à
dire : Achhadou an lâ ilâha illâ ’Llâh wa achhadou anna Mouhammadan rasoûlou ’Llâh
(Je témoigne qu’il n’est de dieu que Dieu et que Mouhammad est l’Envoyé de Dieu !).
Cette formule est la clé de voûte de l’islam et elle est considérée comme étant « la clé
du paradis » (miftâh al-djannah), sachant que sans elle aucun acte pie du musulman
ne serait valable… Notons, par ailleurs, que le mot chahâdah signifie également le fait
de mourir pour la cause de Dieu, comme martyr-témoin (chahîd) élu par Dieu.
147
َْ ال ْم َع���ة * َوف َي���دِي َن ْش��� َع ْل
َ ْ ���ت ُي���و ْم
ش َع���ة
ْ ْخ َر ْج
ِ
وم َعة
ْ ص
ْ ص
ُ وت امُْ َؤ َذ ْن َف
ُ َناَبانِ�����ي
ُ * �ن
ْ ����وت ْحنِي
ْ الص
ْ �����اج َت
َ �ك اْن
�ات
ْ ������قض
ْ الس��ا َد
ْ �َق��ال ِل��ي َيا َبْن
ْ ات * َح
َ �ت
�م ُم����دَة * َقال ِلي َمن اْل ُيو ْم ْال َغدَة
ّْ ����ُقْل ْت ُله ِف َك
Je suis sortie le vendredi,
un cierge allumé dans ma main,
Quand m’appela une voix tendre,
la voix du muezzin dans le minaret…
« Ô fille des grands seigneurs ! me fut-il dit,
ton vœu va être exaucé !
– Dans combien de temps ? ai-je demandé.
– D’ici à demain !… », me répondit la voix.
148
ْ � ������اس�م�ِيَن����� ��ة * ف َو ْس
�ط ال�������دَا ْر
ْ � ْغ َر ْس
ْ �ت َي
ِ
ْ جبي����� ْر * َو
�ج����ا ْر
َ اط������ َرا ْفهَا َزْن
ْ ْع ُرو ْقهَ���ا
ِ اس َكْن
Ô
FUMÉE DU
152
BENJOIN !
ْ���ن َخاْلقِ���ي * ْن��� ُزو ْر ْم������ َع ال ِز َي���ار
ْ ْتَ����ِن
ْ يت َم
����مي امُْ ْخ َت����ا ْر
ِ ْن��� ُزو ْر َقْب���� َر الّْنِب����ي * اْل�ه
ِ َ�اش
J’ai planté un jasminier1,
dans le patio de notre maison.
Ses racines sont gingembre,
et ses rameaux vert-de-gris…
Je souhaite de la part mon Créateur
qu’il me mette au nombre des Pieux Visiteurs.
Ainsi visiterai-je le tombeau du Prophète,
le hâchimite élu de Dieu2.
1. Pour rendre ici le mot de yasmînah, je préfère le joli parallélisme linguistique
qu’offre le néologisme de « jasminier » afin d’éviter de traduire par « arbuste de
jasmin », comme je le fais d’ailleurs plus haut pour rendre l’expression de chadjrat
al-yâsmîn.
2. Al-Hâchimî al-Moukhtâr – l’un des nombreux surnoms du Prophète – fait allusion à la tribu des Banoû Hâchim, la plus noble de tous les clans qouraychites. L’expression signifie que, pour porter son dernier message à l’humanité, Dieu a d’abord
choisi les Arabes, puis au sein des Arabes, son choix s’est porté sur les Qouraych,
habitants de La Mecque, puis, d’entre les Qouraych, il a choisi le clan de Hâchim, l’ancêtre éponyme des Hâchimites, puis, enfin, parmi ces derniers, il a élu Mouhammad,
le Sceau des Prophètes (Khâtim al-Anbiyâ’). Le genre madîh (panégyrique) de la poésie
populaire maghrébine (melhoûn) abonde en belles épithètes de ce genre, notamment
dans les qaçîdât de Sîdî Lakhdar Ben Khloûf.
149
ُ ْ �اس * ْي َس ��ا ْف ُروا فِي�� ْه
ْ َ ُي ��و ْم
�اج
ْ � ال َج
ْ � �س َي ��ا ْن
ْ � ال ِمي
اج
ْ ���اح َالْب َح��� ْر * َوت َْڤـا ْف ُلــــوا الَ ْم����� َو
ْ ْتهَ��� ُزوا ْر َي
�ي�����ت
���ن َحِب
ْ
ْ �ب����ي * أََن���ا َو َم
ِ ْن��� ُزو ْر َقْب���� َر الّْن
153
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
رانِ���ي
ْ �ب�����ي * ْم��� َع
َ اهلِ���ي َو ِج
ِ ْن��� ُزو ْر َقْب���� َر الّْن
�ب����ي * َح َج��������ة َوَب ْر َكانِ�����ي
ِ ْن��� ُزو ْر َقْب���� َر الّْن
C’est le jeudi1,ô bonnes gens !
que partent en voyage les pèlerins.
Les vents de la mer se sont levés
et les vagues roulent les unes sur les autres.
J’irai visiter le tombeau du Prophète,
moi et celui que j’aime.
J’irai visiter le tombeau du Prophète2
avec toute ma famille et mes voisins.
J’irai visiter le tombeau du Prophète,
un seul pèlerinage, et suffit pour moi !
1. Le jeudi (al-khamîs) est considéré comme jour faste pour entreprendre un
voyage, d’après la Tradition (Sounnah). Le çahâbî Ka‘b ibn Mâlik, a témoigné qu’il
«arrivait rarement au Prophète de sortir en voyage si ce n’était le jeudi » (Çahîhs d’alBoukhârî et de Mouslim). Voir Riyâd aç-Çâlihîn d’an-Nawawî, avec le commentaire du
regretté Dr Sobhî El-Saleh : Manhal al-Wâridîn. Sharh Riyâd aç-Çâlihîn, éd. Dâr al-‘Ilm li
’l-Malâyîn, Beyrouth, 1980 (8e édition), pp. 578-579, hadith n° 954.
2. Le tombeau du Prophète se trouve à Médine – al-Madînah al-Mounawwarah –,
à l’intérieur même du Masdjid an-Nabawî (Mosquée du Prophète), dans la pièce même
où il avait rendu l’âme, et non pas à La Mecque, comme se plaisent toujours à le
croire et à l’écrire – par pure ignorance ! – beaucoup d’auteurs occidentaux !… La
visite du tombeau du Prophète a lieu lors des huit journées que les pèlerins passent
dans la deuxième des trois villes saintes de l’islam – la troisième est el-Qouds
(Jérusalem!), alors que les rites du grand et du petit pèlerinage se déroulent à La
Mecque où se dresse la Ka‘bah, la Maison Sacrée de Dieu (Bayt Allâh al-Harâm). On
a, à ce sujet, l’excellent et très vivant livre de Hadj Naçr Eddine (Étienne) Dinet &
Slimane Ben Brahim Baâmer, Le pèlerinage à la Maison sacrée d’Allâh, Hachette, Paris,
1930 (nombreuses rééditions). Lire également : Abdel Magid Turki et Hadj Rabah
Souami, Récits de pèlerinage à la Mekke. Étude analytique. Journal d’un pèlerin, éd. G.-P.
Maisonneuve & Larose, Paris, 1979.
Ô
FUMÉE DU
154
BENJOIN !
150
ُ ْ �س َي ��ا ْعَب ��ا ْد * ْي َسا ْف��� ُروا فِي�� ْه
ْ َ ُي ��و ْم
�اج
ْ � ال َج
ْ � ال ِمي
ُ ْر َم�������ا ْوا َال ْق
اج
��ل
ْ
ْ ������وع * َو ْتَل ُم������وا الَ ْم������ َو
َ �ت ل
اج
ْ ِيل
ْ ر َك
ِ اهْ َي ْع
ْ ����ت ْامِ ْع َر
َْ طي ْه ُتوَب�ة َو َح َج�ة * ْب
C’est le jeudi, ô serviteurs de Dieu !
que partent en voyage les pèlerins.
Ils déploient les voiles,
tandis que confluent les vagues.
Que Dieu lui1 accorde un
repentir et un pèlerinage,
Par la bénédiction de la Nuit du Mi‘râdj2.
1. Allusion à un être cher, au mari, au fils ou au frère dont les mœurs sont dissipées et pour lequel on supplie Dieu de le guider dans le droit chemin.
2. Référence à la Laylat al-Mi‘râdj ou Nuit de l’Ascension miraculeuse du Prophète dans les Cieux, en compagnie de l’archange Djibrîl (Gabriel). Voir Coran, sourate Le Voyage Nocturne {al-Isrâ’}, XVII, 1, et sourate L’Étoile {an-Nadjm}, LIII, 1-18.
– Voir également el-Bokhârî, L’Authentique tradition musulmane, choix et traduction
de G.-H. Bousquet, éd. Fasquelle, Paris, 1964, chap. III, pp. 62-63, hadith n° 26. Cet
événement miraculeux s’est produit alors que le Prophète se trouvait toujours à La
Mecque, peu de temps avant son émigration à Yathrib, la future Médine. Bien que ne
faisant pas partie du calendrier des fêtes religieuses canoniques, la Laylat al-Isrâ’ wa
’l-Mi‘râdj est aujourd’hui généralement célébrée dans la plupart des pays musulmans
qui ne sont pas soumis à l’influence idéologique de la secte wahhâbite.
151
������وس
�������ت َح ْر ُق
الس ْم�������� َراء َع ْمَل
ْ
ْ
َ
َ
ان
ْ ض ْح ُك�����وا ْعلِي�����ه������ا اْل�ج�ِي���� َر
������������وس
����س��������� ْم اْل َق ُط
ْ
َ َو ْت�����َب
155
PETITE
ANTHOLOGIE DES POÈMES DU JEU FÉMININ DE LA
BOÛQÂLAH
الس ْجَنة
َ ����م ْع ِب�هَ��������ا اْل
ْ �ج
َ ْس
َ ����اج َف
�����وس
�������ام������ ْز ْعلِيهَ���ا ُب�و َر ُي
َو ْت َغ
َ
ْ
ِ ������ل
ْ
الل���ي َم���ا َي ْع��� َر ْف ِش���ي
اه
َ َي ْس َت
ْ
������وس
����م
َو َي ْق ُت
ُ �������ل ُر
ُ وح���������ه ْب
ْ
La noiraude s’est bricolé un harqoûs1…
Les voisins se sont moqués d’elle
Et le matou en a bien ricané.
Les poules entendirent parler d’elle au fond du poulailler
Et les pies-grièches se sont
lancé des œillades à son sujet.
Ainsi, bien fait pour qui n’y connaît goutte aux belles choses
de la vie
Et qu’il aille se tuer donc d’un bon coup de couteau !
1. Sur le harqoûs, se reporter, plus haut, pp. 103-104, à la boûqâlah n° 83, et
note 1. La couleur noire de la poudre utilisée pour la confection d’un harqoûs ne produisant aucun effet de contraste sur une peau naturellement sombre, on peut facilement deviner la risée à laquelle va s’exposer la femme qui en use si inconsidérément.
Il y a un proverbe algérien qui dit : « Si tu veux te payer la tête d’un homme au teint
très foncé, fais-lui donc porter un habit rouge » (idhâ habbît tetmeskhar b’laçmar labbas
loû lahmar). La part de méchanceté raciste contenue dans cette boûqâlah est évidente,
et si je la fais figurer dans ce recueil, c’est uniquement pour montrer, sans fard ni
censure de ma part, l’un des nombreux travers et préjugés de la mentalité populaire
arabe, tels que les reflète le folklore. Les autres peuples et nations ne sont certes pas
logés à meilleure enseigne sur ce chapitre, je n’en disconviens pas, mais il faut toujours
commencer par balayer devant sa propre porte, c’est plus sain et plus honnête !
TABLE DES MATIÈRES
Dédicace……………………………………………………7
EN GUISE D’INTRODUCTION
Une histoire de pot de terre, de poésie,
de jeu et de divination………………………………………13
!
Texte arabe vocalisé, traduction et notes……………………37
Ô FUMÉE DU BENJOIN
Quelques modèles de textes du rituel préliminaire
du jeu de la boûqâlah…………………………………………39
achevé d’imprimer en mars 2016
sur les presses de l’imprimerie mourad hasnaoui
9, rue m’hamed-bouchakour. alger. tél. : 021 74 70 83
Imprimé en algérie
Printed in Algeria