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COMUE UNIVERSITÉ SORBONNE PARIS CITÉ UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE – PARIS 3 ED 120 – Littérature française et comparée THALIM (Théorie et histoire des arts et des littératures de la modernité) Thèse de doctorat en Littératures comparées Elara BERTHO Mémoires postcoloniales et figures de résistants africains dans la littérature et dans les arts. Nehanda, Samori, Sarraounia comme héros culturels. Thèse dirigée par Xavier Garnier Soutenance le 25 novembre 2016 Jury M. Xavier Garnier, Professeur des universités, Sorbonne Nouvelle Mme Florence Goyet, Professeur des universités, Université Grenoble 3 M. Pierre Halen, Professeur des universités, Université de Lorraine M. Ivan Jablonka, Professeur des universités, Université Paris 13 Mme Tiphaine Samoyault, Professeur des universités, Sorbonne Nouvelle Mme Cécile Van den Avenne, Maître de Conférences HDR, ENS de Lyon Mémoires postcoloniales et figures de résistants africains dans la littérature et dans les arts. Nehanda, Samori, Sarraounia comme héros culturels Tour à tour gloires nationales, héros, pères fondateurs ou au contraire tyrans sanguinaires et sorciers malfaisants, les résistants africains à la colonisation ont souvent connu une grande fortune littéraire et suscitent la fascination collective. D'abord investies par la littérature orale africaine et par l'historiographie coloniale, ces figures émergent souvent au tournant des indépendances et font leur apparition sur la scène culturelle : romans, pièces de théâtre, ballets, films, chants s'attachent à réécrire l'histoire dite nationale des nouveaux États. Interroger les représentations en littérature et dans les arts de ces figures héroïques, c'est donc analyser l'écriture de l'histoire en acte, la mémoire collective et l'imaginaire commun en formation. Notre hypothèse est la suivante : les arts, et la littérature au premier plan, jouent un rôle prépondérant dans la création d'identités collectives. Il s'agit donc de vérifier de manière pragmatique la place du fait littéraire, et plus généralement artistique, dans la formation d'imaginaires collectifs, de lier littérature, histoire, société afin d'expérimenter que la littérature n'est pas qu'un « lieu de mémoire » sanctuarisé. La littérature est alors liée au fait politique, au sens large de construction du vivre-ensemble dans et par les discours. Mots-clés : Mémoire, héros culturel, Niger, Zimbabwe, Guinée, représentations Postcolonial memory and figures of African resistance in literature and arts. Nehanda, Samori, Sarraounia as cultural heroes Great figures, national heroes, founding fathers or on the contrary tyrannical figures or witches, African resistants to colonisation often appear in literature and arts, and they possess a fascinating aura. Those heroes have emerged since the end of the nineteenth century in oral african literature and in the colonialist European literature. Then, they morphed into National heroes during the independence period and they still play a prominent role in today's African literature and in fictions more generally. The aim of my thesis is to analyse different kinds of updating those heroes, from 1890 to the contemporary world, in fictions and “texts” in its extensive meaning. This study is inspired by Certeau's approach to historical writing. Literature (theatre, poetry, novels...) but also other texts less valued by institutions or less studied as songs, ballets (in television or in theatres), school books (as history textbooks). The latter section requires fields research, as manuals cannot be found in France. Samori (Guinea Conakry), Sarraounia (Niger) and Nehanda (Zimbabwe) were converted from historical person into narrative characters, and as such they embody the memory of the colonization process, the fascinating values (with all connotations, whether positive or negative) of a group, and a collective imagination of history. Far from being a sanctuary dedicated to the preservation of memory and history, literature plays a major role in the construction of imaginative communities and in the elaboration of a common past. Literature, through such cultural heroes or “literary myths”, performs the critical function of encompassing as well as reshaping the lines of postcolonial memory. Keywords : Memory, cultural hero, Niger, Zimbabwe, Guinea, representations 2 TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS 13 INTRODUCTION. PARCOURIR TEXTES, IMAGES ET SONS : LA FIGURE HÉROÏQUE À LA CROISÉE DES ARTS 23 I PRÉSENTATION DU CORPUS : NEHANDA, SAMORI, SARRAOUNIA II CONSTITUTION DU CORPUS : MÉTHODE D’ENQUÊTE ET DE COLLECTE III HÉROS, FIGURE, MYTHE : NOMMER LE GRAND HOMME IV L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DU CORPUS, AUX LIMITES DE LA NOTION DE FICTION V DE L’APPROCHE COMPARATISTE, DES OUTILS LITTÉRAIRES 24 42 47 52 56 PREMIÈRE PARTIE. ÉMERGENCE ET DÉVELOPPEMENT DES HÉROS CULTURELS 61 INTRODUCTION. LA FIGURE SE CRÉE À L’INTERSECTION DES VARIATIONS DES INTERTEXTES 61 CHAPITRE 1 BIOGRAPHIES DES HÉROS CULTURELS : TRACÉS DES RÉACTUALISATIONS DE 1900 À NOS JOURS 65 1. LES FIGURES HÉROÏQUES DANS LA PÉRIODE COLONIALE 67 Les premiers textes sur Samori : littératures coloniales en langue française et littératures locales 68 Proto-récits sur Nehanda : traces, mentions, rumeurs 84 Sarraounia introuvable : silences de la littérature coloniale 91 2. GLOIRES NATIONALES DE L’INDÉPENDANCE 98 La littérature partisane : naissance d’une héroïne zimbabwéenne 99 La chanson militante de l’indépendance guinéenne : relecture nationale univoque 111 Le théâtre sur Samori : relectures internationales 115 Sarraounia, une héroïne à l’émergence tardive 122 3. LA PÉRIODE CONTEMPORAINE ET LE FOISONNEMENT DES RÉEMPLOIS 131 Sarraounia et l’ouverture des potentiels textuels 132 L’institutionnalisation maximale du héros culturel : un appauvrissement des textes ? 138 Des réécritures contradictoires : la polysémie « Samori » dans la sous-région 150 CHAPITRE 2 LA FABRIQUE DES HÉROS 169 1. ELITES EN RÉSISTANCE ET HÉROS DES SUBALTERNES 174 Nehanda « découverte » par un jeune historien britannique, et réécritures ultérieures 175 Les cadres des partis politiques et la production des chants partisans 181 L’industrie du disque 190 Le cas d’une résistance étouffée : l’idéologue et le pouvoir 193 Canonisation et voix des subalternes : l’historien contre la métropole 199 2. ELITES ADMINISTRATIVES ET FOLKLORISATION DES FIGURES : NATIONALISMES D’ÉTAT 203 Le Chef d’État et le culte de la personnalité 203 Labels musicaux, festivals nationaux : l’art du spectacle d’État 211 Les commémorations et la mise en scène du corps social 217 3. ACTEURS DU PANAFRICANISME : CIRCULATION INTERNATIONALE DES PRODUCTEURS ET DES IDÉES 224 Samori panafricain : le grand-œuvre de Sembène 226 Sarraounia, au croisement des militantismes : entre Mamani et Hondo 231 Contrepoint : connections internationales et socialistes de Nehanda 234 3 DEUXIÈME PARTIE. POÉTIQUES DES FIGURES HÉROÏQUES. QUELLES FORMES POUR QUELS PERSONNAGES ? 239 INTRODUCTION. DES ÊTRES TRANSFUGES : NOMADES ET INTERSTITIELS 239 CHAPITRE 1 DE LA VARIATION 1. REPRÉSENTATIONS GRAPHIQUES DES VARIANTES Sarraounia : dédoublement des structures narratives Nehanda : le cycle, et la bataille comme centre vide Samori : expansion dérivative du corpus. L’exemple du théâtre sur Karamoko 2. QUELQUES INVARIANCES : 243 243 250 254 258 MOTIFS TOPIQUES DE LA REPRÉSENTATION DU RÉSISTANT À LA COLONISATION Une accession au pouvoir d’exception Première rencontre avec les Blancs Désunions des peuples Noirs : le thème de l’occasion manquée 266 267 271 278 CHAPITRE 2 ATTRIBUTS ET PARADOXES 1. FAIT RELIGIEUX ET HÉROÏSMES : DE L’ATTRIBUT AU PARADOXE Chefs religieux et légitimation politique Soupçons sur la foi Credo littéraire 2. LA FIGURE HÉROÏQUE ET LE COMPLEXE DE CASSANDRE Prophéties. Inadéquations du dire et du faire Les harangues : mise en scène du collectif, au seuil de la défaite 3. LE PARADOXE DE LA GLORIEUSE DÉFAITE La défaite et l’éloge paradoxal Représentations de la guerre. Quelques choix de paradoxes Féminités guerrières 285 287 287 292 301 305 306 309 314 314 326 334 CHAPITRE 3 QUE RESTE-T-IL DE LA FIGURE ? L’HORIZON DE L’ÉVAPORATION 1. ÉCLATEMENT ET RECONSTITUTION : VERS LE FIGURAL Aires d’incompossibilités L’hypothèse de l’homonymie Spectralité et évaporation de la figure Des êtres de la rumeur collective : figures et Coryphées 2. LE NOM PROPRE DES FIGURES Une référence extralinguistique comme point d’appui Agir par exophore mémorielle 345 346 346 348 349 349 353 353 355 CONCLUSION. L’ÉVAPORATION PERMET UN POUVOIR IMAGEANT MAXIMAL 357 4 TROISIÈME PARTIE. CONSTRUCTIONS DES IMAGINAIRES HISTORIQUES. QUE PRODUIT LE RÉCIT ? 359 INTRODUCTION. PERFORMATIVITÉS DES FIGURES 359 CHAPITRE 1 LA FIGURE RECONSTRUIT LA MÉMOIRE HISTORIQUE 361 1. LA LITTÉRATURE N’EST PAS UN REFLET DÉGRADÉ DE L’HISTOIRE : DES OUTILS D’ANALYSE TEXTUELLE AU CROISEMENT DES DISCIPLINES 361 Pour sortir de la question du vrai et du faux 361 Une boîte à outils pour l’analyse des représentations : de la discipline 366 2. COMMENT ON RACONTE L’HISTOIRE : ENJEUX D’UNE LITTÉRATURE HISTORIQUE 372 Les partis pris des auteurs. Stratégies postcoloniales d’écriture de l’histoire 374 Écrire avec l’archive. Pour des usages littéraires de l’archive en analyse textuelle 388 Ethos et transvalorisation : de la structure à l’agrammaticalité pour expliquer la figure 403 3. UNE « GUERRE DES MÉMOIRES » JOUÉE PAR HÉROS INTERPOSÉS 413 Conflits de mémoires transnationales : une gigantomachie de représentations 417 Mémoires nationales, mémoires locales : de la violence symbolique du héros culturel ? Amnésies narratives 425 La capitale comme support de la commémoration : le champ de bataille de l’imaginaire 435 CHAPITRE 2 LA FIGURE ET LA PENSÉE DU MONDE EN CRISE 441 INTRODUCTION. PENSER LE MONDE EN CRISE : LA PUISSANCE INTELLECTUELLE DES RÉCITS 441 1. LA REPRÉSENTATION DE LA COLONISATION COMME PRISME POUR LIRE LES INDÉPENDANCES 444 Caricature et diabolisation des ennemis 445 Penser les indépendances : la place de l’islam 448 Penser les indépendances : les répressions politiques, la place de l’Europe 453 Conclusion : le sens d’un texte, sur le temps long 455 2. MISES EN ABYME DE LA PENSÉE LITTÉRAIRE DANS LES TEXTES 457 Trames secondaires : facultés exploratoires de la fiction 457 Mises en scène de la fiction : le mot comme arme 462 Figures de passeur, en demi-teinte : les interprètes 465 3. CONTREPOINT : FIGURES RATÉES, COMPAGNONS DE ROUTE, HÉROS MINEURS 469 Quatre figures de résistance shona 469 Ahmadou May Roumji, Babemba, Sarraounia : la trilogie historique d’Abdoulaye Mamani 477 CONCLUSION GÉNÉRALE 487 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE 495 INDEX 541 5 ANNEXES 553 I. TEXTES INÉDITS 1. Labarin Samori, Abu Mallam 2. Récits sur Samori du fonds « Yves Person » de la BRA Babou Condé, « Entretiens » Tidane Dem, « Notes historiques » 3. Conakry : archives sonores sur Samori Archives de la RTG « Keme Bourema », Orchestre de la Garde Républicaine « Almamy Mamaren », Bembeya Regards sur le passé, Bembeya Jazz National Le chemin du PDG, Bembeya Jazz National « Samory », Niandan Jazz « Almamy Samory », Fetoré Jazz « Keme Bourema », Balla et ses Baladins « Keme Bourema », Sory Kandia Kouyaté « Épopée du Manding », Ensemble Voix de la Révolution « Épopée du PDG », Ensemble Voix de la Révolution « Hommage à nos héros », Bafing Jazz « L’Afrique vaincra », Tropical Djoliba Jazz « Keme Bourema », Djeli Cira Cissoko Marché de Madina « Samori Tariku », M’Faly Franwalia Kamissoko « Diamori », Saramba Kouyaté et Djiba Kouyaté « Famagan Traoré », Laso Dumbuya, Sidiki et Saramba Kouyaté 4. Pièces du procès « Queen against Nianda » 5. Niamey : chants des phonothèques sur Sarraounia « Sarauniya », Orchestre Akazama de Doutchi « Sarauniya », Samaria dan Goudaou. Archives de l’ORTN « Sarraounia Ballet lyrique », Mahalba de Doutchi. Archives de l’ORTN 6. Enquête Mission Afrique Centrale 557 558 609 614 625 637 637 638 638 638 644 649 651 651 654 658 660 662 665 670 672 673 682 685 692 704 705 707 710 712 II. ICONOGRAPHIE 1. Manuels scolaires et mises en scène des figures 2. Les figures au cinéma 3. Imageries coloniales et postcoloniales 716 716 795 798 6 Remerciements Témoigner en quelques lignes seulement de ma gratitude envers Xavier Garnier serait nécessairement partiel. Je tiens simplement à le remercier ici de son soutien, de ses conseils de lecture déterminants, et de la générosité avec laquelle il a suivi les étapes de mon travail. Cette thèse menée en plusieurs langues et sur deux continents a été un véritable plaisir, et je le lui dois. Merci également à Cécile Van Den Avenne qui m’a transmis le goût de la recherche, des archives et du voyage. À Niamey, je remercie le LASDEL qui fait de sa bibliothèque un lieu vivant de recherches et de rencontres, Boukari Habou ainsi qu’Ali Hamadou des Archives Nationales du Niger, Benjamin Gnalega pour son accueil au CELHTO, les professeurs Boureima Alpha Gado et Antoinette Tidjani Alou de l’Université Abdou Moumouni, et Djibo Hamani qui m’a ouvert sa formidable bibliothèque et ses archives. Le soutien d’Erwan, l’aide d’Amina et d’Ernestine Beidari, ainsi que l’amitié de Souleymane Ali Yero ont toujours fait de Niamey un second foyer, et je ne saurais trop les en remercier. Enfin, le professeur Boubé Gado avait eu la gentillesse de répondre à mes nombreuses questions : que la terre lui soit légère. À Harare, j’ai bénéficié de l’invitation de l’University of Zimbabwe, et je remercie Margaret Chipara du Department of Modern Languages ainsi que Pedzisai Mashiri, le Dean of Arts. Merci également à Eddie Murphy de l’Arrupe College et Véronique Wakerley pour leurs conseils, et bien sûr à Josias Maririmba et Tsitsi Bwetenga pour m’avoir fait découvrir leur ville, leurs rêves et leurs lectures. À Conakry, mon séjour a été rendu possible, malgré les circonstances, grâce aux conseils avisés d’Odile Goerg, de Céline Pauthier et de Francis Simonis. Abdoulaye Diakité, au Ministère de l’Enseignement Supérieur, m’a permis de mener mes recherches en toute sérénité. Au Secrétariat Général des Affaires religieuses, Ibrahima Sangare et Karamo Diawara m’ont aidée au sujet du mausolée de Sékou Touré. Bangaly Diene Diane, de la RTG, m’a accompagnée sur les traces de Samori avec la simplicité et la ruse des diplomates, en toutes circonstances. À Dakar, je suis redevable à Clarence Delgado d’avoir bien voulu me faire confiance et d’avoir répondu à mes demandes sur Sembène Ousmane. Depuis Paris, les discussions avec Roland Colin, Jean-Dominique Pénel, Inoussa Ousseini ont été précieuses, de même que la confiance de la famille d’Yves Person, de Michèle Raffutin aux archives de la BRA, d’Isabela Will et de Stanislaw Pi!aszewicz de l’Université de Varsovie. L’enseignement de haoussa à l’INALCO de Jean-Charles Hilaire et Hadiza Nazal est un privilège quotidien, merci à eux deux d’avoir la patience des passeurs. La réflexion doit beaucoup aux lectures et encouragements de Sandra Bornand, d’Ursula Baumgardt, de Jean Derive, de Florence Goyet, de Jan Jansen, de Bertrand Masquelier, de Carole Matheron, de Marie Rodet, et de Fabio Viti. L’ENS de Lyon et l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 ont soutenu financièrement cette recherche. Aux relecteurs, parents et amis – Alain, Annick, Erwan, Kilian Bertho ; Lucie Terreaux, Laure Birckel, Justine Granjard, Pauline Guéna, Alice Jacquelin, Andrea Manara, Estelle Mouton Rovira ; Pierre Leroux et Francesca Tumia de Paris 3 ; Louise Barré, Elsa Paris, Florent Piton, du groupe de travail ; Sara Panata, Ninon Chavoz, Florence Wenzek de l’aventure d’« Afriques transversales » : merci pour vos avis, discussions, débats, objections, questionnements de tous ordres. Merci à Majnun, prince des poètes. 7 8 TABLE DES ABRÉVIATIONS UTILISÉES AEF ANC ANG ANN AOF BBC BRA BSAC CAOM CCFN CELHTO CFPM COGE FRELIMO IFAN INDRAP IRSH LASDEL MSA NADA NAZ NDP ONACIG ORTF ORTN OUA PCF PDG PPN PRA RBC RDA Afrique Équatoriale Française African National Congress Archives Nationales de Guinée, Conakry Archives Nationales du Niger, Niamey Afrique Occidentale Française British Broadcasting Corporation Bibliothèque de Recherches Africaines, Paris British South Africa Company Centre des Archives d’Outre Mer, Aix-en-Provence Centre Culturel Franco-Nigérien Jean Rouch, Niamey Centre d’Études Linguistiques et Historiques par la Tradition Orale, Niamey Centre de Formation et de Promotion Musicale, Niamey Commissariat à l’Organisation des Grands Évènements, Niamey Frente de Libertação de Moçambique (Front de Libération du Mozambique) Institut Fondamental d’Afrique Noire Institut National de Documentation, de Recherches et d’Animation Pédagogique, Niamey Institut de Recherches en Sciences Sociales, Niamey Laboratoire d’Études et de Recherches sur les Dynamiques Sociales et le Développement Local, Niamey Mouvement Socialiste Africain Native Affairs Department Annual, Harare National Archives of Zimbabwe, Harare National Democratic Party, Harare Office National du Cinéma Guinéen, Conakry Office de Radiodiffusion-Télévision française Office de Radiodiffusion-Télévision du Niger, Niamey Organisation de l’Unité Africaine Parti Communiste Français Parti Démocratique de Guinée Parti Progressiste Nigérien Parti du Regroupement Africain Rhodesia Broadcasting Corporation Rassemblement Démocratique Africain 9 RTG SCOA SFIO SHD SLP SOAS UDI UDN UGTAN UZ ZANLA ZANU ZANU-PF ZAPU ZBC ZIPRA Radio et Télévision de Guinée, Conakry Société Commerciale de l’Ouest Africain Section Française de l’Internationale Ouvrière Service Historique de la Défense, Fort de Vincennes Label musical Syliphone, Conakry School of Oriental and African Studies, Londres Rhodesia’s Unilateral Declaration of Independence Union Démocratique Nigérienne Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire University of Zimbabwe, Harare Zimbabwe African National Liberation Army (branche armée du ZANU) Zimbabwe African National Union Zimbabwe African National Union – Patriotic Front Zimbabwe African People’s Union Zimbabwe Broadcasting Corporation, Harare Zimbabwe People’s Revolutionary Army (branche armée du ZAPU) 10 NOTE SUR LA TRANSCRIPTION ET LA TRADUCTION Les traductions des passages cités sont données entre crochets. Elles sont de nous depuis l’anglais vers le français, et pour quelques textes haoussa vers le français. Pour les autres (haoussa, shona et malinké principalement), la mention du ou des traducteurs est précisée en fin de citation. Nous n’avons pas traduit les titres et les noms de fonctions qui n’avaient pas de correspondant immédiat en français. La thèse portant sur plusieurs pays d’Afrique, la transcription de certains noms propres et de concepts a posé de nombreux problèmes. Il existe en effet de très nombreuses variantes entre les transcriptions coloniales, les habitudes ponctuelles de chaque auteur et les législations nationales successives. Nous avons choisi de suivre la norme de transcription vulgarisée par l’usage, et nous avons ainsi, par exemple, préféré Samori à Samory. Les citations des œuvres du corpus sont fournies de manière abrégée, accompagnées du numéro de page, comme suit : An Ill-Fated People, p. 128. Les références complètes sont données dans le tableau introductif de présentation du corpus, et elles sont également reportées dans la bibliographie finale. 11 12 Avant-propos Dans l’écriture de la thèse perdure un reste, un ensemble de notations qui ne trouvent leur place ni en notes de bas de page, ni en introduction, ni dans aucune partie en cours de construction, mais qui pourtant manque au texte. Cette absence hante l’écriture si particulière de la thèse : quelque chose résiste à l’écriture académique, refuse de s’incorporer dans la mécanique et l’ossature du plan, pour demeurer en marge. Il faudrait dire ces marginalia, comme une longue première note de bas de page, qui aurait enflé pour contenir ce qui reste en dehors. Ce reste doit se dire à la première personne du singulier. Les quatre années qu’a duré ma thèse m’ont engagée, en tant que personne, et m’ont conduite à faire des choix, en France, et dans les différentes villes où j’ai séjourné, qui m’impliquent de façon singulière. Les présupposés épistémologiques, les joies et les difficultés du terrain, les biais de l’enquête sont souvent exposés en amont des travaux d’anthropologie. Mais lorsque le terrain est la littérature, quelle place donner à ces choix, qui sont de nature différente de celui d’une observation participante anthropologique ? Et d’ailleurs, comment définir le terrain du littéraire ? Souvent en bibliothèque, mais pas uniquement : les marchés, la radio, les salles de cours et les cyber-cafés investissent toujours déjà ce qui se joue dans les salles de lecture des bibliothèques. Tous ces lieux en constituent l’arrière-pays imaginaire, dont il faut tenir une cartographie si l’on veut saisir le rapport du livre au lecteur. Et même à l’intérieur des bibliothèques, en admettant de nous y restreindre un instant, une salle de lecture à Harare n’offre pas les mêmes possibles ni les mêmes rencontres que le rez-de-jardin de l’Inalco, et cela a un impact sur la collecte des textes, sur la manière de les représenter, d’en faire l’histoire littéraire, et de dresser des typologies. Il y a eu des textes fantômes dans ma recherche, que je n’ai pas trouvés et qui 13 pourtant sont quelque part sur un rayonnage ou en archives. Où dire cette perte1 ? Il y a eu, à l’inverse, des trouvailles inattendues dans le quartier d’affaires à Harare, et dans les grands marchés de Conakry, où les textes sont entrés par surprise dans mon corpus. Mais j’ai choisi en outre de ne pas arrêter le terrain du littéraire aux allées des bibliothèques, et de prendre au sérieux l’idée que la bibliothèque est une fenêtre sur le dehors, un lien vers l’extérieur, vers les imaginaires, les rêves, les pratiques et les usages des récits. Déployer les conséquences de cette hypothèse, avec toutes ses implications, c’est élargir le terrain de recherches au-delà du livre consigné et canonisé par l’institution. Mon travail a donc été celui d’une vaste enquête pour retrouver les traces de récits de la colonisation dans des revues, des mémoires, des livres d’écoles, des archives médiatiques, des chansons, anciennes et actuelles. Or, cette enquête a suivi plusieurs pistes, avec des embranchements, des intersections, des impasses et, à plusieurs reprises, des coupures radicales, qui m’interrogent. Si bien articulée soit-elle, l’architecture de la thèse ne peut dire tous les dessous de la recherche, qui pourtant l’informent. Parce que ce n’est pas son lieu. C’est, à la rigueur, le lieu de la marge, des remerciements, des bibliographies. Je voudrais m’expliquer ici au sujet de ces marges universitaires, des blancs qu’il y a dans le tableau et les listes qui constituent mon corpus, et de ces vides qui expliquent, à l’inverse, la présence d’autres textes. Une case blanche : la radio à Harare C’est certainement l’une des frustrations qui m’a le plus marquée lors de cette enquête : cette case blanche dans le tableau récapitulatif de mon corpus, qui indique l’absence d’archives provenant de la Zimbabwe Broadcasting Corporation, la radio d’Harare. Elle a signifié beaucoup, et elle est, aujourd’hui, avec le recul de l’écriture, révélatrice de la place que j’ai occupée, comme jeune chercheuse européenne, dans un pays qui n’en finit pas de reconstruire un vivre-ensemble post-apartheid. En septembre 2013, Robert Mugabe venait d’être réélu à nouveau. Le pays avait été longtemps dans l’attente de troubles, mais les élections n’avaient finalement pas provoqué les mêmes soulèvements qu’en 2004. Les gens circulaient tout à fait librement, 1 Des carnets de recherches sur Internet sont le lieu de réflexivité pour de nombreux chercheurs. Pour des carnets stimulants, voir l’Infusoir : http://infusoir.hypotheses.org/1984, consulté le 9 février 2016, Lecommun.fr, http://www.le-commun.fr/index.php?page=retour-sur-l-experience-du-journal-de-recherche, consulté également le 9 février 2016. Il me semble qu’il est important de chercher une place pour intégrer ces marges, à l’intérieur de l’espace de la thèse. 14 et j’empruntais les transports en commun, ces combis collectifs, tous les jours, pour aller à l’université et aux archives. J’avais rendez-vous un matin avec une archiviste de la ZBC, qui s’était montrée intéressée par mes recherches sur Nehanda. Elle m’avait même sélectionné en amont plusieurs enregistrements, dont un documentaire qui passe chaque année au moment des commémorations de l’indépendance. Malheureusement, je suis arrivée très en avance, puisque le temps de transport n’est pas toujours aisé à prévoir en combi. L’archiviste, de son côté, est arrivée en retard, ce qui m’a obligée à patienter devant la grille de la radio, où le gardien m’a immédiatement interrogée. Après avoir pris ma carte d’identité, contrôlé ma démarche et interrogée sur mon sujet de thèse, il a contacté l’archiviste, en route, sur son téléphone personnel, manifestement pour la réprimander. Il a basculé de l’anglais au shona. Lorsque l’archiviste est arrivée, elle n’a pu que me confirmer ce qui avait déjà été décidé au téléphone : l’entrée était devenue interdite aux étrangers, et le gardien ne semblait pas convaincu par mon sujet de thèse. Je n’ai rien pu faire pour prouver que je n’étais pas journaliste, que je n’enquêtais ni sur les élections ni sur Robert Mugabe. Un peu tard, j’ai réalisé que les fonctionnaires aussi étaient contrôlés, et que l’entrée des organes médiatiques, aux premiers rangs desquels figurait la ZBC, était bien plus surveillée que les radios que j’avais pu fréquenter au Niger. L’archiviste m’a ensuite confié qu’il aurait fallu rentrer dans sa voiture pour passer la grille d’entrée, ce qui supposait de n’être pas arrivée tellement en avance. À mon sens, cela n’aurait résolu qu’en partie le problème, puisqu’il aurait ensuite fallu demander des autorisations de lectures et de reproductions des bandes sonores, pour que je puisse travailler chez moi sur les enregistrements. De toute évidence, je n’aurais jamais obtenu ces permis de la hiérarchie. Une partie non négligeable de mes sources sur Nehanda demeure donc inaccessible, dans les cassettes audio des archives de la ZBC, qui avaient été pourtant déjà pré-sélectionnées pour moi, et mises de côté. Certains chants qui mentionnent Nehanda, et qui sont les plus connus, ont été réédités après 1980. J’ai donc pu me les procurer chez des disquaires, près de Nehanda Street, justement, par un hasard cartographique que je trouve parlant. Ce sont ces lignes bibliographiques qui correspondent, dans mon corpus, aux récits oraux sur Nehanda. D’autres, dans le revers de ces lignes, demeurent sur les rayonnages de la radio, inexploités. L’archiviste m’a déconseillé de tenter une nouvelle fois d’entrer, dans les jours qui suivirent ce refoulement particulièrement peu agréable. Je n’ai pas souhaité la mettre en difficulté, puisque l’incident avait été mentionné à son nom, et qu’elle était considérée 15 comme mon relai, à l’intérieur de la radio. Contrairement au Niger, où j’avais déjà travaillé, les allées et venues des fonctionnaires sont étroitement surveillées et consignées, et les gardiens n’occupent donc pas du tout la même position de force dans les réseaux de pouvoirs administratifs qu’à Niamey. Je n’avais pas assez mesuré ce changement d’économie politique dans la répartition des postes de l’administration publique. Je n’étais pas non plus à ce point consciente, en tant que jeune femme blanche2 investiguant sur un enjeu colonial, de ma propre position3, de représentante des anciennes puissances, précisément, coloniales. J’ai travaillé sur des mémoires vives et des recompositions de récits toujours actuels, tout en étant partie prenante de ce récit, que je l’assume ou non. Les rapports de domination ont été ce jour-là multiples, et à double sens. Cette case blanche qui en résulte, remplie en partie par les chants édités dans le commerce, renseigne également de cette position que j’ai occupée pour certains des acteurs que j’ai côtoyés : le gardien n’en a été que le cas asymptotique, qui révèle et souligne, en creux, d’autres relations de pouvoir que je ne peux nier. Archives et permis recherche : Niamey L’accès aux sources révèle également des apories bureaucratiques. Lors de mon second séjour à Niamey à l’automne 2014, j’ai décidé de revenir aux Archives Nationales du Niger, que l’on ne peut consulter qu’après avoir obtenu un permis de recherche. Le dossier demandé est assez long, et il a fallu obtenir des signatures de parrains scientifiques de l’université Abdou Moumouni. J’étais aidée dans mes démarches par un ami, doctorant en histoire, et enseignant en lycée. À nouveau, malgré de nombreuses tentatives, et malgré des rendez-vous réguliers au ministère ponctués d’attentes dans des 2 Sur ces intersections, et l’intersectionalité en général, je me réapproprie les concepts développés par Kimberle CRENSHAW, « Mapping the Margins" : Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color », Stanford Law Review, 43 (1991/6), p. 1241‑1299, dans les études des marginalités subalternes, en études de genre. 3 Je renvoie aux travaux sur la « translocational positionality », développés par Floya ANTHIAS, « New hybridities, old concepts: the limits of “culture” », Ethnic and Racial Studies, 24 (2001/4), p. 619‑641, pour qui la « positionalité » du chercheur est composée d’une juxtaposition de traits, pouvant avoir des effets contradictoires entre eux : la position sociale (que je construis ici, en tant qu’affiliée aux expatriés blancs français, qui constitue une classe particulièrement aisée à Harare), le genre (comme femme), l’ethnicité (dans un contexte post-apartheid). Sur la positionnalité du jeune chercheur, je signale la table ronde « Postionnalité du (jeune) chercheur sur le terrain », qui a eu lieu dans le cadre des JCEA (Jeunes Chercheurs en Études Africaines), à Paris 7 Denis Diderot, le 15 janvier 2016. Les interactions sont multiples, et ce refoulement des archives de la ZBC n’est pas représentatif, fort heureusement, de mon séjour à Harare, qui a été riche, par ailleurs, en rencontres et en amitiés durables, où la « positionnalité » se jouait alors sur d’autres critères. 16 antichambres, je n’ai jamais pu obtenir ce permis de recherche – que j’avais pourtant obtenu au Zimbabwe : cela prouve que les blocages institutionnels varient selon les pays. Le premier jour, je n’ai donc pas pu consulter la section coloniale des ANN, même si j’étais disposée à payer le prix du permis, fort cher au demeurant, mais mon dossier n’a même jamais abouti à ce stade du règlement des frais. Après discussion et exposé de la situation au personnel et à la direction des Archives, manifestement impuissant face à l’administration du ministère, il s’est avéré qu’il était en réalité possible de consulter l’ensemble des fonds, ce qui m’a permis de dépouiller les premières monographies coloniales sur la région de Dogondoutchi, et de confirmer que les mentions de la Sarraounia, jusque dans les années 1970, ne concernent que les affaires religieuses, et ne portent pas de trace de subversion politique. Il est encore moins question de soulèvement militaire, ce qui m’a été précieux pour mon enquête. À quoi peut servir un permis recherche délivré par un ministère qui refuse systématiquement l’accès aux sources, y compris aux Nigériens, comme j’ai pu le constater en discutant dans les longues files d’attentes, tandis que le personnel des archives régule, de manière semi-aléatoire, ce même accès, au bout de la chaîne ? L’archive, à tous les échelons, est un lieu de pouvoir sur les corps. Le mécanisme d’accès à l’archive en tant que tel est une construction de la mémoire : des cloisons qui ne sont pas nécessaires sont inventées. Mais pour se défendre de quoi ? D’un manque d’archives, en réalité. Il y a une demande forte, de la part des étudiants nigériens en histoire, bien sûr, mais de nombreux particuliers également, d’histoire, d’archives, de textes et de sources. Or, les archives nigériennes ne peuvent y répondre que de manière très partielle, notamment parce que de nombreux textes se trouvent à Dakar et à Aix-en-Provence. Les cloisons régulent la demande, opérant au passage des classements hiérarchiques des acteurs, renforçant des jeux de pouvoir, excluant par là même une partie des recherches. Traces de mémoire, et critères de scientificité, sur le marché de Madina Dans cette enquête sur les traces de la colonisation dans les récits, je n’ai pas voulu provoquer la création des récits et des sources, ni demander à des griots ou des chanteurs de faire des performances, pour plutôt me concentrer sur les réseaux d’échanges de textes et de récits existants. Dans le vaste répertoire des récits oraux, de nombreuses productions mentionnant Samori sont enregistrées en Guinée, qu’elles soient 17 orales ou néo-orales, pour la radio ou dans des théâtres par exemple. Aux côtés des archives nationales, de celles des musées, des universités, et des archives médiatiques des radios, les chants sont aussi échangés et achetés sur les marchés. À Madina qui est l’un des plus grands marchés d’Afrique de l’Ouest, en été 2014, la portion dédiée aux copies de CD de musiques et de films est assez importante. Les marchands les présentent sous plastique, avec des copies des pochettes des disques ou des DVD, depuis les productions américaines à gros budgets jusqu’aux chants en malinké ou en sosso. À la demande, il est possible d’obtenir des copies d’autres œuvres non présentées sur l’étal, que l’on parcourt dans des répertoires d’ordinateurs en arrière-boutique. Ces récits copiés sur CD, ou simplement sur clé USB, sont très volatils : ils ont un mode de diffusion extrêmement rapide, où les informations sur les circonstances de la performance originelle peuvent se perdre s’ils ne sont pas conservés dans le nom du fichier numérique. Le lieu de production, les acteurs, les musiciens, les chanteurs, les commanditaires, la date, le public sont de ce fait invérifiables. Ce sont souvent des chants de louanges enregistrés en province, dans les grandes villes où des chanteurs sont rémunérés par des notables. Ils sont ensuite copiés, parfois même envoyés à la radio à Conakry, où ils gagnent en reconnaissance institutionnelle. Se crée alors une économie de biens culturels fondée sur la reconnaissance du griot, en marge des labels de production musicale, où le nom du chanteur, seul, construit une réputation numérique, détachée de la performance d’origine. Le produit numérique, dématérialisé, n’en est pas pour autant nécessairement déterritorialisé, au sens où l’entendent Deleuze et Guattari : il peut au contraire conserver des ancrages forts avec la région, les patronymes, la langue, le paysage, la « terre » du lieu de production, et être revendiqué comme tel dans la capitale, à Conakry, par des travailleurs ou des familles qui ont l’impression de renouer avec un territoire mental partagé. Ces récits sont le réceptacle d’émotions sédimentées, qui sont réactualisées différemment selon les publics qui les réécoutent. Il va sans dire que ces textes sont problématiques, au sens où ils posent de véritables problèmes de scientificité, ne serait-ce que dans le référencement, dans l’écriture même de la thèse et de la bibliographie : comment renseigner les lignes de description de ces textes, que j’ai achetés sur CD, dont la référence est indiquée au feutre noir, à la main, par le vendeur ? J’ai choisi de les intégrer parce que je considère qu’ils incarnent l’économie contemporaine du chant dans ce qu’elle a de plus vivant à Conakry en ce moment, qu’ils sont le reflet d’une parole à la fois savante et populaire de la louange publique, et que l’orientation parfois satirique de ces textes constitue un 18 merveilleux terrain d’étude pour la réactualisation des figures historiques. Ils sont des débris de mémoire vivante, des traces des figures, qui ressurgissent dans le discours contemporain, virulent, évanescent, très proche de la rumeur collective. Pour une jeune chercheuse, pourtant, il y a un décalage apparent entre le cadre aussi informel que peut représenter le marché de Madina, en début de saison des pluies et en pleine épidémie Ebola, et l’importance scientifique que ces textes se sont révélés avoir. J’ai pris le parti, et j’ai choisi délibérément, de croire les informations données par le chanteur à l’initiale de ses chants, et les informations annotées par le vendeur sur le CD. Ce sont les informations qui sont consignées dans la présentation du corpus en introduction. J’ai également opéré un second choix dans l’écriture de la comparaison entre les textes, celui d’attribuer une égale dignité théorique à ces récits, au référencement problématique, et aux textes beaucoup plus canoniques, comme les réactualisations de Samori par Ahmadou Kourouma dans Monnè, par exemple, puisque je n’ai pas voulu instaurer de hiérarchies dans les productions culturelles que j’avais décidé d’incorporer dans l’étude. Tout en situant les textes le plus possible dans leur contexte de production, j’ai ensuite voulu les traiter sur un même niveau d’analyse. Positionnalité : Facebook et l’effet retour d’internet À mon tour, j’accentue le mythe : ma position s’est transformée de celle d’étudiante à celle de jeune chercheuse, en quelques années, et l’article publié en ligne sur Genre et Histoire à la fin de master 24 a eu un effet retour auquel je ne m’attendais pas. Sur internet, le besoin de figures héroïques, y compris, et peut-être surtout d’héroïnes, a vite conduit mon texte à être référencé sur Wikipedia5 et à être vulgarisé6. Rien que de très banal. Mais l’effet de spécularité devient plus étonnant lorsque l’avatar de Sarraounia sur Facebook reprend l’intégralité de la première partie de ce texte, sans le citer, dans ses statuts : il est tout à fait évident qu’il ne s’agit pas de la Sarraounia actuelle, mais bien d’un avatar, qui publie régulièrement des dictons en haoussa et en français, des photographies de la région de Dogondoutchi et des revendications politiques. Dans le courant de novembre 2012, l’internaute modérant la page « Sarraounia » reproduit de 4 Elara BERTHO, « Sarraounia, une reine africaine entre histoire et mythe littéraire (Niger, 1899-2010) » [en ligne], Genre & Histoire (2011/8), disponible sur <http://genrehistoire.revues.org/1218>. 5 https://fr.wikipedia.org/wiki/Sarraounia, consulté le 10 février 2016. 6 Sur le site « Rejected Princesses » : http://www.rejectedprincesses.com/princesses/sarraounia, consulté le 10 février 2016. 19 longs passages7 de mon texte disponible en ligne. Sarraounia étant l’interrogatrice des esprits et génies, je me retrouve dans la singulière position de parler à travers sa voix numérique. Je parle par Sarraounia, en quelque sorte, par un effet de voix imbriquées. Je suis surtout impliquée dans la construction de l’imaginaire, puisque la partie qui n’est citée de mon article ne reprend que la description de la doxa et la synthèse des représentations collectives, ce qui escamote les passages suivants, de l’analyse et de la déconstruction de la résistance qu’elle a menée. C’est le récit autour de la lacune et autour du vide des sources qui est récupéré, par ma voix imbriquée dans celle de Sarraounia sur Facebook : ce sont les hypothèses narratives construites par le romancier Abdoulaye Mamani et le cinéaste Med Hondo qui rencontrent du succès sur internet. La véritable Sarraounia, celle qui n’a pas de voix propre, à Lougou, qui parle derrière un voile blanc, en délivrant la parole des esprits, se trouve parlée par un avatar numérique, qui collecte un patchwork de mentions et de citations, pour former un collage folklorisant, résolument doxique, non subversif, tout à fait consensuel, sur la résistance à la colonisation. Et ma propre voix fait partie de ce collage, par un effet de mention partielle. Cette réappropriation anonymisée révèle, en réalité, que faire de la recherche sur des figures fascinantes, comme Sarraounia, Samori ou Nehanda qui sont au cœur de grands récits collectifs, c’est nécessairement, également, y prendre part, donc en être partie prenante. Je participe, jusqu’à un certain point, de cette narration, quitte à en perturber l’écosystème naturel : or, ce que Facebook révèle aujourd’hui – en tant que paradigme des réappropriations numériques, qui influence les représentations collectives (derrière les avatars) –, c’est que d’écosystème naturel, il n’y a pas. Mon travail est réabsorbé par le même procédé mémoriel que j’étudie. *** Ce que révèlent ces quelques points d’intersection de mon enquête, c’est que ma collecte des traces de la mémoire coloniale ne peut faire abstraction de ma propre position, et de mon corps constitué en enquêtrice – jeune, blanche et femme –, chacun de ces attributs produisant des effets différents, parfois contradictoires, pouvant s’ajuster à d’autres sous-catégories me définissant ponctuellement (étudiante, amie, usagère des 7 https://www.facebook.com/pages/La-reine-Sarraounia-Mangou-du-Niger/110932695629085, consulté le 10 février 2016. 20 transports publics, voisine régulière de bibliothèque…). Que ce corps situé m’a ouvert des portes, comme à Conakry où j’ai pu avoir accès aux archives de la radio très facilement, et m’en a fermé d’autres, comme à Harare devant les grilles de la ZBC. Parallèlement à cette dimension corporelle et située de l’enquête, celle-ci s’insère dans des réseaux de pouvoir et d’accès au savoir, où l’archive joue un rôle clé : la construction mémorielle est un mécanisme en cours, et je me suis trouvée dans la situation paradoxale d’interroger à la fois un refoulé, en déconstruisant les affiliations à la résistance, et de participer à le construire, sur internet par dissémination de ma voix. 21 22 Introduction Parcourir textes, images et sons : la figure héroïque à la croisée des arts Les grandes figures héroïques africaines célébrées par la mémoire collective comme Chaka Zoulou, Patrice Lumumba, ou Lat Dior, se trouvent au carrefour de différents champs culturels et de différents media. Prendre acte de cette situation de la figure, de ce lieu si particulier du croisement, c’est engager d’emblée une réflexion comparatiste et pluri-disciplinaire. Car la figure ne se limite pas au terrain de l’édition traditionnelle du livre imprimé, mais elle investit aussi les salles de cinéma, les postes de radio, les bancs de l’école... Elle n’est pas uniquement l’apanage de quelques intellectuels dans les champs institutionnalisés, mais elle se transmet aussi par des genres populaires moins étudiés. La figure échappe à la Bibliothèque : elle est résolument ancrée dans le monde. Elle fait dialoguer le livre avec les multiples autres formes de récits. Relativement délaissées par la critique littéraire parce qu’elles sont populaires, accusées de déformer la réalité historique et de relever de l’affabulation, et surtout d’être protéiformes et dotées de contours flous, nous faisons le pari que leur intérêt réside précisément dans l’originalité de ce dialogue entre le texte et le monde, à la croisée des différents arts et des différents modes de récits. Interroger ce lieu de l’intersection, du carrefour, de l’embranchement, ce n’est pas minimiser la place du littéraire, c’est au contraire pouvoir mesurer l’importance de l’art et 23 de la littérature dans la formation d’imaginaires collectifs8 en venant confronter l’étude littéraire au terrain. Il s’agira de lier et tenir ensemble littérature, histoire, société9, pour vérifier de manière pragmatique que la fiction – et donc la littérature – n’est pas uniquement un « lieu de mémoire »10 sanctuarisé, mais au contraire qu’elle participe activement de son élaboration. I Présentation du corpus : Nehanda, Samori, Sarraounia Nehanda au Zimbabwe, Samori en Guinée et Sarraounia au Niger sont trois de ces grandes figures héroïques africaines qui structurent le regard porté sur l’histoire. Elles sont à la fois peu étudiées en littérature avec un regard englobant leurs réutilisations textuelles, musicales et cinématographiques, et suffisamment différentes entre elles pour pouvoir supporter une comparaison. Nous avons ainsi renoncé à l’étude de Chaka, par exemple, tant les études sur le personnage ont été nombreuses depuis la publication du récit de Thomas Mofolo. Ces trois figures sont des cas de résistances guerrières à la colonisation (britannique et française) et leurs chutes interviennent quasiment au même moment, s’échelonnant entre 1898 et 1899, ce qui confère une homogénéité à leur étude, en inscrivant un point de départ identique aux réécritures et aux processus mémoriels. La résistance11 armée au processus de colonisation est intéressante en ce qu’elle génère des récits extrêmement polarisés : elle est donc un cas paradigmatique dans l’analyse de l’énonciation historique. Plus que les exemples de résistance passive ou marchande à la colonisation12, comme celui de Madame Tinubu au Nigeria, les antagonismes et les 8 Sur l’imaginaire collectif et les « imagined communities » qui en découlent, nous nous référons à Benedict ANDERSON, L’Imaginaire national : Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, trad. PierreEmmanuel DAUZAT, Paris, La Découverte, 1996. 9 Dans la perspective utilisée par Jan JANSEN, Épopée, histoire, société : Le cas de Soundjata, Mali et Guinée, Hommes et sociétés, Paris, France, Karthala, 2001. 10 Pour reprendre Pierre NORA, Les Lieux de mémoire. I, La République, Paris, Gallimard, 1984. 11 Nous sommes consciente de la connotation qu’a le terme « résistant » pour un lecteur francophone, en faisant écho à la Seconde guerre mondiale, et en induisant une caractérisation méliorative, mais il nous a semblé qu’il était davantage représentatif que le terme plus générique de « guerrier » ou de « combattant ». ce terme a en effet l’avantage d’être utilisé par les auteurs, écrivains, chanteurs des différents pays étudiés, d’une part, et qu’il rend compte d’une posture militante de réécriture de l’histoire coloniale, que l’on pourrait qualifier de « postcoloniale », d’autre part, pour l’écrasante majorité des auteurs de notre corpus. Le terme est également présent dans l’historiographie sur le sujet : ainsi notamment de Michael CROWDER (dir.), West African Resistance. The Military Response to Colonial Occupation, Londres, Hutchinson of London, 1971 ; Nazi BONI, Jean SURET-CANALE, Histoire synthétique de l’Afrique résistante : Les réactions des peuples africains face aux influences extérieures, Paris, Présence africaine, 1971. 12 Sur des concepts différents de résistance, notamment de « everyday resistance » ou « mute resistance », voir James C. SCOTT, Weapons of the Weak, Everyday Forms of Peasant Resistance, New Haven, Yale 24 réutilisations peuvent très clairement être situés sur une échelle axiologique. Le personnage du guerrier, puisqu’il risque sa vie dans le champ clos du combat, dramatise l’opposition colonisateur/résistants. En outre, ces héros du XIXe siècle se situent à une période charnière que les auteurs africains du XXe siècle relient souvent à un passé précolonial fantasmé13. Plus que les hommes politiques des années 1960 érigés en héros nationaux, comme Amilcar Cabral, Julius Nyerere ou Patrice Lumumba, les héros guerriers du XIXe siècle véhiculent l’imaginaire d’un passé perdu, garant de « tradition » et d’« authenticité »14, qui sera abondamment réutilisé au tournant des indépendances, pour élaborer des identités nationales encore abstraites. Ces figures ont donc l’avantage de relever du temps long, et de marquer à la fois la période coloniale, les luttes pour l’Indépendance et le monde postcolonial. Elles déjouent alors les lignes habituelles de fracture des études littéraires et historiques, pour qui 1960 est un tournant incontournable mais souvent « aveuglant » comme l’a montré Pierre Halen15. Elles inscrivent également l’étude dans l’analyse de la longue durée – avec plus de cent ans de profondeur chronologique –, tout en intégrant conjointement des auteurs européens et des auteurs africains, ce qui vient interroger les scissions Nord/Sud souvent posées comme des évidences. University Press, 1985 ; Donald CRUMMEY, Banditry, Rebellion, and Social Protest in Africa, Londres; Portsmouth, J. Currey"; Heinemann, 1986. Ainsi que Eric John HOBSBAWM, Rébellions : La résistance des gens ordinaires! : Jazz, paysans et prolétaires, trad. Stéphane GINSBURGH, Hélène HIESSLER, Bruxelles; Paris, Éditions Aden; Belles lettres, 2011. 13 Ainsi des figures aussi intéressantes par ailleurs que Béatrice du Congo ou la Kaheena au Maghreb n’ont pas été prises en compte dans cette étude, afin de privilégier ce rapport entre la fin du XIXe siècle et les indépendances. 14 Ces deux notions sont, par exemple, des termes clés de la rhétorique de Sékou Touré, que l’on retrouve aussi bien dans ses discours, que dans les morceaux du Bembeya Jazz National. Il s’agit, bien sûr, de constructions imaginaires, et nous appliquerons, pour l’analyse de nos figures, ce constat formulé Roland Barthes : « Il ne reste rien de l’origine : Argo » (Roland Barthes par Roland Barthes, Œuvres complètes IV, Paris, Le Seuil, 2004, p. 626). De même, les figures sont des constructions multiples, où chaque pièce a pu être réécrite à de nombreuses reprises, et si le nom propre (« Argo », « Samori ») reste identique, il est peu probable qu’il soit possible ni souhaitable de remonter à la source originelle/originaire. Nous faisons également nôtres les critiques de la notion de « tradition » opérée par V. Y. MUDIMBE, The Invention of Africa : Gnosis, Philosophy, and the Order of Knowledge, Bloomington, Indiana University Press, 1988. 15 Pierre HALEN, « Le Salut par la Reine : Une figure salvatrice dans les œuvres d’Henri Bauchau, de C. H. Kane, de J. M. G. Le Clézio », version longue en ligne de l’article publié dans Virginia COULON, Xavier GARNIER (dir.), Les Littératures africaines : Textes et terrains, Textwork and Fieldwork! : Hommage à Alain Ricard, Paris, Karthala, 2011: « On aurait tout intérêt, cependant, à prendre acte d’un fait aussi massif [la mondialisation] qui ne fait pas que mettre en cause les divisions géographiques, nationales et continentales notamment, mais montre aussi que la barrière historique presque absolue qu’on a longtemps entretenue en présentant les Indépendances comme une sorte de temps zéro à partir duquel seulement deviendrait lisibles les littératures « post-coloniales », n’a elle aussi qu’une valeur relative : si ce repère est significatif par bien des aspects, […] c’est aussi un repère très aveuglant pour d’autres réalités ; le fait est qu’il éclaire et structure des poétiques et des valeurs, donc des positions, mais son absolutisation masque ces continuités que les théories postcoloniales ont tant de mal à intégrer sinon sur le mode de l’opposition ». 25 Ces trois figures forment un ensemble cohérent, et elles ont été choisies en grande partie pour la capacité qu’elles ont de résonner entre elles. Un premier critère de sélection a été la correspondance chronologique quasi-exacte de leurs arrestations et captures, ce qui permettait de donner un point de départ identique aux mythes et réécritures diverses, mais cette simultanéité relève en réalité plus de la coïncidence que de l’effet recherché. Toutes les trois ont, en outre, fait l’objet d’au moins une grande réécriture littéraire qui confère une assise romanesque à la figure : il s’agit des écrivains Abdoulaye Mamani pour Sarraounia, Yvonne Vera pour Nehanda, et Ahmadou Kourouma pour Samori. Enfin, et cela a été le critère majeur de notre sélection, nous avons également été attentive aux échos et aux dialogues qui pouvaient naître de la comparaison entre nos héros : aussi avons-nous fait le choix de prendre des figures d’ampleurs différentes, l’une locale, avec Sarraounia, l’autre régionale puis nationale, avec Nehanda, et enfin une dernière résolument panafricaine voire internationale avec Samori. Ces trois échelles d’analyses permetten d ’établir des parallèles et de dessiner des constantes dans la formation de l’imaginaire mythologique, par-delà les spécificités locales des figures. Ont été représentées ci-dessous les trois types d’espaces étudiés, à large échelle, afin de fournir un repérage spatial de la diversité des figures considérées. Tandis que l’empire de Samori occupe une immense zone à cheval sur plusieurs régions forestières et de savanes, couvrant plusieurs milliers de kilomètres carrés, le village de la Sarraounia au contraire n’est le lieu que d’une résistance locale, que nous replaçons sur la carte dans le contexte plus vaste du trajet de la colonne de Voulet et de Chanoine, de Saint-Louis vers le lac Tchad. Entre ce contexte micro-local et le vaste empire dioula, la résistance de Nehanda pourraît être qualifiée de géographiquement intermédiaire. La carte représente la résistance du Mashonaland, en l’articulant au royaume ndebele d’une part, et en l’insérant dans les trajets des colonnes pionnières de la BSAC d’autre part, pour donner un aperçu de la configuration géostratégique des années 1896-1898 de la colonie de la Rhodésie en cours de construction. 26 27 28 29 De quels résistants s’agit-il ? Sarraounia est le nom d’une reine-prêtresse, animiste haoussa du Niger, du village de Lougou, près de Dogondoutchi (voir sur la carte, le point entre Say et Zinder dans l’itinéraire de la colo Voulet-Chanoine). Le titre de « reine », qui est la traduction française du haoussa Saraunyia, se transmet de femme en femme, selon un rituel de désignation spécifique, le takarma, qui met en jeu le cadavre de la reine précédente dont on attend qu’il choisisse la prochaine Sarraounia. Sa fonction est essentiellement religieuse, elle pratique la divination et assure la continuité entre le monde des esprits et le monde des vivants16. Elle n’apparaît jamais en public et reste en permanence entourée d’une cour (fada), où les fonctions de chacun sont clairement établies : le Maïgari (« le chef de la ville ») gère l’administration et la fiscalité du village – son rôle a été considérablement amplifié pendant la colonisation –, le Magagi est le chef des sacrificateurs, et seconde Sarraounia dans les rituels, le Mayaki, enfin, est le « chef de guerre », mais ce n’est plus qu’un titre honorifique à présent. Sarraounia Mangou est le nom de celle qui aurait appelé à prendre les armes le 15 avril 1899 contre la colonne Voulet-Chanoine, lors de son passage à Lougou17. Après un combat virulent18, la mission menée par les deux officiers ambitieux que sont Voulet et Chanoine reprend sa route vers le Tchad, accumulant les massacres et les pillages, jusqu’à se rebeller contre l’ÉtatMajor19, et ordonner la mort du colonel Klobb lancé à leur poursuite (le 14 juillet 1899). La mission finit par s’éteindre lorsque les deux officiers se font tuer par leurs propres tirilleurs : Chanoine meurt le 16 juillet 1899, Voulet, le 17. Malgré sa défaite militaire, 16 Marc Henri PIAULT, Histoire mawri : Introduction à l’étude des processus constitutifs d’un État, Paris, Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1970 ; Antoinette TIDJANI ALOU, Rapport du «"Terrain d’enquête sur la Sarraounia!», mené à Lougou et Bagagi, du 21 au 28 janvier 2004, Niamey, Groupe de Recherche sur «!Littérature, Genre et Développement! : Visions et Perspectives Nigériennes!», non publié. 17 Pour de succinctes précisions biographiques, voir Jean Martin BRUN DURAND, article « Voulet, Paul Gustave Lucien », in Dictionnaire biographique et biblio-iconographique de la Drôme, Grenoble, H. Falque et Félix Perrin, 1901, p. 410‑412 ; ACADÉMIE DES SCIENCE D’OUTRE-MER, Hommes et Destins T. II., Paris, 1977, p. 194-197 pour Julien Chanoine, p. 747-750 pour Paul Voulet, ces deux notices étant rédigées par Muriel Mathieu. 18 Rapporté par Jules JOALLAND, Le Drame de Dankori : Mission Voulet-Chanoine. Mission JoallandMeynier, Paris, Nouvelles éditions Argo, 1930, p. 35-61, qui est le seul à notre connaissance à mentionner Lougou et Sarraounia ; source reprise par Muriel MATHIEU, La Mission Afrique centrale, Racines du présent, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 135. Voir aussi Bertrand TAITHE, The Killer Trail. A Colonial Scandal in the Heart of Africa, Oxford; New York, Oxford University Press, 2009, bien que le texte soit volontiers polémique. 19 Cette révolte des deux officiers français est maintenant attestée par l’historiographie. Pour une interprétation contradictoire, qui rend Paul Voulet seul responsable, voir les textes publiés vraisemblablement par le père de Julien Chanoine : [Charles Paul Jules CHANOINE], Documents pour servir à l’histoire de l’Afrique occidentale française, de 1895 à 1899. Correspondance du Capitaine Chanoine pendant l’expédition du Mossi et du Gourounsi. Correspondance de la mission Afrique centrale. Annexe : Extraits des rapports officiels du Lieutenant Gouverneur du Soudan. Pièces justificatives, Andenne, Imprimerie de Puffet-Morelle, 1905. 30 Sarraounia a incarné la résistance nigérienne d’abord localement puis nationalement, à partir des années 1980 lorsqu’elle fait son apparition dans les manuels scolaires ou dans des ballets à la télévision. Samori, quant à lui, a bâti un empire qui s’étendait de Siguiri et des régions Sud de l’actuel Mali jusqu’aux régions forestières de Moyenne Guinée, autour des deux grandes villes de Kankan et de Bissandougou20. Après avoir été marchand dioula, puis à la solde des Cissé21 pour racheter sa mère Sona, prise comme captive, il prend peu à peu le contrôle de la région. Il a su pour cela s’affranchir de anciens maîtres et « protecteurs », – les Camara, les Cissé –, pour constituer sa propre armée de métier – dont les cavlies étaient appelés « sofas » – rémunérée sur les prises de guerre. À la fin des années 1860, son territoire comprenait 400 000 km2, avec environ deux millions d’habitants, et il contrôlait les routes commerciales, de cola, d’or et d’esclaves principalement. À partir de 1881, lorsque commencent les premiers affrontements avec les Français, jusqu’en septembre 1898, date de son arrestation à Guélémou dans le Nord de la Côte d’Ivoire, par Henri Gouraud, il n’a cessé de lutter pour empêcher l’expansion de l’armée française. En 1887, il conclut le pacte de Bissandougou avec les Français, qui fixe une frontière c ommune entre le deu territoires. Une fois la paix conclue avec les Français, Samori lance son armée, en 1888, à l’assaut de la ville fortifiée de Sikasso dont le tata, le mur d’enceinte, est l’un des plus hauts de la région. Mais la ville, tenue par Tiéba (puis par Babemba, son frère), mène la résistance : le siège s’éternise, et tourne finalement au désavantage de Samori. Une révolte menée par ses fils le force à revenir à Bissandougou, et à abandonner les hauts murs de Sikasso. Cette opposition entre deux rois africains, alors que les colonisateurs sont à leurs portes, a constitué un thème majeur de la littérature des années 1970. La paix est de courte durée, et les hostilités contre les Français et les Britanniques ont vite repris. À partir de 1895, Samori a décidé de déplacer son empire, en migrant vers l’Est, et il s’est établi dans la région située entre Korhogo et Kong, en englobant Dabakala dans sa marge méridionale (dans l’actuelle Côte d’Ivoire). La politique de la terre brûlée lors de cette migration pour fuir la pénétration française, la prise de nombreuses villes saintes (notamment Kong, Kankan), les razzias nécessaires 20 La référence majeure sur l’empire samorien est Yves PERSON, Samori, Une révolution dyula, Paris, IFAN" : Centre de recherches africaines, 1968-1975, 3 vol. 21 Le clan des Cissé, mené par Sérè Bréma (Siré Birama), contrôlait à l’époque la région, à partir de leur fief de Moussadougou. Sur les relations entre Camara et Cissé avant l’ascension de Samori, voir Yves PERSON, op. cit., tome 1, p. 189 et suivantes. 31 pour alimenter le commerce des esclaves et l’expansion de l’empire sont restés dans les mémoires des populations assujetties, et expliquent les récits contrastés au sujet de Samori. La résistance est ici beaucoup plus longue et sa réutilisation, à des fins identitaires, a pris très vite plus d’ampleur que pour Sarraounia en acquérant une dimension transnationale manifeste : il est alors intéressant d’étudier quels pays s’emparent du héros et comment cet empire précolonial est traité par la littérature. Dès les années 1960, Samori est en outre considéré comme un précurseur du mouvement panafricaniste. Nehanda, enfin, permet d’analyser un cas de résistance à la colonisation britannique et ses représentations en littérature. Nehanda est le nom d’un esprit de la religion shona, au Zimbabwe. Cette princesse, sœur du fondateur de l’empire du Munhumutapa22 (également orthographié Monomotapa) du XVe siècle, est un mhondoro (« esprit des lions », en shona) de la région du Mazoé, dont le médium invoque la bénédiction pour la fertilité des terres et l’abondance des pluies. Le médium peut aussi procéder à de la divination, des prophéties ou de la médecine. Pendant la révolte de 18961897, Nehanda, par l’intermédiaire de sa médium, Charwe (également appelée Nehanda par proximité sémantique), aurait organisé la résistance contre les colons boers et britanniques, en s’alliant avec d’autres médiums, dont Kaguvi. La lutte des Shona contre la progressive implantation des colons est appelée Chimurenga (de murenga, « révolte », en shona), et fait suite à une première guerre des Ndebele, du royaume de Lobengula, en 1893. Le Matabeleland s’était en effet soulevé contre la British South Africa Company (BSAC) de Cécil Rhodes, qui avait obtenu une Charte Royale de la couronne britannique pour occuper toutes les terres au Nord du Limpopo, – les prétentions de Rhodes s’appuyant sur la « Rudd Concession » signée par Lobengula23 en 1888, concession que 22 Sur le Monomotapa, et Great Zimbawbe, voir les analyses générales qu’en donne François-Xavier FAUVELLE AYMAR, Le Rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Âge africain, Paris, Gallimard, 2013. Cet empire a joui d’une certaine notoriété en Europe ; voir par exemple les premiers vers de la fable « Les deux amis », de La Fontaine : « Deux vrais Amis vivaient au Monomotapa, / L’un ne possédait rien qui n’appartînt à l’autre. / Les amis de ce pays-là / Valent bien, dit-on, ceux du nôtre », Fables, livre VIII, 11. Voir aussi une citation récente qu’en donne Alain MABANCKOU, comme symbole de terre légendaire africaine : « Si, pour nous, depuis l’Europe, l’Afrique est aujourd’hui proche, elle a été pendant longtemps le territoire des légendes entretenant l’intérêt des investigateurs obnubilés par la quête de lieux mythiques, comme la ville de Tombouctou, les sources du Nil, l’empire du Monomotapa ou l’empire du Songhaï » Lettres noires : Des ténèbres à la lumière. Leçon inaugurale prononcée le jeudi 17 mars 2016 [en ligne], Leçons inaugurales, Paris, Collège de France, 2016, disponible sur : <http://books.openedition.org/cdf/4421>, (consulté le 26 avril 2016). 23 Lobengula, le roi du Matabeleland, signe le 30 octobre 1888 une concession, cédant à Charles Rudd des droits de prospection et d’exploitation des ressources minières sur son territoire. Contesté sans succès par la suite par Lobengula, ce traité a permis à la BSAC d’obtenir une Charte royale de la Couronne d’Angleterre 32 le roi a par la suite reniée. En mars 1896, les combats des Ndebele reprennent, les Matopo Hills se rallient à l’insurrection, bientôt rejoints par le Mashonaland. Nehanda aurait pris part à l’agitation politique, en incitant le peuple Shona à éliminer les colons blancs, leurs fermes et leurs concessions. La mort d’un Native Commissioner, M. Pollard, lui est imputée. Elle est traquée, arrêtée en décembre 1897, jugée, et finalement pendue à Salisbury, le 27 avril 1898. Contrairement à Kaguvi, elle a refusé de se convertir au christianisme. Avant de mourir, elle aurait prophétisé : « My bones shall rise again » (« Mapfupa edu achamuka », en shona), et annoncé de ce fait ce qui sera appelé la Seconde Chimurenga, menée dans les années 1970 et 1980 par les nationalistes contre le gouvernement rhodésien de Ian Smith. Elle sera alors invoquée comme une figure héroïque lors du Liberation struggle. Les deux révoltes, la première et la seconde Chimurenga, s p  s omme relevant d’une démarche continue de rejet de la colonisation, et Nehanda permet de faire le lien. Le tableau chronologique suivant rend compte des principales dates évoquées dans les textes de notre corpus, et des évènements qui informent les œuvres. Il n’est pas exhaustif mais dessine les grandes lignes de la résistance à la colonisation, puis des mouvements nationalistes et indépendantistes postérieurs à la seconde guerre mondiale. Il vise simplement à offrir des repères commodes pour la lecture des textes. lui réservant l’exclusivité sur les droits miniers. Pour une courte notice biographique, voir Steven C. RUBERT, R. Kent RASMUSSEN, Historical Dictionary of Zimbabwe, Lanham, Scarecrow Press, 2001, p. 169-172. 33 34 35 Pour chacun des trois personnages, notre corpus est constitué de textes en langues diverses et de media multiples, en incluant des chants, des ballets ou des films, du XIXe siècle à nos jours. Signalons d’ores et déjà que les traductions inédites des chants collectés en Afrique sont données en annexe, ainsi que celle de Labarin Shamuri, d’Abu Mallam. Le corpus retenu se constitue donc e  t: NEHANDA Chimurenga Songs, ZANU PF, Gramma Records, 2007. Chitepo, Herbert Wiltshire, « Soko Risina Musoro » / « The Tale Without A Head », in Zimbabwe Prose and Poetry, New York, Three Continents Press, 1974. Harare Mambos, « Mya Nehanda Nyakasikana », Ngatigarei Tese, Salisbury, Teal Record Company, Disc ZIM 29, 1980. Lane, Martha, « The Blood that Made the Body Go » : The Role of Song, Poetry and Drama in Zimbabwe’s War of Liberation 1960-1980, Evanston, Illinois, décembre 1983, PhD thesis, history. Volume III : appendix, Chimurenga songs. Mutswairo, Solomon, Mweya waNehanda, Harare, Harare College Press, 1990. Mutswairo, Solomon, Zimbabwe : Prose and Poetry, op. cit. Pongweni, Alec, Songs that Won the Liberation War, Harare, Harare College Press, 1982. Samupindi, Charles, Death Throes, The Trial of Mbuya Nehanda, Harare, ambo re, 990. Shumba, Timothy C., Nehanda nyakasikana : nhorido dzokunyikadzimu, Gweru, Mambo Press, 1983. Tredgold, Margaret H., The First Ones. Nehanda and Chaminuka, Gweru, Mambo Press, 2001. (illustré pour enfants) Vambe, Lawrence, An Ill-fated People, Zimbabwe before and after Rhodes, Avant-propos de Doris Lessing, Londres, Heinemann, 1972. Vera, Yvonne, Nehanda, Toronto, TSAR, 1994. SAMORI Abu, Mallam, Labarin Shamuri. The Zabarma Conquest of North-west Ghana and Upper Volta, A Hausa Narrative, Histories of Samory and Babatu and others, 1914. (SOAS, Migeod Collection) Amselle, Jean-Loup ; Dunbya, Zumana ; Kuyate, Amadu ; Tabure, Mohamed « Littérature orale et idéologie. La geste des Jakite Sabashi du Ganan (Wasolon, Mali) (Oral Literature and Ideology. The Saga of the Jakite Sabashi of Ganã (Wasulõ, Mali) », Cahiers d’études africaines, 1979, vol.19, cahier 73/76, p. 381-433. Colin, Roland, Kènèdougou au crépuscule de l’Afrique coloniale, Paris, Dakar, Présence africaine, 2004, annexe « Mémorial de Kélétigui Berté, 1915 ». Conrad, David C., Sory Fina Camara « The Epic of Almami Samori Touré », in Johnson, John William ; Thomas A. Hale ; Stephen Belcher, Oral Epics from Africa, Vibrant Voices from a Vast Continent, Bloomington, Indiana Univeristy Press, 1997, p. 68-79. Delafosse, Maurice, Essai de manuel pratique de la langue mandé ou mandingue : étude grammaticale du dialecte dyoula, vocabulaire français-dyoula, histoire de Samori en Mandé, étude comparée des principaux dialectes mandé, Paris, E.Leroux, 1901. Traduction : Kouroubari, Amadou, "Histoire de l’iman Samori", Bulletin de l’Institut Français d’Afrique Noire, 1959, tome 21, n°3/4, p. 544-571, traduit par R.P.Hebert. 36 Diabaté, A. ; E. Gérard ; Yoro Sidibé, « L’épopée de Samory : Le siège de Sikasso », in Kesteloot, Lilyan ; airu ieng, Les Épopées d’Afrique Noire, Paris, Karthala, 1997, p. 192-200. Diabaté, Massa Makan, Une Si Belle Leçon de patience, Paris, ORTF, 1972. Diabaté, Massa Makan, Une Hyène à jeun, Paris, Hatier, 1988. Jansen, Jan ; Mountaga, Diarra, Entretiens avec Bala Kanté, Une chronique du Manding du XXe siècle, Leiden, Boston, Brill, 2006, p. 136-139. Kamissoko, M’Faly Franwalia, (récité) « Samori Tariku » 1’28’10. Enregistré à Kankan, 2008. (malinké) Killingray, David, Hadley, Michael L., Samori Touré : Warrior King, Amersham, Hulton, 1973. (illustré pour enfants) Kourouma, Ahmadou, Monnè, Outrages et défis, Paris, Le Seuil, 1990. Kouyaté, Sidiki (guitariste) ; chanté par Sarama Kouyaté et Djiba Kouyaté, « Diamori » 26’19. Enregistré à Siguiri en 2013. (malinké) ; « Famagan Traoré » 24’00, chanté par Sidiki Kouyaté, Saramba Kouyaté (chœur) et Laso Dumbuya. Enregistré à Siguiri en 2013. (malinké) Ndao, Cheik Aliou, Le Fils de l’Almany, suivi de La Case de l’homme, Paris, Pierre Jean Oswald, 1973. Person, Yves, Archives personnelles (BRA, Paris 1), « Histoire locale » de Djiguiba Camara, « Entretiens » de Babou Condé, « Notes historiques » de Tidiane Dem. Radio et Télévision de Guinée (RTG), Archives, h!"so"s : « Keme Bourema » 3’32, Orchestre de la Garde Républicaine 1ère formation, 1968, SLP6 (Instrumental, non chanté, hymne de Keme Bourema) ; « Almamy Mamaren » 3’38, Bembeya (Diaouné Hamidou dir.), 1968, SLP4 ; Regards sur le passé, Bembeya Jazz National, 1968 « Regards sur le passé » 36’53 et 1969 « Chemins du PDG » 24’38, SLP10 (malinké et français) ; « Samory » 09’33, Niandan Jazz (orchestre de Kissidougou), 1970, SLP 19 (malinké) ; « Almamy Samory » 3’43, Fetoré Jazz (orchestre fédéral de Pita), 1970, 0017-M (malinké) ; « Keme Bourema » 13’19, Objectif Perfection, Balla et ses Baladins, 1971, SLP75 (malinké) ; « Keme Bourema » 14’46, Sory Kandia Kouyaté, SLP37, 1973 (malinké) ; « Épopée du Manding » 16’34, Ensemble Voix de la Révolution (Sory Kandia Kouyaté dir.), 1975, 0342F (malinké) ; « Épopée du PDG » 12’34, Ensemble Voix de la Révolution (Sory Kandia Kouyaté dir.), 1975, 0342F (malinké) ; « Hommage à nos héros » 29’54, Bafing Jazz, 1978, 0508M (malinké et français) ; « L’Afrique vaincra » 32’39, Tropical Djoliba Jazz, 1978, 0508M (malinké) ; « Keme Bourema », 7’17, Djeli Cira Cissoko, El Hadj Keba Cissoko, et Fantoumata Kouyaté, 1980, 0269/F (malinké). Rouget, Gilbert, Guinée, Musique des Malinké, Collection du CNRS et du Musée de l’Homme, Harmonia Mundi, 1999. Recueillis en 1952 par Gilbert Rouget à Karala (Mali) : « Chant d’homme, harpe et chœur de femmes », 7’23 ; « Almami a bouleversé le pays », 3’11. Sembène Ousmane, scénario Samori, 3 tomes, 1962-1982. Service National des Arts et Culture, Ministère de la Jeunesse, des Arts et des Sports, Regard sur le passé, L’Almamy Samory Touré (1830-1900), Conakry, sans date [1968]. Zadi, Bernard Zaourou, Les Sofas ; suivi de L’œil, Paris, Pierre Jean Oswald, 1975. SARRAOUNIA Les Traditions de Lougou, de Birni Lokoyo et de Massalata : Waka a bakin mai ita, « la parole à celui qui la détient », collecté par Boubé Gado, IRSH, Niamey, 1986, non publié. Centre de Formation et de Promotion Musicale (CFPM) et Office de Radiodiffusion-Télévision du Niger (ORTN), Archives, chansons : « Sarauniya », Samaria dan Goudaou (Matameye) 8’00, à Zinder, 28 novembre1986, (haoussa) ; « Sarraounia Ballet lyrique », Mahalba de Doutchi, 13’00, Nuit de la Concorde du 23 avril 1996 (haoussa, zarma) ; « Saraounia », Orchestre Akazama de Doutchi et son chanteur Oumarou Assoumane, Prix dan Gourmou 1999, 7ème édition, du 30 octobre au 3 novembre (haoussa). 37 Collectif, Ballet d’ouverture des Cinquièmes Jeux de la Francophonie, 2005, Archives de l’ORTN. Direction artistique de Souleymane Koly, sans autres mentions. Collectif, Sarraounia, Ballet lyrique d’après le roman de Mamani Abdoulaye, Ministère de la Culture et de la Communication du Niger, 1986, Archives de l’ORTN. Mise en scène de Dante Alassane, Abdoulaye Bagoudouga, Salma Adamou, Sadou Daouda, Amsatou Dante, Dalveize, Altine. Musique « tirée du folklore national », sans autres mentions. Direction artistique cosignée par Mohamed Lamine Maiga et Dante Alassane. Dumontheuil, Nicolas ; Christophe Dabitch ; Venance Konan, La Colonne, tome 2 « Exterminezmoi toutes ces brutes », Paris, Futuropolis, 2014. (bande dessinée) Hamdane, Halima, Sarraounia, Cauris éditions, Paris, 2005 (illustrations d’Isabelle Calin, littérature enfantine). Hondo, Med, Sarraounia, 1986. Adaptation et dialogues par Abdoulaye Mamani. Bande originale de Pierre Akendengue. Coproduction de la direction de la cinématographie nationale du Burkina Faso, et des films Ô. Mamani, Abdoulaye, Sarraounia, ou le drame de la reine magicienne, Paris, L’Harmattan, 1980. Moati, Serge, Capitaines des ténèbres, 2004. Scénario de Yves Laurent, musiques de Gérard de B#ttista$ P rod%&tio' Arte$ Rolland, Jacques-Francis, Le Grand Capitaine, Un aventurier inconnu de l’épopée coloniale, Paris, Grasset, 1976. Ursula Baumgardt et Jean Derive, dans le chapitre « La littérature orale n’est pas un vase clos », de l’ouvrage Littératures orales africaines, perspectives théoriques et méthodologiques24, mettent en place la notion de « système littéraire » qui permet de rendre compte de la diversité du corpus. Il est fondé sur deux critères, la langue utilisée (langues européennes, langues locales) et le mode de communication choisi (oral ou écrit). Cette double distinction permet de rendre compte du contexte de production et des destinataires implicites des textes. Elle est un outil méthodologique commode pour l’analyse d’ensembles discursifs complexes fonctionnant en réseaux, qui relèvent à la fois des catégories de « littérature écrite » et de « littérature orale » – catégories souvent considérées comme étanches, et dont nous nous proposons, à l’inverse, de penser les interactions et les influences réciproques. Trois grands systèmes littéraires sont représentés : les littératures écrites en langues européennes (anglais, français dans notre corpus), les littératures écrites en langues locales (haoussa, bambara, shona), et les littératures orales en langues locales. Les littératures orales en langues européennes sont absentes de notre corpus, et ne sont que peu représentées actuellement en Afrique, même si certains contextes de néo-oralité25, comme certaines émissions radiophoniques, en favorisent l’Ž(e)*e+-e/ E+1in, nous incluons également dans notre corpus des ballets, des 24 Ursula BAUMGARDT, Jean DERIVE, Littératures orales africaines : Perspectives théoriques et méthodologiques, Tradition orale, Paris, Karthala, 2008, p. 245-271. 25 Aussi appelée « oralité seconde » par Walter J. ONG, Orality and Literacy : The Technologizing of the Word, Londres ; New York, Methuen, 1982 ; le terme réfère aux situations d’oralité en dehors des contextes de performances traditionnels. 38 chants et des films, que nous plaçons dans la section « autres médias »26. Ils sont souvent multilingues et viennent complexifier les catégories fondées sur la langue. Les manuels scolaires, bien qu’étant des productions non artistiques, figurent également dans l’analyse, car ils permettent d’avoir accès à une vision synthétique et officielle des figures étudiées, ce qui offre un contrepoint précieux aux textes du corpus. Il est possible d’avoir une vue d’ensemble des textes étudiés à l’aide du tableau suivant, où nous avons utilisé les références abrégées des textes. Pour plus de concision, nous avons seulement donné les références des archives sonores pour les grands corpus de chants. 26 Pour la musique sur Samori, nous ne plaçons volontairement que les références de disques complets, tant les chansons qui lui font référence sont nombreuses. Nous prendrons la liberté d’y faire référence dans le cours du développement. Voir par exemple : - Abdoulaye Diabaté Koutiala Orchestra, Samory, « Samory », 5’28, Cobalt, 2003. - Al-Haji Papa Bunja Susso, Songs of Kings and Warriors, « Almamy Samory », 11’00, 2012. - Alpha Blondy, Cocody Rock ! !, « Samori Touré », 4’53, EMI, 1984. - Aly Keita, Akwaba Iniséné, « Samory », 1’21, 2007. - Jah Prince, Prisonniers de Babylone, « Samory Touré », 3’12, 2011. 39 Nehanda Samori Mutswairo, Solomon, Zimbabwe : Prose and Poetry, New Colin, Roland, « Mémorial de Kélétigui Berté », 1915. York, 1974. Diabaté, Massa Makan, Une Si Belle Leçon de patience, Paris, Samupindi, Charles, Death throes, The Trial of Mbuya ORTF, 1972. Nehanda, Harare, Mambo Press, 1990. Diabaté, Massa Makan, Une Hyène à jeun, Paris, Hatier, 1988. Tredgold, Margaret, The First Ones : Nehanda and Killingray, David, Samori Touré, Warrior King, 1973. (illustré) Chaminuka, 2001. (illustré) Littérature Kourouma, Ahmadou, Monnè, Outrages et défis, Paris, Le écrite en Vambe, Lawrence, An Ill-Fated People, Zimbabwe Before Se67l, 1990. and After Rhodes, Londres, Heinemann, 1972. langues Ndao, Cheik Aliou, Le Fils de l’Almany, Paris, Pierre Jean européennes Vera, Yvonne, Nehanda, T2r2nt2, TS3R4 5994. Oswald, 1973. Sarraounia Dumontheuil, Nicolas ; Christophe Dabitch ; La Colonne8 :<me =, Paris, 2014. (bande dessinée) Hamdane, Halima, Sarraounia, Cauris éditions, Paris, 2005. (illustré) Mamani, Abdoulaye, L’Harmattan, 1C80. >?@raounia, Paris, Rolland, Jacques-Francis, Le Grand Capitaine, ParDs, Grasset, 1976. Person, Yves, archives personnelles. Sembène Ousmane, Samory, inédit, 1962-1982. Service National des Arts, Regard sur le passé, [1968]. Zadi, Bernard Zaourou, Les Sofas, Paris, P.J.Oswald, 1975. Littérature FGHIte JK langues africaines Chitepo, Herbert W., « Soko Risina Musoro » / « The Tale Abu, Mallam, The Zabarma Conquest of north-west Ghana Without A Head », in Zimbabwe Prose and Poetry, op. cit. 1914. Mutswairo, Solomon, Mweya waNehanda, Harare, Harare Delafosse, Maurice, Histoire de Samori en Mandé, Paris, E. College Press, 1990. Leroux, 1901. Amselle, Jean-Loup ; Dunbya, Zumana ; Kuyate, Amadu ; Les Traditions de Lougou, de Birni Lokoyo et de Tabure, Mohamed "La geste des Jakite Sabashi du Ganan", Massalata, collecté par Boubé Gado, IRSH, Niamey, Cahiers d’études africaines, 1979, Vol.19. 1986, non publié. Jansen, Jan ; Mountaga, Diarra, Entretiens avec Bala Kanté, Leiden, Boston, Brill, 2006. Littérature orale en langues africaines LNONra, Sory Fina, QaviT UVUonWaT, Ç The Epic of Almami Samori Touré » (anthologie Johnson, Hale, Belcher) Kamissoko, M’XYZy X[YnwYZiY, « Samori Tariku », 2008. Sidibé, Yoro, « L’épopée de Samory : Le siège de Sikasso » (anthologie de Kesteloot, en traduction) Chimurenga Songs, ZANU PF, Gramma Records, 2007. Kouyaté, Sidiki, et alii, « Diamori », « Famagan Traoré », CFPM et ORTN, Archives sonores : « Sarauniya », 1986-1996. Collectif, Ballet des Jeux de la Francophonie, 2005. Autres Harare Mambos, « Mbuya Nehanda Nyakasikana », 2013. médias, néo- Ngatigarei Tese, Salisbury, Teal Record Company, Disc ZIM RTG, Archives, orchestres nationaux et fédéraux, 1968-1980. oralités 29, 1980. Rouget, Gilbert, Guinée, Musique des Malinkés, [1952], 1999. Lane, Martha, « The Blood that Made the Body Go », (chants, Evanston, 1983. Volume III : appendix, Chimurenga songs. ballets, Pongweni, Alec, Songs that Won the Liberation War, Harare, films) Harare College Press, 1982. Collectif, Sarraounia, Ballet lyrique d’après le roman de Mamani Abdoulaye, 1986. Hondo, Med, Sarraounia, 1986. Moati, Serge, Capitaines des ténèbres, 2004. Nous avons placé les manuels scolaires27 dans une section à part du corpus, puisque nous les convoquerons moins systématiquement que les œuvres littéraires, selon les besoins de l’analyse : Nehanda - Zimbabwe Samori - Guinée Sarraounia - Niger People Making History, book 2, Peter Garlake, Andre Proctor, Greendale, Harare, Z\] \ublishe^s_ `bfjk Réed.2007. Bah, Abdourahamane, Fodé Momo Soumah, HistoireGéographie Moussa Kourouma, El Hadj Salamy Bah, El CM1, INDRAP, Niamey, Hassane Diallo, Mamady Soumaoro, Histoire- 2001. Géographie, 6ème année, Conakry, Institut Nati xnaz de {e|he}|he et d’~tion p€dagogique People Making History, booq w, M.Prew, J.Pape, R.Mutwira, Ministère de l’Enseignement Pré-universitaire et de T.Barnes, E.K.Mutuwira, G.Pwiti, l’Éducation civique, 2007. G.Mvenge, Greendale, Harare, ZPH Le Callenec, Sophie (dir.), Histoire-géographie, Publishers, 1993. Réed.2010. 10ème année, Tours, Hatier, Institut National de Manuels The African Heritage, History for Recherche et d’Action pédagogique, Ministère de scolaires O’level Secondary schools, book 3, l’Éducation Nationale et de la Recherche H.Moyana, M.Sibanda, Greendale, Scientifique de la République de Guinée, 1997. Harare, 1999. Réed. 2007. Niane, Djibril Tamsir, et Jean Suret-Canale, Histoire de l’Afrique occidentale, Conakry, Éditions du Ministère de l’Education Nationale, 1960. Niane Djibril Tamsir, Suret-Canale Jean, Histoire de l’Afrique occidentale‚ ƒaris‚ ƒrésence Africaine, 1961. Un rapide parcours du corpus fait apparaître la très grande hétérogénéité des matériaux : romans, pièces de théâtre, poèmes, ballets, chants... Notre hypothèse est que des « textes »28, pris dans la plus large acception, aussi divers peuvent signifier entre eux. Un autre trait saillant de ce corpus est le poids plus important de la figure de Samori par rapport aux deux autres. Il est en effet évident qu’il y a un déséquilibre dans la répartition des sources. Néanmoins, cette ampleur relative de Samori permettra de traiter les réutilisations de héros culturels en faisant varier les échelles d’analyses entre local et global, et offrira un panel large du processus de réappropriation de ces héros : une héroïne de statut local qui tend à se nationaliser comme Sarraounia, une héroïne régionale qui unifie plusieurs mouvements de résistance comme Nehanda, et un héros de stature transnationale qui cristallise des conflits de mémoire comme Samori. C’est le processus de construction de la mémoire postcoloniale 29 à travers le héros culturel qui nous 27 Nous avons également collecté des manuels scolaires du Mali, du Sénégal et du Burkina Faso, dont nous reproduisons en annexe (p. 717-795) les pages concernées par Nehanda, Samori et Sarraounia. 28 Selon les définitions qu’en donne Julia KRISTEVA, Semeiotikê. Recherches pour une sémanalyse, Paris, Le Seuil, 1969, voir infra, « Première partie, introduction ». 29 Nous n’entendons pas le terme dans son acception chronologique, mais nous l’appliquons à une situation de subordination, de périphérie, voire de minorisation, que l’écrivain et les artistes pensent dans la langue (en situation de « surconscience linguistique », Lise GAUVIN (dir.), L’Écrivain francophone à la croisée des langues : Entretiens, Paris, Karthala, 1997, p. 6). La notion de subordination est manifeste ici puisque notre corpus ne compte que des héros vaincus, mais la notion renvoie également aux postures contestatrices que 41 intéresse, et ces différences de statut entre nos trois héros montrent à quel point local et global s’interpénètrent à toutes les échelles. C’est précisément parce que les ampleurs des résistances, puis des mémoires, sont différentes entre Nehanda, Sarraounia et Samori, qu’il nous a été possible de comparer les processus de constructions imaginées de récits collectifs, et de souligner à quel point il existe de frappantes régularités, qui ont opéré comme des lames de fond, de 1900 à nos jours. Malgré les différences d’ampleur évidentes, ce choix de corpus avec trois échelles de grandeurs croissantes s’est révélé être particulièrement fructueux, puisque des lignes de force sur le temps long se sont dégagées quasi spontanément, permettant en outre des croisements parfois inattendus. Ainsi avonsnous été surprise, entre autres exemples, des parallèles qui pouvaient être tracés entre les chants à la gloire de Samori et de Sékou Touré, que nous avons collectés à la RTG à Conakry, et les chants à la gloire de Nehanda et de Robert Mugabe, que nous avons consultés aux NAZ, à Harare. Et cette identité de filiation symbolique a permis de mettre en relation deux riches corpus de textes, qui illustrent les mécanismes de propagande des années 1970 tant dans l’hyper-institution de l’appareil administratif de Sékou Touré que dans les maquis de la guérilla socialiste que menait le ZANU. II Constitution du corpus : méthode d’enquête et de collecte Pour analyser les différentes réappropriations d’une figure, il a fallu partir à la recherche de textes introuvables en France et en Europe, et élaborer une méthodologie propre à l’objet d’étude. Il n’existe en effet que très peu d’outils théoriques et méthodologiques qui puissent rendre compte de l’aspect global de la figure, en incorporant à la fois des auteurs institutionnalisés, disponibles dans les puissantes bibliothèques occidentales, et des matériaux plus difficiles d’accès, comme des ballets ou de chants à faible audience30. Les études transversales sur l’imaginaire ou sur les mythes peuvent endosser les auteurs lorsqu’ils s’emparent du récit colonial pour le subvertir. Sur ce rapport de force, que nous retravaillerons, voir notamment Bill ASHCROFT, Gareth GRIFFITHS, Helen TIFFIN, L’Empire vous répond : Théorie et pratique des littératures post-coloniales, trad. Jean-Yves SERRA, Martine MATHIEU-JOB, Sémaphores, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2012 ; Arjun APPADURAI, Après le colonialisme : Les Conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2005 ; Peter CHILDS, Patrick WILLIAMS, An Introduction to Post-colonial Theory, Londres; New York, Prentice Hall/Harvester Wheatsheaf, 1997. 30 L’anthropologue Fabio VITI dans « Les ruses de l’oral, la force de l’écrit. Le mythe baule d’Aura Poku », Cahiers d’études africaines (2009/4), p. 869‑892, analyse les manifestations orales et écrites du « mythe » d’Aura Poku, des écrits de Maurice Delafosse à nos jours, mais cette démarche totalisante semble plus marginale chez les littéraires. 42 litt„ †ires31, à la suite de Pierre Brunel, permettent de traiter des textes fonctionnant en réseaux et d’analyser des phénomènes intermédiaux complexes, mais restent souvent dégagés du terrain et n’incluent pas de sources populaires ou diffusées localement, comme les ballets ou les chants. C’est donc dans la pratique, et à partir ‡ˆ ‰Š‹Œie‹Œ essais et expérimentations que nous avons fondé notre méthode, au cours de notre M2 consacré à Sarraounia, « Sarraounia, ou la naissance d’un mythe littéraire », effectué à l’ENS de Lyon, sous la direction de Cécile Van Den Avenne. Après avoir établi un corpus provisoire en France, nous avons effectué un stage de recherches de deux mois à Niamey, en janvier et février 2011, grâce à l’hébergement scientifique du LASDEL (Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Dynamiques Sociales et le Développement Local), afin de le compléter par l’exploitat‘ des ’“”• ves de la télévision nationale, au centre de l’ORTN (Office de Radiodiffusion et Télévision du Niger), aux archives du Ministère de l’Éducation Nationale pour trouver des manuels scolaires sur Sarraounia, et dans la section publique des –—˜™š ves Nationales 32 pour rechercher des textes de l’écrivain Abdoulaye Mamani sur son héroïne. Quelques entretiens ont été menés avec des anciens acteurs de la politique publique sous Seyni Kountché, mais aussi avec des artistes, des journalistes et des historiens. Parce que cette confrontation de l’archive coloniale, de l’archive sonore et audiovisuelle33, de textes populaires, et de ceux la Bibliothèque nous paru si féconde, 31 Pierre BRUNEL théorise ce champ dans sa somme Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, Édition du Rocher, 1988, et de nombreux auteurs comparatistes explorent l’apparition d’un mythe en littérature ou les différentes manifestations d’une figure dans la littérature à travers les âges : citons par exemple Jean ROUSSET, Le Mythe de Don Juan, Paris, A. Colin, 1978, ou pour l’imaginaire des lieux, Crystel PINCO ! NNAT, New York, Mythe littéraire français, Genève, Droz, 2001. Pour un inventaire de la recherche comparatiste sur le mythe, voir Véronique GÉLY, « Mythes et littérature : perspectives actuelles », Revue de littérature comparée (2004/3), p. 329!347, ainsi que Véronique GÉLY, « Mythes et littérature », in La recherche en Littérature générale et comparée en France en 2007! : Bilan et perspectives, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2007. Nous revenons plus longuement sur la bibliographie des études de figures mythiques dans la section « Le nom propre des figures », Deuxième partie, Chapitre 3. 32 La liste exhaustive des sources figure dans la bibliographie. Nous ne citons ici que les références principales. Pour les périodiques les principaux textes de Mamani ont été : Sahel Dimanche, n°409/410/411 des 11/18/25 décembre 1992. Entretiens avec Abdoulaye Mamani, menés par Oumarou Ali ; Magazine Culturel, n°1/2/3, de mars/avril/mai-juin 1987. 33 Sur les croisements entre archives et arts, nous renvoyons à l’ouvrage collectif dirigé par ›œline LE LAY, Dominique MALAQUAIS, Nadine SIEGERT, et al. (dir.), Archive (re)mix. Vues d’Afrique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015. Sur les usages de l’archive pour traiter des figures héroïques, avec une perspective historique et anthropologique, voir Hélène CHARTON-BIGOT, Marie-Aude FOUÉRÉ, « Présentation : Héros Nationaux et pères de la nation en Afrique », Vingtième siècle. Revue d’histoire (2013/118), p. 3‑13. 43 nous avons voulu reconduire cette pratique de l’enquête pour nos deux autres figures. Le premier volet de cette enquête concernait Nehanda, et s’est déroulé d’août à septembre 2013, à Harare. Nous avons bénéficié du statut de chercheuse associée à l’University of Zimbabwe (UZ), ce qui nous a donné accès aux National Archives of Zimbabwe (NAZ), d’ordinaire rétives à délivrer des permis de recherche. Ces archives, au demeurant très riches, conservent notamment les chants de libération nationale mentionnant Nehanda34, ainsi que leurs transcriptions et leur traduction en anglais, ou encore le rapport du procès « Queen vs. Nehanda »35, dont les écrivains se sont souvent inspirés pour leurs romans. La bibliothèque de l’UZ, ainsi que celle de l’Arrupe College tenue par les Jésuites, renferment également de riches collections de romans et d’études concernant la colonisation ainsi que le Liberation Struggle. Pour ce qui est de la figure de Samori – le second volet de notre enquête –, nous avons pu travailler aux Archives Nationales de Guinée et aux archives de la RTG (Radio et Télévision de Guinée – section Kaloum), en juin et juillet 2014. Ainsi, nous avons rassemblé de nombreux chants sur Samori diffusés à la radio des années 1960 aux années 1980, et composés par les orchestres nationaux et fédéraux. Bangaly Diene Diane, du service des archives de la RTG, nous a traduit à cette occasion les chants du malinké au français. De plus, la Bibliothèque Nationale de Guinée a constitué une ressource importante en ce qui concerne les mémoires et thèses soutenus au sujet de Samori. Ce séjour à Conakry a permis de réaliser de nombreux entretiens avec d’anciens acteurs de la politique culturelle de Sékou Touré, mais également avec d’anciens collaborateurs du cinéaste Sembène Ousmane, sans qu’il nous ait été possible de retrouver son scénario Samory. D’octobre à novembre 2014, nous avons fait un second séjour de recherches à Niamey afin de compléter nos sources sur Sarraounia – le troisième et dernier volet de notre enquête. Nous avons alors consulté le fonds musical du CFPM, et celui de la section « radio » de l’ORTN. Nous avons également dressé une collection de monographies coloniales sur la région de Dogondoutchi et de Lougou, afin de rechercher les premières mentions de Sarraounia dans les textes des administrateurs français. Afin de retrouver le scénario Samory, de Sembène Ousmane, nous sommes allée à Dakar en décembre 2014, où nous avons finalement pu le consulter à la Maison de la 34 Record Center, ATR/12/VOZ à ATR/58/VOZ ; Voice of Zimbabwe, enregistrés à Maputo, Mozambique Radio Studio, sans date. Acquisition par les NAZ entre 1982 et 1989. 35 Central Governement, High Court, Criminal cases, trial « Queen against Nianda » : S401/252, S401/334, S2953. Southern Rhodesia, 1891-1923. Chief Native Commissioner : N3/31. Historical Manuscripts, Alderson Files, AL1/1. 44 radio, grâce à la confiance qu’a bien voulu nous accorder son ancien assistant, Clarence Delgado. Cette pratique de la collecte de textes s’est accompagnée, tout au long de notre travail, du dépouillement d’archives coloniales en Europe. Ainsi les dossiers de la mission Voulet-Chanoine et les pièces de l’enquête administrative 36 , conservés aux archives d’Aix-en-Provence (Centre des Archives d’Outre-Mer) informent-ils les romans d’Abdoulaye Mamani et de Jacques-Francis Rolland sur Sarraounia, les deux auteurs affirmant par ailleurs avoir consulté ces cartons pour composer leurs textes. De même, de très nombreux rapports, documents ou lettres du Capitaine Gouraud, d’Henri Gaden, de Marie-Étienne Péroz, pour n’en cžter que quelques uns, constituent les premiers textes sur Samori, rédigés « sur le vif », et la comparaison avec leurs œuvres éditées, plus tard, est souvent très instructive. Ce travail de comparaison entre les récits édités et les premières impressions a été continué aux Archives du Fort de Vincennes Ÿ ervice ¡ ist¢£¤que de la Défense). Les archives personnelles d’Yves Person, conservées à la Bibliothèque de Recherches Africaines (BRA, Paris 1), occupent une place à part dans l’étude. Elles comprennent en effet un ensemble de textes inédits37 issus des enquêtes menées par l’historien pour sa thèse monumentale Samori, une révolution dyula38, lorsqu’il était administrateur colonial. L’exploration de ses archives a donc permis d’ajouter au corpus des textes non publiés, témoins de la mémoire sur ¥amori des années 1950. Enfin, deux séjours bibliographiques à Londres ont notamment permis de numériser Labarin Shamuri, d’Abu Mallam, le premier texte en langue africaine consacré à Samori, daté de 1914 et conservé dans les Archives de la SOAS (Collection Special Manuscripts)39, ainsi que de consulter les fonds coloniaux des National Archives, concernant la Rhodésie du Sud d’une part, et d’autre part les deux officiers britanniques ayant acquis et ramené Labarin Shamuri à Londres. Durant ces différents séjours de recherche et ces nombreux mois de dépouillement, il s’est agi de viser l’exhaustivité dans le recensement des sources, en 36 CAOM, série Afrique III, « Explorations, missions et voyages », 37, 38, 38bis « Explorations et missions 1898+1899 », Missions françaises Voulet-Chanoine. Pour l’enquête militaire, voir DAM/16. 37 Principalement les cartons des cercles d’Odienné, Beyla, Kissidougou, Sikasso, Siguiri (cartons 4b, 4c1 et 4c2, 4d, 4i, anciennes cotes). L’inventaire du fonds Person a été mené par Michèle Raffutin, disponible désormais en ligne sur CALAMES. Plus d’informations sur ce fonds en annexe (p. 609-613), dans la section « Présentation du fonds Yves Person ». 38 Yves PERSON, Samori, une révolution dyula, op. cit. 39 Voir la traduction de ce texte en annexe ainsi que la présentation du document (p. 558-608). 45 étant à l’affût de la moindre attestation du nom de Nehanda, Sarraounia ou Samori, ou bien de périphrases les désignant, tout en étant consciente que cette même exhaustivité était en réalité inattei¦§¨ble. ©ª tte e«¬¦ª§­e de ­om®¯étude a néanmoins guidé notre travail, jusqu’à obtenir un panel, le ²³´³ niµ µ³ °± us ±arge possible, de réécritures, assez vaste pour présentatif des ¶·¸¹º»tions e¼½stantes¾ Sur Samori notamment, il est quasiment impossible de recenser toutes les productions littéraires et artistiques le mentionnant au détour d’une phrase, et de nombreux romans ou chansons nous ont vraisemblablement échappé. Il a donc fallu apprendre à faire le deuil de l’exhaustivité, en e ¿ÀÁÁ ÂÃÄÀÅÆ ÈÅ panorama de textes et de productions où nos figures étaient les personnages principaux, en veillant à ce qu’il soit suffisamment large et divers pour donner une image nette des représentations, à même de permettre une « archéologie » de Éa Êabrique de héros40. Cette pratique de l’enquête, quasiment policière41, où les textes sont trouvés après avoir constaté des « ËraÌes » ou des « preuves » de leur existence, a la particularité de rendre signifiants le lieu et la forme de la découverte du matériau, autant que son contenu. Ce modèle de l’enquête policière, fondé sur le discours inductif revalorisé notamment par les théoriciens de la micro-histoire42, s’applique tout à fait à la recherche des sources. Ainsi, il n’est pas anodin que les NAZ prennent soin de conserver les traÍÎÏriÐÑiÒÍÎ et ÓeÎ traductions en anglais des Chimurenga songs en shona sur Nehanda, ce qui est une précaution peu courante pour des archives sonores : l’héroïne est voulue et pensée comme nationale, et il est important pour l’institution de passer par la langue anglaise afin de transcender le seul milieu shona. Quant au silence des sources, il peut également devenir un élément important de l’enquête. Nous avons pu faire l’expérience de la quasi-absence de sources entre 1900 et 1950 sur Nehanda, après avoir consulté les bibliothèques et les archives locales. Mais ce « blanc »43 de la mémoire ne se constate que par défaut et ne deÔÕeÖ× siØÖÕÙiÚÖ× ÛÜÝ ÞÚÖß l’après-coup de la recherche, où la déception àá âá ãäs åæçèéár de documents sur une très longue période est réévaluée comme une preuve par le vide de 40 En s’inspirant d’une démarche archéologique de la construction des ensembles discursifs souhaité par Michel FOUCAULT, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969. 41 Sur le critique littéraire et le chercheur comme enquêteurs, voir Florian PENNANECH, « Portrait du critique en enquêteur », Romantisme (2010/3), p. 65!75. Sur la « critique policière », voir Pierre BAYARD, L’Affaire du chien des Baskerville, Paris, Minuit, 2007. 42 Sur le paradigme de l’indice, voir Carlo GINZBURG, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 6 (1980), p. 3!44. 43 Michel FOUCAULT, L’Archéologie du savoir, op. cit., chapitre « Rareté, extérioté, cumul », p. 162 et suivantes dans l’édition de la collection Tel : « L’analyse énonciative prend en considération un effet de rareté ». 46 ê a création de la figure de Nehanda par les intellectuels des années 1960. Cette preuve est évidemment toujours susceptible d’être remise en cause par l’apparition d’une source nouvelle, mais la démarche d’enquête se joue aussi sur un réexamen des déceptions ou des certitudes du terrain. ëì íî thode, qu’il a fallu mettre en place et souvent inventer au cas par cas pour l’analyse de ces figures, a donc été pensée selon trois principes directeurs. D’une part, la pratique de l’enquête dans la collecte des sources, qui permet de rassembler des textes inédits ou peu diffusés, et qui est souvent réservée aux anthropologues ou aux chercheurs en littérature orale. Nous avons fait le pari que le terrain et les archives pouvaient apporter des sources à même d’éclairer notre corpus initial, établi depuis les bibliothèques françaises, et de compléter notre perception de la figure. D’autre part, la pratique de l’interdisciplinarité, et notamment la confrontation à la discipline historique, dans les recherches menées dans les ïðñòóôõö, e÷ Europe et en Afrique, qui ont permis de mesurer la place des arts et de la littérature dans la fabrique des héros44, en suivant une démarche archéologique. Enfin, la conviction que l’approche littéraire est efficace et pertinente pour rendre compte de la figure, comprise comme objet global, constitué d’enseøbles discursifs, textuels au sens large, en recourant aux études sur le mythe, aux analyses de l’imaginaire, mais aussi à la narratologie, aux études intertextuelles et intermédiatiques, entre autres, sans choisir d’aùùúûúaüúon süýúcüe : nous avons toujours tenté de placer notre objet – lþ ÿigure – au centre de notre réflexion, et de ne convoquer qu’ensuite les références critiques, afin de respecter la complexité de cet objet et, d ns d nbreux cas, les ambivalences qu’il recèle. III Héros, figure, mythe : nommer le grand homme Il s’agit étudier la fabrique des trois figures de Nehanda, Samori et Sarraounia dans et par les arts. Si la notion semble à première vue instinctive et presque aller de soi, relevant du bon sens – chacun peut se faire une idée de ce que recouvre « la figure de Lumumba » ou, p la France, « l fig Jenne ’Arc » – il existe pourtant un 44 Qui reprend parfois des modèles hérités de l’opinion publique coloniale telle que décrite par Edward BERENSON, Les Héros de l’Empire : Brazza, Marchand, Lyautey, Gordon et Stanley à la conquête de l’Afrique, trad. Marie BOUDEWYN, Paris, Perrin, 2012. Nous reprendons cette démarche utilisée dans cet essai, de croisement de textes, de sources, d’images parfois concrètes, d’imageries et d’imaginaires, qui nous semble particulièrement féconde. 47 flottement terminologique important puisqu’elle paraît pouvoir alterner sans difficulté aucune avec les notions connexes de grand homme (« gra  femme » n’étant significativement pas attesté), père fondateur45 (« mère fondatrice » étant plus rare), père de la patrie, mythe littéraire, héros culturel, ou eore h national46. D’autant que ce flottement terminologique a été pour une grande part cautionné par des usages galvaudés des notions, ainsi des Mythologies qui, chez Barthes, deviennent l’Žqvle des « croyances populaires ». Dès lors, des précisions lexicales s’imposent. Nous avions utilisé, ns notre Master 2, la notion de « mythe littéraire », en reprenant la définition qu’en donne Pierre Brunel47, qui donne à la littérature une place fondamentale dans la création des mythes. S’éloignant en cela de Mircea Eliade48,  ! le my"he es" un #$i" archaïque, à vocation étiologique, sacré, et donc pour initiés, Pierre Brunel considère, en revanche, la littérature comme fondatrice des mythes. La littérature mythologique correspond alors à ce qu’Henri Morier définit comme « u%& 'o%'e()io% 'olle')i*& +o%-.e sur les admirations et les répulsions d’/01 2oci3t3 donnée » 49 . Le partage d’une fascination commune, dont l’axiologie peut être réversible, est au cœur de la notion de mythe littéraire selon Pierre Brunel : Un récit symbolique qui prend une valeur fascinante, plus ou moins totalisante pour une communauté humaine à laquelle il propose en fait l’explication d’une situation ou bien l’appel à l’action.50 Le mythe littéraire est donc partagé par un groupe, et son terrain est la littérature, qui sans cesse réinvente et redonne sens au mythe initial, dans l’extrême contemporain et l’extrême actualité de sa réception. Ce que Pierre Albouy condense dans la formule suivante : « point de mythe littéraire sans palyngénésie qui le ressuscite dans une époque dont il se révèle apte à exprimer au mieux les problèmes propres »51. La fascination de la 45 Harris MEMEL-FOTÊ, « Des ancêtres fondateurs aux Pères de la nation. Introduction à une anthropologie de la démocratie », Cahiers d’études africaines, 31 (1991/123), p. 263‑285. 46 Hélène CHARTON-BIGOT, Marie-Aude FOUÉRÉ, « Héros nationaux et pères de la nation en Afrique », xi, (117), Paris, Presses de Sciences-Po, 2013. 47 Pierre BRUNEL, « Préface » in Pierre BRUNEL (dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, op. cit., p. 7-15. 48 Mircea ELIADE, Aspects du mythe, Collection Idées, Paris, Gallimard, 1963 : « Le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des "commencements". Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux exploits des Êtres Surnaturels, une réalité est venue à l’existence, que ce soit la réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce végétale, un comportement humain, une institution. » 49 Henri MORIER, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, Presses universitaires de France, 1961. 50 Pierre BRUNEL, « Préface », op. cit. André DABEZIES, dans « Des mythes littéraires aux mythes primitifs », in Pierre BRUNEL op. cit., reprend le concept de fascination comme critère définitoire du mythe littéraire : « une illustration symbolique et fascinante d’une situation humaine exemplaire par telle ou telle collectivité ». 51 Pierre ALBOUY, Mythes et mythologies dans la littérature française, Paris, Armand Colin, 1969. 48 collectivité se fonde donc sur la capacité du récit à signifier, capacité renouvelée dans le temps. Cette notion permet de traiter des arborescences de textes unis par un même sujet et une même visée. Néanmoins, la multiplicité des réécritures et des media présents dans notre corpus excède le seul champ du littéraire : les films, les ballets, les chants, les manuels scolaires seraient ainsi laissés en dehors de l’anal45e6 T789 en c7:5ervant les acquis définitionnels des fonctions sociales et imageantes du mythe littéraire pour un groupe, il est nécessaire de se tourner vers une notion plus large ou plus neutre, qui permettrait d’englober des domaines artistiques différents. La notion de « cultural hero », développée par les études anglophones, peut être pensée comme une alternative efficace, en ce qu’e;;e <’introduit pas de qualificatif de discipline, la « culture » pouvant recouvrir les multiples aspects des réécritures, constatés au cours de la recherc=>? Je@ABe H? Long en donne la définition suivante : Mythical being found in the religious traditions of many archaic societies. Although he sometimes assists the supreme being in the creation of the world, his most important activity occurs after the creation of the world, when he makes the world habitable and safe for mankind. He establishes institutions for humans, bring them cultural goods, and instructs them in the arts of civilization. Thus, he introduces culture to human beings.52 [Être mythique que l’on trouve dans les religions traditionnelles de nombreuses sociétés archaïques. Bien qu’il assiste parfois l’être suprême dans la création du monde, son activité la plus importante intervient après la création du monde, lorsqu’il rend le monde habitable et sûr pour l’humanité. Il établit des institutions pour les hommes, leur apporte des biens culturels, leur enseigne les arts de la civilisation. Il apporte donc la culture aux hommes.] En tant que telle, elle ne correspond pas aux ensembles de « textes », pris au sens extensif, fédérés autour d’une figure héroïque fascinante. Mais elle a été reprise comme catégorie d’analyse par certains littéraires53 pour traiter des figures héroïques de groupes minoritaires. Ainsi Crystel Pinçonnat s’empare-t-elle de la notion dans son article, publié en ligne, « Le temps des nouveaux guerriers : CD héros culturel, figure de la reconquête 52 Jerome H. LONG, article « Culture Heroes », in The Encyclopedia of Religion, New York ; Londres, Mac Millan Publishing Company, 1987. 53 Voir le colloque organisé à Metz par l’Université de Lorraine les 22 et 23 mars 2012 intitulé « Les héros culturels, récits et représentations ». Signalons, par le même centre de recherche de l’Université de Lorraine, deux ouvrages collectifs sur les relations entre communauté, récit, et figurations mythiques : Jacques FANTINO, Bernard BOURDIN (dir.) Les Figures de l’ancêtre. Entre quête d’identité et souci de légitimité, Metz, Université Paul Verlaine-Metz, Centre de recherche Écritures, 2012 ; Dominique RANAIVOSON, Valentina LITVAN SHAW (dir.), Les Héros culturels : Récits et représentations, Saint-Maurdes-Fossés, Sépia, 2014. 49 identitaire Et tEFFGtHFGaIE »54 : les romans contemporains d’Indiens d’KMNOPque du NQOR mettent en scène des « héros cultSUVls », tendus vers la reconquête identitaire de la terre, et porteurs des aspirations d’une collectivité en son ensemble. Ces héros romanesques symbolisent, dans « ces récits d’identités », les valeurs d’un groupe ; mais c’est bien le roman qui travaille alors la figure héroïque et non plus le mythe. Cette démarche littéraire d’analyse du terme de « cultural hero » semble convenir en partie à notre corpus. « Mythe littéraire » et « héros culturel » proposent donc des aspects complémentaires de la définition, tout en se situant dans des domaines différents : l’un partant des analyses de la mythocritique pour ancrer la recherche dans le champ purement WittXYZiY[\ l’autre nommant principalement des « héros fondateurs » et non des personnages historiques. Nehanda, Samori et Sarraounia ne sont pas seulement des héros fondateurs ou des personnages romanesques, ils ont eu une existence historique attestée, avec certes des récits aux degrés de véridicité variables, mais se fondant néanmoins sur un substrat de réalité, ce qui modifie considérablement la portée des textes. La notion de « héros culturel » reste néanmoins pertinente par sa portée très générale et les 55 ]^__^`ati^_b qu’elle implique dans la réception par une collectivité . Nous l’utiliserons pour traiter des réceptions des figures héroïques et de leurs fonciions. Mais nous préférerons généralement une formule plus neutre de l’héroïsme, en utilisant la notion de « jkgure »56, qui permet de rendre compte à la fois de l’aspect littéraire de son origine, de son utilisation dans des intertextes variés voire des media autres, tout en ne préjugeant pas des valeurs qui lui sont conférées, ni des supports utilisés. Xavier Garnier57 caractérise la figure comme antipersonnage, c’est-à-dire comme l’envers du personnage-signe (wel qu’il est défini par Philippe Hamon58), l’envers de l’investissement du lecteur (étudié par Vincent Jouve 59 ), et l’envers de l’ixza{x|ti}x ~el qu’il est théorisé par Francis 54 Crystel PINÇONNAT, « Le temps des nouveaux guerriers : le héros culturel, figure de la reconquête identitaire et territoriale », Amnis. Revue de civilisation contemporaine Europes/Amériques (2002/2), [en ligne] < http://amnis.revues.org/150 >, consulté le 1er septembre 2014. 55 Dans un aller-retour entre le texte et les lectures nécessairement plurivoques qu’il induit, tel qu’il est dégagé par l’École de Constance : Hans Robert JAUSS, Jean STAROBINSKI, Pour une esthétique de la réception, Bibliothèque des idées, Paris, Gallimard, 1978. 56 Cette notion ayant, pour certains, comme principale caractéristique d’être évanescente et d’être, précisément, « rétive à la conceptualisation », Bertrand GERVAIS, Logiques de l’imaginaire, Montréal, Quartanier, 2007. Nous en tentons néanmoins une approche ici, qui se doublera d’une étude de cas tout au long de cette thèse. 57 Xavier GARNIER, L’Éclat de la figure : étude sur l’antipersonnage de roman, Nouvelle Poétique Comparatiste, Bruxelles, PIE-P. Lang, 2001. 58 Philippe HAMON, « Pour un statut sémiologique du personnage », Littérature (1972), p. 86!110. 59 Vincent JOUVE, L’Effet-personnage dans le roman, Paris, Presses universitaires de France, 1992. 50 Berthelot 60 ). En effet, ni Nehanda, ni Samori, ni Sarraounia, ne correspondent au « personnage-personne » fondant les catégories traditionnelles de la lecture et de l’identi€iation, en ‚ƒage avant l’ère du soupçon. Ils sont fondés par le mythe et l’histoire, ils naissent de la rumeur collective : « La figure est une voix singulière s’élevant de la multitude des voix confondues »61. Son rayonnement, en littérature et dans les arts, est fondé par sa valeur fascinante. Elle est générée par un milieu qu’elle obsède en retour. Nous souhaitons étendre cette notion de force attractive, élaborée par Xavier Garnier, à des ensembles discursifs plus larges, intertextuels et intermédiatiques. La figure n’est pas une forme vide que le lecteur investit dans le silence de la lecture solitaire. Elle prend corps dans et par la rumeur publique62, en incarnant par la narration des réactualisations signifiantes pour un groupe dans le temps de la création. Cette notion d’énigme, suscitant la parole et le déploiement de l’imaginaire, permet de rendre compte des réactualisations multiples et contradictoires qui sont faites des trois héros de notre corpus. Notre hypothèse de travail est que la figure héroïque tend à endosser les fonctions de « héros culturel ». Le premier terme est une catégorie descriptive. Le second, une catégorie f„ †ti„ ‡ˆˆe‰ Ša f‹gure permet ainsi d’échapper à la notion d’auteur Œ i ne s’agit pas de savoir quel écrivain a fondé en premier le personnage de Sarraounia, Samori ou Nehanda. La catégorie n’est pas pertinente pour la multiplicité de te‘e ’“” •–“ ea—–• de teni˜ ensemble. Ce fonctionnement intertextuel a beaucoup à voir avec ce que Gilles Deleuze et ™eši› œuattari nomment še rhizome 63 , régi par les principes de connexion et d’hétérogénéité, et surtout de multiplicité, qui peut comprendre des ruptures radicales et dont on peut cartographier les arborescences. Le signifiant global n’en est dès lors jamais fixe, mais en construction permanente, sur plusieurs lignes de fuite à la fois. 60 Francis BERTHELOT, Le Corps du héros : pour une sémiotique de l’incarnation romanesque, Paris, Nathan, 1997. 61 Xavier GARNIER, Introduction, op. cit. 62 Nous reprenons cette notion, que théorise Xavier Garnier, en nous nourrissant également des analyses de Julien BONHOMME, Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine, Paris, Le Seuil, 2009 ; et des relations à l’écriture de la rumeur, comme l’étudie Nicolas MARTIN-GRANEL, « Rumeur sur Brazzaville: de la rue à l’écriture », Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, 33 (1999/2/3), p. 362‑409. 63 Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980. Voir aussi Xavier GARNIER, « Les littératures francophones sont-elles mineures, déterritorialisées, rhizomatiques ? Réflexions sur l’application de quelques concepts deleuziens », in Véronique BONNET (dir.), Frontières de la francophonie ; francophonie sans frontières, Itinéraires et contacts de cultures, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 97!101. Et à une toute autre échelle d’analyse : Xavier GARNIER, Le Roman swahili : La notion de littérature mineure à l’épreuve, Paris, Karthala, 2006. 51 Ces étoilements, à parti de NežŸnda ¡a¢£¤ et ¡aŸounia s’opèrent en prenant pour objet un homme et deux femmes. Car le grand homme peut aussi être une « grande femme », et le caractère non attesté de la locution ne change rien à leur importance effective. Choisir un corpus mixte a permis de cerner les différences de réutilisations des figures féminines et masculines, et les éventuelles spécificités des réactualisations des héroïnes. Il ne s’agissait pas de s’inscrire uniquement dans le courant des gender studies64 et c’est pourquoi Samori vient balancer le poids des femmes, mais de rendre compte néanmoins de l’aspect militant de la mise en a¥¦nt d’une héroïne, dans le mouvement général de l’émergence de héros culturels. IV L’hétérogénéité du corpus, aux limites de la notion de fiction Le corpus est irréductiblement hétérogène : plusieurs langues, plusieurs modes de production (oral/écrit), plusieurs territoires géographiques, plusieurs media, §¨©ª«e©¬ª t­®¯s °e narrations, ce qui nous porte aux marges de la littérature et de la notion de « fiction » en intégrant des chansons, des ballets, des chants radiodiffusés, des pièces de théâtre produites pour la télévision, des manuels scolaires... Le littéraire est face à ses périphéries, que ce soit le « paralittéraire »65 ou les autres formes de mises en récit (chansons, manuels d’histoire, ballets). Nous tombons d’accord avec Daniel Fondanèche lorsqu’il caractérise ainsi les paralittératures, ou les littératures dites « populaires » : 64 L’argumentaire voulant rester de portée générale au sujet de la création de héros nationaux, qu’ils soient hommes ou femmes, il n’en reste pas moins que le choix d’une femme par une société est signifiant. Nous avons refusé de réserver une unique chapitre à cette question du genre, parce qu’il nous semble qu’elle traverse toute notre réflexion. Aussi y reviendrons-nous à de nombreuses reprises dans l’argumentaire, en étudiant notamment les modalités de ce choix d’une figure féminine pour les auteurs, ainsi que les conséquences narratives induites. Plus spécifiquement, sur la question de la féminité guerrière, pensée comme paradoxale, nous renvoyons au chapitre 2 de la Deuxième partie, section « Féminités guerrières ». Sur la femme prêtresse d’une religion non-islamique, et sur ses conséquences contemporaines en terme de réception dans des milieux désormais musulmans, nous renvoyons, dans ce même chapitre, à la section « Fait religieux et héroïsmes », mais aussi au deuxième chapitre de la Troisième partie. 65 Pour une approche des « mauvais genres » ou des « littératures marginales » selon l’appellation donnée par Raymond QUENEAU dans le volume de La Pléiade, Histoire des littératures, tome 3, Paris, Gallimard, 1967, voir Daniel FONDANÈCHE, Paralittératures, Paris, Vuibert, 2005. Ce dernier présente une typologie des paralittératures à la fin de son introduction, divisée en plusieurs « socles » : « - le socle spéculatif avec : le roman policier (et toutes ses sous-catégories), le roman de sciencefiction (avec toutes ses subdivisions), le roman fantastique (sous toutes ses formes), l’utopie et la dystopie ; - le socle de l’aventure avec : le roman d’espionnage et le roman de western ; - le socle psychologique avec : le roman sentimental et sa corruption, le roman à l’eau de rose ; entre les deux, le roman érotique qui a sa propre forme pervertie, le roman « X » ; - le socle iconique avec : la bande dessinée et le roman-photo (comprenant aussi le « cinéroman ») ; - le socle documentaire avec : le roman historique, l’uchronie et le roman rural ». 52 L’une des caractéristiques de base des paralittératures est d’être en prise directe sur leur époque, d’en rendre compte beaucoup plus précisément et surtout plus rapidement que les littératures générales. […] [Ce sont] des littératures de consommation immédiate, [des] littératures fongibles. […] La littérature populaire, plus que toute autre, doit pouvoir être facilement décodée par ses lecteurs et cette forme passe par la mise en place d’un monde aisément accessible à l’imaginaire, donc proche du réel quotidien.66 Force est de constater que certains textes de notre corpus correspondent à cette définition des paralittératures, que Daniel Fondanèche n’a pourtant ±²s inclus dans sa typologie : la littérature enfantine, avec par exemple l’³´µ¶·ge d’Halima Hamdane, Sarraounia, des chants partisans dont les textes sont largement diffusés dans les manuels scolaires ou à la radio¸ ave¹ ºes Chimurenga songs sur Nehanda, ou encore des ballets qui s’inspirent de romans, comme le ballet d’ouverture des cinquièmes Jeux de la Francophonie sur Sarraounia, écrit à partir du roman d’Abdoulaye Mamani. Ces à-côté de la littérature, comme »emble l’indiquer le préfixe para-, « sont de la littérature, quoi qu’on en pense »67¼ ½e ¾¿À s¿ÁÁÂÃe une a½½eÁÄion large de la Å fiction ». Dès lors, une fois entendu que la notion extensive de fiction ÆÇÈÉÊit Ëe cÆÉÌÇÍ sur des genres habituellement considérés comme cas-limites – l’ensemble « paralittératures » – la question des frontières du corpus se pose : où s’arrête la fiction ? Cette question est d’autant plus prégnante que notre champ de recherche côtoie l’histoire : où commence le récit historique, où s’aÎÎÏÐeÑÐ Òe Ðémoignage ou le texte scientifique ? Doit-on Ónclure des mémoires68 d’officiers ? Ôes coupures ÕÖ presse ×ØÕÙgées par des administrateurs ? À 66 Daniel FONDANÈCHE, op. cit. Daniel FONDANÈCHE, op. cit. 68 En France, les officiers français, et plus généralement les acteurs de la colonisation, étaient nombreux à publier leurs mémoires quelques années seulement après la fin de leurs missions. Ainsi, de nombreux textes traitent de Samori : - Colonel BARATIER, Épopées africaines, Paris, Artheme Fayard, 1912. - Louis Gustave BINGER, Du Niger au Golfe de Guinée par le pays de Kong et le Mossi, Paris, Hachette, 1892. - Henri Joseph Eugène GOURAUD, Au Soudan : Souvenirs d’un africain, Paris, P. Tisné, 1939. Jacques MENIAUD, Sikasso ou l’Histoire dramatique d’un royaume noir au XIXe siècle, Paris, impr. F. Bouchy, 1935. - Parfait-Louis MONTEIL, De Saint-Louis à Tripoli par le lac Tchad! : voyage au travers du Soudan et du Sahara accompli pendant les années 1890-91-92, Paris, F. Alcan, 1894, de manière très ponctuelle (p. 44, 52-53, 63-64), puis Une Page d’histoire militaire coloniale, La colonne de Kong, Paris, Charles Lavauzelle, 1904. - Albert NEBOUT, « Vingt et un jours chez Samori », Journal des voyages, Paris, n°150 ; 151 ; 152, 1899, p. 306!308 ; 326!327 ; 343!345. - Marie Etienne PÉROZ, Au Niger! : Récits de campagnes, 1891-1892, Paris, Calmann Lévy, 1895 ; Marie Étienne PÉROZ, Par vocation! : Vie et aventures d’un soldat de fortune, 1870-1895, Paris, Calmann-Lévy, 1905. Les références à Sarraounia sont plus rares puisque les officiers Voulet et Chanoine ont trouvé la mort au cours de leur mission. On peut toutefois citer l’ouvrage récemment réédité de Jean François Arsène KLOBB, 67 53 partir de ÚÛÜÝÞ le ßait raàáÝâé engage-t-il le racontant dans une mise en récit qui fait basculer le texte dans la narration ? 69 ães teäåes historiques et scientifiques, comme ceux d’Yæçè Pçéèon , font partie des discours tenus sur Samori et informent notre étude. De même, les textes d’officiers français de la colonisation dans leurs rapports ou leurs prises de parole dans la sphère publique70 sont des témoignages qui éclairent les figures. Pourtant ces deux types d’écrits sont rejetés hors de l’étude, puisque nous traitons de la formation des figures héroïques en littérature et dans les arts uniquement. Délimiter la notion de fiction nous permettra de tracer une ligne de démarcation entre histoire et littérature. Cette séparation est parfois arbitraire, puisqu’histoire et littérature sont à envisager comme un continuum, et de nombreux textes semblent rétifs à la catégorisation, mais elle semble néanmoins un préalable nécessaire à la définition initiale du corpus. Selon Kate Hamburger71, la fiction est un genre énonciatif littéraire dont on peut déterminer des catégories stylistiques propres : usage de la troisième personne du singulier, possibilité du discours indirect libre, perte de la signification temporelle du passé... Mais les romans historiques ne sont pas toujours à la troisième personne du singulier, et l’auteur peut tout à fait jouer à brouiller les pactes de lecture en affirmant avoir fait œuvre d’êëstorien72. Nous défendons l’idée qu’il existe surtout une différence pragmatique entre fiction et énoncé factuel, due aux contextes culturels de réception des textes ì est fiction ce qui s’affiche comme « feintise ludique partagée »73, dans le texte ou le paratexte, et qui est perçu comme tel. La position de principe de l’auteur, qui affiche une volonté de mise en récit de l’eíîïðñence régie par Octave Frédéric François MEYNIER, A. Maitrot de La MOTTE-CAPRON, À la recherche de Voulet: sur les traces sanglantes de la mission Afrique centrale, 1898-1899, Paris, Cosmopole, 2001. - Jules JOALLAND, Le Drame de Dankori : Mission Voulet-Chanoine. Mission Joalland-Meynier, Paris, Nouvelles éditions Argo, 1930. Pour Nehanda, aucun officier britannique ne semble s’être exprimé. Des témoignages de colons ont été publiés tardivement dans les NADA (Native Affairs Department Annual) : Edwards, W. « Wiri », NADA, 1960, p. 81-101, 1961, p. 5-20, 1962, p. 19-44. 69 Yves PERSON, op. cit. 70 Sur Samori, voir par exemple Louis ARCHINARD, « Rapport du lieutenant-colonel d’artillerie de marine Archinard, commandant supérieur du Soudan français sur la campagne 1890-1891 », Journal Officiel de la République française, 19-29 octobre 1891, « Rapport du docteur Crozat sur sa mission au Mossi », Journal Officiel de la République française, octobre 1891. 71 Kate HAMBURGER, Logique des genres littéraires, Paris, Le Seuil, 1986. 72 De nombreux romanciers prétendent par exemple avoir consulté des archives historiques pour écrire leurs ouvrages, ainsi de Jacques-Francis Rolland en France, d’Abdoulaye Mamani au Niger, de Charles Samupindi au Zimbabwe. Dans ce cas, c’est le paratexte qui est déterminant avec par exemple la mention « roman » sur la couverture, ou avec l’utilisation d’une édition non scientifique. 73 Jean-Marie SCHAEFFER, Pourquoi la fiction ?, Paris, Le Seuil, 1999. La notion de feintise est héritée de John R. SEARLE, Sens et Expression. Études de théorie des actes de langage, Paris, Minuit, 1982, Joëlle PROUST pour la traduction française, pour qui la fiction se définit comme une « assertion feinte sans intention de tromper ». 54 le principe de plaisir, ou au contraire une inscription dans le champ du discours scientifique régie par la preuve, permet de faire le partage entre fiction et non-fiction74. Ce sont donc des critères extrinsèques, et notamment l’intention75 d’auteur, non au sens psychologique où l’entendait Sainte-Beuve, mais au sens d’inscription dans un contexte institutionnel et éditorial, qui déterminent le statut du texte. Certains teòóes ôõöux76 prétendent viser le vrai, et devraient dès lors relever de la non-fiction : néanmoins ces pactes de lecture se trouvent en opposition avec les contextes effectifs de performance qui nécessitent une mise en scène et ÷ø ùraúûil de l’oralité. Ce ne sont donc que des jeux avec les pactes de lecture (ou de réception plus généralement), des protestations de scientificité üýþ ÿ’ont d’autre but que de grandir l’énonciateur, et qui sont d’ailleurs reçus par le public de cette manière. Ils relèvent donc d’un autre champ textuel, structuré en outre par des procédés de littérarisation lié à la mémorisation77, à l’oralisation en contexte de performance et à la visée d’un destinataire co-présent, – et ils sont perçus comme tels – que la non-fiction. Les témoignages d’officiers français en revanche, même s’ils sont parfois très travaillés (et en cela ils diffèrent radicalement des comptes-r ndus de mission que ces mêmes auteurs ont pu écrire à leurs supérieurs au cours de leurs missions), se présentent néanmoins comme non-fictifs. Si nous choisissons de placer ces deers textes h de nre co d’étude, nous serons néanmoins amenée à les citer régulièrement puisqu’ils offrent un point de comparaison utile avec les textes fictionnels. Notre corpus, fondé sur la notion de fiction (qui intègre le paralittéraire et s’arrête au factuel du récit historique) se présente comme résolument hétérogène et pourrait 74 La catégorie, héritée de la recherche anglo-saxonne, de non-fiction permet de relier témoignages, textes scientifiques, textes historiques. 75 Sur l’intentionalité comme critère d’articité, voir John R. SEARLE, op. cit. : « Feindre est un verbe intentionnel. […] Le critère d’identification qui permet de reconnaître si un texte est ou non une œuvre de fiction doit nécessairement résider dans les intentions illocutoires de l’auteur. Il n’y a pas de propriété textuelle, syntaxique ou sémantique, qui permette d’identifier un texte comme œuvre de fiction. Ce qui en fait une œuvre de fiction est, pour ainsi dire, la posture illocutoire que l’auteur prend par rapport à elle, et cette posture dépend des intentions illocutoires complexes que l’auteur a quand il écrit ou quand il compose l’œuvre ». Voir également les prolongements de ce courant théorique avec Nelson GOODMAN, « Quand y a-t-il art ? », in Manières de faire des mondes, Nîmes, Edition Jacqueline Chambon, 1992, pour l’édition française. 76 Bala Kanté, dont les propos ont été recueillis par Jan JANSEN, Bala Kanté, Une chronique, op. cit., affirme dire le vrai. 77 Pour Mamoussé DIAGNE, Critique de la raison orale : Les pratiques discursives en Afrique noire, Tradition orale, Niamey, Niger, France, Sénégal, CELHTO, 2005, les procédés de mémorisation, inhérents au contexte d’oralité, sont des procédés de littérarisation formels : répétitions, refrains, recours aux parallèles et à l’opposition, stylisation des caractères. Il ne s’agit pas de revenir sur ce que nous avons établi, à propos de la fragilité des critères formels de la fiction, puisque c’est bien encore ici la performance, et donc une posture d’auteur dans un cadre de réception construit, qui constitue la littérarité du texte. 55 pra”tre relever de l’incomparable. Construire la comparaison, c’est a s tuer que a figure justifie le rapprochement des textes de champs littéraires distincts ou de media différents. V De l’approche comparatiste, des outils littéraires Le choix de l’approche comparatiste s’est imposé comme une évidence méthodologique et éthique. Régulièrement, on annonce la mort de la discipline, qui semble être en crise permanente78... et s’en porter très bien. Loin d’être moribonde en effet, la littérature comparée sort renforcée de la multiplicité des approches théoriques qu’elle accueille. Puisqu’il ne relève pas d’une théorie mais d’une « rmŽutiq de la défamiliarisation » 79 , le comparatisme transcende les querelles de chapelles et les différences d’outils théoriques proposés au fil du temps. Il est avant tout une démarche qui suppose la construction de son objet dans et par la défamiliarisation. Plus que toute autre, sa méthode permet de penser le divers. Par sa multiplicité générique, notre corpus relève de l’hétérogène, et nos trois figures appartiennent en outre à des cultures différentes. L’histoire coloniale du Niger, de la Guinée et du Zimbabwe est différente. Par leur rapprochement, il ne s’agit pas de prétendre gommer ces caractéristiques géographiques, identitaires et culturelles. Il ne s’agit pas non plus de nier l’influence du contexte80. Mais nous postulons que leur émergence présente des caractéristiques communes qui permet, dans un mouvement de 78 La littérature critique est abondante sur la crise de la littérature comparée. Citons entre autres René ETIEMBLE, Comparaison n’est pas raison. La crise de la littérature comparée, Paris, Gallimard, 1963 ; Ulrich WEISSTEIN, « D’où venons nous? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? The Permanent Crisis of Comparative Literature », Canadian Review of Comparative Literature/Revue canadienne de littérature comparée, 11 (1984/2), p. 167!192. 79 Françoise LAVOCAT, « Le Comparatisme comme herméneutique de la défamiliarisation », Vox Poetica < http://www. vox-poetica. org/t/articles/lavocat2012. html# _ftn1> publié le 5 avril 2012, consulté le 1er septembre 2014. 80 Nous suivons en cela Marcel DETIENNE, Comparer l’incomparable, Paris, Le Seuil, 2000 [2009], qui justifie l’entreprise de comparaison du monde grec avec d’autres aires géographiques, comme le Japon et l’Inde védique notamment. À la question « à quoi bon comparer » si les contextes sont différents ?, il répond en élaborant le programme du « comparatisme constructif » : « Non pas pour trouver ou imposer des lois générales qui nous expliqueraient enfin la variabilité des inventions culturelles de l’espèce humaine, et le comment et le pourquoi des variables et des constantes. Comparons entre historiens et anthropologues pour construire des comparables, analyser des micro-systèmes de pensée, ces enchaînements découlant d’un choix initial, un choix que nous avons la liberté de mettre en regard des autres, des choix exercés par des sociétés qui, le plus souvent, ne se connaissent pas entre elles », p. 60. Nous postulons que cette liberté de l’analyse, accordée aux historiens et aux anthropologues, peut être appliquée aux littéraires ; étant entendu que cette liberté doit toujours être adossée à une entreprise critique de construction des comparables. 56 retour réflexif, de rendre compte des différences ds conisaions fraaise e britannique, et des pratiques discursives spécifiques à chacune des cultures étudiées. C’est l’étude comparative des héros qui permettra de lire ce que la culture a imposé au récit. Ainsi, ce sont l’ambivalence et les contradictions des textes liés à Samori qui font surgir, en contraste, l’évidente homogénéité des récits consacrés à Nehanda. La plongée dans le monde shona ne suffirait pas à le percevoir aussi nettement. C’est e our r  comparaison avec Sarraounia et Samori qui pousse le chercheur à revenir interroger ce qui, dans la culture shona et dans le processus de décolonisation spécifique au Zimbabwe, peut expliquer l’uniformité des récits liés à Nehanda. Il s’agit donc de sortir du constat de l’incomparable, de l’incommensurable, afin de faire surgir les « choix des sociétés », pour reprendre l’expression de Marcel Detienne, en regard des possibles qui leur étaient offerts. Mais ces possibles n’merg !" #$ %&ns la comparaison avec d’autres modèles, résolument autres. Dès lors, sortir du silence qui suit le constat de l’« incommensurable »81, de l’apparente irréductibilité des genres ou des cultures, ce n’es' pas ouvrir une comparaison sans limi(e )uc*+,- m)is c’est pouvoir déterminer les outils de la comparaison et les cat./012es comparables3 Non seulement les diff.rences entre les trois fi/415s sont certaines, mais elles sont reconduites entre les œuvres du corpus et entre les cultures étudiées. Il ne s’agit pas d’en réduire la portée en ramenant le tout à une typologie, à des archétypes, ou encore à des modèles invariants, en cherchant avec anxiété les marqueurs d’identités qui pourraient fédérer la totalité des textes étudiés. Comparer n’est 678 9:;<=9> l’altérité à de l’identité 82. C’est au contraire faire ?merger @e siABC@ier des figures, conserver les différentiels qui existent entre les textes, penser les multiplicités. C’est dans l’analyse des contrastes entre Nehanda, Samori et Sarraounia que les présupposés sur la « figure È vDEF Ge HiGGIJKJL que deG GMiGGiDEG vDEF G’opérer, et que d’autres lignes d’études OPQR SPTOPUV We XPVYeVZ Mais comment comparer l’[mer\]nce ^] _`bes i[ros culturels comme Nehanda, Samori et Sarraounia ? D’abord en délimitant les modalités de la comparaison, c’est-àdire en constituant une boîte à outils du comparatiste. Notre hypothèse, qui sous-tend notre étude, est que les outils du littéraire sont à même de rendre compte de la création de 81 Marcel DETIENNE, op. cit. Ou ramener les barbares à des « non-grecs », selon le principe de l’altérité conçue comme simple inversion du même. Voir François HARTOG, Le miroir d’Hérodote : Essai sur la représentation de l’autre, Paris, Gallimard, 1980, où l’analyse du dissemblable fait accéder à la catégorie du nouveau. 82 57 figures héroïques, ces phénomènes culturels complexes qui engagent de nombreux aspects de la scène julturelle d’une société 83. La notion de fiction, prise dans son acception extensive, permet de justifier le recours aux méthodes littéraires pour traiter de textes aux statuts hétérogènes, des romans aux chants radiodiffusés. Alors qu’historiens et anthropologues s’emparent de la littérature orale comme sources primaires, en démontrant la richesse d’un tel patrimoine et l’efficace de leurs méthodologies pour l’analyse de ces textes, il paraît important, dans un mouvement opposé et symétrique, de réinvestir la littérature comparée sur des objets mixtes : littératures écrites en langues européennes, anglaise ou française, littératures orales en langues africaines, littératures écrites en langues africaines, productions musicales et cinématographiques peuvent en effet être tenues ensemble grâce à la catégorie de « héros culturel ». Ce large corpus est donc une invitation à effectuer, dans un mouvement d’expansion centripète, un parcours des territoires de la fiction et du littéraire. En cheminant de manière inverse aux historiens, qui utilisent la littérature comme simple « preuve k wx iyyxztration, nous choisissons de prendre acte des études sur l’imaginaire collectif menées notamment par Benedict Anderson : s’il est vrai que les communautés se pensent dans et par les récits, alors les outils d’{|{lyse textuelle peuvent en rendre compte dans l’anal}~e des i€ti‚~ƒ La narratologie pour l’étude des épisodes, l’intertextualité et l’inte„ †dialit† ‡ˆ‰„ l’analyse des variations, la mythocritique pour l’analŠ‹e Œ la leur ‘as’ina“•e Œ la figure, utilisent des catégories à même de renouveler le regard porté sur les imagined communities, sur la formation des imaginaires et sur la mémoire de l’histoire coloniale, terrains souvent réservés aux historiens des représentations et aux anthropologues. La figure se construisant à l’intersection des savoirs et des disciplines, l’enjeu de l’étude est de construire une interdisciplinarité qui intègre les méthodes efficaces et des « mécanismes de pensées » des autres domaines – histoire, anthropologie, sociologie – tout en conservant les spécificités de la critique littéraire. C’e–t a—˜–— ™š› œet—enne définit ce qu’il considère être un « cžŸ ratisže constructi¡ » : 83 Nous adhérons à l’appel lancé par Peter DAYAN pour un comparatisme entre les arts, et pour une vision globale du fait culturel, dans « Pour un comparatisme entre les arts », in Antonio Domínguez LEIVA, Sébastien HUBIER (dir.), Vers un nouveau comparatisme/Towards a new comparatism, p. 375-389, disponible en ligne <http ://etudesculturelles.weebly.com/nouveau-comparatisme.html>, consulté le 1er septembre 2014. 58 Quels sont donc les « comparables » entre historiens et anthropologues ? Ce ne sont pas des thèmes, répétons-le, mais les mécanismes de pensée observables dans les articulations entre les éléments agencés selon l’entrée.84 *** ¢arraounia, Samori et Nehanda émergent massivement comme héros culturels au moment des indépendances, alors que les jeunes États cherchent à se légitimer et à se penser comme unifiés. Notre thèse est que la fiction est intimement liée à la représentation de l’hi£toi¤¥ et qu’elle est ¦§ outil ¨©¦ª ¨«§¬er les boule­«rseme§®s culturels, économiques, sociaux et politiques. Littérature, histoire et société sont en interrelation, et nous voulons montrer que les héros culturels sont particulièrement révélateurs de la manière dont la littérature pense la nouveauté, la rupture, la crise. ¯°±ment ²e ³orment le² héros ´ulturels dans de jeunes nations ? À quoi tient leur caractère fascinant et leur pouvoir imageant ? Quels rôles jouent les institutions dans leur diffusion ou leur éventuelle promotion ? Quelles sont leurs réactualisations à travers les cultures et les époques ? Que signifient ces réécritures ? µue ¶·sent-elles de la mémoire coloniale ? Comment sont lues les indépendances ¸ ¹t surtoutº »omment la ¼i»tion penset-elle la mémoire de l’histoire coloniale et les transformations sociales ½ ¾uelle est la nature de cette pensée de la fiction ? C’est à ces questions que l’étude cherchera à répondre. *** ¿our cÀÁminer aÂÁc ces trois ÃiÄÅÆÁs et aborder la notion de héros culturel, nous ÇÉÊËÌÊÍÎÏ d’entrées simples, sous forme de questions, qui nous mèneront à creuser, par paliers successifsÐ les raÑÑÒÓÔs eÕÔre la littÖ×ØÙure eÙ l’imaginaire, ÚÛÜÝÚ la ÞißÜiàÛ et l’identité, entre le héros et la mémoire. Qui/Quoi ? Le héros culturel esá doté d’une vie propre : il naît, il grandit en s’imposant dans un champ, il émerge en investissant des espaces, des lieux et des supports multiples, et il peut même décliner ou mourir. Cette bio-logie ou plutôt cette bio-graphie, ce récit de la vie deâ troiâ fiãäåæâç mené sur cent ans, permet de dégager leurs attributs et les fonctions de leurs réutilisations. Ce premier temps de l’étude est consacré à la description des variations et des métamorphoses du héros culturel à travers le temps, et de l’étude de 84 Marcel DETIENNE, op. cit. , p. 53. 59 leur fabrique. Le héros culturel naît du frottement entre l’individuel et le collectif, entre l’appareil d’État et la création, entre les élites et la rumeur. Comment ? Quelles formes prennent ces héros culturels ? Le héros culturel adopte des poétiques et des formes diverses, dont l’analyse constituera la seconde partie de notre étude. Les épisodes diffèrent, les portraits des héros évoluent, et les conclusions données aux récits peuvent diverger. Et pourtant, le nom du héros culèureé éêë-même permet de fédérer nos ensembles de textes, nous verrons à quelles conditions. Pourquoi ? Le héros culturel répond à un besoin de groupe. Il cristallise des discours portés sur l’histoire coloniale et postcoloniìle. Il est un symbole de lì mémoire collective, à l’inteíîection entíï ðittérature et ñòstoiíïó ôoin õ’affadir ou de vulgariser l’Histoire, le ö÷ros culturel construit au contraire les reøù÷sentations et les identités. Ce troisiúûe et dernieü volet de l’analyse met en place des propositions ou des hypothèses d’explication de l’efficacité des héros culturels, en analysant notamment les mécanismes qui règlent le pouvoir imageant du héros culturel, et les caractéristiques qui en font un objet d’ýþÿntýfýcatýon. 60 PREMIÈRE PARTIE Émergence et développement des héros culturels Introduction La figure se crée à l’intersection des variations des intertextes Il y a une biologie des héros culturels à établir, une description de leur vie et de leur milieu à faire. Les mythes littéraires et les figures héroïques ont un développement propre, et qui peut se quantifier : leur popularité les fait vivre, tandis que leur désaveu, voire leur oubli, signe leur mort. Ils luttent pour s’imposer : il y a des concurrences entre des formes, et certains héros « en germe » sont écrasés par d’autres plus attractifs. Ce sont les textes et les fictions, les productions culturelles et artistiques, qui manifestent de la vitalité des figures dans la mémoire collective 85 . Les outils d’observation, de mesure et d’analyse, de leur vie sont donc logiquement dérivés de l’intertextualité et de l’intermédialité. Aucune œuvre ne peut prétendre fournir une caractérisation finie et unique du personnage, le héros culturel se formant dans le dialogue entre les œuvres. Il y a un travail de renouvèlement figuratif permanent à penser, 85 Selon les différentes strates, relevant quasiment de la partition musicale collective, que dégage Maurice HALBWACHS, La Mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997, en soulignant la « construction » (p. 159 : le temps social et le temps individuel sont tous deux des constructions) d’une reconnaissance commune, d’un « sentiment de déjà-vu » (p. 80). 61 puisque la figure est remodelée dans le temps en fonction des réécritures. Et précisément, quel peut bien être le statut d’un personnage fictionnel au croisement de plusieurs textes, sans appartenance à aucun territoire particulier ? Ces figures de héros culturels ont l’avantage de poser des problèmes théoriques fondamentaux sur le statut de la fiction et de la relation intertextuelle, en les articulant à une pratique concrète des textes. Nous adhérons au sens large d’intertextualité qu’en donne Julia Kristeva, en reprenant les travaux de Mikhaël Bakhtine : « le mot (le texte) est un croisement de mots (de textes) où on lit au moins un autre mot (texte) »86. Loin du simple constat légèrement déceptif que tout mot a déjà servi, et que le livre n’est qu’une combinaison de livres antérieurs, l’intertextualité, telle qu’elle est pensée par Kristeva, est un outil pour étudier les différentes manifestations d’une figure entre les arts. Ce choix formel des auteurs, de s’emparer d’une figure déjà connue et déjà présente dans d’autres œuvres ou sur d’autres supports, pose de nombreux problèmes théoriques : s’agit-il de la même figure ? La figure est-elle préexistante à ses réactualisations ou n’existe-t-elle que dans ses variations textuelles ? Qu’advient-il de la figure lorsqu’elle change de média ? S’agit-il d’une traduction d’un motif littéraire ? Quelle est l’influence du médium sur le texte ? Conserver son sens étendu à l’intertextualité, ce n’est pas entretenir à dessein le flou terminologique, mais c’est ouvrir la possibilité d’une comparaison entre les arts, et entre le livre et la culture. La figure se construit simultanément à l’oral, à l’écrit, en anglais, en français, à l’école ou à la radio87, et non pas uniquement entre deux livres se citant explicitement. Il faut donc se donner les moyens d’explorer ces relations par des cadres théoriques ambitieux. Anne-Claire Gignoux, dans « De l’intertextualité à l’écriture »88, considère que la mythocritique affadit la notion d’intertextualité, citant Marc Eigeldinger (« Mon projet est de ne pas limiter la notion d’intertextualité à la seule littérature mais de l’étendre aux divers domaines de la culture. Elle peut être liée à l’émergence d’un autre langage à l’intérieur du langage littéraire, par exemple celui des beaux-arts et de la musique, celui de la Bible ou de la mythologie, ainsi que celui de la philosophie »89) comme exemple de dissolution de la notion. Nous pensons au contraire que cette définition extensive permet seule de rendre compte des phénomènes culturels mixtes, 86 Julia KRISTEVA, Semeiotikê. Recherches pour une sémanalyse, op. cit. Sur les radios africaines après les indépendances, voir notamment Graham FURNISS, Richard FARDON (dir.), African Broadcast Cultures. Radio in Transition, Oxford ; Harare, James Currey ; Baobab, 2000. 88 Anne-Claire GIGNOUX, « De l’intertextualité à l’écriture », Cahiers de Narratologie. Analyse et théorie narratives (2006/13). 89 Marc EIGELDINGER, Mythologie et intertextualité, Genève, Slatkine, 1987. 87 62 comme l’émergence de héros culturels dans les arts, qui s’écartent des modèles traditionnels d’étude des relations entre deux livres. Pour l’application au domaine littéraire, les acquis des travaux de Gérard Genette sont incontournables, et nous prendrons appui sur les natures et fonctions de l’intertextualité définis dans Palimpsestes, La littérature au second degré 90 . Nous conservons toutefois le sens courant qu’intertextualité a pris dans les études littéraires, de relations unissant un texte à d’autres textes, ce que Gérard Genette nomme toutefois hypertextualité. Pour les autres arts, la notion d’intertextualité a inspiré les études culturelles, et ouvert la voie au développement de la notion d’intermédialité, théorisée notamment par Jürgen Müller91. L’enjeu est de définir les relations entre médias : ceux-ci ne sont plus pensés comme « monades », au contraire : Les médias se coupent et se recoupent, ils ne sont pas isolés, ils varient leur fonction historique dans le contexte médial ; les textes médiatiques sont transformés, les textes littéraires sont adaptés au cinéma, et les films enfantent des livres, les pièces radiophoniques sont adaptées au théâtre et au cinéma, le livre nécessite l’image.92 Ces deux courants des études littéraires et artistiques, héritiers des travaux de Mikhaïl Bakhtine, de Julia Kristeva, de Laurent Jenny ou encore de Roland Barthes, prennent acte de ce qui a été appelé le linguistic turn, en sciences humaines : ils fondent leurs études sur une conception pragmatique de la langue, comme pratique sociale93. Toute connaissance du réel est déterminée par le langage. Dès lors, deux corollaires en découlent pour l’analyse des héros culturels, que nous essaierons d’illustrer dans l’argumentaire : d’une part, la figure héroïque se définit dans la relation entre les textes et les médias, elle n’est pas donnée comme préexistante au texte, mais s’élabore dans des interrelations ; d’autre part, ces textes construisent, à travers la figure, notre perception de l’histoire coloniale, de la communauté et de la mémoire collective. 90 Gérard GENETTE, Palimpsestes : La littérature au second degré, Points, Paris, Le Seuil, 1982. Jürgen E. MU!LLER, Texte et Médialité, Mannheim, Lehrstuhl Romanistik I, Universität Mannheim, 1987. Plus récemment, voir l’histoire de la notion dans Jürgen E. MÜLLER, « L’intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire : perspectives théoriques et pratiques à l’exemple de la vision de la télévision », Revue d’études cinématographiques 10 (2000/2-3), p. 105!134. La recherche intermédiatique est particulièrement vivante à Montréal, qui héberge le Centre de Recherche sur l’Intermédialité (CRI). En France, voir l’Atelier de Recherche sur l’Intermédialité et les Arts du Spectacle (ARIAS). 92 Jürgen E. MUL! LER, Texte et Médialité, op. cit., « Texte et Médialité : une introduction ». 93 Voire de « jeu de langage », selon Ludwig Wittgenstein, qui influence la conception pragmatique contemporaine du langage (Ludwig WITTGENSTEIN, Guy DURAND (trad.), Le Cahier bleu et le Cahier brun : Études préliminaires aux « Investigations philosophiques », Collection Tel, Paris, Gallimard, 1988.) S’il est vrai que notre perception est toujours-déjà médiatisée par le langage, alors ce sont l’ensemble des sciences humaines qu’il faut reconsidérer comme une critique de la langue. Cette représentation de la recherche comme herméneutique est au fondement du linguistic turn évoqué plus haut. 91 63 Pour présenter le parcours de nos trois figures, nous décrirons dans un premier temps l’intégralité de leurs réactualisations, de 1900 à nos jours, afin de donner une vue d’ensemble des « vies » de nos personnages littéraires, où la période des années 1960 apparaît comme un pic dans les réécritures. Ce premier chapitre s’attachera donc à écrire les « biographies » des trois figures héroïques, vieilles de plus de cent ans. Le second chapitre est consacré aux acteurs de ces réécritures, dont les tracés généraux auront été dégagés. Qui écrit, et avec quelles positions dans le champ littéraire et politique ? Dans ces chapitres liminaires, nous avons souhaité présenter de larges extraits de nos œuvres, afin de ne pas dissocier les textes et la présentation de leurs contextes. 64 Chapitre 1 Biographies des héros culturels : tracés des réactualisations de 1900 à nos jours Qui sont ces trois héros ? Quels types d’œuvres ont-ils inspirés ? Comment leurs figures se sont-elles développées sur un siècle ? Nous cherchons ici à décrire les différentes trajectoires prises par les figures de Nehanda, Sarraounia et Samori, pour en souligner la cohérence d’ensemble sur le temps long, et leurs spécificités à plus fine échelle. Notre hypothèse est que leurs réactualisations suivent un tracé général similaire, ayant tous trois été érigés en héros nationaux, pères fondateurs, ou mères de la patrie, au moment des indépendances, en reprenant et inversant le discours colonial 94 tenu auparavant sur eux. Il y a donc une comparaison possible qui justifie le rapprochement de trois terrains si différents, le Zimbabwe, le Niger et la Guinée. Nous dégagerons, pour les besoins de l’analyse, trois périodes dans cette création de figures héroïques, tout en étant consciente que le découpage est nécessairement réducteur ; il faudrait concevoir ces époques comme des tendances générales, en relation les unes avec les autres : l’époque 94 Selon des modalités de reprise, de rupture, d’inversion de clichés, et d’habitudes discursives, telles que les a étudiés William Benjamin COHEN, Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs : 15301880, trad. Camille GARNIER, Paris, Gallimard, 1981 : la très longue existence d’une doxa écrite sur l’Afrique a « encapsulé » l’expérience directe (p. 30) et agi comme projection au détriment de l’observation (comme par exemple avec l’Amérique). C’est une partie de l’histoire de la construction de cette doxa que nous voudrions décrire ici. 65 coloniale d’abord, de 1901, qui constitue notre premier texte, aux années 1960, marquée par des discours très polarisés, émanant d’officiers de la colonisation, ou de traditions orales recueillies par des administrateurs ; la très large période des indépendances, ensuite, que nous souhaitons étendue, pour mieux rendre compte de l’émergence de troupes de théâtre nationales, de manuels scolaires nationaux, et plus généralement d’une élite universitaire attachée à la promotion de l’histoire précoloniale ; enfin les quarante dernières années, définies par un foisonnement de réécritures qui peuvent parfois s’affranchir des normes édictées par l’État. Établir une bio-graphie de ces trois héros, « écrire la vie » d’un objet conceptuel, c’est en dessiner les principaux axes de réactualisations, en cent ans d’existence. Dans cette démarche archéologique, il s’agira de creuser dans les strates de discours, d’élaborer des relations entre les producteurs et les productions culturelles, en évitant toute « chimère de l’origine » dénoncée par Michel Foucault : aucun auteur, aucune œuvre du corpus ne peut, en effet, prétendre à l’authenticité ou à la véracité au sujet de la figure. En effet, ce « pluri-objet », pour reprendre le terme que Françoise Lavocat applique à l’objet de la recherche comparatiste95 (original, toujours-déjà construit par l’angle retenu par le chercheur, relationnel, ancré dans le monde) s’engendre précisément dans la multiplicité des réactualisations et des imaginaires96. Chaque œuvre, singulière, constitue l’une des représentations possibles de la figure. Mais aucune n’a la prééminence sur les autres en matière de représentation. Nos trois figures n’ont pas été créées par des auteurs qui conserveraient le privilège de leur origine. Elles relèvent plus de formations discursives au sens large, ouvertes aux interprétations, voire aux contradictions : elles peuvent évoluer selon des règles qui permettent des discours parfois homogènes, mais dont la principale caractéristique est d’autoriser la dispersion, la réappropriation et la subversion. Ceci est une première vue d’ensemble, sur le siècle, de l’émergence et de la diffusion des trois figures à travers l’ensemble du corpus. Nous reviendrons donc en détail sur de nombreux points dans la suite de l’étude, que nous ne pouvons qu’esquisser sommairement dans un premier temps. Enfin, toutes les œuvres du corpus sont citées 95 Françoise LAVOCAT, « Le comparatisme comme herméneutique de la défamiliarisation », Vox-poetica, article publié le 5 avril 2012, en ligne : http://www.vox-poetica.org /t /articles /lavocat2012.html#_ ftnref4 , consulté le 5 juin 2016. 96 Le terme a suscité de bien nombreuses définitions théoriques et nous préférons donc dégager, en actes, les caractéristiques des différents imaginaires de nos figures. Aussi n’adopterons-nous pas la perspective structuraliste d’un Gilbert DURAND, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire. Introduction à l’archétypologie générale, Paris, Presses Universitaires de France, 1960, mais nous privilégierons au contraire les relations entre les textes, de manière pragmatique, en faisant la part belle à l’étude de cas, à la singularité. 66 systématiquement dans cette partie, ainsi que les mentions des trois figures que nous avons pu collecter dans d’autres récits, des chants, des études scientifiques, afin de mettre en regard le plus d’aspects possibles des réécritures, et de permettre des comparaisons à large focale. Dans les parties suivantes, l’usage du corpus se fera de manière plus souple. 1. LES FIGURES HÉROÏQUES DANS LA PÉRIODE COLONIALE La période coloniale97 a des bornes diverses selon nos trois États, puisque les processus de colonisation et de décolonisation ont été fortement différenciés. Dans le cadre limité de notre étude, nous nous appuierons sur notre corpus pour délimiter le premier mouvement d’écriture et de création : le premier texte date de 1901, il est recueilli par Maurice Delafosse et il fournit le repère liminaire de cette période. L’autre borne est plus délicate à fixer : la Guinée obtient son indépendance dès 1958, suivie par le Niger en 1960, mais après la déclaration unilatérale d’indépendance envers la GrandeBretagne en 1965, le Zimbabwe est engagé dans une longue guérilla menée contre le gouvernement de Ian Smith, le Liberation Struggle, qui ne prendra fin qu’en 1980. Nous choisissons d’inclure les chants de guerre, les Chimurenga songs, dans la seconde époque, celle des indépendances, par l’évidente dimension combattante de ces textes, ce qui permettra des parallèles plus aisés avec le Niger et surtout la Guinée de Sékou Touré. Pour le premier âge de nos figures, de 1901 au début des années 1960 – plus précisément 1958 pour la Guinée, 1960 pour le Niger, ou 1965 pour le Zimbabwe, mais cet écart est peu significatif dans la répartition des textes de notre corpus – il est frappant de constater la très grande place de Samori par rapport à Nehanda et Sarraounia. Les deux autres figures sont très peu représentées au cours de cette période, alors que Samori a déjà suscité de nombreux récits, en français et en malinké. Cela s’explique à première vue par la dimension transnationale du personnage de Samori, par la différence d’échelle de son 97 Nous avons choisi à dessein une période large, à même de souligner les rapports entre littératures coloniales et littératures dites postcoloniales. Jean-François, Centre d’étude du 20e siècle (Montpellier) DURAND, Regards sur les littératures coloniales. Découvertes Tome I, Axe rancophone et méditerranéen, Centre d’études du 20e siècle (Montpellier), Paris; Montréal, L’Harmattan, 1999, décrit bien l’importance matricielle des littératures coloniales. Sur la place de la « bibliothèque coloniale » dans les circulations de récits, voir l’ouvrage d’Anthony MANGEON, La Pensée noire et l’Occident. De la bibliothèque coloniale à Barack Obama, Cabris, Sulliver, 2010. 67 empire, et partant, par la plus grande place de la mémoire de son action dans la première partie du XXe siècle ; Sarraounia et Nehanda ayant eu un rôle plus local, elles ne se sont imposées dans les récits que par l’impulsion donnée par les élites politiques et culturelles des années 1960. Loin d’être une déception comme nous l’avions d’abord cru, ce vide relatif, ce « blanc » de la mémoire signale et renforce le rôle des élites au moment des indépendances dans la création de figures fondatrices par le récit, Nehanda et Sarraounia venant prouver en creux l’action des intellectuels. Cela légitime également la comparaison des trois figures entre elles : c’est bien la confrontation de personnages de statures différentes, à des échelles différentes, qui permet de souligner le rôle des acteurs dans les formations discursives, et d’élaborer des hypothèses sur ces règles de formation. Les premiers textes sur Samori : littératures coloniales en langue française et littératures locales Samori ouvre notre période : dès 1901, Maurice Delafosse 98 insère dans la troisième partie de son Essai de manuel pratique de la langue mandé ou mandingue, paru à Paris chez Ernest Leroux, une « Histoire de Samori (Texte dyoula) avec vocabulaire des mots contenus dans le texte » (p.143), « Alimana Samori Ko-ma (Histoire de l’imam Samori, par Amadou Kouroubari ». Pour l’étude, nous suivons la traduction qui en a été donnée cinquante ans plus tard par le R. P. Hébert dans les Bulletins de l’IFAN, en 195999. L’avertissement de Maurice Delafosse donne de précieux renseignements sur les circonstances de production : Le texte mandé qui va suivre m’a été dicté en 1899-1900 au poste de Kofikro (Côte d’Ivoire) par un Dyoula nommé Amadou Kouroubari, originaire de Dabakala dans le Guimini ou Djimini. Le dialecte mandé dont ce texte donne un échantillon est donc le dialecte dyoula, tel qu’il est parlé couramment dans le Guimini et la région du 98 Les deux auteurs, Jean-Loup AMSELLE, Emmanuelle SIBEUD, dans Maurice Delafosse, Entre orientalisme et ethnographie! : L’itinéraire d’un africaniste, 1870-1926, Paris, Maisonneuve et Larose, 1998, rappellent à quel point Maurice Delafosse a été « disqualifié » par les « africanistes » (p. 13), au premier rang desquels Marcel Griaule. Ses travaux ont pourtant été ceux d’un précurseur dans de nombreux domaines, tant sa curiosité était encyclopédique, bien que les auteurs de cet ouvrage collectif pointent également que ce savoir a été, à bien des égards, un « acte de domination intellectuelle » (p. 211). Pour une analyse de son rôle d’administrateur, à travers l’exemple de la Côte d’Ivoire, voir Fabio VITI, « Dans un “chaos de races”. Note sur Maurice Delafosse, administrateur des Anno-Mango (Côte-d’Ivoire, 19041906) », Maurice Delafosse, Entre orientalisme et ethnographie: L’itinéraire d’un africaniste (1870-1926), op. cit. 99 Comme précisé en introduction. Pour un commentaire critique de la traduction et une analyse succincte de cette source, nous nous référons à Yves PERSON, Samori : Une révolution Dyula, op. cit., tome 3, annexe XII « Note sur l’histoire de Samori d’Amadou Kouroubari (Alimana Samori Koma) », p. 2119-2121. 68 Kong. Ce dialecte diffère très peu d’ailleurs des autres dialectes principaux de la langue mandé, notamment du malinké et du bamana (ou bambara du Haut-Sénégal et de Ségou). Amadou Kouroubari n’a été témoin que d’une partie des évènements qu’il raconte ; mais il entretenait des relations avec plusieurs de ses compatriotes voyageant dans la Boucle du Niger, et cela lui a permis de connaître d’une façon précise beaucoup de faits qui pourtant se sont déroulés très loin de son pays. (Delafosse, p. 145) Puisque le texte a été choisi comme illustration de la langue mandé, Maurice Delafosse fournit des indications d’ordre linguistique, précisant que le texte a valeur d’exemplarité. L’architecture générale de l’ouvrage donne une indication sur l’idéologie qui traverse le texte : celui-ci est cité en exemple d’un patrimoine culturel et historique, comme parangon d’une culture qu’il s’agit de présenter et de mettre en avant pour un lecteur français. L’autre indication fondamentale, donnée par le paratexte, est que la source a été dictée deux ans plus tôt par un témoin dont on nous indique d’emblée les faiblesses pour mieux y répondre immédiatement : son réseau de relations, souligné discrètement par son statut de dyoula, lui permettant de rendre compte efficacement de ce qu’il n’a pas vu, le témoin peut être considéré comme digne de foi. La suite de l’avertissement précise ce que Maurice Delafosse entend prouver : On remarquera que son histoire de Samori concorde d’une façon remarquable, tant pour la succession chronologique des évènements que par le détail des faits, avec les renseignements qui nous ont été donnés par MM. Péroz et Binger et avec les rapports officiels de nos colonies du Soudan et de la Côte d’Ivoire, renseignements et rapports qui ont été utilisés par M. Mévil pour la rédaction de son livre paru en 1899. Tout au plus pourra-t-on rencontrer quelques divergences peu importantes, qui toutes d’ailleurs se rapportent à des évènements qui nous sont imparfaitement connus. Les documents nouveaux que pourraient fournir le récit d’Amadou Kouroubari sont peu nombreux. Cependant, on y rencontrera quelques détails généralement ignorés et parfois intéressants. J’ai transcrit ce texte tel qu’il m’a été dicté, en supprimant seulement quelques redites inutiles. Je l’ai partagé en douze chapitres, afin de faciliter les recherches et de grouper ensemble les faits ayant trait à la même période. (Delafosse, p. 145-146) Il s’agit en effet pour Maurice Delafosse de donner une dignité au témoignage africain100 : dès lors, il est nécessaire de démontrer qu’Amadou Kouroubari est un témoin 100 Ayant pour but de donner une dignité à ce qui sera ensuite appelé « sources orales »; Jan VANSINA, Oral Tradition : A Study in Historical Methodology, Chicago, Aldine Pub. Co., 1965. L’importance de la « tradition orale » n’est plus à démontrer, mais notre corpus résolument mixte, avec une profondeur diachronique sur ces traces orales, nous a permis de croiser les sources, rejoignant les analyses réflexives de Jean-Pierre CHRÉTIEN, « Pour une historiographie des traditions orales!: La fin d’une époque dans la région des Grands Lacs!? », in Monique CHASTANET, Jean-Pierre CHRÉTIEN (dir.), Entre la parole et l’écrit. 69 d’exception, et l’avertissement est entièrement tourné vers cet objectif argumentatif, Maurice Delafosse ne se présentant lui-même que comme transcripteur, visant à effacer que ce texte obéit à une commande101. Deux traits caractérisent ce témoignage en langue mandé sur Samori : sa valeur qualitative, d’une part, puisque le texte supporte les recoupements avec Péroz et Binger, et sa valeur quantitative, d’autre part, puisque l’auteur a été sinon témoin des faits rapportés, du moins au cœur d’un réseau de renseignements efficace (il connaît « de façon précise beaucoup de faits qui pourtant se sont déroulés très loin de son pays »). Maurice Delafosse avoue cependant avoir remanié le texte de son informateur : outre la division en chapitres, certains éléments auraient même été regroupés en unités thématiques. Pourtant, Yves Person soupçonne une influence de plus grande envergure de l’administrateur sur sa source ; ainsi écrit-il en annexe de sa thèse : « On peut se demander si, soucieux d’obtenir un texte intéressant pour compléter son manuel de mandé, Delafosse, qui, lui, avait lu ces sources, n’a pas un peu trop préparé son informateur », puis plus loin : « [L’erreur sur la prise de Kong] est tellement énorme qu’il faut sans doute y voir une dictée du texte par Delafosse, plutôt que d’une confusion de son informateur »102. Il y aurait donc inversion du sens de la dictée, ou tout du moins, distorsion du texte de l’informateur pour répondre aux besoins de l’administrateur : besoin de légitimer la valeur de la source africaine, de souligner sa précision dans la chronologie, de louer la qualité du réseau d’informateurs, besoin également de choisir une source exemplaire en illustration d’un manuel de langue, besoin, enfin, de donner du prestige à son travail de collecte. Maurice Delafosse est loin d’effectuer une collecte « neutre » des informations. L’un des premières phrases d’Amadou Kouroubari annonce d’emblée qu’il s’agit d’un texte de commande : Mon nom est Amadou KOUROUBARI, né à Dabakala au Djimini. Un Européen de Kofidougou m’a prié de lui raconter l’histoire de Samori. (Delafosse p. 147 ; R. P. Hébert p. 545) Contributions à l’histoire de l’Afrique en hommage à Claude-Hélène Perrot, Paris, Karthala, 2008, p. 25‑43. 101 Ahmadou Kouroubari, ainsi que Mallam Abu comme nous le verrons plus bas, peuvent être comparés aux « intermédiaires » étudiés par Sophie DULUCQ, Colette ZYTNICKI, « Présentation : « Informations indigènes », érudits et lettrés en Afrique (nord et sud du Sahara) », Outre-mers, 93 (2006/352), p. 7‑14 ; Benjamin N. LAWRANCE, Emily Lynn OSBORN, Richard L. ROBERTS, Intermediaries, Interpreters, and Clerks : African Employees in the Making of Colonial Africa, Madison, University of Wisconsin Press, 2006. Plus largement, sur la relation de l’intermédiaire à la fabrique d’un savoir colonial, nous nous reportons aux travaux de Jean-Hervé JÉZÉQUEL, « Voices of Their Own ? : African Participation in the Production of Colonial Knowledge in French West Africa, 1900-1950 », in Helen TILLEY, Robert GORDON (dir.), Ordering Africa, Manchester, Manchester University Press, 2007, p. 173‑198, même si la situation est différente pour Mallam Abu, ce dernier étant lui-même le scripteur de son texte. 102 Yves PERSON, Samori, op. cit., p. 2119. 70 Cela n’invalide en rien la place de ce texte dans notre corpus, mais informe du contexte de production : il s’agit certes de notre premier témoignage « en langues africaines » pour reprendre les catégories d’Ursula Baumgardt et de Jean Derive103, néanmoins, l’empreinte de l’administrateur ne doit pas être oubliée, et l’hostilité marquée vis-à-vis de Samori doit être resituée dans le contexte des récits dyoula qui circulaient dans la sous-région. Trois ans seulement après l’arrestation de Samori, ce texte est exceptionnellement proche des faits rapportés. Quinze ans plus tard, deux textes aux statuts très différents viennent compléter ces témoignages africains de l’époque coloniale : un manuscrit haoussa en ajami d’un certain Mallam Abu104, et un récit d’un chef du Kènèdougou consigné sur un cahier d’écolier. Le premier est conservé à la SOAS sous le titre Histories of Samory and Babatu and Other Raiders, et est daté de 1914 environ. La seconde partie de ce manuscrit, consacrée à Babatu, a été transcrite, traduite et éditée par Stanis"aw Pi"aszewicz105, mais la première partie reste inédite. Le texte appartient aux fonds de Frederic William Hugh Migeod106, qui aurait lui-même obtenu le document du Dr Corson en janvier 1926, selon la notice de la SOAS. D’après nos enquêtes à Londres, nous avons pu reconstituer le parcours de ces deux officiers britanniques : le premier à avoir eu le document entre les mains est un médecin, bien qu’il n’apparaisse ni dans la Colonial Office List107 ni dans la liste des Medical Officers 108 , connu sous le nom de J.F. Corson 109 . Il aurait participé à 103 Ursula BAUMGARDT, Jean DERIVE, Littératures orales africaines, op. cit., p. 258 et suivantes. Cette section consacrée à Mallam Abu reprend l’introduction d’une conférence que nous avons donnée à l’invitation de la Société des Africanistes le 19 mai 2016, « Premières sources écrites en langues africaines sur Samori : Mallam Abu », au musée du Quai Branly. 105 Ce manuscrit a fait l’objet du travail de thèse de Stanislaw Pilaszewicz. Il en a donné en annexe une traduction intégrale en haoussa qu’il a bien voulu nous communiquer et nous l’en remercions. Il a également établi une traduction en polonais. Pour la seconde partie sur Babatu, éditée : Stanislaw PILASZEWICZ, The Zabarma Conquest of North-West Ghana and Upper Volta, « a Hausa Narrative, Histories of Samory and Babatu and Others » by Mallam Abu, Varsovie, Polish Scientific Publishers, 1992. Des citations de la seconde partie sont fournies en anglais dans l’article de Stanislaw PILASZEWICZ, « On the Veracity of Oral Tradition as a Historical Source! : The Case of Samori Ture », in Unwritten Testimonies of the African past : Proceedings of the International Symposium held in Ojrzanów n. Warsaw on 07-08 November 1989, Wydawnictwa Uniwersytetu Warszawskiego, 1991, p. 167, qui dresse un parallèle entre le texte que nous venons de présenter d’Amadou Kouroubari, recueilli par Maurice Delafosse, et ce manuscrit ajami de Mallam Abu conservé à la SOAS. 106 SOAS, cote 20871, Hausa Mss of Samory, Babatu..., Pearson, Migeod collection. 107 OFFICE OF COMMONWEALTH RELATIONS, The Dominions Office and Colonial Office List, Londres, Waterlow & Sons, 1960 1860 ; Mandy BANTON, UNIVERSITY OF LONDON, INSTITUTE OF HISTORICAL RESEARCH, Administering the Empire, 1801-1968. A Guide to the Records of the Colonial Office in the National Archives of the United Kingdom, Londres, University of London, Institute of Historical Research, 2008. 108 Alfred PETERKIN, William JOHNSTON, William Robert Macfarlane DREW, Commissioned Officers in the Medical Services of the British Army, 1660-1960., Londres, Wellcome Historical Medical Library, 1968. 104 71 l’éradication de la mouche tsétsé en Gold Coast en juillet 1920110, et l’on retrouve sa trace seulement en 1935, au Tanganyika, où il est « esquire », décoré de l’ordre de Saint Michael et Saint George111. Il aurait donné le manuscrit en 1926 à F.W. Migeod, dont l’on peut retracer la carrière plus facilement : également en Afrique de l’Ouest entre 1902 et 1928112, s’intéressant longuement aux langues africaines113, il croise certainement la trajectoire de J.F. Corson en Cold Coast. Les deux hommes se retrouveront plus tard au Tanganyika, où Migeod dirige des fouilles pour le compte du British Museum, de 1924 à 1931114, date à laquelle il rentre, avant de léguer ses carnets de notes sur le haoussa115, ainsi que le récit sur Samori, à la SOAS. Nous n’avons que peu d’informations sur le document. Stanis"aw Pi"aszewicz, dans son article « On the Veracity of Oral Tradition as a Historical Source : The Case of Samori Ture », considère que l’auteur ne peut avoir assisté aux conquêtes de Babatu et de Samori à la fois, malgré ce qu’il prétend. Il aurait certainement accompagné Babatu et Gazari, deux chefs Zarma, dans leurs campagnes au Ghana et au Burkina Faso. Néanmoins, les renseignements donnés sur Samori paraissent plus vagues, tout au plus aurait-il pu assister dans les années 1890 aux guerres menées par Sarankeni Mori, l’un des fils les plus influents de Samori, dans le Nord de la Côte d’Ivoire. Le texte est très critique envers Samori et le dépeint comme un mauvais musulman, notamment à cause de ses guerres de conquête menées contre des villes saintes, Madina au premier plan : Sunan gari Madinna. Samori ya kasha sariki Ibrahima ranan, ranan Aljima’a. Wana labara ta tsaya kuma. Ga wani labara Samori dain Kufila, sariki miy dunya Samori sariki yawudara, sariki rudi muttani. Ya kashi su. Samori shi ki rudi muttani. Samori halissa kin nan. Wana labara ta tsaya kuma. 109 Et non pas Colson, comme il apparaît dans la notice de John O. HUNWICK, Ousmane KANE, Arabic Literature of Africa! : 4. The Writings of Western Sudanic Africa, Leiden, Brill, 2003, p. 565-566. 110 National Archives, Londres. CO323/821/76. Gold Coast, Control of tse-tse fly. Executive recommendation for annual grant. 111 National Archives, Londres. CO448/44/11 Colonial Office Honours List. 112 Sur sa carrière de Colonial Administrator, voir National Archives, Londres, ADM/196/82 : dans la Royal Navy de 1889 à 1898, il devient assistant paymaster jusqu’en 1893, puis transport officer au Nigéria de 1898 à 1899, affecté aux douanes en mars 1900, puis dans les Ashanti Field Forces en 1900, où il reçoit la Ashanti Medal. Voir également des mentions à Aix-en-Provence de son nom, ainsi d’un voyage au Sénégal, attesté en 1909 : AOF/III/2. 113 Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur les langues africaines : The Mende Language, 1908, The Languages of West Africa, 1911-1913, Mende Natural History Vocabulary, 1913, Grammar of the Hausa Language, 1914. 114 Ses carnets de croquis de fossiles et de dinosaures sont disponibles au Natural History Museum de Londres et à la Royal Geographical Society. 115 SOAS Archives, Manuscript section. MS98024 Army Book. 72 [Cette ville s’appelait Madina. Samori en a tué le chef Ibrahima ce jour-là, un vendredi. C’est ainsi que l’histoire s’arrête. Voici l’histoire de Samori, le fils de Kufila, le souverain, le détenteur du monde. Samori, le souverain trompeur, le souverain qui déroute les gens. Tu les as tués. C’est Samori qui a trompé les gens. C’est cela le caractère de Samori. C’est ainsi que l’histoire s’arrête.] (folios 89-90)116 La mention des morts le vendredi, jour saint, renforce l’indignation d’Abu Mallam. Ce texte est tout à fait précieux car il est le premier texte rédigé en langues africaines à témoigner de la formation de l’empire samorien, puis de l’affrontement colonial, et son entreprise de traduction que nous avons menée participe d’une histoire « à parts égales »117, en renversant le regard, du côté des « vaincus »118. Tout aussi critique, le texte de Kélétigui Berté, transcrit en français par son fils, Oumar Berté, en 1915, et publié par Roland Colin en 2005 en annexe de Kènèdougou, au crépuscule de l’Afrique coloniale, relate l’affrontement, à Sikasso, de Tiéba et Samori. Kèlètigui Berté ayant été l’un des « chefs de guerre » de Tiéba, comme son nom Kèlètigui l’indique, il est tout à fait clair que l’axiologie du récit est défavorable à Samori : dans ce « Mémorial de Kélétigui Berté », transcrit sur un cahier d’écolier, Samori est l’ennemi par excellence, celui qui a tenté de prendre Sikasso, celui dont les troupes ne cessent de harceler les frontières du royaume. Roland Colin présente ainsi le texte : Ce document me fut remis par Oumar Berté, second fils de Kèlètigui Berté, en 1953. Il l’avait consigné sur un cahier d’écolier, à l’encre violette, de son écriture de maître d’école. En effet, Kèlètigui, le plus grand chef de guerre du royaume du Kènèdougou, s’étant rendu aux Français après la prise de Sikasso en mai 1898, fut nommé « chef de province » du Kaboïla, le canton le plus important du Cercle. Il envoya son fils puîné à la nouvelle école de Sikasso ouverte dès la fin de 1898. Oumar devint instituteur, le premier de sa région. Avant la mort de son père, en juin 1915, il recueillit pieusement l’histoire de sa vie, sous sa dictée. À partir de ce 116 Dans ce passage et dans toutes les citations suivantes, nous utilisons la transcription en alphabet latin du manuscrit de la SOAS, disponible en annexe de la thèse de Stanislaw Pilaszewicz. C’est à partir de ce document que nous avons travaillé à une traduction, du haoussa vers le français, avec l’aide de Souleymane Ali Yero. Voir la version complète de notre travail de traduction en annexe (p. 558-608). Ces paragraphes sont cités, par ailleurs, dans l’article précédemment évoqué de Stanislaw PILASZEWICZ, et voici la traduction qu’il en donne en anglais : « The town was called Madina. Samori killed the ruler Ibrahima that day, on Friday. This story is also ended. Here is a story of Samory, Kufila’s son, the ruler, owner of the world Samori, the deceiving ruler, the ruler who bewilders the people. You killed them. It is Samori who bewilders the people. Such is Samori’s character. This story is also ended (Mallam Abu I : 82-90) » (Stanis"aw Pi"aszewicz, 1991, p.176). 117 Romain BERTRAND, L’Histoire à parts égales : Récits d’une rencontre Orient-Occident, (XVIe-XVIIe siècle), Paris, Le Seuil, 2014. 118 Nathan WACHTEL, La Vision des vaincus : Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, 15301570, Paris, Gallimard, 1971. 73 premier texte, il composa le « mémorial », en le complétant, pour ce qui touche au dispositif militaire français lors de la prise de Sikasso, d’informations puisées dans les archives du Cercle. (Colin [Oumar Berté], p. 358) À partir d’un texte original recueilli sous la dictée, Oumar Berté aurait réécrit ce récit en fonction des données obtenues dans les archives du Cercle. Des variations stylistiques importantes permettent de retracer les épisodes concernés par la réécriture : si les premières sections « Biographie de Kèlètigui » et « Le royaume à son apogée » sont écrits alternativement à la troisième personne du singulier (« Kèlètigui touchait à sa vingt-et-unième année et le roi s’en était épris »), et à la première personne du pluriel (« Ce n’est plus Samori qui nous assiège mais des conquérants invincibles qui sont audessus de nous en intelligence et en toute chose »), les sections suivantes « Prise de Sikasso » et « Opérations » adoptent la troisième personne du pluriel et un point de vue qui se veut plus neutre. Le récit fait place à une liste de dates auxquelles sont apposées des descriptions factuelles, les phrases sont juxtaposées en parataxe, les coordonnants sont abandonnés : 16 avril : les sofas attaquent pendant l’établissement du camp. Les spahis sont attaqués à 3km à l’est du camp. Un peloton de la compagnie Coiffé les dégage. 17 avril : prises dans les villages avoisinant la rivière Banankoni par le capitaine Morisson, les sofas tuent un palefrenier et un auxiliaire (Colin [Oumar Berté], p. 377) L’abondance de dates, de noms propres (« Coiffé, Morisson »), de toponymes (« la rivière Banankoni ») et d’indications géographiques (« à l’est du camp », « à 3km ») révèlent un souci, sans précédent dans le récit, de précision dans la narration. Plus loin, des toponymes des descriptions de Méniaud sont réutilisés : ainsi est-il question d’une « redoute sur un tertre rouge » pour nommer un surplomb rocheux où a été installé une batterie de canon. Cette appellation en apparence anodine a été donnée par les officiers du camp eux-mêmes, il ne s’agit pas d’un nom local des environs de Sikasso. On la retrouve dans les souvenirs de Méniaud, Sikasso ou l’histoire dramatique d’un royaume noir au XIXème siècle119 : « L’ennemi se contenta d’observer l’ouvrage qui continue à s’élever et qui, dès ce moment, prend le nom de Redoute du tertre rouge »120. Ces souvenirs, publiés en 1935, ne peuvent évidemment pas être une source du Mémorial écrit en 1915, mais des rapports de Méniaud peuvent avoir été utilisés. D’autres indices nous permettent 119 Né en 1877, mort en 1938, Méniaud a été administrateur et membre de l’Académie des sciences coloniales. Nous revenons plus loin sur ses écrits et leur rôle dans la création d’un imaginaire sur Samori. 120 Colin, p. 316. 74 d’attester cette utilisation de l’archive française, venant s’ajouter en surimpression au récit oral initial. Ainsi, il est hautement improbable que Kèlètigui, commandant d’une partie de l’armée de Babemba, ait pu connaître les cercles d’origine des tirailleurs enrôlés dans l’armée française et morts au combat. Pourtant, des parenthèses viennent apporter cette information caractéristique des rapports de missions français, voulant coller au plus près d’un état civil. Cette phrase révèle un véritable vacillement du point de vue, un décrochage de l’énonciation : La compagnie Morisson a chassé les sofas des abords du camp. Le tirailleur Fababa Doumbia, les auxiliaires Noumanké Konaté (Beyla), Kabo Konaté (Siguiri), Lanciné Sangaré (Kankan), un ouvrier sont tués de la compagnie Coiffé seulement. (Roland Colin [Oumar Berté] p. 377) De même pour plusieurs autres mentions de description des renforts de Sikasso (la « brèche dans le mamelon » effectuée par le canon qui permit aux Français de prendre la ville est également une expression que l’on retrouve chez Kèlètigui et chez Méniaud), du nombre de cartouches utilisées, des noms des compagnies françaises, alors que les sofas semblent, eux, agir comme une masse indistincte. Il y a certainement circulation des textes, des archives coloniales vers les témoignages africains, qu’ils aient été perçus comme gage de véridicité ou comme support à la mémoire. En tout état de cause, les imaginaires passent d’un univers culturel à un autre, et ce « Mémorial », malgré sa date de création extrêmement précoce, 1915, n’en est pas moins redevable aux récits des officiers coloniaux français, et n’en est pas plus « authentique » qu’originel. Ce texte est certainement celui de notre corpus où la rupture stylistique est la plus marquante et où la double influence est la plus nette. De 1901 à 1915, nous avons donc trois textes concernant Samori qui attestent de la plasticité des imaginaires, se formant à la croisée des savoirs et des rumeurs, dans le branchement et l’hybridité ; les archives coloniales pouvant être des hypotextes des tous premiers témoignages africains, alors que ceux-ci sont souvent considérés comme « purs » de tout intertexte exogène au contexte de production. Notre corpus dément cette conception homogène des sociétés et prouve l’efficacité d’une analyse intertextuelle dans ce domaine. Après guerre, on trouve d’autres récits sur Samori récoltés par un administrateur, bien qu’ils ne soient pas publiés. Il s’agit des sources écrites de l’historien Yves Person, 75 collectées lorsqu’il était administrateur121, que nous avons pu consulter en travaillant dans ses archives personnelles122, à la BRA (Paris 1). Trois textes sont tapuscrits et font figure d’exception dans la longue liste des « Traditions orales » recueillies par l’historien : le récit oral de Babou Condé – qui deviendra par la suite la source de Camara Laye pour son récit sur Soundiata, Le maître de la parole123 – a été retranscrit par une autre personne en 1947, et envoyé à Yves Person, le texte de Tidiane Dem date de 1957, « Notes historiques », mais la source majeure est « Histoire locale » de Djiguiba Camara124, écrite en 1955. La rupture entre oralité et écriture125 mérite d’être précisée : il est sûr que Babou Condé n’a pas tapé lui-même son texte à la machine à écrire, puisqu’il n’en avait pas les compétences, mais nous ne savons pas si le texte original était en malinké ou s’il a été traduit en même temps qu’il a été écrit. En revanche, il est certain que Tidiane Dem et Djiguiba Camara ont choisi d’écrire, et d’écrire en français qui plus est. Après des 121 Yves Person a bénéficié d’une certaine relecture de ses textes. Ainsi du colloque et de l’ouvrage collectif qui a suivi : Charles BECKER, Roland COLIN, Liliane DARONIAN, et al. (dir.), Yves Person, un historien de l’Afrique engagé dans son temps : Actes du colloque international tenu à Paris les 20-21 juin 2013, Paris, Karthala, 2015. 122 En janvier-avril 2013, avec l’archiviste Michèle Raffutin. 123 Laye CAMARA, Le Maître de la parole : Kouma Lafôlô Kouma, Paris, Plon, 1978. 124 Nous avons fourni un travail de transcription complète de cette source, et préparons un appareil de notes ainsi qu’une introduction critique, avec l’aide de Marie Rodet et de Jan Jansen (pour Brill, à Leiden). À ce jour, la famille de Djiguiba Camara ne s’est pas prononcée nettement en faveur de la diffusion de ce texte, ce qui empêche son édition. Marie Rodet soutient la thèse que l’écriture de cette source est un moyen pour Djiguiba Camara de reprendre le pouvoir sur une circonscription qui est en train de lui échapper, au milieu des années 1950. Nous avons retracé son parcours à partir des archives de Conakry, ce qui permet de montrer de manière exemplaire comment un chef de canton peut être bien noté par les administrateurs dans l’entre-deux guerres, puis tomber en disgrâce. L’écriture de l’histoire de son canton est, dans cette optique, un moyen pour lui de s’affirmer comme intellectuel, auprès de ses administrés comme auprès de ses supérieurs. ANN, 2D279 Beyla 1898-1953, réorganisation territoriale, Extrait rapport de tournée, mai 1931, Augé : « Le chef de canton DJIGUIBA KAMARA a été nommé en Juillet 1928 en remplacement de son frère décédé. C’est un homme plein d’allant, parlant très bien le français qu’il écrit couramment, (il a été comptable à la B.A.O.) se souciant de l’avenir et de l’évolution économique du pays qui lui a été confié. Il connaît parfaitement tous les rouages de notre administration et se tient au courant de la réglementation locale à l’aide du Journal Officiel de la Guinée auquel il est abonné utilement, car il est apte à comprendre parfaitement les textes qui y sont insérés. DJIGUIBA KAMARA est donc un collaborateur précieux à tous les points de vue, c’est le chef moderne ou plus exactement le chef de l’avenir. » ANN, 2D280, Cercle de Beyla, Rapport politique annuel 1946, 20p, non signé : « SIMANDOUGOU. Ce canton, le plus important du cercle, est à surveiller de près. DJIGUIBA CAMARA est certes de la classe des Grands Chefs ; mais il est autoritaire et orgueilleux ; il n’est pas très aimé de ses administrés, s’étant présenté au Conseil Général, il n’a eu dans son canton que très peu de voix en sa faveur ; il y a en outre pas mal de rivalités de famille, et les anciens Tirailleurs, nombreux dans ce canton, ne paraissent pas apprécier l’autoritarisme de DJIGUIBA. Ce dernier, intelligent, a bien compris que les temps anciens étaient révolus ; mais dans le fond, il nous rend responsable de cet état de fait, et ne met aucune bonne volonté à se rapprocher de ses administrés. Cependant, sur mes instances, les apports de Riz de ce canton étant minimes ; il s’est décidé à entreprendre une tournée de propagande dans ses villages ; je ne puis encore préjuger du résultat. » 125 Surtout face à un administrateur colonial, ce qui conforte (de manière paradigmatique) les thèses de Kasereka KAVWAHIREHI, « La littérature orale comme production coloniale », Cahiers d’études africaines, 44 (2005/176), p. 793‑813. 76 recherches dans les Archives Nationales de Guinée en 2014, il nous est possible d’affirmer que le texte de Djiguiba Camara lui a servi, avant qu’il ne rencontre Yves Person, à asseoir sa position d’intellectuel dans le Nord de la Guinée, où il était chef de canton, après une série d’élections, et un rapport d’administrateur qui l’avait sévèrement noté. Tant pour ses administrés que pour l’administration qui le jugeait, écrire une généalogie des Camara et une grande histoire, sur plus de cent dix pages, de Samori, en soulignant le rôle de conseiller qu’avait eu son propre père, c’est en réalité chercher à légitimer sa position contemporaine, en réinscrivant son expérience du pouvoir dans une lignée, et dans un temps antérieur à la colonisation, dont les représentants le jugeaient. Tous ces textes issus d’archives privées ont longtemps été considérés comme perdus126. D’un grand intérêt pour la mémoire de l’histoire coloniale dans les années 1950 – et surtout de ses usages –, ces textes informent également des mythes de fondation127, des généalogies du prophète, des contes étiologiques dans le Nord de la Guinée. Enfin, ils sont un excellent révélateur des conditions de collecte des matériaux par les historiens (Yves Person, dans ce cas) dans l’immédiat après-guerre, qui cumulaient le rôle de « petit commandant » et celui d’historien sur le terrain128. Dans le cas de Samori, la littérature coloniale est un intertexte précieux, voire fréquemment un « avant texte »129. Nous avons choisi de conserver ce très large pan de la littérature hors de notre corpus mais quelques précisions s’imposent au sujet de la création de l’image de Samori à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, puisque notre corpus se nourrira abondamment du vocabulaire élaboré à cette époque, que ce soit pour 126 Timothy W. GEYSBEEK, History from the Musadu Epic: The Formation of Manding Power on the Southern Frontier of the Mali Empire, PhD, Department of History, Michigan State University, 2002, p. 9397. Tim Geybeek a été d’une grande générosité dans la diffusion de ses travaux pour la préparation de notre édition critique du texte de Djiguiba Camara, et nous lui en sommes redevable. 127 Et complètent aisément les transcriptions de ces mythes du Nord de la Guinée données par Tim GEYSBEEK, « A Traditional History of the Konyan (15th-16th Century): Vase Camara’s Epic of Musadu », History in Africa (1994), p. 49‑85 ; Tim GEYSBEEK, Jobba K. KAMARA, « “Two Hippos cannot Live in One River”! : Zo Musa, Foningama, and the Founding of Musadu in the Oral Tradition of the Konyaka », Liberian Studies Journal, 16 (1991/1), p. 27‑78. 128 Ce qui induit des choix d’écriture de l’histoire, en ne donnant pas toujours voix – quels que soient les affichages discursifs proclamés – aux « vaincus » de la même manière qu’aux « vainqueurs », comme le souligne Brian J. PETERSON, « History, Memory and the Legacy of Samori in Southern Mali, c. 1880– 1898 », Journal of African History, 49 (2008/2), p. 261‑279. 129 Ce rapport entre un « avant » et un « après » est induit par les chercheurs ayant traité de la littérature coloniale, et ce dès les titres des ouvrages : János RIESZ, De la littérature coloniale à la littérature africaine : Prétextes, contextes, intertextes, Paris, Karthala, 2007. La structure de l’étude révèle ce parti pris : « Généralités », « Le contexte colonial et ses aléas littéraires », « Réponses africaines », puis « Questions de réception ». Il est également induit par les auteurs dans l’introduction de Regards sur les littératures coloniales, Paris, L’Harmattan, 1999, sous la direction de Jean-François Durand. Nous verrons que plusieurs textes de notre corpus interrogent cette chronologie si précisément scindée. 77 le prolonger ou pour en inverser les termes. En termes de définitions, les frontières semblent évidentes entre les littératures coloniales et les autres types d’écrits, postcoloniaux ou non. À des critères géographiques décrivant les lieux de production, d’édition, de réception des œuvres s’ajoutent des critères historiques permettant de différencier des textes : ceux relevant de l’idéologie coloniale s’opposent à ceux écrits dans la conscience d’une soumission politique ou culturelle, ou cherchant à s’en échapper. La littérature coloniale peut donc être définie par ses producteurs, des agents de la colonisation au sens large. Il peut s’agir d’officiers publiant des mémoires, des rapports, des souvenirs de guerre, ou éditant des textes dans des journaux ou des revues comme Marie-Etienne Péroz (Au Niger : récits de campagnes, 1891-1892130), ParfaitLouis Monteil (De Saint-Louis à Tripoli par le lac Tchad : voyage au travers du Soudan et du Sahara accompli pendant les années 1890-91-92131), Méniaud (Sikasso ou l’histoire dramatique d’un royaume noir au XXème siècle132) ou Gouraud (Au Soudan, Souvenirs d’un Africain133). Les récits de voyageurs ou d’explorateurs étaient également très prisés : Louis-Gustave Binger décrit, dans les cinq premiers chapitres de son ouvrage Du Niger au Golfe de Guinée par le pays de Kong et le Mossi, 1887-1889134, sa relation et ses tractations avec Samori. Des administrateurs coloniaux ont également publié leurs souvenirs pour attester d’une réalité sociologique ou ethnographique. Enfin, les romanciers qui justifient l’idée de colonisation, les idéologies qui lui sont liées, ou reprennent les schèmes narratifs des récits d’officiers sont le prolongement de cette catégorie d’auteurs. En tous cas, ils assument une inscription dans une même lignée, même si les enjeux textuels et référentiels sont divergents. Roland Dorgelès est le premier à traiter de Samori dans une œuvre explicitement littéraire, à but non scientifique, dans la nouvelle « Ilo Samory ! » (Sous le casque blanc135). Ce panel montre bien la diversité d’une telle littérature traitant de Samori dès les années 1890 et jusqu’aux premières années de la Deuxième Guerre mondiale. Il y a donc un foisonnement de textes produits pendant cette période qui, dans la démesure de son étendue, ne peut que créer une doxa sur l’ennemi. Par la suite, les écrivains africains de 130 Paris, Calmann Lévy, 1895. Paris, F. Alcan, 1894. 132 Paris, F. Bouchy, 1935. 133 Paris, éditions Pierre Tisné, 1939. 134 Paris, Hachette, 1892. 135 Paris, éditions de France, 1941. 131 78 langue française seront envahis136 par cet ensemble concret de mots et d’idées consacrés à Samori. S’il est peu probable qu’aucun de ces écrivains n’ait eu connaissance de l’ensemble des textes, il est en revanche certain qu’ils ont pratiquement tous été nourris par cette opinion commune véhiculée par les journaux, par l’un de ces récits de voyages, ou par des souvenirs d’un de ces récits. Ces textes n’ont pas tous été diffusés en Afrique, mais l’idée qu’ils représentent de Samori a largement traversé les frontières. Cet ensemble d’auteurs coloniaux est caractérisé par un certain type de point de vue : ils s’attachent à glorifier l’œuvre coloniale et adhèrent à l’idéal civilisateur développé par Jules Ferry. La tendance générale est à l’exotisme137, à la recherche du pittoresque et du dépaysement, à l’aventure. Les officiers partant en campagne ont clairement conscience de s’évader de la métropole et de faire leurs armes sur le champ de bataille, c’est-à-dire de prouver leur valeur dans un univers résolument autre. Cependant cette tentation de l’exotisme est souvent contrebalancée par une volonté de savoir scientifique (qu’il soit botanique, ethnologique, linguistique...) qui oriente les textes vers une veine réaliste. Ces deux aspirations opposées sont complémentaires et coprésentes dans notre corpus138. Samori est considéré comme un chef sanguinaire139, concentrant toutes les tares d’un peuple barbare, qu’il s’agit de détrôner afin de sauver les populations vivant sous son joug. Les lieux communs racistes sont omniprésents : il y a une véritable hiérarchie des races et l’autorité de l’officier blanc sur ses domestiques ou ses tirailleurs s’enracine profondément dans cette conception. Le « fardeau de l’homme blanc » est bel et bien d’apporter rationalité et mesure dans un milieu hostile. Ces critères définitionnels de la littérature coloniale sont justes mais ne suffisent pas à dessiner un bloc uniforme et univoque. À l’intérieur de cette catégorie subsistent 136 Voire colonisés : Joseph TONDA, L’Impérialisme postcolonial, Critique de la société des éblouissements, Paris, Karthala, 2015, parle p. 10 de « colonisation de l’imaginaire et de l’inconscient », dans le sens inverse d’une colonisation de l’image du Noir en Europe. 137 Sur l’exotisme et la figure de l’altérité dans les littératures coloniales, voir le très éclairant article de Pierre HALEN, « Pour en finir avec une phraséologie encombrante : la question de l’Autre et de l’exotisme dans l’approche critique des littératures coloniales et postcoloniales », in Jean-François DURAND (dir.), Regard sur les littératures coloniales. Afrique francophone : Découvertes, tome I, op. cit., p. 41-62. 138 Jean-Marc MOURA oppose, dans son article « Littérature coloniale et exotisme : examen d’une opposition de la théorie coloniale » in Regards sur les littératures coloniales, Afrique francophone : Découvertes, tome I, op. cit., littérature coloniale et exotisme, la littérature de voyage à la littérature d’évasion. Force est de constater que notre corpus ne semble pas relever de cette bipartition : il s’agit certes d’une littérature de voyage qui affiche clairement ses marques de scientificité et d’objectivité mais autrui est sans cesse mis à distance par nos auteurs, rendu pittoresque, transformé en « autre » véritable afin tout à la fois de captiver leur public et de rehausser le prestige de leur mission. Ils ne sont que scientifiques amateurs : les marques de scientificité et l’appareil rhétorique ne sont pas révélateurs de l’ensemble du texte. 139 Le paroxysme est atteint avec ce très mauvais texte, de faible portée littéraire, mais représentatif néanmoins de ce courant d’opinion : F. DUBOC, Samory le sanglant, Paris, Sfelt, 1947. 79 des ensembles de discours, de pratiques et d’opinions diverses qu’il ne faut pas réduire sous prétexte qu’ils appartiennent au même champ de la « littérature coloniale ». Le colonialisme n’a jamais eu d’idéologie unique : l’idéologie de Louis Archinard n’a rien à voir avec celle de Maurice Delafosse de ce point de vue. Les théories de l’assimilationnisme et l’associationnisme ont divisé la classe dirigeante pendant toute la période coloniale. Les tenants d’une colonisation économique durable se sont opposés aux partisans d’une colonisation contingente et transitoire, menant à une indépendance future des États soumis. Toutes ces divisions ont un impact sur la manière de représenter l’autre, et singulièrement l’étranger par excellence, c’est-à-dire l’ennemi. Samori a ainsi pu être diabolisé comme celui qui refuse l’avancée de la civilisation en marche et l’avancée des Français en Afrique ou bien vu comme un héros d’une nation adverse. Cette reconnaissance, par Maurice Delafosse par exemple, d’une possible nation dans les plaines du Konyan dessine à elle seule une ligne de fracture entre les textes de la période coloniale. La littérature coloniale a été la première à produire en masse des images de Samori, au sens de sa représentation, de son concept, mais aussi au sens propre d’image visuelle. Le Supplément illustré du Petit Journal140 a consacré des « Unes » aux batailles menées contre celui qui incarnait le chef noir par excellence, terrible et puissant. Cette déferlante médiatique a fait émerger une figure caractéristique du tyran noir, dont les traits stéréotypés commencent à se fixer. Qu’ils soient ou non lecteurs de ces intertextes, les écrivains africains qui se sont ensuite ou concurremment emparés de la figure de Samori sont considérés comme les héritiers de cette vision du réel. Ils n’ont pas besoin de connaître à la lettre l’ensemble de l’architecture de cette « image »141 : ils sont nourris d’un imaginaire directement dérivé 140 Voir la « Capture de Samory par le lieutenant Jacquin » représentée dans le n°415 du 30 octobre 1898, 9ème année, p.1. Par la suite, sur l’imagerie de Samori, voir Le Progrès, 1899, 22 janvier, n°4, « Le général de Trentinian reprochant ses crimes à Samory » ; Le Petit Journal Supplément illustré, 1899, 5 février, « Tentative de suicide de Samory ». Pour un récit illustré, voir « La capture de Samory, Journal de route du Capitaine Gouraud », avec treize illustrations et deux cartes, Lectures pour Tous – Revue Universelle Illustrée, n°11, 1898 ou 1899, Hachette et Cie (Je remercie Jan Jansen de m’avoir donné un exemplaire de ce numéro, et de m’avoir fait connaître ce texte peu connu). Les reproductions sont en annexe (p. 801-813). 141 C’est ce sens que nous donnons à l’« imagerie » dans une acception large du terme. Ainsi, nous appliquons aux auteurs africains de langue française qui reprennent à leur compte cette imagerie la remarque que Michael Riffaterre fait du lecteur : « Je crois que le lecteur est toujours capable de retrouver l’intertexte. Mais il n’a pas en général les moyens de le localiser avec précision. Il se rappelle tel passage complémentaire de ce qu’il est en train de lire mais trop vaguement pour le nommer; ou bien il ne perçoit l’intertexte que sous sa forme potentielle, dans la prégnance du sociolecte, en germe dans un sémème matriciel », Sémiotique de la poésie, Paris, Le Seuil, 1983. La relation intertextuelle a alors à voir avec le fonctionnement du bruit et de la rumeur : une image en formation au sein d’un collectif. 80 de cette nébuleuse. De la manière la plus atténuée qui soit, ils sont au moins porteurs de représentation sur ce que pensent ou devraient penser les Français de Samori. Ces textes sont tendus entre deux objectifs apparemment inconciliables : mettre en valeur le Soudan pour justifier l’entreprise coloniale et en dramatiser la conquête pour glorifier leur propre action. Mais ces deux objectifs tendent dans les deux cas à faire de Samori un homme inaccessible, qu’il s’agit de débusquer et de suivre dans un dédale. Cette difficulté initiale de la rencontre fait de Samori un homme caractérisé par l’aura du mystère. Il faut en effet traverser tout son domaine pour venir à sa rencontre en temps de paix, ce qui est l’occasion d’une description détaillée à la fois des richesses potentielles que la France gagnerait à conquérir et des ravages causés par la société esclavagiste142 que l’idéologie coloniale se plaît à dénoncer, même si les tirailleurs et les porteurs de Gouraud et de Méniaud n’ont pas beaucoup plus de libertés. Il s’agit dès lors pour les explorateurs comme Binger de convaincre chacun des chefs de village rencontrés qu’il est le bienvenu, malgré la colère de Samori qui attendait un soutien armé des Français lors du siège de Sikasso143. L’attente des laissez-passer et des tractations quant au choix des guides et des itinéraires fait partie intégrante des récits de cette littérature coloniale. Même arrivé au camp face à Sikasso, cette question du chemin restant à parcourir sur les terres de Samori reste un sujet brûlant suscitant de vifs débats. Ainsi Binger a-t-il un échange vif avec le fils de Samori, Karamokho, qui était allé en France et faisait remarquer qu’à Bordeaux, il avait accepté de confier son sort au bon vouloir des Français : Je lui fis remarquer que mon cas n’était pas le même, que je ne demandais rien à l’almany, si ce n’est la permission 144 de traverser ses États placés sous notre protectorat ! et posai catégoriquement la question à Samory : « Veux-tu, oui ou non, me laisser traverser ton pays et me faciliter mon voyage ? ». (Binger, p. 111) En temps de guerre, le dédale est poussé à son paroxysme : l’hostilité des peuples rencontrés est manifeste, non seulement la route n’est pas connue mais l’approvisionnement en nourriture n’est pas non plus assuré. Le dernier chapitre de l’ouvrage de Méniaud sur la prise de Sikasso est consacré à la « traque » de Samori dans 142 Les villages rencontrés par Binger sont souvent déserts, comme celui de Komina uniquement peuplé de singes. Le dépeuplement est attribué aux ponctions effectuées par l’armée pour recruter des sofas, au système de la société esclavagiste qui échange des esclaves contre des chevaux ou de la poudre, et aux ravages de la famine, tout le mil étant dirigé vers les camps de Sikasso. 143 Louis Gustave BINGER, Du Niger au Golfe de Guinée par le pays de Kong et le Mossi, op. cit., Chapitre 2, septembre-octobre 1897, p. 107 et suivantes pour les désillusions de Karamokho et de Samori. 144 Les italiques sont de l’auteur. 81 la forêt : « Titre VIII : Conséquences de la prise de Sikasso. La colonne de Kong. La capture de Samory », ce qui permet habilement à l’auteur de faire rejaillir la gloire de la prise de Samori sur la colonne de Sikasso. Mais c’est surtout Gouraud qui détaille dans son ouvrage la route infestée de cadavres qui mène à Samori, comme nous l’avons vu plus haut. Sa description comme homme fabuleux est la conséquence de ce caractère inaccessible : avant même d’avoir pu le voir, on connaît des récits qui circulent sur son compte, son aura génère la fabula, la légende. La littérature coloniale a la particularité de nous donner à lire un état du « mythe de Samori » de son vivant. Il semble que ce soit l’apanage des personnalités politiques craintes, influentes et cachées que de générer des séries de discours parfois contradictoires, et leur aura vient aussi du fait que ces récits ne concordent pas : de ces figures, on ne sait comment départager le mythe du réel tant les témoignages abondent. Conformément à l’orientation scientifique que Binger veut donner au récit de son expédition, la section « Histoire de Samory » du chapitre 3 (p. 121 et suivantes) est consacrée à la confrontation de ces récits avec la volonté de préciser ce qui relève du juste, du vrai et ce qui relève de la fiction, de la légende. Il compare donc les sources, juge les témoignages, établit une chronologie et rejette dans le domaine du récit des textes jugés peu fiables. Ainsi exprime-t-il son projet après avoir cité les récits rapportés dans l’ouvrage Au Soudan français de Péroz : M’étant pour mon compte livré à de nombreuses investigations, j’ai pensé qu’il ne serait pas sans intérêt de les exposer à nouveau sommairement en les complétant et en rectifiant quelques dates erronées. La genèse de l’œuvre de Samory m’a été racontée d’une façon qui diffère sensiblement de celle qui a été communiquée au capitaine Péroz. Sans vouloir préconiser ma version, j’ai pensé qu’il serait curieux de la présenter au lecteur pour lui faire sentir la différence de l’interprétation de certains faits, suivant qu’ils sont racontés à la cour même de Samory, comme c’est le cas pour Péroz, ou par des gens plus ou moins étrangers ou même hostiles aux évènements qui ont marqué le commencement de la fortune de Samory. (Binger, p. 144) Cette méthode comparatiste, guidée par l’« intérêt », le « curieux », permet d’afficher des marques formelles de scientificité. Malgré ses dénégations – « sans vouloir préconiser ma version » qui est une véritable prétérition –, il est évident que cet appareil rhétorique fait émerger la version de Binger comme étant la plus juste, la plus objective ou en tous cas la plus neutre. La version de Péroz est donnée en premier sur deux pages, l’ensemble étant placée sous guillemets pour signaler le décrochage énonciatif et la mise à distance du récit rapporté : « « D’après la version contée au capitaine Péroz... » ». Le 82 sémantisme du lexème « contée » permet de renforcer encore ce rejet de la version de Péroz dans le domaine de la fiction, celle entendue par Binger n’étant implicitement pas une « version » puisqu’elle réfère directement au vrai, aux faits : c’est ainsi que les faits se sont déroulés. Après avoir rectifié des dates quant à la capture de la mère de Samory, et à l’émancipation de Samory des troupes mercenaires, il rapporte sa propre version dont il ne nous indique pas l’auteur : Maintenant que nous avons exposé comment on dit à la cour de Samory que les évènements se sont déroulés, nous allons raconter fidèlement la version que nous avons recueillie au cours de notre voyage. La périphrase « comment on dit à la cour de Samory » pour désigner le récit est légèrement péjorative. Plus subtilement, l’indétermination de la portée de l’adverbe « fidèlement » permet à Binger de valoriser sa version : si l’adverbe se rapporte grammaticalement au verbe « raconter » et donc en théorie uniquement à la manière de transposer un texte oral en un texte écrit, il est implicite qu’il se rapporte également à l’ensemble du récit lui-même qui raconte les « évènements », les faits. Le récit est rapporté sans guillemets, il est donc porté sur le même plan que le récit de l’itinéraire dans son ensemble. À sa suite, sans transition, vient s’arrimer une chronologie portant les marques formelles d’une page d’histoire : la date à l’initiale est suivie de deux points et de phrases au présent du type « Samory arrive à Sanankoro ». Ces marqueurs de véridicité donnent au récit de Binger et à la chronologie une assise et une autorité qui est refusée à la « version de Péroz ». À travers ce bref aperçu, nous souhaitions prouver que la littérature coloniale ne donnait pas une image unifiée de Samori, bien au contraire, et que la diversité des récits rapportés, des rumeurs colportées, des expériences vécues fournissait plutôt un panel de représentations, une grammaire que les auteurs postérieurs réinterprèteront en la remodelant. Face à ces nombreux textes sur Samori, le contraste est grand avec nos deux autres figures, Sarraounia et Nehanda. Aucun des textes de nos corpus ne représente cette époque, ce qui a été, dans un premier temps, une grande déception, voire le signe d’un échec à retracer nos figures sur le temps long (plus de cent ans), qui était pourtant l’objectif que nous nous étions fixé initialement. Nous nous sommes donc lancée à la recherche de mentions et de citations de ces deux figures dans les mémoires, les archives ou les journaux afin de retrouver leur existence, à défaut de sources littéraires pour notre 83 corpus. Pourquoi ce vide pour les deux femmes, alors que la présence de Samori est, à la même époque, si imposante ? Pourquoi cette apparente disparition, et ce silence jeté sur elles ? Dans les deux cas, ce blanc signifie en creux l’importance fondamentale des élites politiques et culturelles dans la création des héros nationaux, des grands ancêtres, et des figures fondatrices, au moment des indépendances, puisque ces figures ne leur préexistaient pas dans le champ culturel. À cet égard, Nehanda et Sarraounia sont de bien meilleurs exemples que Samori pour l’analyse des héros culturels : leur création est plus manifestement liée aux écrivains, aux historiens, et aux hommes politiques qui s’en sont emparés dans les années 1960 et 1970, alors que Samori avait déjà une existence sur la scène culturelle, existence qui n’a été que canalisée vers un objectif idéologique. De quelles traces disposons-nous alors pour Sarraounia et Nehanda ? Leur création comme héroïnes nationales s’enracine, si ce n’est dans des grands récits communs, du moins dans des mentions et des souvenirs latents. Proto-récits sur Nehanda : traces, mentions, rumeurs Pour Nehanda, nous ne tenons pas compte des références à la princesse des mythes de fondation du royaume du Munumatopa, autour du XVe siècle. Il ne s’agit pas réellement d’un cas d’homonymie145, puisque la princesse est bel et bien censée être le même esprit convoqué par la médium lors des rites de divination. Néanmoins, nous centrons nos analyses sur Charwe principalement, la médium shona du XIXe siècle, et plus sporadiquement, sur les médiums des années 1970, sans recourir aux mentions antérieures, qui n’ont rien à voir avec résistance à la colonisation. Signalons simplement que les sources portugaises sont les premières à référencer le royaume du Munumatopa et l’existence d’une princesse nommée Nehanda, alternativement sœur ou épouse du roi146. 145 Nous revenons sur la notion d’homonymie dans la section « L’hypothèse de l’homonymie », Deuxième partie, chapitre 3. 146 Ce sont principalement des sources portugaises qui informent du royaume de Munumatopa. Nous recensons ici celles qui citent une princesse, sœur et épouse de roi, Naanda, Nanaanda, Inhanda selon les transcriptions : Alcáçova, Diogo de, « To the King, 20 Novembre 1506 », NATIONAL ARCHIVES OF RHODESIA AND NYASALAND, National Archives of Rhodesia CENTRO DE ESTUDOS HISTÓRICOS ULTRAMARINOS (PORTUGAL), Documentos sobre os portugueses em Moçambique e na Africa central, 14971840. Documents on the Portuguese in Mozambique and central Africa, 1497-1840. National Archives of Rhodesia and Nyasaland, Centro de Estudos Históricos Ultramarinos, Lisboa, 1962, p.388-399, est le premier texte à mentionner cette dynastie du Monomotapa à laquelle la princesse Nehanda appartient ; George M. THEAL, Records of South-Eastern Africa 3, Cape Town, Struik, 1964, p. 300-358, reprend des extraits du témoignage d’Antonio Bocarro, tiré de Livro do Estado da India, 1612 : « The Monomotapa has many chief wives, who are like queens. Most of them are his relations or sisters, and other are daughters of 84 Les sources plus tardives évoquent, quant à elles, un mythe étiologique où un jeune frère doit épouser sa sœur pour conquérir le pouvoir147 : cet inceste originaire148 serait au fondement de la puissance du royaume, et expliquerait son invulnérabilité. Sans être véritablement absente des archives coloniales à Harare ou à Londres, Charwe Nehanda est pourtant peu référencée par la BSAC ou par la Couronne britannique : d’autres chefs guerriers comme le roi Lobengula sont bien plus surveillés et documentés149. On retrouve sporadiquement sa trace, mentionnée comme rebelle150, mais c’est surtout son procès151 qui constitue la source principale la concernant. Cette relative rareté des sources nous informe des préoccupations des colons, et l’abondance masse documentaire que constituent les Archives Nationales tant des métropoles que des anciennes colonies, par leur caractère répétitif et leur pulsion de complétude, sont un bon indicateur des imaginaires de la conquête à la fin du XIXe siècle. Nehanda ne faisait the kings and lords who are his vassals. The prinicipal one his called Mazarira. […] The second wife is called Inhanda, and speks for the Moors » ; Dionizio de Mello DE CASTRO, « Notícia do Império Marave e dos Rios de Sena », Anais da Junta de Investigagoes do Ultramar, 9 (1954), p. 130!133 ; Miranda, Antonio Pinto de « Monarchia Africana », c.1766, António Alberto Banha DE ANDRADE, Relações de Moçambique setecentista, Lisbonne, Agência geral do ultramar, Divisão de publicações e biblioteca, 1955, p. 303-312 : « A primeira mulher do Imperador hé Prinçeza ainda sendo sua propia irmã, ou parenta ; a esta se chama Neanda, e logra todos os privelegios e foros do Imperador seu marido ». 147 Albino Manoel PACHECO, Uma Viagem de Tete a Zumbo 1861-1862, Mozambique, Nacional, 1883. [dans la traduction donnée par Paul Guyot « Manuscrit portugais communiqué à la Société par M. Guyot et traduit par C. Millot, Un voyage de Tête à Zumbo », in Paul GUYOT, Voyage au Zambèse, Paris, Joseph André et Cie., 1895] : « Sentant venir sa dernière heure, Mutota appela ses fils […] et leur parla en ses termes : « Celui qui désire continuer mes conquêtes doit épouser sa propre sœur Inhamita ici présente, je le nomme alors mon héritier et successeur et lui fais don de tout le pays qu’il aura conquis ». […] Après avoir obtenu le pouvoir par un procédé aussi déraisonnable, Matope donna à sa sœur et femme le titre et la position de Nehanda(2), et continuant les conquêtes commencées par son père, s’avança victorieux jusqu’au bord du rio Raenha », note (2) : « Correspondant, chez les nègres, au titre de Dona (maîtresse de maison, titre honorifique de femme au Portugal »). 148 L’ouvrage pour enfants, Margaret H. TREDGOLD, The First Ones. Nehanda and Chaminuka, daté de 2001, reprend ce thème de l’inceste de la première Nehanda pendant toute une partie du récit illustré. L’existence de cette partie du récit, et l’insistance sur la dimension originaire de l’inceste, est assez rare dans notre corpus pour être soulignée. 149 Signataire de la Rudd Concession, Lobengula est bien plus présent dans les archives de la BSAC que Nehanda. Celle-ci est absente des séries « Colonial Office » et « War Office » des National Archives de Londres, pour les années 1895-1899, tandis que d’autres chefs « rebelles » sont mentionnés. (CO417-193 à 249 ; CO455/1 ; CO545/8-9 ; WO32/7840-7842). Les Archives Nationales d’Harare sont, sans surprise, plus riches que celles de Londres en ce qui concerne Nehanda. Le journal de route d’Alderson (NAZ AL1/1) comporte des mentions de Nehanda. Des références ponctuelles indiquent que les femmes qui ont porté le titre de Nehanda, à la suite de Charwe, restaient sous surveillance (voir ainsi NAZ Southern Rhodesia, 1891-1923. Chief Native Commissioner : N3/31- 4 Nieanda Native Affairs). 150 National Archives, Londres, CO 417/197 South Africa Company, 1896 : Enclosure to letter from BSAC to Colonial Office, dated 24th August 1896. Il est remarquable de relever l’importance d’autres chefs de guerre, dans cette liste, et qui aujourd’hui ont complètement disparus de la mémoire collective. 151 Conservé à Harare, le procès de Nehanda est un document exceptionnel (NAZ Central Governement, High Court, Criminal cases, trial « Queen against Nianda » : S401/252, S401/334, S2953), que nous commenterons en détail dans la troisième partie de cette étude. Nous avons retranscrit les documents qui composent ce dossier en annexe (p. 692-703). 85 clairement pas partie des grands adversaires mythifiés, et ne participait que peu de l’imagerie des conquérants, tant l’attention était portée sur d’autres figures. Des traces, éparses, peuvent pourtant être trouvées dans les récits et mémoires de colons. E. Goodwin Green, une infirmière envoyée à l’hôpital Krugersdorp, est la première, à notre connaissance, à faire mention de Nehanda dans un ouvrage imprimé, dès 1898 : le chapitre 5 « The Mahonas rise » (p. 39-48) de Raiders and Rebels in South Africa152 constitue une description de la révolte des Ndebele : The civilised world was startled by news of the murder and mutilation of whole families and isolated white men. Then followed the general rising of the Matabele. These natives under their powerful king, Lobengula, had been under British sovereignty since the year 1885 […] [Le monde civilisé fut effrayé par la nouvelle de l’assassinat et de la mutilation de familles entières et d’hommes blancs isolés. Puis s’en suivit la révolte générale des Matabele. Les indigènes, sous la domination de leur puissant roi Lobengula, étaient sous la souveraineté britannique depuis l’année 1885. […]] (Green, p. 40) Du rôle des médiums : This chief was instigated and aided by the powerful M’limo (witch doctor) […] [Le chef était conseillé et aidé par le puissant M’limo (sorcier)] (Green, p. 41-42) Puis de Nehanda : Soon after a complication and new danger arose. The Mashonas were rising. This was totally unexpected. […] It was then apparent that it was a concerted and united effort of the native tribes of Rhoedisa to drive out or exterminate the white population. There was an interesting account in the Rhodesian times and Financial News of the influence of witchcraft upon the minds of the Mashonas at this time. It ran as follows : « At the end of April, or early in May, Chepalilo’s and Chimoro’s people deserted their kraals to consult their Manaros or Lion spirits, and reported that in two months they would come back to wipe out the whites. Quite recently Chimoro sent to consult a very famous female witch-doctor, who resides in the Mazoe Valley, and whose name is given variously as Zahanda and Nanaanda. This lady is the acknowledged head of the witch-doctors in Mashonaland, and her reply to Chimoro’s embassy was that if the Mashonas did not wipe out the whites, the whites would wipe them out. She promised her assistance in the shape of a great snake with ten heads, from each of whose mouths fire should be poured upon the white men”. 152 Elsa Goodwin GREEN, Raiders and Rebels in South Africa, Londres, George Newnes, 1898. Réédition Bulawayo, Books of Rhodesia, 1976. 86 [Quelques temps après, une complication et un nouveau danger apparurent. Les Mashonas se soulevaient. C’était totalement inattendu. […] Il devint apparent que c’était une tentative concertée et unifiée des tribus indigènes de Rhodésie pour expulser ou exterminer la population blanche. Il y eut un rapport intéressant dans le Rhodesian Times et le Financial News sur l’influence de la sorcellerie sur les esprits des Mashonas à cette époque. Le texte était le suivant : « À la fin d’avril, ou au début de mai, les populations de Chepalilo et de Chimoro ont déserté leurs kraals pour aller consulter leurs esprits Manaros, ou Esprits du Lion, et racontèrent que dans deux mois, ils reviendraient pour exterminer les Blancs. Tout récemment, Chimoro envoya consulter une très célèbre femme sorcière, qui réside dans la vallée du Mazoe, et dont le nom est donné soit comme Zahanda soit comme Nanaanda. Cette dame est la chef attestée des sorciers du Mashonaland, et sa réponse à l’ambassade de Chimoro fut que si les Mashonas n’exterminaient pas les Blancs, ce seraient les Blancs qui les extermineraient. Elle promit son aide sous la forme d’un grand serpent à dix têtes, dont chacune des gueules crachait un feu qui devrait être déversé sur les Blancs »] (Green, p. 43-45) Le récit est d’abord centré sur un autre résistant, Lobengula, et le rôle des médiums est dès le départ souligné ; witch-doctor renvoyant mot à mot à « sorcier guérisseur », mais étant souvent bien plus péjoratif dans la littérature coloniale, devient l’équivalent d’« ensorceleur », voire de charlatan dans certains cas. Pour les deux rebellions dans la même région, des Ndeble puis des Shona, E. Goodwin Green prend soin d’en rappeler le caractère inattendu : les traités de paix ayant déjà été signés trois ans plus tôt, ces révoltes ont tout d’une trahison, d’une rupture de contrat passé entre deux peuples, les colons ne faisant que répondre à une attaque surprise. Le récit est ensuite rapporté pour décrire Nehanda (« Nanaanda ») en chef de l’insurrection, menant une guerre de l’ombre, décrite quelque lignes plus bas comme technique de combat (« warfare ») : In addition to this superstitious influence brought to bear upon them by their M’limo, it is almost certain that the Matabele themselves were instrumental in inducing the Mashonas to aid them in throwing off the yoke of the white settlers. They doubtless held out inducement by promising them a return to their indolent sensual life, when they had succeeded in exterminating the whites. It is more than probable that they assisted at some of the murders committed in Mashonaland, for the Matabele mode of warfare is well known. [En plus de cette influence superstitieuse portée par les M’limo, il est à peu près certain que les Matabele eux-mêmes se sont avérés essentiels pour rallier les Mashonas à leur combat en vue de s’affranchir du joug des colons blancs. Ils les y ont sans aucun doute incités en leur promettant un retour à leur vie indolente et sensuelle, lorsqu’ils auraient réussi à exterminer les Blancs. Il est plus que probable qu’ils aient contribué à certains des meurtres commis dans le Mashonaland, puisque les tactiques de guérilla des Matabele sont bien connues.] (Green, p. 45-46) Le discours des médiums est fantasmé comme discours de la trahison, tout à la fois prônant le meurtre violent en se servant d’adjuvants imaginaires – le serpent aux dix têtes – et renvoyant à une paresse et à une indolence supposées des Shona, la cruauté et la 87 langueur étant deux caractéristiques de l’exotisme que l’on retrouve tout à fait bien illustrées ici. Un autre témoignage contemporain de la révolte, celui de S. J. Boos153, tout en véhiculant des clichés racistes sur les Shona, rapporte le rôle des médiums (« witchdoctors ») dans l’insurrection, en ne donnant toutefois que le nom de « Kakubi » [Kagubi]. L’une des références pour la période coloniale regroupant des études à vocation ethnographique, linguistique, économique, mais aussi des souvenirs et des mémoires, ou des témoignages, est le Native Affairs Department Annual (NADA154). Les mentions de Nehanda y sont relativement rares, à tel point que certains récits centrés sur les rebellions de la période n’en parlent même pas155, ou seulement en remarques introductives. Ainsi peut-on lire cette mention en 1924156 : When we remember how the names of the Spirit Mediums, Neanda and Kagubi, executed in Salisbury gaol, are burnt into the souls of those who regard them as martyrs of the Mashonas’ religions, and therefore political, faith, we can understand their aloofness or even sympathise with the lie uttered in what they deem the defence of their country. They are still at war, and the tribal lie is their only weapon. In making this apology for giving a mere glimpse of our subject, we have approached it from a distance. [Quand nous nous rappelons à quel point les noms des Esprits (des médiums), Neanda et Kagubi, exécutés dans les geôles de Salisbury, continuent de vivre dans les esprits de ceux qui les considèrent comme des martyrs des religions des Mashonas, et donc politiques, de la foi, nous pouvons comprendre leur réserve ou même leur sympathie à propos du mensonge de ce qu’ils estiment être la défense de leur pays. Ils sont toujours en guerre, et le mensonge tribal est leur seule arme. En nous excusant de ne donner qu’un bref aperçu de notre sujet, nous l’avons tout de même approché de loin.] Bien que très court, ce passage relatif à Nehanda, orthographié ici Neanda, nous donne plusieurs indices sur la mémoire de Nehanda dans les années 1920 chez les Shona : 153 S. J. BOOS, « The Springtime of the Mashonaland Mission », The Zambesi Mission Record, 4 (1889/1). Voir par exemple les passages suivants : « If, then, the influence of superstition is capable of converting the weak and degraded Mashona into a strong and daring foe, may we not with reason hope that, once thoroughly imbued with the truths of the Catholic faith, he will prove a sturdy soldier of Christ, prompt and ready to make any sacrifice that may be required of him ; and even, if need be, to endure relentless persecution ? […] Later on, when Kakubi, the chief instigator of the rebellion, was captured and sentenced to death, Benyura was instrumental in preparing him to accept his punishment with Christian resignation. » 154 Une collection quasiment complète des NADA est disponible à la bibliothèque de l’UZ, University of Zimbabwe. Nous avons dépouillé l’ensemble de la revue des années 1920 aux années 1980. 155 NADA, 1923, W. Edwards « Memories of the ‘96 Rebellion », p. 19-27. 156 NADA, 1924, Rev. A. Burbridge, S. J. « In Spirit-Bound Rhodesia », p. 17-28 88 son nom est toujours connu, elle est même considérée comme une « martyr » tuée pour la défense de la religion, donc de la terre. Le pas sera aisément franchi avec la « nation » dans les années 1970. La guerre menée contre les Blancs, la Chimurenga, plus tard appelée « première », en relation avec la « seconde » des ZANU et ZAPU, n’est pas terminée : elle est vue comme un procès en cours, et elle se nourrit de la mémoire des résistants. Également succincte, cette mention de 1926 par F .W. T. Posselt157 : Two females, whether actually related by blood or only by profession cannot be said, also practised occult powers with him [Chaminuka], though they enjoyed an inferior status ; one was the medium of Banechaba, and the other that of Neanda. The latter (or one of her successors) was implicated in the 1896 rising, and after being arrested, hanged herself on the outskirts of Salisbury. [Deux femmes, qu’elles soient réellement liées par le sang ou uniquement par la profession ne peut être déterminé, pratiquent également la science occulte, avec lui [Chaminuka], bien qu’elles jouissent d’un statut inférieur : l’une est le médium de Banechaba, et l’autre celui de Neanda. Cette dernière (ou l’une de ses successeurs) était impliquée dans la révolte de 1896, et après avoir été arrêtée, s’est pendue à la périphérie de Salisbury.] Le texte se termine par une preuve à valeur d’authentification : « This article was compiled from purely Native sources », sans que ne soit données plus d’informations sur la nature des sources orales. La nature expéditive de la mort de Nehanda est bien étonnante, en banlieue de Salisbury, d’autant que la nouvelle de son procès avait été répandue. Ce sera pourtant la dernière mention avant la guerre de 1939-45. Par la suite, de nombreux articles sur la culture shona158 ou sur les mémoires de la révolte de 1896 donnés par des colons159 sont publiés dans les NADA, sans mention aucune de Nehanda. Il faut attendre 1954 et 1956 pour retrouver deux citations de Nehanda, complètement dépolitisées, puisque les articles sont tous deux centrés sur des chants pour faire tomber la pluie160 : « Grandmother of Quiet Rains and you Nehanda, hear us your poor children who are dying of thirst. Give us a cloud of rain » ; puis en 1956 : 157 NADA, 1926, F. W. T. Posselt, Native Commissioner, « Chaminuka the wizard », p. 35-38. NADA, 1926, Guy A. Taylor, « Some Mashona Songs and Dances », p. 38-42 ; NADA, 1929, H. T. Tracey, « Some Observations on Native Music of Southern Rhodesia », p. 96-103. 159 NADA, 1927, S. J., « Reminiscences of the 1896 Rebellion », p. 61-64 ; NADA, 1935, « Before the Carter Laager 1896 », p. 95-100 ; NADA, 1936-1937, « Recollections of the Rebellion, 1896 », p. 49-61 ; NADA, 1938, « Some happenings of 1896 », p. 29-37 ; NADA, 1940, « Laager and Garrison, 1896 », p. 38-49. 160 NADA, 1954, S. S. M. Chithewhe, « Rain-making in Mashonaland », p. 24-27 ; NADA, 1956, Michael Gelfand, « The Religion of the Mashona », p. 31. 158 89 At the head of all the spirits in large area is a rain-maker whom one might refer to as the provincial spirit, for example, NEHANDA in Central Mashonaland, CHAMINUKA in South-East Mashonaland. [À la tête de tous les esprits dans un vaste secteur figure un faiseur de pluie, que l’on pourrait qualifier d’esprit régional, par exemple, NEHANDA dans le Mashonaland pour le Centre, CHAMINUKA pour le Sud-Est.] Il est vrai que les NADA étaient une publication d’État, et ne pouvaient par conséquent pas recevoir de témoignages subversifs de la mémoire de Nehanda. Son rôle religieux réduit au minimum – appeler à la clémence du ciel pour les récoltes et la fertilité des sols –, Nehanda devient acceptable dans les NADA, politiquement correcte, et elle peut devenir décemment objet de discours. Mais il est curieux de ne trouver aucune mention, quasiment, dans les témoignages des colons, ni même dans les récits des administrateurs. Dès le début du XXe siècle, puis dans l’entre-deux-guerres, certains administrateurs français collectaient des récits, des légendes, des rumeurs et des lexiques de langues locales. L’hypothèse pour expliquer cette spécificité de la Rhodésie dans le relatif manque d’intérêt porté aux traditions orales peut être relié au rôle de l’administrateur dans les colonies anglo-saxonnes en général, et dans ces colonies éloignées de l’emprise du Cap en particulier. Le rôle principal du Native Commissioner était de contrôle fiscal : le recensement était entièrement tourné vers les recettes de la hut tax, à laquelle était soumise la population ; chaque foyer, ou plutôt chaque mère de famille y était astreint. Les autres domaines de gouvernance générale étaient dans l’ensemble délégués, ce qui a été nommé l’indirect rule. Si la colonisation française s’est également largement appuyée sur les pouvoirs locaux, les administrateurs coloniaux étaient encouragés à fournir sinon des monographies de leur cercle, du moins des rapports extrêmement réguliers161. L’ethnologie était alors considérée comme discipline reine, dont les connaissances qu’elle permettait de fournir avaient pour but pratique et immédiat une meilleure gestion du territoire et des populations. Peut être est-ce pour cette raison qu’il n’y a pas eu d’équivalent de Maurice Delafosse en Rhodésie, l’aspect fiscal ayant 161 Pour le mécanisme du rapport et de la « tournée », voir l’ouvrage de Francis SIMONIS, Le Commandant en tournée : Une administration au contact des populations en Afrique noire coloniale, Paris, S. Arslan, 2005. Pour un cas précis d’incitation à la monographie, le savoir sur la population locale étant pensé comme fondement du pouvoir colonial, voir aux Archives Nationales de Guinée, 1D1, la présentation de la « Règle du droit coutumier malinké », de Maurice ROBERTY, 1915, 15p., donnée en introduction : « Il s’agit de fixer par un texte précis une période de cette évolution et de faciliter la tâche aux Administrateurs nouvellement arrivés en Haute-Guinée, qui, dans leurs jugements, doivent se conformer à la coutume actuelle, tant qu’elle n’est pas contraire aux principes de la civilisation française. Le travail qui suit n’a pas d’autres prétentions ». 90 pris le pas sur toutes les autres activités de l’administrateur : les traditions orales, les récits historiques, et les mémoires locales n’avaient dès lors que peu d’intérêt. Sarraounia introuvable : silences de la littérature coloniale Le cas de Sarraounia est légèrement différent de celui de Nehanda, puisque les mentions en sont encore plus rares. En langues haoussa et zarma, les récits sur Sarraounia sont inexistants. Il faut dès lors se reporter aux récits des officiers français pour retrouver des indices de sa présence, et encore n’est-ce que par le nom de son village, Lougou. L’attention est à l’époque centrée sur le « drame » de la mission Afrique Centrale, dirigée par Paul Voulet et Julien Chanoine, « drame » qui désigne en partie les massacres perpétrés par les deux officiers et leurs tirailleurs162, mais qui désigne surtout dans l’opinion la mort du colonel Klobb, que Voulet a fait abattre le 14 juillet 1899, suivie de la mort de Voulet et de Chanoine, exécutés par leurs propres tirailleurs163. Le meurtre d’un colonel et la chute de la colonne sont les deux éléments qui concentrent l’attention des Archives, que l’on peut lire en creux dans le journal de route de Voulet bien sûr164, mais surtout dans l’enquête commandée par la Direction des Affaires Militaires165. Dans les différentes dépositions des officiers, quelques indications, relativement sporadiques, citent la localité de Lougou comme lieu de résistance ponctuelle. Le Lieutenant Joalland mentionne un « combat assez vif à Lougou »166, le Dr Henric confirme avec ces mêmes mots (« un combat assez vif »)167, tandis que le Sergent Laury précise « que le Capitaine 162 Des voix s’élèvent en métropole pour dénoncer ces exactions très peu de temps après les faits, voir Paul VIGNÉ D’OCTON, La Gloire du sabre. Préface d’Urbain Gohier, Paris, E. Flammarion, 1900. Il y a un contre-pouvoir qui s’exerce dans les médias, et la voix de l’armée, aux lendemains de l’affaire Dreyfus, est souvent contestée, ce que passe sous silence Ibrahim YAHAYA, L’Expédition coloniale Voulet-Chanoine dans les livres et à l’écran, Paris, L’Harmattan, 2012, qui porte un regard manichéen sur les représentations. Pour la dénonciation de Voulet et Chanoine en littérature, voir également le poème « « L’àquoi-bon » me conseille » d’Adhémard Leclère, paru dans Insomnies, Alençon, Imprimerie Herpin, A. Laverdure, 1913 : « Les Toqué, les Liégeot, les Voulet, les Dizière/ Tous les Gaud, les Chanoine et cent autres truands. / Il faut, sans hésiter, en nettoyer la terre, / Les dénoncer, tuer, car ce sont des brigands ». 163 L’indépendant de Saint Claude, daté du 18 novembre 1899 consacre une pleine page à l’illustration de la mort de Voulet, avec la légende suivante : « Dernier acte du drame du Soudan : le Capitaine Voulet tué par une sentinelle ». L’image est frappante puisqu’elle montre un tirailleur en uniforme tirer sur un officier blanc, éloigné seulement de quelques mètres, déjà en train de s’effondrer. Il a fallu que l’opinion publique ait été alertée sur les exactions des deux officiers pour qu’une telle illustration ait pu paraître ; elle n’aurait, dans d’autres circonstances, certainement pas pu passer la censure, et aurait été accusée d’incitation à la révolte, et d’outrage à l’armée. Nous la reproduisons en annexe (p. 819). 164 ANOM, Série Afrique III, Dossiers 37, 38 et 38bis. 165 ANOM, DAM 16. 166 ANOM, DAM 16, 2ème partie. Déposition de Joalland, Konakry, le 21 février 1901. 167 ANOM, DAM 16, 2ème partie. Déposition du Dr Henric, Saint Louis, le 6 juillet 1900. 91 Voulet avait eu à Lougou quelque résistance à vaincre »168. Sarraounia n’apparaît pas. Seul le Lieutenant Pallier y fait référence, mais sans lui reconnaître de nom, lorsqu’il parle de « sorcière »169 : Voulet se rendait compte qu’à partir de ce point il allait lui falloir pénétrer très avant en territoire anglais et il retardait ce moment le plus possible, espérant qu’un hivernage précoce viendrait lui permettre de suivre une autre route que celle qui lui était alors indiquée ; nous avions eu le trente-et-un Mars une tornade qui pouvait nous faire espérer que l’hivernage arriverait bientôt. Pendant ce séjour, la colonne eut des communications avec Dosso, elle reçut un courrier et put en expédier un. Voulet envoya à la poste l’avis de diriger à l’avenir nos correspondances sur le Congo. Le quinze Avril, au soir, vers neuf heures, le Capitaine Voulet partit avec le Lieutenant Joalland et moi, six sections, l’artillerie et un certain nombre de cavaliers, nos porteurs et les porteurs de l’artillerie. C’était la reprise de la marche sur Konni ; toutefois, on partait le soir, afin d’arriver le matin au lever du jour devant Lougou, qui devait nous résister d’après les renseignements recueillis. Ce village, dont Bagagi n’avait jamais pu venir à bout, qui avait également résisté aux attaques venues du pays de Sokoto, se croyait invincible et était excité par une sorcière à la résistance. Le seize Avril, au matin, nous arrivions devant Lougou après une marche très pénible par suite d’errance de direction. On voyait en effet un rassemblement de gens prêts à se défendre sur lequel Voulet fit envoyer deux obus, plutôt pour les intimider. Ces hommes disparurent et des cavaliers nous apprirent que tout le village s’était réfugié dans un fourré épineux et inextricable, qui s’étendait entre les deux villages de Tougana et de Lougou, sur une longueur de trois kilomètres et une largeur de cinq cent mètres. Voulet donna des ordres pour faire attaquer le fourré par trois sections. Il dirigea lui-même cette opération et je suivais derrière avec le Lieutenant Joalland et les autres sections en réserve. Il fut impossible aux tirailleurs de pénétrer dans le fourré absolument inextricable. Plusieurs hommes furent blessés sans qu’on put faire autre chose que d’y répondre par des feux de salve, tirés un peu au hasard. Les sections, en faisant des mouvements pour essayer de pénétrer dans le fourré, changèrent de direction et j’eus ainsi un porteur tué derrière moi par un feu de salve qu’une section nous envoya sans nous voir. Voulet fit alors rassembler la colonne, prendre un repos et reprit ensuite l’opération en faisant battre fourré dans le sens de la longueur par trois sections qui en occupaient toute la largeur. Il évitait également de placer des hommes sur les côtés du fourré, afin que les gens ne puissent avoir, comme cela avait eu lieu la première fois, l’idée qu’ils étaient cernés, ce qui rendait leur défense plus acharnée. Le fourré put alors être balayé et fut évacué par l’ennemi qui essuya d’assez grosses pertes (cinq cents hommes environ). Nous avions eu quatre tués et six blessés dont un mourut quelques jours après. Il ne fut pas fait de prisonniers, les gens ayant pu facilement s’enfuir. Nous nous installâmes dans un groupe de Lougou dont un incendie, survenu par accident, nous obligea à déménager précipitamment. Le dix-sept, nous nous occupâmes de faire préparer de l’eau et le dix-huit, vers midi, tout le reste de la mission, sous les ordres du Capitaine Chanoine arriva et put repartir en trois groupes. Dans la soirée, le Capitaine Chanoine infligea au sergent Bouthel une punition pour la négligence qu’il avait montrée pour faire exécuter l’enclos en épines, que l’on avait coutume de faire pour y mettre les animaux. Il lui avait également reproché, ainsi qu’au sergent-major Lamy170, de n’avoir pas apporté assez de soin pour faire boire les animaux qui n’en avaient pas 168 ANOM, DAM 16, 2ème partie. Déposition du Sergent Major Laury, Saint Louis, le 2 juillet 1900. ANOM, DAM, 16, 2ème partie. Déposition du Lieutenant Pallier, 28 juin 1900, 4ème feuillet. 170 Lamy reprendra avec Foureau, les restes de la colonne, pour la mener jusqu’au lac Tchad : F. FOUREAU, Mission saharienne Foureau-Lamy. D’Alger au Congo par le Tchad, Paris, Masson et Cie, 1902. 169 92 tous bu le soir. On put constater ensuite, qu’il n’y allait pas de la faute de ces sousofficiers, mais que l’insuffisance d’eau était due à la difficulté de la tirer au puits de soixante mètres. Le soir, de nombreux bœufs n’ayant pas encore bu poussaient des rugissements et cherchaient à s’échapper ; ce spectacle mit Voulet dans un d’état d’exaltation extrême et au milieu de la nuit, ne dormant pas, il vint me réveiller et me tînt pendant plus d’une heure, exprimant l’idée que les animaux allaient crever et faisant prévoir de ce fait, le désastre de la colonne. C’était une façon de faire et de s’exprimer, qui lui était fréquente, dès qu’un incident, même sans importance, venait entraver la marche régulière des choses. Il avait alors un accès d’abattement et de suppositions pessimistes, évidemment un peu forcé, mais qui cependant représentait dans une assez large mesure son état d’esprit. Sarraounia demeure sans nom, et si l’on cherche des précisions sur les modalités de sa résistance, force est de constater que ce texte est fort décevant, puisqu’il ne fait que pointer, et indiquer en creux, le silence des archives coloniales concernant les sujets « subalternes ». Nous nous permettons pourtant cette longue citation d’archive, d’abord parce que les sources de première main sur Sarraounia sont extrêmement rares, voire inexistantes, et que ce texte signifie en lui-même ce vide de la mémoire, ensuite, parce que ce récit, bien que sommaire, est le plus développé qui soit sur Lougou, enfin, parce qu’il dessine les grandes orientations des futurs récits sur Sarraounia. La mention de la « sorcière » construira un topos, successivement repris puis inversé par les auteurs. Les combats d’abord devant le village, puis dans les fourrés, seront repris tels quels par Jacques-Francis Rolland dans Le grand Capitaine, et par Abdoulaye Mamani et Med Hondo dans le film Sarraounia. En outre, deux thèmes mineurs sont déjà présents en germe dans cette déposition : la punition du Sergent Bouthel d’une part, qu’Abdoulaye Mamani amplifiera dans l’épisode du komo171, et la folie (ou du moins la déraison) de Voulet d’autre part, qui concentrera également les réécritures172. Avant l’heure, ce texte est une illustration des thèses de Johannes Fabian sur l’état second dans lequel se trouvaient les artisans de la colonisation, la plupart du temps minés par la fatigue, la douleur, les médicaments, l’angoisse173. Reproduisant la mémoire que contribue à former l’archive coloniale, ce sont ces deux éléments omniprésents dans l’enquête de la Direction des Affaires Miltaires (la mort 171 Sarraounia, p. 129. Dans notre corpus, voir notamment la version dessinée de cette folie, rendue de manière très onirique dans La Colonne, « Exterminez-moi toutes ces brutes », tome 2, p. 77-82, reprenant Conrad dans Heart of Darkness. 173 Johannes FABIAN, Out of our Minds. Reason and Madness in the Exploration of Central Africa, UiversitŠt Frankurt am Main, Frobenius-Institut, Berkeley, University of California Press, 2000, p. 3 : « More often than not, they [European guests] too were "out of their minds" with extreme fatigue, fear, delusions of grandeur, and feelings ranging from anger to contempt. Much of the time, they were in the thralls of "fever" and other tropical diseases, under the influence of alcohol or opiates (laudanum), high doses of quinine, arsenic... ». 172 93 de Klobb, la mort de Voulet et Chanoine) qui suscitent également la curiosité et qui constituent l’intrigue des récits français par la suite, Lougou n’étant mentionné que ponctuellement dans le parcours des deux officiers. Sarraounia, quant à elle, reste résolument absente. Tous les acteurs qui ont décidé d’écrire et de témoigner visent à défendre la mémoire du colonel Klobb, ou de ceux qui ont repris la mission Afrique Centrale pour continuer vers le Tchad : que ce soient des officiers – Octave Frédéric François Meynier qui publie successivement Les conquérants du Tchad en 1923174, et La mission Joalland-Meynier en 1947 – ou la veuve du colonel Klobb, dans À la recherche de Voulet : mission Klobb-Meynier : un drame colonial175, daté de 1931. Un texte non signé, Documents pour servir à l’histoire de l’Afrique occidentale française 176 , vraisemblablement édité par le père de Julien Chanoine, vise à réhabiliter la mémoire de son fils, en faisant porter les charges de rébellion sur Paul Voulet uniquement, mais ce document reste tout à fait marginal. Les autres témoignages attestent qu’il y a eu un combat à Lougou, que ses habitants incitaient à la rébellion et que la région n’était pas sûre, mais rien n’indique qu’une femme au pouvoir de divination n’ait elle-même mené la révolte. La seule exception notable est le récit de Joalland, qui se réfère à la mort de Klobb dans son titre, Le drame de Dankori : Mission Voulet-Chanoine. Mission JoallandMeynier, paru en 1930177. Le chapitre 2 mentionne Lougou et sa résistance qui intervient après celle des cinq cents guerriers du village de Koma, où Voulet avait été blessé. C’est le seul texte édité à notre connaissance qui cite Sarraounia : Le 15 avril, Voulet donne enfin l’ordre de départ. Je pars avec lui et Pallier pour aller attaquer le groupe de Lougou qui est situé à 20kms au Nord-Est de Matankari. Le chef de ce petit groupe est une vieille sorcière nommée Sarraounia qui nous a écrit une lettre d’insultes : elle s’est faite forte de nous barrer la route, ses gens ont une réputation de guerriers invincibles, nous ne pouvons faire autrement que de relever le 174 Octave Frédéric François MEYNIER, Les Conquérants du Tchad : Avec six gravures hors texte et carte, Paris, Ernest Flammarion, 1923 ; Octave Frédéric François MEYNIER, La Mission Joalland-Meynier, Paris, Éditions de l’Empire français, 1947. 175 Mme KLOBB, À la recherche de Voulet : Mission Klobb-Meynier ; Un drame colonial, Paris, Nouvelles éditions Argo, 1931. 176 [Charles Paul Jules CHANOINE], Documents pour servir à l’histoire de l’Afrique occidentale française, de 1895 à 1899. Correspondance du Capitaine Chanoine pendant l’expédition du Mossi et du Gourounsi. Correspondance de la mission Afrique centrale. Annexe : Extraits des rapports officiels du Lieutenant Gouverneur du Soudan. Pièces justificatives, Andenne, Imprimerie de Puffet-Morelle, 1905, XLVIII, « Lettre de M. Bailloud au Gal Chanoine : Présidence de la République, Paris, le 2/9 1899. Mon Gal, Je ne sais toujours rien de nouveau, mais de l’ensemble des faits connus, il semble bien se dégager ceci, c’est que Julien n’était pas avec Voulet le 14 juillet » ; cette citation sans commentaire dégage donc Julien Chanoine de la responsabilité de la mort de Klobb, ce qui a été perçu comme le plus haut chef d’accusation contre les deux officiers. 177 Jules JOALLAND, Le Drame de Dankori : Mission Voulet-Chanoine. Mission Joalland-Meynier, Paris, Nuelles éditions go, 1930. Chapitre 2, p. 58-63. 94 défi. Nous marchons toute la nuit dans des territoires impossibles, et le lendemain, 16 avril, à 6 heures, s’engageait une action qui allait durer jusqu’à 1 heure de l’aprèsmidi et qui fut une des plus chaudes de la campagne. Dans un cirque de 4kms de long sur 2 de large, se trouvent les villages de Lougou et de Tougana. Dans le fond, une brousse épaisse presque impénétrable où les gens se réfugient quand ils sont attaqués par un ennemi supérieur. À notre arrivée, à 6h30, toutes les femmes sont déjà entrées dans cette brousse ; les hommes, eux, sont massés pour l’attaque. Dès les premiers feux de salve, on les voit se disperser, trois obus à mitraille que je leur envoie achèvent de rompre leurs lignes. Tous rentrent dans leur brousse, mais comme nous devons camper, on ne peut les y laisser sans avoir à redouter des attaques de nuit : on pouvait évidemment faire un balayage progressif en exécutant des feux de salve avec hausses échelonnées, mais outre la consommation épouvantable de munitions, l’effet meurtrier aurait pu être considérablement diminué par l’arrêt des balles dans le feuillage. Nous n’avions donc qu’un moyen, c’était de traverser la brousse d’un bout à l’autre, en ayant bien soin de laisser à l’ennemi une porte de sortie pour éviter une lutte désespérée. Trois sections déployées en tirailleurs pénètrent dans le fourré, mais les indigènes couchés derrière des lianes impénétrables luttent avec énergie ; on doit sonner le ralliement, nous avions déjà 2 hommes tués et 4 blessés. À dix heures, on recommence l’attaque ; cette fois l’ennemi est obligé de céder le terrain. À midi, l’action est terminée, avec un plein succès ; mais l’affaire nous coûtait très cher : 7000 cartouches brûlées, 4 tués et 6 blessés. (Joalland, p. 58-63) La colonne a donc dévié de son parcours pour répondre à une provocation de Sarraounia, qualifiée de « vieille sorcière ». Les autres récits ne mentionnent pas cette lettre d’insultes, et Chanoine n’en fait absolument pas mention. Dans Documents pour servir à l’histoire de l’Afrique occidentale française (op. cit.), le village de Tougana est mentionné dans une lettre envoyée à son père le 22 avril 1899 (p. 257), mais pas Lougou. Les relations sont même considérées comme cordiales avec les populations : « Notre marche se poursuit normalement. Nous sommes en bons termes avec les populations Maouris. Quelques centres d’hostilités où les Touaregs avaient leur bella ont été mis à raison » (p. 262). Pour Joalland au contraire, Lougou a été l’un des combats les plus importants que la colonne ait eu à mener, mais Sarraounia disparaît dans le récit du combat lui-même. Le combat organisé en rafales successives sera repris avec beaucoup de précisions dans le film de Med Hondo. Le détail des flèches empoisonnées, que Joalland découvre après la bataille, et l’épisode de l’incendie du campement par les guerriers de Lougou, figureront également dans les réécritures ultérieures : Je m’organisai médecin et pansai aussitôt nos blessés : ici les flèches étaient empoisonnées très sérieusement, un de nos blessés qui n’avait qu’une piqûre insignifiante au bras gauche et qui paraissait en bonne santé, un quart d’heure après avoir été blessé, se trouva mal tout à coup, et tomba mort. (Joalland, p. 63) 95 D’autres soldats deviennent fous, comme l’officier français chez Abdoulaye Mamani qui profane les sanctuaires du village178, et qui perd progressivement la raison. Mais la résistance continue, et le dernier paragraphe du chapitre raconte l’attaque de la mission : Le combat venait de finir, nous étions entrés dans une grande case pour déjeuner, car nous n’avions rien pris depuis la veille au soir, quand tout à coup le cri « Au feu » retentit. Nous avons à peine le temps de nous sauver en emportant nos bagages que tout le village se trouvait la proie des flammes. Le soleil était d’une ardeur exceptionnelle, la chaleur de l’incendie s’en mêlant, la place était intenable ; il fallut enlever nos blessés du milieu de cette fournaise. Dès chèvres qui étaient attachées dans des cases et que nous ne pouvions songer à détacher poussaient des hurlements terribles, ressemblant à s’y méprendre, à des cris humains. Pendant un moment, nous fûmes terrifiés à l’idée que peut être c’étaient de nos blessés qui se trouvaient encore à l’intérieur. Heureusement, il n’en était rien. Le soir vint enfin apporter un peu de calme à nos nerfs surmenés par tous ces évènements ; nous pûmes ensevelir nos morts et nous reposer de nos grosses fatigues. (Joalland, p. 62) Il y a en germe dans ce récit de nombreux éléments qui seront repris dans les réécritures ultérieures, mais nous ne pouvons toutefois constater que la faible place occupée par Sarraounia dans le récit. Elle n’est nulle part décrite comme une chef de guerre, et son nom disparaît vite dès que la bataille commence. Quoi qu’il en soit, cet intertexte paraît bien mince, comparé aux autres figures de Nehanda et de Samori. Il est possible que la censure ait joué un rôle dans l’étouffement relatif de l’« affaire VouletChanoine », le dossier de l’enquête de la Direction des Affaires Militaires étant bien sûr classé confidentiel. Des récits de souvenirs et des mémoires sont parus, certes, et les journaux ont répercuté les rebondissements de l’affaire. Néanmoins, il s’agissait de l’un des épisodes les plus sombres de la colonisation, et des pressions ont sans doute limité le nombre de témoignages, comme l’indique Jean Suret-Canale179 : Lorsque Meynier (alors colonel, et en service) voulut rapporter les faits dans son livre Les conquérants du Tchad (Paris, Flammarion, 1923), ses supérieurs lui imposèrent de supprimer toute allusion aux évènements [sur la rébellion contre Klobb]. Il se refusa à remanier son livre et le publia avec une coupure où les détails sont remplacés par la simple date des décès de Klobb, de Voulet et de Chanoine (p. 163). Quant à La gloire du sabre de Vigné d’Octon [qui dénonce les exactions de Voulet et Chanoine, voir supra, en note] refusée par tous les éditeurs, elle fut finalement acceptée par Flammarion ; mais le livre une fois imprimé, à la suite de pressions exercées sur lui, l’éditeur refusa d’en assurer la diffusion : l’auteur dut reprendre à son compte les exemplaires imprimés et les diffuser par ses propres moyens. 178 Le personnage du Sergent Bouthel avec la scène du nkomo, chez Mamani, p. 129. Jean SURET-CANALE, Afrique noire occidentale et centrale : Géographie, civilisation, histoire, Paris, Editions sociales, 1961, p. 261. 179 96 Une seule mention éditée, donc, de Joalland, pour Sarraounia. Puis, plus aucune trace, ni dans les archives180 ni dans les récits imprimés. Comment expliquer une telle désaffection de l’héroïne ? La réponse la plus probable, que nous essaierons d’étayer tout au long de cette partie, est que Sarraounia est la figure de notre corpus qui a connu la plus grande réécriture afin de devenir une héroïne littéraire. Si nous plaçons Samori, Nehanda et Sarraounia sur un continuum de l’adéquation du personnage littéraire à la personne historique, il est indéniable que Sarraounia est située le plus loin dans la création littéraire et dans l’affranchissement de l’histoire. Elle n’émerge qu’à partir de très peu d’éléments et c’est en cela que la comparaison est intéressante avec Samori et Nehanda : elle prouve que l’émergence de figures fondatrices n’a que très peu besoin de la référentialité, de l’archive, de la preuve, ou de la bibliothèque. La figure n’a besoin que d’une impulsion artistique d’une part, et d’une réception populaire d’autre part. Elle ne naît pas de la Bibliothèque. Samori et Nehanda s’en nourrissent bien sûr, il y a tout un intertexte oral ou écrit qui les légitime et les authentifie, mais Sarraounia nous montre que ce n’est pas une caractéristique nécessaire. 180 Voir ANN, l’ensemble de la série 1D, qui présente de nombreuses monographies de la région de Dogondoutchi. « Sarauniya » est parfois mentionnée, mais uniquement comme titre de chef religieuse sans aucun pouvoir politique, encore moins militaire, et la mémoire de la résistance de l’une d’entre elles à la colonne Voulet-Chanoine semble s’être perdue. Sur les guerriers de Lougou, voir : ANN 1D42 (6.1.2) Monographie de Doutchi par Belle, 1913, 19 p. manuscrites. Deuxième partie, Caractères généraux des races : « D’un caractère batailleur, d’une bravoure réputée, les Aznas opposèrent une rude résistance à leurs conquérants ». Voulet est mentionné quelques lignes plus bas, mais pas dans sa lutte contre Sarraounia, qui n’est d’ailleurs pas nommée dans le document. ANN 1D 5.1.9 recoté 5.1.13 « Histoire du peuplement du cercle de Dosso », 39 p. tapuscrites, J. Périé et H. Sellier, Administrateurs des colonies, 1946. 1ère partie en photocopie : « Des origines à la fin du XVIIIe siècle » et 2ème partie dactylographiée : « Le XIXème siècle ». Comprenant des cartes. Mentions de Sarraounia (p. 11, 37), des archers de Lougou (p. 29, 31). Sur Sarraounia comme chef religieuse sans pouvoir militaire, voir : ANN 1D 6.1.8 « Les fétichistes de Lougou et de Bagagi par M. Plagnol, Annexe au rapport de tournée, 1946 » : « Les fétichistes de Lougou (version revue et corrigée) » ; « Les fétichistes de Bagagi » avec une carte du cercle de Dosso. ANN 1D 6.1.10 « Le Maouri ou Aréoua », E. Séré de Rivières, 9 p. dactylographiées. Sur le silence des sources et pour des monographies sur la région de l’Aréwa qui ne citent ni Sarraounia ni les guerriers de Lougou : ANN 1D26 « Monographie du cercle de Tahoua » par le Lieutenant Peignol 1907, 41 pages dactylographiées. ANN 1D27 « Histoire de l’Ader et de l’Azawak », non signé. (copie large de Peignol, voir supra) ANN 1D31 1909 « Monographie du cercle de Dosso » par M. Millot, Cap. Lelong, 9 p. ANN 1D32 1909 « Monographie de Gaya » par le Lieutenant Marsaud, 30 p. ANN 1D33 1909 « Dosso, Les races à Gaya », 4 p. ANN 1D37 1913 « Dosso, Monographie », Capitaine Mahani, 20+8p. ANN 1D92 1936 « Droit coutumier de l’Aderewa musulman », Duboy, 14 p. ANN 1D151 1947 « Dogondoutchi Monographie : les fétichistes de Baare et Goube de Bagaji et Lougou », annexé au rapport de tournée de M. Plagnol en 1946. 12 + 11 p. Cartes annexes. ANN 1D208 « Doutchi, Notes sur le Maouri », non signé, 5 p. 97 *** Nehanda, Samori et Sarraounia apparaissent donc comme des figures fortement différenciées pendant la période coloniale : la mémoire de Sarraounia et Nehanda, selon des échelles diverses, semble peu présente, et ne génère pas d’œuvre majeure. En revanche, Samori domine les discours et devient très rapidement un personnage littéraire de grande ampleur. Cette disparité des représentations ne rend que d’autant plus frappantes les similitudes de la période des indépendances, où tous trois émergent comme des figures fondatrices, en vingt ans d’intervalle. 2. GLOIRES NATIONALES DE L’INDÉPENDANCE 1958 pour la Guinée, 1960 pour le Niger, 1965 pour le territoire de la Rhodésie : les États déclarent ou obtiennent leur indépendance dans un laps de temps relativement court. Malgré les différenciations dues aux histoires coloniales, nous souhaitons décrire ici un phénomène commun qui traverse les représentations, agissant comme une lame de fond qui a structuré les discours collectifs : que ce soit à la suite d’une indépendance obtenue en rupture avec la métropole comme pour la Guinée, du fractionnement concerté de l’AOF pour le Niger, ou de la guérilla du Liberation Struggle contre la Rhodésie blanche, les nouveaux États ou, à défaut, les jeunes partis de la résistance, se cherchent des héros fondateurs, des grands ancêtres à même de légitimer l’union nationale181 qu’il a fallu créer de toutes pièces, les limites du territoire en construction, ou le combat pour l’auto-détermination. Les divergences que notre corpus permettent d’observer sont liées aux contextes des décolonisations : pour le Zimbabwe, l’institutionnalisation de Nehanda est extrêmement tardive, puisque l’indépendance n’est proclamée qu’en 1980. Pour 181 En cela, ce processus de « création de la tradition » recouvre de fortes similarités avec l’Europe moderne et contemporaine : Anne-Marie THIESSE, La Création des identités nationales : Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, 1999. L’Afrique est un terrain d’expérimentation de la création des identités, remarquable par la richesse et le foisonnement des réemplois récents. La narration collective, aux sources du nationalisme, est déjà décrite par Ernest RENAN, Qu’est-ce qu’une nation? Conférence faite en Sorbonne le 11 mars 1882, Paris, Calmann Lévy, 1882. 98 autant, le processus est le même que pour les autres figures fondatrices puisqu’elle devient l’une des figures les plus régulièrement convoquées dans le personnel des Chimurenga songs, les chants partisans de la guérilla. Le processus de légitimation de la Nation à construire s’est donc effectué avant l’indépendance, et dans l’affrontement armé, mais globalement à la même période que pour Samori. La modalité en a été bien plus combattive, et les textes en sont bien plus engagés, mais la structure est similaire. Samori est le parangon de la réutilisation de l’histoire ordonnée par l’État, il pourrait en être l’archétype puisque Sékou Touré s’est prétendu être l’un de ses descendants directs. L’imposition d’une mémoire nationale s’est dans ce cas effectuée au détriment des mémoires locales, et parfois en contradiction avec d’autres mémoires nationales, la Côte d’Ivoire et le Mali ne traitant pas du tout Samori de la même manière que la Guinée. Quant à Sarraounia, le processus d’institutionnalisation nous a d’abord paru en décalage d’une dizaine d’années avec ce que les autres figures, qu’elles soient ou non de notre corpus, nous avaient permis de considérer comme la « norme » : le roman d’Abdoulaye Mamani, Sarraounia, ne paraît, en effet, qu’en 1980, initiant la redécouverte-création du personnage vingt ans après l’indépendance. Pour cette héroïne, le rôle d’Abdoulaye Mamani a été crucial, puisqu’elle était auparavant purement locale, et c’est lui seul qui a donné l’impulsion nécessaire à la diffusion nationale. Or, nous essaierons de montrer que le parcours politique de l’écrivain, dans l’opposition, en prison puis en exil, est certainement la cause de ce retard relatif dans l’émergence de Sarraounia sur la scène culturelle nigérienne. Pour expliquer l’émergence de Sarraounia, nous sommes donc obligée de nous pencher sur les aléas du parcours d’un leader de l’opposition : nous pourrions dire à cet égard que cette héroïne nécessite une focale doublement locale, d’abord parce qu’elle est située dans le contexte régional de l’Arewa, ensuite parce que sa (re)création n’a dépendu que de très peu d’acteurs, nous conduisant quasiment aux marges de la micro-histoire. La littérature partisane : naissance d’une héroïne zimbabwéenne Si nous dressions un axe de la politisation des figures, de l’engagement des textes qui leur sont liés, ce serait sans conteste Nehanda qui constituerait le pôle illustrant la 99 littérature partisane. Le premier écrivain à s’en emparer est Solomon Mutswairo182 qui inclut un chant de louange à Nehanda dans son roman Feso, publié pour la première fois en shona (zezuru) par le Rhodesian Literature Bureau en 1957, ce qui lui a permis de retarder la censure183. L’introduction donnée dans la réédition américaine de 1974 par D. E. Herdeck resitue le contexte de production. Nehanda, bien que présente dans quelques pages seulement, est présentée comme une figure incontournable, symbole de la lutte contre l’oppression : Nehanda, whose origin stems back to the ancient dynasty of the King of Monomotapa itself, the realm that created the great fortress-city of Zimbabwe184 , sings in this work. The hymn about and to her became particularly popular and subsequently was widely anthologized in Zezuru texts. The fact that a recent Nehanda had actually been hanged by the British during the rebellions of 1896-1897 has no doubt added some salt to her namesake’s appearance in the novel. All of the various poems, which appear in FESO, invoke, then, the spirit of the ancestral Nehanda who speaks for the oppressed of all times and places. (p. 9-10) [Nehanda, dont l’origine remonte à l’ancienne dynastie du Roi du Monomotapa ellemême, le royaume qui créa la grande cité-forteresse de Zimbabwe, chante dans cette œuvre. L’hymne qui lui est consacrée et adressée devint particulièrement populaire et fut souvent inséré dans des anthologies de textes en zezuru. Le fait qu’une récente Nehanda ait été effectivement pendue par les Britanniques pendant les rébellions de 1896-1897 n’a pu qu’ajouter du sel, sans aucun doute, à l’apparition de son homonyme dans le roman. Tous les différents poèmes qui apparaissent dans FESO invoquent, donc, l’esprit de la Nehanda ancestrale qui parle au nom des opprimés de tous temps et de tous lieux.] Mais ce sont surtout les lectures et les réceptions qui nous fournissent de précieuses indications sur la manière dont Nehanda se construit dans la résistance : Some years after FESO’s publication, the African National Congress was revived in Rhodesia (later to evolve into ZANU, the Zimbabwe African National Union, and ZAPU, the Zimbabwe African People’s Union) and the more militant nationalists seized upon FESO as a subtle tract of protest and call for liberation. The resulting fame, or notoriety, added to the attention the work had already received from its literary success, turned the novel into a "classic" of rebellion and nationalism. The more zealous often recited the work’s poems or paragraphs of the prose in public gatherings to the weeping of the women and the groans and teeth-gnashing of the 182 Né en 1924 de parents missionnaires, Solomon Mutswairo est diplômé de l’University College of Ft. Hare en Afrique du Sud (tout comme Robert Mugabe, né également en 1924). Il publie en 1957 Feso, dont l’interprétation anticoloniale lui vaut d’être censuré en 1968. Il part étudier aux États-Unis, de 1960 à 1978 : il obtient en PhD en littérature africaine à l’Howard University (Washington), avant de revenir à l’UZ enseigner la littérature shona. Il écrit des poèmes et des romans, en shona et en anglais. Voir Steven C. RUBERT, R. Kent RASMUSSEN, Historical Dictionary of Zimbabwe, op. cit., p. 232. 183 Il est réédité, dans une version anglaise, dans Zimbabwe, Prose and Poetry en 1974, aux Three Continents Press, à Washington. 184 Allusion aux ruines de Great Zimbabwe, aujourd’hui l’un des sites touristiques les plus fréquentés du Zimbabwe. 100 deeply moved men. A particularly lively reading even led to the arrest of the militant reciting the poem « Nehanda » and FESO quickly became a « cause célèbre ». (p. 10) [Quelques années après la publication de FESO, l’African National Congress connut un renouveau en Rhodésie (ce qui deviendra ensuite le ZANU, le Zimbabwe African National Union, et ZAPU, le Zimbabwe African People’s Union) et les militants les plus nationalistes s’emparèrent de FESO comme d’un tract subtil de contestation et d’appel à la libération. La renommée, ou notoriété, qui en a résulté, ajoutée à l’attention que l’œuvre avait déjà reçue pour son succès littéraire, fit du roman un « classique » de la rébellion et du nationalisme. Les plus zélés récitaient fréquemment des poèmes ou des paragraphes en prose tirés de l’ouvrage, lors de réunions publiques, suscitant les larmes des femmes, et les gémissements et grincements de dents des hommes profondément émus. Une lecture particulièrement animée mena même à l’arrestation du militant qui avait récité "Nehanda" et FESO devint vite une "cause célèbre".] Le texte est censuré par les autorités, Nehanda devient le symbole des rêves des opposants au pouvoir rhodésien blanc et, la rumeur aidant, le scandale lié à l’interdiction du livre jouant comme une publicité à l’échelle nationale, Feso est devenu la lecture incontournable du résistant. Toutefois, le chant sur Nehanda aurait été composé près de dix ans avant la publication en shona et ce ne serait presque que par accident qu’il serait devenu à coloration nationaliste : FESO was first handwritten as a simple exercise in 1946-47 when the author was a student at Adams College Natal, South Africa. Solomon had studied, among other works, the Zulu-language novel U-Shaka (1936) by R. R. R. Dhlomo and he decided to write a sizeable work in his own mother-tongue, Zezuru, one of the so-called Shona dialects of Zimbabwe. There was not then any intention to write a political tract, however veiled, but Solomon’s natural sympathies for his people, his love of their past, both the heroic and the routine, and his personal experiences in the modern world of apartheid could but give expression, willed or unwilled, to the long mute feelings of an entire nation. (p. 10) [FESO a d’abord été rédigé comme un simple exercice en 1946-47 lorsque l’auteur était étudiant à l’Adams College Natal, en Afrique du Sud. Solomon avait étudié, entre autres textes, le roman en zoulou U-Shaka (1936) de R. R. R. Dhlomo et il décida d’écrire une œuvre d’une taille conséquente dans sa propre langue maternelle, le zezuru, l’un des soi-disants dialectes du shona au Zimbabwe. Il n’avait alors pas l’intention d’écrire un tract politique, même voilé, mais la compassion naturelle de Solomon pour son peuple, l’amour de leur passé, tant l’héroïque que le quotidien, et ses expériences personnelles dans le monde moderne de l’apartheid ne pouvait qu’exprimer, de manière consciente ou inconsciente, les sentiments longtemps réduits au silence d’une nation tout entière.] Deux chants de quelques pages seulement lui sont consacrés dans le roman Feso, ce qui constitue un très petit volume, comparé à la portée qu’ils eurent dans les années 1950. L’aura qu’a conféré la censure, les lectures publiques, la maniabilité de ces textes qui pouvaient être détachés de leur contexte, tous ces éléments en ont fait un « political tract » pour reprendre l’expression de D. E. Herdeck, sans que l’auteur n’ait pu 101 apparemment prévoir un tel succès ni une telle relecture. Notons néanmoins que le simple choix de la langue d’écriture – le zezuru –, des modèles littéraires convoqués – U-Shaka, également dans une langue africaine, prenant pour sujet un résistant illustre – prédisposaient le roman à une lecture politique, quoi qu’en dise la présentation de l’édition américaine. Il n’est pas anodin non plus que ces poèmes aient été des chants de louange185, incitant à la guerre. Bien qu’inscrits dans un contexte fictionnel, dans une guerre qui oppose Nyan’ombe et Pfumojena, le parallèle avec la situation contemporaine d’écriture est aisé à dresser, tant l’appel à la révolte est épuré : Feso begins to chant the famous lines they all knew – had known for generations back to first time, the song to Mhondoro – the Lion Spirit: "NEHANDA! You great earthly spirit! A mighty Lioness! Oh Great One of ancient times! With fear, they quaked hearing your voice In the Pande tree near a flat rock. You ordered, "Go warriors! and destroy Those Vanyai gathered in the north. Fight, my heroes! But stretch not Your hands to seize booty from them" At Nehanda’s command, together they gathered Legions of men who headed for the lowlands. Indeed, devastating battles they fought! Though they obeyed not the entire command. Yet nevertheless, the land they took: Nehanda! I say, "Arise! and help us! "" p. 29-30 [Feso commence à scander les fameux vers qu’ils connaissaient tous – qu’ils connaissaient depuis des générations, le chant du Mhondoro – l’Esprit du Lion : « Nehanda ! Toi, grand esprit de la terre ! Lionne puissante ! Oh héroïne des temps anciens ! Ils tremblèrent de peur en écoutant ta voix Sous l’arbre Pande près d’une pierre plate. Tu leur commandas : « Allez, guerriers ! et détruisez Ces Vanyai rassemblés dans le nord. Battez-vous, mes héros ! Mais n’étendez pas Vos mains sur leur butin » Au commandement de Nehanda, ils se rassemblèrent, Des légions d’hommes qui se dirigeaient vers les plaines. Ce sont des batailles réellement dévastatrices qu’ils menèrent ! Mais ils n’obéirent pas complètement à ses ordres. Car pourtant, ils s’emparèrent de la terre : 185 Reposant sur une longue tradition de louanges bien documentée pour le shona, dont les modèles sont similaires au Zezuru. Nous nous reportons au manuel Aaron C. HODZA, G. FORTUNE, Shona Praise Poetry, Oxford ; New York, Clarendon Press; Oxford University Press, 1977, qui fournit une riche anthologie. Et nous consultons également George P. KAHARI, « The History of the Shona Protest Song: A Preliminary Study », Zambezia, 9 (1981/2), p. 79‑101. 102 Nehanda ! dis-je « Relève-toi et aide-nous ! »] Étonnamment, la censure a donc joué comme une chambre d’échos et de résonance pour Nehanda, dont le nom sera encore amplifié grâce à l’attention que lui a porté l’historien Terence Ranger, dans son ouvrage Revolt in Southern Rhodesia 1896-97186. Le faisceau de ces différentes circonstances aura suffi pour légitimer la figure de Nehanda comme figure de résistance, et comme figure historique, puisque Terence Ranger magnifie le rôle des médiums et de la religion shona dans la grande révolte de 1896187. L’engagement d’un historien, l’inspiration d’un écrivain et un énorme succès populaire encouragé de manière paradoxale par le scandale et la répression, c’est donc bien la convergence des propositions des élites et de la rumeur publique qui ont fait de Nehanda une héroïne, la sortant du relatif oubli que nous avions décrit plus haut. Ce préambule était nécessaire pour comprendre le rôle clé d’ancêtre qu’elle a joué dans la guérilla des années 1970. Reprenant le motif de la louange et de l’appel simultané à la révolte, les Chimurenga songs s’emparent de la figure de Nehanda, prolongeant les propositions thématiques et génériques données par Solomon Mutswairo, dont le poème fonctionne comme l’hypotexte, ou du moins comme le référent latent, de tous les textes ultérieurs sur Nehanda. Nous n’en donnons ici que deux exemples, parmi les plus célèbres : Tora gidi uzvitonge / Take up arms and fight Mbuya Nehanda kufa vachitaura shuwa Kuti « Zvino ndofira nyika ino » Shoko rimwe ravakatiudza « Tora uzvitonge » Mbuya Nehanda kufa vachitaura shuwa Kuti « Zvino ndofira nyika ino » Shoko rimwe ravakatiudza « Tora uzvitonge » gidi gidi 188 As she lay on her death bed Mbuya Nehanda Said "I’m dying for this country" One word of advice she bequeathed to us was "Take up arms and liberate yourselves" As she lay on her death bed Mbuya Nehanda Said "I’m dying for this country" One word of advice she bequeathed to us was "Take up arms and liberate yourselves" 186 T.O. RANGER, Revolt in Southern Rhodesia, 1896-97 : A Study in African Resistance, Evanston, Northwestern University Press, 1967. Plus tard, David LAN, Guns & Rain : Guerrillas & Spirit Mediums in Zimbabwe, Londres; Berkeley, J. Currey ; University of California Press, 1985, contribuera aussi à magnifier le rôle des médiums. 187 Nous reviendrons sur la controverse historique qui a suivi l’étude de Terence Ranger dans le chapitre suivant ; voir notamment l’article contradictoire de David N. BEACH, « An Innocent Woman, Unjustly Accused ? Charwe, Medium of the Nehanda Mhondoro Spirit, and the 1896-97 Central Shona Rising in Zimbabwe », History in Africa (1998), p. 27‑54, qui réévalue la part des médiums, Chaminuka, Nehanda, dans les révoltes shona ; en résumant en 1998 ses thèses antérieures. 188 NAZ, MS 536/13 ZAPU songs 1970’s, Julie Frederikse Files, Manuscripts section. 103 Wasara kuhondo Shuwa here Tomhanya-mhanya nemasabhu Totara anti-air Tora gidi uzvitonge Wasara kuhondo Shuwa here Tomhanya-mhanya nemasabhu Totara anti-air Tora gidi uzvitonge Do not be behind times in joining the armed struggle. Indeed, we are deploying sub-machine guns We are using anti-air missiles "Take up arms and liberate yourselves" Do not be behind times in joining the armed struggle. Indeed, we are deploying sub-machine guns We are using anti-air missiles "Take up arms and liberate yourselves" [Tandis qu’elle agonisait sur son lit de mort, Mbuya Nehanda Dit : « Je me meurs pour ce pays » Ce conseil qu’elle nous a légué, c’était : « Prenez les armes et libérez-vous » Tandis qu’elle agonisait sur son lit de mort, Mbuya Nehanda Dit : « Je me meurs pour ce pays » Ce conseil qu’elle nous a légué, c’était : « Prenez les armes et libérez-vous » Ne tarde pas à rejoindre la lutte armée En effet Nous employons des mitraillettes Nous nous servons de missiles anti-air « Prenez les armes et libérez-vous » Ne tarde pas à rejoindre la lutte armée En effet Nous employons des mitraillettes Nous nous servons de missiles anti-air « Prenez les armes et libérez-vous ».] Ce chant est une incitation à rentrer dans la guérilla, à combattre le gouvernement rhodésien d’apartheid189. L’enjeu est le recrutement, et la temporalité est marquée en conséquence par le signe de l’urgence : « Do not be behind times in joining the armed struggle », la temporelle « behind times » introduisant un avertissement pour les retardataires. Le refrain, qui donne le titre à la chanson, « Take up arms and liberate yourselves » est une reprise de l’injonction donnée avant de mourir par Mbuya Nehanda, « grand-mère Nehanda », ce qui explique la circonstancielle « As she lay on her death bed », condensant et euphémisant les instants précédant sa pendaison. C’est une réécriture militante et guerrière de la prophétie qu’aurait délivrée Nehanda avant d’être pendue : « My bones shall rise again », sous-entendant que des successeurs prendraient le relais de son combat, guidés par l’esprit de Nehanda, qui survivrait à la mort du médium. Le passage au double impératif adressé à l’auditeur renforce la portée incitative de ce 189 Voir également les analyses plus générales que dresse des Chimurenga Songs Leslie BESSANT, « Songs of Chiweshe and Songs of Zimbabwe », African Affairs (1994), p. 43‑73. 104 « tract » politique : celui qui n’est pas encore dans les rangs de la guérilla, et qui entend le chant, est invité à y rentrer, à intégrer le Nous collectif (« We are deploying, /We are using… »), tandis que celui qui chante le refrain est conforté dans son engagement, renforçant la cohésion du groupe dont il énumère les actions. En dressant la liste des différentes armes dont dispose la guérilla, il se rend ainsi digne de la prophétie de Nehanda, adressée également à ce Nous (« One word of advice she bequeathed to us was… »), dont la répétition fait advenir l’existence : par la multiplication des pronoms personnels de quatrième personne, il s’agit de créer et de légitimer le groupe en le disant. Le second chant, parmi les plus connus adressés à Nehanda, est un chant plus spécifiquement des combattants exilés, demandant la protection des esprits avant de revenir sur le sol zimbabwéen pour une attaque : Tinofa Tichienda 190 Tinofa tichienda muZimbabwe Kudzamara tichasvika kuna Zambezi Kudzamara tichabuka muZimbabwe x2 We will die for Zimbabwe Until we arrive at the Zambezi Until we cross into Zimbabwe x2 Humambo hwedu huri muZimbabwe Haufanani ne humambo Biritani x2 […] Nehanda komborera vari MuZimbabwe Nehanda komborera vari mumakomo Nehanda komborera vari mumawaya Our rule is Zimbabwean It is not like the rule of Britain x2 […] Nehanda, bless those who are in Zimbabwe Nehanda, bless those who are in the hills Nehanda bless those who are scattered Tinofa tichienda muZimbabwe Kudzamara tichasvika kuna Zambezi Kudzamara tichabuka muZimbabwe x2 We will die for Zimbabwe Until we arrive at the Zambezi Until we cross into Zimbabwe x2 [Nous mourrons pour le Zimbabwe Pour arriver sur les rives du Zambèze Pour rentrer au Zimbabwe x2 Notre loi est celle du Zimbabwe Elle n’est pas comme celle de la Grande Bretagne x2 […] Nehanda, bénis ceux qui sont au Zimbabwe Nehanda, bénis ceux qui sont dans les montagnes Nehanda, bénis ceux qui sont dispersés Nous mourrons pour le Zimbabwe Pour arriver sur les rives du Zambèze Pour rentrer au Zimbabwe.] 190 Martha LANE, «!The Blood that Made the Body Go!»! : The Role of Song, Poetry and Drama in Zimbabwe’s War of Liberation 1960-1980, Evanston, Illinois, décembre 1983, Annexe, p. 615-616. 105 Deux autres strophes sont adressées l’une à Chaminuka, l’autre à Kaguvi, et sont construites sur le même modèle que la troisième présentée ici. Ce sont donc des invocations héritées des Spirit songs, des chants d’invocation aux esprits, pour obtenir une bénédiction. Le contexte remotive complètement la tradition littéraire puisque l’esprit devient ici, non pas garant de la fertilité des sols, mais garant de la victoire militaire, et protecteur des hommes sur les routes clandestines menant au Mozambique. La strophe « Our rule is Zimbabwean / It is not like the rule of Britain », avec la mention de la Grande-Bretagne, signale de manière évidente la réécriture et le nouvel horizon de lecture. Il y a bien une hybridité de ces chants partisans, qui prennent appui sur les chants traditionnels hérités – les chants de louange, les chants des esprits, les demandes de bénédiction – tout à fait intégrés à des strophes plus contemporaines, qui n’hésitent pas à convoquer un lexique militaire moderne (« anti-air missiles », « sub-machine guns »), ou à faire référence à l’oppresseur immédiat (« the rule of Britain »). Les Chimurenga songs ont fait le succès de Nehanda, lui conférant une stature d’héroïne nationale, mère de la nation zimbabwéenne, bien plus que simplement shona, luttant contre l’apartheid. Mais dans les guerres civiles comme le Liberation Struggle, un nationalisme peut jouer contre un autre, et les mêmes figures peuvent être interprétées de manières bien différentes. Les Rhodésiens Blancs se sont également emparés de Nehanda, soit pour en faire une sorcière, soit pour essayer de manipuler ses capacités de divination. Nous présentons rapidement ici ces réactualisations atypiques : bien qu’elles n’aient pas fait l’objet d’œuvres littéraires ou artistiques en tant que telles, il nous semble que le phénomène mérite d’être signalé, et qu’il informe les réécritures de notre corpus, en conférant un arrière-plan culturel plus large, celui de l’éclairage inverse jeté sur Nehanda. Après l’éclat qu’a représenté Feso de Solomon Mutswairo, les révoltes shona de 18961897 deviennent un enjeu de mémoire pour les deux communautés. Les NADA relaient les souvenirs d’anciens combattants rhodésiens. Contrairement à la période précédente191, les récits citent souvent le rôle de Nehanda. Cela ne constitue pas des chapitres à part entière, mais il est intéressant de noter que son nom apparaît de plus en plus, que son rôle s’affirme comme leader de l’opposition. Ainsi de ce long récit publié sur trois numéros, 191 Voir section précédente, où les souvenirs de colons n’évoquent pas le nom de Nehanda : NADA 1927, 1935, 1936-1937, 1938, 1940. 106 « Wiri ; Reminiscences by William Edwards »192, dont quelques paragraphes relatent le ralliement de Nehanda à la rébellion : Neyanda, the high priestess of Mwari and the most influential in the northern and central parts of Mashonaland, was not at first inclined to follow Kagubi’s lead, but was finally convinced on hearing the trees and rocks give out the message from the Mondoro. (III ; p. 24) [Nehanda, la grande prêtresse du culte du Mwari et la plus influente dans les parties septentrionale et centrale du Manshonaland, n’était pas disposée au début à suivre Kagubi, mais elle fut finalement convaincue en entendant les arbres et les rochers rapporter le message du Mondoro.] L’auteur donne également quelques détails qui seront largement repris par la suite, comme la première fois qu’il entendit le cri de guerre « Mrenga-we » [Murenga, donnant Chimurenga] (III ; p. 29), ou comme l’incompréhension initiale des colons : We had underrated the Mashona. […] We knew nothing of their past history; […] We were without a sufficient knowledge of their belief in "Mondoro" or "Mwari" ; it was not a god of war. (III ; p. 23) [Nous avons sous-estimé les Mashona. […] Nous ne savions rien de leur histoire passée. […] Nous étions dépourvus des connaissances suffisantes sur leurs croyances aux « Mondoro » et aux « Mwari » ; ce n’était pas un dieu guerrier.] Les interprétations de la rébellion vont parfois jusqu’à la théorie du complot193 : In the Mazoe valley, the spirit medium was a woman, Nyanda, who had her headquarters at Chidamba’s kraal in the « Granite Hills ». She became Kagubi’s ally, agent and local controller. (p. 2) [Dans la vallée de la Mazoe, la médium était une femme, Nyanda, qui avait son quartier général au kraal de Chidamba dans les « Montagnes de Granit ». Elle devint l’alliée de Kagubi, son agent et son commandant local.] E. E. Burke relaie le journal du fort, tenu par E. A. H. Alderson, auparavant disponible aux NAZ194, selon lequel tous les chefs de la région avaient prémédité une action simultanée : 192 I : NADA 1960, p. 81-101 ; II : NADA 1961, p. 5-21 ; III : NADA 1962, p. 19-44. E. E. Burke « Mazoe and the Mashona Rebellion 1896-97 », p. 2-34, Rhodesiana, n°25, 1971, December, Salisbury, The Rhodesiana Society. Voir aussi pour une autre mention de Nehanda dans la même revue, W.F.Rea, « Chishawasha Mission and the 1896 Rebellion », p. 32-35, Rhodesiana, n°33, 1975 September, Salisbury, The Rhodesiana Society. 194 Alderson diary, sous la cote Staff Diary AL1/1/1, p. 105 et suivantes. Nous avons pu le consulter les premiers jours de notre recherche aux NAZ avant qu’il n’ait été porté manquant pour une raison inexpliquée. Né en 1859, mort en 1927, le Lieutenant General Sir Edwin Alfred Hervey Alderson a 1500 hommes sous son commandement en 1896, à Salisbury. Son action d’éclat a été de capturer le kraal du chef Makoni. Il commandait à quatre compagnies de la Mounted Infantry. Il est ensuite en service en Inde, en Afrique du Sud et en France pour la guerre de 1914-1918. 193 107 As the signal for rebellion was received so each of the local chiefs – Wata, Chiweshe, Negomo, Nyamweda, Chidamba – with Nyanda as their co-ordinator, made his arrangements. The parties from each converged, the murders commenced about the 18th and continued as the isolated prospectors were found. (p. 5) [Alors le signal de la rébellion fut transmis pour que chacun des chefs locaux – Wata, Chiweshe, Negomo, Nyamweda, Chidamba – avec Nyanda comme coordinatrice, fasse ses préparatifs. Les troupes de chacun convergèrent, les meurtres commencèrent autour du 18 et continuèrent lorsque les premiers prospecteurs isolés furent trouvés.] Les autres mentions dans les NADA ne concernent que la princesse des mythes de fondation, ou les pratiques de divination, la rendant par là apolitique, éludant de manière commode les révoltes de 1896195. En revanche, une autre réutilisation politique, d’État cette fois, replace le médium au cœur de la lutte militaire : des prospectus lancés par l’armée rhodésienne dans les campagnes prétendaient retransmettre les paroles d’apaisement des esprits. Julie Frederikse, qui a légué son fonds d’archives aux NAZ après sa grande enquête sur le Liberation struggle, donne une retranscription de ces textes, lancés par hélicoptères, dans son ouvrage None but Ourselves : Masses vs. Media in the Making of Zimbabwe 196 : A MESSAGE FROM THE GREAT MEDIUM OF MHONDORO MUTOTA TO ALL HIS PEOPLE I know that my children, Nehanda, Chidyamawuya and Chiwodza Mamero have been captured by the terrorists. And I see that Chiwawa has committed a great crime. The ancestral spirits do not want blood-shed in this country. I shall work with the Government. I shall not die helping the terrorists, no ! I know them. When the terrorists come to this area, they must be destroyed by the people working hand in hand with the soldiers. TO ALL THE PEOPLE OF THE LAND Some of you have been helping terrorists who came to cause disturbances to you and your families. Your spirits have told your spiritual medium that they are disappointed because of your action. Mhondoro, your tribal spirit, has sent a message to say that your ancestral spirits are very dissatisfied with you. As a result of this, there has been no rain. Your crops have died and there could be great famine. It is only the government which can help you, but you have to realize your obligation to help the government also. [UN MESSAGE DU GRAND MEDIUM DU MHONDORO MUTOTA ADRESSÉ A TOUT SON PEUPLE 195 NADA 1972, G. Fortune, « Variety in Shona Literature », p. 69-82 ; NADA 1974, M. F. C. Bourdillon « Spirit Mediums in Shona Belief Practice », p. 30-37. 196 Julie FREDERIKSE, None but Ourselves : Masses vs. Media in the Making of Zimbabwe, New York, Penguin Books, 1984 [1982]. D’autres exemples de tracts anticommunistes sont disponibles aux NAZ, sous forme de microfilms. 108 Je sais que mes enfants, Nehanda, Chidyamawuya et Chiwodza Mamero ont été capturés par les terroristes. Et je vois que Chiwawa a commis un grand crime. Les esprits ancestraux ne veulent pas d’un bain de sang dans ce pays. Je dois travailler avec le Gouvernement. Je ne dois pas mourir pour aider les terroristes, non ! Je les connais. Quand les terroristes arrivent dans la région, ils doivent être éliminés par le peuple travaillant main dans la main avec les soldats. À TOUTES LES POPULATIONS DU TERRITOIRE Certains d’entre vous aident les terroristes qui viennent vous perturber, vous et vos familles. Vos esprits ont dit à vos médiums qu’ils étaient déçus de votre comportement. Mhondoro, votre esprit tribal, a envoyé un message pour dire que vos esprits ancestraux sont très mécontents de vous. En conséquence, il n’y a pas eu de pluie. Vos récoltes ont dépéri et il pourrait bien y avoir une famine importante. Il n’y a que le gouvernement qui puisse vous aider, mais vous devez prendre conscience de l’obligation que vous avez d’aider aussi le gouvernement. ] (Frederikse, p. 130) Julie Frederikse compare également les souvenirs de Richard Plowden, Ministre des Internal Affairs : He […] "alerted the military in the early 1970’s to the fact that African spirit mediums were moving accross the north-eastern border with the guerillas. Following this revelation – which turned out to be a precursor to the 1972 guerilla offensive – a series of pamphlets purporting to come from local spirit mediums was air-dropped over the affected area." [Il […] « alerta les militaires au début des années 1970 du fait que des médiums des esprits africains étaient en train de traverser la frontière du Nord-Est avec la guérilla. À la suite de cette révélation – qui préfigurait l’offensive de la guérilla de 1972 – une série de pamphlets prétendant venir des médiums des esprits locaux furent largués par avion dans la région affectée. ] (Frederikse, p. 130) Et la réponse donnée au Parlement le 23 mars 1973 : We have never had instructions from spirit mediums from a helicopter. When did the spiritual leader have a typewriter ? We have never had a message typewritten from a spiritual leader. When we saw these pamphlets being dropped, they really achieved the opposite effect. [Nous n’avons jamais eu d’instructions des médiums depuis un hélicoptère. Depuis quand les leaders spirituels ont-ils une machine à écrire ? Nous n’avons jamais eu de messages dactylographiés d’un quelconque leader spirituel. Quand nous avons vu que ces pamphlets étaient largués, ils ont vraiment provoqué l’effet inverse.] (Frederikse, p. 130) Il n’est pas étonnant en effet qu’il y ait eu dénégation197 sur cette affaire, puisque le résultat a été désastreux pour l’État : d’après les commentaires recueillis par les 197 Dans le même chapitre « Fighting Back ; Skull-bashing », Julie Frederikse retranscrit également le témoignage d’un membre des services secrets, le Rhodesian Intelligence Corps, Bob North : « We used the spirit mediums – told people to cooperate with the Security Forces or all sorts of abominations would happen to them. Shona and Ndebele customs was studied and used against them. Witchcraft, in other words », p. 130. Ces quelques phrases rendent le démenti du Parlement caduc. 109 observateurs, rhodésiens ou non, ces tracts ont plus eu pour effet de provoquer la risée des habitants que d’inciter à déposer les armes. Au-delà de l’anecdote, cette réutilisation nous apprend d’une part que les faits et gestes des médiums étaient surveillés avec anxiété par le gouvernement rhodésien, puisqu’ils étaient suspectés d’inciter à la révolte, et que leur capacité de mobilisation était jugée importante, sur le modèle colonial des grandes peurs du Mahdisme. Ainsi, dès que ceux-ci s’approchent de la frontière avec le Mozambique, près des camps du FRELIMO au début des années 1970, des mesures, certes maladroites, sont prises pour contrecarrer les éventuels effets politiques d’un ralliement à la guérilla. Ces prospectus sont bien sûr des « forgeries », des faux manipulant les catégories que les services secrets considèrent être « traditionnelles » : le Mhondoro, Nehanda, les conseils de bonne conduite… Ces tracts nous signalent, d’autre part, à quel point le nom des médiums, et de Nehanda, étaient perçus comme cruciaux à l’époque. Au même moment, les élites intellectuelles africaines continuent de glorifier Nehanda, bien que l’implication nationale soit moins nettement marquée que dans les Chimurenga songs : le même Solomon Mutswairo publie en 1974 un autre chant dédié à Nehanda, « The portrait of Nehanda and Kaguvi », et Herbert Chitepo y fait allusion dans son poème « The Tale Without a Head », tous les deux regroupés dans Zimbabwe, Prose and Poetry, par l’édition américaine mentionnée plus haut. En 1972, Lawrence Vambe fait paraître un texte au statut générique incertain, An Ill-Fated People : Zimbabwe Before and After Rhodes, with a Foreword by Doris Lessing : recourant tout à la fois aux mémoires, aux souvenirs d’enfance, aux récits que lui faisaient son grand-père, et à la compilation de citations, Lawrence Vambe retrace son parcours, mais recueille et cite régulièrement également des historiens, aux premiers rangs desquels Terence Ranger occupe une place de choix, à tel point que son récit semble parfois être une caution, par le souvenir familial, de l’ouvrage scientifique Revolt in Southern Rhodesia 1896-97. Il accrédite et diffuse l’idée que Nehanda a été l’un des leaders incontournables de la révolte, et donne de nombreuses précisions sur la médium des années 1920. Si elle n’a pas généré d’œuvre littéraire, le souvenir de Nehanda n’était donc pas absent dans l’entre deux-guerres, si l’on en croit Lawrence Vambe. Parallèlement à ces réécritures littéraires, un débat historiographique soutenu a lieu dans la capitale pour déterminer le rôle des médiums dans la révolte de 1896-1897, 110 opposant surtout Terence Ranger et David Beach198. Les nombreuses parutions alimentent l’intérêt pour Nehanda : même si ce n’est que de manière détournée, elle reste sur le devant de la scène. Dans le contexte des années 1980, puis aux lendemains de l’indépendance, réduire la portée des médiums comme Nehanda, ou au contraire en faire des martyrs, est aussi perçu comme un geste politique, ce qui n’aide pas toujours à la sérénité de la recherche. La chanson militante de l’indépendance guinéenne : relecture nationale univoque Samori est moins nettement engagé dans la révolution et la lutte armée, et en ce sens, il serait moins « guerrier » que Nehanda, sur le continuum que nous avions dressé de la littérature engagée, mais il n’en demeure pas moins l’une des figures littéraires les plus politiques qui soient. La principale raison en est que Ahmed Sékou Touré l’a choisi comme figure tutélaire, se déclarant son arrière petit-fils en ligne directe, par la famille de sa mère, Aminata Fadiga. Pourquoi choisir Samori ? Parce qu’il est doublement prestigieux : il est le fondateur d’un empire – que l’historiographie, à la suite d’Yves Person, vient de revaloriser 199 –, et il a lutté contre la colonisation française, deux caractéristiques que Sékou Touré ne fera que transposer dans ses propres discours politiques, prônant l’union nationale de la toute jeune Guinée, et inscrivant le NON au 198 Sur le rôle des historiens dans la construction du personnage de Nehanda, voir le chapitre suivant sur les acteurs. Pour les deux tenants de la controverse, voir Terence RANGER, « The People in African Resistance : A Review », Journal of Southern African Studies, 4 (1977/1), p. 125‑146 ; David N. BEACH, « An Innocent Woman, Unjustly Accused? Charwe, Medium of the Nehanda Mhondoro Spirit, and the 1896-97 Central Shona Rising in Zimbabwe », art. cit., qui relaie les positions de Julian COBBING, « The Absent Priesthood : Another look at the Rhodesian Risings of 1896–1897 », The Journal of African History, 18 (1977/01), p. 61‑84. Voir également, sur l’actualité de ce débat dans l’après 1980 : David MARTIN, Phyllis JOHNSON, The Struggle for Zimbabwe : The Chimurenga War, Londres ; Boston, Faber and Faber, 1981 ; David LAN, Guns & Rain: Guerrillas & Spirit Mediums in Zimbabwe, Londres ; Berkeley, J. Currey !; University of California Press, 1985 ; Emmanuel CHIWOME, « The Role of Oral Traditions in the War of National Liberation in Zimbabwe: Preliminary Observations », Journal of Folklore Research (1990), p. 241‑247. 199 Tout comme Terence RANGER pour Nehanda, les historiens ont joué un grand rôle dans la revalorisation de Samori et, à cet égard, il s’agit de la même catégorie d’« acteur de la fabrique ». Ils ont néanmoins eu un rôle moins important dans l’influence sur la création littéraire et artistique, tant le rôle de l’État a été déterminant sur ce point. Le précurseur de cette réévaluation de la figure de Samori est sans doute Jean SURET-CANALE, « L’almani Samori Touré », Recherches Africaines Etudes Guinéennes (1960), n°1 ; mais l’œuvre majeure est celle d’Yves PERSON, Samori, Une révolution dyula, op. cit. ; Yves PERSON, « Les ancêtres de Samori », Cahiers d’études africaines (1963), vol.4, cahier 13, p. 125‑156. À sa suite, en Guinée, voir : Ibrahima Khaliul FOFANA, « L’Almani Samori Touré! : l’homme et son œuvre », Recherches Africaines Études Guinéennes (1963), n°1 janvier‑mars, p. 3‑27 ; Ibrahima Khaliul FOFANA, L’Almami Samori Touré, empereur, Paris, Présence africaine, 1998. 111 référendum de 1958200 comme l’épisode initial de la lutte contre l’influence française. Unité et résistance. Cette mythologie nationale, qui s’élabore dans le refus infligé à la métropole 201 , se cherche des ancêtres dans l’histoire précoloniale : toute révolution radicale, en faisant table rase du passé, est en quête, dans le même temps, d’ascendances pouvant justifier l’utopie. Radicalité neuve et ancestralité coexistent, et Samori permet à Sékou Touré de les conjuguer. Concernant cette période, les premiers textes de notre corpus sont les chansons recueillies aux archives de la RTG, qui ressemblent fort aux Chimurenga songs de Nehanda : tout en étant moins directement guerriers, ils relèvent pourtant de la littérature partisane au sens littéral de « littérature d’un parti politique ». Comme les partis ZANU et ZAPU qui souhaitaient mobiliser les foules et fédérer les combattants autour d’un objectif commun, le PDG a utilisé la chanson pour diffuser son message d’union nationale202. Par une politique volontariste et autoritaire, Ahmed Sékou Touré a réformé le champ de la musique guinéenne : la musique occidentale est interdite, des orchestres fédéraux, par régions, sont mis sur pied, et des concours font la promotion de ces jeunes groupes, qui aspirent à devenir « nationaux », c’est-à-dire financés par l’État. Nous reviendrons en détails sur les acteurs de cet appareil d’État, et leurs rapports avec la musique traditionnelle203, dans le chapitre suivant, mais nous pouvons d’ores et déjà souligner la grande réussite de la politique culturelle de Sékou Touré204 : il est indéniable qu’elle a été violente, mais force est de constater que la Guinée a été l’un des seuls pays nouvellement indépendants à suivre une politique culturelle établie et dont l’objectif assumé était 200 André LEWIN, Ahmed Sékou Touré, 1922-1984 : Président de la Guinée de 1958 à 1984, 8 vol., Paris, Harmattan, 2011 2009. Voir notamment dans le tome 2, l’allocution de Sékou Touré à l’Assemblée territoriale, p. 106-110, ainsi que la réponse de De Gaulle p. 111-113. Et Mike MCGOVERN, Unmasking the State. Making Guinea modern, Chicago, The University of Chicago Press, 2013. 201 Odile GOERG, CŽle PAUTHIER, Abdoulaye DIALLO, Le NON de la Guinée (1958), Entre mythe, relecture historique et résonances contemporaines, Paris, L’Harmattan, 2010 ; Céline PAUTHIER, « L’héritage controversé de Sékou Touré, «héros» de l’indépendance », Vingtième Siècle. Revue d’histoire (2013/2), p. 31‑44. 202 Sur la musique guinéenne sous Sékou Touré, nous nous référons à Céline PAUTHIER, « La musique guinéenne, vecteur du patrimoine national (des années 1950 à 1984) », L’Afrique des savoirs au Sud du Sahara (XVIe–XXIe siècle) : Acteurs, supports, pratiques. Paris, Karthala, 2012 ; Graeme COUNSEL, « Popular Music and Politics in Sékou Touré’s Guinea », African Studies Association of Australasia and the Pacific (2004) ; Graeme COUNSEL, Mande Popular Music and Cultural Policies in West Africa: Griots and Government Policy since Independence, Saarbrucken, VDM Verlag, 2009. 203 Nous avons un aperçu de la musique malinké sur Samori grâce aux travaux de Gilbert Rouget, qui a recueilli en 1952 dans le village de Karala (Mali) un chant de louange, et un chant déplorant les ravages des guerres samoriennes. Ces enregistrements ont été publiés : « M sique alinké, Guinée », Disques vogue, 33rpm, 1972 ; et le plus récent, « Guinée Musique des Malinké », Collection du CNRS et du Musée de l’Homme, Harmonia Mundi, Chant du monde, 1999. 204 Sur le succès et les ambivalences de la politique culturelle de Sékou Touré par la formation d’orchestres subventionnés, nous suivons les analyses de Céline PAUTHIER, op. cit. 112 l’union nationale et la cohésion sociale. Le label Syliphone est créé à Conakry, les archives complètes sont à la RTG, désormais en version numérique grâce au travail de l’ethnomusicologue Graeme Counsel. De grands noms ont été enregistrés par ce label, aux premiers rangs desquels Sory Kandia Kouyaté, le Bembeya Jazz, ou encore Myriam Makeba, qui avait été accueillie par Sékou Touré après être devenue persona non grata aux États-Unis. La chanson militante guinéenne avait un rayonnement très important dans la sous-région à l’époque, et le label Syliphone constituait la section d’excellence du système, la vitrine de la culture guinéenne205. Toujours orientés vers la louange de Sékou Touré, et du PDG plus généralement, les chants dressent régulièrement des généalogies symboliques, et Samori Touré est l’un des ancêtres les plus appréciés du panthéon national et musical. L’exemple le plus prestigieux de cette réutilisation de Samori est l’album Regard sur le passé206 du Bembeya Jazz National, qui enregistre en studio en 1968 : Samory a laissé des legs, il a laissé des hommes Je te compare à Soundiata Keita au Mali Je te compare à Alpha Yaya Diallo Je te compare à mon grand-père207 Almamy Samory […] Grâce à toi, nous sommes devenus des hommes Grâce à toi, nous avons notre indépendance Tu es exemplaire de la Guinée et tes ennemis seront toujours humiliés208 Le chant, relativement long puisqu’il dure plus de trente minutes, s’adresse tour à tour au public lorsque commencent des passages narratifs, à Sékou Touré pour les généalogies et la louange, et à Samori parfois, dans le prolongement de ces louanges. Dans le passage cité, l’adresse est très clairement à Sékou Touré à qui sont attribués trois « ancêtres » symboliques, dans une généalogie remaniée : Soundiata Keita, l’empereur du Mali du XIIIe siècle, Alpha Yaya Diallo, roi peul du Labé, déporté par les Français en Mauritanie où il meurt en 1912, sont deux ancêtres véritablement rêvés, puisque la filiation n’est pas reconstituée avec Sékou Touré ; il s’agit d’une généalogie de la 205 Pour une illustration de ce rayonnement en littérature, voir le parcours de l’héroïne Kolélé, très largement inspirée de celui de Myriam Makeba, Henri LOPES, Le Lys et le Flamboyant : roman, Paris, Le Seuil, 1997. La musique guinéenne est mentionnée de nombreuses fois, en lien avec les régimes d’inspiration socialistes, voire des dictatures vers la fin de l’ouvrage. Sékou Touré apparaît comme l’homme qui subventionne à la fois les artistes africains, et toutes les guérillas socialistes du moment, tout en menant dans son propre pays une politique de la terreur. 206 Bembeya Jazz National, Regard sur le passé, « Regard sur le passé », 36’53, 1968, SLP 10. 207 Le possessif a valeur de syllepse : il est une marque de respect, comme mfa, « mon père », pour désigner une personne plus âgée ou de rang supérieur, mais il est aussi, pour Sékou Touré revendiqué dans son sens littéral. 208 Traduction du malinké par Bangaly Diene Diane. 113 bravoure, où le fil directeur, plus que celui du sang, est celui du mérite. Le troisième ancêtre qui structure le chant, et qui est plus largement développé, est Samori Touré : son nom déploie des connotations plus fortes encore que les deux autres, puisqu’il est considéré comme véritable aïeul. Flatter le chef, ici Sékou Touré, en lui attribuant des ancêtres prestigieux, c’est louer ses qualités d’homme d’État bien sûr, mais c’est surtout espérer de lui qu’il se conforme à cet idéal donné par allusion : Sékou Touré se doit d’être l’égal de Soundiata. La généalogie a aussi valeur d’avertissement : il faut dépasser le Père pour être digne. Les trois derniers vers font l’éloge de l’indépendance, de la liberté et de l’honneur qui lui sont liés – être pleinement un homme, c’est être sorti de l’esclavage imposé par la colonisation – et rejeter la présence française ; ils s’appliquent à Sékou Touré, mais les qualifications d’homme d’honneur et de chef invincible sont également associées à Samori, tout au long du texte. Un ouvrage portant le même titre que l’album du Bembeya, Regard sur le passé, L’Almamy Samory Touré, 1830-1900209, avec en couverture la même photographie de l’Almamy que celle de la pochette du disque, reproduit les paroles du chant en français. Ce texte richement illustré ne porte malheureusement aucune date. Les paroles du Bembeya, l’illustration de couverture et son titre nous font présumer que la publication accompagne la parution de l’album du Bembeya en 1968, et surtout les commémorations liées au retour des restes de Samori du Gabon à Conakry. Cet ouvrage au statut étonnant comporte notamment : une préface de Sékou Touré intitulée « Réhabiliter la culture africaine », une « Présentation » de Mamadi Fallo Keita (secteur Jeunesse, Art et Culture) qui dessine la comparaison entre Samori et Sékou Touré, plusieurs poèmes de Sékou Touré consacrés à Samori, le texte du Bembeya dans la section « L’Almamy Samori Touré, Héros National Africain », et un parcours photographique dont les légendes retracent la vie de l’Almamy. C’est certainement l’exemple paradigmatique du rapport de filiation qu’a voulu établir Sékou Touré avec Samori, dans la culture et les arts – ici, la musique avec le texte du Bembeya Yazz National, et la littérature, avec ses propres poèmes. La parution que nous supposons concomitante de ce texte et de l’album Regard sur le passé donne en tous cas le ton du label Syliphone et des jeunes orchestres fédéraux : Samori s’impose comme une figure incontournable, ancêtre et double du chef 209 Regard sur le passé, L’Almamy Samory Touré, 1830-1900, Service National des Arts et de la Culture (Division des arts plastiques et expositions), Ministère de la Jeunesse, des Arts et des Sports, Conakry, sans date. 112 p. Ce texte est hors du circuit de la vente, et introuvable en France à notre connaissance. Nous remercions Fabio Viti, professeur d’ethnologie à l’Università di Modena e Reggio Emilia, de nous avoir informée de l’existence de ce texte et d’avoir eu la gentillesse de nous en fournir une copie. 114 de l’État. Les autres chants de notre corpus suivront cette voie tracée par le Bembeya : « Samory » du Niandan Jazz en 1970210, « Almamy Samory » du Fétoré Jazz la même année 211 , « L’épopée du Manding ; L’épopée du PDG » de l’Ensemble Voix de la Révolution en 1975212, « Hommage à nos héros » du Bafing Jazz en 1978213, « L’Afrique vaincra » du Tropical Djoliba Jazz en 1978214 sont toutes bâties sur ce même modèle où Samori et Sékou Touré fonctionnent comme des figures doubles, où les hauts faits de l’un reflètent en miroir les hauts faits de l’autre, la gloire du premier annonçant la venue du second, le second ne pouvant être légitime que dans les pas du premier. Par le biais du label et de la subvention d’État, les chansons de l’ère Sékou Touré ont de fortes affinités avec les Chimurenga songs des partis de l’opposition, pour Nehanda : même recherche d’ancêtre fondateur, même culte de la personnalité des dirigeants politiques (Sékou Touré) ou des chefs de partis (Robert Mugabe), même pratique de la généalogie, même ancrage fortement populaire, même rayonnement hors du cercle de production. Le théâtre sur Samori : relectures internationales Le théâtre est en revanche une particularité du corpus concernant Samori. Quatre pièces publiées en français lui sont consacrées, de 1967 à 1986, toutes par des auteurs non guinéens, Cheik A. Ndao, sénégalais, Bernard Zadi Zaourou, ivoirien, et Massa Makan Diabaté, malien qui lui consacre deux pièces. Le choix du théâtre et du drame historique répond sans doute à l’objectif formulé par l’écrivain nigérien André Salifou, lorsqu’il publie Si les cavaliers avaient été là, en 1985215 : Historien appelé par la force des choses à écrire dans une langue qui n’est pas la mienne et qui n’est lue que par une minorité de mes compatriotes, j’ai décidé, assez tôt, de tirer périodiquement, du passé de mon pays, des pièces de théâtre dont la représentation, même dans une langue étrangère, me paraît plus accessible à l’ensemble de mes compatriotes, qu’un texte écrit en français et presque toujours encombré par les innombrables notes critiques qu’exige la science historique. (p. 55) 210 « Samory » 09’33, Niandan Jazz (orchestre de Kissidougou), 1970. SLP 19. (malinké). « Almamy Samory » 3’43, Fetoré Jazz (orchestre fédéral de Pita), 1970, 0017-M. (malinké). 212 « Épopée du Manding » 16’34, Ensemble Voix de la Révolution (Sory Kandia Kouyaté dir.), 1975, 0342F. (malinké) « Épopée du PDG » 12’34, Ensemble Voix de la Révolution (Sory Kandia Kouyaté dir.), 1975, 0342F. (malinké). 213 « Hommage à nos héros » 29’54, Bafing Jazz, 1978. 0508M. (malinké et français). 214 « L’Afrique vaincra » 32’39, Tropical Djoliba Jazz, 1978. 0508M (malinké). 215 André SALIFOU, Le Fils de Sogolon!; suivi de, Si les cavaliers avaient été là, Niamey, L. E. P. Issa Beri, 1985. 211 115 Assurément, le théâtre, même en français, permet de toucher un plus large public que le roman, en retrouvant la performance, la coprésence du public et des récitants, caractéristique de la littérature orale en langue africaine, mais également des décors, des mimes, des costumes, une trame connue du plus grand nombre, qui permettent une diffusion conséquente de l’œuvre. Sur les quatre pièces de cette époque, trois sont consacrées à l’affrontement entre Samori et son fils Karamoko, de retour d’un voyage de parade en France. L’argument en est relativement simple : impressionné par les moyens technique des Français – le train, la montgolfière, le paquebot sont souvent mentionnés –, par les arsenaux et les défilés militaires, par le faste avec lequel il a été reçu à Paris, Karamoko met en garde son père et plaide pour une alliance avec eux, plutôt que la poursuite d’une opposition directe. Dans les trois cas, le dernier acte se clôt sur un procès et sur la condamnation à mort du fils, ce qui est un raccourci avec l’argument historique généralement admis comme véridique. À partir de ce canevas, les orientations entre les trois auteurs divergent, mais la culpabilité de Samori n’est jamais remise en cause, tout juste peut-elle être atténuée par des remords dans les dernières répliques. Une telle ligne narrative n’aurait jamais pu être acceptée en Guinée, où Samori, érigé en héros, ne peut être dans le même temps infanticide. Dès lors, comment expliquer un tel consensus à l’étranger, dans la sous-région ? Qu’est-ce qui a fait le succès de cette intrigue216, tout à la fois au Sénégal, au Mali et en Côte d’Ivoire, étant donné que les orientations idéologiques ne sont même pas toutes convergentes ? Nous aurions pu penser que les États qui avaient auparavant eu à souffrir de l’expansion de l’empire de Samori, dont les villes avaient été razziées, les populations déplacées et réduites en esclavage, auraient d’une même voix condamné la mémoire de Samori, en en faisant naturellement le monstre par excellence, c’est-à-dire celui qui dévore sa progéniture. Mais cela ne semble pas tout à fait juste. La pièce qui lui semble la plus hostile, et qui pourrait répondre à cette première tentative d’explication, est celle de l’ivoirien Bernard Zadi Zaourou217, Les Sofas, publiée 216 L’affrontement entre le père et le fils est un enjeu dramaturgique traditionnel de la comédie, et de nombreuses pièces de Molière, parmi de nombreux exemples, pourraient illustrer l’importance de cette tradition théâtrale. Ce motif n’est donc pas spécifique de la figuration du personnage de Samori, mais s’inscrit dans une topique bien plus transversale, qui est néanmoins reconfigurée et réaménagée dans les différentes pièces du corpus. 217 Bernard Zadi Zaourou (né en 1938, mort en 2012) est un écrivain ivoirien, homme politique et universitaire. Il obtient sa thèse d’État à l’Université de Strasbourg. Les Sofas est sa première pièce de théâtre. Outre une dizaine d’autres pièces de théâtre, sa production compte également de nombreux recueils poétiques. Il est ministre de la Culture de 1993 à 1995. Sur sa pratique théâtrale, voir Günter BIELEMEIER, « C’est vraiment une forme nationale de théâtre, le Didiga », in Eckhard BREITINGER, Reinhard SANDER (dir.), Interview des écrivains africains francophones, Bayreuth, Bayreuth University, 1986, p. 63-77. Pour des études plus généralistes sur son œuvre, voir aussi Bruno GNAOULÉ-OUPOH, Bernard Zadi Zaourou, 116 en 1975. Bien que la Présentation soit un extrait de l’album Regard sur le passé du Bembeya Jazz National, dont nous venons de parler, le reste du texte est nettement moins emphatique, puisque la condamnation à mort ne provoque pas chez le père de crise de conscience ni de remords soutenus, tant Karamoko semble s’entêter à pactiser avec le français Archinard. Plusieurs scènes sont jouées par le « Le peuple », incarné successivement par « Une voix », « Un paysan », « Premier homme du peuple », « Un joueur » ou « Un sofa », et toutes se concluent sur des sentences telles que « Plutôt la mort que l’esclavage » – d’ailleurs attribuée à Sékou Touré –, ce qui est également une condamnation de la paix proposée par Karamoko. La froideur du Samori infanticide ne peut donc pas être expliquée par son caractère tyrannique, qui serait la mémoire ivoirienne contre la mémoire guinéenne, puisque le Peuple serait alors lui-même dégradé. Un autre élément de réponse peut être trouvé dans la présentation de l’auteur « À propos des Sofas » : [L’œuvre] s’organise tout entière autour d’un fait divers : le châtiment d’un fils indigne par son père. Et c’est un hasard si le père a nom Samory et le fils Karamoko (Les Sofas, p. 13) Faut-il y voir une palinodie avec la présentation de Samori par le Bembeya Jazz National, qui en fait un héros historiquement centré, initiateur de la résistance à la colonisation, qui n’est résolument pas choisi « au hasard » ? Une seconde explication permet de résoudre l’aporie : l’argument a été efficace de la fin des années 1960 aux années 1980 parce que l’intrigue privée rejoignait l’intrigue politique. Dès lors, même les mémoires contradictoires liées à « Samori, l’empereur du Ouassoulou » pouvaient se retrouver sur le terrain de l’intrigue familiale, ici appelée « fait divers » quelque peu sommairement. La rupture entre deux générations, et plus spécifiquement entre deux cultures, faisant intervenir des émigrés sur le retour, incapables de dialoguer avec leur environnement d’enfance, tous ces thèmes peuvent être aisément réappropriés par le public, et le prestige du nom de Samori, même perçu localement comme tyran, sert à la diffusion de la pièce, plus qu’il ne la dessert. La pièce est en effet plus tournée vers Karamoko, l’incompréhension qu’il éprouve face à son père, sa famille, ses amis, et l’armée qui le vénère, que sur le dilemme de l’infanticide, ce qui a le mérite d’expliquer d’une part l’apparente froideur de Samori eut égard à son geste, et d’autre part la Poète et dramaturge ivoirien, Paris, L’Harmattan, 2012 ; N. KOUADIO (dir.), Zadi Zaourou, un écrivain éclectique : Enracinnement et ouverture au monde. Actes du colloque international en hommage à Bernard Zadi Zaourou, Paris, L’Harmattan, 2014. 117 réappropriation d’un héros guinéen en Côte d’Ivoire, ce qui paraissait au premier abord étonnant. Notons que « l’exil » de Karamoko dure quatre ans (p.36), ce qui accrédite le parallèle avec le retour des travailleurs de longue durée d’Europe vers l’Afrique de l’Ouest. Le terme est bien plus court dans les autres pièces, un an dans Le Fils de l’Almamy, six mois pour Une Hyène à jeun. Les deux autres pièces mettent plus en avant le conflit psychologique des deux personnages principaux – le père, le fils – et les caractères sont plus développés. Dans Le Fils de l’Almamy de Cheik Aliou Ndao218, montée et jouée au Sénégal en 1967, le différend entre Karamoko et le reste du groupe est perçu dès le prologue, bien que sur le mode mineur. Il est attendu comme le chef d’armée qui saura révéler le « secret des Blancs », et redonner espoir au Mandé. Il aurait été élevé par la « Reine Mère », « Sohna », la mère de Samori. L’opposition entre le père et le fils ne se fait jamais en public, et les relations de pudeur entre les deux personnages sont mises en avant : Karamoko ne peut se taire, puisque le mensonge par omission est indigne d’un homme d’honneur, et il ne peut parler, ce serait trahir la résistance menée par son père pour la liberté du Mandé. Le conflit est insoluble, et toujours présenté en huis-clos. L’intrication de l’intrigue politique et de l’intrigue privée y est très forte, sa condamnation devenant certaine lorsque Samori lui déclare, acte III, scène 2 : Semer la peur, le doute parmi les soldats est un acte contre l’État. (p. 39) Si Karamoko est en proie à un conflit insoluble, lié à son voyage en France qu’il ne peut dire dans l’empire de son père, puisque son message est proprement inaudible, le conflit de Samori est également longuement présenté. Plusieurs conversations avec le marabout Thierno interrogent la valeur du pouvoir face à l’étude, la validité du pouvoir sans la force de l’armée, l’impossibilité d’une décision juste si le fils devient traître à l’État. La décision d’emmurer Karamoko est d’ailleurs soufflée par une co-épouse, Kéné, disculpant légèrement Samori. Le récit de la mort du fils est rapporté par un émissaire, Thiecouta, à l’acte III, scène 9 : Almamy, j’ai suivi tes ordres en soldat. Nous avons attendu le moment où Karamoko semblait assoupi. Aucun souffle dans le camp ! Ayant remplacé les gardes par des maçons, le travail commença. Maliba [griot de Samori] eut la faveur d’être le dernier à avoir vu Karamoko vivant. De peur qu’à son réveil le Prince ne se blesse par des mouvements désordonnés, Maliba l’attacha à son lit avec des chaînes en or. Deux des maçons, juste avant de poser la dernière brique, ont rencontré le regard de 218 Né en 1933, Cheik Aliou Ndao est un écrivain et dramaturge sénégalais. Sa pièce la plus connue est L’exil d’Alboury. Depuis les années 1990, l’auteur n’écrit plus qu’en wolof. 118 Karamoko. Il ne dormait pas. Il ne dit rien. Il n’a pas protesté. Il s’y attendait. Terrifiés, les ouvriers se sont enfoncés dans la forêt, ameutant le village par leurs cris. Sendi [l’épouse de Karamoko], l’air hagard, refuse de manger, professe des incohérences. Bien avant le jour, prévenu par je ne sais quoi, Thierno [le marabout] a ramassé ses parchemins, ses livres. Il est parti dans une direction inconnue. (Le Fils de l’Almamy, p. 56) Thiecouta a obéi, mais la mention de « chaînes en or », qui pourraient paraître une surenchère dans le supplice, est immédiatement rapportée à la crainte qu’il ne porte luimême atteinte à sa vie et se suicide, autrement dit son geste est réinterprété par l’estime qu’il porte à Karamoko. Lui-même est digne jusqu’aux derniers instants, le motif du dernier regard étant joué deux fois, par Maliba (« Maliba eut la faveur d’être le dernier à l’avoir vu vivant ») et par les deux maçons (« Deux des maçons ont rencontré le regard de Karamoko »), ce qui les a rendu fous, augmentant le pathétique de la situation. Toute la scène se joue entre honnêtes hommes où chacun respecte la position de l’autre, mais se voit contraint d’agir par un devoir qui le transcende : Karamoko refusera de se parjurer en retirant ses propos sur la démesure technologique des deux armées en présence, Thiecouta, le bourreau, ne peut refuser de faire son office, Samori est contraint de punir les traîtres à sa cause. Il ne peut dès lors que se lamenter : « Je ne suis pas compris. Je passe pour sanguinaire » (p. 57). Enfin, la pièce Une Hyène à jeun de Massa Makan Diabaté219, signée en 1986, et publiée en 1988, propose encore une autre relecture de ce canevas narratif. Dans son « Avant-propos », Jacques Chevrier met en avant le « drame intérieur » qui se joue pour les deux personnages, mais l’arrière-plan convoqué est plus large encore que pour les deux pièces précédentes, nous semble-t-il. L’affrontement proprement dit entre le père et le fils occupe les actes II et III, le premier acte étant entièrement consacré au choix de l’héritier du trône, c’est-à-dire de celui qui aura l’honneur de se rendre en France, en mission diplomatique. Apparemment, Samori doit choisir entre deux de ses fils nés de deux de ses favorites : Diaoulé Karamoko, fils de Diaoulé, et Sarankegni Mori, fils de Sarankegni. Mais c’est en réalité d’une révolution politique et culturelle qu’il s’agit puisque le frère cadet de Samori – ici, Kèmè Birama, « l’étoile du royaume » –, successeur traditionnel dans la société malinké, est dans tous les cas évincé au profit des fils, suivant la loi coranique : 219 Massa Makan Diabaté (né en 1938, mort en 1988) est un écrivain malien ayant étudié en Guinée et en France. Il publie notamment une trilogie Le Lieutenant de Kouta, Le Coiffeur de Kouta, Le Boucher de Kouta, qui remporte un grand succès critique. Dans notre corpus, Une si belle leçon de patience est la première de ses pièces, après la série des contes et épopées tirées de la littérature orale, tandis que Une Hyène à jeun constitue sa dernière œuvre publiée. 119 Si Kème Birama décide qui, de Diaoulé Karamoko ou de Sarankegni, doit se rendre en France, il comprendra que je suis résolu à appliquer la loi musulmane : le fils succède au père. Il réalisera que mon intention est de mettre fin à la coutume antéislamique : le cadet héritait sans partage de son aîné. (Une Hyène à jeun, p. 22) Le conflit n’est donc plus seulement entre le père et Karamoko, image du fils revenu de France, mais plus largement entre le père et les jeunes hommes, les deux fils et le cadet représentants de la jeune génération, dans une société en profonde mutation, où l’islam vient compliquer les relations interpersonnelles et le jeu politique antérieur, autant que l’apparition de la culture occidentale bouleverse la géostratégie de la région et les représentations. Les deux autres actes reprennent l’opposition frontale entre le père et le fils, Karamoko est condamné à n’être pas entendu, comme une nouvelle figure de Cassandre annonçant la chute prochaine de l’empire. La mise en scène souligne l’absence de portée de la nouvelle qu’il annonce – la démesure technologique des armées en présence – puisque son agonie est l’objet d’une scène où il monologue, enfermé dans le hors-scène, et le spectateur n’entend que sa voix, qui se déploie dans l’une des scènes les plus travaillées de la pièce, où la plainte se mêle à la folie : (Un silence) Plus tard ! Bien plus tard, des générations éloignées de nos préjugés condamneront un homme qui commanda que son fils fût emmuré pour avoir dit la vérité sans fard, belle et vraie comme une jeune fille qui sort du marigot. (Un silence) Guerriers valeureux de mon père, pardonner est sage pour le chef, sage aussi pour celui qui va mourir. Eh bien, l’aigreur n’habite point mon cœur. Plus tard ! Bien plus tard les griots, au solstice d’été chanteront mes louanges, disant : « Diaoulé Karamoko est mort avec toute sa raison, avec toute sa foi » (Une Hyène à jeun, Acte III, scène 4, p. 115) La douleur de Samori est telle qu’il se dit désormais possédé par Seytane, ou Satan, puisqu’il a été contraint d’ordonner la mort de son fils. Hors de lui, il éprouve même une certaine jouissance à se définir au seuil de l’Enfer : « Je suis désormais une hyène à jeun » déclare-t-il dans la dernière scène, ce qui fait écho au titre, et à l’exergue, dans un mouvement de lecture rétroactive : Tout ce que je sais – et cela est aussi certain qu’aujourd’hui est né d’hier – c’est que le pouvoir peut mener celui qui l’exerce à la pire des duperies : se dire bonsoir à soimême tandis que le soleil culmine au zénith. Alors l’homme se comporte comme une hyène à jeun. (Une Hyène à jeun, p. 9) L’exercice du pouvoir qui l’a mené à l’infanticide le rend hors de lui ; désormais Samori n’a plus aucune attache, et c’est ce qui le poussera à rompre le pacte avec les Français, et à réengager le combat. 120 Une Si Belle Leçon de patience, de Massa Makan Diabaté, publiée en 1972 par l’ORTF, occupe une place à part dans les pièces de théâtre concernant Samori : bien qu’il soit un personnage de premier plan, c’est en réalité son ennemi, Ba-Bemba, roi de Sikasso, qui en est le héros, Samori n’étant pas pour autant dévalué. Ce tour de force constitue le fil dramatique de toute la pièce, et entretient le suspens jusque dans les dernières scènes : les deux rois sont connotés positivement, et le siège de Sikasso rend apparemment la situation inextricable, puisque l’un ou l’autre des adversaires doit bien à un moment ou à un autre prendre le dessus. Scène après scène, malgré la colère de son conseil privé, le défi que lui lance Ba Mousso Sano, veuve de Tiéba, Ba-Bemba refuse obstinément de prendre les armes contre Samori qui assiège la ville. Le ton monte pendant trois actes, jusqu’à ce que Ba-Bemba révèle qu’il conserve ses troupes pour un adversaire bien plus redoutable que Samori, les colons blancs qui se massent aux frontières de leurs deux royaumes. C’est une leçon d’unité africaine qui est donnée dans les dernières répliques, par Ba-Bemba aux deux cours royales réunies pour l’occasion : Ba-Bemba : Tu parles de victoire, Morifing Dian, quand ce sabre n’a pas croisé le mien ? (Il le dégaine) Quelle brave lame ! (Avec étonnement) Mais il est magique ce sabre ! (Tout le monde s’approche de Ba-Bemba) Dans son reflet qui éclaire nos visages, j’y vois, moi, un avenir de nobles entreprises. Il m’apparaît plus clairement qu’à une voyante à travers ses cauris, ou le sable opaque d’un devin. Regardez ! … deux armées sont face à face. Au lieu de s’entredéchirer, elles se fondent en un même corps de lutte, de ruse et de haine. Deux chefs sont là. L’un vêtu de rouge, dit en sa tenue que le sang va couler en ruissellement de pluie matinale. Le second porte le costume de ceux qui ont entendu l’appel du Prophète ; il tempère la colère du premier qui l’exhorte à son tour… […] Des cavaliers en nombre incalculable, livrés à la fougue de leur monture, vont, sans barrière aucune, du Kénédougou au Ouassoulou. Ici, ils ont accepté un combat contre l’occupant blanc ; ils le repoussent jusqu’à la forêt où la malaria fait le reste du carnage. Là, ils ont perdu une bataille, et regagnent sans panique une citadelle fière de ses murs infranchissables. (Une Si Belle Leçon de patience, Acte III, scène 5, p. 119-120) 121 Dans une réécriture fantasmatique de l’histoire, Ba-Bemba devient porte-parole de l’union des peuples, avec un horizon de lecture quasiment panafricain, où les Blancs sont rêvés comme vaincus, défaits par la maladie et l’unité des armées africaines. Les deux ennemis se réconcilient devant le sabre de Ba-Bemba pour repousser l’ennemi futur, et la pièce se clôt donc dans un conflit repoussé dans l’avenir du hors-texte certes, mais surtout dans une élévation des cœurs, où l’honneur des deux actants leur permet de transcender leur opposition initiale. Ces quatre pièces traitant de Samori, œuvres de non Guinéens, ne sont pas directement liées aux nationalismes en construction en Afrique de l’Ouest à cette époque. Samori a moins ici l’image d’un père fondateur que celle d’un homme clivé, symbole des bouleversements des sociétés postcoloniales, où les rapports avec l’ancienne métropole sont ambivalents, où les générations entretiennent un dialogue difficile, et où, enfin, l’Islam s’impose à large échelle. Sarraounia, une héroïne à l’émergence tardive Sarraounia, quant à elle, paraît naître plus tardivement dans le champ des « héros nationaux ». Plus étrange, elle semble même absente des études historiques, ce qui prolonge le long silence de la période coloniale à son sujet220. Idrissa Kimba ne la relève pas comme résistante dans sa thèse Guerres et sociétés : les populations du "Niger" occidental au XIXe siècle et leurs réactions face à la colonisation (1896-1906)221 soutenue en 1979, publiée en 1981. Dans la carte des résistances à la colonisation, le village de Lougou n’apparaît pas. L’historien Boubé Gado n’en parle pas non plus dans son étude qui se clôt, il est vrai, quelques années avant l’arrivée de la colonne Voulet-Chanoine, en 1896, Le Zarmatarey : contribution à l’histoire des populations d’entre Niger et Dallol 220 D’autres figures, comme le sultan du Damagaram à Zinder, remplissent cet office d’agitateurs, de « révolutionnaires » : Finn FUGLESTAD, A History of Niger, 1850-1960, Cambridge; New York, Cambridge University Press, 1983 (p. 39-78). 221 Idrissa KIMBA, Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Guerres et sociétés les populations du Niger occidental au XIXe s. et leurs réactions face à la colonisation, 1896-1906, République du Niger, Université de Paris VII, UFR Géographie, histoire, sciences de la société, Paris, 1979. Publié ensuite : Idrissa KIMBA, Guerres et sociétés : Les populations du « Niger » occidental au XIXe siècle et leurs réactions face à la colonisation (1896-1906), Niamey, Institut de recherches en sciences humaines, 1981. 122 Mawri222, publiée en 1980. En revanche, Boubou Hama, homme politique nigérien et homme de lettres, en fait mention en 1966 dans Enquête sur les fondements et la genèse de l’unité africaine223, mais à chaque fois, il ne s’agit que du rôle de divination de la Sarraounia, d’un point de vue anthropologique. Dans une liste des « règnes » des Sarraounia de Lougou, il est dit : Sarraounia Mangou (30 ans de règne), régnait encore au passage de la mission Voulet et Chanoine. (p. 245) Cette courte notice a le mérite de nous livrer le nom attribué au médium « Mangou », et d’attester de la concomitance de son règne avec le passage de la Mission Afrique Centrale. Mais elle ne prouve pas qu’elle ait appelé au combat. L’écrivain la cite également dans L’Histoire traditionnelle d’un peuple, les Zarma-Songhay224, un an plus tard, en 1967, mais il ne s’agit toujours pas de l’héroïne guerrière qui nous intéresse. Les mythes de fondation de Lougou, et plus largement du monde haoussa préislamique, depuis la fuite du royaume de Daura, ont fait l’objet d’études dans les années 1970 : Marc-Henri Piault et Colette Piault en rendent compte dans leurs ouvrages respectifs225. S’ils fournissent le cadre mythologique auquel les écrivains se réfèreront plus tard, ils ne rendent pas compte non plus de la Sarraounia guerrière que nous recherchons. Le premier à reprendre véritablement l’image de cette reine haoussa ayant assisté à la pénétration coloniale française est l’écrivain Abdoulaye Mamani, qui en fait une héroïne combattante. Son roman Sarraounia est publié en 1980 et comporte tous les traits que nous avons relevés pour les deux autres figures « nationalisées » par les élites : forces en présence inégales, détermination des troupes africaines, respect des valeurs traditionnelles de liberté et de tolérance, victoire injuste des Blancs qui renforce d’autant plus le courage de la résistance. L’écrivain affirme s’inspirer de l’histoire locale, et des traditions orales, pour écrire une « contre-histoire » du pays, dévalorisée par les manuels scolaires français. L’intertexte majeur en est Le Grand Capitaine, de Jacques-Francis Rolland, publié en 1976, sous-titré « Un aventurier inconnu de l’épopée coloniale ». Cet 222 Boubé GADO, Le Zarmatarey : contribution à l’histoire des populations d’entre Niger et Dallol Mawri, Niamey, Institut de recherches en sciences humaines, 1980. 223 Boubou HAMA, Enquête sur les fondements et la genèse de l’unité africaine, Paris, Présence africaine, 1966. Pour les mentions de Sarraounia illustrant les exemples de sociétés matriarcales au Niger, p. 123, 431, sur le mythe de fondation de Lougou, voir p. 141-143. 224 Boubou HAMA, L’Histoire traditionnelle d’un peuple, les Zarma-Songhay, Paris, Présence africaine, 1967. 225 Marc Henri PIAULT, Histoire mawri. Introduction à l’étude des processus constitutifs d’un État, op. cit.; Colette PIAULT, Contribution à l’étude de la vie quotidienne de la femme mawri, Niamey, Centre nigérien de recherches en sciences humaines, 1972. 123 écrivain communiste, ancien résistant, journaliste et scénariste, dresse ici un tableau étonnant de la colonisation : sans remettre en cause les massacres perpétrés par la colonne, le roman s’attache toutefois à glorifier la bravoure des « héros » (ici le titre renvoie à Voulet, mais Chanoine est toujours présent également) qui, épuisés par les maladies, le manque de moyens, l’absence de soutien des Ministères, l’incompréhension de leurs hiérarchies, les attaques incessantes des villageois rencontrés, n’ont pu que devenir fous. De nombreux chapitres sont en focalisation interne, où le lecteur est amené à suivre les réflexions de Voulet et à cheminer avec lui dans l’horreur. L’auteur semble tout à la fois condamner, bien sûr, les enrôlements forcés, les expéditions punitives, les razzias, l’escalade de violence engagée pour payer le nombre croissant des enrôlés, mais manifeste également une certaine fascination pour le caractère des deux officiers français, qu’il dépeint comme seuls contre tous, dans une sorte de délire de grandeur sublime. Ainsi présente-t-il son travail de recherches préparatoires : De plus en plus fasciné, je suis allé travailler aux sources, en l’occurrence les archives de l’ancien ministère des Colonies. Sous la cote « Afrique III, dossiers 37, 38 et 38bis », de grosses boîtes cartonnées et ficelées renferment les documents de la mission ainsi que les correspondances confidentielles émanant d’une administration affolée par la crainte du scandale : cahiers de décisions, carnets de route, lettres privées, rapports officiels, télégrammes, états de service, conclusions des conseils d’enquête, papiers jaunis et poussiéreux, voilà tout ce qui reste de cette colonne maudite. (Le Grand Capitaine, p. 7) Dans la Préface, l’auteur avoue avoir été « fasciné » par le parcours des deux Français, et ce, malgré le caractère « maudit » de leur mission. Sur leur chemin, Sarraounia est citée comme un obstacle dans la longue route vers le Tchad, la prise de Lougou est décrite et, fait marquant, Sarraounia y est qualifiée de sorcière. C’est précisément contre cette qualification que s’insurge Abdoulaye Mamani quatre ans plus tard, qui se donne pour projet de réécrire l’affrontement, en adoptant le point de vue inverse. Alors que Jacques-Francis Rolland avait consulté les archives militaires, Abdoulaye Mamani affirme avoir retrouvé ces archives, mais aussi avoir puisé dans les « traditions orales »226. Il nous est impossible de retrouver avec certitude quelles sources orales il aurait bien pu consulter. Mais nous pouvons nous en approcher. Six ans après la publication du roman, Boubé Gado publie à Niamey un recueil tapuscrit de traditions orales de la région de la Sarraounia : l’historien a interrogé la Sarraounia de l’époque, 226 ANN, Sahel dimanche, n°409, 410, 411, des 11, 18, 25 décembre 1992, Entretiens avec Abdoulaye Mamani, menés par Oumarou Ali. Jean-Dominique PÉNEL, Amadou MAÏLELE, Rencontre : Littérature nigérienne, volume 1 [Niamey, Ténéré, 1990] Paris, L’Harmattan, 2010, p.71. 124 ainsi que deux personnes de son entourage, Dogo et Marafa qui lui ont répondu en haoussa. Celui-ci fournit une transcription et une traduction de ces entretiens. Nous pouvons supposer que les traditions sont relativement similaires à celles qu’a pu entendre l’écrivain Abdoulaye Mamani. Selon les textes réunis par Boubé Gado, Sarraounia Mangou ne voulait pas faire la guerre : Quand ils étaient venus ici, ils lui avaient demandé de faire la guerre. [...] Chaque matin, ils venaient lui déclarer la guerre et chaque fois elle répondait : « Moi, je ne fais pas la guerre, je n’ai qu’une quenouille, et je ne sais que filer, je n’ai pas de flèches. » (Les traditions de Lougou, p. 57) Puis Dogo continue le récit : Ils se sont arrêtés ici, ils ont attaqué à l’entrée du bosquet. C’est après que le sarkin Arewa ait été chassé d’ici. Quand ils sont venus, les Sara-Sara en question, ils sont arrivés eux aussi, et ils ont dit de céder le passage. Les habitants de Lougou : « Il faut que la personne n’ait pas de sang, pour que nous cédions le passage ! ». Ils se sont mis en travers du chemin et ils ont dit « Sauf si la personne n’a pas de sang ». Quand ils ont entendu que les gens descendaient, ils se sont levés, ils ont mis les femmes dans le bosquet, et ils sont partis barrer la route. Quand ils sont arrivés, alors le combat a commencé. On était derrière le bosquet, et on leur en donnait, on était derrière le bosquet, et on leur en donnait. C’était les flèches qu’on leur décochait. On continuait de leur livrer combat. Eux aussi ils chargeaient leurs fusils et ils se mirent à tuer les gens. Au début, ils tiraient debout, puis ils mirent un genou à terre. [...] L’on tua 100 hommes. [...] Ensuite, l’Européenne, qui était la mère du voyage, fut tuée. Et puis le combat cessa. L’on se dispersa. Et ils quittèrent le village. [...] Nulle part on ne leur avait livré combat si ce n’était qu’à Lougou. Ils passèrent et s’en allèrent. (Les traditions de Lougou, p. 63) À la question sur le rôle exact de Sarraounia Mangou, Marafa répond : Une action d’éclat elle l’avait fait, puisqu’elle s’en était sortie, puisque ses guerriers avaient tué, tu sais bien qu’il y avait eu une action d’éclat. L’intercession qu’elle faisait pour le pays, pour que Allah l’aidât, et qu’il la sauvât des hommes. (Les traditions de Lougou, p. 67) Ce texte est extrêmement intéressant puisqu’il atteste du souvenir local du combat des habitants de Lougou contre la colonne française, les « Sara-Sara »227, et il rappelle le rôle pacifique de la Sarraounia, traditionnellement dévolue aux fonctions religieuses, et non pas guerrières, ce qu’indique l’opposition entre la quenouille et les flèches dans la première intervention de Sarraounia. Dans le récit de Dogo, le combat est mis en avant par la restrictive « Nulle part on ne leur avait livré combat si ce n’était qu’à Lougou ». L’incertitude sur l’issue du combat est conservée : si l’opposante principale est tuée, « la mère du voyage », le village est tout de même mis en fuite. Les deux propositions 227 Réduplication du terme haoussa Nassara, « les Nazaréens », « les Blancs », par extension. 125 succinctes « Ils passèrent et s’en allèrent » ne donnent pas d’indications sur la victoire ou non des Français : du point de vue de la colonne, l’objectif est de marcher vers l’Est, et Lougou représente un obstacle parmi d’autres dans le voyage. « S’en aller », c’est-à-dire ouvrir la route, et continuer à avancer représente le but recherché. Pour les habitants de Lougou, voir les ennemis s’en aller, c’est reprendre possession du village et reconquérir le pouvoir. L’obstacle était la présence des Blancs ; s’ils partent, le conflit est résolu. D’autant que la source symbolique de leur pouvoir est annihilée, puisque la mystérieuse Européenne fut tuée dans la bataille. Il n’y avait pas de femme dans l’expédition, il est donc difficile d’élucider le référent de cette « Européenne » : peut-être pourrions-nous y voir l’origine de la force des soldats ennemis, éliminée à Lougou, ce qui expliquerait la dislocation future de la colonne. Le texte semble donc donner deux gagnants, et cette suggestion sera largement amplifiée par Abdoulaye Mamani et Med Hondo, qui magnifient le retour au village des habitants et attribuent la mort de Voulet et Chanoine, abattus par leurs propres tirailleurs, au sort que leur aurait jeté Sarraounia. De la mort de l’Européenne à la magie occulte, les deux artistes continuent et déploient les motifs esquissés par les témoignages oraux. Quant au rôle de la Sarraounia, le texte propose une explication tout à fait étonnante : il ne semble faire aucun doute qu’elle ait accompli un haut fait, le syntagme « une action d’éclat » étant répété plusieurs fois. Néanmoins les modalités de cet exploit donnent à réfléchir, plusieurs éléments devant être distingués dans la réponse de Marafa : sa survie est présentée comme le premier argument (« puisqu’elle s’en était sortie »), sa capacité à protéger ses soldats et à les rendre victorieux prouve l’efficacité de sa bénédiction (« puisque ses guerriers avaient tué »), ce qui constitue le second point. Enfin, son exploit tient dans la réussite de son intercession, de sa capacité à relier le monde des hommes et le monde des dieux, mais ce deuxième monde est rapproché d’Allah (« L’intercession qu’elle faisait pour le pays, pour que Allah l’aidât, et qu’il la sauvât des hommes »). Or, la région de Dogondoutchi est une région considérée comme animiste, comme l’ancien berceau du monde haoussa préislamique, et les rites de divination qu’accomplit la Sarraounia n’appartiennent pas du tout au monde de l’Islam. Pourquoi dès lors une telle concaténation des références religieuses ? Nous proposons l’hypothèse que la pénétration de l’Islam dans la région, en 1986228, a engendré des phénomènes d’hybridation des pratiques qui rejaillissent dans les 228 Pour une illustration de l’Islam au quotidien dans la région de Dogondoutchi précisément, voir Adeline Marie MASQUELIER, Women and Islamic Revival in a West African Town, Bloomington, Indiana University Press, 2009. 126 discours, et singulièrement dans les récits historiques comme celui-ci. Quoi qu’il en soit, d’un point de vue narratologique, l’actant « Sarraounia » joue le même rôle d’intercession, que ce soit entre les hommes et les dieux, ou entre les hommes, les dieux et Allah ; même si cela est impensable sur le plan théologique. Abdoulaye Mamani et Med Hondo reprendront ce rôle religieux de la Sarraounia, en évacuant toute référence à l’Islam, ce qui leur donnera l’occasion d’appeler à la tolérance et au respect de la pluralité des cultes, dans une perspective laïque héritée, pour ce qui est de Mamani, du socialisme229. Le film Sarraounia de Med Hondo a obtenu le premier prix du FESPACO en 1986, et il est directement inspiré du roman puisque c’est l’écrivain Abdoulaye Mamani qui en signe le scénario et les dialogues. Dans les deux œuvres, Sarraounia est érigée en héroïne guerrière luttant contre l’oppression, représentante de la paix, de l’union des peuples, et du partage de la terre. Dans le roman, son dernier discours est un véritable programme de reconstruction de l’État, après le bouleversement de la guerre, et doit être lu dans un aller-retour entre 1899 et 1980 : Aux déserteurs de la colonne d’occupation, aux esclaves en fuite, et aux porteurs révoltés, elle assure asile et protection. — Frères et sœurs venus d’ailleurs, vous êtes les bienvenus en terre azna. Nous n’avons pas le même parler, nous n’avons pas les mêmes croyances, mais nous avons la même volonté ; celle de vivre libres. Et vous appréciez encore plus que nous le prix de la liberté pour l’avoir perdue une fois. […] Adorez qui vous plaît, priez vos dieux de la manière qui vous convient. Faîtes salam, adorez le ciel, la terre, le feu, la poudre ou le crocodile si le cœur vous en dit. Nul ne troublera vos prières et vos méditations, car vous êtes seuls responsables de votre âme. Notre communauté est une communauté de tolérance où chacun vit selon sa force, ses habitudes et ses principes. Nous avons nos fétiches et nos totems. Respectez-les, et nous respecterons les vôtres. La terre des Aznas est riche. Vous aurez des lopins pour vos cultures, vous bâtirez vos maisons à côté des nôtres, vous boirez dans nos puits et vous chasserez dans nos forêts. Nos rivières sont poissonneuses. Vous pêcherez dans nos goulbis et vous ferez lever le maïs, l’igname et le manioc dans la tourbe fertile de nos cuvettes. Frères et sœurs, noirs de peau comme nous, soyez les bienvenus. Vous vivrez en terre azna dans l’amour et la dignité. Vous partagerez nos joies et nos peines. Vos enfants grandiront avec les nôtres. Des liens familiaux se tisseront entre nous. Nous serons cousins, époux et parents dans la postérité. Frère et sœurs venus d’ailleurs, vous êtes les bienvenus en terre azna. (Mamani, Sarraounia, p. 153-155) 229 Nous reviendrons plus bas sur le rôle des réseaux socialistes dans la diffusion des figures héroïques. Notons d’ores et déjà que la notion de « socialisme africain », et de ses éventuelles spécificités, est un sujet controversé, dont Bernard CHARLES, Le Socialisme africain, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, centre d’études des relations internationales, 1965, est l’un des premiers à en rechercher des caractéristiques, qui seraient (ou ne seraient pas) en conformité avec des doctrines jugées plus orthodoxes : le marxisme, le maoïsme. Voir aussi ces mêmes questionnements chez Cedric J. ROBINSON, Black Marxism the Making of the Black Radical Tradition, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2000. 127 Partage des terres, partage des ressources, respect des cultures et des religions, liberté intellectuelle, mariages entre clans : tant le roman que le film qui en est issu se nourrissent d’un idéal politique de construction nationale, évacuant les conflits ethniques et religieux. Cette orientation politique très marquée, où Mamani donne une dignité littéraire aux propositions politiques du Sawaba, est sans doute l’explication de ce « retard » relatif de la création de Sarraounia comme héroïne populaire. Sur l’axe de la littérature engagée, nous aurions donc une autre manifestation des réutilisations politiques des figures : avec Sarraounia, en effet, il ne s’agit pas d’une appropriation par le pouvoir en place (comme Sékou Touré pour Samori, ou le ZANU de Robert Mugabe pour Nehanda), mais d’une rémanence en littérature d’un conflit politique et idéologique des années 1960. Sur la base de ce discours final de Sarraounia, que nous lisons comme une relecture des utopies d’inspiration socialiste du Sawaba, nous proposons de lire ce roman comme une revanche, par la littérature, d’un opposant politique forcé de renoncer à son combat politique. En 1960 en effet, le mouvement créé par Djibo Bakary est évincé230 et le premier président du Niger, Hamani Diori, instaure un régime à parti unique, le PPN231. Le Sawaba, interdit, entre dans la clandestinité et tente un coup d’État. La guérilla est sévèrement réprimée232 et les intellectuels sont contraints à l’exil. En 1974, après le putsch qui conduit Seyni Kountché au pouvoir, ceux-ci sont rappelés au pays, mais très vite, les anciens opposants sont de nouveau surveillés, et finalement emprisonnés. Abdoulaye Mamani est l’un d’entre eux. Ce soupçon permanent porté sur les élites culturelles et politiques, les vagues d’arrestations arbitraires, la décennie 1964-1974 passée en exil, tous ces facteurs concourent à expliquer l’arrivée tardive de grandes figures héroïques sur la scène culturelle nigérienne. Dans un entretien avec JeanDominique Pénel 233 , Abdoulaye Mamani suggère qu’il avait le projet d’écrire sur l’histoire nigérienne, en se réappropriant les grandes figures de l’époque précoloniale, bien avant son emprisonnement : 230 Sur l’histoire du Sawaba de manière générale, voir la somme de Klaas van WALRAVEN, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, Leiden, Brill, 2013. Pour un témoignage des acteurs eux-mêmes, et une dénonciation profonde du rôle de la France dans la décolonisation en AOF, voir Djibo BAKARY, Silence! on décolonise, itinéraire politique et syndical d’un militant africain, Paris, L’Harmattan, 1992. 231 André SALIFOU, Biographie politique de Diori Hamani, premier président de la république du Niger, Paris, Karthala, 2010. 232 Klaas van WALRAVEN, « Sawaba’s rebellion in Niger (1964-1965) : narrative and meaning » [en ligne] (2003), disponible sur <https://openaccess.leidenuniv.nl/handle/1887/9606>, (consulté le 15 juillet 2014). 233 Jean-Dominique PÉNEL, Amadou MAÏLELE, Rencontre : Littérature nigérienne, volume 1, op. cit. 128 Il fallait que nous cherchions dans notre passé, dans notre histoire. En discutant avec des Maoris, des vieux Maoris, je suis tombé sur l’histoire du peuple Azna, un petit peuple qui est demeuré dans le dernier carré de l’animisme au Niger. (p. 70) L’œuvre aurait donc été conçue pour une part en prison, ce qui explique et la date de parution du roman, après Samori et Nehanda, et la portée explicitement engagée des discours de Sarraounia, dénonçant en creux le PPN de Hamani Diori, ainsi que l’autoritarisme de Seyni Kountché234. Derrière la figure de Sarraounia, il y a aussi l’histoire des opposants politiques nigériens, dont Djibo Bakary, et la revanche des faibles, qui prônent la liberté intellectuelle et l’union, est à lire comme une prise de pouvoir symbolique d’un intellectuel surveillé. Par la suite, le mécanisme de diffusion et de réécritures a été similaire à celui des deux autres figures. Med Hondo en fait une figure de portée panafricaine, et donne une large audience au personnage. L’État lui-même se réapproprie la figure, reprenant à son compte l’œuvre de Mamani, en gommant les dimensions subversives de l’œuvre. C’est ainsi que l’institutionnalisation235 et la folklorisation de Sarraounia s’accomplirent dès les années 1980, en dépit du contexte de production du roman ancré dans l’opposition, qui rendait l’héroïne transgressive. Seyni Kountché nomme le lycée de Dosso « Sarraounia Mangou », en référence à Mamani236. Dès 1986, le Ministère de la Culture et de la Communication produit Sarraounia, ballet lyrique d’après le roman de Mamani Abdoulaye, conservé aujourd’hui aux archives de l’ORTN. Le ballet, qui comporte également des danses et des chants, est le résultat d’un concours lancé aux régions, Sarraounia ayant remporté le premier prix. Le titre livre explicitement la source de la ligne narrative : le très récent roman de Mamani. Si la trame correspond plus ou moins à ce qu’a construit l’écrivain – l’affrontement du village de Lougou contre la colonne Voulet-Chanoine, menant à la fuite de ses habitants, avant un retour triomphal au village, et la malédiction jetée sur les deux officiers blancs –, tous les aspects politiques ou 234 Je remercie Klaas van WALRAVEN pour les entretiens que nous avons eus à ce sujet à Durham, juillet 2014. 235 Nous nous permettons de renvoyer à notre propre article, Elara BERTHO, « Sarraounia, une reine africaine entre histoire et mythe littéraire (Niger, 1899-2010) » [en ligne], Genre & Histoire (2011/8), disponible sur <http://genrehistoire.revues.org/1218>. Sur les acteurs de cette institutionnalisation, voir le chapitre suivant qui traite plus en détails du rôle des relectures d’État. 236 Sur cette réutilisation immédiate, nous n’avons que peu d’informations. Il semblerait que Seyni Kountché ait eu une attitude contradictoire avec l’œuvre de Mamani. Irrité de la parution du roman, il aurait voulu institutionnaliser Sarraounia pour en réduire la portée transgressive (entretien avec Djibo Hamani le 30 novembre 2014, à son domicile, à Niamey). Une photographie du lycée de Dosso figure désormais en illustration du chapitre sur les résistances, dans le manuel scolaire de CM1, ce qui accrédite du succès de cette démarche, si cette hypothèse est juste. 129 transgressifs ont été masqués délibérément : Sarraounia ne porte plus de discours sur le partage des terres, elle n’accueille plus les tirailleurs, elle n’incite plus à la multiplicité des cultes. Mamani en avait également fait une femme libre, ayant plusieurs amants sans que cela ne remette en cause sa bravoure, ce qui n’est plus tolérable dans une pièce de commande pour l’État. L’historien André Salifou lui-même reprendra cette vision de Sarraounia comme héroïne résistante, dans Histoire du Niger, ce qui est bien la preuve que la littérature a eu un impact sur l’imaginaire historique237. Trente ans après le Ballet Lyrique, le Ballet d’ouverture des Cinquièmes Jeux de la Francophonie, en 2005, également aux archives de l’ORTN, a les mêmes caractéristiques : filiation explicite avec l’œuvre de Mamani quant à la lecture de l’histoire coloniale, glorification d’une Sarraounia guerrière et victorieuse, élimination de toute teinte subversive, tant politiquement que culturellement ou socialement. *** Cette section a été la plus fournie, puisqu’elle décrivait l’émergence des trois héros comme figures nationales, à travers la littérature et les arts. Cette période a correspondu à un pic dans les réutilisations des personnages à la fois pour Nehanda, pour Samori et pour Sarraounia, après une première période plus diversifiée dans les emplois. Le passage de la personne au personnage s’y fait de manière souvent rapide et suivant un schéma commun. Malgré la diversité des situations, en effet, nous avons voulu souligner les grandes lignes du processus de création héroïque : le rôle d’impulsion des élites, écrivains, historiens, cadres des partis politiques, professeurs, se retrouve impliqué de manière similaire dans nos trois terrains d’étude. Le succès populaire vient par la suite confirmer la figure héroïque dans son statut, en fondant les réécritures ultérieures. Ce que la comparaison nous permet de relever, c’est le trait commun entre Sarraounia et Nehanda, dont les personnages comportent toutes deux une grande part d’invention des élites politiques, culturelles, sociales, de la période des indépendances. 237 André SALIFOU, Histoire du Niger, Niamey ; Paris, Agence de coopération culturelle et technique ; Nathan, 1990, p. 158-161. Notamment : « Voulet et Chanoine espèrent probablement traverser le dallol Mawri sans plus rencontrer la moindre résistance quand, aux alentours du village de Lougou, ils voient se dresser devant eux l’armée de la reine Mangou, « réceptacle des forces spirituelles du pays Mawri » (Piault, op. cit., 1970, p. 49). Le combat s’engage. Mais, face au feu puissant que crachent les fusils des hommes blancs, les troupes de Lougou finissent pas céder du terrain, non sans s’être défendues « avec beaucoup de ténacité » (Séré de Rivières, Histoire du Niger, op. cit., p. 206). Bien que vaincus, les guerriers de la reine Mangou continuent de harceler la colonne française » (p. 159). Le parallèle avec la première page du roman Sarraounia est tout à fait notable. 130 Contrairement à Samori, aucune grande œuvre significative ne leur est consacrée avant cette époque. Cette démarche de pure innovation est contraire aux discours affichés dans les préfaces ou les paratextes, qui ne cessent d’invoquer la tradition orale, ou les archives historiques, comme source de légitimité. Certes, nos trois figures s’enracinent dans un passé historique encore relativement accessible, certes, l’homonymie entre la personne et le personnage littéraire n’est pas anecdotique, mais force est de constater que les héros littéraires nés des indépendances s’affranchissent largement de l’histoire, et Nehanda et Sarraounia ont eu pour cela plus le champ libre, vu la pauvreté relative des textes qui leurs étaient consacrés, alors que Samori existait déjà, dès la période coloniale, dans les récits et les discours. 3. LA PÉRIODE CONTEMPORAINE ET LE FOISONNEMENT DES RÉEMPLOIS Ces trente dernières années, dans l’histoire contemporaine, les trois figures sont pleinement institutionnalisées, elles apparaissent dans les géographies urbaines238, elles investissent les manuels scolaires, sont apprises à l’écoles comme parangons de la résistance à la colonisation et deviennent les sources d’inspiration d’œuvres variées, pour lesquelles il est difficile de déterminer des critères communs de définition. L’extrêmement consensuel côtoie des œuvres ambivalentes, à plusieurs niveaux de lecture, des écrivains reconnus internationalement côtoient également des chants populaires, les supports se multiplient et les nouveaux médias font leur apparition. Cette dernière étape dans la vie des héros culturels serait donc marquée par une très grande liberté dans les réemplois, du conformisme à la transgression. La comparaison de nos trois figures nous permet toutefois de souligner à quel point Nehanda est quasiment unanimement l’objet de relectures conservatrices, calquées sur la ligne tracée par les chants du ZANU, même après l’indépendance de 1980. Seule Yvonne Vera dans Nehanda donne une interprétation personnelle de la figure, mais elle reste une exception : à part ce très beau roman, qui fait figure d’hapax, il est frappant de constater à quel point les autres textes sont uniformes, conformant l’idéologie devenue 238 Pour les illustrations évoquées dans cette partie, nous renvoyons aux annexes (p. 716-822). 131 dominante, presque ternes pour certains. Ce phénomène d’interprétation unique se perçoit encore plus dans le contraste avec les deux autres figures de notre étude : Samori fait aujourd’hui l’objet de lectures contrastées, engendrant des conflits de mémoires encore vifs à l’échelle internationale, entre le Mali, la Côte d’Ivoire et la Guinée, alors que Sarraounia est simultanément transgressive – en héritière des conceptions politiques d’Abdoulaye Mamani et de Med Hondo – et consensuelle – lorsque l’État s’en empare. Sarraounia et l’ouverture des potentiels textuels Sarraounia oscille, en effet, entre deux lectures contradictoires, tiraillées par deux influences opposées, la lecture politique qui lui a permis d’émerger, et la réinterprétation étatique, qui tente de la « normaliser », en en faisant une magnifique jeune femme ayant lutté contre les Français pour sauver les traditions de son pays. Pour autant, mêmes institutionnalisés, ces textes portent encore la trace de la lecture de Mamani. Pour la période précédente par exemple, le chant final qui louait Sarraounia dans le ballet de 1986 comporte les vers suivants, en haoussa239 : Nous, les hommes, sommes venus te saluer, et te féliciter pour ta désignation, Tu es courageuse, tu n’as peur ni en brousse, ni dans ton village ; nous, les hommes et les femmes, sommes venus pour te rendre hommage. Avec tout ce que tu as fait, il est normal que l’on te rende hommage. Même si tu as fait des erreurs on te le pardonne. Sarraounia on te salue, parce que tu as mis les pieds là où même un homme n’a pas pu le faire. Même si une femme a cherché la beauté par les sciences occultes, sa beauté n’atteindra jamais la tienne. Sarraounia on te salue car tu as fait des choses que même les hommes n’ont pas pu faire. On en a vu des guerres mais jamais comme la tienne. On a vu des beautés mais pas comme la tienne Sarraounia est louée car elle est une femme forte, dont la bravoure est soulignée. Les deux vers « Tu n’as peur ni en brousse, ni dans ton village », et « tu as mis les pieds là où même un homme n’a pas pu le faire » renvoient bien sûr à son courage, et donc indirectement à l’affrontement avec les Français. Le second objet de l’éloge est sa grande 239 Traduction d’Ernestine Beidari et Amina Bertho, février 2011. Nous ne disposons malheureusement pas de la transcription en haoussa pour ce chant, mais uniquement d’une traduction en français. La languesource n’est donc pas disponible ici. 132 beauté, qui lui est naturelle : « Même si une femme a cherché la beauté par les sciences occultes, sa beauté n’atteindra jamais la tienne » ; ces deux aspects sont résumés dans les deux dernières phrases « On en a vu des guerres mais jamais comme la tienne. On a vu des beautés mais pas comme la tienne ». Le rôle de résistance guerrière de Sarraounia ainsi que sa jeunesse et sa beauté sont des thèmes du roman de Mamani, dont nous verrons qu’ils sont des inventions, une Sarraounia en contexte traditionnel haoussa étant en outre une très vieille femme. Ces deux aspects font donc partie de ce que la doxa a conservé de la Sarraounia de Mamani. Mais le vers « Même si tu as fait des erreurs, on te pardonne » reste apparemment inexplicable, sauf si l’on considère qu’il est une référence aux aspects transgressifs de l’héroïne romanesque, amante des personnages de Gogué et de Baka tout à la fois, militante du partage des terres et de l’ouverture aux cultes différents. Tout en reprenant les composantes guerrières de la lutte anticoloniale et en rajeunissant le personnage (ce que n’a pas Nehanda, ni dans les textes, ni dans l’iconographie, elle est d’ailleurs appelée Mbuya, « grand-mère »), et en la rendant la plus « normale » possible, des indices subsistent malgré tout de l’intertexte romanesque. De même dans les manuels scolaires, il est clair que les textes comportent une double dette à l’égard de Mamani, ne serait-ce que pour l’apparition même de Sarraounia dans les programmes. Avant son roman en effet, aucun arrêté du Ministère de l’Éducation Nationale ne la signale, ni en 1963 (dont le programme est revu en 1965), ni en 1967, ni en 1972240. Aujourd’hui, les programmes la mentionnent pour le lycée dans les classes de Première A, C et D241, où l’un des objectifs de l’enseignement est d’ « expliquer les exactions de la Mission Afrique centrale en territoire nigérien et expliquer le déroulement des résistances » ; la section « Commentaires » ajoute : « résistances de Sarraounia 240 Aux Archives Nationales du Niger, nous avons pu consulter les arrêtés suivants : N°7/MEN/EX du 16 février 1965, JO n°4 du 15 février 1965; N°7/MEN/EX du 16 février 1965, JO n°5 du 1er mars 1965; N°21/MEN du 8 octobre 1965, JO n°20 du 15 octobre 1965; N°20/MEN du 10 juin 1967, JO n°13 du 1er juillet 1967; N°72-45/PRN/MEN du 19 mai 1972, JO n°11 du 1er juin 1972. Le programme de 1995 n’est pas joint au Journal Officiel et ne figure pas non plus au Ministère de l’Éducation Nationale. Peut être est-elle sous-entendue dans le programme d’histoire des classes de CE1, dans la section « Reines de légende des pays Haoussa », mais ce n’est qu’une spéculation (JO n°5 du 1er mars 1965). 241 Ministère de l’Éducation Nationale du Niger, Programmes officiels de l’enseignement des cycles de base II et moyen, Histoire et Géographie, septembre 2009, polycopié. 133 Mangou et de Ahmadou Kouran Daga242 ». Le manuel de CM1243, quant à lui, présente Sarraounia ainsi : Sarraounia Mangou était la reine des Azna de Lougou, village situé au Nord-Est de Dogondoutchi. Grande guerrière, elle avait résisté avant la pénétration coloniale à l’invasion des Touareg. Elle avait lutté contre l’empire de Sokoto qui tentait de convertir son peuple à l’islam. Elle se distingua en résistant vaillamment à la colonne de Voulet et de Chanoine qui, après de durs combats, incendia le village de Lougou le 15 avril 1899. Sarraounia refusa de se rendre, se replia et continua à harceler la colonne. Ce fut finalement une colonne désorganisée et démoralisée par la résistance de Sarraounia qui continua sa marche vers Konni. Plusieurs traits révèlent l’influence d’Abdoulaye Mamani. Sa lutte contre les Touaregs et les Peuls de Sokoto est le premier fait d’armes de Sarraounia dans le roman de Mamani (chapitre XIII, p.73) et dans le film de Med Hondo ; c’est ainsi qu’elle se fait remarquer par sa bravoure, et qu’elle mérite le titre de reine qui lui est décerné à la mort de son père : Cette défaite des Foulanis fut la première victoire des Aznas sur les musulmans du Sud. Ce fut ainsi pour Sarraounia la première grande épreuve d’initiation. Car elle fut d’office admise – évènement exceptionnel dans la tradition azna – parmi les dignitaires de la cour. Quand son père mourut trois hivernages plus tard du mal foudroyant des yeux jaunes, Sarraounia lui succéda tout naturellement. Elle fut unanimement reconnue reine des Aznas par tous les habitants de Tougouna et de Lougou. (p.74) L’écrivain joue avec sa propre reconstruction : la cour de Lougou n’était pas une cour royale, le pouvoir ne se transmettait donc pas de père en fils, ou en fille. La Sarraounia était choisie selon un rituel de possession spécifique pour assumer des fonctions religieuses, les fonctions politiques et militaires étaient dévolues à d’autres personnages de la cour – le Mayaki (« possesseur de la guerre », littéralement) était le chef de guerre. Mamani souligne ici, par l’incise « évènement exceptionnel dans la tradition azna », l’exception que représente son héroïne dans une « tradition » qu’il invente de toute pièce. Ce faisant, il donne une apparente vraisemblance à la cour royale qu’il décrit. En contexte haoussa donc, une Sarraounia ne peut mener le combat, ni contre 242 Ahmadou Kouran Daga était le sultan de Zinder ayant ordonné l’exécution de l’officier français Cazemajou, et de son interprète, Olive. Abdoulaye Mamani a également écrit un roman sur ce chapitre de l’histoire nigérienne, bien qu’il n’ait pas été publié de son vivant : Abdoulaye MAMANI, Préface d’Elara BERTHO, Jean-Dominique PÉNEL, Le Puits sans fond : roman, Paris, L’Harmattan, 2014. 243 Histoire-géographie CM1, INDRAP, sous la direction de Mahamadou Halibou, éditions Daouda, Niamey, 2001. Illustrations de Mahamadou Nadaré et Mossi Hamani. Les chapitres 24 et 25 concernent la « Résistance à la pénétration coloniale » et sont directement centrés sur Sarraounia. 134 les Peuls (« Foulanis ») ni contre les Touaregs, ni se montrer en public. Quant à la mention du harcèlement de la colonne par les troupes de Lougou, cela n’est absolument pas attesté historiquement, mais il s’agit surtout d’un motif dérivé de l’ensorcèlement de la colonne par Sarraounia, que livre Abdoulaye Mamani dans le chapitre XXIV. Voulet délire lorsqu’il est abandonné par ses tirailleurs : « Funeste est l’idée que j’aie eue d’attaquer cette diabolique femelle. Mon armée est complètement désorganisée. […] Dans ce foutu pays, j’ai négligé le facteur psychologique – la sorcière… les fétiches… et tous les fourbis… Ce sont des choses avec lesquelles il fallait compter dans cette maudite bataille. Casser la Sarraounia, mais la casser définitivement. La capture de Samory a tué sa légende tandis que El Hadj Oumar disparu dans les grottes nous a donné plus de soucis que toutes les escarmouches qu’il a organisées contre nous. […] La Sarraounia vivante et libre dans la brousse, c’est un défi constant aux forces françaises dans ce pays. […] J’entends déjà leur maudit tam-tam colporter la fastidieuse nouvelle à travers les hameaux et les villages de la brousse : « Sarraounia a résisté aux nassaras. Sarraounia a chassé les nassaras de son pays. Sarraounia est forte et invincible. Elle a défendu sa cité et ses gens contre les envahisseurs. Elle a tenu tête aux Blancs malgré leur fusil et leur puissant canon. La grande armée des nassaras en déroute devant les fétiches de la Sarraounia » » (p. 146-149) Voulet fantasme la rumeur des habitants de la région, diffusant la nouvelle de la victoire de la Sarraounia, puisque sa propre colonne est en déroute. Les responsables en sont « les fétiches », dont le chapitre XXII décrit les pouvoirs, au détriment du sergent Boutel. Le manuel scolaire nigérien de CM1 est redevable à l’œuvre de Mamani, certains lexèmes ou des propositions entières sont même repris tels quels de ce chapitre et de la Présentation du roman par l’auteur (p.7) : « colonne désorganisée et démoralisée », « les Peuls de Sokoto qui tentaient de convertir son peuple à l’islam »… Mais toute référence au Sawaba a été bien sûr évincée, pour correspondre à une bienséance convenable au plus grand nombre. Cette relation intertextuelle ambivalente à l’œuvre de Mamani se retrouve également sur d’autres supports. Le livre pour enfants de Halima Hamdane, Sarraounia, paru en France en 2005 244 répercute cette doxa d’une jeune fille luttant contre les Français. L’orchestre Akazama de Doutchi245 a aussi célébré la bravoure militaire de Sarraounia : 244 Nous remercions Boubé Gado qui nous a transmis les indications historiques qu’il avait données à Halima Hamdane pour la conception du scénario (« La Sarraounia de l’Arewa », inédit, polycopié, 3 p., daté du 14 avril 2004 et du 11 mars 2008). 245 « Sarraounia », Orchestre Akazama de Doutchi et son chanteur Oumarou Ansoumane. Niamey, CFPM, non daté. Traduction du haoussa par Hadiza Nazal, juin 2014. 135 Sarauniya Ba ki tsoron yaki Ba ki tsoron Arna Ke ce maras tsoro ke tsoro Iska ! Ke tsare daji Ke tare gida ‘yal Mangu Kai halinta bai da iyaka Sarauniya Tu n’as pas peur de la guerre 246 Tu n’as pas peur des païens C’est de toi que les effrontés ont peur Esprit / Génie ! Tu surveilles la brousse Tu protèges la maison de Mangu Ton caractère n’a pas de limites Notons, en revanche, que le manuel de formation continue de l’association Tarbiyya Tatali247, édité à l’occasion de la Journée de la Femme nigérienne en 2011, s’écarte explicitement de l’intertexte de Mamani, en dénonçant le contexte de l’écrit : « Ce mythe est fort éloigné de la Sarauniya de Lougou », est-il indiqué. L’association milite pour promouvoir la place des femmes dans la société et les incite à se présenter aux élections locales ; le but du manuel est de fournir des exemples de femmes dirigeantes africaines, tirées de l’histoire locale ou régionale. Sarraounia y côtoie la reine baoulé Aura Pokou, par exemple. Le texte renforce ici sa légitimité en soulignant que la seule arme de Sarraounia est sa quenouille, où le retour à la tradition orale est perçu comme gage d’authenticité, et où l’hypotexte de Mamani est condamné. Deux œuvres récentes, produites par des auteurs français, continuent pourtant de s’inspirer de cette doxa véhiculée dans les années 1970 et 1980. Nous les incluons dans l’étude, tant le lien intertextuel avec les autres textes nigériens sur Sarraounia sont étroits. Le premier est le film réalisé par Serge Moati en 2004 et intitulé Capitaines des ténèbres, qui s’inspire largement du roman Le Grand Capitaine, de Jacques-Francis Rolland. Il s’agit de l’intertexte contre lesquels s’insurgent Med Hondo et Abdoulaye Mamani, repris au début des années 2000. Un documentaire Arte, Blancs de mémoire 248 , avait accompagné la diffusion de ce film, décrivant les circonstances du tournage sur place, rencontrant les descendants des anciens tirailleurs, parfois devenus figurants dans quelques scènes de grande ampleur, interrogeant la mémoire de la colonne, plus de cent ans après les faits. Si le documentaire est explicitement conçu comme un outil 246 Arna [Azna] : les non musulmans, les mécréants, qui pratiquent le bori : ils n’ont peur de rien ; Comprendre : « mêmes les plus vaillants, et les plus effrontés qui ne craignent même pas Dieu, tu n’en as pas peur, Saraunyia ». Sarauniya étant Arna elle-même, elle n’a pas peur d’eux. Ce vers est explicité par le suivant « maras tsoro ». 247 Les Femmes nigériennes prennent leur place dans la vie publique, Association Tarbiyya Tatali, Collection Femme, Niamey, 13 mai 2011, Journée de la femme nigérienne. La fiche 22, p. 52-53, est consacrée aux grandes femmes dirigeantes africaines dans l’histoire de la sous-région, et les fiches 23 et 24, à Sarraounia Mangou plus précisément, p. 54-57. 248 Blancs de mémoire, 52’, Manuel Gasquet et Hubert-Laba N’Dao, Production Arte France, 2004. 136 pédagogique pour l’enseignement de la pénétration coloniale, soulignant les massacres commis au XIXe, le film de Serge Moati est bien plus ambivalent, et relaie une certaine fascination pour les deux officiers, l’une des dernières images montrant Voulet, abandonné par ses tirailleurs, qui s’enfonce dans la brousse. La scène laisse planer le doute sur son sort, en réactivant le motif du héros européen qui se bâtit seul un empire dans les colonies, après avoir rompu avec sa hiérarchie249, quasiment conradien250. Dix ans plus tard, une bande dessinée intitulée La colonne251 s’empare avec bien plus de virulence de la colonne Voulet-Chanoine, inversant sa source principale, puisque le roman d’Abdoulaye Mamani figure dans la bibliographie, au même titre que Capitaine des ténèbres. Il est rare de trouver des indications bibliographiques et des sources dans une bande dessinée : néanmoins celle-ci, malgré la veine satiriste du dessin, et parfois la dégradation burlesque des personnages, s’inscrit dans un projet de réhabilitation de la mémoire considérée comme oubliée, en Afrique comme en Europe. Ainsi s’exprime Venance Konan, écrivain ivoirien, qui en a dressé la Préface : Je ne connaissais pas l’histoire de la colonne Voulet-Chanoine avant d’avoir lu le scénario de « La colonne ». Personne autour de moi non plus. Normal, puisque personne ne nous l’a enseignée. Oh, j’avais lu beaucoup d’histoires de ce genre sur la « pacification » et la « civilisation ». Mais je ne connaissais pas celle-là. Tous les Africains doivent la connaître. (p. 2) Venance Konan n’a pas pu étudier l’histoire de la colonne à l’école puisqu’il est ivoirien et que cet épisode ne figure que dans les programmes nigériens. Néanmoins son témoignage est intéressant parce qu’il pointe deux objectifs de cette bande dessinée : écrire une contre-histoire de la colonisation, et faire œuvre de vulgarisation, pour que cet épisode ne soit plus oublié, bien que cette parution ne semble s’adresser qu’à un public français de prime abord. Le tome 2 est consacré à l’entrée en scène de Sarraounia252 et à la désagrégation de la colonne. L’interprétation selon laquelle la reine aurait agi sur la désorganisation des effectifs est reconduite, et une scène onirique montre une Sarraounia en gloire dominant le sergent Boulet, anagramme à peine déguisé de Boutel. Enfin, 249 Pour une illustration de ce motif en littérature, quelques années après le film de Serge Moati, voir Tierno MONÉNEMBO, Le Roi de Kahel : Roman, Paris, Le Seuil, 2008. 250 Dans Au cœur des ténèbres, mais aussi les dernières lignes de Lord Jim : « « Et c’est la fin. Il disparaît « sous l’ombre d’un nuage », le cœur impénétrable, oublié, non pardonné, figure romanesque à l’extrême ». 251 Nicolas DUMONTHEUIL, Christophe DABITCH, Venance KONAN, La Colonne, Paris, Futuropolis, 2013. Le tome 2 figure dans notre corpus. Le tome 1 ne concerne pas Sarrounia, c’est pourquoi nous avons choisi de ne pas l’intégrer, même si nous nous y réfèrerons ponctuellement. 252 Voir la partie « La Princesse Rebelle ». Nous tenons à exprimer notre gratitude à Christophe DABITCH, qui a bien voulu nous confier les passages du scénario relatifs à Sarraounia, bien avant la parution du second tome, et qui a répondu avec enthousiasme à nos questions. 137 dernière réécriture de Sarraounia dans l’extrême contemporain, une page Facebook253 est dédiée à Sarraounia, dont l’image de profil est tirée du film de Med Hondo. L’avatar s’exprime en français et en haoussa, et publie des photos de villages de la région de Dogondoutchi, appelant à la conservation du patrimoine culturel, diffusant des proverbes, posant des devinettes, et cite même des passages de l’un de mes articles sur Sarraounia254. Il y aurait un travail plus long255 à mener sur la concaténation des voix, du critique, de l’auteur-créateur, du public et de l’internaute, qui est autorisée par la structure même d’internet, en réseau, et la perception de la tradition en contexte numérique. Que pouvons-nous conclure de toutes ces réécritures contemporaines de Sarraounia ? D’une part que les voix et les rumeurs circulent dans différents médias, qui fonctionnent désormais selon un modèle proche de celui de l’oralité : internet et la radio retransmettent des schèmes consensuels, à même de satisfaire le plus grand nombre, et les structures étatiques qui régissent le monde de la culture. L’ère des nouveaux médias ne serait pas, dans cette perspective, le triomphe de la scripturalité, mais plutôt une chambre d’échos où des intertextes hybrides se côtoient et se diffusent selon les goûts du public et les enjeux de pouvoir. D’autre part, que la potentialité subversive de la figure perdure malgré tout dans certaines « agrammaticalités » des textes, dans des ilôts textuels qui ne se comprennent que dans l’intertexte plus large du corpus dans son ensemble. Sarraounia est l’héroïne au statut le plus local de nos trois figures, elle est également celle pour qui le rôle des élites a été le plus important dans sa création et, désormais, elle est ouverte aux réécritures très contrastées, sur un spectre qui va de l’institution à la subversion. L’institutionnalisation maximale du héros culturel : un appauvrissement des textes ? Nehanda incarne la même tendance que Sarraounia, dans le sens d’une multiplication des médias utilisés, avec une institutionnalisation croissante de la figure, mais cette mainmise de l’État zimbabwéen va ici bien plus loin que pour la figure 253 https://www.facebook.com/pages/La-reine-Sarraounia-Mangou-du-Niger/110932695629085 (consulté le 6 mai 2014) 254 Voir supra, « Avant Propos ». 255 L’influence d’internet sur la tradition orale devient un objet d’étude. Voir la 9ème Conférence d’ISOLA (Internal Society for the Oral Literatures in Africa) tenue à l’Université de Venda, en Afrique du Sud, sur le thème « Orality and technauriture of African literatures » ; technauriture étant forgé à partir de technology, orality et aurality. Certaines contributions sont publiées dans Tydskrif vir letterkunde, numéro dirigé par Daniela Merolla ; voir sa présentation : Daniela MEROLLA, « Introduction : Orality and technauriture of African literatures », Tydskrif vir letterkunde, 51 (2014/1), p. 80‑90. 138 nigérienne, à tel point que les interprétations en sont parfois appauvries, tant elles sont canalisées et régulées par le pouvoir. La décennie 1980 signe la réhabilitation de Nehanda, qui ne sera désormais plus désignée comme sorcière256, witch-doctor, mais unanimement comme Mbuya, « grand-mère », en Shona. C’est donc l’interprétation d’ancêtre fondatrice, véhiculée par les Chimurenga songs, qui sort victorieuse du conflit, en même temps que Robert Mugabe prend le pouvoir. On assiste dans un premier temps à toute une floraison de réécritures et de témoignages ponctuels de gratitude envers Nehanda, la mère protectrice, la mère du conflit et des soldats. Pour ce faire, c’est la poésie qui s’impose comme genre privilégié, et il nous a été relativement difficile de recenser l’intégralité des poèmes qui lui sont dédiés, puisque c’est l’ensemble de la production des années 1980 qu’il a fallu considérer. Nous en proposons ici une première ébauche, que nous ne prétendons donc pas exhaustive, mais qui est néanmoins suffisamment fournie pour donner un aperçu conséquent des valeurs que Nehanda incarnait alors. Le plus bel exemple de cette réécriture est le poème « A masquerade » de l’écrivain et poète Chenjerai Hove, dans son ouvrage Up in arms257. Ce poème insère Nehanda dans l’histoire globale de la colonisation – l’objet de la mascarade258 – et 256 Ou alors pour en récuser l’attribution. Voir dans Nehanda, d’Yvonne VERA, les propos du personnage de colon, M. Browning, p. 64 : « This Nehanda is a wizard. After all, what more are these kaffirs besides bloodthirsty cattle-keeper ? ». Le personnage véhicule les présupposés de son stéréotype. 257 Chenjerai HOVE, Up in Arms, Harare, Zimbabwe, Zimbabwe Pub. House, 1982. L’auteur a également écrit des romans, notamment Chenjerai HOVE, Bones, Harare, Zimbabwe, Baobab Books, 1988, dont le titre renvoie aux ancêtres disparus qui structurent le monde shona, et qui peut aussi être une allusion discrète à la prophétie de Nehanda : « My bones shall rise again » ; l’auteur a été traduit en France par Jean-Pierre Richard, et est donc disponible en France : Chenjerai HOVE, Ossuaire, Arles, Actes Sud, 1997, voir tout particulièrement p. 77, chapitre intitulé « Les esprits parlent. 1897 mes os tombent » et le très beau chant qui clôt ce chapitre, p. 89. 258 Nous proposons un contrepoint sur ce même thème de la mascarade, où c’est cette fois la décolonisation qui est dénoncée comme masque sans consistance par une ex-combattante du Liberation Struggle, dans un beau poème se réappropriant, tout comme Chenjerai Hove mais dans une perspective différente, les inversions de discours et les effets de nominations. Il s’agit du poème intitulé « Defeated victory », de Freedom Nyamubaya, tiré de son ouvrage On the Road Again paru en 1986 (qui comprend des résonnances reggae très fortes, reprenant Max Romeo « One Step Forward » de 1975), et cité par Flora VEIT-WILD, Teachers, Preachers, Non-believers : A Social History of Zimbabwean Literature, Londres ; New York, Hans Zell Publishers, 1992, p. 307 : « Some things have changed, I am sure I was born in a country Once called Rhodesia by Rhodesians Now it’s called Zimbabwe by Zimbabweans, Lived in a city Once called Salisbury for some white reasons, Now it’s called Harare for black reasons Stayed in an avenue Once called Jameson Now called Samora Machel But the same feet patter along the pavement Be it Jameson or Samora Machel. 139 dénonce l’influence des discours exogènes sur la construction de la mémoire et de l’identité collective. Si Nehanda n’est mentionnée qu’une fois, elle est pourtant sousentendue dans les « héros » que l’auteur veut réhabiliter tout au long du texte, et ce texte nous paraît surtout révélateur de ce besoin de héros créé par l’indépendance, et de l’urgence à se réapproprier l’histoire de la colonisation : [Une mascarade A masquerade A masquerade in turmoil tossing heaven-bound darkness on peppered tongues, they came. They came bound to pretence, to malice, with home-made head-loads of histories Distilled in huge stately palaces of heroes felt in the head. Tramps, blessed by archbishops they came, to spread blessed leprosery through soiled habits. Ils vinrent, mascarade en tumulte, Couvrant les cieux de ténèbres Sur des bouches mensongères. Ils vinrent, gonflés de prétention et de malice Les têtes pleines d’histoires de héros toutes faites, inventées, Distillées dans d’immenses palais nationaux. Ils vinrent, vagabonds bénis par des archevêques Pour répandre une lèpre bénie par des vêtements souillés. Heralded, chronicled, they came as heroes, venturing through guidance on unreserved faith and unheroic know-how Shunned through edited history and taken as parcels to imperial heroes ; Only carriers of white heroes’s success. Editing said : Nehanda — witch Chaka — man-eater Native — savage Black — evil So they said when they came, Swollen with heroic pus vomitted by their societies Like the Pizzaros, they came to gnaw, to nibble and to be heralded Through censored history chapters. Ils vinrent, adoubés, chroniqués, Tels des héros, se risquant à l’aventure guidés Par une foi sans réserve et par un savoir-faire nullement héroïque, Légitimés par l’histoire éditée Et pris pour les épigones des héros impériaux ; Messagers seulement des victoires des héros blancs. L’Edition dit : Nehanda – sorcière Chaka – anthropophage Indigène – sauvage Noir – démon C’est ce qu’ils dirent lorsqu’ils vinrent, Emplis du pus héroïque Vomis par leurs sociétés; Ils vinrent, comme les Pizzaro Pour ronger, pour grignoter et pour être adoubés Par les chapitres de l’histoire officielle. So now, a medicine-man comes, Forces bitter roots Down all cancerous throats. (p. 24) À présent, un guérisseur arrive, Il enfonce des racines amères Dans toutes ces gorges cancéreuses.] Le balancement binaire « Nehanda — witch/ Chaka — man-eater… » dénonce de manière efficace l’imposition de dénominations dégradantes pour les deux figures, et It’s something we can talk about. Two steps forward and five steps backwards. What’s the difference, anymaway ? » 140 dans les deux vers suivants, pour les deux communautés, « Native », « Black », bien audelà de l’ethnie. Chenjerai Hove entend sortir de l’ombre les chapitres de l’histoire marqués par la censure, et renverser les « imperials heroes », les héros de l’Empire, pour en fournir de nouveaux. Il s’agit bien ici de la création des discours et des idéologies, et le poème lui-même sert ce projet d’inversion des valeurs de l’ « edited history ». À sa suite, bien que dans un tout autre milieu, des recueils de témoignages insèrent des poèmes des anciens combattants, et Nehanda occupe une place de choix, notamment chez les femmes soldats. Ruth Weiss, journaliste, collaboratrice des journaux The Guardian et The Financial Times, étudie le rôle des femmes dans la lutte pour l’indépendance et interroge, dans The Women of Zimbabwe259, celles qui étaient impliquées dans les dernières années, 1979-1980. Dans les toutes premières pages figure un poème dédié à Nehanda, écrit par l’une de ces femmes, qui signe simplement Elizabeth, sans autres mentions : [Nehanda Nehanda Where would we be, People of Zimbabwe, without you ? Où serions-nous, Peuple du Zimbabwe, Sans toi ? Leader, Spirit, Mother ! Mbuya, we are yours. Guide, Esprit, Mère ! Mbuya, nous sommes tiens. Mbuya Nehanda, she is the one, She leads us, she It is Who gives us Strenght. Mbuya Nehanda, c’est elle l’unique Elle nous guide, c’est elle C’est elle qui nous donne La force. My pride is your pride, My power is your power. Mbuya Nehanda. Ma fierté est ta fierté, Mon pouvoir est ton pouvoir. Mbuya Nehanda. You who suffered You who fought You who died - Toi qui as souffert Toi qui as combattu Toi qui es morte You are our spirit Our guide Our unity Tu es notre esprit Notre guide Notre unité. Like you, I know We will triumph and Like you Comme toi, je le sais, Nous triompherons Et – Comme toi, 259 Ruth WEISS, The Women of Zimbabwe, Londres, Kesho Publications, 1986. Nous retranscrivons les textes de ces poèmes systématiquement dans cette section, au risque d’alourdir parfois l’argumentaire, puisqu’ils sont relativement difficiles à trouver en Europe. 141 We will never surrender. (p. 8) Nous ne nous soumettrons jamais.] Ce chant de louange nous intéresse particulièrement puisqu’il explicite le rôle que jouait Nehanda pour ces femmes soldats entrées dans la résistance armée, et vraisemblablement pour l’ensemble des soldats dans les maquis, au Zimbabwe, au Botswana et au Mozambique. Elle est considérée comme la guide, le symbole de l’unité qui peut rassembler les combattants du Zimbabwe derrière un seul nom, fédérant Ndebele et Shona dans un même mouvement. C’est bien d’une mère de la nation qu’il s’agit ici, et d’une figure tutélaire et protectrice, invoquée une fois le combat terminé, en remerciement. D’autres chants plus traditionnels, quasiment calqués sur les Chimurenga songs260, sont également insérés dans ce recueil, mais ils présentent moins d’originalité : Grandmother Nehanda Our ancestral spirit Grandmother Nehanda Our ancestral spirit Look after us, Lord So we may return to Zimbabwe Today people are suffering Our mothers are suffering Our fathers are suffering When shall we repossess Zimbabwe ? Ancestral spirit Ancestral spirit Guard over us. (p. 30) [Grand-mère Nehanda Notre esprit ancestral Grand-mère Nehanda Notre esprit ancestral Veille sur nous, Seigneur Pour que nous puissions rentrer Au Zimbabwe Aujourd’hui, le peuple souffre Nos mères souffrent Nos pères souffrent Quand reprendrons-nous le Zimbabwe ? Ancêtre spirituel Ancêtre spirituel Protège-nous.] Un second recueil de témoignages de femmes, Young Women in the Liberation Struggle261, plus ample, inscrit Nehanda dès l’ouverture : [Le Premier Combat The First Struggle Ambuya Nehanda et Sekuru Kaguvi Ambuya Nehanda and Sekuru Kaguvi Les Premiers Héros de notre beau Zimbabwe The First Heroes of beautiful Zimbabwe We praise you for the first Chimurenga you Nous faisons vos louanges pour la première 260 Voir le parallèle avec le chant « Titarireyi » (« Guard overs us »), aux NAZ MS 536-13, ZAPU songs, Julie Frederikse’s Files. Les paroles sont exactement les mêmes, si ce n’est que d’autres paragraphes sont consacrés à d’autres « ancêtres spirtiuels ». 261 Kathy BOND-STEWART, Leocardia Chimbandi MUDIMU, Young Women in the Liberation Struggle : Stories and Poems from Zimbabwe, Harare, Zimbabwe, Zimbabwe Pub. House, 1984. Pour d’autres témoignages de la guérilla, qui ne sont néanmoins pas présentés sous formes de récits ou poèmes, voir Norma J. KRIGER, Zimbabwe’s Guerilla War. Peasant Voices, Cambridge; New York, Cambridge University Press, 1992. 142 fought The resistance war you waged from 1896-7. Although you fought with axes, spears and bows versus guns, You showed your courage, sacrifice and willingness To serve the toiling masses of Zimbabwe. So motherly were you, Nehanda, And so fortunate we have been to have you Who introduced a better way to freedom We have kept on following your good examples You encourage the young generations To continue fighting for our Zimbabwe. Ambuya Nehanda at your trial You were sentenced to death, and said openly, "You are killing me but the following generations will continue the revolution until final victory." In our Zimbabwe’s history we shall always remember you For the good work you have done, And the courage you gave us. Olaria Chikuhuhu (p. 2) Chimurenga que vous avez conduite La guerre de résistance que vous avez menée depuis 1896-7. Bien que vous vous battiez avec des haches, des lances, et des arcs contre des armes à feu Vous avez montré votre courage, votre sacrifice et votre volonté A servir les masses laborieuses du Zimbabwe Si maternelle étais-tu, Nehanda, Et si chanceux avons-nous été de t’avoir Toi qui initias la route vers la liberté Nous n’avons fait que suivre ton exemple Tu encourages les jeunes générations À continuer à se battre pour notre Zimbabwe. Ambuya Nehanda à ton procès Tu as été condamné à mort, et tu dis ouvertement « Vous me tuez, moi, mais les générations suivantes continuerons la révolution jusqu’à la victoire finale. » Dans l’histoire de notre Zimbabwe, nous nous souviendrons toujours de toi Pour l’œuvre que tu as laissée Et le courage que tu nous as donné.] « The toiling masses of Zimbabwe », « the revolution » ou « final victory » sont autant d’exemples de la rhétorique marxiste utilisée dans les camps d’entraînements, aux frontières du Mozambique et du Botswana. Notons que nous la retrouvons notamment dans les manuels scolaires, tels que People Making History262, où Nehanda est présentée comme appliquant les préceptes de la guérilla selon Mao : This [Kaguvi and Nehanda’s struggle] meant that the Shona used a form of guerilla warfare. Local men would come together, attack a target, hide their weapons and disappear back into their peasants community: a classic example of Mao Zedong’s belief that freedom fighters should be peasants who are like "fish" in their community, the "sea". (p. 112) [Cela [le combat de Kaguvi et Nehanda] signifiait que les Shona utilisaient une forme de guérilla. Les hommes se rassemblaient sur place, attaquaient une cible, cachaient leurs armes, et disparaissaient à nouveau dans leur communauté paysanne : un exemple classique de la conviction de Mao Zedong que les combattants de la liberté devaient être des paysans, comme des « poissons » dans leur communauté, « la mer ».] Dans le poème d’Olaria Chikuhuhu, cette rhétorique politique est doublée de références à la maternité et à l’origine, que le manuel scolaire ne développe pas. L’une 262 People Making History, book 3, M. Prew, J. Pape, R. Mutwira, T. Barnes, E. K. Mutuwira, G. Pwiti, G. Mvenge, Greendale, Harare, ZPH Publishers, 1993. Réed. 2010. 143 des nombreuses photographies de l’ouvrage montre l’une de ces jeunes combattantes, un bébé entre les bras, assise devant une tenture indiquant « Women in struggle are… The heirs of ambuya Nehanda » (p.33). Comme le titre du recueil l’indique, Young Women in the Liberation Struggle, les témoignages et les poèmes présentés sont ceux de très jeunes femmes, qui étaient parfois enrôlées en prenant un car pour le Mozambique alors qu’elles étaient encore scolarisées ou habitaient chez leurs parents. Ces poèmes retranscrivent et transforment les chants qu’elles ont alors appris en exil, qui devaient exalter leur combat, mais aussi souvent apporter du réconfort. Plus loin dans Young Women in the Liberation Struggle, une strophe d’un long poème souligne la dimension protectrice des héros invoqués, dont le nom fonctionnait comme talisman, contre la peur et contre les ennemis : The sun was about to set When we reached the marvellous land of Mozambique. We were afraid to return home To fight the oppressors; But the spirits of Nehanda, Kaguvi and Chaminuka And all the heroes of Zimbabwe Drained our fear from us. Winnie Chinoi (p. 39) Le soleil était sur le point de se coucher Quand nous atteignîmes la terre merveilleuse du Mozambique Nous avions peur de revenir au pays Pour combattre les oppresseurs Mais les esprits de Nehanda, Kaguvi et Chaminuka Et tous les héros du Zimbabwe Nous purgèrent de nos peurs. Il y a une vertu thérapeutique de l’appel aux ancêtres : « the heroes of Zimbabwe/ Drained our fear from us ». Nehanda apparaît, enfin, de manière plus ponctuelle, comme l’incarnation des temps anciens précoloniaux. Ainsi est-elle le seul personnage nommé dans « The deserted village of Mandidzimba » de Wilson B. Chivaura, dans le recueil de Colin and O-lan Style, Mambo Book of Zimbabwean Verse in English263, publié en 1986, qui montre la désolation d’un village abandonné de tous, et Nehanda fonctionne comme marqueur temporel, renvoyant à une époque précédant la dégradation. Pour ce qui est de la poésie, signalons également qu’un recueil de poésies en shona porte son nom, Nehanda nyakasikana : nhorido dzokunyikadzimu264, mais aucune traduction n’a été faite à ce jour de cet ouvrage. 263 Colin STYLE, O-lan STYLE, Mambo Book of Zimbabwean Verse in English, Gweru, Zimbabwe, Mambo Press, 1986. Wilson B. Chivaura est donné comme représentant de la poésie shona des décennies 19501970, sans autre mention. Traduction du poème de Chivaura par George Fortune, p.108. 264 Timothy C. SHUMBA, Ticha JONGWE, Nehanda nyakasikana : nhorido dzokunyikadzimu, Gweru, Zimbabwe, Mambo Press, 1983. 144 Des chapitres lui sont également consacrés dans des ouvrages de vulgarisation historique, à dimension hagiographique. Si elle est simplement mentionnée dans Forgotten Heroes of Chimurenga I265, de Timothy C. Shumba et Ticha Jongwe, elle occupe cependant deux chapitres de Some Heroes and Heroines of Zimbabwe266, de James Gondo. Plus développé et disposant d’une plus large audience, puisque l’éditeur est américain, Women Leaders in African history 267 de David Sweetman consacre également un chapitre à Nehanda. Les références données sont les ouvrages de T. O. Ranger, qui ont constitué la doxa sur la première Chimurenga. Également représentant de la diffusion de la doxa, le roman Death Throes : The Trial of Mbuya Nehanda de Charles Samupindi, publié en 1990 à Harare, est une réécriture des récits de l’historien T. O. Ranger, et surtout des archives du procès « Queen against Nianda »268, disponibles aux NAZ, dont certains passages sont des copies pures et simples, ainsi du témoignage de Pig : "I am a native messenger. I remember very well at the outbreak of the rebellion going out with Kanyaira, whom the white men called Pollard […]. Nehanda met us about one hundred and fifty yards from her kraal. Pollard was then taken to a point about forty yards away and Nehanda went there and spoke to him. We also went to where they were standing. Nehanda walked a few steps away and I heard her say, "Don’t kill him here, kill him down here, near the river". She said this to the second accused, Hwata. We then all went to the river. As we go to it, Hwata, who was walking behind Pollard weilding an axe, suddenly struck him on the back of the head with it and he sank down to his knees and then to the ground. " (p. 17) [« Je suis un messager indigène. Je me rappelle très bien aller avec Kanyaira, que les hommes Blancs appelaient Pollard, au déclenchement de la rébellion […] Nehanda nous rencontra à cent quarante mètres environ de son kraal. Pollard fut alors emmené à un endroit à trente cinq mètres environ et Nehanda s’y rendit et elle lui parla. Nous vînmes également à l’endroit où ils se tenaient. Nehanda s’éloigna de quelques pas et je l’entendis dire, « Ne le tuez pas ici, tuez-le par là, près de la rivière ». Elle dit ça au second accusé, Hwata. Nous nous rendîmes ensuite tous à la rivière. En chemin, Hwata, qui était en train de marcher derrière Pollard en portant une hache, le frappa soudainement derrière la tête et il s’écroula à genoux, puis à terre. »] Les archives du procès, dans le feuillet des déclarations, indiquent : Pig alias M’SAPURO declare: 265 A. S. CHIGWEDERE, The Forgotten Heroes of Chimurenga I : The Archives Speak, Kopje, Harare, The Mercury Press, 1991. p. 35. 266 James GONDO, Some Heroes and Heroines of Zimbabwe, Nairobi, East African Pub. House, 1983, p. 3-6 et 21-25. 267 David SWEETMAN, Women Leaders in African History, Londres; Exeter, N.H., USA, Heinemann, 1984. 268 NAZ, Central Governement, High Court, Criminal cases, trial « Queen against Nianda » : S401/252, S401/334, S2953. Disponible en annexe (p. 692-703). 145 I am a native messenger, I remember the outbreak of the rebellion I remember going out with Kunyara who the white men call Pollard […]. Nianda met us about 150 yards from her kraal. They separated us then and took Pollard away about 40 yds off Nianda went and spoke to him but I could not hear. Then I went with the other boys to where Pollard was standing. Then Nianda walked a few yards off and said don’t kill him here kill him down near the river she said this to Wata as we were all taken to the river as we came to it Wata struck Pollard at the back of the neck with an axe and he fell down then Zindonga shot him with a gun I was a prisoner then I could not go and see if he hit him. [Pig alias M’SAPURO déclare : « Je suis un messager indigène, je me rappelle le déclenchement de la rébellion, je me rappelle aller avec Kunyara que les hommes Blancs appellent Pollard […]. Nianda nous rencontra à 140 mètres environ de son kraal. Ils nous séparèrent et ils emmenèrent Pollard à 35m Nianda alla parler avec lui mais je ne pouvais pas entendre. Ensuite je suis allé avec les autres gars où se tenait Pollard. Puis Nianda s’éloigna de quelques mètres et dit ne le tuez pas ici tuez-le près de la rivière elle le dit à Wata alors que nous étions tous emmenés vers la rivière alors que nous y arrivions Wata frappa Pollard derrière la tête avec une hache et il s’écroula alors Zindonga lui tira dessus avec une arme à feu j’étais prisonnier alors je ne pouvais pas aller voir s’il l’avait touché. »] Ce très court roman en anglais ne traite que du procès de Nehanda jusqu’à sa pendaison. Les dernières pages citent explicitement, avec les guillemets et les mentions des références, les archives en retranscrivant la condamnation à mort et l’autopsie du médecin légiste, qui est d’ailleurs la dernière pièce du dossier « Queen against Nianda »269. En terme de réécriture, il n’apporte donc que très peu de nouveaux éléments. Il indique cependant que Nehanda est devenue une héroïne considérée comme l’incarnation de la résistance à la colonisation, dans une vision ici manichéenne et misérabiliste. Les manuels scolaires véhiculent globalement ce même message, de même qu’un documentaire diffusé tous les ans à la ZBC pour l’indépendance du Zimbabwe270. Une pièce de théâtre créée par la compagnie Tumbuka et le National Ballet avait également pris comme cadre historique l’histoire de Nehanda, selon ce modèle narratif, dans les années 2000, de même que le Harare Repertory Players pour une pièce sur Nehanda intitulée Mhondoro en 1993271, mais nous n’avons pas réussi à déterminer s’il 269 Pour une analyse plus précise du statut de l’archive et du document d’un point de vue narratologique, voir infra, Troisième partie, chapitre 1, section « Écrire avec l’archive », où nous reviendrons en détails sur le rôle de la copie dans ce roman, par une analyse de texte qui présente des caractéristiques similaires avec celle-ci. 270 Comme indiqué dans l’« Avant Propos », malgré l’accord passé avec l’archiviste de la ZBC en septembre 2013, il nous a été impossible de pénétrer dans l’enceinte de la structure. Nous n’avons donc jamais eu accès à ce document audiovisuel commémoratif, qui relate la vie de Nehanda. 271 Sur cette représentation, nous ne disposons que des indications disponibles dans Martin ROHMER, Theatre and Performance in Zimbabwe, Bayreuth ; London, Bayreuth University !; Global, 1999, p. 224250. Nous avons tenté de contacter l’auteur de la pièce, Jeremy Summerfield, « a young White 146 existait une captation vidéo de l’une de ces représentations. Dans la géographie même d’Harare, Nehanda est également présente : une radio, une maternité, une rue du centre ville portent son nom, une statue à son effigie est conservée dans le hall des NAZ, avec un petit musée sur la résistance de deux pièces comprenant des photographies d’archives. Un timbre de la collection « Women of Zimbabwe » est émis en 2007 en son honneur272, reprenant la photographie d’elle prise avant sa pendaison. Enfin parallèlement à ces nombreuses relectures très homogènes, deux grands romanciers s’emparent du sujet. Solomon Mutswairo est le premier d’entre eux : il publie Mweya waNehanda en shona pour la première fois en 1988. Le roman connaît une seconde publication en 1990. Malheureusement, aucune traduction ni en français ni en anglais n’a été effectuée à ce jour, et ce roman nous reste donc inaccessible273. La seconde est Nehanda : A Novel, d’Yvonne Vera publié à Harare en 1993 et à Toronto en 1994. Ce roman a fait l’objet de nombreuses études274, qui soulignent la filiation avec le roman de Solomon Mutswairo et avec ses premiers poèmes parus dans Feso et Zimbabwe, Prose and Poetry mentionnés plus haut, et analysent la portée militante et féministe de l’œuvre de Vera. Choisir une héroïne féminine, en particulier, lui permet de combattre l’écriture de l’histoire par le pouvoir institutionnel caractérisée par la domination des Blancs, et des hommes 275 . Lutter contre la vision eurocentrée et patriarcale de l’identité est l’une des priorités d’Yvonne Vera, et Nehanda lui permet cette relecture. Le roman s’ouvre et se clôt sur la mort de l’héroïne, aux chapitres 1 et 27, qui Zimbabwean » (p. 224), sans succès. D’après les descriptions fournies, la pièce suit les grandes orientations de l’ouvrage de Terence RANGER (Revolt in Southern Rhodesia, op. cit.), tout en consacrant un acte entier au procès de Nehanda. Il n’est pas impossible que le court roman de Charles Samupindi, Death Throes, paru en 1990, ait également été une source d’inspiration pour l’auteur, en contribuant à diffuser les documents d’archives du procès « Queen against Nianda ». Nous reviendrons dans la seconde partie sur le rôle des archives dans la création littéraire et artistique (infra). 272 MI : ZW 874 ; WAD : ZW015.07 ; émis le 10 juillet 2007. Dans la même collection : Lozikeyi, Mère Patrick, et Amai Sally Mugabe. 273 Certains passages sont traduits dans l’étude d’Emmanuel CHIWOME, « A Comparative Analysis of Solomon Mutswari’s and Yvonne Vera’s Handling of the Legend of Nehanda », in Robert MUPONDE, Mandi TARUVINGA (dir.), Sign and Taboo, Harare, Weaver Press, 2002, p. 179‑190. 274 Sur Nehanda, voir les études de Elizabeth GUNNER, Neil Ten KORTENAAR, « Introduction : Yvonne Vera’s Fictions and the Voice of the Possible », Research in African Literatures, 38 (2007/2), p. 1‑8 ; Robert MUPONDE, Mandivavarira MAODZWA-TARUVINGA, in Robert MUPONDE, Mandi TARUVINGA (dir.), Sign and Taboo : Perspectives on the Poetic Fiction of Yvonne Vera, Harare, Weaver Press, 2002 ; Chikwenye Okonjo OGUNYEMI, Chapter 9 « Echoes of a Recent Past : Yvonnes Vera’s Nehanda », Juju fission Women’s Alternative Fictions from the Sahara, the Kalahari, and the Oases in-between, New York, Peter Lang, 2007; Nana WILSON-TAGOE, « Narrative, History, Novel : Intertexuality in the Historical Novels of Ayi Kwei Armah and Yvonne Vera », Journal of African Cultural Studies, 12 (1999/2), p. 155‑166. 275 Voir sur ce point Annalisa OBOE, « “Survival is in the Mouth” : Yvonne Vera’s Nehanda », Journal des Africanistes (2010/80-1/2), p. 127‑139. 147 réinterprètent le thème de la prophétie, et de la prise de parole des femmes dans la société shona : Nehanda carries her bag of words in a pouch that lies tied around her waist. She wears some along her waist. She wears some along her arms. Words and bones. Words fall into dreaming, into night. She hears the bones fall in silence. She is surrounded by a turmoil of echoes which ascends night and sky. In the morning, a horizon of rock, of dry bones, grows into day. (p. 1) "My people will not rest in bondage. The day has ceased too quickly." Her telling awakens the dead part of the living, who are also divine because they are descendant from the departed dead. The living are listeners, the dead are powerful articulators. Only the dead make the living speak. […] She welcomes her departed, and the world of her ancestors. The whiteness around her eyes has turned to a redness that is also death. The chasm between the living and the dead is broken. A wave of nausea moves in circles within her, searching. The wind covers the earth with joyful celebration (p. 97) [Nehanda porte son lot de mots dans une besace qui repose nouée autour de sa taille. Elle en porte certains le long de la taille, certains le long des bras. Des mots et des os. Les mots tombent dans le rêve, dans la nuit. Elle entend les os tomber en silence. Elle est envahie par un tumulte d’échos qui gravit la nuit et le ciel. Au matin, un horizon de roches, d’os desséchés, se transforme en jour. (p. 1) « Mon peuple ne restera pas en servitude. Le jour s’est éteint trop vite » Son propos réveille la part de mort parmi les vivants, qui sont également divins car ils sont les descendants des morts. Les vivants sont à l’écoute, les morts sont de puissants articulateurs. Seuls les morts font parler les vivants. […] Elle accueille ses disparus, et le monde de ses ancêtres. Le blanc autour de ses yeux a viré à un rouge qui est aussi la mort. L’abyme entre les vivants et les morts s’est brisé. Une vague de nausée s’enroule en elle, cherchant. Le vent couvre la terre d’une joyeuse louange (Nehanda, p. 97)] La mort de l’héroïne donne au roman une structure cyclique, où l’initiale est relue de manière rétroactive, et ne s’éclaire pleinement qu’une fois le dernier chapitre compris. Le chapitre 1 assume dès lors une fonction de prologue, en prolepse, et la narration se poursuivra par la suite de manière relativement linéaire, en débutant au chapitre 2 avec la naissance de l’enfant Nehanda. L’entrelacement de l’isotopie de la langue et du corps est frappante, à première lecture : « Words and bones » – bones référant à la prophétie « My bones shall rise again » qu’Yvonne Vera ne cite qu’implicitement –, « She wears some along her arms », l’entrelacement s’effectuant dans une pause d’abord contemplative, « She hears the bones fall in silence », jusqu’à emporter la suppliciée dans un tourbillon « She is surrounded by a turmoil of echoes wich ascends in the night ». À la lumière du dernier chapitre, le lecteur comprend qu’il s’agit d’une métaphore de la prophétie – « My people will not rest in bondage » dit-elle au chapitre 27 –, dont les mots se détachent 148 matériellement, pour prendre corps et venir emporter l’héroïne dans l’au-delà. Le lecteur assiste donc à une ascension de chair et de mots, à une assomption de l’héroïne, martyr de la cause des opprimés, et martyr de la cause des femmes. Le passage, la transition vers le monde des morts, s’effectue dans l’ultime changement de paragraphe, qui décrit la douleur physique : « a wave of nausea », et la délivrance : « joyful celebration », cette dernière atteignant une dimension cosmique, où l’absence de ponctuation finale laisse la phrase se continuer sans rupture dans le présent de la lecture. La parole des femmes, ici de Nehanda au bûcher, touche la partie divine de l’humain, celle qui conserve l’empreinte et le souvenir des disparus, des ancêtres (« the dead part of the living ») ; la parole, si elle est entendue et comprise dans toutes ses potentialités signifiantes, notamment l’annonce de la seconde Chimurenga, rencontre dans une heureuse épiphanie la nature (« the earth ») et la partie immortelle des êtres (« only the dead make the living speak », autrement dit, seuls les morts font parler les vivants, ils leur donnent consistance et signification en guidant leurs interprétations, ou en ancrant leurs expériences dans le référent bien plus vaste de leur histoire et leur culture, bâtie sur des générations). Pour Yvonne Vera, Nehanda est un moyen de pousser très loin une réflexion sur la réappropriation mentale de l’espace colonial, et de l’espace du corps de la femme plus généralement. Nehanda, marquée dans sa chair par l’oppression coloniale et patriarcale, lui donne l’occasion d’exposer tout à la fois une dénonciation virulente et une vision d’espoir, dominée par la lumière de l’assomption, et la croyance indéfectible dans le pouvoir des mots. À part Yvonne Vera, ce troisième et dernier « âge » de la figure est marqué par une grande régularité dans la réécriture – régularité que nous pouvons mesurer en la comparant avec les œuvres liées à Samori et à Sarraounia. À quoi peut bien tenir cette cristallisation du sens dans la période contemporaine ? Les œuvres confortent l’axiologie dominante, le roman de Samupindi en est l’archétype. Ce phénomène s’explique sans doute par la création de la figure dans la lutte contre le régime d’apartheid, et par la nécessité de porter une idéologie extrêmement claire. Par la suite, après l’indépendance, ce personnage polarisé a été réutilisé par Robert Mugabe, qui a longtemps fondé sa légitimité politique par son passé d’opposant dans la lutte armée : il est donc naturel qu’il ait réutilisé le « personnel dramatique », pourrait-on dire, des Chimurenga songs. Cette volonté forte de l’appareil d’État, d’inscrire Nehanda au panthéon national, aurait alors considérablement réduit les marges de réutilisations. En quelque sorte, Nehanda aurait été victime de son succès institutionnel, dans un régime où l’opposition politique a été 149 balayée, et où le discours unique règne. Le discours a vraisemblablement été cadenassé par le gouvernement, que ce soit de manière directe (par la censure) ou par des voies moins clairement identifiables (par les manuels scolaires, la toponymie dans Harare, la diffusion des œuvres de la résistance, le soutien apporté au souvenir de la guerre de libération, l’autocensure des auteurs, leur désir de se conformer à un horizon d’attente institutionnel…). Les héros vivent et meurent, comme les productions culturelles. Sarraounia, Nehanda et Samori ont en commun d’avoir été abondamment réutilisés, tous les trois, même s’ils appartiennent à des échelles différentes. Les textes et les œuvres qui leur sont consacrés sont nombreux, ce qui a prouvé leur vitalité. Néanmoins, les significations peuvent se figer, les interprétations devenir alors uniformes, consensuelles, lisses. Nehanda en est un exemple, elle qui a traversé le spectre des réécritures, passant de la censure et des maquis aux manuels scolaires et à la célébration muséographique. Si elle reste une figure dominante que de grands auteurs se réapproprient en en secouant les significations et les potentialités, elle perd tout de même de ses virtualités avec le temps, sur l’échelle du temps long de la sédimentation des textes et des discours. Ce serait une forme de mort des figures, dans la cristallisation du sens276. Des réécritures contradictoires : la polysémie « Samori » dans la sous-région Samori, à l’opposé de Nehanda, apparaît comme la plus ambivalente des figures de notre corpus. Les textes qui lui sont liés peuvent tout à fait renverser l’axiologie et le présenter comme un tyran, alors que d’autres le célèbrent toujours comme un héros guinéen. Cette absence totale de consensus dans les variantes tend à montrer qu’il n’y aurait pas encore d’épopée de Samori, comme certains critiques ont voulu le prouver277. 276 Nous sommes néanmoins consciente que le propre des figures que nous tentons de décrire est précisément de pouvoir ressurgir et ré-émerger de manière subversive par la force d’une réécriture à contrecourant, ou par une réévaluation non prévue par le pouvoir. Cette neutralisation de la figure de Nehanda par l’investissement institutionnel massif est donc à modaliser : cette sorte de ralentissement des réécritures n’est bien qu’un constat contemporain, toujours potentiellement contredit par une réécriture à venir. 277 Très polémique, cet article pose les enjeux de la controverse, militant pour sa part en faveur de la reconnaissance de l’épopée samorienne : David C. CONRAD, « Almami Samori in Academic Imagination : Constructing Epic Adventures to Realize Ambitions and Dreams », Mande Studies (2008/10), p. 175‑214. En réaction à Jan JANSEN, « A Critical Note on “The Epic of Samori Toure” », History in Africa! : A Journal of Method History in Africa (2002), vol.29, p. 219‑229. Le débat est d’autant plus délicat que la reconnaissance du genre épique en Afrique a été longtemps un enjeu pour les chercheurs : John William 150 Le dernier âge de la figure déploie toutes les virtualités interprétatives auparavant contenues dans le nom propre du personnage, sur un large éventail de discours, allant de l’ennemi fascinant à l’ancêtre fondateur, dans un rapport d’attirance-répulsion pour le grand homme qui va s’incarner différemment selon les lieux et les contextes d’écriture. Dans un premier temps, il est vrai que Samori a pris place dans un contexte institutionnel établi. Il apparaît dans les derniers manuels scolaires en bonne place278, et semble de ce point de vue aussi « cristallisé » que Nehanda dans la géologie des discours : en 6ème et 10ème année en Guinée279, il est la figure par excellence de la résistance à la colonisation. Il y a certes des figures régionales intermédiaires : Alfa Yaya Diallo, Bokar Biro, Dinah Salifou Camara, mais Samori a toujours le plus de place, que ce soit dans le corps du texte ou dans les illustrations. Il figure en bonne place également dans les grandes encyclopédies scientifiques de référence, l’Histoire générale de l’Afrique lui consacre plusieurs pages et une illustration dans le tome VII, L’Afrique sous domination coloniale280, chapitre 6 : « Initiatives et résistances africaines en Afrique occidentale de 1880 à 1914 ». À Conakry, plusieurs statues sont élevées à son effigie : au Musée National à Kaloum, au rond-point du 2 octobre, au camp militaire Almamy Samory Touré, dans l’enceinte de la grande mosquée Fayçal281. Il fait donc bien partie du paysage urbain et du paysage culturel guinéen282. D’un point de vue littéraire maintenant, deux grandes anthologies de littérature épique consacrent un chapitre à Samori, ce qui viendrait confirmer l’idée véhiculée par la propagande de Sékou Touré, à savoir que Samori est perçu comme un héros épique JOHNSON, « Yes, Virginia, There Is An Epic in Africa », Research in African Literatures, 11 (1980/3), p. 308-326. 278 Les manuels scolaires reconduisent une doxa sur l’histoire, un accord collectif sur le passé commun : Alain CHOPPIN, « Le manuel scolaire, une fausse évidence historique », Histoire de l’éducation (2008/117), p. 7‑56 ; Alain CHOPPIN, « L’histoire des manuels scolaires! : une approche globale », Histoire de l’éducation (1980/9), p. 1‑25. Loin de nous l’idée de porter un jugement moral sur certaines mises en scène de manuels scolaires, mais nous en pointons néanmoins les distorsions, et leur très grand pouvoir de cristallisation du mythe, du récit collectif. 279 Bah, Abdourahamane, Fodé Momo Soumah, Moussa Kourouma, El Hadj Salamy Bah, El Hassane Diallo, Mamady Soumaoro, Histoire-Géographie, 6ème année, Conakry, Institut National de Recherche et d’Action pédagogique, Ministère de l’Enseignement Pré-universitaire et de l’Éducation civique, 2007. Le Callenec, Sophie (dir.), Histoire-Géographie, 10ème année, Tours, Hatier, Institut National de Recherche et d’Action pédagogique, Ministère de l’Éducation Nationale et de la Recherche Scientifique de la République de Guinée, 1997. Voir nos reproductions en annexe, p. 737-746. 280 COMITÉ SCIENTIFIQUE INTERNATIONAL POUR LA RÉDACTION D’UNE HISTOIRE GÉNÉRALE DE L’AFRIQUE, Albert Adu BOAHEN, Histoire générale de l’Afrique VII, L’Afrique sous domination coloniale, 1880-1935, Paris, UNESCO, 2011, p. 171-190. 281 Voir les photographies en annexe, p. 814-816. 282 Sur le lieu et la figure, voir infra, Troisième partie, Chapitre 1, « La capitale comme support de la commémoration ». 151 guerrier. Le chapitre « L’épopée de Samory » (p. 195-200) dans l’ouvrage dirigé par Lilyan Kesteloot et Bassirou Dieng, Les épopées d’Afrique noire283, relate l’affrontement entre Tièba, roi de Sikasso, et Samori. La notice indique que les travaux de David Conrad devraient aboutir à la publication de la première épopée bilingue de Samori, mais en l’état actuel des connaissances, ne sont publiés que certains épisodes isolés de la tradition. La récitation est l’œuvre de Yoro Sidibé, et la traduction de A. Diabaté et E. Gérard, mais nous ne disposons pas de plus d’informations sur le contexte de production. Le choix de l’épisode est intéressant : l’affrontement entre les deux chefs guerriers, nous l’avons vu dans la section précédente, est l’un des épisodes les plus fréquemment racontés en littérature, et plusieurs pièces de théâtre lui sont consacrées. Mais le siège se solde tout de même par un échec de Samori, et les auteurs qui le relatent ne sont souvent pas guinéens : Sikasso permet de rappeler la cruauté de Samori. Dans ce texte, le point de vue est d’abord centré sur les habitants de Sikasso, et sur Tiéba, qui veut mettre à l’épreuve son frère cadet, Foh, et l’envoyer en mission combattre Samori devrait constituer son premier fait d’armes : À l’époque, Tièba, frère de Babemba, était roi de Sikasso. Ils avaient un frère : Foh. Tièba possédait, en plus de Sikasso, trois grands hameaux (Namakola, Tinièningwè et Daoudabougou) qu’il convia à se joindre à lui pour échapper à l’ « apprenti guerrier » qui marchait sur eux. Il n’oublia pas cependant que l’on peut sous-estimer une touffe et y trouver la liane nécessaire pour être ligoté. Car si lui, Tiéba, n’était ni mort ni paralysé, l’almamy devrait l’affronter. […] Foh, frère de Tièba, partit prier ses frères de lui remettre la clé de la case à munitions pour pouvoir affronter l’almamy. Tant que lui vivrait, disait-il, l’almamy ne pénètrerait pas dans Sikasso. (p.195) Cette focalisation perdure quasiment tout au long de l’extrait, mis à part un paragraphe rappelant en analepse la prise de Kong par Samori, et les ravages qu’il a causés dans la ville musulmane, fait d’armes hautement sacrilège au demeurant. L’épisode se clôt sur la blessure reçue par Kèmè Bouroma devant l’enceinte de Sikasso, d’un fusil tenu derrière les remparts de la ville par un soldat borgne. Ce sont les exploits des jeunes frères qui sont ici racontés, ce qui est topique dans les légendes et les épopées mandingues. Le frère intervient pour sauver Samori du désespoir, qui ne peut satisfaire au sacrifice demandé par Dieu (un chevreuil boiteux, un python asthmatique, une perdrix aux ailes blanches) pour qu’il lui ouvre les portes de Sikasso. La douleur de Samori lorsqu’il apprend la blessure de son jeune frère referme donc l’extrait. L’épisode de la 283 Lilyan KESTELOOT, Bassirou DIENG, Les Épopées d’Afrique noire, Paris, Karthala!; UNESCO, 1997, p. 195-200. 152 guerre de Sikasso est également la dernière scène de « La geste des Jakite Sabashi du Ganan (Wasolon, Mali) », recueillie par Jean-Loup Amselle auprès d’Amadu Kuyaté284. C’est Farabalaye qui en est le héros, mais la fin du texte raconte la soumission du Wassoulou à Samori, l’alliance entre les deux chefs, et la guerre menée contre Tièba. C’est lors de ce siège contre Sikasso que Farabalaye est capturé, ce qui ne nous donne que peu d’éléments sur Samori. Ce même épisode se retrouve dans l’autre anthologie de littérature épique africaine, Oral Epics from Africa285, dirigée par John William Johnson et Thomas A. Hale, bien que le texte soit bien plus étendu (p. 69-80). Ce sont, en effet, de vastes extraits de l’épopée recueillie auprès de Sory Fina Kamara, le 4 avril 1994, par David Conrad, à Kissidougou en Guinée qui nous sont ici présentés. Le texte est donné en anglais, en vers. Il est extrêmement intéressant puisque le récit alterne entre narration et quelques vers chantés, dont on retrouve l’argument dans les chants de la RTG que nous avons pu consulter. Ces courts chants qui ponctuent le récit sont consacrés soit à Kèmè Brèma, le jeune frère de Samori, pour louer sa bravoure : Kème Brèma had three big wives, Joro and Mariama Sire and Ju’ufa, The people searched for him. Descendant of the war lord. Good evening, It’s Allah who makes a man the leader. (v. 662-667) [Keme Brèma a trois grandes épouses Joro et Mariama Sire et Ju’ufa Le peuple le recherche. Descendant du seigneur de la guerre. Bonsoir, C’est Dieu qui fait d’un homme le leader.] Soit à Sona Kamara, la mère de Samori, pour louer son enfant : I want to go and see my old mother in Sanankoro, Kabako ! Sona Kamara, Ma Kèmè Kamara, Maningbè, Kamara woman’s son Sankun, Mori the savior of everyone. (v. 757-763) [Je veux aller voir ma vieille mère à Sanankoro Kabako ! Sona Kamara, Ma Kèmè Kamara, Maningbè, Le fils Sankun de la femme Kamara Mori [« le marabout », Samori] le sauveur de tous] 284 Jean-Loup; Dunbya AMSELLE, « Littérature orale et idéologie. La geste des Jakite Sabashi du Ganan (Wasolon, Mali) (Oral Literature and Ideology. The Saga of the Jakite Sabashi of Ganã (Wasulõ, Mali)) », Cahiers d’études africaines (1979), p. Vol.19, cahier 73/76, p. 381‑433. 285 John William JOHNSON, Thomas A. HALE, Stephen Paterson BELCHER, Oral Epics from Africa : Vibrant Voices from a Vast Continent, Bloomington, Indiana University Press, 1997, p. 69-80. 153 Le premier est le refrain que l’on retrouve par exemple dans deux chansons très célèbres, « Keme Bourema », de Balla et ses Balladins, enregistrée en 1971, et « Keme Bourema » de Sory Kandia Kouyaté, enregistrée en 1973 : « Les trois kognoba [jeunes épousées] sont pour Mfa Bourema/ Dioro, Mariama Séré et Dioufa, les trois kognoba de M’fa Bourema » : son cheval, sa jeune épouse et son sabre. Le second, à la gloire de la mère de Samori, se retrouve dans la chanson « Samory » du Niandan Jazz (l’orchestre est de Kissidougou, comme Sory Fina Kamara que David Conrad a enregistré), de 1970, et adressée entièrement à Sona : « Sona je pense à toi / Sona l’Afrique pense à toi / pour ce que ton fils, le géant, a accompli pour les Africains ». Le texte de Sory Fina Kamara nous intéresse particulièrement parce qu’il recoupe des passages entiers de récits que nous avons trouvés en vente sur le grand marché de Madina, à Conakry. Notamment « Samori Tariku », « L’histoire de Samori », récitée par M’Faly Franwalia Kamissoko à Kankan en 2008 (1’28’10), en malinké. Les deux textes décrivent en ouverture comment Samori a été choisi par les génies du Mandé pour gouverner le monde. Le chef des génies, Samawurusu chez Sory Fina Kamara, Samarousou chez M’Faly Franwalia Kamissoko, avait laissé deux génies jumelles décider qui était le plus valeureux parmi les guerriers : Samawurusu was the ancestor of all the genies […] Samawurusu’s first son is Jumanjujan "Send for your twin sisters, Let them go all over Africa land, So we can entrust the musket to one trustworthy person" (Sory Fina Kamara, v310-323) [Samawurusu était l’ancêtre de tous les génies […] Le premier fils de Samawurusu est Jumanjujan « Envoie chercher tes sœurs jumelles, Envoie-les sur toute la terre d’Afrique Pour que nous puissions confier le mousquet à une personne digne de confiance »] Il y avait un diable au Mandé nommé Samarousou qui a dit à ses petits-enfants jumelles : « Allez faire la tournée du Mandé ; Mandé est une grande ville, mais il n’y a pas de chef au Mandé, Vous irez à l’Est et à l’Ouest du Mandé, je ne parle pas du Nord et du Sud, Nous sommes des diables, le pays ne peut pas rester sans chef, nous sommes de la classe des guerriers des diables, nous allons choisir quelqu’un qui gouvernera le Mandé ; Quel que soit notre pouvoir, nous voulons choisir un chef pour lui confier nos secrets ». (M’Faly Franwalia Kamissoko, marché de Madina) 154 Le choix est fait, et les jumelles confient les armes du Mandé à Samori, symbole de leur confiance, mais celui-ci ne doit sous aucun prétexte attaquer Sikasso ni Karamogo Daye, dont les amies et tantes des jumelles sont les protectrices. Et l’on ne rompt pas une relation d’amitiés entre génies. Les deux récits racontent les exploits de Samori, le succès de ses campagnes militaires dans le Wassulu, et finalement la rupture du pacte par Samori. Le texte de Sory Fina Kamara met en scène le siège de Sikasso, tandis que celui de M’Faly Franwalia Kamissoko relate la prise de Kankan et la poursuite de Karamo Daye. Le siège de Sikasso est l’occasion de louer la bravoure du frère cadet, Kémé Brèma, que de nombreux chants de la RTG soulignent, mais qui est ici donnée dans une autre version, dont nous connaissons quelques courts extraits similaires par l’article « L’image de Keme Bourema dans l’épopée samorienne » d’Ansoumane Camara, publié dans Centenaire du souvenir : Almami Samori Touré, 1898-1998! : Symposium international de Conakry, du 29 septembre au 1er octobre 1998! : Les actes du symposium286, à Conakry ; Ansoumane Camara ayant, par ailleurs, exactement le même informateur que David Conrad, Sory Fina. Il est donc logique que les textes concordent, puisque ce sont deux versions délivrées par le même griot à deux chercheurs différents. La sœur de Kèba de Sikasso, Mosso Sinkelen, « la jeune fille à un seul sein », tombe amoureuse de Kèmè Brèma et vient lui apporter de la nourriture. Offusqué, Samori le reproche à son frère cadet. Celui-ci, fou de douleur, se rend sur le champ de bataille (dans la version recueillie par David Conrad) sans ses amulettes, ou se propose pour cueillir le gombo de l’enclos de la reine de Sikasso (dans la version d’Ansoumane Camara), toujours sans ses amulettes. C’est ainsi que le jeune frère de Samori trouve la mort. Pour ce qui est de la prise de Kankan, dans « Samori Tariku », le griot prend soin de rappeler que c’est la rupture du pacte conclu avec les génies femelles qui entraînera la chute de Samori. L’une des dernières scènes se conclut d’ailleurs par un épisode honteux pour Samori, puisqu’il tue son propre griot, de rage. Pris par un charme, Samori et ses soldats sont incapables de se mouvoir et de poursuivre Karamo Daye, qui sort de la ville assiégée, au pas, sous la protection de Dieu. Seul le griot est libre de ses mouvements et se prend à louer ce fait extraordinaire. Furieux, Samori le tue : 286 Centenaire du souvenir : Almami Samori Touré, 1898-1998! : Symposium international de Conakry, du 29 septembre au 1er octobre 1998! : Les actes du symposium, Conakry, Éditions Universitaires, 2000, p. 151. Disponible à la Bibliothèque Nationale de Guinée. 155 C’est Djeli Arafan qui a dit en public : « Vous ne voyez pas Karamo Daye, le marabout des marabouts, qui est en train de passer au pas devant ses guerriers et ses sofas, c’est lui qui traverse la foule ? Vous n’avez pas vu l’enfant de la femme honnête pour son mari qui traverse cette foule ? Vous n’avez pas vu le marabout des marabouts ? Vous n’avez pas vu le petit garçon de Fodemoudou ? Vous n’avez pas vu le petit fils de Kaba Binè en train de partir ? […] » Le griot a dit ça devant Samory, ses frères et tous ses soldats. Quand Karamo Daye a passé, Samory a demandé qui était le griot qui parlait à l’instant. Les gens ont dit que c’était Arafan Djeli. Samory a dit qu’il avait une grande bouche287, mais que sa bouche avait manqué quelque chose. « Approche ici, je vais t’augmenter un peu ta bouche. Si je ne l’augmente pas, il va dire quelque chose de plus grand ». Quand le griot s’est approché, il a déchiré sa bouche jusqu’aux oreilles et a cassé sa tête. Avant de mourir, le griot Arafan Djeli a dit qu’il était un griot, qu’il n’avait pas peur de la vérité : « C’est toi qui a dit à tes frères que tu étais le seul fils de Lanfia, et Karamo est sorti devant toi. Si je meurs, ce n’est pas grave, mais ce que j’ai dit est la vérité ». Ici, la mort particulièrement violente du griot, dont on doit normalement respecter la parole, quelle qu’en soit la teneur, est exceptionnelle parmi les récits liés à Samori. Le texte de Sory Fina Kamara ne présente pas cette part de dénonciation du chef guerrier. Il se clôt sur la rupture du pacte : malgré la bonne volonté initiale du héros, celui-ci rompt son engagement, et les forces occultes qui lui avaient fourni le pouvoir (dans ce cas, les génies femelles qui lui avaient confié les armes du Mandé, « the musket » dans cette version) sont contraintes de le lui retirer. Le texte de Madina vient assombrir le portrait globalement élogieux dressé par la littérature dite épique sur Samori, mais il reste dans son ensemble la description d’un chef de guerre exceptionnel qui mérite d’être loué pour son talent tactique. D’autres textes de littérature orale comportent en revanche de nombreuses critiques adressées ouvertement à l’ancien chef Samori. Sa cruauté est devenue un motif topique, à tel point que la figure semble à double face (bénéfique/maléfique), dont l’une ou l’autre est convoquée selon les lieux de production ou les besoins du moment. Dans le récit recueilli au Mali par Jan Jansen, Bala Kanté raconte : À l’époque, du temps des guerres de Samori, nous étions encore petits. Il m’a été raconté que Samori faisait des hommes un rempart. Il les plaçait les uns à côté des 287 Il commet une insolence. 156 autres ainsi, en bourrant leurs pieds comme on plante un arbre. Il arrangeait les hommes de façon à former un champ. Outre cela, Samori prenait la femme enceinte et la tuait. Il obligeait la mère à piler dans un mortier son propre enfant. Samori a fait tout ça. Ça m’a été raconté. (p. 137) Les enfants pilés dans le mortier est le paroxysme de l’horreur dans les récits, et plus généralement dans les contes cruels. C’est un motif qu’Yves Person a également trouvé de nombreuses fois dans ses enquêtes orales, et prend soin, en conclusion de sa thèse288, de souligner qu’il s’agit d’une légende, confirmant la « légende noire » de Samori, parallèle à sa « légende dorée » : Il nous paraît significatif qu’il s’agisse exclusivement de contes hostiles issus des milieux qui se sont opposés tôt ou tard, et à des titres divers, à la volonté du conquérant. […] Deux thèmes seulement ont été relevés en plusieurs points. Le premier concerne les enfants « grillés dans de la paille comme des arachides » et le second la femme enceinte éventrée à la suite d’un pari des spectateurs sur le sexe de l’enfant qu’elle porte. […] Aucune des crémations d’enfants n’est localisable, si bien qu’on est en droit d’y voir un simple apport à la « légende noire ». Ce triste conte de la femme éventrée est particulièrement intéressant car sa diffusion est extrêmement large dans l’ouest africain, même en dehors des ethnies Manding et on le rencontre appliqué à d’autres qu’à Samori. Au XVe siècle, les musulmans de Tombouctou par exemple, l’ont invoqué contre Sonni-Ali. À Kong, il a justifié la prise de pouvoir par Séku Watara, au début du XVIIIe siècle, aux dépens du groupe Mosi qui dominait le pays. […] Il faut y voir un cliché dont la fonction est de marquer l’adversaire politique que l’on récuse pour tyrannie. (p. 2038-2039) Yves Person explique donc l’usage de ces contes comme un mécanisme de dénonciation de l’arbitraire d’un chef à des fins politiques, pour appeler à un changement de régime. Le documentaire Les Diambourou : esclavage et émancipation à Kayes Mali289, mené par Marie Rodet, témoigne de cette mémoire encore vive de Samori en tant que tyran esclavagiste, à propos duquel tous les récits d’horreur sont encore en-dessous de la réalité. Selon Bala Kanté, à nouveau, des chants ont même été composés lorsque Samori a été capturé : Sur son arrestation, les gens du Mandé ont fait une chanson : « Samori a été arrêté dans le champ de manioc / Les choses de cette année se passent en l’absence de certains / le champ de manioc… » Ainsi s’appelle cette chanson. (p.139) En effet, à l’appui de ce récit de Bala Kanté, il est possible de retrouver d’autres témoignages de chants d’anciens esclaves composés pour célébrer l’arrestation de 288 Yves PERSON, Samori : Une Révolution Dyula, op. cit., « Conclusion : Signification de Samori », p. 2037-2052. 289 Marie RODET, Fanny CHALLIER, The Diambourou Slavery and Emancipation in Kayes - Mali, SOAS, 2014. 157 Samori. Dans la dernière section de son Anthologie de chants mandingues290, Kaba Mamadi rapporte ce chant : Le Blanc aux trois galons (Djasabati) Samory est arrêté, Oh, quelle joie ! Samory est arrêté, Oh, quel bonheur ! Mais qui l’a arrêté ? Mais qui nous a libérés ? C’est le blanc ! x3 Mais qui l’a arrêté ? Mais qui nous a libérés ? C’est le toubabou ! x3 Mais qui est donc ce blanc ? C’est le blanc ! x2 Aux trois galons. Mais qui est ce toubabou ? C’est le toubabou ! x2 Aux trois galons. (p. 211-212) Quelles conclusions provisoires tirer de ces discours contradictoires ? Certainement qu’il est inutile de trancher, et que le seul constat qui s’impose est celui de la multiplicité des discours. Samori reste un personnage ambivalent, tour à tour héros et tyran, et les mémoires demeurent contrastées, tant à l’échelle internationale – puisque les témoignages maliens recueillis par Marie Rodet dans son documentaire, et Jan Jansen dans son ouvrage sur Bala Kanté constituent une tradition bien différente que celle de Conakry ou de Siguiri, que David Conrad a pu trouver – qu’à l’échelle nationale. Même en Guinée, en effet, la mémoire n’est pas unifiée, et les textes consacrés à Samori sont loin d’être aussi homogènes que pour Nehanda. Sékou Touré meurt en 1984, et la promotion de Samori n’a dès lors plus la même ampleur, ce qui laisse le champ libre pour d’autres mémoires, d’autres récits et d’autres visions de la fin du XIXe siècle, des États précoloniaux et de la conquête coloniale. Samori reste, dans tous les cas, une figure majeure, disponible pour les interprétations diverses, en fonction des contextes. Un exemple nous paraît tout à fait révélateur de la plasticité et de la souplesse de la figure de Samori. Dans les textes récoltés à Conakry dans le marché de Madina, nous avons pu trouver deux chants contradictoires sur Samori, 290 Kaba MAMADI, Anthologie de chants mandingues (Côte d’I oire Guinée, Mali), Paris, L’Harmattan, 1995. L’anthologie comporte par ailleurs d’autres chants de louange composés en l’honneur de Samori, et de son frère Keme Bourema, ce qui renforce notre hypothèse d’une figure double de Samori, remotivée selon les contextes et les mémoires. 158 chantés par les mêmes personnes : « Diamori », 26’19, à la gloire de Samori, chanté par Saramba Kouyaté, Sidiki Kouyaté (Siguiri, 2013), et « Famagan Traoré », 24’00, à la gloire des guerriers de Sikasso Keba qui ont lutté contre Samori, chanté par Saramba Kouyaté, Sidiki Kouyaté, Laso Dumbuya (Siguiri, 2013). Comment expliquer ce revirement effectué à petite échelle, puisqu’il s’agit des mêmes chanteurs, dans la même ville, à la même époque ? (Chœur) Toi, le marabout, ceux qui veulent t’affronter ne te connaissent pas Toi qui as tout fait pour les hommes Toi qui as tout fait pour leur union, Toi qui as tout fait pour agrandir ton territoire Nous, nous ne pouvons que te saluer, et te remercier du temps que tu as pris pour nous, les Africains. (Chanteur) Eh toi le sorcier, si ce n’est pas la mort, ce sont les Blancs qui savent qui tu étais, ils savent si ce que l’on dit de toi est vrai ou faux, mais le monde parlera de toi ! Le monde parle de toi encore aujourd’hui ! Nous, les Mandénka de Siguiri, nous chanterons toujours ton nom ! (« Diamori ») Viens parler maintenant des chefs guerriers de Sikasso Keba pour que le monde sache que, dans la lutte entre Samori Touré et Sikasso Keba, les sofas de Sikasso Keba ne se sont pas laissés faire, alors que tout le monde parle seulement des sofas de Samori. Viens, viens, le maître des génies, les Traoré, viens, relève ta tête, vous avez gagné la bataille, c’est ce que les autres refusent de dire, mais nous, nous le allons dire. (« Famagan Traoré ») La première chanson s’adresse à Samori : « toi, le marabout » dont l’apostrophe constitue le titre de la chanson, en malinké, Diamori. L’instruction coranique de Samori est le principal objet de la louange. « Nous » renvoie à l’ensemble du groupe, et la dernière proposition de l’extrait, « nous chanterons toujours ton nom ! », semble incompossible avec le texte suivant, où la légitimité des mêmes artistes se crée dans leur capacité à révéler ce qui est normalement tu dans la région, à savoir la défaite de Samori Touré, et la victoire de Sikasso Keba. Dans le second cas, nous avons des informations sur le commanditaire du chant, il s’agit d’un Traoré (qui est donc un descendant des guerriers de Sikasso Keba), présent lors de l’enregistrement ou de la récitation, ce qui explique le choix de l’épisode pour la louange. Loin d’être un revirement qui prouverait la duplicité des chanteurs, il nous semble simplement que Samori est devenu une figure qui se prête à des lectures contradictoires, et que le marché de la vente de chansons, sur 159 cassette, CD, DVD, clés USB, dans les grands marchés des agglomérations de Guinée est suffisamment vaste pour permettre des interprétations contradictoires, en fonction des ancêtres et des familles de chacun. Les chanteurs savent pertinemment que leurs chants sont enregistrés et revendus. Ils ne sont pas dépendants d’une seule famille pour survivre et s’adaptent aux besoins et aux demandes des acheteurs : Samori devient le héros et l’ennemi en fonction des besoins. Pour nous, il n’y aurait pas à proprement parler d’épopée puisque l’axiologie n’en est pas fixe, mais Samori serait devenu une figure que le public et les artistes sont libres de réutiliser en fonction des circonstances, dont on connaît la trame narrative générale (l’importance de son frère cadet Keme Bourema, le siège qu’il a fait à Sikasso, sa lutte contre les Français, ses débuts comme marchand et son ascension foudroyante avec l’aide ou non de génies, les prises de Kankan et Kong, sa culture coranique…), que l’on peut manipuler à sa guise : la prise de Kong peut signifier à la fois la puissance guerrière de Samori, son talent de stratège, mais également la destruction d’une ville sainte, paroxysme de l’hérésie. Il nous semble que cette hypothèse est vraie pour l’ensemble du corpus sur Samori dans la période contemporaine, à l’échelle internationale, nationale et locale, mais la possibilité de mettre en parallèle ces deux textes des chanteurs de Siguiri, collectés au marché de Madina, nous en apporte une preuve particulièrement signifiante dans l’extrême contemporain. Nous pourrions pousser encore quelque peu la réflexion, et considérer que, pour certains auteurs, Samori devient un motif poétique, – utilisable précisément parce qu’il est connu de tous et que le personnage n’a pas à être présenté, mais éminemment modelable, adaptable aux besoins du récit –, avec lequel il est possible de jouer, et dont on peut redéfinir les contours. Comme Nehanda pour Yvonne Vera, Samori devient une figure à investir pour Ahmadou Kourouma. Samori a fasciné Kourouma, et la preuve en est un article291 paru vingt ans après Monnè, où Kourouma revient sur ce personnage qui l’avait tant frappé, et qu’il avait présenté de manière si énigmatique dans son roman. Nous nous permettons de revenir rapidement sur ce texte ultérieur, qui illustre le rapport à 291 Ahmadou KOUROUMA, « Les derniers jours de Samory, Le Capitaine Gouraud, vainqueur du « Napoléon des savanes » 1898 », p. 140-151, in Pierre FOURNIÉ, Aventuriers du monde : Les grands explorateurs français au temps des premiers photographes! : 1866-1914, Paris, L’Iconoclaste, 2003. Malgré le titre du chapitre, c’est bien l’ensemble de la vie de Samory qui est retracée, en étant toutefois téléologiquement orientée vers sa capture, pour laquelle la source principale en est le récit donné par Gouraud, et dans les archives coloniales, et dans ses écrits. Julie d’ANDURAIN, dans son ouvrage La Capture de Samory (1898), L’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest, Paris, Éditions SOTECA, 2012, utilise des sources jusque là restées inédites sur le Capitaine Gouraud, et que notamment Yves PERSON n’avait pas pu traiter dans sa somme (Samori, Une révolution Dyula, op. cit.). 160 la fois poétique et magnétique292 de l’auteur avec son personnage. Il s’agit d’un texte de commande, qui s’inscrit dans un volume consacré aux « explorateurs » et aventuriers français à travers le monde, richement illustré, à l’intérieur duquel Kourouma se plaît à relater et condenser les grands traits de la légende293 de Samori, dans ce qu’elle a de plus figé et de plus doxique, pour faire ressortir le merveilleux294 de celui qui incarne ici le « grand adversaire » des colons. L’auteur énumère les attributs les plus connus du récit, son enfance où déjà, il était chef de bande, sa carrière de dioula, sa formation militaire chez les Cissé, son ascension fulgurante, le siège de Sikasso, avec parfois quelques incohérences295. Au discours indirect libre et avec un « on » impersonnel, la fin de l’article contraste avec le reste du récit, et le lecteur comprend peu à peu que le narrateur a en réalité opté pour le point de vue de Gouraud, en suivant son journal de marche. Sans réellement l’affirmer, en restant à un niveau inconscient du texte, c’est donc bel et bien le point de vue des colonnes françaises qui est adopté pour mettre en scène la capture de Samory. Les très riches illustrations (tirées de l’album de Lartigue296) et les dernières lignes confirment ce parti pris, relégué dans le non-dit du texte : « ainsi fut vaincu, par la ruse et non par le combat, le « Napoléon des savanes ». […] Ses restes, telle la dépouille d’un héros, seront transférés et inhumés en Guinée par le président Sékou Touré. Dictateur du pays de 1958 à 1984, Sékou Touré était vraisemblablement l’un des arrière-petits-fils du grand résistant Samory » (p. 151) La confirmation de la filiation symbolique avec Sékou Touré, l’apologie de Gouraud, la citation du surnom colonial « Napoléon des savanes », la qualification de « résistant » : 292 Voir la légende de son portrait (portrait que nous reproduisons d’ailleurs en annexe (p. 804), et qui a eu un très grand succès, en devenant l’illustration de disques (p. 818), vinyles, romans…) révélant bien cette fascination : « Altier, les traits durs, le regard mobile, Samory est un grand chef de guerre. Son allure affable contraste avec la ruse et le sens diabolique de certaines de ses manœuvres. Sur la rive droite du Niger, il a réussi à lever jusqu’à vingt mille hommes. À son apogée en 1890, son empire mandingue couvre trois cent mille kilomètres carrés, et pendant huit ans (sic) il sera la hantise des Français » (p. 141). 293 Voir par exemple (nous soulignons) : « Et selon la légende, après sept ans, sept mois, et sept jours, il s’enfuit de chez les Cissé et entra dans l’armée des Bérété » ; « On dit que Samory sait se faire accueillir dans les villages » (Ahmadou KOUROUMA, art. cit., p. 141). Sur la légende, et plus généralement la tradition orale chez Ahmadou Kourouma, voir Lobna MESTAOUI, Tradition orale et esthétique romanesque aux sources de l’imaginaire de Kourouma, Paris, L’Harmattan, 2012. 294 (Nous soulignons) « Les villageois sont émerveillés par tant d’hommes, tant d’armes et tant de poudre », et par là même, l’auteur également, ainsi que le « lecteur implicite » (p. 141). 295 Principalement, Kourouma suggère que son personnage était sur le point de faire fortune lorsqu’il a été contraint de s’engager comme sofa chez les Cissé, ce qui est inexact, les capacités marchandes de Samori n’ayant jamais été prouvées, bien au contraire ; et l’auteur rend également le siège de Sikasso responsable de la chute de l’empire mandingue, ce qui est également sujet à caution, mais qui correspond en réalité à une tradition de la part d’intellectuels d’Afrique de l’Ouest d’explication de la colonisation par la désunion des chefs noirs. Nous reviendrons dans la Deuxième partie sur cette topique. 296 Conservé au Fort de Vincennes, GR2K194 Album photo « Prise de Samory ». 166 photos, 1898, prises par Gouraud. Album ayant appartenu à de Lartigue. Voir les reproductions en annexes, p. 807-809. 161 tous ces éléments viennent clôturer le texte en illustrant les capacités évocatrices conférées au nom même de « Samory » pour Ahmadou Kourouma. Certes, Samori n’est pas le personnage principal de Monnè puisque le roman, que nous avons pourtant choisi d’inscrire dans notre corpus, est avant tout centré sur Djigui Keita, le roi de Soba, et sur son griot, et Kindia Mory Diabaté, qui était auparavant griot au service de Samori. Pour autant, il est une figure incontournable de toute la première partie du récit, et il devient par la suite un référent à partir duquel, ou en contrepoint duquel, les autres personnages reviennent se définir régulièrement. La narration, comme souvent chez Ahmadou Kourouma, laisse entendre un enchevêtrement de voix et permet plusieurs niveaux de lecture : le statut et les cibles de l’ironie en deviennent parfois incertains. Or, ce qui nous a frappé dans l’étude du personnage de Samori, c’est qu’il semble échapper pour une part à cette indécision permanente de l’ironie, du second degré, du ridicule parfois, du décalage de focalisations, qui touchent les personnages principaux des romans d’Ahmadou Kourouma. De manière tout à fait étonnante, Samori semble être pris au premier degré. Il est celui qui a réellement résisté aux Blancs, et qui a livré bataille, ce que Djigui ne fera pas, tant la prise de possession de Soba aura été rapide. Lorsque les deux personnages se rencontrent, c’est Samori qui mène le dialogue : — Cessez donc de vous dire comme un griot. Tout le Mandingue sait votre foi et votre courage et vous connaît. On m’a d’ailleurs rapporté que vous êtes arrivé en tête de la colonne. Dîtes-moi Keita, comment, sans guide, avez-vous pu marcher jusqu’à moi dans ce vaste Mandingue ? — J’ai été guidé par le sens des vols des charognards et celui des marches des hyènes. Tout convergeait vers vous, vous l’Almamy. — C’est possible, les derniers jours ont été difficiles ; mes sofas ont beaucoup combattu. Nous n’absolvons plus ceux qui refusent le combat contre les Nazaréens. […] Nous aurons la paix quand nous repousserons les « Nazaras » de la Négritie. Nous les repousserons quand nous saurons tout refuser, tout sacrifier. (p. 26-27) Samori reprend Djigui qui avait cité ses ancêtres comme preuve de son courage, en lui faisant comprendre qu’il s’abaisse en se vantant lui-même, sans l’intermédiaire d’un griot. La mention des vautours est une manière de souligner la force de Samori, puisque l’air du vautour, le duga, est le principal chant de louange que l’on peut adresser à un guerrier, le vautour étant l’animal des champs de batailles. Samori expose son projet de défense de l’ensemble de la région, « la Négritie », emportant avec lui l’ensemble des chefs, mais Djigui fera partie de ceux qui refuseront de le suivre. Aussi Kindia Mory Diabaté ne pourra que déplorer, effondré : « Avec la fin de Samory a fini la vaillance, 162 donc la grioterie » (p. 43). Les griots ne sont plus d’aucune utilité s’il n’y a pas de hautfaits à réciter. Contrairement à Djigui donc, pour lequel le lecteur hésite entre le rire et l’admiration, puisque toutes les interprétations, burlesques, élogieuses, lyriques, tragiques sont proposées tour à tour, contrairement au personnage principal, Samori incarne le guerrier, impitoyable, certes, mais dont la détermination ne faillit pas. L’antithèse de Djigui, plein de velléités contradictoires, empli de bonnes intentions, mais sans aucune capacité d’interférence sur le réel, à l’efficacité pragmatique quasiment nulle, qui conserve pourtant l’attachement du lecteur. Le personnage de Samory serait peut être comme une ombre inversée du personnage de Djigui, une proposition romanesque d’un chef possible, que le récit ne suit toutefois pas, mais qui revient par références régulières rappeler ce que Djigui n’est pas. Et pourtant, le personnage de Samori est à une occasion au moins interrogé par le narrateur. Après l’entrevue avec Samori, Djigui se retire : Sur le chemin du retour, trois nuits successivement, Djigui fut réveillé par le même cauchemar. Il était l’Almamy, un homme seul, assis dans sa peau de prière, qui, chaque après-midi, obsédé par la crainte que le soleil du jour refusât de se coucher sur le Mandingue, ne réussissait à s’adresser au Tout-Puissant que protégé contre les hyènes et les charognards par des sofas cruels qui allumaient d’innombrables incendies et coupaient de nombreuses têtes. C’est un rêve qui toute la vie lui reviendrait chaque fois qu’il se souviendrait de l’Almamy. Les devins avaient expliqué qu’il signifiait que l’Afrique, un jour, ne verrait pas, pendant d’innombrables saisons, de nuit tomber; parce que des larmes des déshérités et des désespérés ne peuvent être assez abondantes pour créer un fleuve ni leur cris de douleurs assez perçants pour éteindre des incendies. (p. 27-28) Le cauchemar de Djigui reprend les éléments de la louange – les charognards – pour en inverser la signification ; de même pour les sofas qui deviennent, non plus des résistants à la colonisation, mais des bêtes féroces, dont les « incendies », répété deux fois, provoquent des cataclysmes impossibles à maîtriser. La seconde lecture du personnage, suggérée seulement par ce rêve de Djigui, propose une autre vision de la résistance de Samori, où le crime et la solitude renversent totalement la première lecture. Alors que c’est l’ironie qui vient interroger le personnage de Djigui, et donner par allusions des lectures parallèles, c’est ici l’inquiétude, explicite, qui vient mesurer le personnage de Samori. Le grand homme est à la fois magnifié et détesté, mais dans les deux cas, il est fascinant, puisque Djigui lui-même, avant nous, lecteurs, ne peut se défaire de cette image de Samori. Tout au long du roman, Samori incarne donc cette ambivalence, et Ahmadou Kourouma joue avec les contours de son personnage. Nous avions décelé cette possibilité de réappropriations diverses pour d’autres textes, mais la 163 période contemporaine offre une plus grande liberté dans la maniement de la figure, et Ahmadou Kourouma en est l’illustration. *** Il y a donc une diversité de lectures dans la dernière époque de cette étude, si nous retrouvons une focale plus large, mais à des degrés divers : Samori est marqué par l’ambivalence et la multiplicité des réécritures; Sarraounia est réhabilitée par l’État, canalisant ce qui avait été pensé comme une petite machine de guerre par Abdoulaye Mamani; et Nehanda est beaucoup plus homogène, le discours étant contrôlé et cadenassé par les institutions. Nous avons essayé de donner un aperçu graphique de cette analyse (voir les graphes, infra), en choisissant uniquement des œuvres représentatives où les figures sont des personnages principaux. Certains courts textes, comme le poème sur Nehanda dans Feso, ont été pris en compte au même titre que des romans, tant ils ont été importants dans la création et l’émergence des figures. Nous avons également sélectionné dans les chants (du corpus de la RTG, et des Chimurenga songs) ceux qui utilisaient nos trois figures comme personnage majeur. Ces graphiques masquent bien sûr de nombreuses disproportions (Nehanda d’Yvonne Vera y a la même place que le roman de Samupindi), mais ils ne prétendent absolument pas se substituer aux analyses que nous venons de fournir. Ils illustrent simplement le pic de réécritures qui a lieu dans le moment « nationaliste », de l’indépendance ou de la lutte pour l’indépendance, pour Samori et Nehanda, avec un décalage d’une dizaine d’années pour Sarraounia. En outre, ils permettent de signaler un second pic, pour Sarraounia et Samori, que nous n’avions pas perçu de prime abord, et que nous tenterons d’expliquer ultérieurement, notamment par les opportunités ouvertes à la création par les nouvelles technologies. 164 Fréquence des réécritures de Samori '#" Oeuvres '!" &" %" $" #" !" Fréquence des réécritures de Sarraounia '#" Oeuvres '!" &" %" $" #" !" Fréquence des réécritures de Nehanda '#" Oeuvres '!" &" %" $" #" !" 165 Chronologie des œuvres pour Samori, Sarraounia, Nehanda 166 1914 Mallam Abu Samori and Babatu 1915 Mémorial de Kélétigui Berté 1910-1920 2013 Diamori 2013 Famagan Traoré 2010-2015 Orchestre Akazama de Doutchi 2014 La Colonne tome 2 2001. The First Ones. Nehanda and Chaminuka 2004 Moati Capitaines des ténèbres 2005 Ballet des 5èmes Jeux de la Francophonie 2005 Hamdane Sarraounia 2006 Entretiens avec Bala Kanté 2008 Samori Tariku, M’Faly Franwalia Kamissoko 20000-2010 1990 Mutswairo Mweya waNehanda 1990 The Trial of Mbuya Nehanda Chimurenga songs : « Maruza Vapambepfumi » « Mudzimu woye » « Tochema kuZANU » « Shingisa Mwoyo » « ZANU chete » « Zimbabwe tine urombo » « Nehondo » « Torai hama » 1972 An Ill-Fated People 1974 Zimbabwe Prose and poetry Chimurenga songs : « Mbuya Nehanda » « Guard over us » « Take up arms and fight » « Shinga Comrade » « Totochema Nevakafa » « Zimbabwe nyika yatinoda » « Tinofa Tichirenda » « Mbuya Nehanda (2) » 1994 Nehanda Vera 1988 Une hyène à jeun 1990 Monnè 1980-1990 1980 Mamani Sarraounia 1986 Les Traditions de Birni Lokoyo 1986 Sarraounia Ballet lyrique 1986 Hondo Sarraounia 1976 Le Grand Capitaine 1957 Feso 1990-2000 1971 Balla et ses baladins « Keme Bourema » 1972 Une si belle leçon… 1973 Le Fils de l’Almany 1973 Sori Kandia Kouyaté « Keme Bourema » 1973. Samori Warrior King 1975 Les Sofas 1975 Ensemble Voix de la Révolution : Épopée du PDG/ du Manding 1978 Bafing Jazz « Hommage à nos héros » 1978 Tropical Djoliba Jazz « L’Afrique vaincra » 1979 La geste des Jakite Sabashi 1980 Djeli Cira Cissoko « Keme Bourema » 1968 Bembeya Jazz National Regard sur le passé 1968 Bembeya « Almami Mamaren » 1968 Orchestre de la garde républicaine 1968 [Bembeya Jazz] Ministère de la Culture Regard sur le passé 1970 Niandan Jazz « Samory » 1960-1970 1970-1980 1955 Djiguiba Camara Histoire locale 1950-1960 1940-1950 1930-1940 1920-1930 1901 Kouroubari Histoire de Samori en Mandé 1900-1910 *** Au terme de ce premier parcours des œuvres, sur plus de cents ans, la démarche comparatiste nous a permis de confirmer notre hypothèse de départ : qu’il y a une véritable pertinence de la mise en relation de trois figures, dont les différences paraissaient de prime abord constituer un écueil, en ce qu’elles suivent le même parcours au fil de leurs réactualisations, si l’on accepte de considérer une très large échelle. Affronter le silence des sources, dans certains cas, réévaluer la déception de ne pas trouver de documents, nous a aidée à mieux prouver, par le vide, le rôle fondamental des élites dans la construction des figures au moment des Indépendances. Ces élites culturelles, politiques et sociales n’ont certes pas le monopole de la représentation, ce qui serait revenir sur nos affirmations préliminaires, mais elles ont donné l’impulsion nécessaire à l’émergence des trois figures. Notre thèse repose sur l’idée que l’Afrique est un formidable laboratoire d’observation de création de figures identitaires, puisque le XXe siècle a constitué une période de forte agitation politique, engendrant de nombreuses recompositions politiques et culturelles, et donc une forte demande de héros également. Ce temps très neuf de la formation de héros culturels nous permet d’étudier leur naissance et leur développement de manière privilégiée, puisque les œuvres et les acteurs sont extrêmement récents. Nehanda, Sarraounia et Samori, de trois manières différentes, appartiennent à ce large mouvement. Enfin, comme nos séjours de recherche l’indiquent, notre approche a été globalement urbaine : il nous semble, en effet, que la ville est le lieu de production du savoir et de la fiction, qu’elle est un lieu de concentration institutionnelle et de diffusion de l’information par les médias, enfin qu’elle est un lieu de création artistique caractérisé par le foisonnement des discours, et souvent d’influences hybrides qui complexifient et densifient les images des figures. Il nous faut donc revenir en détail sur ces lieux de production ancrés dans la ville, sur ces acteurs, sur ces producteurs, et sur leur relation au pouvoir. 167 168 Chapitre 2 La fabrique des héros Comment produit-on un héros culturel ? Quelles sont les causes de son succès et de sa fabrique297 ? À quelles conditions et avec quels relais ? Quels sont les acteurs sociaux impliqués et comment s’insèrent-ils dans des réseaux de diffusion ? Sont-ils structurés par le pouvoir politique ou fonctionnent-ils en marge de l’« appareil d’État » ? C’est à ce faisceau de questions que nous nous intéresserons ici. Il s’agit de dresser l’archéologie de la formation du héros et, ce faisant, d’analyser la place des acteurs298 dans le champ culturel. Comment le champ littéraire, dont nous reprenons 297 Nous empruntons le titre de cette partie à l’ouvrage suivant : Pierre CENTLIVRES, Daniel FABRE, Françoise ZONABEND, La Fabrique des héros, Ethnologie de la France, Paris, Édition de la Maison des Sciences de l’Homme, 1999. Si la notion de « fabrique » est commode pour analyser les constructions de mythologies au sens large, en ayant joui d’une grande popularité (citons entre autres ouvrages, Lise GAUVIN, La Fabrique de la langue : de François Rabelais à Réjean Ducharme, Paris, Le Seuil, 2004), la notion reste néanmoins problématique puisqu’elle suppose un unique « fabricateur ». Tout en utilisant ce titre évocateur, nous voudrions souligner ici que nos figures ont la particularité d’être le produit de croisements mal (peu) déterminés, et donc d’être caractérisées par des « multiplicités fabricantes » pourrait-on dire : quelque chose se fabrique, à l’intersection de rumeurs et de textes, sans qu’il soit possible ni même souhaitable de remonter à un « fabricant » originel autant qu’unique. 298 Dans la lignée des travaux de Daouda GARY-TOUNKARA, Didier NATIVEL (dir.), L’Afrique des savoirs au Sud du Sahara, XVIe-XXIe siècle : Acteurs, supports, pratiques, Paris, Karthala, 2012 et Nathalie KOUAMÉ, Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Éric MEYER, et al., Historiographies d’ailleurs comment écriton l’histoire en dehors du monde occidental, Paris, Karthala, 2014. Ce chapitre sur « La fabrique des héros », qui éclaire plusieurs types d’acteurs, sert de matrice à la rédaction de fiches que nous sommes en train de constituer pour le projet « Encyclopédie des Historiographies non occidentales », dirigé également par Didier Nativel ainsi que Catherine Cocquery-Vidrovitch pour la partie africaine. 169 provisoirement la définition de Pierre Bourdieu,299 si féconde dans la critique littéraire à l’espace des médias, de la radio, des journaux, du théâtre, des festivals, entre-t-il en relation avec le pouvoir ? Quelle est sa capacité de subversion, ou au contraire, de conservatisme ? La particularité de nos héros culturels est qu’ils ont été tout à la fois fondés dans la résistance, en tant que héros subalternes, porteurs d’une contre-histoire qu’il s’agit d’élaborer, et dans l’ultra-institutionnel des nouveaux États. C’est pourquoi nous choisissons, dans ce chapitre, de ne traiter que des élites culturelles et politiques qui ont le plus participé à l’émergence des héros, en laissant de côté provisoirement les élites administratives françaises, les administrateurs coloniaux, qui ont joué un rôle moins clairement identifiable que leurs correspondantes africaines, des années 1900 jusqu’aux Indépendances pour la partie militante, au-delà pour les phénomènes d’institutionnalisation et de folklorisation des héros. Nous ne sommes pas en mesure de fournir une enquête sociologique dans cette partie, puisque notre objet reste avant tout littéraire. Nous pouvons néanmoins définir les acteurs et les producteurs de notre corpus, et un certain type de « champ » dans lequel ils s’inscrivent, entendu non pas comme le campus, l’espace clos, mais dans son sens physique, d’une zone où des forces magnétiques s’exercent, autrement dit d’une zone de relations où chaque point influe sur tous les autres. Reprenons comme point de départ la définition qu’en donne Bourdieu : Le champ littéraire est un champ de forces agissant sur tous ceux qui y entrent, et de manière différentielle selon la position qu’ils y occupent, […] en même temps qu’un champ de luttes de concurrences qui tendent à conserver ou à transformer ce champ de forces300. 299 Pierre BOURDIEU, Les Règles de l’art : Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil, 1992 ; pour une définition plus concise du champ littéraire, Pierre BOURDIEU, « Le champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, 89 (1991), p. 3‑46 ; pour une analyse de la notion d’ « espace des possibles » et un prolongement littéraire de la réflexion de Bourdieu, voir Marielle MACÉ, « "La valeur a goût de temps", Bourdieu historien des possibles littéraires », LHT Fabula (2005/0). Voir aussi sur le champ et son rapport à la théorie, deux articles de François PROVENZANO, « La consécration par la théorie » [en ligne], Contextes, 7 (2010/Approches de la consécration en littérature), disponible sur <revues.org> (consulté le 19 juillet 2016), et « Un discours sur le champ, l’historiographie littéraire » [en ligne], Contextes 1 (2006/Le discours en contexte), disponible sur <revues.org> (consulté le 19 juillet 2016). 300 Pierre BOURDIEU, « Le champ littéraire », art. cit. Pour une application de la notion de champ à l’ère francophone, voir l’ouvrage de Romuald-Blaise FONKOUA, Pierre HALEN, Katharina STÄDTLER (dir.), Les Champs littéraires africains, Paris, Karthala, 2001, et le chapitre Paul ARON, « Le fait littéraire francophone », p. 39‑55, dans le même ouvrage ; Pierre HALEN, « Le système littéraire francophone: quelques réflexions complémentaires », in Lieven DHULST, Jean-Marc MOURA (dir.), Les Études littéraires francophones : État des lieux, vol. 3, Lille, Université de Lille, 2003, p. 25‑33 ; discutant Bernard MOURALIS, « Pertinence de la notion de champ littéraire en littérature africaine », in Romuald FONKOUA, Pierre HALEN (dir.), Les champs littéraires africains, op. cit., 170 Or, la spécificité de notre objet, la figure, est que l’autonomie ou l’hétéronomie du champ littéraire par rapport au champ du pouvoir, et à l’espace social plus largement, est bien différente selon les moments de notre étude, et qu’ils sont à envisager en interrelation tout au long du siècle : le Samori issu de la politique culturelle de Sékou Touré ne fait pas jouer les mêmes relations entre la littérature et la loi (la norme), que la Sarraounia subversive d’Abdoulaye Mamani ; selon les acteurs et les époques, nos figures investissent donc tout le spectre du champ de production. Il y a un curseur entre autonomie et hétéronomie du champ chez Bourdieu, que notre corpus fait vaciller : précisément parce que nous avons choisi d’intégrer de l’hétéronome dans l’étude, c’est-àdire des textes non validés par les institutions littéraires, nous portons la focale sur les rapports entre le champ et le hors-champ. Dès lors, nous abordons la vie littéraire d’une autre manière que celle envisagée par Bourdieu : nos figures illustrent la façon dont le champ littéraire et institutionnel est traversé par des forces (des figures), qui viennent bouleverser les cadres de ce champ, en introduisant de la fascination, du danger peut-être, de la subversion, sûrement. Le « champ » est alors emporté par un dynamisme venu de l’extérieur de l’institution, et qui le transcende. Puisqu’il s’agit de forces en mouvement, nous avons donc pris le parti de présenter les acteurs de la « fabrique de héros » en fonction du type de rapport qu’ils entretiennent avec le pouvoir – et c’est le plan que nous suivrons dans ce chapitre –, de la résistance de la littérature « subalterne »301 à la production culturelle encadrée par l’État, en réservant une section spécifique aux intellectuels panafricains, qui adoptent un type de relation particulier au pouvoir et à l’espace social, perçu comme transnational302. Ce que nos figures ont de spécifique, c’est leur capacité à basculer d’un certain type d’autonomie par rapport au pouvoir, en tous cas de résistance, à l’hétéronomie absolue, en devenant « canonisées », institutionnalisées, manipulées par le pouvoir. Et ce processus, que l’on p. 59‑71. Les champs de forces se compliquent avec l’intégration de la littérature orale, selon Jean DERIVE, « “Champ littéraire” et oralité africaine! : problématique », dans le même ouvrage, p. 87‑111. Pour un contrepoint, voir l’introduction « Écrits hors-champ » de Mélanie BOURLET et Aïssatou MBODJ-POUYE, Journal des africanistes, 2013 (1), p. 7-13, où cette notion est traitée sous un autre angle d’attaque. 301 L’ouvrage COLLECTIF WRITE BACK, Postcolonial Studies : Modes d’emploi, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2013, rend compte de la diversité de ces modes de relations de la littérature subalterne, des ÉtatsUnis, à l’Australie, en passant par le Moyen-Orient d’un Saïd ou les Antilles de Marie Celat. En s’attachant à décrire ces relations de subalternité, les différents articles de l’ouvrage permettent de décrire les différents types de relation, de confrontation, d’adaptation que la littérature et les arts entretiennent avec le pouvoir. 302 En cela, ils sont bénéficiaires de mobilités importantes, à l’échelle du continent et même à l’échelle mondiale, selon les mêmes modalités que les réseaux anarchistes par exemple, tels qu’ils sont décrits par Benedict ANDERSON, Les Bannières des la révolte : Anarchisme, littérature, et imaginaire anticolonial : La naissance d’une autre mondialisation, Paris, La Découverte, 2009. 171 peut situer au moment des indépendances, mais dont les ramifications débordent largement cette période, investit parfois les mêmes acteurs : un écrivain comme Solomon Mutswairo est censuré par la Rhodésie pour être ensuite porté aux nues par le jeune régime de Robert Mugabe303. Des musiciens, des chanteurs, des écrivains, mais aussi des historiens, des cinéastes, des hommes politiques, tous ont participé à la « fabrique » des héros que nous étudions. Élites culturelles, élites politiques, élites sociales : le terme recouvre une réalité multiple, mais elles sont dans tous les cas dotées de prestige, d’une influence symbolique, économique ou politique sur la société, suivant le sens étymologique de la minorité choisie304. Les acteurs sont tendus entre le pouvoir, l’œuvre et la rumeur collective. Les élites n’ont en effet pas l’exclusivité des interprétations des figures, mais elles ont grandement contribué à les faire émerger comme figures fondatrices, nourries en amont de l’intertexte des légendes, et en aval des réceptions et des réutilisations populaires. Nous analyserons donc le rapport qu’elles entretiennent avec le pouvoir politique, cellesci pouvant faire valoir la dimension militante de leurs discours, dans une visée subversive305, ou devenir au contraire un pion du pouvoir, au sein d’une large chaîne où l’œuvre devient relais de son exercice306. Plutôt que de dresser une liste des élites ayant concouru à la « fabrique » des héros, en fonction de leurs stratégies de carrière ou de leurs fonctions sociales, nous proposons une typologie de leurs positions, puisque certains acteurs ont pu en avoir plusieurs, ce qui a l’avantage de suivre également les usages des figures qui évoluent en fonction de ces positions décrites. Nous sommes convaincue que la figure n’est pas en soi nationale ni en soi subversive, mais qu’elle vit dans les usages et les pratiques, en fonction des acteurs qui les réinvestissent, et des positions que ceux-ci occupent dans un champ de relations. Nous sommes consciente des difficultés que pose la notion d’élite (sociale, culturelle, intellectuelle, politique ou économique), d’autant plus que nos trois figures sont toutes affiliées à un moment donné, de près ou de loin, à une idéologie de type 303 En 1990, sa proposition gagne le concours pour les paroles de l’hymne national. Élite vient de l’ancien français a vostre eslite, « à votre choix », puis « ce qu’il y a de meilleur », du latin eligere, « choisir ». (TLFI) 305 Edward W. SAID, Paul CHEMLA, Dominique EDDÉ, Des intellectuels et du pouvoir, Paris, Le Seuil, 1996, revendique l’engagement de tout intellectuel dans les luttes de son temps ; notamment, pour l’auteur, le conflit israélo-palestinien. 306 Nous entendons le pouvoir comme une relation entre deux personnes, toujours en mouvement, au sein d’un rapport pouvoir – désir – intérêt, selon la définition présentée dans « Les intellectuels et le pouvoir », entretien entre Michel FOUCAULT et Gilles DELEUZE, dans Michel FOUCAULT, Dits et écrits 3, Paris, Gallimard, 1994. 304 172 socialiste (le Sawaba de Djibo Bakary au Niger, la guérilla des ZANU-ZAPU au Zimbabwe, le PDG de Sékou Touré en Guinée), dont le discours repose sur une analogie producteur du texte – peuple – parti307. Puisque le parti reflète les aspirations du peuple, les acteurs et les producteurs des textes ne sont que l’incarnation ou l’émanation de la voix du peuple : par un effet de ventriloquie, l’acteur de la fabrique du héros est parlé par le peuple. Dans cette optique, il est inconcevable de parler d’« élite » et les pactes de lecture de nos corpus s’efforcent d’ancrer leur légitimité dans « le peuple africain », « le peuple noir », « la tradition des ancêtres »… Néanmoins, il nous semble qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une figure de style (consciente ou inconsciente) dont le but est de fonder l’autorité auctoriale des producteurs (symboliquement, politiquement, culturellement). Mais ce n’est qu’un trope qui déplace le lieu de production des œuvres : l’homme politique Sékou Touré ne peut pas être considéré comme le simple porte-voix neutre et objectif de la volonté du peuple guinéen. En rappelant cette évidence, il apparaît que l’ensemble des producteurs considérés affiche un ethos populaire308, mais relèvent tous en réalité d’une catégorie sociale, économique, culturelle, politique que nous pouvons définir comme celle de l’élite309 : ils sont tous éduqués – beaucoup sont passés par William Ponty par exemple –, ils ont tous une conscience politique forte – par le syndicalisme, la fréquentation des partis politiques ou la proximité avec les milieux journalistiques –, ils maîtrisent tous la langue de la métropole – l’anglais, le français –, ce qui leur permet de jouer le rôle de passeur310 (depuis le shona, le haoussa, le malinké) de 307 Bernard MOURALIS a analysé cette figure de style récurrente dans les poèmes de Sékou Touré, « Sékou Touré et l’écriture : un cas de scribomanie », L’Illusion de l’altérité : Études de littérature africaine, Paris, Champion, 2007. Pour une analyse plus globale de la rhétorique de Sékou Touré, voir aussi Alpha Ousmane BARRY, Pouvoir du discours & discours du pouvoir : L’art oratoire chez Sékou Touré de 1958 à 1984, Paris, L’Harmattan, 2002 (analyses du rôle du slogan, de l’image du peuple, notamment). 308 Il y a nécessairement une médiation, que nous nous attachons à décrire ici, entre les élites sur lesquelles nous avons travaillé, et un « peuple », quel qu’il soit, souvent mythifié (les subalternes ayant pour caractéristique majeure « de ne pouvoir parler » est-il entendu depuis le texte de Spivak de 1988). Néanmoins, il ne s’agit pas non plus d’un simple tour de passe-passe rhétorique, et il convient ici de nuancer cette connotation négative du « porte-parole » : certes, il existe des pactes de lecture fondés sur un ethos populaire travaillé à dessein, qui n’est certainement pas représentatif, mais pour autant, les auteurs que nous étudions travaillent une matière et des énoncés qui sont eux, « hors-position », en quelque sorte. Les auteurs s’appuient en effet sur des énoncés du peuple : les énonciations (les postures) sont situées, certes, mais elles s’adossent et s’attachent à des énoncés qui, eux, ne le sont pas. En ce sens, nous pourrions dire que les élites sont parlées par le peuple. Ou du moins, qu’il existe tout de même, par-delà ces pactes de lectures éminemment construits, une connexion entre ces élites et le peuple, si nous acceptons de dissocier énoncé et énonciation. La force des figures est de proposer des énoncés « hors-position », qui viennent bouleverser les catégories traditionnelles de champ littéraire et d’institutions. 309 Invisible ou visible, l’élite est « façonneur d’opinion » (p. 23), d’après la belle formule de Jean COPANS, « Intellectuels visibles, intellectuels invisibles », Politique africaine, 51 (1993), p. 7‑25. 310 À propos de ce rôle de passeur (qui transcende les oppositions binaires), entre les registres parfois, entre les langues (latin, français), entre les styles, entres les genres littéraires, entre les classes sociales, nous 173 la figure en lui fournissant une chambre d’échos inégalée jusque là. Parler au nom de, avoir la capacité de se saisir de la langue, utiliser la figure comme arme politique, c’est déjà faire montre d’une maîtrise du discours, et donc appartenir à l’élite. 1. ÉLITES EN RÉSISTANCE ET HÉROS DES SUBALTERNES Nehanda, Samori et Sarraounia ont émergé comme des figures subversives, d’abord et c’est une évidence, parce que ce sont des résistants à l’ordre colonial dominant, ensuite parce que les discours qui leur sont liés portaient des valeurs subversives. Notre hypothèse de départ, éprouvée au premier chapitre, est que ces figures, en tant que figures fondatrices et fascinantes pour la collectivité, ont pu émerger grâce à l’impulsion des élites. Karin Barber, précisément à propos des Chimurenga songs311 de notre corpus, décrit bien le lien qui unit dans ce cas les élites et le populaire, dans son ouvrage Readings in African Popular Culture312 : ces chants sont produits par les cadres de la guérilla, mais ils sont réappropriés par les paysans et les travailleurs qui les chantent, il y a un aller-retour à voir entre les producteurs, qui dépasse la bipartition traditionnelle élite/populaire313. Notre objet lui-même, à cheval sur cette distinction, nous amène à envisager des réseaux de productions larges, répondant en cela à l’appel de Johannes Fabian, pour qui il est nécessaire de lier ensemble plusieurs aspects des cultures urbaines étudiées d’habitude séparément314, que ce soit à cause de leurs différences médiatiques ou génériques. reprenons les passionnantes analyses de Robert DARNTON, L’Affaire des Quatorze. Poésie, police et réseaux de communication à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 2014, bien qu’elles traitent d’autres lieux et d’autres époques. 311 Karine BARBER introduit l’étude d’Alec J. C. PONGWENI « The Chimurenga Songs of the Zimbabwean War of Liberation », qui reprend son ouvrage, Alec J.C. PONGWENI, Songs that Won the Liberation War, Harare, College Press, 1982. 312 Karin BARBER (dir.), Readings in African Popular Culture, Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press, 1997. 313 Reprenant Roger CHARTIER, Karine BARBER, op. cit., rappelle les circulations fluides qui existent entre culture de l’élite et culture populaire, sans correspondance hiérarchique fixe entre chacune des deux selon les textes, l’une et l’autre s’empruntant en permanence des thèmes et des formes. 314 Johannes FABIAN, « Popular Culture in Africa. Findings and Conjectures », dans Karine BARBER, op. cit. Voir également son étude sur la peinture populaire, pour une application de cette démarche, qui interroge également les usages du passé : Johannes FABIAN, Remembering the Present. Painting and Popular History in Zaire, Berkeley, University of California Press, 1996. 174 Nehanda « découverte » par un jeune historien britannique, et réécritures ultérieures Le rôle des élites intellectuelles est particulièrement intéressant pour l’émergence de Nehanda, pendant la guerre de libération, où elles ont contribué à la formation d’une culture de résistance. Si Flora Veit-Wild, dans son importante étude Teachers, Preachers, Non-Believers, A Social History of Zimbabwean Literature315, conclut à l’absence d’une véritable contre-culture de ces années de lutte : Thus to speak of a “radical counter-culture” of which literature was part is more than misleading. It is a myth, the wishful thinking of romantic and patronising elements in the European third-world scene. Although in the ZANU and ZAPU camps during the war, programmes and plans for conscientisation in culture and education were developed, a cultural revolution did not take place. (p. 264) [Parler donc d’une « contreculture radicale » dont la littérature serait l’un des éléments est plus que trompeur. C’est un mythe, la douce illusion d’éléments romantiques et paternalistes pour la scène du tiers-monde européen. Quoique des programmes et des plans de conscientisation dans la culture et l’éducation furent développés dans les camps ZANU et ZAPU, une révolution culturelle n’a cependant pas eu lieu.] Il n’en reste pas moins que les écrivains, les historiens et les cadres des partis de la résistance ont prêté une très grande attention à la culture et à la littérature. Nous tenterons donc de définir leur rôle, en étant consciente des limites de leur action. L’un des premiers éléments de contexte à rappeler est certainement que nombre d’entre eux étaient en exil ou engagés dans le combat armé, ce qui a compliqué les échanges et l’émergence d’une idéologie nationaliste, comme le décrit Flora Veit-Wild, soulignant ainsi le rôle fondateur qu’a joué Terence Ranger : African intellectuals split into two groups – radical nationalists, such as Ndabaningi Sithole, Herbert Chitepo and Robert Mugabe, who took militant leadership of the struggle for liberation, and more moderate nationalists including Vambe, Samkange and Solomon Mutswairo, who went into exile to pursue their academic and literary career. […] To summarize the state of affairs after Ian Smith’s government declared UDI in 1965 : as the intellectual and literary elite had firmly supported the model of partnership and reformist nationalism, there was no radical ideology in place to back Zimbabwean nationalism when it entered its military phase. The ideological gap was filled, on the academic front, by a white historian, Terence Ranger, who was a young lecturer from Britain at the newly established University College of Rhodesia and Nyasaland (later University of Rhodesia) from 1956 to 1963. He was actively involved in the anti-colour-bar movement and in nationalist politics and was deported from Rhodesia in 1963. […] In Revolt in Southern Rhodesia 1896-7, published in 1967, he “discovered” the Shona and Ndebele 315 Flora VEIT-WILD, Teachers, Preachers, Non-Believers : A Social History of Zimbabwean Literature, op. cit. 175 rebellions of 1896-97 as the first Zimbabwean movement of national resistance. (p. 107-108) [Les intellectuels africains se scindèrent en deux groupes – les nationalistes radicaux, tels que Ndabaningi Sithole, Herbert Chitepo et Robert Mugabe, qui prirent la tête du combat pour la libération pour le versant militant, et les nationalistes plus modérés, incluant Vambe, Samkange et Solomon Mutswairo, qui s’exilèrent pour poursuivre leur carrière académique ou littéraire. […] Pour résumer l’état des lieux après que le gouvernement de Ian Smith a déclaré l’UDI [Déclaration Unilatérale d’Indépendance] en 1965 : comme l’élite intellectuelle et littéraire avait fermement soutenu le modèle de partenariat et de nationalisme réformiste, il n’y a avait pas d’idéologie radicale en place pour soutenir le nationalisme zimbabwéen lorsqu’il entra dans sa phase militaire. Le vide idéologique fut comblé, sur le plan académique, par un historien blanc, Terence Ranger, jeune professeur venu de Grande-Bretagne et enseignant à l’Université de Rhodésie et du Nyasaland alors fraichement établie (devenue ensuite l’Université de Rhodésie) de 1956 à 1963. Il a été activement impliqué dans la lutte contre la ségrégation et dans les mouvements nationalistes, et a été expulsé de Rhodésie en 1963. […] Dans Revolt in Southern Rhodesia 1896-7, publié en 1967, il « découvrit » les rébellions shona et ndbele de 1896-1897, en tant que premier mouvement zimbabwéen de résistance nationale.] Remarquons que la plupart des intellectuels cités ont écrit, de près ou de loin, au sujet de Nehanda, à la suite de la « découverte » de Terence Ranger, ou en amont pour Solomon Mutswairo : Herbert Chitepo (premier avocat noir du Zimbabwe) a écrit le poème « Sono risina Musora » qui la mentionne (édité ensuite dans Zimbabwe, Prose and Poetry, op. cit.), Robert Mugabe, s’il n’a pas écrit sur elle à notre connaissance, est régulièrement mentionné aux côtés de Nehanda dans les Chimurenga Songs, Lawrence Vambe (enseignant, journaliste) cite abondamment le rôle des médiums dans An Ill-Fated People, Stanlake Samkange (historien, journaliste) traite de la rébellion de manière détournée, mais mentionne tout de même Chaminuka à de nombreuses reprises dans Year of the Uprising 316 , et Nehanda dans les dernières scènes, et Solomon Mutswairo (professeur de littérature africaine), enfin, a eu un succès remarquable avec le poème qui lui est dédié dans Feso, puis dans les nombreuses allusions de Zimbabwe, prose and poetry, et dans son roman en shona qui lui est consacré, Mweya waNehanda. Nous pourrions donc dire que Nehanda a accompagné une grande partie de ces intellectuels, qu’ils soient dans la lutte armée, ou à l’étranger, dans la création du nationalisme zimbabwéen. Terence Ranger occupe une place exceptionnelle dans ce processus, en fournissant l’argument qui nourrira tous les textes de propagande ultérieurs : il y a un lien entre ce qui n’était pas encore la « première » Chimurenga – les rébellions Shona et 316 Stanlake John Thompson SAMKANGE, Year of the Uprising, Londres, Heinemann, 1978. 176 Ndebele de la fin du XXe siècle – et la « seconde » Chimurenga – qui ne portait pas encore ce nom –, le Liberation Struggle, mené par les partis ZANU et ZAPU. Ce faisant, Terence Ranger donne des preuves d’une conscience nationale, qui se serait construite sur le siècle, où la lutte contre l’oppression blanche se joue dans les mêmes termes en 1896 et dans les années 1960. Nehanda et Kaguvi sont alors conçus comme les pionniers du Liberation Struggle, et les ancêtres de la nation zimbabwéenne, contre l’État rhodésien. Ils ont valeur d’illustration. C’est donc d’abord un jeune historien britannique qui dessine les contours de la naissante idéologie nationale zimbabwéenne317. S’il est expulsé de Rhodésie en 1963, cela ne l’empêche pas d’écrire, et la lutte politique investira, en conséquence, le terrain historiographique, avec une virulence peu commune, tant les enjeux de mémoire, de construction identitaire et de politique contemporaine sont densément liés. Face à cette reconstruction, éminemment mythifiée, du rôle des médiums, deux historiens s’élèvent, David Beach, avec Chimurenga : The Organization of the Shona Rising of 1896-7318, en 1978, et Julian Cobbing, dans un article de Journal of African History, « The Absent Priesthood : Another Look at the Rhodesian Risings of 1896-1897 » 319 . Tous deux contestent le rôle politique des médiums, leur capacité d’unification de différents mouvements de la rébellion, notamment dans une perspective interethnique, et surtout leur conscience d’un nationalisme zimbabwéen. Pour les deux historiens, les rébellions ont pour principale cause la hut tax, jugée trop élevée, revendication couplée à des litiges fonciers, sur la maîtrise des terres agricoles, de plus en plus accaparées par les colons Blancs. Revolt in Southern Rhodesia est la cible principale de leurs critiques, et l’Université de Salisbury remet en cause l’ensemble des conclusions de Terence Ranger. 317 La lecture de son autobiographie est à cet égard très éclairante : T.O. RANGER, Writing Revolt : An Engagement with African Nationalism, 1957-67, Woodbridge ; Harare, James Currey! ; Weaver Press, 2013. L’auteur y raconte ses rendez-vous réguliers avec les grands leaders politiques de la fin des années 1950 et du début des années 1960 (du NDP, avant l’existence des ZANU et ZAPU), son rôle dans les meetings politiques, d’animation, de secrétariat, de rédacteur de journaux politiques, d’engagement aux côtés des prisonniers politiques, détenus à Salisbury ou Bulawayo. Il est évident qu’une telle proximité quotidienne avec Joshua Nkomo, Maurice Nyagumbo, Robert Mugabe, entre autres, a eu une incidence sur les discours politiques de ces derniers, s’inspirant des discussions qu’ils n’ont pas manqué d’avoir entre eux. Notre hypothèse est que Nehanda est passée par ce biais-là, de discussions informelles entre amis animés par un même espoir politique, entre les salons, les meetings et les rendez-vous carcéraux. Sur l’engagement politique qui a présidé à l’écriture de Revolt in Southern Rhodesia, op. cit., consulter notamment p. 37 (sa rencontre avec l’historien du monde shona Donald Abraham), p. 81, 84. 318 David N. BEACH, Chimurenga : The Organization of the Shona Rising of 1896-7, Salisbury, University of Rhodesia, Dept. of History, 1978. Bien plus tard, l’historien consacre un article à Nehanda, David N. BEACH, « An Innocent Woman, Unjustly Accused ? Charwe, Medium of the Nehanda Mhondoro Spirit, and the 1896-97 Central Shona Rising in Zimbabwe », art. cit. 319 Julian COBBING, « The Absent Priesthood : Another Look at the Rhodesian Risings of 1896–1897 », art. cit. 177 À nouveau, Nehanda et Kaguvi cristallisent les oppositions, et sont au cœur de la controverse. Aujourd’hui encore, les débats restent présents à l’université320, même si les enjeux politiques ont bien évolué. Ce qui se jouait alors dans le rôle des médiums, c’était le soutien ou non au grand récit que s’étaient construits les partis ZANU et ZAPU. Terence Ranger lui-même reconnaîtra le rôle que son ouvrage a joué dans la création d’images mythiques321. Il ne s’agit pas pour nous ici de trancher le débat, mais de retracer comment les linéaments de la pensée de Terence Ranger se retrouvent et se développent en littérature et dans les chants, avec une interprétation politique très forte, contre le régime d’apartheid du gouvernement de Ian Smith, Nehanda étant érigée en ancêtre de la nation zimbabwéenne, et en symbole de l’oppression coloniale – en parangon de la condition subalterne, en somme. Et il est vrai que la prise de parole des intellectuels des années 1960 et 1970 était règlementée, minorisée, réellement subalterne, rendant l’éclosion d’une littérature nationaliste quasiment impossible 322. Le Rhodesian Literature Bureau, dépendant du Native Affairs Department (qui produit le NADA, Native Affairs Department Annual), contrôlait la voix des natives. Flora Veit-Wild fournit un aperçu de son fonctionnement323 : For a long time the Literature Bureau was almost the only outlet for vernacular writing. To fill the "literary void" (Krog, 1974, 6 [Walter Krog, African Literature in Rhodesia]), the Literature Bureau worked to instil the habit of reading into the African population and, as described in chapter 7, established a market for books. Its role and influence were ambiguous: it helped to develop reading habits and writing skills but at the same time obstructed the emergence of uninhibited and authentic literary expression into the vernacular. […] In 1974, about 20 years after the foundation of the Bureau, Walter Krog could sum up: 320 Entretien avec Mickias Musiyiwa, Professeur d’histoire à l’UZ, 11 Septembre 2013. Pour un article récent, voir Suzanne DAWSON, « The First Chimurenga : 1896-1897 Uprising in Matabeleland and Mashonaland and the Continued Conflicts in Academia », Constellations, 2 (2011/2), p. 144‑153, dont les conclusions sont très consensuelles : après avoir rappelé le débat, elle établit que les médiums n’avaient certainement pas de volonté d’unification de la lutte contre les colons, mais qu’ils ont tout de même eu un rôle prépondérant, ce que David BEACH et Julian COBBING n’auraient pas su voir, tant ils étaient plongés dans les archives britanniques, et non immergés dans la culture shona. 321 Terence RANGER, Revolt in Southern Rhodesia, op. cit., Préface de l’édition de 1979, cité par Flora VEIT-WILD, Teachers, Preachers, Non-Believers, op. cit. p.109. Voir aussi Luise WHITE, Unpopular Sovereignty, Rhodesian Independence and African Decolonization, Chicago, University of Chicago Press, 2015; p. 40-42, 87-88. 322 Dans Writing Revolt, op. cit., Terence RANGER témoigne de cette étroite surveillance des intellectuels. Voir à ce propos le journal Dissent qu’il anima, dont le premier numéro le 26 mars 1959 était consacré aux conditions de détentions des prisonniers politiques, et les nombreuses pressions qu’il subit suite à ces prises de position (p. 43 et suivantes). Voir dans une moindre mesure T. O. RANGER, Bulawayo Burning : The Social History of a Southern African City, 1893-1960, Woodbridge, James Currey, 2010. 323 Flora VEIT-WILD, Teachers, Preachers, Non-Believers, op.cit, p. 241 et suivantes, « The Literature Bureau : Initiatives and Influences ». 178 "Over 1 000 000 copies of Bureau sponsored books have been sold to date, and sales figures in 1972 were 140 000 copies sold. An average of 12 news titles are produced by the Bureau per year. 160 different titles have been produced since the Bureau’s first books appeared in 1956." (p. 241) [Pendant longtemps, le Literature Bureau a été le seul débouché pour l’écriture vernaculaire. Pour combler le « vide littéraire », (Krog, 1974, 6 [Walter Krog, African Literature in Rhodesia]), le Literature Bureau travailla à inculquer des habitudes de lecture aux populations africaines et, comme il est décrit au chapitre 7, il établit un marché du livre. Son rôle et son influence sont ambiguës : il aida au développement d’habitudes de lecture et de compétences d’écriture, mais il empêcha dans le même temps l’émergence d’une expression littéraire authentique et désinhibée du vernaculaire. […] En 1974, environ vingt ans après la fondation du Bureau, Walter Krog pouvait donner cette conclusion : « Près de 1.000.000 d’exemplaires d’ouvrages sponsorisés par le Bureau ont été vendus jusqu’à présent, et le nombre de ventes en 1972 était de 140 000 exemplaires. Une moyenne de 12 nouveaux titres est produite par le Bureau par an. 160 titres différents ont été produits depuis que les premiers livres du Bureau sont sortis en 1956. »] Fondé en 1953, le Literature Bureau a permis l’unification du shona ; il soutenait également les éditeurs pour l’impression des textes, il sélectionnait les manuscrits, il organisait des concours littéraires, et jouait le rôle d’agence commerciale, tout en règlementant la production. Nous avons vu au chapitre précédent que le succès de Feso, et notamment du poème sur Nehanda était certainement dû à la langue d’écriture, le shona : la langue vernaculaire permet de retarder la censure et d’augmenter la portée et la diffusion du texte. Dans une interview324, Solomon Mutswairo atteste du rôle de censure exercé par le Literature Bureau, et de l’importance de l’anglais dans la création littéraire. Afin de contourner ce « cadenas » imposé à la création, les auteurs produisent depuis l’étranger : Londres, New York ou Pittsburgh, deviennent les presses des jeunes intellectuels. Lawrence Vambe, par exemple, crée à Londres le Zimbabwe Review, le journal du ZAPU ; c’est également à Londres qu’il publie An Ill-fated People, dont les thèses de Terence Ranger irriguent la réflexion : A great many books have been written about the occupation of Zimbabwe and its immediate aftermath. Of those I have read, I suggest that Professor T. O. Ranger’s Revolt in Southern Rhodesia 1896-7 is certainly the most impartial and analytical, bringing out, as it does, new facts and facets of the rising which have either been suppressed by cautious officialdom or remained unknown through lack of scholarly research. (p. 113) [Un grand nombre de livres ont été écrits sur l’occupation du Zimbabwe et ses conséquences immédiates. De ceux que j’ai lus, je pense que celui du Professeur 324 Angela A. WILLIAMS, « Mother Tongue! : Interviews with Musaemura B. Zimunya and Solomon Mutswairo », The Journal of African Travel Writing, 4 (1998), p. 36‑44. 179 T. O. Ranger, Revolt in Southern Rhodesia 1896-7 est certainement le plus impartial et analytique, faisant ressortir, comme il le fait, de nouveaux faits et de nouvelles facettes de la révolte qui ont été ou bien supprimés par une administration précautionneuse, ou bien maintenus dans l’ombre par un manque de recherche académique.] Plus loin, Lawrence Vambe illustre l’argument de l’historien : les médiums sont incontournables dans la société shona – le souvenir, le témoignage et l’appartenance au monde shona sont les preuves de véridicité dans le pacte d’écriture tel que Vambe le formule –, ils sont les référents en cas de détresse de la nation, et la simple nomination la fait advenir dans l’espace du texte (« national stress »). Ainsi décrit-il l’influence des médiums comme Nehanda : There had always been a great many Mhondoro and Mashave spirits among my people and they became particularly important in times of national stress. (p. 118) [Il y a toujours eu de très nombreux esprits Mondhoro et Mashave au sein de mon peuple et ils devenaient particulièrement importants en temps de tension nationale.] Après des marques de dénégation et de refus du combat, Nehanda prend part à la rébellion : On the other hand, my Chishawasha sources suggested that, initially at any rate, Nehanda was not an enthusiastic supporter of the impending rebellion and at that stage added her voice of authority to those of the pessimists who shrank from it all. […] If I am right, her attitude would have been somewhat similar to that of the majority of black Rhodesians today. Through basically peace-loving and nonpolitical, most Africans I know in Southern Rhodesia have, sooner or later, been driven to the philosophy of violence as the only means left to them to eliminate the existing exclusive white minority rule. (p. 120) [D’un autre côté, mes sources Chishawasha suggéraient que, en tous les cas à l’origine, Nehanda ne constituait pas un soutien enthousiaste à la rébellion à venir et à ce stade, elle ajouta sa voix à ceux d’entre les pessimistes qui s’esquivaient du mouvement. […] Si j’ai raison, son attitude a dû être quelque chose de similaire à celle de la grande majorité des Rhodésiens noirs d’aujourd’hui. Bien que profondément pacifiques et non impliqués en politique, la plupart des Africains que je connais en Rhodésie du Sud ont, tôt ou tard, été poussés à une philosophie de la violence comme seul moyen pour eux d’éliminer le pouvoir actuel d’une minorité blanche exclusive.] Ces protestations initiales ne font que renforcer le crédit porté par le lecteur aux « sources Chishawasha » de l’auteur, qui ont la précision de noter les états d’âmes de la médium. Cette stratégie d’écriture, qui mélange sources écrites, majoritairement Terence Ranger, souvenirs de famille, et sources orales indéfinies sous un générique vague (« my Chishawasha sources ») permet de multiplier les arguments d’autorité, en venant produire des illustrations au discours de l’historien. Derrière Nehanda, c’est la condition 180 de subalterne des Noirs sous le régime de Ian Smith qui est en cause. Ainsi Flora VeitWild résume-t-elle les enjeux politiques de l’ouvrage325 : He [Vambe] wrote An Ill-Fated People (1972) and From Rhodesia to Zimbabwe (1976). The first reflects very strongly his disappointment with the politics of Federation and his bitterness about the turn of events in his country. The book is an indictment of white rule in Rhodesia and a statement of support for the struggle for majority rule and independence, based on the glorification of the pre-colonial Shona and their early battles against intruders. [Il [Vambe] écrivit An Ill-Fated People (1972) et From Rhodesia to Zimbabwe (1976). Le premier reflète avec virulence sa déception au sujet de la politique de la Fédération et son amertume quant au tour que prirent les évènements dans son pays. L’ouvrage est un réquisitoire contre le pouvoir blanc en Rhodésie et une manifestation de soutien envers le combat pour la règle de la majorité et pour l’indépendance, basée sur la glorification du monde shona précolonial, et de leurs premières batailles menées contre les envahisseurs.] Dans notre corpus concernant Nehanda, Lawrence Vambe est certainement l’exemple hyperbolique d’une réutilisation en littérature d’un ouvrage scientifique. Les autres auteurs, dans une moindre mesure, reprennent à leur compte la trame principale du récit forgé à cette époque, autour de la figure d’une Nehanda guerrière et militante, ce qui était déjà, en soi, accréditer une version subversive de l’histoire. Les cadres des partis politiques et la production des chants partisans Une autre catégorie d’acteurs de la « fabrique » des héros, encore bien plus subversifs, s’inspire de cette vision de l’histoire suggérée par Terence Ranger : ce sont les cadres des partis ZANU et ZAPU, engagés dans la résistance militaire 326 (ZANLA /ZIPRA, héritiers du NDP). Comme le soulignait Karin Barber que nous citions plus haut, les Chimurenga songs présentent un cas tout à fait atypique d’interrelation entre élites et populaire, tout en étant en situation de clandestinité, ou en tous cas d’opposition au gouvernement327. Les chants étaient majoritairement en shona (ZANU) ou en ndebele (ZAPU), ce qui rendait leur interdiction difficile, et leur caractère 325 Flora VEIT-WILD, Teachers, Preachers, Non-Believers, op.cit, p. 32. Sur la formation du ZANLA, la branche armée du ZAPU, Josiah TUNGAMIRAI, « Recruitment to ZANLA : Building up a War Machine », Soldiers in Zimbabwe’s Liberation War 1 (1995) ; David MARTIN, Phyllis JOHNSON, The Struggle for Zimbabwe : The Chimurenga War, Londres; Boston, Faber and Faber, 1981. 327 Et vont dans le sens d’une extension de la notion de résistance, telle que prônée par Jon ABBINK, Mirjam DE BRUIJN, Klaas VAN WALRAVEN, Rethinking Resistance : Revolt and Violence in African History, Leiden, Brill, 2003, dans l’introduction de leur ouvrage « Rethinking Resistance in African History : An Introduction ». 326 181 évanescent, diffus, propre à l’oralité, puisqu’ils se transmettaient de bouche à oreille, et de manière ponctuelle à la radio, que la diffusion soit légale ou non328, empêchait de facto tout contrôle par le Literature Bureau. Évidemment, la probabilité que des chants de révolte aient pu passer sur les ondes de la RBC, la Rhodesia Broadcasting Corporation, est bien mince, puisque la radio était contrôlée par un service de censure, qui s’appliquait aux trois langues de diffusion, l’anglais, bien sûr, mais aussi le shona et le ndebele de la section « African Service » de la chaîne329. Néanmoins, notre hypothèse est que la section « Music » de l’« African service » pouvait très bien diffuser des airs et des mélodies de louanges aux ancêtres ou des chants de déplorations connus, sans qu’il n’y ait en soi aucune parole ou propos nationaliste, mais que la reconnaissance seule de l’air identifie le chant comme nationaliste, s’il est réutilisé par ailleurs (nous pensons notamment à l’air de « Mbuya Nehanda » qui a été particulièrement célèbre, mais d’autres l’ont certainement été tout autant). 328 Sur le rôle des radios coloniales, et leur potentielle subversion par des usages locaux contestataires, voir Elizabeth GUNNER, Dina LIGAGA, Dumisani MOYO, Radio in Africa : Publics, Cultures, Communities, Woodbridge, James Currey, 2011, introduction : « the colonial radio was designed primarily as a means of propaganda to serve the colonial empires, (but) radio was always multifaceted and slippery than was intended by the colonial powers » ; la radio, même dépendante d’une censure coloniale, se révélant « dialogical » (ibid.). 329 Thomas TURINO, Nationalists, Cosmopolitans, and Popular Music in Zimbabwe, Chicago, University of Chicago Press, 2000, est l’étude de référence sur les diffusions de chansons nationalistes au Zimbabwe. Mais les grilles de programmes, les modalités de contrôle des traducteurs-censeurs de la RBC, les points de diffusion depuis l’international restent un point aveugle de l’historiographie sur le Zimbabwe. Il faudrait pouvoir enquêter à la ZBC, ce qui supposerait de ne pas être interdite d’entrée comme j’ai pu l’être en 2013, voire même pouvoir comparer avec la radio mozambicaine de Maputo. À partir de nos propres recherches, tout à fait partielles et non exhaustives, aux National Archives de Londres, nous avons pu établir que la musique constituait une part non négligeable des grilles de programme de l’« African service » de la RBC (voir des exemples de grilles de programmes dans le Rhodesia Herald, paru chaque jour : nous avons rencensé à titre d’exemple la part de musique dans les mois juillet-septembre 1964) ; que les pièces musicales sont d’une importance cruciale puisqu’à certains moments, les News de la BBC étaient remplacés par de la musique pour raisons politiques (National Archives, Londres, DO 191/204, coupure de presse « No SABC News on African Service of RBC – Music instead ») ; que des émissions ponctuelles ont pu être produites depuis Maputo au Mozambique et Lusaka en Zambie pour véhiculer des messages du ZANU et du ZAPU (National Archives, Londres, FCO 36/277 Broadcasts by Zambia Radio to Rhodesia (1967), FCO 36/935 Information on Rhodesia from Broadcasts of Salisbury Radio (1972), transcriptions d’émissions dénonçant le gouvernement de Ian Smith) ; que le gouvernement britannique lui-même piratait les ondes de la RBC pour raisons politiques en représailles de l’UDI (National Archives, Londres, FO 317/188035 Radio and Television : Rhodesia (1966), dossier « Jamming Rhodesian ») ; que ce même gouvernement britannique, d’ailleurs, était davantage préoccupé par les discours violents pro-Ian Smith au début de la période que des nationalistes noirs (voir les dossiers de surveillance du Dominion Office de l’émission « Rhodesia to Rhodesia », DO 191/204 Press and Radio Activities in Rhodesia 1964-1965. En outre, dans ce même dossier, voir les grilles de programmes publiés dans le Rhodesia Herald qui sont soigneusement conservées et annotées, mais découpées, de telle sorte qu’ils ne laissent visible que la section anglaise de la RBC, ce qui rend manifeste que l’espionnage du Dominion Office ne concernait pas la section africaine de la chaîne. Il faut se rendre à la British Library pour reconstituer la grille complète de programme, incluant ceux en shona et ndebele, grâce à leur collection intégrale du Rhodesia Herald ; pour cette année précisément, consulter la cote MFM.MC1714). 182 Thomas Turino a bien montré comment la littérature orale, la chanson, a été le moyen privilégié de la contestation politique populaire330. Il est très difficile de retrouver les identités des auteurs de ces textes. Martha Lane, en appendice de sa thèse The Blood that Made the Body Go331, interroge à ce sujet Primrose Sithole, qui a réuni plusieurs de ces textes : These Ndebele (PF) ZAPU songs were collected from some of the members who used to sing them while they were demonstrating. They say they used to gather up some meetings with people to spread the news of whatever they wanted to do, or if there was any danger coming, or if something was supposed to be done. The one I talked to says he was one of the Committee members, "The Organizer", which means he could go door to door asking people to come to the meeting place. […] Most of the songs sung by people used to be brought up by different song writers, and they came to teach people during the meeting sessions. Most of the songs were not recorded because some of these musicians couldn’t get the facilities to record their music and it wasn’t easy to record because most of the songs were banned – so much so that they were sung secretly. And another thing was you could be arrested in a minute’s time. […] He says he can’t remember the names of the song writers. (Appendice, p. 633) [Ces chants ndebele du ZAPU (PF) ont été collectés parmi ceux des militants qui les chantaient lorsqu’ils manifestaient. Ils disent qu’ils avaient l’habitude de se rassembler pour des réunions avec des gens pour répandre la nouvelle de ce qu’ils voulaient faire, ou d’un quelconque danger imminent ou si quelque chose devait être fait. Celui à qui j’ai parlé dit qu’il était l’un des membres du Comité. « L’organisateur », ce qui signifie qu’il pouvait faire du porte-à-porte pour demander aux gens de venir sur le lieu du rassemblement. La plupart des chants chantés par les gens étaient constitués par plusieurs chansonniers, et ils venaient les apprendre aux gens dans les rassemblements. La plupart de ces chants n’étaient pas enregistrés parce que ces musiciens n’avaient pas les équipements nécessaires pour enregistrer leur musique et ce n’était pas facile d’enregistrer parce que la plupart des chants étaient interdits – à tel point qu’ils étaient chantés en secret. En plus, vous pouviez vous faire arrêter en l’espace d’une minute. […] Il dit qu’il ne se souvient pas des noms des auteurs de ces chants.] Ce témoignage atteste de la dimension orale de la transmission : l’information sur l’heure et le lieu du meeting (nommé communément pungwe332) est donnée oralement, puis les chants eux-mêmes sont transmis au public par ceux qui les ont composés, par oral également. Ils étaient plusieurs, et leurs noms semblent être perdus. Certains noms sont exceptionnellement donnés (voir, en appendice de la thèse de Martha Lane, les exemples 330 Thomas TURINO, Nationalists, Cosmopolitans, and Popular Music in Zimbabwe, op. cit., p. 190-221. L’auteur consacre une page à l’analyse de Mbuya Nehanda dans les Chimurenga Songs, p. 200. 331 Martha LANE, «!The Blood that made the Body Go!»! : The Role of Song, Poetry and Drama in Zimbabwe’s War of Liberation 1960-1980, op. cit. 332 Sur les pungwe et leur rôle dans les recrutements militaires, voir Thomas TURINO, Nationalists, Cosmopolitans, and Popular Music in Zimbabwe, op. cit., p. 192-193. 183 p. 637-640, « Zimbabwe Land of Hope », de J. J. M. Ndlovu, qui a écrit en anglais, « Kufa », « Ropa Rangu », « Mberere », « Musacheme Amai Vangu », « Urombo » de James Chimombe, ou encore « Siyalikhulekela » de Fanyana Dube, mais c’est une catégorie minoritaire), la plupart restent anonymes, réappropriés par la foule. L’absence d’enregistrement d’époque333 n’est pas étonnante non plus, si la plupart étaient frappés par la censure, et s’ils servaient à des réunions politiques ou à des manifestations. Si le sujet subalterne est celui qui ne peut pas parler, qu’il peut seulement être représenté334 par des élites, alors les Chimurenga songs constituent un cas-limite, où « donner voix à ceux qui n’ont pas de voix » prend son sens, par la rumeur collective, la réappropriation commune de textes appris oralement, lors des meetings ou en écoutant un transistor335, la diffusion des plus populaires. La conception même d’« auteur » devient caduque puisque, pour ce type de chants populaires, c’est autant le cadre du parti qui en a écrit les paroles, parfois à plusieurs mains, que ceux qui le chantent au quotidien et qui en font le succès, qui méritent de concourir au statut d’auteur… Ces chants collectifs avaient pour premier objectif de rassembler les troupes, de mobiliser la population en faveur du combat, en un mot, de créer une communauté. Pour ce faire, les grands ancêtres étaient convoqués, et c’est ici encore la marque discrète des relectures de Terence Ranger, Nehanda devient l’une des héroïnes préférées de ces années de combat clandestin : Poems, plays and songs also celebrated the lives of historical heroes and such art played an equally important role in mobilizing people and inspiring their involvement in the war. In particular, they linked participants in the war to a tradition of resistance to colonial domination that dated back to the first arrival of the whites in the area that was to become Rhodesia [Lobengula, Shaka, Mapondera, Chaminuka] […] Even more important than Chaminuka in bolstering the notion of one continuous struggle was the figure of Mubuya Nehanda, a mhondoro, or national spirit, whose medium, Charwe, led the 1896-97 rebellion and was, in the words of C.V.Chivanda, “the spiritual powerhouse of the rebels” [Chivanda, “The Mashona rebellion in oral tradition”, 15] (Martha Lane, op. cit., Ch5 Winning the hearts of people : recruiting emotions) 333 La collection ATR/VOZ des NAZ date de 1980, et a été enregistrée à Maputo, au Mozambique. Priyamvada GOPAL, « Lire l’histoire subalterne », dans Neil LAZARUS, Penser le postcolonial : une introduction critique, Paris, Editions Amsterdam, 2006, reprenant Gayatri Chakravorty SPIVAK, Can the Subaltern Speak ?, Basingstoke, Macmillan, 1988, et Gayatri Chakravorty SPIVAK, « Subaltern Studies : Deconstructing Historiography », Donna Landry and Gerald MacLean (dir.), Subaltern Studies : Writings on South Asian History and Society Spivak reader, 1985. 335 Sur l’arrivée du transistor en Afrique, et ses conséquences sociales, voir l’analyse de l’exemple tanzanien de Graham MYTTON, « From Saucepan to Dish: Radio and TV in Africa », in Graham FURNISS (dir.), African Broadcast Cultures. Radio in Transition, Oxford ; Harare, James Currey ; Baobab, 2000, p. 21‑42. 334 184 [Les poèmes, les pièces de théâtre et les chansons faisaient l’hagiographie des héros historiques et de telles créations artistiques jouaient un rôle tout aussi important dans la mobilisation populaire et dans l’incitation à la participation à la guerre. Elles reliaient notamment les acteurs du conflit à une tradition de résistance à la domination coloniale qui remontait à l’arrivée des premiers blancs dans la région qui allait devenir la Rhodésie [Lobengula, Shaka, Mapondera, Chaminuka] […] Encore bien plus importante que Chaminuka pour soutenir l’idée d’un combat unique et continu fut la figure de Mbuya Nehanda, un mhondoro, ou un esprit national, dont le médium, Charwe, mena à la rébellion de 1896-1897 et fut, selon les mots de C. V. Chivanda, « la puissance spirituelle des rebelles » [Chivanda, “The Mashona rebellion in oral tradition”, 15] (Martha Lane, op. cit., Ch. 5 Winning the hearts of people : recruiting emotions)] Martha Lane montre bien que Nehanda permet aisément de faire le lien entre les rébellions du XIXe siècle et les combats actuels (« the notion of one continuous struggle »), c’est pour cela qu’elle a la préférence des combattants, des populations et des cadres du parti : elle donnait une profondeur historique réconfortante à la lutte qu’ils menaient, en légitimant leurs revendications dans le temps long. Cette dimension originelle de la lutte de Nehanda, comme matrice du Liberation Struggle, de la Seconde Chimurenga, se retrouve dans de nombreux chants, mais nous citons celui qui nous semble l’un des plus représentatifs : Maruza Vapambepfumi […] 1888 Rudd Concession Gore iri zvakanetsa kufa kwenyika kwatotanga 1889 gore iri rakanetsa nemaBritish here vapambepfumi Iri rakanga riri gwaro rekupinda munyika yedu ye Zimbabwe vekumaodza nyemba Vopinda munyika edu yeZimbabwe reFort Victoria Vopinda muHarare Vakasai mureza wavo mureza weBritish mumwedzi waGunyana muniyka yedu yeZimbabwe Nehanda naKaguvi vachiona zvavakadai Vakatanga nyaya yehondo, hondo yacho yeChindunduma Zvakakanga vachirwa vairwa nemapfumo, mabakatwa nemiseve Nehanda naKaguvi vakaurayirwa nyika yababa izere uchi nemukaka Vogara muZimbabwe vakatanga nyaya yavo yeChechi kuna St Luke Kuna St Peter kuna St James 336 336 […] In 1888 there was the Rudd Concession That was a troubled time, the country was dying 1889 was the year of trouble with the British colonialists This was a way of entering our country of Zimbabwe from the South They entered the country through Fort Victoria They came to Harare They raised their flag, the flag of Britain in the month of August in Zimbabwe Nehanda and Kaguvi saw them They started a war against them, the war of Chindunduma In the war they fought with spears, arrows and swords Nehanda and Kaguvi were killed for the country of our ancestors, the country of milk and honey When they stayed in Zimbabwe, they started Martha LANE, op. cit., p. 648-649. NAZ ATR/40/VOZ 0349-0416 185 Ko St Nehanda, iri kupi ? Ko St Kaguvi, iri kupi ? Ko St Chitepo, iri kupi ? Maruza imi vapambepfumi churches of St Luke’s St Peter’s, St James’s Where is St Nehanda’s ? Where is St Kaguvi’s ? Where is St Chitepo’s ? Colonialists, you have lost [En 1888, il y eut la concession Rudd337 C’était une époque troublée, le pays se mourait 1889 a été l’année des troubles avec les colons britanniques C’était pour eux une manière de pénétrer notre pays du Zimbabwe par le Sud Ils pénétrèrent dans le pays par Fort Victoria Ils vinrent à Harare Ils hissèrent leur drapeau, le drapeau de la Grande-Bretagne, au mois d’août, au Zimbabwe Nehanda et Kaguvi les virent Ils commencèrent une guerre contre eux, la guerre de Chidunduma Dans la guerre, ils se battirent avec des lances, des flèches et des épées Nehanda et Kaguvi furent tués pour le pays de nos ancêtres, le pays du lait et du miel Quand ils s’installèrent au Zimbabwe, ils élevèrent les églises de Saint Luc Saint Pierre, Saint Jean Mais où est celle de Sainte Nehanda ? Mais où est celle de Saint Kaguvi ? Mais où est celle de Saint Chitepo ? Colonialistes, vous avez perdu] La présentation de la colonisation l’inscrit dans une durée circonscrite : la fin du chant en prédit la chute. Alors que les colons viennent à peine de planter le drapeau, les deux héros Nehanda et Kaguvi, métonymies des peuples qu’ils mènent au combat, leur déclarent la guerre. Le caractère succinct du chant, qui n’offre qu’un espace resserré à l’expression, encourage ce type de rapprochement, le chef pour désigner le groupe, la partie pour le tout. Mais cette métonymie est également lourde de l’hypotexte de Terence Ranger, et le pronom they dans « They started a war against them, the war of Chindunduma » ne réfère dans la phrase qu’à Nehanda et Kaguvi : ils sont, dans l’espace clos du chant, l’archétype des résistants, que les guérilleros sont invités à imiter. Élites politiques, avec les cadres des partis et les hommes politiques, élites culturelles, avec les chercheurs de l’université et les historiens, et populaires, avec les militants, les combattants, les simples sympathisants qui relaient les chansons : dans ce cas de figure, les intertextes sont nombreux ; les discours circulent d’un média à l’autre, d’un genre à 337 La concession Rudd a été signée le 30 octobre 1888 entre le roi Ndebele Lobengula et Charles Rudd, représentant de Cecil Rhodes, concédant l’exploitation de son territoire par la BSAC, notamment les droits miniers exclusifs. 186 l’autre, d’une classe sociale à l’autre, et Nehanda apparaît au croisement de toutes ces relations. Si nous connaissons peu de chose sur les auteurs de ces chants, ces « acteurs de la fabrique », nous pouvons en revanche préciser leur orientation politique, d’inspiration maoïste338, qui informe de nombreux textes, et déterminer le lien qu’ils entretiennent avec les leaders du parti, comme Robert Mugabe, Herbert Chitepo ou Ndabaningi Sithole, dont ils ont pour mission d’exalter les qualités combattives et guerrières. L’un des objectifs des chants de guerre, en effet, était d’éduquer les soldats à la guerre de libération, en utilisant une rhétorique marxiste : les masses doivent être « conscientisées », elles doivent apporter leur soutien aux guérilleros en attendant la « victoire finale », l’oppression coloniale est doublée d’une oppression « de classes ». Nous nous permettons d’inclure un code de conduite que l’on apprenait aux nouvelles recrues par un chant, tant il est révélateur de l’orientation idéologique de nombre des Chimurenga songs339 : 340 Nzira dzemaSoja, dzokuzvibata nadzo/Code of conduct for soldiers Kune nzira dzemaSoja, dzekuzvibata nadzo Tererai mitemo yose nenzira dzakanaka. Kune nzira dzemaSoja, dzekuzvibata nadzo Tererai mitemo yose nenzira dzakanaka. Soldiers have principles and rules of conduct, Listen properly to all these rules. There are principles and rules of conduct for soldiers, 338 Le socialisme au Zimbabwe n’est pas encore référencé par Louis-Vincent THOMAS, Le Socialisme et l’Afrique, 1 et 2, Paris, Le livre Africain, 1966, puisque la Rhodésie blanche était résolument capitaliste à l’époque de la parution de son étude, néanmoins le ZANU et ZAPU suivent certaines des orientations qu’il décrit, notamment pour ce qui est de la fusion des religions et du socialisme. La comparaison avec les prises de position d’un Léopold Sédar SENGHOR (Liberté 2. Nation et voie africaine du socialisme, Paris, Le Seuil, 1971), par exemple, est étonnante tant les discours sont similaires : « La religion, comme le soulignent tous les grands ethnologues, est la sève même de la civilisation négro-africaine. (…) Un socialiste peut donc être athée mais ne l’est pas nécessairement (…). Nous pouvons donc très légitimement être socialistes en restant croyants », « Socialisme, fédération, religion », Ve congrès du Bloc démocratique sénégalais, 3-5 juillet 1953, p. 108-109. Du 6 au 9 avril 2016 s’est tenu à Paris le colloque « Socialismes africains, Socialismes en Afrique » (CNRS, Université Paris 1) qui a interrogé les spécificités des discours et pratiques socialistes, et notamment maoïstes, lorsqu’ils étaient transposés en Afrique. Nous y avons analysé les modes de narrations endogènes du socialisme dans les Chimurenga songs, Elara BERTHO, « Un bréviaire du socialisme en chansons (Zimbabwe 1964-1980) », Brochure de travail Socialismes africains, p. 103-112. 339 Au cours de ce même colloque sur les socialismes africains, la comparaison a été fructueuse avec la communication de Pauline Bernard, « « Être dans le peuple comme un poisson dans l’eau » : le syncrétisme idéologique du National Resistance Movement et la guerre du peuple prolongée en Ouganda (1981-1986) », qui a présenté des règles de conduite du soldat ougandais rigoureusement identiques à celles de ce chant que nous citons ici, inspirées des préceptes de Mao Zédong (On Guerilla Warfare, Praeger, New York, 1966). Notons par ailleurs, à propos de ce titre, que la locution « être dans le peuple comme un poisson dans l’eau » a été également très répandue dans la rhétorique des partis ZANU et ZAPU, et elle figure également, aujourd’hui, dans les manuels scolaires pour qualifier et expliquer aux écoliers la résistance des Shona et Ndebele au XIXe siècle, ce qui est bien sûr tout à fait anachronique et témoigne d’une relecture téléologique de l’histoire. 340 NAZ MS 536/13 ZAPU songs 1970’s, Julie Frederikse files, Manuscripts section. 187 (refrain : Tisave tinotora zvinhu svemass yedu Dzotserai svinhu zvose, zvatorwa kumuvengi Taurai zvinonzwika kuruzhinji rwevanhu ; Kuti mass inzwisise Zvakananga musangano.) Bhadharai zvamunotenga nenzira dzakanaka Nokuti mudzotsere zvinhu zvose Zvamunenge matora x2 (refrain) Tisaite choupombwe muhondo yeChimurenga. Tisanetse vasungwa Vatinenge tabata. x2 (refrain) Aya ndiwo mashoko akataurwa kare Naivo vaMao, vachitidzidzisa. x2 Obey these laws and behave accordingly. (refrain : Let us refrain from expropriating the possessions of our masses Let us return to him the property taken from the enemy Educate the masses in a clear way And they will understand the policies of the party) Pay cash for the goods you’ve bought Return to the owners Thoses things you have expropriated x2 (refrain) Let us not indulge in prostitution in pursuing our revolutionary war. Let us not torture prisoners-of-war. x2 (refrain) Theses principles were laid down a long time ago By Comrade Mao, when he was politicizing us. x2 [Le code de conduite du soldat Les soldats ont des principes et des règles de conduite Écoute attentivement toutes ces règles Ce sont les principes et les règles de conduites des soldats Obéis à toutes ces lois et comporte-toi en conséquence. (refrain : Évitons l’expropriation de ce que possèdent les masses Rendons-lui les biens pris aux ennemis Éduquons les masses de manière claire Et ils comprendront la politique du parti) Paie comptant les produits que tu achètes Redonne aux propriétaires Les choses que tu as expropriées. x2 (refrain) Ne nous adonnons pas à la prostitution alors que nous sommes engagés dans la révolution Ne torturons pas les prisonniers de guerre x2 (refrain) Ces principes ont été édictés il y a très longtemps Par le Camarade Mao, lorsqu’il nous a politisés x2] Le chant permet aux combattants de mémoriser les slogans et, ici, les codes de bonne conduite : le soldat a un rôle d’éducateur des masses, qui lui servent de soutien, selon la conception maoïste de la guérilla du paysan-guerrier qui se fond dans le groupe, Mao étant cité dans le dernier vers comme l’inspirateur de cette éthique du soldat. À partir de 1976, dans le camp opposé, la propagande rhodésienne s’intensifie en prenant pour cible le Mozambique de Samora Machel, incarnation de toutes les « déviances 188 communistes »341, en lançant des prospectus par voie aérienne pour mettre en garde contre l’endoctrinement socialiste, véhiculé par les guérilleros et les Chimurenga songs. Ridzai Gidi, ancien commissaire politique du ZANLA (political commissar), témoigne : We had to unmask the picture of Communism that was being taught by the regime. We had to teach the masses that what was being taught here was the completely wrong picture, and we had to show by example that the socialism of collective farms would bring good for the people. (cité par Julie Frederikse, op. cit. p.186) [Nous devions démasquer le portrait du communisme qui était dressé par le régime. Nous devions enseigner aux masses que ce qu’il leur avait été enseigné était une image complètement fausse, et nous devions montrer par l’exemple que le socialisme des fermes collectives apporterait le bien aux gens.] Dans cette guerre des doctrines, le chant était le medium privilégié : il permettait une diffusion massive du message, il se mémorisait rapidement, il concentrait et cristallisait les oppositions, il était collectif, il était, enfin, discret, puisqu’aucune imprimerie n’avait besoin d’être mobilisée, aucun bureau ne pouvait être pris pour cible par le gouvernement rhodésien. Le personnage de Nehanda, dans ce système, est devenu un référent incontournable, avec la double caractéristique d’inciter à la subversion politique et de légitimer les leaders politiques : ici ; Robert Mugabe et Herbert Chitepo (avec le même lexique employé que précédemment : « les masses », d’ailleurs sans équivalent en Shona, puisqu’il est un vocable emprunté à l’anglais : mass, « Camarade Mugabe », etc.) : Mudzimu Woye Mudzimu woye Vana veZimbabwe Ndibaba Mugabe mutungamiriri Mudzimu woye Mbuya Nehanda batsirai vana vari kushupika Kune mass yere iri kushipika Ndibaba Chitepo vakafira nyika Mudzimu woye Baba titungamirirei tiri kushupika Kune vamwe here vari kunetseka Aiwa, Aiwa Tichaitora nyika 342 Oh, ancestors of Zimbabwe We are the children of Zimbabwe It is Comrade Mugabe who leads us Oh ancestors of Zimbabwe Mbuya Nehanda, help your children who are suffering The masses are troubled, they are suffering 343 Comrade Chitepo died for the country Oh ancestors of Zimbabwe Father, lead us Are there others who are suffering ? No ! No ! We shall take our country 341 Entre autres exemples, un mémo confidentiel de l’armée rhodésienne, daté du 15 octobre 1976, s’intitule « The evils and effects of communism », Directive for National Psychological Campaign, PSYAC secretariat, cité par Julie FREDERIKSE, None But Ourselves : Masses vs. Media in the Making of Zimbabwe, op. cit., p. 183. 342 Martha LANE, op. cit., p. 654. NAZ ATR/40/VOZ 0775-0800. 343 Herbert Chitepo a été assassiné à Lusaka, en Zambie, le 18 mars 1975. 189 [Oh, ancêtres du Zimbabwe Nous sommes les enfants du Zimbabwe C’est le Camarade Mugabe qui nous guide Oh, ancêtres du Zimbabwe Mbuya Nehanda, aide tes enfants qui sont dans la souffrance Les masses sont troublées, elles souffrent Camarade Chitepo est mort pour le pays Oh, ancêtres du Zimbabwe Mon père, aide-nous Y en a-t-il d’autres qui souffrent ? Non ! Non ! Nous devons prendre notre pays] Ce très court chant a pour vocation de réaffirmer le rôle de chef de Robert Mugabe, tout en lui attribuant deux « ancêtres », dans une généalogie symbolique : Nehanda, qui aide les souffrants et les opprimés, à la manière d’une mère protectrice, et Herbert Chitepo, bien plus contemporain, qui était son ancien rival. Les circonstances de son assassinat restant obscures, son inscription comme modèle de Robert Mugabe, et comme « père » symbolique, permet de laver le survivant de tout soupçon, et de l’affilier à une lignée héroïque de combattants morts pour la cause344. L’industrie du disque Enfin, ces chants étaient parfois repris par des chanteurs professionnels. Thomas Mapfumo345 est le plus célèbre d’entre eux : il se produisait dans des dancings346 de Salisbury, comme le Mushandara Pamwe, et ses disques étaient très recherchés. Il explique l’importance de l’art dans le combat : 344 Nous avons analysé ce chant, et les modalités de la filiation symbolique dans les Chimurenga songs, dans Elara BERTHO, « Médias, propagande, nationalismes. La filiation symbolique dans les chants de propagande : Robert Mugabe et Mbuya Nehanda, Sékou Touré et Samori Touré », Cahiers de littérature orale, « Paroles publiques, paroles confidentielles » coordonné par Bertrand Masquelier et Laurent Fontaine, Inalco, 2015, n°77-78. 345 Né en 1945, « The Lion of Zimbabwe » est d’abord connu comme chanteur de rock (« The Hallelujah Chicken Run Band ») ; il soutient ensuite le mouvement armé shona, le ZANLA, et popularise la musique de la guérilla en reprenant de nombreux morceaux des Chimurenga songs : « Tumira Vana Kuhondo » (« We are sending our children to war »), « Hokoyo ! », « Pamuromo Chete » (« These are mere words »)… Il forme en 1978 les « Blacks Unlimited ». Il est arrêté en 1979, mais le gouvernement rhodésien ne peut trouver aucune charge contre lui, et il est donc relâché. Aujourd’hui, il vit en exil aux États-Unis, après avoir critiqué à maintes reprises le régime de Robert Mugabe. Voir sa courte note biographique dans Steven C. RUBERT, R. Kent RASMUSSEN, Historical Dictionary of Zimbabwe, op. cit., p. 186-187. 346 Pour une histoire illustrée de ces dancings, voir l’ouvrage illustré de documents et de photographies de l’auteur, Joyce JENJE-MAKWENDA, Zimbabwe Township Music, Harare, Mandishona, 2005. Sur Thomas Mapfumo, en l’occurrence, voir p. 37, 83, 88, 122, 126, 133, 156-158, 171, 184. 190 “We felt that the Smith regime had to be told and our contributions could only come through our songs as we did not have guns”, Interview with Thomas Mapfumo, Fred Zindi, Roots Rocking in Zimbabwe, Gweru, Mambo Press, 1985, p. 34. (cité par Martha Lane, op. cit., ch2 The art of Chimurenga : overview and context) [« Nous sentions que le régime de Smith devait être raconté et nos contributions ne pouvaient venir que par nos chants, puisque nous n’avions pas d’armes »] Dans une autre interview, citée par Julie Frederikse (op. cit., p. 196), il raconte son engagement et sa décision de reprendre les chants de la guérilla347, voire d’en adapter certains, et l’énorme succès populaire qu’il a remporté : We were starting to fight for our freedom. People started to face the reality that there was war between the masses and the exploiters and everybody came to realize what we were fighting for. Then even the music started changing, and I thought I could do my country a favor – to sing Chimurenga songs, so as to encourage those boys who were fighting in the bush. […] I knew then that I must use my own African language to send a message to my own people. I couldn’t do it direct; I had to sort of go at it vaguely and conceal what I was trying to say. But our own people understood the language that the whites didn’t understand and, that was an advantage. So one of my songs became quite a hit. It started on the Hit Parade for two months. [Nous commencions à nous battre pour notre liberté. Les gens commençaient à comprendre qu’il y avait une guerre entre les masses et les exploiteurs et tout le monde vint à réaliser ce pour quoi nous nous battions. Alors même la musique s’est mise à changer, et j’ai pensé que je devais rendre service à mon pays – chanter les Chimurenga songs, afin d’encourager ces gars qui se battaient dans les maquis. […] Je savais alors que je devais me servir de ma propre langue africaine pour envoyer un message à mon propre peuple. Je ne pouvais pas le faire directement ; je devais le dire vaguement en louvoyant et cacher ce que j’essayais de dire. Mais notre peuple comprit ce langage que les Blancs ne comprenaient pas et c’était un avantage. C’est ainsi que l’une de mes chansons est devenue un tube. Elle resta au Hit Parade pendant deux mois.] Les guérilleros (« those boys fighting in the bush »), les chanteurs professionnels comme Thomas Mapfumo et l’ensemble des citadins qui se procuraient ses disques et qui l’écoutaient à la radio, composaient la réception-création de ces chants : ils étaient produits par des cadres du parti, repris et réaménagés dans les maquis, diffusés en ville, à 347 Notons que la pochette de son album Chimurenga explosion, Thomas Mapfumo and the Black Unlimited, 2000, est constitué de la photographie de la capture de Nehanda et Kaguvi. Même dans les rééditions ultérieures, la référence à la Chimurenga et tout particulièrement comme c’est le cas ici, à Nehanda, reste incontournable et fondatrice. Pour prendre un autre exemple, le joueur de mbira Chartwell Dutiro (qui fut par ailleurs un proche de Thomas Mapfumo, et un membre des « Black Unlimited »), dans Spirit Talk Mbira, Midzimu Tiringeyiwo, Ancestors Guide Us, Spirit Talk Productions, Lodnon, STC 2, 1996, reprend également les louanges aux ancêtres, en citant Nehanda et Chaminuka « the great spirits of the nation » (cassette désormais hors commerce, conservée à la British Library, Londres). 191 nouveau repris et transformés par les chanteurs, par l’industrie du disque parfois (Teal Recording Company notamment348) et rediffusés à large échelle. Pour ce qui est de la diffusion urbaine, elle s’est parfois internationalisée. Certains chœurs du ZANLA enregistraient en effet au Mozambique349, à partir d’où les chansons étaient ensuite retransmises en direction du Zimbabwe. Le chœur Voice of Mozambique a également repris et enregistré de nombreux Chimurenga songs, en soutien à la lutte armée voisine. Notons que les archives sonores des NAZ de ces chants proviennent du chœur « jumeau », le Voice of Zimbabwe, et qu’ils ont été enregistrés « en exil », à Maputo, au Mozambique Radio Studio. Les NAZ les ont achetés entre 1982 et 1989 ; ils correspondent à la cote « VOZ ». Nehanda, depuis le poème de Solomon Mutswairo dans Feso jusqu’aux réutilisations en tant qu’ancêtre protectrice dans les Chimurenga songs, a été l’un des personnages les plus appréciés du panthéon de la guerre de libération zimbabwéenne. Les acteurs de son émergence comme figure de la nation zimbabwéenne ont été nombreux, et nous avons essayé de montrer que les discours qu’ils ont produits étaient en étroite relation les uns avec les autres. Journalistes, écrivains, hommes politiques, cadres anonymes des partis politiques, chanteurs professionnels, historiens, professeurs d’université, tous ces représentants des élites urbaines ont participé à la création d’une figure populaire, reconduite et amplifiée par la rumeur, depuis des lieux de production très différents, Londres, New York pour les exilés, Salisbury-Harare, les maquis des frontières pour les autres, les camps du Mozambique pour le ZANLA, les camps du Botswana pour le ZIPRA, les studios d’enregistrement de Maputo… Rien de comparable pour les figures de Samori et Sarraounia, où les acteurs de la « fabrique » des héros n’ont pas été impliqués dans une guerre civile de cette ampleur. Pour Samori, nous y reviendrons dans la section suivante, c’est même l’inverse qui s’est produit dès 1958 : Samori est devenu une figure de l’institution. À une bien moindre échelle toutefois, Abdoulaye Mamani a fait de Sarraounia l’incarnation du programme politique du Sawaba, dans l’opposition pendant des années, et menant une guérilla ayant 348 Tony Rivet, Teal Recording Company, à propos de certains chants trop explicitement politiques de Thomas Mapfumo : « Thomas’s music ! Whew ! […] We had to change words so the song would be acceptable to the government », cité par Julie FREDERIKSE, None But Ourselves : Masses vs. Media in the Making of Zimbabwe, op. cit., p.109. 349 Ainsi qu’à Lusaka, voir ce que nous disions plus haut dans la section précédente, sur la diffusion internationale, depuis des gouvernements socialistes « amis » du ZANU et ZAPU. 192 échoué350, en 1964-1965. Il ne s’agit pas de relier l’opposition du ZANU à un régime d’apartheid et l’opposition politique du Sawaba au régime d’Hamani Diori, il y a bien évidemment des différences de tous ordres, mais nous voudrions simplement souligner la manière dont nos deux figures, Sarraounia et Nehanda, peuvent cristalliser par leur nom même tout un discours d’opposition, jugé subversif, qui se construit en contrepoint au discours majoritaire dominant, dans l’ombre de la doxa. Le cas d’une résistance étouffée : l’idéologue et le pouvoir Il nous semble en effet que Sarraounia a émergé comme figure contestatrice en incarnant les idéaux déçus du Sawaba, et nous pourrions dire qu’elle incarne la revanche d’un intellectuel, par l’écriture, sur l’échec de la révolution de 1964-1965. C’est également l’hypothèse que propose Klaas van Walraven, dans le passage qu’il consacre au roman351 : In the end, the woman warrior [Sarraounia] could not, of course, defeat the French, but, tellingly, they did not prevent her from standing up against them : if the novel was set in the pre-colonial times, its Sawabist author must have been much inspired by his experience of metropolitan action in the decolonization era, including Sawaba’s vain employment of guerilla tactics to resist to Franco-RDA combine. (p. 856) [Au final, la femme guerrière [Sarraounia] ne pouvait pas, bien sûr, vaincre les Français, mais, de façon révélatrice, ils n’ont pas pu l’empêcher de se dresser contre eux : si le roman est inscrit dans la période précoloniale, son auteur sawabiste n’a pu qu’être inspiré par son expérience de l’action de la métropole dans la période de la décolonisation, notamment la vaine tentative du Sawaba d’employer les tactiques de la guérilla en luttant contre l’alliance Franco-RDA] Quel a été le rôle d’Abdoulaye Mamani dans la révolution de 1964 ? Comment cet écrivain, considéré comme l’idéologue du parti du Sawaba, a-t-il lié ses activités politiques et littéraires ? Quelles conceptions de la littérature sont induites, et quels espoirs place-t-il en Sarraounia ? Rappelons le contexte de l’indépendance nigérienne. Lorsque le PPN-RDA rompt avec le Parti Communiste Français pour se rapprocher des positions d’Houphouët Boigny en Côte d’Ivoire, certains partisans font scission et suivent Djibo Bakary, fondant l’UDN (Union Démocratique Nigérienne, qui sera la branche 350 Sur l’histoire de la rébellion et sa représentation, voir le spécialiste du Sawaba, Klaas van WALRAVEN, « Sawaba’s Rebellion in Niger (1964-1965) : Narrative and Meaning », art. cit. Voir aussi Claude FLUCHARD, Le PPN-RDA et la décolonisation du Niger, 1946-1960, Paris, Harmattan, 1995. 351 Klaas van WALRAVEN, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, op. cit. 193 nigérienne du MSA, le Mouvement Socialiste Africain, du sénégalais Lamine Gueye), soutenu par la SFIO française. Parmi les premiers partisans, nous trouvons par exemple Ousmane Dan Galadima, fonctionnaire, Issaka Barry, vétérinaire, Amadou Hamidou, employé des postes et télégraphes, et Abdoulaye Mamani, « a modest employee of the French trading firm SCOA [Société Commerciale de l’Ouest Africain] in Zinder and an active unionist »352. Djibo Bakary, né en 1922 comme Sékou Touré, étudia à l’école William Ponty jusqu’en 1942, il fut ensuite syndicaliste et journaliste, mais continua toute sa vie à avoir des attaches avec les paysans, dont il aida les syndicats à se former, ce qui lui valut une très grande popularité353. Son parti, devenu le Sawaba, remporte deux tiers des voix aux élections de février 1957, rendant Djibo Bakary vice-président du Conseil du Gouvernement 354 . Le PPN-RDA est accusé de ne servir que les intérêts des « évolués », alors que le Sawaba, lui, a une assise plus populaire, majoritairement dans le Centre et l’Est nigérien, à dominante haoussa. Klaas van Walraven définit ainsi l’électorat du Sawaba, engagé dans un véritable projet politique de renouvèlement social et culturel355 : [L’histoire du Sawaba interroge] how the struggle for a political autonomy in the latter days of French empire involved a social project aiming at a broad if vaguely imagined transformation of society that should, above all, benefit a class of semiurbanised marginals and some better placed workers (but still below the level of « évolués »), who were developing into a horizontally structured proletariat. (Prologue) [L’histoire du Sawaba interroge] comment la lutte pour une autonomie politique dans les derniers jours de l’empire français a impliqué un projet social visant à une transformation générale, ou imaginée telle, de la société qui devait, avant tout, bénéficier à une classe de marginaux semi-urbanisés et à quelques travailleurs mieux lotis (mais toujours en-dessous du niveau des « évolués »), qui se développaient en un prolétariat organisé de manière horizontale.] S’appuyant sur le « petit peuple », pour reprendre l’expression de Klaas van Walraven, le Sawaba milite pour le NON au référendum de 1958, comme le PDG de Sékou Touré, s’écartant avec fracas du PRA de Senghor. Pierre Messmer, inquiet, 352 Klaas van WALRAVEN, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, op. cit., p. 64. 353 Il était appelé « le sauveur », entretien de Klaas van Walraven avec Mounkaila Albagna, 29 novembre 2003 : « Pour le petit peuple, Djibo était un prophète », op. cit., p. 70. 354 Klaas van WALRAVEN, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, op. cit., p. 79. Abdourahmane IDRISSA, Samuel DECALO, « Djibo Bakary », Historical Dictionary of Niger, The Scarecrow Press, Lanham, Toronto, Plymouth, 2012. 355 Klaas van WALRAVEN, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, op. cit. 194 demande au gouverneur Jean Colombani356 de veiller sur la campagne afin que le OUI l’emporte, en soutenant le parti de l’opposition, le PPN-RDA de Diori Hamani. L’historien du Sawaba démonte les rouages politiques de cet exemple manifeste d’ingérence gaulliste, de type néocolonial, pour que le Niger ne bascule pas à la suite de la Guinée : il s’agit d’« écarter Djibo Bakary » selon les termes de Pierre Messmer357, et effectivement, la victoire du OUI vient clore cette période de fortes pressions politiques et militaires, et éteindre radicalement les émeutes urbaines d’avril 1958 qui attestaient pourtant d’une poussée populaire vers le NON. À Zinder, Abdoulaye Mamani se plaint de ne pas pouvoir faire campagne librement pour les élections suivantes à l’Assemblée (p. 267). Il réussit tout de même à être élu, et devient donc député de l’opposition, contre Diori Hamani qui demande immédiatement à la Chambre les pleins pouvoirs, malgré les protestations sans effet de l’écrivain. S’ensuivent plusieurs années de pressions politiques de tous ordres ; Abdoulaye Mamani, considéré comme l’idéologue du parti (rédacteur du journal du parti, Talaka, et député de Zinder), est placé sous résidence surveillée ; Djibo Bakary est contraint à l’exil (en 1959, il profite d’un meeting à Conakry et de l’hébergement de Sékou Touré pour fuir, avant de s’installer à Bamako). L’agitation politique continue, dans les bars de Niamey et à Zinder notamment, et en 1960, de nombreux leaders sont arrêtés par Diori Hamani, dont Abdoulaye Mamani, relâché à la fin de l’année pour l’anniversaire de la République (p. 362). Le parti s’engage dans la clandestinité, recrute et forme des jeunes gens au maniement des armes dans des camps en Algérie : ils sont transférés par bateau depuis Accra au Ghana, vers Casablanca au Maroc, avant d’être acheminés à Marnia en Algérie, qui semble avoir été le camp d’entraînement de toutes les guérillas d’Afrique de l’Ouest, selon Klaas van Walraven (p. 437). La vie d’Abdoulaye Mamani est assez mal connue à cette époque ; nous savons qu’il visite Moscou en 1959, après avoir assisté à un colloque sur le désarmement à Stockholm en mai de la même année358. Il possède une carte du FLN algérien359, il y 356 Voir le témoignage subversif Georges CHAFFARD, « La longue marche des commandos nigériens », in Les Carnets secrets de la colonisation, vol. 2, Paris, Calmann Lévy, 1967, p. 78, qui dresse un portrait de Colombani au Niger. 357 Cité par Klaas van WALRAVEN, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, op. cit., p. 190. 358 Entretiens avec Jean-Dominique Pénel, 2011. Voir aussi Klaas van WALRAVEN, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, op. cit., p. 442. 359 Entretiens avec Jean-Dominique Pénel, 2011, qui conserve des photocopies des documents personnels d’Abdoulaye Mamani, de ses cartes de diverses affiliations, ainsi que de certificats et récompenses. Pour des informations d’ordre plus général sur les connections FLN-Sawaba : Klaas Van WALRAVEN, « From 195 séjourne entre 1962 et 1963, avant de s’y exiler bien plus longtemps à partir de 1964. Avant la rébellion, il visite les camps de Tamanrasset et Marnia, il voyage à Ingall et Alger. En septembre et octobre 1964, les troupes françaises se retirent progressivement du territoire nigérien, et c’est le moment que choisissent les cadres du Sawaba pour lancer l’offensive contre le gouvernement de Diori Hamani 360 . Djibo Bakary, Abdoulaye Mamani, Ousmane Dan Galadima, réunis à Porto Novo, planifient l’opération, lancée le 27 septembre 1964. Les commandos étaient dispersés sur tout le territoire et affluaient depuis le Ghana, le Dahomey, le Nigéria, la Haute Volta et le Mali, et ne devaient rallier Niamey qu’à la dernière phase de l’opération, une fois les populations rurales acquises à la cause. Mais les affrontements se soldent par un échec des commandos : ils sont arrêtés, parfois dénoncés par la population, et exécutés en place publique. De nombreuses causes ont été proposées pour ce second échec du Sawaba après la défaite de 1958 : la mauvaise préparation des hommes, le manque d’armements (des armes subventionnées par la République Populaire de Chine auraient été interceptées par Sékou Touré, pour son propre compte), l’absence de lien avec les syndicats de Niamey qui auraient pu soutenir le mouvement, l’éloignement des cadres du parti… Quoi qu’il en soit, ce parti qui était au pouvoir en 1957, profitant d’une base extrêmement solide, très populaire, a été une nouvelle fois défait, Diori Hamani ayant vraisemblablement profité de l’aide tactique de la France. Plusieurs années après, Ousmane Dan Galadima est resté dans les mémoires comme un meneur d’hommes respecté, au contraire de Djibo Bakary et Abdoulaye Mamani, accusés d’avoir été « bourgeois » et de n’avoir jamais été au contact des guérilleros ni de la base du parti361. Cette mémoire recueillie auprès des survivants par Klaas van Walraven prouve avec efficacité la dichotomie entre les discours et les pratiques : le Sawaba a été un parti populaire, d’inspiration socialiste, prônant la révolution, et Mamani en a été l’idéologue, prétendant parler au nom du peuple. Mais il n’en reste pas moins un membre de l’élite intellectuelle, malgré l’appareil rhétorique déployé, et les souvenirs des anciens combattants le démontrent bien. Mamani est ensuite forcé à l’exil en Algérie, et ne reviendra au Niger qu’après l’arrivée au pouvoir de Seyni Kountché, en 1974. Malheureusement, les anciens Tamanrasset : The Struggle of Sawaba and the Algerian Connection, 1957–1966 », The Journal of North African Studies, 10 (2005/3-4), p. 507‑528. 360 Georges CHAFFARD, « La longue marche des commandos nigériens », in Les Carnets secrets de la colonisation, op. cit., p. 269‑341. 361 Klaas van WALRAVEN, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, op. cit., p. 731. 196 sawabistes restent suspects, même aux yeux du nouveau pouvoir en place : en 1975, Djibo Bakary est arrêté sur des charges floues ; le combattant Ousmane Dan Galadima, l’écrivain Ibrahim Issa362 et Abdoulaye Mamani sont arrêtés en 1976 et détenus au camp de Dao Timmi, au pied des montagnes Totomaï, dans des conditions terribles. C’est là qu’il rédige son roman Sarraounia, qui nous semble à la fois dirigé contre l’ingérence française, de 1958 et de 1964, et contre le parti au pouvoir de Diori Hamani. Klaas van Walraven donne des détails au sujet des conditions de détention de l’écrivain, et sur la production du roman : As Abdoulaye Mamani latter recalled, he was locked up – on his own – in near total darkness in an underground cell. As no charges had been brought, no one knew where they were. It took a year before the regime let it be known where they had been incarcerated, allowing them to receive correspondence. Heroically, Mamani, who during his Algerian years had refined his literary skills, tried to cope with the solitary confinement by preparing a novel called Sarraounia. By his own account, he used toilet paper and notebooks smuggled in by friendly warders, making use of cracks of light seeping through an air vent. Sometimes, he was forced to destroy what he had written to avoid discovery – constraining him to start all over again. (p. 849) [Comme Abdoulaye Mamani le raconta plus tard, il fut enfermé – tout seul – dans une obscurité quasi-totale, dans une cellule souterraine. Comme aucune charge n’avait été apportée contre eux, personne ne savait où ils étaient. Cela prit un an avant que le régime ne divulgue le lieu de leur incarcération, les laissant ainsi recevoir du courrier. Héroïquement, Mamani qui avait affiné ses talents littéraires pendant ses années algériennes, essaya de tromper sa solitude et son confinement en préparant un roman intitulé Sarraounia. Selon son propre témoignage, il utilisa du papier toilette et des carnets de notes livrés clandestinement par des gardiens compatissants, se servant de lueurs provenant d’une bouche d’aération. Il était parfois contraint de détruire ce qu’il avait écrit pour éviter d’être découvert – ce qui le forçait à tout recommencer à nouveau.] Après avoir passé dix ans en exil et presque quatre ans dans l’opposition à essayer de retrouver le pouvoir, Abdoulaye Mamani est contraint à la solitude et à l’enfermement. Les idéaux de redistribution des terres, d’amélioration des conditions de travail du « petit peuple » et des salariés urbain, le rejet de l’ethnicisation de la vie politique, se retrouvent balayés par la junte militaire. La figure de la résistante Sarraounia, figure de l’opprimée, parce qu’elle est femme, parce qu’elle est animiste, et parce qu’elle lutte contre les Français, a constitué un modèle pour l’écrivain, incarnant ainsi les espoirs déçus du Sawaba. De facto, Sarraounia est réputée anticoloniale – elle a tenté de s’opposer à Voulet et Chanoine –, ce qui en fait de prime abord une héroïne consensuelle, acceptable 362 Ibrahim ISSA est l’auteur du premier roman nigérien de langue française, Grandes eaux noires, Paris, Editions du Scorpion, 1959. Réédité par Jean-Dominique PÉNEL qui en dresse la préface : Ibrahim ISSA, Grandes eaux noires : Le premier livre de littérature nigérienne en français, Paris, Harmattan, 2010. 197 par le régime de Seyni Kountché, fier de l’indépendance obtenue quinze ans auparavant, et ceci en a permis sa diffusion. Mais à y regarder de plus près, le contexte d’opposition aux Français peut également se lire dans un contexte néocolonial, où les élections sont sujettes à des fortes pressions externes – pour renvoyer à 1958 –, où les opposants politiques sont traqués, et où l’appui stratégique exogène permet d’assurer la continuité du régime en place – pour renvoyer à 1964. Bien que très tardif, le texte paraît à Paris en 1980, un an après la sortie de prison d’Abdoulaye Mamani alors évacué vers un hôpital à Agadez pour un glaucome : il nous semble donc que le roman peut tout à fait se lire dans le contexte de l’opposition politique du Sawaba, depuis 1958 où le parti perd les élections et le référendum, jusqu’à 1979, où les opposants sont tous sous les verrous, en passant par la rébellion de 1964363. À la différence de Nehanda, où 1980 signe l’arrivée au pouvoir du ZANU, avec Canaan Banana et Robert Mugabe, l’opposition au pouvoir de la figure de Sarraounia demeure symbolique, l’opposition politique et militaire ayant été étouffée sur près de vingt ans (avec une double condition de subalternité : envers les régimes de Diori Hamani, et de Seyni Kountché, mais aussi envers l’ingérence française néocoloniale). Nehanda et Sarraounia ont vécu les années 1960-1980 dans la clandestinité, au sein de groupes minorisés par un pouvoir qui détenait le monopole et l’exclusive du discours majoritaire. Mais de quel discours majoritaire parle-t-on pour ce qui est de Samori ? Quels acteurs peuvent se situer dans l’opposition et, surtout, dans l’opposition à quoi ? 363 Voir également les propos d’Abdoulaye Mamani lui-même sur son œuvre, dans Diouldé LAYA, Boubé NAMAI!WA, Jean-Dominique PÉNEL (éd.), Boubou Hama : Un homme de culture nigérien, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 69-74, avec la retranscription d’une conversation aux allures nietzschéenne avec Jean Rouch et André Salifou. Selon l’écrivain, la figure de Sarraounia révèle que les traditions africaines sont en train de tomber, telles des idoles, et que les intellectuels doivent s’en emparer pour avancer politiquement et pour opérer une émancipation véritable : « Les gens vont ouvrir les portes des grands féticheurs azna [c’est-à-dire, profaner les sanctuaires, et pénétrer dans le sacré pour être démythifié]. Euxmêmes savent que l’évolution est telle que tous les mythes sont tombés » (p. 74). S’il n’admettra jamais que Sarraounia a une couleur politique extrêmement forte, ce qui est notre lecture, Abdoulaye Mamani revient souvent sur ce besoin de s’émanciper de la religion et des « traditions », qu’il tient lui-même, en réalité, d’une idéologie socialiste d’inspiration maoïste, même s’il ne fait jamais le lien dans les différents entretiens qu’il a pu accorder. 198 Canonisation et voix des subalternes : l’historien contre la métropole Samori est, il est vrai, largement traité dans la section suivante, consacrée aux acteurs de l’institution : le chef de l’État, au plus haut sommet de la hiérarchie, étant le parangon de ces auteurs de la « fabrique nationale » du héros. Samori n’est résolument pas clandestin en Guinée ! Pour autant, la « canonisation » de son personnage, toute institutionnelle qu’elle soit, s’est effectuée en réaction à un discours perçu comme dominant, celui de la colonisation, qui faisait de Samori le grand ennemi esclavagiste à abattre, le criminel par excellence. L’anticolonialisme de Samori, au même titre que celui de Nehanda et de Sarraounia, peut être lu selon cette acception comme une prise de parole des subalternes contre l’historiographie occidentale, comme un regard postcolonial364 porté sur l’histoire : il s’agit de réévaluer et d’inverser les clichés qui courent sur le personnage, pour redonner une dignité au héros déchu. Nous aurions donc affaire à un discours mineur soutenu par les jeunes institutions guinéennes, dans les premières années de l’indépendance, ce qui pourrait paraître un comble. Écrire une contre-histoire de la Guinée pour balayer les images rémanentes de la colonisation : c’est le but affiché de l’un des premiers textes consacrés à la réhabilitation de Samori, le manuel scolaire dirigé par Djibril Tamsir Niane et Jean Suret-Canale, Histoire de l’Afrique Occidentale, édité d’abord en 1960, puis l’année suivante dans une édition grand public365. Ainsi la préface affirme-t-elle écrire en réaction contre les manuels scolaires de l’AOF, « imprégnés de l’idéologie coloniale » : Et si certains passages de ce manuel heurtent quelques Français dans leurs idées reçues, nous pensons que par là même il sert la cause de la France, de son peuple et de sa culture que nous nous sommes constamment attachés à distinguer de ceux qui se sont couverts de son drapeau à des fins inhumaines. Bien des drames eussent été évités si ceux qui avaient autorité pour cela – par exemple l’Académie des Sciences d’Outre Mer – avaient révélé aux Français la vérité sur l’Afrique au lieu de les intoxiquer, et peut être de s’intoxiquer eux-mêmes, dans les vapeurs des mensonges « officiels ». (Niane, Suret-Canale, 1961) 364 La notion de postcolonial ne s’applique pas ici à une période historique (à la différence de post-colonial, « après les indépendances »), mais définit plutôt une situation de subordination, voire de périphérie, que les acteurs-auteurs pensent dans la langue et les discours. 365 Sur le rôle-clé de l’historien Djibril Tamsir Niane et pour une analyse des deux premiers manuels scolaires d’histoire en Guinée, voir Céline PAUTHIER, « Forger l’imaginaire national : les enjeux de l’enseignement en histoire en République de Guinée au lendemain de l’indépendance », in L’école en situation postcoloniale, Cahiers Afrique n°27, Paris, L’Harmattan, 2012. 199 L’argumentaire est adressé non pas aux étudiants ou aux professeurs guinéens, mais bien à l’institution française, qui avait donné un avis défavorable quant au manuel de 1960366. Il s’agit donc d’une réponse de Djibril Tamsir Niane et Jean-Suret Canale à l’Académie des Sciences d’Outre Mer, accusée d’avoir empêché la création d’une histoire expurgée de la propagande coloniale. Ce laisser-faire aurait même été responsable d’une intoxication des foules, et de certains « drames » dus à la méconnaissance des peuples africains. L’argument est subtil, en ce qu’il disculpe la foule indistincte des « Français », tout en accusant l’impérialisme de mensonge officiel. Deux chapitres sont consacrés à Samori : le chapitre 23 : « La Résistance au Soudan – L’empire de Samory », et le chapitre 24 : « La Résistance au Soudan – Les guerres de Samory (1891-1898) » (Béhanzin, Ahmadou n’ont qu’un chapitre chacun, tandis que les héros considérés comme « régionaux » pour la Guinée se partagent les références dans les chapitres introductifs et conclusifs). Écrire une contre-histoire, c’est donc mettre en avant des héros africains, et Samori est le premier d’entre eux dans ces deux premiers manuels. Djibril Tamsir Niane est l’un des premiers à renverser la figure de Samori du tyran au héros, et son manuel scolaire a eu un impact considérable, puisqu’il a été adopté par de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest après les indépendances. Il y a donc eu survalorisation des héros guinéens, et surtout de Samori, dans la sous-région, grâce à la large audience dont ce manuel a bénéficié. De 1958 à 1961, date du « complot des enseignants », l’éducation a été l’une des priorités de Sékou Touré. Né en 1932, Niane, après avoir fait ses études en France, devient enseignant d’histoire et proviseur du lycée Donka, avant d’être appelé à écrire le manuel scolaire des nouvelles classes, et à fournir le matériel pédagogique nécessaire à un programme « décolonisé ». Emprisonné ensuite par Sékou Touré parce qu’il est soupçonné d’agitation politique au sein de ses activités syndicales, il est relâché, avant de s’exiler à Dakar. Céline Pauthier montre bien comment Djibril Tamsir Niane est révélateur de l’ambivalence de la conception du système éducatif sous Sékou Touré : à la fois fondamental pour l’union nationale, et suspect de dissidence. Il est donc l’un des premiers acteurs de la réévaluation de la figure de Samori, en lutte contre le discours eurocentré, majoritaire à l’époque, avec la particularité d’être tout à la fois supporté et poursuivi par l’institution. 366 Entretien avec Djibril Tamsir Niane, à son domicile le 19 juin 2014, portant sur son rôle dans la création des manuels scolaires de 1960, et sur la réhabilitation de la figure de Samori pendant l’indépendance. Céline Pauthier, « Forger l’imaginaire national », art. cit. 200 *** Nous avons parcouru différentes catégories d’acteurs qui envisagent tous la même position par rapport à l’État, à la loi, à la norme : celle de la subversion, et la figure héroïque leur sert de forme pour venir inquiéter le discours dominant. Nehanda, Sarraounia, Samori sont des figures de la résistance367. En ce sens, ces acteurs ont en commun une lutte pour venir miner la « suprématie culturelle »368 qu’a représentée la colonisation, à plusieurs niveaux, de la guerre civile zimbabwéenne (Nehanda) au discours anticolonial d’État de Sékou Touré (Samori), en passant par l’opposition du Sawaba au néocolonialisme (Sarraounia). Ainsi, les littératures et les productions artistiques qui émanent de ces acteurs pourraient être apparentées au concept de littérature mineure, développée par Gilles Deleuze et Félix Guattari369, puisqu’elles répondent aux trois critères définis par les auteurs : déterritorialisation de la langue (recours au français et à l’anglais, les langues de la colonisation, avec un contexte minoritaire des producteurs), branchement systématique sur le fait politique, dimension systématiquement collective des œuvres. Nous avons essayé de montrer à quel point la notion d’« auteur » était peu efficace pour notre objet, et que les textes témoignaient d’une intrication extrême des discours : les figures sont certainement plus à voir comme des propositions reprises, prolongées, en perpétuel devenir selon des horizons différents, que comme des créations d’un seul auteur. La figure, en ce sens, aurait un fonctionnement proche de celui de l’œuvre « rhizome »370, où la machine textuelle ne cesse de se brancher sur d’autres composantes. Dans le contexte de la littérature engagée dans la lutte, comme celle qui est liée à Nehanda, ces branchements successifs, qui viennent démonter le discours majoritaire, fonctionnent bien pour l’analyse. Néanmoins, même à l’intérieur de 367 Sur les usages de la portée subversive des discours et de la culture populaire, nous nous référons à Johannes FABIAN, Power and Performance : Ethnographic Explorations through Proverbial Wisdom and Theater in Shaba, Zaire, Madison, University of Wisconsin Press, 1990. Sur les différentes modalités de la résistance selon les contextes d’énonciation, nous nous reportons à l’étude d’un village malais, malgré l’écart géographique : James C. SCOTT, Domination and the Arts of Resistance : Hidden Transcripts, Yale, Yale University Press, 1990. 368 Antonio GRAMSCI, Cahiers de prison, tome 1, trad. M. AYMARD, P. FULCHIGNONI, Paris, Gallimard, 1996. 369 Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Kafka : Pour une littérature mineure, Paris, Éditions de Minuit, 1975, Chapitre 1 « Contenu et Expression », p. 7-16, Chapitre 3 « Qu’est-ce qu’une littérature mineure ? », p. 2950 ; Xavier GARNIER, « Les littératures francophones sont-elles mineures, déterritorialisées, rhizomatiques ? Réflexions sur l’application de quelques concepts deleuziens », in Véronique BONNET (dir.), Frontières de la francophonie ; Francophonie sans frontières, Itinéraires et contacts de cultures, op.cit. 370 Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980. Introduction : « Rhizome », p. 936. 201 la littérature mineure, aussi rhizomatique et pleine de ramifications soit-elle, une norme se crée et on observe une certaine standardisation, ainsi qu’une récupération de la production : les Chimurenga songs, depuis les chants de combat et les invocations traditionnelles aux ancêtres, se sont transformés en chants de propagande pour le ZANU, puis pour son leader devenu unique après l’élimination de tous ses concurrents, Robert Mugabe, toujours avec le patronage supposé de Nehanda. La notion de « mineur » est certainement à concevoir comme en mouvement, et les interactions sont parfois dialectiques, comme le rappelle Xavier Garnier dans son article « « Les littératures francophones sont-elles mineures, déterritorialisées, rhizomatiques ? » (op. cit.) lorsqu’il interroge le statut des écrivains majeurs d’une littérature mineure (Kafka bien sûr, ou Senghor). Notre corpus nous permet de continuer la réflexion avec une autre focale : sur la longue durée, toutes nos figures ont été récupérées, à un moment ou à un autre et selon des modalités diverses, par l’État. De subversives et mineures, elles sont devenues institutionnalisées, interprétées et réactualisées par des producteurs intégrés à l’appareil d’État. De « machines de guerre », nomades, elles sont devenues sédentaires, instituées par l’État371. Elles conservent parfois leur portée subversive, lorsque les premières années de Sékou Touré font de Samori le porte-parole de l’anticolonialisme gouvernemental, lorsqu’il s’agit de récrire l’histoire dominée par l’eurocentrisme. Qu’est-ce qu’un discours dominant alors ? Le gouvernement d’apartheid qui minorise les Noirs en Rhodésie, le discours occidental qui impose une norme linguistique et symbolique, mais comment penser dans ce cas les récupérations étatiques qui ne sont plus les porte-paroles d’une minorité, mais bien l’expression du pouvoir dans un système de propagande ? Le « dominant » et le « mineur » sont affaire de relations, et d’échelles, et nos figures illustrent ces mouvements de balancier. La section qui suit est consacrée à la manière dont les acteurs « sédentaires », représentants directs ou indirects de l’appareil d’État, se réapproprient également les mêmes figures qui étaient auparavant celles des maquis, de la résistance, de l’ombre. 371 Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Mille plateaux, op. cit., « Le lisse et le strié », p. 592 et suivantes. L’État, ainsi compris, constitue un appareil de capture, qui neutralise les machines de guerre que peuvent être les figures. Leurs potentialités subversives peuvent certes se réveiller (comme le montre l’épisode de l’arbre de Nehanda, voir supra, section « L’institutionnalisation maximale du héros culturel »), mais l’État cherche à les canaliser. 202 2. ÉLITES ADMINISTRATIVES ET FOLKLORISATION DES FIGURES : NATIONALISMES D’ÉTAT À l’inverse de la conception subalterne de la figure, l’État nouvellement constitué s’empare également des figures pour servir un projet de cohésion nationale. La difficulté pour l’étude est que les mêmes acteurs peuvent passer de la résistance à l’institution, c’est une évidence pour les hommes politiques lorsqu’ils prennent le pouvoir, mais cela est également vrai pour les intellectuels, les historiens, les professeurs d’université ou les artistes, et les figures basculent par conséquent d’un statut à l’autre, tout en conservant le même nom. Le nom propre « Nehanda » ou « Samori » permet d’assurer la continuité entre la figure de lutte et la figure de l’institution. La figure appartient alors à un ensemble discursif plus vaste, idéologiquement centré vers la constitution d’une Nation. De quelle adhésion nationale peut-on parler pour ces figures, alors que l’on ne cesse d’annoncer les morts des États-Nations en Afrique372 ? Quelles marges de liberté et de subversion sont laissées aux réinterprétations des figures, s’il y en a ? Pour notre étude, résistance et collaboration 373 des « acteurs de la fabrique » constituent deux pôles aux relations remodelées en fonction des contextes, et les positions des producteurs ne peuvent être essentialisées. Le Chef d’État et le culte de la personnalité Quels acteurs sont-ils impliqués dans cette production de héros, promue par l’État ? De quels rouages parlons-nous au sein de l’« appareil d’État » ? Ce sont tous les niveaux de l’administration qui sont concernés, du gouvernant, au sommet de la hiérarchie, aux cadres locaux qui organisent les festivals. 372 Benoît BEUCHER et Anna PONDOPOULO se sont inscrits en faux contre cette analyse, lors de la table ronde qu’ils ont animée à la CRG African History Conference, à Durham University, le 6 juillet 2014, « La Nation est morte, Vive la Nation ? ». 373 Pour la collaboration entre les intellectuels et le pouvoir, singulièrement les journalistes et le pouvoir politique, nous suivons les analyses de Francis B. NYAMNJOH, « Government-Press Relations in Multiparty Cameroon : Competing Interpretations of a Controversial Law », in Press and Politics in Africa, African Studies, vol. 53, Lewiston, New York, Edwin Mellen Press, 2000, p. 155‑184. 203 L’impulsion, pour ce qui est de Samori, a très clairement été donnée par un seul homme, Sékou Touré. Né en 1922 à Faranah, dans le Nord de la Guinée, Sékou Touré a d’abord été employé des postes, où il s’initie au syndicalisme. Il est d’abord affilié au RDA, comme les premiers Sawabistes nigériens à la fin des années 1940. Il organise ensuite l’UGTAN, une union syndicale dans l’ensemble de la sous-région, en 1957 à la Conférence de Cotonou, conférence lors de laquelle les Sawabistes nigériens doivent s’incliner devant Senghor qui prônait le OUI au référendum de 1958. Il est élu député de la Guinée en 1956, et conduira son parti, le PDG, au pouvoir en 1958, après avoir porté la campagne du NON au référendum. Détesté par De Gaulle, qui ne lui pardonne pas les sifflets qui l’ont accueilli à Conakry lorsqu’il était venu présenter la structure du partenariat avec la France, Sékou Touré devient le premier président de la République de Guinée le 2 octobre 1958, date à partir de laquelle il entame une véritable politique de propagande et un culte de la personnalité, où Samori, l’ancêtre fondateur, joue un rôle crucial. Sékou Touré est l’illustration du grand rôle conféré aux personnes dans ces nouveaux États africains, où le petit nombre d’échelons administratifs favorise l’influence directe des acteurs sur les politiques publiques. Samori fait partie de la propagande de Sékou Touré, et l’analyse de sa mise en scène dans les chants des archives de la RTG, du label Syliphone, nous informe au sujet de l’image que Sékou Touré souhaitait offrir de lui-même à travers son ancêtre. Nous reviendrons ensuite sur les conditions de production du label, et les rapports entretenus entre les chanteurs, les orchestres nationaux ou fédéraux, et le gouvernement. Rarement un chef d’État n’a autant pris position pour la réhabilitation d’une figure historique. Dans les écrits mêmes de Sékou Touré, nous trouvons de nombreux textes glorifiant Samori, et le jeu sur les dates-symboles est l’une des marques de fabrique de son écriture. Dans le tome XVII de ses Œuvres, La révolution culturelle, publié en 1969374, une section « Poèmes dédiés à nos Héros » rend hommage aux figures du panthéon national : M’Balia Camara, militante tuée dans une manifestation, Alfa Yaya Diallo, résistant à la colonisation, et bien sûr Samori Touré. Deux poèmes intitulés « Septembre 1898 » et « Septembre 1958 » se suivent : le premier est une déploration élégiaque de l’arrestation de Samori à Guélémou, le second est une célébration de l’indépendance, et du NON des Guinéens, le dernier vers étant « Et 374 med Sko TOURÉ, La Révolution culturelle. Tome XVII Œuvres, Conakry, Imprimerie Nationale Patrice Lumumba, 1969, p. 396 et suivantes. 204 finalement triompha la Révolution ». Le poème intitulé « L’Almamy Samory », quant à lui, est moins centré sur l’empereur que sur cette comparaison de dates : […] Mais d’étranges coïncidences ! Aux soixante-dix ans d’exil Sur le continent du soleil, Juste sur la ligne des tropiques Là où, par les rayons lumineux, Étaient transmises à la conscience Et à la volonté de notre peuple Les consignes de la résistance Jusqu’au grand jour Du 29 Septembre 1958 où revint la liberté Qui définitivement nous vengea De cet autre 29 Septembre 1898. Après une éclipse de 60 ans ; Et à l’échelle mondiale, Resurgit plus digne un grand Peuple Aux dimensions et aux capacités infinies Foyer incandescent de la Révolution. Sékou Touré reprend à son compte une prophétie indiquant que la colonisation durerait soixante ans, et multiplie les parallèles entre les deux « septembres », dont l’un est une revanche de l’autre. Certaines phrases de ses discours se retrouvent dans les chants de la RTG, ici le Bembeya Jazz375 : Il est des hommes qui bien que physiquement absents continuent et continueront à vivre éternellement dans le cœur de leurs semblables. Sont de ceux là l’empereur Almamy Touré l’empereur du Wassoulou, le roi de Labé, l’illustre Alpha Yaya Diallo. Reprenant l’article de Sékou Touré publié dans Horoya376 au moment des retours des restes de Samori et Alfa Yaya, en 1968 : Mais aussi il est des hommes qui continuent à vivre et qui vivront éternellement dans la pensée […] C’est ainsi également qu’en Guinée, des héros aux noms prestigieux de : Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo qui ont vaillamment résisté à la tête du combat de notre Peuple contre la domination étrangère furent victimes de la même cruauté. Il est vraisemblable, sinon que Sékou Touré soit intervenu personnellement dans la relecture de certains chants destinés à une diffusion nationale lors de certaines commémorations, du moins, dans l’autre sens, que de nombreux groupes et chanteurs 375 Céline PAUTHIER, dans sa thèse, a déjà montré les relations intertextuelles qui existent entre cette chanson du Bembeya Jazz National et le manuel scolaire de Djibril Tamsir Niane. 376 Horoya, Organe quotidien du Parti Démocratique de Guinée, 22 et 23 septembre 1968, n°1565, 8ème année. « Le président Ahmed Sékou Touré à propos de la restitution au sol natal des restes des héros l’Almamy Samory Touré et Alpha Yaya Diallo : Une victoire pour le peuple ». 205 nationaux se soient inspirés des textes et discours de Sékou Touré, en en citant parfois des extraits (Bebembeya Jazz National, « Le Chemin du PDG » : « Notre leader bien aimé Ahmed Sékou Touré déclara…[…] notre guide déclara… »). Nous analyserons donc ici comment l’image de Samori sert à conforter la propagande de Sékou Touré, étant entendu qu’il est le premier des « acteurs » de la fabrique des héros. Nous avons vu au chapitre précédent que le nom de Sékou Touré était directement lié à celui de Samori, se déclarant petit-fils de Samori par sa mère, Aminata Fadiga, d’ailleurs régulièrement citée dans les chants de la RTG377 : Aminata Fadiga a donné naissance à l’enfant qui est l’or rouge du Mandé qui est l’or rouge de l’Afrique qui est l’or rouge du monde Il est inutile de revenir plus longuement sur cette filiation, tant elle est omniprésente dans les textes. Parler de Samori, c’est parler de Sékou Touré. Parfois plus complexe à contextualiser, en revanche, Samori devient pour Ahmed Sékou Touré un moyen de légitimer sa politique publique, et ce, à plusieurs niveaux. En rappelant leur combat commun contre les Français, c’est d’abord le NON de la Guinée au référendum de 1958 qui est légitimé, cet épisode devenant l’acte fondateur de la Guinée indépendante dans la mythologie nationale, et l’acte de bravoure initial de Sékou Touré par la même occasion. « Almamy Mamaren » est un chant très court (3’38) du Bembeya, dirigé par Diaouné Hamidou, enregistré en 1968, et qui est entièrement consacré à la gloire de Samori/Sékou Touré. Le point focal de l’argumentaire est la lutte pour la liberté : Que tu le veuilles ou non, le petit-fils de l’Almamy Samori Touré est incomparable x2 Pour toi c’est le destin, c’est Dieu qui l’a voulu C’est toi le petit-fils de l’Almamy Samori Touré Ta dignité, tout le monde en a bénéficié Grâce à toi, nous avons la liberté Que tu le veuilles ou non, le petit-fils de l’Almamy Samori Touré est incomparable x2 Que tu le veuilles ou non, c’est toi le petit fils de l’Almamay Samori Touré Grâce à toi, la Guinée a eu son indépendance Pour toi c’est le destin, c’est Dieu qui l’a voulu Nous, nous te suivons pour ta bonne conduite et l’idée que tu as du pays Que tu le veuilles ou non, le petit-fils de l’Almamy Samori Touré est incomparable x2 377 « Epopée du Manding » 16’34, Ensemble voix de la Révolution (Sory Kandia kouyaté dir.), 1975, 0342F (Archives de la RTG). 206 Nous avons eu l’indépendance grâce à toi, le petit fils de l’Almamy Samori Touré Nous sommes bien dans l’indépendance parce que nous sommes libres de faire ce que nous voulons C’est grâce à toi L’indépendance est également l’occasion de tourner en dérision les ennemis, ici De Gaulle, dans une dégradation burlesque mise en scène par le Fetoré Jazz378 : Le neveu de l’Almamy Samory Touré est devenu le chef de la Guinée […] C’est grâce à Dieu qu’il est le chef de la Guinée Et la méchanceté n’a pas sa place dans sa chefferie C’est grâce à Dieu qu’il est chef Le géant des Blancs a eu honte en Guinée, ici C’est grâce à Dieu qu’il est chef Sékou Touré a renversé le « géant des Blancs » puisque celui-ci a été hué en 1958, et que le NON a gagné lors de la concertation. Dans les chants de la RTG, Sékou Touré est également présenté comme l’unique fondateur du PDG379 : Eh, Sékou, M’fa Touré, on pense à toi, à cause de ton grand-père [Samori] C’est à cause des bienfaits de ton grand-père [Samori] que Dieu t’a récompensé Tu es venu avec le PDG Et le PDG joue le même rôle pour aider les Africains Vous ne voyez pas, quand le PDG est venu, les ennemis sont partis Nous sommes indépendants maintenant, nous ne sommes plus esclaves Ah, Mandiou ! Le chant relie les bienfaits de Samori Touré, le « grand-père », aux actes de son petit-fils. Comme Samori a construit un empire, son petit-fils a construit une Guinée libre (« nous ne sommes plus esclaves ») grâce à un parti politique, la formation de l’empire et la formation du parti étant mise sur le même plan, avec un résultat similaire : la fuite des opposants est présentée de manière resserrée, « quand le PDG est venu, les ennemis sont partis », où les deux propositions ont une structure syntaxique très simple, sujet+verbe, ce qui suggère l’immédiateté du procès. D’autres chants380 soulignent d’ailleurs que, grâce à Sékou Touré, la Guinée n’a pas eu à mener de guerre pour obtenir son indépendance, et que cette dernière est arrivée à l’instant même où il a accédé au pouvoir. Plus immédiatement liée à l’actualité politique, les chants des archives de la RTG justifient 378 « Almamy Samory » 3’43, Fetoré Jazz (orchestre fédéral de Pita), 1970, 0017-M. (malinké) « Samory » 09’33, Niandan Jazz (orchestre de Kissidougou), 1970. SLP 19. (malinké) 380 « Nous, nous avons eu notre indépendance dans la paix, sans effusion de sang », dans la chanson « L’Afrique vaincra » 32’39, Tropical Djoliba Jazz, 1978. 0508 M (Archives de la RTG). 379 207 également la politique internationale de Sékou Touré, et Samori, cette fois encore, joue le rôle de grand ancêtre, qui lui aurait inspiré une politique de pacification, d’une part, et un idéal de libération des peuples d’Afrique, d’autre part. Samori est donc invité à légitimer les politiques d’aides aux mouvements indépendantistes africains des années 1970 à travers tout le continent, mais aussi les politiques panafricaines d’union des États. À travers ces chants de la RTG et ces références immédiates au contexte international, on lit clairement l’influence personnelle de Sékou Touré dans la production culturelle de son époque. La chanson de l’Ensemble Voix de la Révolution : « Épopée du PDG », datée de 1975, qui reprend le deuxième chant de l’album Regard sur le passé du Bembeya Jazz, intitulé « Chemin du PDG », loue le PDG de Sékou Touré, mais aussi l’OUA, l’Organisation de l’Unité Africaine : Il ne faut pas te coucher, ne reste pas endormi Travaillez toujours Travaillez pour aider l’OUA L’indépendance une fois acquise, il faut travailler On ne dort plus parce qu’on a maintenant l’indépendance On doit aider l’Angola On doit aider le Mozambique On doit aider le Zimbabwe On doit aider la Namibie L’indépendance une fois acquise, il ne faut plus dormir, il faut travailler Aidez, aidez, aidez l’OUA, aidez les pays indépendants Eh PDG Eh PDG PDG Sékou Touré a aidé les partis zimbabwéens du ZANU et du ZAPU ; en ce sens il y a une circulation des acteurs entre les pays, et entre nos figures, Samori servant à légitimer le combat encore en cours des partisans de Nehanda, en quelque sorte. Sékou Touré a également apporté son soutien au FRELIMO du Mozambique et aux différents leaders de l’opposition des pays africains en conflit. Dans ces textes, Samori est invoqué en sa qualité de résistant à la colonisation : les chanteurs légitiment le parallèle entre le XIXe siècle et les années 1970, où certains luttent encore contre les métropoles coloniales, alors que la plupart des États en Afrique ont déjà obtenu leur indépendance. À l’échelle panafricaine, l’Ensemble Voix de la Révolution appelle également à la construction d’une unité des peuples, sur le même modèle, projeté sur le continent, que celui des États, et que celui de l’empire samorien qui aurait fédéré différents peuples autour d’une même structure politique. Cette dimension panafricaine de la politique de Sékou Touré se 208 retrouve dans les louanges d’anciens hommes politiques africains, éliminés par les États occidentaux. Patrice Lumumba et Kwame Nkrumah 381 en sont les principales illustrations ; ainsi dans cette chanson « Épopée du Manding », du même Ensemble Voix de la Révolution : Je parle de qui ? Je parle de Samory, le chef de Sanankoro Aujourd’hui Samory a suivi les anciens cadavres dans l’au-delà Keme Bourema aussi, est devenu un cadavre ancien dans l’au-delà Sa mère aussi est devenu un cadavre Tous les braves maintenant sont sous la terre […] Patrice Lumumba lui aussi était brave, mais il est dans l’au-delà aujourd’hui Kwame Nkrumah lui aussi était brave, mais il est dans l’au-delà aujourd’hui Ici, le lien est légèrement différent entre le XIXe et 1975, date de l’enregistrement de la chanson : le point commun entre Samori et les deux opposants politiques est qu’ils ont été tués pour leur combat. C’est donc une généalogie des martyrs qui est convoquée par Sory Kandia Kouyaté. La déploration repose sur le binarisme des phrases coordonnées par l’adversatif « mais », mettant en parallèle la bravoure passée, et la perte présente, parallèle reconduit avec l’imparfait « il était », et le présent « il est / aujourd’hui ». Le lecteur-auditeur est invité à s’interroger sur cette série de pertes, proposées à lire comme une suite de crimes de la colonisation. La déploration doit mener à l’indignation et, de manière sous-entendue, à approuver l’action politique de Sékou Touré, petit-fils de ce premier martyr, aidant les autres combattants de la liberté. Tous ces exemples ont trait à une politique globale, mais en 1978, la chanson « L’Afrique vaincra » du Tropical Djoliba Jazz se réfère à un événement très précis, huit ans plus tôt, le 22 novembre 1970382 : Sékou Touré a suivi le chemin de son grand-père [Samori] […] Vous ne voyez pas, ce que les soldats de Sékou Touré ont lutté contre les Portugais Tout ça a été pour l’indépendance […] Quand les Portugais sont venus ici, nous, on se battait contre les Portugais Aujourd’hui en Afrique, les Africains se battent contre eux-mêmes Vous devez imaginer ce que nos héros ont fait et suivre leur chemin Sinon, il y a eu des provocations de guerre en Guinée, toutes les puissances voulaient détruire la Guinée coûte que coûte […] 381 Notons que Kwame Nkrumah se réfugie en Guinée, en 1966, après le coup d’État qui le prend pour cible. Ses liens avec Sékou Touré ont toujours étés très forts, et ce depuis l’union Guinée-Ghana dès le 23 novembre 1958, tout juste après le référendum. 382 Sur le débarquement portugais du 22 novembre 1970, nous nous référons à la thèse de Céline PAUTHIER, L’indépendance ambiguë. Construction nationale, anticolonialisme et pluralisme culturel en Guinée (19452010), Paris-Diderot CESSMA, sous la direction d’Odile Goerg, Paris, mai 2014; p. 430 et suivantes. 209 Les Portugais ont passé par une autre voie pour anéantir la Guinée Mais ils n’ont pas gagné En 1970, ils sont passés par tous les moyens pour que les Guinéens tombent dans le piège. Mais impossible ! Dans la guerre du 22 novembre, Cabral a trouvé la mort Mais tout cela a donné du courage au peuple guinéen Ils n’ont jamais laissé l’ennemi rentrer Les autres pays, pourquoi vous tuez-vous entre vous aujourd’hui ? La dignité, la légitimité, on ne l’achète pas par l’argent, On ne l’achète pas avec de l’or On ne l’achète pas avec des diamants Notre dignité, on ne va pas la revendre La Guinée Bissau a eu aussi son indépendance L’Angola a eu son indépendance C’est la Guinée qui a aidé tous ces pays Maintenant, les pays africains ne s’entraident pas, ils se tuent pour être chef Sékou Touré hébergeait en Guinée, au début de 1970, Amilcar Cabral, dirigeant du Parti Africain de l’Indépendance de Guinée et du Cap Vert (PAIGC). Le 22 novembre, des troupes composées d’officiers portugais, de Guinéens de Bissau, et d’exilés de Guinée débarquaient à Conakry, dans la capitale, pour renverser le régime de Sékou Touré et libérer des prisonniers détenus par le PAIGC. Les prisonniers ont bien été libérés, mais Amilcar Cabral était à l’étranger, et Sékou Touré a pu éviter les assaillants. Le Tropical Djoliba Jazz retrace ces événements, en dénonçant la coopération d’Africains dans le débarquement (« les Africains se battent contre eux-mêmes »). La portée partisane de ce texte est assez explicité pour ne pas s’y appesantir, mais pourquoi vient-il huit ans après les évènements ? Rappelons quelques éléments de contexte. Amilcar Cabral est assassiné dans Conakry en 1973, et Sékou Touré aurait été accusé de complicité, ce que le chant récuse en assimilant l’assassinat de 1973 à la même ingérence portugaise que celle de 1970 : « Dans la guerre du 22 novembre, Cabral a trouvé la mort ». La Guinée Bissau a obtenu l’indépendance en 1974, l’Angola en 1975. En Guinée, en 1977, est signée une convention des partis de l’opposition, qui se rassemblent dans l’OULG, l’Organisation Unifiée pour la Libération de la Guinée, dénonçant la dictature de Sékou Touré et les vagues de répressions et d’exécutions arbitraires, dont le paroxysme a été atteint dans les années 1970 et 1971, précisément aux lendemains du débarquement du 22 novembre. La succession des purges et des « complots » a été particulièrement violente dans ces annéeslà, et elles sont la cible des contestations, qui, pour la première fois, trouvent le moyen de se fédérer. La chanson, enregistrée et diffusée en 1978, permet alors de revenir non sur les purges, mais sur la cause officielle de la répression : la défense contre l’ingérence étrangère, la lutte pour la liberté, la traque des « contre-révolutionnaires » et l’aide des 210 pays africains pour l’indépendance. Les haut-faits de Samori servent alors, dans cette référence à la politique internationale, à conforter la propagande mise en place par le régime, inquiet de la structuration de l’opposition à la fin des années 1970. Le « bricolage identitaire » qui relie Samori à Sékou Touré, voulu par Sékou Touré lui-même, est un élément du discours d’État, que le président en personne répercute sur les chants diffusés à la radio. Il est impossible de savoir s’il contrôlait lui-même chacun des chants mentionnés plus haut, mais ceux du Bembeya Jazz National, comme nous allons le voir, ont certainement subi l’influence directe du chef de l’État, les autres étant relus par les bureaux du Ministère de l’Information, et illustraient en tous cas la propagande de Sékou Touré, réutilisant ses arguments, citant ses slogans : « La révolution est exigence » dans « Le chemin du PDG » du Bembeya Jazz National, « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage » dans « Regard sur le passé », des mêmes. Labels musicaux, festivals nationaux : l’art du spectacle d’État La spécificité de la Guinée a été la mise en place d’une politique culturelle de grande ampleur, intégrant tous les échelons de la société, encadrant les moyens d’expression et quadrillant le territoire. Menée par un régime autoritaire et dictatorial, cette politique a permis de placer la culture au cœur du dispositif de construction nationale. Céline Pauthier rapporte, dans son étude « La musique guinéenne, vecteur du patrimoine national (des années 1950 à 1984) »383 : Dès mars 1959, le Congrès constitutif de la jeunesse du RDA (JRDA) avait proposé la dissolution des orchestres de la capitale, qui se produisaient dans les bars dancings de Conakry. […] [Cette décision] s’inscrit tout d’abord dans une logique de décolonisation de la culture et de revalorisation de la musique guinéenne considérée comme authentique. […] Ainsi, l’État organise la création de deux types de formations musicales. D’une part, les ensembles folkloriques, qui interprètent un répertoire traditionnel avec des instruments acoustiques, en accompagnant un chanteur solo ou un chœur. D’autre part, les orchestres modernes incorporent des instruments électriques, une batterie et éventuellement des cuivres, avec pour tâche de moderniser et de réinterpréter les chants du répertoire traditionnel. La politique incitative de l’État vise à la formation de groupes artistiques à tous les échelons territoriaux : il y aurait ainsi eu des groupes artistiques dans chacun des 2 500 Pouvoirs révolutionnaires locaux (comités de base du PDG), des 320 arrondissements, et des 35 préfectures du territoire guinéen. (p.132) 383 Céline PAUTHIER, « La musique guinéenne, vecteur du patrimoine national (des années 1950 à 1984) », L’Afrique des savoirs au Sud du Sahara (XVIe–XXIe siècle), Acteurs, supports, pratiques, op. cit. 211 Dans le lexique de la propagande de Sékou Touré, le maître-mot est l’« authenticité », que devaient conserver les nouveaux groupes de musique, dont la consigne était d’allier « tradition » et « modernité », quelles que soient les difficultés théoriques posées par ces deux notions 384 . La politique incitative de Sékou Touré, organisée par Fodéba Keita, a néanmoins permis la création d’une multitude de groupes locaux sur l’ensemble du territoire. Ceux-ci entraient en compétition lors des festivals nationaux, où chaque région proposait des candidats pour la représenter. Il fallait gagner deux fois pour obtenir la distinction de groupe « national », les chanteurs et musiciens étant alors rémunérés par l’État, devenant dès lors fonctionnaires. Le Bembeya Jazz National, si important pour la promotion de la figure de Samori, a obtenu ainsi la reconnaissance de Sékou Touré, en devenant « national ». Un an après l’enregistrement par le label Syliphone de l’album Regard sur le passé, celui-ci obtient la médaille d’argent au Festival Panafricain d’Alger : à cette époque, les groupes nationaux guinéens avaient donc réellement pour vocation d’opérer comme les têtes de pont de la « Révolution » : ils étaient la vitrine de la Guinée à l’étranger, et singulièrement dans les milieux culturels panafricains. Le label Syliphone, qui soutient et pérennise cette production culturelle d’État, fait paraître son premier disque en 1967385 : Orchestre de la Paillotte, SLP1 ; le dernier de la série est l’œuvre de Balla et ses Balladins (également un orchestre national, dérivé du tout premier groupe national fondé en 1959, le Syli Orchestre), Objectif perfection, en 1980, qui figure dans notre corpus. Les éditions Enimas Conakry LP Record font paraître des disques avec la mention « SLP » jusqu’en 1985. Le label s’arrête à la mort de Sékou Touré et au coup d’État militaire. Notons qu’un label de cinéma, Syli Cinéma, a eu une durée de vie bien plus courte puisqu’il a été suspendu en 1970, pendant la Révolution. Dans Conakry, plusieurs scènes se partageaient ces orchestres nationaux : les Jardins de Guinée pour le Syli Orchestre, puis Balla et ses Balladins, la Paillotte pour Kélétigui et ses Tambourinis, le Palmier pour le Bembeya Jazz 384 Sur l’absence de pertinence de ces deux notions, V. Y. MUDIMBE, The Invention of Africa : Gnosis, Philosophy, and the Order of Knowledge, op. cit. Sur les relations entre tradition, fabrication de la tradition et écriture de l’histoire, voir Gérard LENCLUD « Qu’est-ce que la tradition ? », dans Marcel DETIENNE, Transcrire les mythologies : Tradition, écriture, historicité, Paris, Albin Michel, 1994. Plus précisément, dans notre corpus, l’« authenticité » est un concept fondateur dans les chants de la RTG, dont nous analyserons la poétique dans la partie suivante. Infra, Deuxième partie, Poétique des figures héroïques. 385 L’ensemble du label Syliphone est disponible aux archives de la RTG, à Conakry. Une version numérique des disques existe désormais grâce au travail de Graeme Counsel, dans le cadre du projet « Archives in Danger », financé par la British Library. Le catalogue complet est également disponible sur la page personnelle de Graeme Counsel : radioafrica.com.au, consulté le 5 juin 2016. Pour un récit du déroulement de cette numérisation, voir Graeme COUNSEL, « Digitising and Archiving Syliphone Recordings in Guinea », Australasian Review of African Studies, 30 (2009/1), p. 144. 212 National. Les labels fonctionnaient en relation avec les radios de Conakry, surtout « La Voix de la Révolution », que Fodéba Keita, des Ballets Africains, était chargé de coordonner. Un groupe de musique, dirigé par Sory Kandia Kouyaté, l’une des plus grandes célébrités de la musique guinéenne de cette époque, est L’Ensemble Voix de la Révolution ; il a d’ailleurs produit deux chansons dans notre corpus : « Épopée du Manding » et « Épopée du PDG ». Fodéba Keita incarne bien l’exemple de l’élite culturelle et administrative guinéenne des années de l’indépendance 386 . Né en 1921, il appartient à la même génération que Sékou Touré. Il poursuit des études supérieures de droit à Paris, où il fonde en 1950 la troupe Les Ballets Africains. Les représentations connaissent un vif succès, à tel point que la troupe se produit dans de nombreuses capitales européennes. Deux ans après l’indépendance, Les Ballets obtiennent le statut de troupe nationale guinéenne, et sont directement financés par l’État. Fodéba Keita, qui avait rallié le PDG de Sékou Touré depuis 1956, est promu ministre de la Défense Nationale. Il obtient également le monopole des ondes radiophoniques pour La Voix de la Révolution, par décret du ministère de l’Intérieur. Propagande politique, rayonnement culturel et artistique, et censure des opposants ne font qu’un. Fodéba Keita est tout à la fois chargé de la direction artistique des troupes de ballets, de la diffusion de la culture d’État à la radio, et de la traque et de la dénonciation des dissidents. Il est lui-même accusé de complot, incarcéré au camp Boiro, soumis à la « diète noire » (privé d’eau et de nourriture), avant d’être fusillé en 1969. Tout comme l’école avec l’exemple développé plus haut de Djibril Tamsir Niane, tout à la fois sollicité pour la rédaction des manuels scolaires et emprisonné pour dissidence, la culture et la communication sont des domaines ambivalents sous l’ère Sékou Touré : dans des domaines stratégiques, au cœur de la propagande et de la création d’une culture d’État centrée sur Sékou Touré (en tant que petit-fils de Samori), et potentiellement subversifs, les acteurs qui intervenaient dans les médias, à la radio ou dans les journaux, étaient dans le même temps indispensables et suspectés. L’organisation de la propagande passait, à travers ces acteurs au statut ambivalent, par un encadrement très strict de l’État et par un quadrillage administratif serré du territoire. Parallèlement à ces festivals et distinctions pour la production musicale, 386 Notice biographique « Fodéba Keita », in Mohamed Saliou CAMARA, Thomas O’TOOLE, Janice E. BAKER, et al., Historical Dictionary of Guinea, 5e éd., Lanham, Scarecrow Press, 2014, p. 103. 213 existaient des festivals du même type pour la production théâtrale. Malheureusement, aucune maison de production ou d’enregistrement n’a pu fixer les représentations des pièces lauréates ; celles-ci n’ont pas non plus été publiées. Il est dès lors extrêmement difficile de se faire une idée du contenu de ces pièces. Signalons toutefois que l’une d’entre elles, produite par la région de Kankan, était centrée sur Samori, vraisemblablement en 1977387 pour la première représentation. Cette pièce avait remporté le concours cette année-là, et Sékou Touré avait lui-même exprimé le vœu de la voir filmée. Nous avons pu retrouver le réalisateur de ce film ébauché, Sikoumar Barry, qui raconte ce projet, dans les derniers moments de la politique culturelle de Sékou Touré388 : Quelques années plus tard, après le Festival National, le président Ahmed Sékou Touré a expressément demandé qu’on filme la pièce. Ce devait être vers 1983, à peu près. Les acteurs étaient venus de Kankan, on les avait fait venir. C’était au Palais du Peuple. La pièce a été tournée, les rushs étaient prêts mais elle n’a jamais été montée. Et puis, à la mort de Sékou Touré, tout a été emporté au camp des militaires. C’était suspect à l’époque, ils ont tout pris. Ils ne comprenaient pas la valeur, et nous n’avons pas la conservation, alors aujourd’hui c’est perdu. Le film devait durer 90 min, et avait été tourné sur des pellicules 35mm. Mise à part notre grande déception de n’avoir pu retrouver ces documents audiovisuels, malgré toutes nos recherches, cet entretien nous apprend que Samori était devenu suspect en même temps que Sékou Touré, à sa mort, en 1984. Ce détail souligne à quel point les deux figures étaient en interrelation, dans l’imaginaire collectif. Sikoumar Barry, qui avait fait partie de l’entourage des Ballets Africains, qui avait participé à des « tournées d’encouragement au Mozambique et en Angola » où Myriam Makeba se produisait avec les autres groupes guinéens, formé à la production cinématographique dans les « pays alliés », en Yougoslavie, a pu nous fournir quelques informations sur ce dernier projet. Comme toutes les pièces des festivals de théâtre, elles n’avaient pas de script ni d’auteur, elles étaient mises en scène et directement remaniées par les acteurs qui s’en servaient comme d’un canevas. Les chants étaient en malinké, « dans le cadre de la réhabilitation de la culture nationale et de l’authenticité »389, et les deux principaux étaient l’hymne du Mandé, et le chant de Kémé Bouréma. Pour ce qui est du scénario lui-même, la pièce était moins centrée sur son enfance et son empire que sur l’affrontement avec les Français : « le but était de faire ressortir les valeurs de courage et de ténacité de Samori, son 387 Ces renseignements nous ont été fournis par l’archiviste de l’ONACIG, l’Office National de Cinématographie de Guinée, au Ministère de la Communication à Conakry, entretien du 1er juillet 2014. 388 Entretien avec Sikoumar Barry, à son domicile à Conakry, le 1er juillet 2014. 389 Entretien avec Sikoumar Barry, op. cit. 214 nationalisme ». Le Festival, supervisé par le Ministère de la Culture, encourageait les fédérations des préfectures à monter des pièces sur les « héros régionaux » : Dinah Salifou, Bokar Biro, Alfa Yaya Diallo, Nzébéla Togba, sont cités comme exemples ; en recréant des chants pour l’occasion. Sikoumar Barry a insisté sur la dimension de grand spectacle de ces productions, employant de nombreux figurants : pour les cavaleries, pour les tirailleurs, pour les batailles ou pour les danses, c’était toujours la dimension collective de la résistance qui était mise en avant. L’encadrement de la culture, par le Ministère de la Culture pour les festivals, et par le Ministère de l’Information pour le label, la gestion des groupes nationaux et leurs passages à la radio, a fait l’objet d’une exceptionnelle organisation, impliquant de très nombreux acteurs, de l’échelon le plus local des petits groupes de musiques, aux échelons internationaux des groupes subventionnés par l’État se produisant dans les festivals panafricains. À tous les niveaux de cette chaîne, dans les festivals de musique et de théâtre, à la radio et dans les manuels scolaires, Samori se trouve être la figure du résistant par excellence, dominant toutes les autres figures régionales de résistance, qui font la fierté de chacune des préfectures, mais qui restent sous le haut patronage de celle qui a été pensée pour être le symbole de la nation dans son entier, ainsi que, fort commodément, le double de Sékou Touré. À cet égard, la figure de Samori se distingue des deux autres, tant elle a été l’œuvre de toute une administration, depuis le haut de la pyramide décisionnelle à Conakry – l’implication personnelle de Sékou Touré – jusqu’aux groupes locaux du Nord de la Guinée – revisitant les airs célèbres des louanges de Kémé Bouréma. Si les acteurs de cette « fabrique » de héros sont bien moins nombreux pour les deux femmes que pour Samori, il est toutefois intéressant de remarquer que certains phénomènes de promotion de la culture sont semblables en Guinée, au Niger et au Zimbabwe. La pratique des festivals, où les régions entrent en compétition en proposant des pièces de théâtre centrées sur l’histoire locale, a également existé au Niger. Zinder, en 1986, a remporté le prix avec la pièce sur Sarraounia que nous avons déjà présentée, « Sarraounia, ballet lyrique d’après le roman de Mamani Abdoulaye ». Le Ministère de la Culture et de la Communication était responsable de l’organisation de ces festivals, et il a supervisé le film qui en est issu, mis en scène par Alassane Dante. Le film compte trois parties, dont les deux premières n’ont aucun lien avec la colonisation, mais sont des mouvements de groupes, avec des danses et des chants « du folklore local » comme l’indique le générique, ce qui tend à prouver que Sarraounia est un prétexte pour mettre 215 en valeur bien plus une région, des costumes et des pratiques culturelles (les danses de possession et la pratique du Bori) qu’une période historique. La dimension de « grand spectacle » se retrouve ici également, comme pour Samori, mais elle est encore plus spectaculaire dans le ballet d’ouverture des Cinquièmes Jeux de la Francophonie de 2005. L’organisation en était internationale évidemment, avec l’implication de l’Agence de la Francophonie, mais elle était pilotée sur place par le Ministère et de la Culture, et surtout par le COGE, le Commissariat à l’Organisation des Grands Événements. Des centaines de figurants ont investi le stade de Niamey (« stade Général Seyni Kountché »), des danseurs, des chanteurs, des tirailleurs ou des villageois. La narration y est plus parcellaire que dans le ballet de 1986, et ce sont les mouvements de groupe qui sont privilégiés. Sarraounia est inscrite dans une lignée d’héroïnes présentées comme « nigériennes », et non plus uniquement Haoussa, avec par exemple Tafinat, « l’ancêtre mythique des Touaregs », qu’Abdoulaye Mamani décrit dans son roman, ou encore « Arakoy, la déesse du fleuve Niger ». Les chants en Haoussa recréés pour l’occasion véhiculent l’imaginaire d’une Sarraounia guerrière, héritée de la vision d’Abdoulaye Mamani : Le porteur de bonnet rouge ne rentre pas chez toi Reine lionne Reine fille de Mangou Femme au pantalon de fer Femme au tempérament d’homme Adressé à Sarraounia, cette louange déploie ses attributs de combattante : elle a repoussé les tirailleurs, désignés par la périphrase « les porteurs de bonnet rouge », et les appositions qui lui réfèrent soulignent cet exploit, qui connote la virilité. Surpasser le courage d’un homme est considéré comme le superlatif par excellence, ainsi nous retrouvions déjà cette mention dans le ballet de 1986 : « Sarraounia, on te salue, parce que tu as mis les pieds là où même un homme n’a pas pu le faire ». Quelle image de Sarraounia est donnée dans ces deux ballets de commande ? L’institutionnalisation de la figure, sa réutilisation dans des manifestations de grande ampleur, accrédite l’idée d’une résistance nationale d’une part, parmi d’autres héroïnes féminines promues au rang de « nigériennes », et renforce l’idée d’une victoire militaire de Sarraounia d’autre part, ce que nous commenterons dans le chapitre suivant. Quant à Nehanda, il ne nous semble pas qu’il y ait eu de grands festivals interrégionaux mettant en scène les figures de la résistance à la colonisation, en musique ou au théâtre. L’implication de l’administration 216 au Zimbabwe a surtout eu lieu pour l’éducation, avec des manuels scolaires très engagés, mais il ne semble pas y avoir eu de politique culturelle de l’ampleur de celle menée par Sékou Touré, engageant la rémunération d’artistes nationaux. Les commémorations et la mise en scène du corps social Enfin, dernier maillon dans la chaîne de ce « nationalisme d’État » et de l’institutionnalisation des figures : l’usage de la commémoration de grande ampleur par le pouvoir. Les deux ballets sur Sarraounia mis à part, celle-ci ne semble pas bénéficier de ce phénomène, du moins pas d’une si grande ampleur que pour les deux autres. Samori et Nehanda, en revanche, sont représentatifs de l’« ère de la commémoration » que décrit Pierre Nora390, avec tous les attributs déplorés par l’historien : C’est la dynamique même de la commémoration qui s’est inversée, le modèle mémoriel qui l’a emporté sur le modèle historique, et avec lui, un tout autre usage du passé, imprévisible et capricieux. Un passé qui a perdu son caractère organique, péremptoire et contraignant. Ce n’est pas ce qu’il nous impose qui compte mais ce que l’on y met. D’où le brouillage du message, quel qu’il soit. C’est le présent qui crée ses instruments de commémoration, qui court après les dates et les figures à commémorer. […] L’histoire propose mais le présent dispose, et ce qui se passe est régulièrement différent de ce que l’on voulait. (p. 988) Avec la création en figure nationale, quasiment dans le même temps, vient donc la commémoration. Et effectivement, les dirigeants et les acteurs politiques qui ont organisé ces grands rassemblements collectifs courent après les dates, créent leurs instruments de commémoration, utilisent le passé pour le présent, et uniquement pour le présent. Investie par l’État, dans la statuaire, dans la géographie de la ville, dans le discours de l’école, dans les littératures subventionnées par l’État, la figure n’appartient pas au modèle historique, mais bel et bien au modèle commémoratif. Sékou Touré, dans ses poèmes, avait déjà dressé un parallèle entre septembre 1898, date de l’arrestation de Samori à Guélémou, et septembre 1958, où la colonisation prend fin. 1968 est pour lui l’occasion de continuer les parallèles entre le règne de Samori et sa propre prise de pouvoir. Il obtient du Gabon et de la Mauritanie le retour des restes de Samori et d’Alfa Yaya Diallo, tous deux morts en exil391. Leur retour, dix ans après 1958, soixante-dix ans après 1898, 390 Pierre NORA, Les Lieux de mémoire. I, La République, Paris, Gallimard, 1992 [1984], p. 977 et suivantes. 391 Sur le trajet de ces deux dépouilles, exhibés en grande pompe à travers tout le pays, voir la carte, infra, Troisième partie, Chapitre 1, section « Une guerre des mémoires ». 217 lui permet de mettre en scène l’étendue de sa puissance, et de démontrer l’unité de la nation. Le journal Horoya392 fournit le calendrier du cortège qui a transporté les restes des deux héros dans tout le pays : du 22 au 28 septembre, la procession traverse Kissidougou, N’Zérékoré vers le Nord, Beyla, Kérouané, dans les régions de Samori, Kankan, puis Labé, ancien royaume d’Alfa Yaya, Télimélé, Kindia et enfin Conakry de nouveau. Les héros sont affichés et exhibés comme des reliques à travers l’ensemble du territoire, où leurs corps mêmes symbolisent l’unité du pays. Dans le même numéro du journal, le discours prononcé par Sékou Touré à cette occasion a été retranscrit, et celui-ci souligne la dimension collective de l’événement mis en scène avec tant de fastes : L’indépendance reconquise, le PDG et le gouvernement, soucieux de rétablir l’Afrique dans sa dignité, de réhabiliter tous nos héros a entrepris des démarches auprès des Gouvernements et des Peuples des pays frères où ceux-ci [Alfa Yaya Diallo, en Mauritanie; Samori Touré, au Gabon] reposaient. Le Peuple révolutionnaire de Guinée, son Gouvernement, viennent de remporter une victoire inestimable qui sera inscrite en lettres d’or dans les glorieuses pages de l’histoire de la Révolution africaine. Par la suite, les restes sont enterrés dans le parc de la Grande Mosquée Fayçal, en plein centre de la capitale393. Deux bustes sont à l’entrée du monument, ceux d’Alfa Yaya Diallo et de Samori Touré, qui sont la copie exacte des bustes que l’on trouve également dans la cour du Musée National, à Kaloum, également en centre ville394. À l’intérieur du mausolée, figurent les tombes d’Alfa Yaya Diallo et de Samori395, mais aussi celles de Morifin Dian Diabaté, le compagnon de Samori qui l’a suivi en exil, M’Balia Camara, militante du PDG, Hadja Mafory Bangoura, une autre militante396, et de l’autre côté, la 392 Horoya, Organe quotidien du Parti Démocratique de Guinée, 22 et 23 septembre 1968, n°1565, 8ème année. 393 La Mosquée Fayçal a été construite par l’Arabie Saoudite, et achevée en 1982. Les photographies du mausolée, situé dans l’enceinte de la Grande Mosquée, dans un parc, se trouvent en annexe. Nous remercions Ibrahima Sangaré, Directeur National Adjoint des Lieux de Cultes, du Secrétariat Général des Affaires Religieuses, qui a bien voulu nous ouvrir les portes du mausolée, et qui a accepté de nous le faire visiter. 394 Voir la photographie présentée en annexe, p. 815 ; voici le cartouche : « Samory Touré 1830 Miniambalandougou, 1900 Gabon, Résistant à la pénétration coloniale ». Dans la cour sont disposés à ses côtés les bustes d’Alfa Yaya, de M’Balia Camara, de Sékou Touré. 395 Avec une erreur dans l’épitaphe : « Almamy Samory Touré 1830-1930 », ce qui lui donne cent ans, mais Samori est décédé en 1900. Nous ne nous expliquons pas cette erreur de datation, particulièrement troublante, sur une tombe érigée en monument national, qui concentre de nombreux enjeux mémoriels et célébratifs. L’une des hypothèses possibles est que l’âge symbolique de 100 ans de Samori ait été mis en avant, au moment du Centenaire de Samori, en 1998, lorsque l’on célébrait sa capture. Le Secrétariat Général des Affaires religieuses, dans cette même enceinte de la Mosquée Fayçal, ne s’est pas prononcé sur ce curieux mélange de dates. 396 Le nom de ces deux femmes est régulièrement associé dans les chants de la RTG. Voir en annexe les textes, notamment « Le chemin du PDG » du Bembeya Jazz National, p. 644-649. 218 tombe de Sékou Touré. Lors de cette même année 1968, l’album Regard sur le passé est produit par le label Syliphone, dont la couverture est un portrait de Samori, tirée d’une photographie prise lors de sa capture. L’une des premières phrases de la chanson fait allusion à cette commémoration : […] Sont de ceux-là, l’Almamy Samory TOURE, Empereur de Ouassoulou ; le Roi de Labé, l’illustre Alfa Yaya DIALLO et Morifindian DIABATE symbole de l’amitié dont les restes glorieux ont rejoint la terre natale guinéenne qu’ils ont aimée et défendue leur vie durant. « Morifindian Diabaté » est le « symbole de l’amitié » puisqu’il a accompagné Samori en exil, et ses restes sont certainement revenus en même temps que ceux de l’Almamy. Nous faisons l’hypothèse que l’ouvrage Regard sur le passé, L’Almamy Samory Touré, édité par le Service National des Arts et Culture, du Ministère de la Jeunesse, des Arts et des Sports, date également de 1968, puisqu’il regroupe les textes de cette chanson, pour leur partie française, des photographies et gravures397, notamment sur cette arrestation, et plusieurs autres textes déplorant son exil (dont celui de Ibrahima Khalil Diaré qui conclut sur la « Sainte Hélène » du « Bonaparte du Soudan »). 1968 a donc été l’occasion de fêter les dix ans du NON au référendum, en célébrant deux héros de la résistance dont les restes ont parcouru l’ensemble du territoire national, pour une commémoration collective. De nombreux ministères ont participé à cet événement : la Culture et la Jeunesse, l’Information, les Cultes avec le mausolée ; des statues ont été érigées, des chants ont été composés. Derrière Samori, ce n’est pas l’histoire qui est célébrée, mais bien la politique contemporaine de Sékou Touré, ce qui répond tout à fait à l’âge des commémorations, défini par Pierre Nora. Ce n’est bien sûr pas une spécificité de Sékou Touré. En 1998, sous Lansana Conté, une autre grande commémoration a lieu en Guinée : étonnamment, il ne s’agit pas de célébrer sa mort comme c’est souvent le cas pour les évènements commémoratifs, mais bien sa capture. L’événement intitulé « Le Centenaire du Souvenir » a été l’occasion d’ériger une statue monumentale de l’Almamy, en pied, au rondpoint du 2 octobre dans Conakry398. Comme le souligne Pierre Nora, ce ne sont pas les célébrations véritablement historiques qui ont du succès, mais celles qui sont souvent les plus « creuses ». Dans ce cas, célébrer sa capture par les Français, et non pas ses victoires, sa naissance ou sa mort, c’est avant tout renforcer son statut de martyr. Parmi les manifestations culturelles, un 397 Il n’y a pas de mentions de sources, mais plusieurs semblent tirées des photographies prises par Henri Gaden (voir p. 801 et suivantes pour les reproductions). 398 Comme précédemment, nous renvoyons aux annexes pour l’illustration (p. 814). 219 colloque s’est tenu à Conakry399, qui réunissait les chercheurs du département d’histoire de l’université, parmi lesquels l’historien Djibril Tamsir Niane. Même après la fin du régime de Sékou Touré, Samori continue d’être célébré, et les acteurs institutionnels continuent de faire usage de sa mémoire. Dans une moindre mesure, et en impliquant bien moins d’acteurs institutionnels, Robert Mugabe commémore également la mémoire de Nehanda. Les chants populaires des Chimurenga songs, dont ceux consacrés à Nehanda, passent à la radio, à la ZBC en l’occurrence. Dès l’indépendance en 1980, ils sont enregistrés et édités sur CD (Harare Mambos, Ngatigarei Tese, Salisbury, Record Company, Disc ZIM 29, 1980 ; avec une chanson dédiée à Nehanda, très populaire), ce qui diffuse ces chants de la culture de la résistance, tout en en faisant un produit commercial. Plus qu’à Niamey pour Sarraounia, et autant peut être qu’à Conakry pour Samori, Nehanda a surtout investi la géographie d’Harare. Dans la toponymie, nous l’avons vu plus haut, mais aussi dans la statuaire et, comme pour Samori, c’est l’image du martyr qui est accentuée. La statue qui est aux NAZ, dans la pièce qui donne sur le musée, est une reprise de la photographie prise avant sa pendaison, aux côtés de Kagubi. Il est vrai qu’il s’agit de l’une des seules images que nous ayons d’elle400, il est donc normal que l’ensemble de l’iconographie, de la statuaire, de l’imagerie au sens large, en soit dérivée : néanmoins, il n’est pas sans incidence sur la réception que ce soit une photographie qu’un conquérant prend pour marquer sa victoire, accuser la défaite de l’ennemi, et diffuser la nouvelle de sa chute. La photographie est conservée dans le fonds photographique des NAZ401, elle est reproduite sur le timbre de Nehanda, dans tous les manuels scolaires, sur la première de couverture de Death Throes, de Samupindi, et elle est également l’objet d’un poème de Solomon Mutswairo « Mufananidzo waNehanda naKagubi/The Picture of Nehanda and Kagubi »402, suivi d’un dessin en reproduisant les lignes. La statue aux NAZ est donc inscrite dans un ensemble commémoratif plus large, où la photographie ayant servi de modèle joue un rôle double : elle permet de souligner la cruauté du sort qui lui est réservé en glorifiant son sacrifice – l’attitude de Nehanda est humble, elle se tient les mains, dans l’attente –, et elle retourne en fierté ce qui était le symbole de la victoire rhodésienne sur la rébellion 399 Voir les actes, parus deux ans plus tard, disponibles à la Bibliothèque Nationale de Guinée, Centenaire du souvenir, Almani Samori Touré 1898-1998, Symposium international de Conakry du 29 septembre au 1er octobre 1998, Conakry, Editions universitaires, 2000. 400 Il existe une autre photographie, prise lors de sa capture en 1897, où elle est au milieu d’un groupe de prisonniers. Cette photographie est également une illustration des manuels scolaire zimbabwéens. 401 Voir la reproduction en annexe, p. 798 (puis p. 799-800 pour les usages ultérieurs). 402 Zimbabwe, Prose and Poetry, op. cit., p. 148 et suivantes. 220 shona, dans une mise en scène des prisonniers de guerre défaits qui suit une rhétorique codifiée, sur le modèle des tableaux de chasse, des massacres. Enfin, nous voudrions conclure cette section sur les commémorations par un cas atypique, où la commémoration est spontanée, puisqu’elle naît de la rumeur urbaine, avant de se propager sur internet et dans les journaux, venant cette fois-ci, à l’inverse de ce que nous venons de présenter, interroger et remettre en cause les acteurs institutionnels de la « canonisation » administrative et gouvernementale403. Le 8 décembre 2011, un camion a renversé un arbre – un Msasa, à la très large ramure – appelé l’« arbre de Nehanda », parce que Nehanda aurait été pendue à l’une de ses branches. S’il est très peu probable que Nehanda n’ait jamais été pendue en pleine ville sur un trottoir, ce fait divers a en revanche provoqué des rassemblements, et a créé l’indignation, relayée dans la presse internationale, The Telegraph404 par exemple, dans la presse locale405, et celles des autres grandes agglomérations zimbabwéennes 406 . Voici l’analyse qu’en fournit sur internet l’historien Ruramisai Charumbira 407 , sur le site « Not Even Past » (https://www.notevenpast.org/zimbabwes-hanging-tree, consulté le 23 juillet 2014) : The “tree of Nehanda,” reveals some of the ways people exercise their citizenship, protesting (and/or supporting) the current state of affairs that are incongruent with “Mbuya Nehanda” the symbol of anti-colonialism turned matron saint of a now unacceptable regime that has reneged on what she died for: the promise of full independence made in 1980 when the country’s black majority gained civil rights in the country of their birth. 403 Anne-Marie DAUPHIN, Jean DERIVE, « De quelques avatars de l’oralité littéraire », Parcours anthropologiques (2009/7), p. 21‑36, reprenant Jack GOODY, La Raison graphique la domestication de la pensée sauvage, Paris, Minuit, 1978, parlent de « raison numérique » pour analyser les développements de rumeurs et récits sur internet, et proposent d’étudier les entrecroisements qu’il peut exister entre la littérature traditionnelle et ces nouveaux modes de diffusion de récits (et d’éviter ainsi le double écueil de la conservation-muséification des littératures orales traditionnelles, et celui d’une promotion de la seule néooralité). La notion d’« oralité tertiaire » Raymond MAYER, « L’oralité tertiaire. Positionnement, statut, modalités », Parcours anthropologiques (2009/7), p. 5‑9 nous semble, quant à elle, de moindre intérêt pour l’analyse des textes et de leurs effets. 404 The Telegraph, 9 Décembre 2011, disponible sur internet : http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/africaandindianocean/zimbabwe/8944988/Zimbabwes-sacredHanging-Tree-is-felled.html Consulté le 23 juillet 2014. Voir le titre et la photographie en annexe, p. 800. 405 Newsday, 8 décembre 2011, https://www.newsday.co.zw/2011/12/08/2011-12-08-mbuya-nehanda-treefalls/ , consulté le 1er septembre 2014. 406 A Bulawayo, Bulawayo24, http://bulawayo24.com/index-id-news-sc-national-byo-9996-articleFelling+of+%27Nehanda+tree%27+a+good+omen+for+change+in+Zim+politics.html , consulté le 1er septembre 2014. 407 Cet historien est d’ailleurs l’auteur d’une étude sur Nehanda : Ruramisai CHARUMBIRA, « Nehanda and Gender Victimhood in the Central Mashonaland 1896–97 Rebellions : Revisiting the Evidence », History in Africa, 35 (2008/1), p. 103!131. 221 [L’« arbre de Nehanda » révèle certaines des manières dont les gens exercent leur citoyenneté, protestant (et/ou soutenant) l’état actuel des choses qui sont incompatibles avec « Mbuya Nehanda », le symbole de l’anticolonialisme devenue sainte-patronne d’un régime devenu désormais inacceptable, qui a renié ce pour quoi elle était morte : la promesse d’une pleine et entière indépendance faite en 1980 quand la majorité noire du pays obtint les droits civiques dans le pays de leur naissance.] Cette dimension contestatrice de l’émotion née de l’accident se trouve aussi dans la presse locale, qui y lit un « mauvais présage » (Bulawayo24, voir supra) : Zimbabweans saw the death of "Nehanda’s tree" as a bad omen and others as a harbinger of political change in a country ruled and riven by Robert Mugabe since independence in 1980. He was prime minister from 1980-87 but became the first executive head of state in 1987. Since then the country has been run into the ground with graft, political favours and corruption. Perhaps Mbuya Nehanda should rise again then the truck driver will have done the country a favour... [Les Zimbabwéens virent la chute de l’« arbre de Nehanda » comme un mauvais présage et d’autres comme un signe avant-coureur d’un changement politique dans un pays gouverné et détruit par Robert Mugabe depuis l’indépendance en 1980. Il fut premier ministre de 1980 à 1987 mais devint le premier chef d’État doté du pouvoir exécutif en 1987. Depuis lors, le pays a été miné par les pots-de-vin, le favoritisme et la corruption. Peut-être que Nehanda devrait ressusciter à nouveau, auquel cas le conducteur du camion aura rendu service au pays…] Citations de professeurs d’université à l’appui, le journaliste chercher à définir si la chute de cet arbre et les manifestations qui ont suivies, commémorant la mort de Nehanda, étaient un bon ou un mauvais présage pour Robert Mugabe. La simple mention de la controverse révèle le mécontentement urbain général, et la réutilisation dans l’extrême contemporain de la figure de Nehanda contre ceux mêmes qui l’avaient institutionnalisée408. *** 408 Cette dynamique de la bascule, autour d’un lieu et d’un territoire investi par des imaginaires, se trouve mis en scène par Sony Labou Tansi dans Monologue d’or et noces d’argent, et Une vie en arbres et chars…bonds. Théâtre 2, Carnières-Morlanwelz, Éditions Lansman, 1995. Cette articulation entre le local et le global est l’occasion d’une réflexion sur la signification d’un lieu – un arbre millénaire dans un village abandonné – lorsqu’il est érigé en symbole mondial par des institutions internationales qui décident d’en faire un parc d’attractions, détruisant par là-même les sociabilités locales. Or ce lieu, répertorié au niveau mondial, devient paradoxalement un lieu de résistance au niveau local. Ces mécanismes de contestations par le local sont étudiés par Xavier GARNIER, Sony Labou Tansi. Une écriture de la décomposition impériale, Paris, Karthala, 2015, p. 165-166, et p. 177-179. 222 Pour ce qui est de la position de collaboration entre les élites administratives et le pouvoir, nos trois figures interrogent les créations nationales dans la recherche de grands ancêtres et les processus d’institutionnalisation d’une histoire « décolonisée ». L’ensemble de la pyramide hiérarchique est alors convoquée, du chef d’État au fonctionnaire local organisant les festivals, pour faire de Samori, Sarraounia et Nehanda de véritables figures incarnant l’appareil d’État. Les employés des ministères, les enseignants, les écrivains et les artistes sont impliqués dans cette grande entreprise où propagande et création artistique sont mêlées. Quels que soient les acteurs considérés, le passé est entièrement au service du présent, et Samori ne sert qu’à légitimer Sékou Touré, comme Nehanda ne sert qu’à fonder l’autorité de Robert Mugabe. Ce que déplorait Pierre Nora, la surimpression du présent dans la commémoration et la mémoire, la téléologie de la représentation, sont en réalité érigées en exemples par Nietzsche dans la Seconde considération intempestive 409 , où il fustige la « maladie historique » et loue le jaillissement fondateur du héros, émergeant grâce au regard supra-historique du créateur. Celui-ci est fondamentalement injuste, oubliant tous les autres acteurs de l’histoire, mais est doté d’une efficacité pragmatique sans égale. Pour Nietzsche en effet, il ne s’agit pas de savoir ce qu’il s’est passé, mais que faire du passé : le héros doit être avant tout utile en vue du futur et non du passé, pour fonder et non se rappeler. L’homme, l’acteur, le créateur doit dominer le passé : Concevoir ainsi l’histoire au point de vue objectif, c’est le travail du dramaturge. À lui de sonder en imagination les évènements, de lier les détails pour former un ensemble. Partout, il devra partir du principe qu’il faut mettre une unité de plan dans les choses, dès que cette unité ne s’y trouve pas déjà. C’est ainsi que l’homme entoure le passé d’un réseau, c’est ainsi qu’il le domine, c’est ainsi qu’il manifeste son instinct artistique – mais non point son instinct de vérité et de justice. (p. 120) Pour Nietzsche, la fabrique des grands hommes est profondément injuste, et ne relève en aucun cas du domaine du vrai. L’histoire des « fortes personnalités » est faite de l’oubli de toutes les autres ; l’« histoire critique » est tournée vers l’avenir, et non vers les précisions factuelles du passé. Dès lors, nos trois héros érigés en figures nationales correspondent à cette « grande puissance artistique » que définit Nietzsche : ils sont réactualisés pour venir signifier dans le présent de leur relecture. Les acteurs de cette fabrique sont alors proches des « grands historiens » : « les constructeurs de l’avenir et les interprètes du présent » (p. 130). Fonder l’unité Samori-Sékou Touré, « qui ne se trouvait 409 Friedrich NIETZSCHE, Seconde considération intempestive : De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie, [1874] trad. Henri ALBERT, Pierre-Yves BOURDIL, Paris, Flammarion, 1988. 223 pas déjà » dans l’histoire, c’est faire acte de création, c’est traiter d’égal à égal avec l’histoire. Le philosophe ne distingue pas entre les figures de la résistance et les figures de l’institution : dans les deux cas, ce que nous avons essayé de montrer dans ces deux sections consacrées aux relations des acteurs au pouvoir, c’est le très grand pouvoir de fondation de nos trois figures (fondation de la lutte, fondation de l’institution), et leur caractère malléable. Loin de le déplorer, il nous semble que ce phénomène consacre l’efficacité des récits dans la création de « communautés imagées »410 : les discours, les textes, les chants, les récits sont, au même titre que le drapeau, l’hymne, le parti, un attribut du groupe. La littérature et la langue, formant des héros « injustes » mais efficaces, sont certainement plus durables que l’institution politique d’un groupe, rejoignant en cela, bien que de manière plus cynique, la très belle formule de Gérard Macé411 : Ce qui permet de vérifier encore une fois ce que la littérature essaie de nous apprendre depuis toujours : qu’il existe une autre communauté que celle du sol et du sang – la communauté des hommes qui se souviennent des mêmes récits. (p. 13) 3. ACTEURS DU PANAFRICANISME : CIRCULATION INTERNATIONALE DES PRODUCTEURS ET DES IDÉES But still you must struggle. The Struggle is in your name, Samori – you were named after Samori Touré, who struggled against French colonizers for the right of his own black body. He died in captivity but the profits of that struggle and others like it are ours, even when the object of our struggle, as is so often true, escapes our grasp. Ta-Nehisi Coates, Letter To My Son, 412 Between The World And Me, 2015 . 410 Benedict ANDERSON, L’Imaginaire national : Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, trad. Pierre-Emmanuel DAUZAT, Paris, La Découverte, 1996. 411 Gérard MACÉ, Le Goût de l’homme, Paris, Gallimard, 2002. 412 Disponible en ligne : http://www.theatlantic.com/politics/archive/2015/07/tanehisi-coates-between-theworld-and-me/397619/ , consulté le 17 avril 2016. Ta-Nehisi COATES, Between the World and Me, New York, Spiegel & Grau, 2015. L’auteur a accordé au Mondes des Livres un bel entretien sur son engagement politique, en insistant notamment sur les connections transatlantiques, n°22089, daté du vendredi 22 janvier 2016 (p. 1-3). 224 Certains acteurs ne correspondent pas aux catégories définies plus haut, soit parce qu’ils franchissent les frontières nationales régulièrement, soit parce qu’ils élaborent un projet ou une esthétique elle-même transnationale, qu’elle soit « cosmopolitaine », « atlantique »413, « afropolitaine »414, ou plus simplement panafricaine415. Ces acteurs sont à la recherche de connections internationales, souvent par la voie du socialisme, qui a offert des opportunités financières et matérielles à de nombreux d’entre eux, mais aussi par la voie transatlantique, qui a permis des croisements esthétiques et poétiques féconds autant qu’hybrides. Nous proposons ici un choix de deux projets panafricains, ayant ou non abouti, mais ayant en tous cas mobilisé les imaginaires. Ces projets sont en réalité le fruit de deux rencontres : le projet « Samory » du cinéaste Sembène Ousmane et sa collaboration avec l’historien Yves Person d’une part, le dialogue entre le cinéaste Med Hondo et l’écrivain Abdoulaye Mamani d’autre part et, enfin, dans une moindre mesure, comme en sourdine par rapport aux deux œuvres précédentes, nous présenterons les relectures internationales et socialistes de Nehanda, qui ne sont pas spécifiquement panafricaines en tant que telles, mais qui offrent un contrepoint intéressant en matière de « branchements », pour reprendre le concept de Jean-Loup Amselle416, internationaux. Ces rencontres et relectures constituent trois relectures internationales de nos figures, trois prismes de lecture, où le projet d’une Afrique unie et combattante se lit en filigrane, renouvelant ainsi les imaginaires en offrant des passerelles nouvelles et parfois insoupçonnées à travers les récits. Ainsi de Ta-Nehisi Coates qui nomme son fils Samori, en référence à Samori Touré, et qui conçoit cet acte de nomination, au croisement de l’intime et du public, comme un geste militant pour les droits civiques des Noirs américains aux États-Unis. À travers cet exemple, pris entre de nombreux autres, le nom « Samori » déploie des connotations nouvelles, désormais résolument internationales. 413 « Atlantique noir », pour reprendre Paul GILROY, The Black Atlantic : Modernity and Double Consciousness, Cambridge, Harvard University Press, 1993. 414 Concepts forgés depuis l’anglais cosmopolitanism, par Achille MBEMBE, voir en ligne : http://www.africultures.com/php/?nav=article&no=4248 , consulté le 5 août 2014. 415 Amzat BOUKARI-YABARA, Africa unite!! Une histoire du panafricanisme, Paris, La Découverte, 2014 constitue un bon panorama du mouvement panafricain, qui se centre de manière révélatrice sur une succession de grandes figures du courant, avec une analyse de leur aura, ce qui nous semble tout à fait coïncider avec nos objets d’étude. Notons, en outre, que l’ensemble des textes fondateurs de ces grands leaders est disponible en ligne : ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE, Le Moee panafricaniste au vingtième siècle [en ligne], Paris, Organisation internationale de la francophonie, 2007, disponible sur <http://www.francophonie.org/IMG/pdf/oif-le-mouvement-panafricaniste-au-xxe-s.pdf>, (consulté le 5 juin 2016). 416 Jean-Loup AMSELLE, Branchements : Anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion, 2001. 225 Samori panafricain : le grand-œuvre de Sembène Mais Ta-Nehisi Coates n’a pas choisi cette figure au hasard : il est en réalité l’héritier d’une tradition de relecture internationale de Samori, dont nous voulons dessiner ici les contours. À cette fin, nous souhaiterions présenter417 une œuvre inachevée, aux marges de notre corpus puisque le projet n’a jamais abouti, mais qui nous semble révélatrice d’une certaine catégorie d’acteurs de la « fabrique », dont l’engagement politique et artistique se pense à une autre échelle que la nation ou l’État : il s’agit du projet « Samory » que le cinéaste Sembène Ousmane a toujours voulu réaliser, jusqu’à sa mort en 2007. Depuis cette date, de nombreux ouvrages et revues commémorent418 l’œuvre de ce cinéaste si prolifique, mais étrangement, la bibliographie concernant « Samory » est quasiment inexistante, et il nous a donc fallu enquêter pour retrouver les mémoires de ce projet. L’un des tomes du scénario est conservé dans les archives de l’ONACIG, qui sont hébergées dans les locaux des archives de la radio et télévision, sur la pointe de la presqu’île de Conakry, dans Kaloum, mais nous n’avons pas pu y avoir accès lorsque nous y sommes allée en juin et juillet 2014419. À cette occasion, il nous avait été indiqué que les trois tomes étaient disponibles à la Fondation Sembène Ousmane à Dakar. Le texte n’était donc pas visible. Nous avons en revanche pu rencontrer le collaborateur de Sembène Ousmane, qui lui servait de correspondant pour la Guinée sur ce projet420, Moussa Kémoko Diakité 421 , actuellement directeur d’une société de production cinématographique. Six mois plus tard, nous pouvions rencontrer, à Dakar, Clarence 417 Cette section est la version remaniée d’un article accepté dans les Cahiers d’Études Africaines, en attente de publication, intitulé « Filmer la résistance à la colonisation : stratégies postcoloniales de mémoire et d’oubli. À propos du scénario « Samory » de Sembène Ousmane ». 418 Africultures, Sembène Ousmane (1923-2007), n°76, Paris, L’Harmattan, 2009 ; Samba Gadjigo (dir.), Présence francophone, Ousmane Sembène cinéaste, n°71, Worcester, Department of modern languages and literatures, College of the Holy Cross, 2008 ; Études Littéraires Africaines, Sembène Ousmane, n°30, 2010. Voir aussi Mbye CHAM, « Official History, Popular Memory : Reconfiguration of the African Past in the Films of Ousmane Sembène », Contributions in Black Studies, 11 (2008/1), p. 4, qui n’intègre pas le projet "Samori". 419 L’archiviste de l’ONACIG nous apprenait en effet que, demeurant sans nouvelle de la question des droits d’adaptation du scénario, il lui était impossible de nous laisser consulter ce document. Au vu des relations houleuses existant entre les descendants de Sembène et ses anciens assistants et amis, il est tout à fait compréhensible qu’une certaine prudence ait été de mise. 420 Sembène Ousmane avait également comme collaborateur pour le projet « Samory » Paulin Vieyra, docteur en cinéma, alors professeur à l’école de cinéma de Dakar, et Timité Bassoly, en Côte d’Ivoire ; ainsi que Clarence Delgado, son assistant personnel. 421 Entretien avec Moussa Kémoko Diakité, au siège de la société de production Nova Plus, Conakry, le 02 juillet 2014. 226 Delgado422, son assistant personnel, qui nous apprit que l’idée de la Fondation Sembène Ousmane, voulue par sa famille, n’avait en réalité jamais abouti, mais que lui-même conservait dans son bureau où nous étions, à la Maison de la Radio, plusieurs exemplaires des trois tomes de « Samory », qui se trouvaient effectivement être juste derrière nous. Plus de deux mille pages réparties en trois volumes, reliés en cuir, avec sur la tranche, inscrit en lettres d’or : « Samory ». Quelques exemplaires éparpillés dans plusieurs capitales d’Afrique de l’Ouest. Des mémoires fragmentaires d’anciens collaborateurs et amis. Il ne reste pas grand-chose de cet immense projet qui avait animé la vie de Sembène, et réussi l’exploit de fédérer Sékou Touré autant que Léopold Sédar Senghor, Houphouët-Boigny ou encore Modibo Keita. C’est une page des indépendances et des socialismes africains qui reste vivante dans ces tomes, que nous avons pu consulter, et recopier par fragments, grâce à la confiance qu’a bien voulu nous accorder Clarence Delgado. Quel est donc cette œuvre au sujet de laquelle il avait coutume d’affirmer : « Si je meurs sans avoir réalisé Samory, je vous autorise à écrire qu’Ousmane Sembène a raté sa vie »423 ? Quelques critiques, au détour d’une phrase424, mentionnent « Samory », mais le texte restant inconnu, cette somme monumentale est restée relativement oubliée, voire 422 Entretien avec Clarence Delgado, ancien assistant de Sembène Ousmane, producteur et réalisateur, le 15 décembre 2014, à la Maison de la radio, Dakar. 423 Entretien de Sembène Ousmane accordé à Siradiou Diallo pour Jeune Afrique, n°27, janvier 1973. Une version traduite en anglais est disponible dans Annet BUSH, Max ANNAS (dir.), Ousmane Sembène, Interviews, Jackson, University Press of Mississippi, 2008, p. 52-62. Voir aussi une légère variante citée par Boubacar Boris Diop dans Olivier BARLET (dir.), Africultures, Sembène Ousmane (1923-2007), op. cit., p. 16-27. Pour d’autres exemples sur la fascination de Sembène pour son « grand œuvre », voir Bingo, 1986, entretien de Sembène Ousmane avec Alioune Touré Dia, traduit en anglais par Arianna Bove, dans Annet BUSH, Max ANNAS (dir.), Ousmane Sembène, interviews, op. cit., p. 117-124 ; sur ce qu’il dit être son « dernier projet avant d’arrêter le cinéma », Jeune Afrique, 1973, op. cit. ; Wal Fadjiri, 1988, entretien avec Meissa Diop, traduit en anglais par Anna Rimpl, dans Annet BUSH, Max ANNAS (dir.), Ousmane Sembène, interviews, op. cit., p. 129 ; sur le temps de battement de douze ans entre Ceddo (1976) et Camp de Thiaroye (1988) : African Affairs, vol. 91, n°363, 1992, entretien avec Fírinne Ní Chréacháin, où la parole de Sembène est comparée à celle d’un oracle que l’on attend ; entretien avec Françoise Pfaff, 1992, traduit en anglais par Anna Schrade, dans Annet BUSH, Max ANNAS (dir.), Ousmane Sembène, interviews, op. cit., p. 151. 424 Thierno I. DIA, « L’histoire chez Sembène Ousmane », Africultures, op. cit., mention de « Samory » p. 203 ; Boubacar Boris DIOP, « Sembène Ousmane ou l’art de se jouer du destin », Africultures, op. cit., p. 16-27 ; Samba GADJIGO, « Ousmane Sembène and History on the Screen : A Look Back to the Future », in Françoise PFAFF (dir.), Focus on African Films, Bloomington, Indiana University Press, 2004, p. 33‑47. Les biographes de Sembène ne font référence à Samori, non pas pour le projet cinématographique, mais uniquement pour mentionner les portraits que Sembène Ousmane conservait de lui dans sa maison, placés sous le portrait de sa mère : Amadou T. FOFANA, The Films of Ousmane Sembène, Discourse, Culture, and Politics, Amherst, New York, Cambria Press, 2012, p. 203, p. 238 ; Samba GADJIGO, Ousmane Sembène, une conscience africaine, Genèse d’un destin hors du commun, Paris, Homnisphères, 2007, passim ; Paulin 227 marginalisée. Le tome 3 s’achève sur le plan n°2265, ce qui donne une idée de la démesure de ce texte, où Sembène avait minutieusement noté, décrit, présenté chacune des répliques, chacun des costumes, chaque pièce de décor, d’ailleurs plus à la manière d’un écrivain que d’un cinéaste425. Sembène Ousmane a passé près de trente ans à effectuer des recherches documentaires à Londres, en Guinée, à Dakar, ou encore en interrogeant les habitants, ce qu’un autre entretien avec Sikoumar Barry426, qui travaillait à l’époque à l’ONACIG, a confirmé. Mais c’est la rencontre avec l’historien Yves Person qui fut décisive427, puisque l’allure générale du scénario, son découpage en trois tomes et la répartition des épisodes sont strictement similaires à l’imposant Samori, une révolution dyula. Ainsi le siège de Sikasso est-il placé à la fin du récit : c’est l’affrontement entre deux empereurs noirs qui constitue l’acmé du texte, et qui explique la chute de Samori. Le film aurait dû compter trois « époques » de deux heures chacune, ce qui constituait un budget colossal (2 milliards de francs CFA en 1968, pour le projet initial) : Famaya Sila (« La route vers la chefferie »), Fama (« L’Empereur »), Sikasso (le siège de Sikasso, où ses principaux généraux ont été tués, c’est-à-dire symboliquement la fin de son empire). Sembène Ousmane reprend également la thèse générale d’Yves Person, à savoir que la création de l’empire de Samori ne s’est pas effectuée en réaction à la colonisation française, mais qu’elle participait d’un mouvement de plus grande ampleur, de crise de la société mandingue qui se restructure autour des réseaux de commerce des dyula (par la noix de cola, les esclaves, l’or, en échange d’armes et de chevaux). À partir de cette ligne initiale, née de la rencontre entre ces deux intellectuels, et de dialogues nombreux, en Afrique et en France, Sembène va faire de son Samori une figure pleinement panafricaine, intégrée à des réseaux diplomatiques nombreux, tentant de fédérer une « union noire » pour lutter contre l’oppression blanche. Ainsi Sembène invente-t-il de toutes pièces une rencontre entre Samori, Ahmadou de Ségou et Ba Bemba et Alboury428. Adossée à ces tentatives Soumanou VIEYRA, Sembène Ousmane cinéaste, Première période 1962-1971, Paris, Présence africaine, 1972. 425 Entretien avec Clarence Delgado, cité plus haut, qui atteste que « plus aucun cinéaste ne travaille comme ça », en écrivant tout dans le moindre détail, et surtout en numérotant chacun des plans de manière si minutieuse. 426 Entretien avec Sikoumar Barry, à son domicile à Conakry, le 01 juillet 2014. 427 Entretien avec Roland Colin, à son domicile, Paris, le 10 février 2015, qui avait assisté à l’une de ces rencontres entre Yves Person et Sembène Ousmane, dans la demeure du premier, à Marly-le-Roi. 428 Il s’en explique dans une lettre adressée à Thierno Mouctar BAH, que ce dernier reproduit en préface de son ouvrage, Architecture militaire traditionnelle en Afrique de l’Ouest : du XVIIe à la fin du XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 7-8. Nous reviendrons plus loin sur ce motif de la désunion entre les chefs noirs, et sur cette lettre en particulier. 228 d’union panafricaines se trouve une vision résolument postcoloniale, où Sembène réécrit l’histoire coloniale, pour répondre à un manque entretenu par la suprématie culturelle de l’Occident. En particulier, cet extrait illustre bien ce que David Murphy429 décrit comme une caractéristique du Third cinema, un panafricanisme de combat, tout autant collectif qu’intérieur : Plan 1424. Morifindiang Diabaté : « Pourquoi les Oreilles Rouges 430 font-ils la guerre ? Je vais vous le dire… Le Tubabu veut tuer en chacun de nous sa fierté, son orgueil, sa dignité. Lorsque les Soldassi occupent une cité, il est interdit aux forgerons de fabriquer des fusils, des coupe-coupe. Le Tubabu oblige tout un chacun à se décoiffer devant lui pour lui parler, jeune et vieux. […] Après ça, tu n’as plus d’orgueil, de dignité devant le Tubabu. En dedans de toi, il t’a tué. La guerre contre les Oreilles Rouges se passe en dedans de nous ». (Samory, tome 3, « Faama ») Le scénario, très soigné431, est rédigé en français par Sembène Ousmane, mais Djibril Tamsir Niane, qui vivait à l’époque en exil à Dakar et qui côtoyait le cinéaste, avait intégralement traduit les dialogues en maninka, entre 1982 et 1984. Des sous-titres étaient prévus dans les grandes langues du continent (swahili, haoussa, lingala). La guerre « qui se passe en dedans de nous » a fort à voir avec ce que revendique Ta-Nehisi Coates lorsqu’il appelle son fils au combat. En effet, les dimensions de lutte politique, de prise de conscience de ce que représente la subalternité, et enfin de rejet de l’hégémonie culturelle constituent des moteurs majeurs de l’écriture de Sembène, résolument internationale et panafricaine. Pour ce qui est de la réalisation pratique, elle avait également été pensée comme panafricaine. Sembène Ousmane était un ami intime de Sékou Touré432, puisqu’ils étaient en relation depuis l’époque de leur activité syndicale, et qu’ils avaient le même âge (Sékou Touré est né en 1922, tandis que Sembène Ousmane est né en 1923). Tous les deux ans, lors du Festival des Arts et de la Culture, Sembène Ousmane était toujours invité par Sékou Touré en personne, et « Samory » devait être la vitrine de la coopération entre les jeunes États africains d’Afrique de l’Ouest. Plusieurs États étaient impliqués, à 429 Selon l’auteur, le Third cinema est initié, en Afrique de l’Ouest, par Sembène : engagé dans la résistance à la domination culturelle occidentale, ni représentant d’Hollywood, ni affilié au cinéma d’auteur ; Potscolonial African Cinema, Ten Directors, Ch. 2., Manchester, Manchester University Press, 2007. 430 Locution pour désigner les colons blancs. 431 Il existe dans ce projet une véritable « tentation littéraire » pourrait-on dire puisque l’œuvre cinématographique de Sembène est tout aussi écrite que ses romans, rejoignant l’une des toutes premières analyses sur son œuvre d’écrivain : Joseph Ya Mpiku MBELOLO, « Un romancier né “ex-nihilo” : Ousmane Sembène », Présence francophone, I (1970), p. 174‑190. 432 Entretien avec Moussa Kémoko Diakité, déjà cité. Voir aussi entretien dans Bingo, en 1986, art. cit., où Sembène souligne le rôle qu’avait joué Sékou Touré, et l’attention du nouveau gouvernement (après la mort de Sékou Touré, survenue en 1984) à ce que les financements prévus lui soient bien alloués. 229 des échelles variées, mais selon les informateurs, les avis divergent sur les membres effectifs de cette coopération internationale. La Guinée, le Sénégal, le Mali et le Gabon reviennent le plus souvent, la Mauritanie et la Côte d’Ivoire de manière occasionnelle 433. Pour le Sénégal, Senghor tenait tellement à ce projet qu’il avait autorisé que l’armée constitue la cavalerie de Samori, et tous les mardis, Sembène Ousmane avait rendez-vous à l’État Major pour régler les mouvements de groupe, constituer les costumes, qui étaient d’ailleurs tous affichés dans le hall de l’immeuble où il travaillait. Doura Manè434 aurait dû jouer le rôle principal, Myriam Makeba aurait dû jouer Sona435, et les acteurs devaient être fournis par la Troupe Nationale de Théâtre de Guinée, accord qui avait été reconduit à la mort de Sékou Touré par Lansana Conté. Ce projet nous a particulièrement intéressée parce qu’il était une coproduction entre plusieurs pays de l’ancien empire de Samori, en plus du Gabon où il est décédé, qu’il a fait intervenir des acteurs de nombreux pays de l’Afrique de l’Ouest, dont des collaborateurs ivoiriens, qui conservent pourtant de Samori l’image d’un tyran, et notamment des intellectuels exilés. Sembène Ousmane, qui était un ami de Sékou Touré, avait travaillé en étroite collaboration avec Djibril Tamsir Niane qui fuyait à l’époque précisément Conakry, ce qui prouve bien que le projet avait enthousiasmé les intellectuels, partisans de Sékou Touré ou non, ce qui peut être lu comme la réussite de sa propagande, ou comme la preuve de la fascination que le héros exerçait à l’époque sur les foules. Samori incarnait en quelque sorte l’idéal d’une résistance que plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest avaient menée ensemble contre l’oppresseur. À la question « Pourquoi Sembène Ousmane avait-il choisi Samori ? », Moussa Kémoko Diakité répond « C’était le personnage historique qui l’avait le plus intéressé et fasciné. C’est le plus grand des résistants à la colonisation. C’était le plus grand des rebelles d’Afrique de l’Ouest, comme lui ! ». C’était donc bien le projet initial et la réalisation qui étaient conçus non seulement comme internationaux, mais surtout panafricains, dans l’esprit de Sembène Ousmane du moins. 433 Moussa Kémoko Diakité cite comme appui la Guinée, le Sénégal, le Gabon et le Mali de Moussa Traoré, en rejetant la Côte d’Ivoire, tandis que Clarence Delgado atteste du rôle d’Houphouët-Boigny dans le projet. Sembène lui-même cite en 1973 le rôle de la Mauritanie, mais celle-ci disparaît lorsqu’il accorde un autre entretien en 1986, remplacée par des appuis financiers potentiels du Cameroun et du Congo. Quoi qu’il en soit, des collaborateurs internationaux prouvent ces coopérations internationales et permettent de fixer, a minima, une équipe restreinte : Moussa Kémoko Diakité était chargé du relais à Conakry, Paulin Vieyra au Sénégal, appuyé de Clarence Delgado à partir de 1979, et de Timité Bassori en Côte d’Ivoire. Il est donc certain que ces trois États étaient parties prenantes du projet. 434 Très populaire en Guinée, Doura Manè avait notamment joué dans L’homme pressé avec Alain Delon en 1977, L’État sauvage en 1978 avec Claude Brasseur, et Bako, l’autre rive en 1979, sur l’immigration clandestine. 435 La mère de Samori. Entretien avec Moussa Kémoko Diakité, cité plus haut. 230 Quelques années plus tard, une chaîne britannique, Channel 4, avait acheté les droits pour une diffusion en 52 épisodes, mais la collaboration entre les quatre pays s’est avérée difficile, le Gabon exigeant par exemple que les scènes finales soient tournées dans certains de ses sites touristiques, à des fins publicitaires, alors que Sembène Ousmane, pour des questions de budget, voulait tourner les scènes d’exil en studio. Il y avait une véritable volonté pédagogique dans le film de Sembène, et le panafricanisme de Samori visait à « décoloniser les esprits »436, à travers une réalisation qui se voulait, elle aussi, en miroir, panafricaine. Le cinéma, « la meilleure de toutes les écoles du soir »437, en était l’un des outils les plus efficaces, selon Sembène. Sarraounia, au croisement des militantismes : entre Mamani et Hondo Med Hondo, un autre cinéaste, présente des caractéristiques comparables, lorsqu’il réalise Sarraounia, en partie pour des raisons contingentes. C’est sa rencontre avec Abdoulaye Mamani qui sera le déclencheur de cet autre projet panafricain. En effet, Abdoulaye Mamani, qui est à l’origine du roman puis du scénario du film quelques temps après, avait de grandes affinités avec le panafricanisme. En 1972, il rédige une Anthologie de la poésie de combat 1945-1960, Quinze ans de lutte en Afrique Noire, tome I, Afrique d’expression française438, destinée à soutenir les luttes du « peuple noir », notamment tous les combattants luttant encore pour l’indépendance : de la Guinée Bissau, de l’Angola, du Mozambique, du Zimbabwe, de la Namibie notamment. Ses poèmes relient explicitement les luttes anticoloniales en Afrique, le combat des Blacks Panthers aux Etats-Unis et les luttes anti-apartheid en Afrique du Sud439. Sa poésie éditée 436 Pour reprendre le célèbre ouvrage de Ngugi WA THIONG’O, Decolonizing The Mind : The Politics of Language in African Literature, Londres, James Currey, 1986, dont la parution est postérieure. 437 Selon les propos mêmes de Sembène, Jeune Afrique, du 26 février au 3 mars 1968, reproduit dans Paulin Soumanou VIEYRA, Ousmane Sembène cinéaste, op. cit., p. 177. 438 Document polygraphié, tiré à une dizaine d’exemplaires, diffusion personnelle. Nous avons consulté celui de Jean-Dominique Pénel, que nous remercions de sa gentillesse. La préface de l’anthologie est en revanche plus accessible : Mamani ABDOULAYE, préface de Jean-Dominique PÉNEL, Œuvres poétiques : Poémérides, Éboniques, préface à l’Anthologie de poésie de combat, premiers poèmes, Paris, L’Harmattan, 1993. 439 Voir « Chant nègre », Mamani ABDOULAYE, Œuvres poétiques, op. cit. p. 42, qui compare les « chants d’esclaves noirs » des États-Unis, ceux des « Sofas », et les complaintes des guerriers africains, dans une perspective résolument transatlantique : « Chant nègre, vieil hymne des guerriers Baribas Cris de victoire des Amazones et braves Sofas Chant triste, de désespoir, complainte d’esclaves noirs Quel plaisir me gagne à t’entendre dans mes rêves du soir. […] 231 permet aussi de dresser des parallèles surprenants tant avec la vision panafricaine du « Samory » de Sembène Ousmane, qu’avec la conscience politique d’un Ta-Nehisi Coates, tout en prônant une réécriture de l’histoire coloniale, et en appelant explicitement à la lutte, avec des réminiscences affichées de Paul Éluard440. Remarquons, notamment, dans ce poème « Peuple d’Afrique » qui nous semble un intertexte fondateur de Sarraounia, la présence de « Samory » (nous soulignons) : Peuple d’Afrique, ô peuple opprimé, Quand pourras-tu, la misère supprimée, Vivre heureux sur ta terre fertile Goûter librement la vie tranquille […] En ce moment même, certains hommes avaient vu juste Ils s’appelaient Samory, Ahmadou, Ba Bemba, Rabah Armés de flèches et de fusils à pierre et d’autres armes frustes Pour défendre leurs terres, ils sont allés droit au combat Ce sont ceux-là qu’on a traité de tyrans, nos ancêtres Qu’on a maltraités et qui sont morts dans les prisons sans fenêtres Qui ont de leur sang écrit pour nous441 ce mot LIBERTE Et LIBERTE, LIBERTE, nous le crions bien haut avec fierté Debout peuple d’Afrique, debout, Que ces hommes nous servent d’exemple De toutes les souillures ils sont exempts Menons la lutte jusqu’au bout442. En outre, il est question à maintes reprises du « peuple noir », ou de la « terre des Noirs » dans le roman Sarraounia (p. 154, 106), et son combat contre la colonisation est comparé à celui du continent tout entier. Le film de Med Hondo accentue cette tendance, déjà présente chez Abdoulaye Mamani, en gommant toute référence explicite au Niger : Sarraounia parle moré dans le film, qui a été tourné dans le Burkina Faso de Thomas Sankara, et non pas haoussa, la langue de la région de Dogondoutchi, ni zarma, la langue majoritaire à Niamey. Le projet de 1983, trois ans avant que ne paraisse le film, était pourtant prévu pour se dérouler à Niamey, comme nous l’a indiqué l’ancien collaborateur de Med Hondo, M. Maïzama, Vieux folklore d’Afrique, puissant symbole du passé Negroes spirituals, profondes lamentations du nègre […]. » 440 Nous pensons bien sûr à « Liberté » (Poésie et vérité, 1942). 441 Que nous comparons à cette phrase de Coates, que nous citions en exergue de cette section sur le panafricanisme : « He died in captivity but the profits of that struggle and others like it are ours ». 442 Mamani ABDOULAYE, Œuvres poétiques, op. cit., p. 113. Ce texte est paru à l’origine dans le journal Le démocrate, n°14, du 6 novembre 1954. 232 alors chargé de l’équipe de repérage443. Les séquences chez l’Aménokal et chez l’émir de Sokoto devaient se dérouler dans la mosquée d’Agadez, l’un des plus importants patrimoines touristiques du pays ; des prospections avaient été faites pour trouver la forêt entourant Lougou, Maradi devant abriter le palais de Sarraounia. Le personnel technique devait en partie être fourni par l’ORTN, et des castings avaient été réalisés pour trouver l’actrice de Sarraounia. M. Maïzama précise bien qu’il ne « dispose pas de la version officielle » sur le refus du président Seyni Kountché de livrer les sommes promises. Le quotidien Sahel Dimanche444 rappelle qu’une famine sévissait à l’époque, et que certains journalistes auraient dénoncé le budget promis au cinéaste. Furieux, Med Hondo enlève délibérément toute allusion au Niger, dont il était pourtant question de mettre en valeur le patrimoine architectural, historique et touristique à l’origine. Dans le chant final célébrant le retour de Sarraounia dans Lougou, interprété par l’Orchestre des Léopards445, l’héroïne est insérée dans une lignée de héros africains, qui élargit la simple portée nigérienne de la narration, en intégrant Sundiata Keita et Babemba de Sikasso. Que cette vision panafricaine du combat de Sarraounia ait été liée à l’histoire de la production du film, ou au prolongements des idées politiques d’Abdoulaye Mamani, le résultat reste le même : le multilinguisme du film, la vision rendue abstraite de l’Afrique de l’Ouest qui pourrait correspondre à n’importe quel pays, l’insistance sur la lutte du « pays des Noirs », dans son entier, contre la colonisation européenne, font de la reine haoussa une héroïne panafricaine. Au reste, le festival a obtenu une reconnaissance internationale, avec le premier prix du FESPACO, ce qui a entériné, par le succès de la réception, cette vision internationale de l’histoire de Sarraounia. Les critiques de cinéma ont d’ailleurs unanimement souligné la « reine africaine » 446 , Med Hondo renchérissant dans ses interviews en plaidant pour « un cinéma d’Afrique » : « L’image de l’Afrique est absente du monde, voilà qui est criminel » dit-il pour expliquer le projet de Sarraounia447. À des degrés différents et avec des moyens différents, Abdoulaye Mamani, Sembène Ousmane, 443 Entretien avec M. Maïzama, à son domicile à Niamey, janvier 2011. Archives Nationales du Niger, Sahel Dimanche « Qui a saboté le tournage du film ? », 18 décembre 1992. 445 La bande originale du film a été supervisée par Pierre Akendengue, un artiste gabonais. 446 Pour la réception, voir Afrique Asie, du 15 au 28 décembre 1986, Paola Flor et Luigi Elongi, « Sarraounia, une reine africaine » ; Le Monde, 30 mai 1992 lors de la réédition, « Résistance africaine : Sarraounia, de Med Hondo » ; le sous-titre anglais du film étant « Sarraounia, An African Queen ». Culture France conserve par ailleurs un dossier de presse qui informe de manière plus générale sur la réception de Sarraounia : Christophe d’Yvoire, « Sarraounia. Sous le soleil de plomb du Burkina Faso, ex Volta, un tournage épique », Première, juillet 1986 ; Films Français, 31 octobre 1986. ; Fiches Cinéma, 19 novembre 1986 ; RFI, juillet 1990, script ; American Film Insitute, April 1987. 447 Afrique Asie, art. cit. 444 233 Med Hondo, avec certains de leurs collaborateurs, comme peut être Djibril Tamsir Niane, ces historiens, écrivains, hommes politiques et cinéastes ont en commun de partager une vision d’un peuple africain en lutte pour un idéal de liberté. Reprendre l’histoire coloniale, à travers Samori ou Sarraounia, c’est pour eux donner corps à cet idéal politique et culturel d’unité, qui dépasse le champ des nations. Contrepoint : connections internationales et socialistes de Nehanda Il ne sous semble pas que Nehanda ait été l’objet d’une réécriture panafricaine, même si nous savons qu’elle était très populaire dans les camps au Mozambique, en Zambie et au Botswana448. Martha Lane, dans sa thèse The Blood that Made the Body Go449, rapporte qu’une pièce de théâtre sur Nehanda était jouée pour les nouvelles recrues, et qu’elle était très populaire également parmi les guérilleros : The story of Nehanda and the events of the First Chimurenga also appeared frequently in dramatic performances during the liberation war. One major production which was “very well known in Mozambique – most of the ex-combatants remember it” dealt with the life of Mbuya Nehanda and the revolution and featured in the acting roles “a number of leading politicians including the Vice-President of the country” [Interview with Stephen Chifunyise, 8 June 1989]. Dramatist T. K. Tsodzo mentions the production, entitled “Mbuya Nehanda – the Spirit of Liberation”, and confirms that “it was very popular. It used to be performed to group after group of the recruits in particular, who would see this perfomance as a means of acclimatizing them to the fighting situation” [Interview with T. K. Tsodzo, University of Zimbabwe, Harare, 21 November, 1989] (Ch5. Winning the hearts of people : recruiting emotions) [L’histoire de Nehanda et des évènements de la Première Chimurenga apparaissent fréquemment dans les représentations théâtrales pendant la guerre de libération. L’une des productions les plus importantes qui était « très connue au Mozambique – la plupart des anciens combattants s’en souviennent » traitait de la vie de Mbuya Nehanda, de la révolution, et représentait « un grand nombre d’hommes politiques, notamment le Vice-Président du pays » [Interview de Stephen Chifunyise, 8 Juin 1989]. Le dramaturge T. K. Tsodzo mentionne la production, intitulée « Mbuya Nehanda – l’Esprit de la Libération », et confirme qu’« elle était très populaire ». On la jouait aux groupes des jeunes recrues notamment, un groupe après l’autre, et c’était un moyen pour eux de s’acclimater à la situation de guerre » [Interview de T. K. Tsodzo, University of Zimbabwe, Harare, 21 Novembre, 1989] (Ch5. Winning the hearts of people : recruiting emotions)] 448 Voir les témoignages des jeunes femmes qui disaient chanter en l’honneur de Nehanda et Chaminuka dans les camps à la frontière pour se donner du courage, Kathy BOND-STEWART, Leocardia Chimbandi MUDIMU, Young Women in the Liberation Struggle : Stories and Poems from Zimbabwe, op. cit. 449 Martha LANE, «!The Blood that Made the Body Go!»! : The Role of Song, Poetry and Drama in Zimbabwe’s War of Liberation 1960-1980, op. cit. 234 Ce n’est pas uniquement son caractère inter-national qui fait de Nehanda une héroïne panafricaine, mais plutôt le fait qu’elle soit choisie comme incarnation de la résistance, et adoptée par d’autres groupes – dont des témoignages pour le FRELIMO au Mozambique – dans leur combat pour l’indépendance. Ce serait alors sa capacité d’abstraction ou sa plasticité qui en ferait une héroïne à potentiel panafricain, par la facilité de ses réappropriations possibles, mais cela reste très marginal, en comparaison avec Sarraounia et Samori que nous venons de présenter. Il existerait bien d’autres relectures panafricaines de nos figures450, mais il nous a semblé que ces quelques choix de rencontres, de trajectoires croisées, permettaient d’illustrer les dynamiques de relectures, tour à tour socialistes, transatlantiques ou cosmopolites, résolument ouvertes et internationales. *** Ce chapitre était dédié à la présentation du contexte qui avait consacré nos trois figures. À la question « quels acteurs sont impliqués dans la fabrique d’un héros culturel ? », et son corollaire « quelles relations entretiennent-ils avec le pouvoir ? », les réponses varient en fonction des échelles d’analyse. Étant toutes trois supposément anticoloniales, elles sont de ce fait toutes trois perçues comme figures subversives par les historiens, écrivains, enseignants, musiciens, fonctionnaires, en ce qu’elles retournent et subvertissent les modèles discursifs occidentaux, et singulièrement celui de l’historiographie française. À plus fine échelle, la réponse varie en fonction de l’époque, puisque nos figures ont la particularité d’être à la fois postcoloniales, mineures, subalternes, tout en étant récupérées par l’institution, parfois en mettant en scène les mêmes acteurs, avec vingt ans d’intervalle. Nous avons voulu montrer la circulation, la mobilité des acteurs et des idées, notre hypothèse étant que les figures ont émergé avec force après la Seconde Guerre mondiale grâce à une constellation de lettrés, qui discutaient, échangeaient, se réappropriaient des substrats narratifs élaborés au cours de la période coloniale. Nous avons appelé ces réseaux les « élites » par commodité, en nous fondant sur leurs formations, leur capacité à prendre la parole, leur aisance à former des 450 Lors du congrès de l’APELA, « Panafricanisme, cosmopolitisme, « afropolitanisme », dans les littératures africaines » qui s’est tenu à Dijon les 17-19 septembre 2015, nous avions à titre d’exemple, traité des « Dynamiques d’inclusion et d’exclusion du panafricanisme. Sur le panthéon panafricain imaginé dans la chanson sous Sékou Touré », en exploitant notre corpus de chansons de la RTG collecté à Conakry. 235 récits, se détachant en cela de la majorité silencieuse. Intégrés dans les réseaux de diffusion souterrains de la résistance ou au contraire dans la pleine lumière451 des réseaux de la machine d’État (parfois les deux, l’un après l’autre), ces acteurs organisés en nébuleuses traversent les catégories d’« espace lisse » et d’« espace strié » de Deleuze et Guattari452, alternant entre l’intérieur et l’extérieur de l’appareil d’État. L’objet « héros culturel » peut migrer et dévier de la machine de guerre nomade, au sein de l’« espace lisse », vers la pensée d’État organisant l’« espace strié », qui tente régulièrement de réencadrer institutionnellement le subversif, le volatile, qui lui fait si peur. Ainsi de Sarraounia institutionnalisée par Seyni Kountché pour en neutraliser le potentiel « nomade », alors qu’il était précisément responsable de l’arrestation d’Abdoulaye Mamani, pour subversion. Ainsi de Nehanda, mère de la Seconde Chimurenga, puis progressivement du ZANU, et finalement figure de la promotion personnelle de Robert Mugabe. Mais l’inverse est possible également, et la figure peut retrouver son potentiel inquiétant, s’échappant du quadrillage d’État pour redevenir ex-centrique, en dehors du centre : Nehanda réapparaissant à la chute d’un arbre en plein cœur d’Harare vient interroger le bilan politique du président zimbabwéen, et rappeler les idéaux de la révolution. Il y a une réelle volatilité des interprétations, une migrance possible des acteurs de la fabrique, de l’un ou l’autre côté de l’institution. Dès lors, les enjeux herméneutiques se politisent, les conflits interprétatifs se crispent, les oppositions se durcissent, provoquant parfois un schisme entre plusieurs lectures. Ainsi de Samori, glorifié par les acteurs de l’institution guinéenne, mais diabolisé par certaines mémoires maliennes. En terme de création et de réception, le corollaire de cette volatilité des représentations, en fonction des acteurs et de leur rapport au pouvoir, est l’inadéquation de la notion de « contre sens ». La lecture est orientée par le présent, selon la vision nietzschéenne de l’histoire des grands hommes, et si elle trouve résonance, c’est une lecture possible de la figure. L’institution peut jouer contre l’auteur, comme cela été le cas pour le roman d’Abdoulaye Mamani – repris par les ballets et les manuels scolaires nigériens –, sans que le critique n’ait à décider si l’institution fait fausse route ou non : le contre sens est une notion inappropriée pour l’objet « héros culturel ». Ainsi, la littérature 451 En faisant référence à Pier Paolo Pasolini, Georges Didi-Huberman établit une analogie lumineuse entre les projecteurs du pouvoir et les survivances des lumières « résistantes », incarnées par les lucioles. Georges DIDI-HUBERMAN, Survivance des lucioles, Paradoxe, Paris, Minuit, 2009. 452 Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Mille plateaux, op. cit., « Le lisse et le strié », p. 592-624. 236 n’est pas en soi un contre-pouvoir : il y a dans notre corpus une alternance en fonction des usages et des pratiques, des lectures et des œuvres réactualisées au fil du temps et des acteurs. Il y a une primauté de l’usage, laissant le champ libre à l’interprétation des acteurs. Mais quelle est la marge de liberté des acteurs dans leur relecture, s’il est pris dans l’institution, dans un champ littéraire contraignant, dans une doxa ? Dans la relation entre l’élite et le pouvoir, ou entre l’acteur individuel et le populaire, notre corpus prouve la capacité des acteurs à prendre position dans leur champ, à remanier l’espace des possibles textuels, venant confirmer les analyses d’Edward Said sur le lien entre l’acteur et la doxa453 : Je me sépare de Michel Foucault, à l’œuvre de qui je dois beaucoup, sur un point : je crois en l’influence déterminante d’écrivains individuels sur le corpus des textes, par ailleurs collectif et anonyme, constituant une formation discursive telle que l’orientalisme. (p. 37) Au sein de la « formation discursive de l’héroïsme », des écrivains comme Solomon Mutswairo explorent les possibles textuels pour élaborer des propositions déterminantes pour la vie de la figure. Ce champ des possibles textuels est lié aux souvenirs de famille, disséminés dans les mémoires (comme l’atteste Lawrence Vambe), aux études d’historiens, comme Terence Ranger, aux besoins des rumeurs urbaines qui les reçoivent, mais l’écrivain individuel a une influence décisive, d’une part sur son propre texte qu’il remanie et remodèle, d’autre part, sur l’espace ultérieur des possibles textuels. 453 Edward W. SAID, Orientalism, New York, Vintage Books, 1979. 237 238 DEUXIÈME PARTIE Poétiques des figures héroïques Quelles formes pour quels personnages ? La première partie de l’analyse répondait, dans une perspective diachronique, à la question : « Qui produit quoi ? », tandis que la seconde sera centrée sur la question de la poétique des figures héroïques, en synchronie, et répondra donc à la question : « Quelles formes prennent alors ces trois figures »? Introduction. Des êtres transfuges : nomades et interstitiels Ces êtres de discours (ou ces « êtres de papier »), « Samori », « Sarraounia », « Nehanda », sont toujours-déjà en dehors des œuvres qui les décrivent et qui les font vivre. Au carrefour des textes, des médias, et des disciplines, ils s’élaborent dans le croisement des imaginaires. D’un point de vue textuel, l’on pourrait dire en ce sens que ces figures héroïques correspondent à une migration d’univers diégétiques d’un texte à l’autre, d’un média à l’autre. Richard Saint-Gelais appelle ce phénomène une « fiction 239 transfuge »454, à l’échelle d’un récit : « Il y a transfictionnalité lorsque des éléments fictifs sont repris dans plus d’un texte ». La fiction transfuge naît de cette transfictionnalité des mondes narratifs. Mais nous pourrions tout à fait l’appliquer à l’analyse du personnage : il y aurait alors des « héros transfuges » qui véhiculeraient avec eux tout un univers induit par leur nom. Partant de l’invention du retour des personnages chez Balzac, et analysant les adaptations modernes d’univers diégétiques (les réécritures des aventures de Sherlock Holmes, de Superman ou de James Bond par exemple, où chaque nouvelle branche du récit peut trouver sa place dans un même univers de références), Richard Saint-Gelais décrit ces univers-limites où le régime auctorial est profondément ébranlé, puisque le récit est toujours susceptible d’être actualisé, complété, augmenté par un membre de la collectivité qui partage ce monde de références. Il y aurait alors une autonomie sémiotique du récit, « caractérisé par une émancipation transfictionnelle du personnage »455. Le récit devient indépendant dès lors que le lecteur veut savoir la suite, et que le fan décide de prolonger le texte : ce qui suppose bien sûr une croyance extrêmement forte dans l’illusion référentielle. Le personnage dont on s’empare existe sur le même modèle que la réalité, puisque l’on peut combler le vide que laisse la fiction, dès que le livre est refermé, et l’on peut accroître indéfiniment le récit de sa vie. Ces personnages franchissent les frontières que sont les textes, dans une dimension ludique, transgressive, parfois contradictoire. Plusieurs remarques à cela. La définition de la transfictionnalité est bien sûr théoriquement très stimulante : Sarraounia passe de l’écran à la radio, du livre à l’école, et il est socialement accepté qu’il s’agit du même personnage. En cela, elle est une héroïne transfictionnelle. Néanmoins, les différents auteurs, artistes, individus qui se la réapproprient n’ont pas la conscience ludique d’opérer une quelconque transgression, ni un passage d’une quelconque frontière à une autre, au contraire des détournements étudiés par Richard Saint-Gelais. À quoi cela tient-il ? À l’idée que l’on se fait que Sarraounia est un patrimoine commun, tout simplement parce qu’elle a existé, qu’elle appartient à une histoire vécue comme commune, et que son récit est, dès lors, libre d’être 454 SAINT-GELAIS, Richard, Fictions transfuges, La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Le Seuil, collection Poétique, 2011, p. 19-20. 455 SAINT-GELAIS, op. cit., p. 33. 240 réécrit par les membres de la communauté qui se souviennent d’elle456. Sarraounia Mangou a eu une existence extralinguistique, puisqu’elle a été un personnage historique, du moins le pense-t-on. Et l’appropriation personnelle est dès lors vécue comme de droit ; nous verrons que cette absence initiale d’auteur, et cette historicité de la figure, ont un impact sur les valeurs que le récit transmet. Il n’y a donc pas de détournement ironique ou ludique dans la réécriture des figures héroïques, contrairement aux réécritures de Sherlock Holmes qui ont conscience de transgresser l’univers clos du roman de Conan Doyle en reprenant le même personnage tout en le faisant devenir autre, et c’est cette altérité du même qui provoque le plaisir : la poursuite réitérée dans un horizon infini de l’univers fictionnel de référence. Nehanda, Sarraounia et Samori, quant à eux, n’ont pas d’auteur initial à partir duquel cette transgression ludique pourrait s’opérer, et la dialectique du même et de l’altérité s’en trouve donc modifiée. L’on retrouve pourtant des schémas communs entre les fictions transfuges étudiées par Richard Saint-Gelais, et nos figures historiques devenues transfictionnelles. Nous pensons en effet que nos héros ont cette liberté de circulation457 des héros transfictionnels, qu’ils sont par ailleurs, réellement nomades, selon le sens que donnent Gilles Deleuze et Félix Guattari458 à cette catégorie : ils n’appartiennent à aucune œuvre, ils sont en mouvement permanent, leurs significations sont étoilées, et celles-ci peuvent dans leurs multiplicités, être contradictoires voire incompossibles entre elles. Notons que les héros peuvent, à l’occasion, être réappropriés par l’appareil étatique. Ce n’est pas exclusif : on aurait, dans ce cas, affaire à des personnages au fonctionnement anarchiste ou rhizomatique à l’échelle macrostructurale, et potentiellement sédentaires, centralisés, institutionnalisés à l’échelle microstructurale. À large échelle en tous cas, Samori, Sarraounia et Nehanda évoluent entre les langues, les médias, et les nations : à la fois dans l’interstice de toutes ces notions, et les englobant pourtant également, dans le même mouvement. Comment pourrait-on définir les formes prises par de tels êtres de fiction ? Quelles contours ont ces figures : quelles poétiques prennent-elles ? Elles excèdent les réécritures du mythe, qui sont une répétition du même, comme le souligne Denis Mellier pour qui 456 Pour reprendre l’expression de Gérard MACÉ à propos de la littérature qui constitue une « communauté de ceux qui se souviennent des mêmes récits », Le goût de l’homme, op. cit., p. 13. 457 Et rejoignent ainsi la liberté de création, « dans certaines limites », de l’« agora » orale et numérique, que John Miles FOLEY, dans, Oral Tradition and the Internet Pathways of the Mind, Urbana, University of Illinois Press, 2012, compare avec brio (p. 41 pour un tableau récapitulatif éclairant). Nos figures fonctionnent à l’échelle macrostructurale sur ce même modèle oral-numérique. 458 DELEUZE, Gilles, Félix GUATTARI, Mille plateaux, op. cit., « Le lisse et le strié ». 241 « mythifier, c’est justifier le retour fétichiste du même » 459. Les libertés prises par les figures héroïques sont telles qu’elles font éclater l’unité et la cohésion du mythe, sans compter que la conception de la sacralité du texte mythique est totalement repensée pour nos figures, qui n’ont pas les mêmes fonctions. Au croisement des frontières et des genres, elles sont bien plus libres : les catégories d’identité et d’altérité s’en trouvent repensées. Dans une première partie, nous proposerons une cartographie des métamorphoses des récits, en soulignant la trame commune des œuvres pour chacun des trois personnages, tout en présentant les modifications apportées par les textes du corpus, avec parfois des excroissances du récit, des bifurcations importantes, voire des parties qui s’autonomisent de la trame principale. Nous nous attacherons donc aux variantes et aux invariants de nos textes (de la tradition460). Nous analyserons dans une seconde partie comment les attributs de nos héros sont, en réalité, très régulièrement paradoxaux, marqués par l’antinomie. Le traitement de la religion, l’absence d’efficacité immédiate des prophéties, la défaite face à l’ennemi constituent trois thèmes récurrents de beaucoup de nos textes. Ce caractère paradoxal fait donc partie du « même » de nos figures, à l’intérieur de leurs réécritures propres, et entre elles. Mais si nous faisons ainsi éclater la figure à travers une multiplicité de réécritures et de variations, que subsiste-t-il de la figure ? D’ailleurs, s’agit-il toujours de la même figure ou de cas-limites d’homonymie ? Et si, finalement, il n’y avait pas une « Sarraounia », mais simplement plusieurs qui porteraient le même nom ? L’homonymie présente un cas-limite qui fait éclater l’unité du « même », en le diffractant en autant d’unité que de réécritures. Nous ne pensons pas que cette hypothèse permette d’expliquer les liens intertextuels qui existent, de fait, entre nos œuvres. Mais alors, comment repenser de l’unité au sein de ces autres si divers ? Nous verrons pour finir que la forme de nos figures est peut-être à trouver dans l’évaporation de la forme : ce serait leur caractère éthéré qui permettrait une identification maximale, et une adhésion du plus grand nombre au récit. Nous esquisserons une définition de cette plasticité des figures, adaptables à l’extrême, autour d’un commun fantasmé. 459 Denis MELLIER (dir.), Sherlock Holmes et le signe de la fiction, Fontenay-aux-Roses, ENS éditions, 1999, p. 136 ; cité par Richard Saint-Gelais, op. cit., p. 50. 460 Nos trois figures relèvent d’invention perpétuelle de la tradition, Eric John HOBSBAWM, Terence Osborn RANGER (dir.), The Invention of Tradition, Past and present publications, Cambridge, Cambridge University Press, 1983. 242 Chapitre 1 De la variation 1. REPRÉSENTATIONS GRAPHIQUES DES VARIANTES Une grande partie de notre corpus relève de l’écrit et de la production éditée : parler de « variantes » au même titre que pour la littérature orale, et classer les réécritures sur le modèle de la tradition structuraliste de l’étude du conte461, pourrait alors paraître étonnant. Mais précisément parce que les figures que nous étudions sont des êtres transfuges462, qu’elles circulent d’un texte à l’autre, et qu’elles semblent enjamber les frontières génériques et médiatiques, les figures de Samori, de Sarraounia et de Nehanda 461 Selon la méthode initiée par Vladimir PROPP, Morphologie du conte, suivi de : Les Transformations des contes merveilleux, et de! : L’Étude structurale et typologique du conte, trad. E. MÉLÉTINSKI, Paris, Le Seuil, 1970 ; et la célèbre classification opérée par Antti AARNE, Stith THOMPSON, The Types of the Folktale : A Classification and Bibliography, Helsinki, Academia Scientiarum Fennica, 1961. Pour l’application à la littérature orale africaine, voir en littérature épique les différentes variantes du récit, considérées comme des volets complémentaires d’une même interprétation, Christiane SEYDOU, Silâmaka et Poullôri : Récit épique peul, Paris, Colin, 1972, p. 213 et suivantes pour les variantes ; voir le tableau dressé p. 4-5 pour un panoptique des variantes du mythe de Tyamaba, Lilyan KESTELOOT, Christian BARBEY, Siré Mamadou NDONGO, Tyamaba, mythe peul : et ses rapports avec le rite, l’oire e la géographie, Abbeville, Institut Fondamental d’Afrique Noire, Université de Dakar, 1986 ; Geneviève CALAME-GRIAULE, Des cauris au marché : Essais sur des contes africains, Paris, Société des Africanistes, 1987, p. 11 et suivantes pour une réflexion sur l’impact du structuralisme dans la méthode de l’ethnolinguistique, et dans l’étude des contes. 462 Saint-Gelais, op. cit. 243 peuvent se concevoir comme des unités fédératrices de textes différents : qu’ils soit édités ou non, les récits appartiennent à des variantes d’une même unité initiale, fédérée autour du nom du héros. L’oralité sert de modèle méthodologique pour cette conception réticulaire du corpus, qui fonctionne par agencements d’éléments nodaux, et qui se conçoit en fonction des mobilités des syntagmes (en reprenant des schémas établis par la linguistique structurale). C’est à l’échelle macrostructurale que notre corpus s’envisage sous l’angle de la variation, de la variante, de la reprise de motifs. Nous avons donc opté pour une représentation graphique qui ne suive pas le déroulement linéaire de chacune des œuvres, mais le déroulement de la vie du personnage principal, le personnage-figure (« Samori, Sarraounia, Nehanda »), en lui donnant une existence « de papier ». Nos trois figures suivent le même modèle : naissance # lutte # capture # mort Puisque Sarraounia, Samori et Nehanda sont des résistants à la colonisation, l’ensemble de la narration vise à expliquer le face à face colonial. La naissance du héros est nécessairement hors du commun, les « enfances », au sens médiéval des premiers exploits, sont exemplaires, et sont tendus vers la confrontation coloniale, de manière téléologique. S’il faut expliquer la lutte, il faut également expliquer la chute, et nos trois corpus manifestent un souci constant de recherche des causes de l’échec de la résistance. La désunion entre les constructions politiques, le refus de s’allier pour faire front aux colons français et britanniques, et la trahison sont trois éléments récurrents, qui alternent dans nos textes. Les représentations graphiques que nous fournissons (infra) ne sont pas des chronologies historiques, et ne représentent pas une biographie de la personne en tant que telle : ainsi, pour « Samori », le graphique présente un motif important de notre corpus, celui du pacte initial avec des puissances occultes (génie ou serpent selon les récits). Il est évident que nous ne prêtons pas une dimension historique à cet évènement : nous représentons simplement une ligne narrative commune, en prenant pour fil rouge la vie d’un être de fiction. Nous reviendrons plus loin sur les relations qu’entretient la figure au 244 référent extralinguistique463. Nos représentations graphiques ne rendront pas compte, pour cette même raison de la focale macrostructurale, des différentes analepses, prolepses ou ellipses de chacune des œuvres du corpus. Il nous a fallu faire des choix464 d’épisodes qui justifiaient la comparaison, parmi la multiplicité des motifs de chacune de nos œuvres étudiées. Nous avons choisi des épisodes significatifs en nous fondant sur deux critères : la récurrence, d’un part (le siège de Sikasso par les troupes de Samori est un motif majeur qui revient extrêmement régulièrement, de 1901, avec la retranscription du texte d’Amadou Kouroubari, à nos jours, avec le chant « Famagan Traoré » enregistré à Siguiri en 2013), et l’originalité manifeste, d’autre part (par exemple, chez Abu Mallam, le motif du pacte initial de Samori se trouve actualisé avec un serpent, et non avec des génies, comme on le retrouve dans d’autres textes). En d’autres termes, il s’est agi de représenter le rapport du récit à la norme ainsi qu’à l’exception : dans un va-et-vient entre l’unité initiale de la structure commune, et l’éclatement des récits et des trames. Les récits exemplaires qui servent de fil conducteur aux graphiques des variations sont donc logiquement ceux qui suivent la vie du personnage principal de sa naissance à sa mort, sans qu’il n’y ait de notre part un quelconque jugement de valeur. Ils servent d’étalon de manière commode aux autres textes du corpus. 463 Voir sur le nom propre et la référence extralinguistique, Deuxième partie, chapitre 3 « Que reste-t-il de la figure ? L’horizon de l’évaporation » ; sur la relation de la fiction et de l’histoire, et donc du récit et de la mémoire, voir Troisième partie, chapitre 1 « La figure reconstruit la mémoire historique ». 464 Ainsi certains épisodes présents une seule fois, et de faible portée narrative, ne sont pas représentés, tels les dialogues entre Moses et Mr Browning chez Yvonne Vera, ou l’épisode de la prophétie de la vieille femme chez Abdoulaye Mamani, mais nous reviendrons sur certains d’entre eux dans des analyses de textes, plus bas. De même, nous n’avons pas représenté, pour des raisons de place et de lisibilité, chacune des œuvres ni chacun des chants du corpus. 245 246 247 248 Il nous semble que la représentation graphique des variations, en synchronie, a une véritable efficacité heuristique. Elle est évidemment partielle et ne se suffit pas à ellemême, mais, par son extrême concision, elle permet de représenter l’ensemble d’un corpus en soulignant les récurrences et les exceptions. Elle permet, en outre, d’effectuer une comparaison rapide entre les œuvres autour d’une même figure, d’une part, et entre les figures, d’autre part, dans une représentation panoptique du corpus. La première piste d’analyse que nous fournissent ces arbres des variations est la mise en évidence, spatiale, de ce que nous pourrions appeler des « excroissances » du récit : autrement dit, le développement d’îlots narratifs, qui se détachent nettement du reste du corpus, par autonomisation d’un motif. Pour ce qui est de Samori, il y a un réel détachement de l’affrontement entre Karamoko et son père465, ainsi que de l’épisode du siège de Sikasso. L’affrontement entre Tièba et Samori n’est pas seulement un motif récurrent (traité par Sembène Ousmane, deuxième tome « Sikasso Kele », par Amadou Kouroubari, p. 157-161, ou encore par Djiguiba Camara, p. 79-83), il s’émancipe du fil conducteur de la vie de Samori pour venir signifier de manière autonome (dans le Mémorial de Kélétigui Berté, chez Massa Makan Dabaté, et dans « Famagan Traoré »), sans avoir besoin de rappeler les origines du conflit, et de la désunion entre les chefs africains. C’est alors que l’interprétation développée par Richard Saint-Gelais, autour des fictions « transfuges »466, nous paraît particulièrement intéressante : le motif autonomisé, libéré de la trame principale, ne peut se comprendre que dans la référence à un commun partagé, c’est-à-dire au présupposé que le lecteur-spectateur sait dans quelles conditions intervient le siège de Sikasso, avec quelles acteurs et avec quels enjeux. Par ailleurs, il y a également, à un échelon inférieur qui suppose une encore plus grande connaissance de l’intrigue, une autonomisation du motif de la bravoure de Kémé Bouréma qui se lance seul à la recherche de plantes médicinales pour son père, et va jusqu’à traverser le jardin de la reine de Sikasso pour les ramener. L’« hymne de Kémé Bouréma » fait référence à 465 Nous reviendrons en détail sur les diverses significations attribuées, en diachronie, à cet épisode de l’affrontement entre deux générations. Infra, Troisième partie, chapitre 3, « La figure et la pensée du monde ». 466 SAINT-GELAIS, op. cit. « Topographies d’un ensemble transfictionnel », p. 303-313. Mais Richard SaintGelais n’a pas recours à la représentation graphique. La ligne du canon, que nous avons appelée « fil conducteur » (« récits du temps long » dans nos graphiques), est analysée p. 191-197 sous le titre de section « Dispositifs fédérateurs ». « Le stade médiatique de la fiction » (p. 373-426) ne traite véritablement que des fan fiction, et nous nous écartons sensiblement de cette approche restreinte des nouveaux médias, puisque les textes de notre corpus dépassent ce cadre d’analyse, en intégrant en revanche des représentations télévisuelles, radiophoniques, qui correspondent à une autre vision du « populaire », que nous avions défini plus haut. Voir Karin BARBER, op. cit., et supra, Première partie, chapitre 2, section « Élites en résistance et héros des subalternes ». 249 cet épisode, avec parfois la mort du héros, qui symbolise le paroxysme de la bravoure. Ce fonctionnement par îlot narratif, par excroissance, par autonomisation de la trame principale, se retrouve pour nos trois figures : ainsi du procès de Nehanda, ainsi de la célébration de la victoire de Sarraounia par l’efficacité de ses pouvoirs magiques, entre autres. La seconde piste d’analyse mise en évidence par ces variations est l’existence de motifs alternatifs, qui fonctionnent comme des syntagmes permutables. Ainsi du pacte initial de Samori pour acquérir la puissance dans le monde d’ici-bas, ainsi de la coloration panafricaniste ou non de la lutte de Samori contre la pénétration coloniale, ainsi des différentes analyses de l’accession au pouvoir de Sarraounia, ou de la mort ou non du capitaine Voulet… Nous reviendrons dans cette seconde partie sur ces variances et sur les attributions de nos trois héros. Mais nous souhaiterions auparavant souligner quelques particularités graphiques de chacune de nos trois figures. L’analyse comparée des trois arbres de variations met en avant le dédoublement de la narration pour ce qui est de Sarraounia, avec la très grande importance attribuée à la marche de la colonne Voulet-Chanoine, parallèlement aux préparatifs guerriers de Sarraounia, à tel point que l’intrigue semble parfois se scinder véritablement. La figure de Nehanda, quant à elle, est fondée sur le cycle, et sur le retour, du fait de sa prophétie finale qui justifie les réactualisations ultérieures, et ce thème du cycle se retrouve d’ailleurs dans la structure même de certains récits qui lui sont consacrés, tandis que la figure de Samori est caractérisée par une expansion considérable des motifs, sur le mode de la dérivation. Sarraounia : dédoublement des structures narratives C’est en effet l’aspect le plus frappant des trois représentations graphiques : les récits se dédoublent et suivent deux trames narratives en structure parallèle. Les deux fils se rencontrent évidemment lors de la bataille de Lougou, lors de son occupation d’une nuit, ainsi que lors de la mort des deux capitaines Voulet et Chanoine. Pourquoi une telle scission, alors que les écrivains qui s’emparent de la figure de Nehanda n’éprouvent pas 250 le besoin de rendre compte de la marche d’Alderson467, dont le journal se trouve pourtant dans le même fonds d’archives que le très célèbre procès « Queen against Nianda », qui est par ailleurs connu et réanalysé ? De même, Gouraud et Gaden ne font pas partie intégrante du déroulement narratif de la capture de Samori : ils interviennent comme actants, comme opposants bien sûr, mais leur marche ne correspond pas pour autant à un dédoublement de l’intrigue. Cela est dû, il nous semble, à l’extrême rapidité de la confrontation coloniale (représentée par un cadre gris dans nos trois graphiques), resserrée sur une journée, ici, le 15 avril 1899 ; tandis que la lutte de Nehanda correspond à un intervalle de presque deux ans, et près de vingt ans pour Samori. La trame secondaire correspondrait donc à une stratégie narrative de dramatisation de la bataille de Lougou, par le recours à un procédé dilatoire qui prendrait l’échelle d’une intrigue seconde, venant se greffer à la première. À l’avancée de la colonne correspondrait une montée progressive du suspens, qui augmenterait la tension narrative. Il est intéressant de constater que plus de la moitié du film Sarraounia de Med Hondo est consacrée aux massacres perpétrés par les tirailleurs, ainsi qu’à la cruauté de Voulet – notamment lorsqu’il rend la justice (avec le meurtre du tirailleur qui avait perdu 120 cartouches468, fusillé de sang-froid ; ou avec le règlement de l’adultère entre deux tirailleurs dont l’un a coupé l’oreille à l’autre, sous les rires des femmes, que l’on retrouve dans le roman de Mamani, p. 26-27). Sur cette augmentation du suspens, il est remarquable que Samori constitue l’étalon de référence pour les tirailleurs, tant chez Mamani que chez Hondo : Sarraounia est régulièrement comparée à Samori, pour signifier sa très grande puissance. Ainsi, lors de la première apparition de Voulet chez Mamani, le nom « Sarraounia » apparaît d’abord par la bouche de Coulibaly, l’interprète, qui restitue les peurs des prisonniers : « Femme-là y a terrible comme Samory » p. 11469. Au-delà de l’anecdote, cela conforte la comparaison que nous avons 467 NAZ, Historical Manuscripts : Alderson files, AL 1/1. Voir aussi E. A. H. ALDERSON, With The Mounted Infantry and the Mashonaland Fiel Force 1896, 2e éd., Bulawayo, Rhodesiana Reprint Library, 1971. 468 Attesté tant par les officiers que par les témoins indigènes dans les archives du procès : CAOM FM/DAM/16, 1ère partie, Chef de bataillon Laborie, officier de police judiciaire militaire, feuillet 12 : en janvier 1899, le tirailleur Moussa Koné est fusillé pour une perte de 40 cartouches. CAOM FM/DAM/16 2ème partie, Dépositions, mêmes faits, par le lieutenant Joalland notamment. Voir aussi les dépositions du sergent Demba Sar, des tirailleurs soudanais, et de François Courbaly, interprète. 469 Voir aussi « Une reine magicienne aussi redoutable que l’Almamy du Wassoulou », Mamani, Sarraounia, p. 80 ; « La capture de Samory a tué sa légende tandis qu’El Hadj Oumar disparu dans les grottes nous a donné plus de soucis que toutes les escarmouches qu’il a organisées contre nous. […] La Sarraounia vivante et libre dans la brousse, c’est un défi constant aux forces françaises », p. 149 ; « Soly Dembélé, griot de son état, enrôlé de force dans l’armée et subjugué par la puissance des toubabous qui ont 251 effectuée dans le choix de nos figures d’étude, puisque les échos se construisent incessamment entre les textes. Cette explication de la courte durée de la bataille, et de la nécessité de donner de l’ampleur à la lutte n’est pas fausse, mais elle n’explique pas entièrement cette double intrigue. Certes, le film de Med Hondo fait la part belle aux scènes des batailles, mais cette hypothèse n’explique pas, par exemple, qu’Abdoulaye Mamani ait choisi de ne pas représenter la confrontation à Lougou, qui fait l’objet d’une ellipse. Elle intervient, en effet, dans le blanc qui sépare la prophétie d’une vieille femme possédée – dont la description correspond au rôle d’une Sarraounia traditionnelle, faisant le lien entre le monde des esprits et le mondes vivants – au chapitre XX, et la description des blessés dans le camp des tirailleurs soudanais, une fois le village pris, au chapitre XXI. La vision de la vieille femme équivaut à une description de la bataille, mais celle-ci est alors rejetée dans l’irréel, elle est signifiée par allusions, et par sélections de détails frappants, qui sont du reste marqués par la cruauté et par le mode de l’impossibilia (« le chien mange le chacal », « des enfants sans tête »), afin de renforcer l’horreur du combat. La vision a également un rôle prophétique, similaire à celui de Nehanda. Elle annonce une survie future, qui ne passe pas par une victoire immédiate (« elle ne règnera plus »), mais qui se construit à plus long terme : par la mort future des capitaines qui ont osé chasser Sarraounia d’une part (« mort à ceux qui chassent… »), et d’autre part, par une survivance autre, qui constitue certainement un clin d’œil de l’écrivain à la postérité littéraire de son héroïne, qu’il est lui-même en train de construire (« elle vivra ») : Apaisée, la possédée […] débite des mots incohérents soigneusement recueillis par un vieillard accouru à son chevet : « Le feu dans les chaumières… un marigot de sang… une pluie de larmes… Les vautours couvrent le ciel… le chien mange le chacal… le chacal mange la hyène… une forêt de lances et de flèches… l’homme à califourchon sur le dos de la femme… des enfants sans tête… les ventres avortés des femmes arides aux seins sans lait et pleins de pus… le tonnerre la foudre un feu de brousse rouge comme le sang comme l’or comme le cuivre… ô mère ! ô mère ! ô mère mienne ! je veux retourner dans ton ventre… dans ton ventre chaud… avale-moi mère… Sarraounia ne règnera plus… Sarraounia vivra longtemps, elle ne règnera plus… Sarraounia reine des Aznas… elle vivra, oui elle vivra… son ventre portera des fruits… des fruits… Sarraounia chassée de Lougou… Mort à ceux qui chassent Sarraounia […] » XXI. réussi à casser la puissance de l’Almamy, était jusqu’à cette malheureuse tentative contre la Sarraounia un des spahis les plus enthousiastes et les plus fidèles de la mission », p. 134. 252 — Une véritable hécatombe ! Et quel boucan ! Vous ne pouvez rien faire contre leur putain de poison ? — Que voulez-vous que je fasse ? Je ne sais même pas ce qu’ils ont foutu comme saloperie sur leurs satanées flèches. Ça ne ressemble à aucun poison habituellement utilisé par les nègres. C’est pire que du curare, ma parole ! (p. 120-121) Si la confrontation avec les Français était trop courte, et si elle avait nécessité le déploiement d’une seconde intrigue pour augmenter le suspens, pourquoi donc choisir d’éliminer l’objet même de la confrontation ? Pourquoi placer la bataille dans l’intervalle entre deux chapitres ? C’est bien que cette double trame que nous avons soulignée (préparatifs des Aznas/avancée de la colonne Voulet-Chanoine) répond à un autre objectif. Elle s’explique par l’existence de l’intertexte du Grand Capitaine (section « La sorcière », bataille de Lougou, p. 11-19) : Abdoulaye Mamani et Med Hondo (ainsi que le livre pour enfants d’Halima Hamdane, calqué sur la même intrigue) sont une réponse inversée au roman de Jacques-Francis Rolland, et ce faisant, ils accordent une grande place à ce qui faisait l’objet du récit de l’hypotexte – à savoir la marche des Français et des tirailleurs sénégalais. Mais plus profondément, elle s’explique également par la dimension satirique et grotesque de cette seconde intrigue, qui a valeur de dénonciation : Abdoulaye Mamani a autant pour objectif de promouvoir une héroïne que de démythifier la conquête coloniale. D’où l’abondance de jurons de Voulet (seulement sur sa première apparition, chapitre 1 : « ce con-là ne veut rien nous dire », « il veut nous faire peur le salaud », « ces sales nègres », « ferme-lui sa grande gueule » p. 9), sa vulgarité (dans le traitement de sa concubine, p. 9 également), le rabaissement constant des figures d’autorité (Boutel est ridiculisé lors de la scène du komo, p. 129-130)… Cet objectif persiste dans la réécriture de Med Hondo, tandis qu’il donne tout de même une ampleur épique au combat (avec de magnifiques scènes de mouvements de cavalerie, de maniement du feu, de replis stratégiques, de plans rapprochés sur la beauté des armes et des boucliers…). Abdoulaye Mamani n’a pas besoin de représenter la bataille, qui rappellerait la démesure des armées en présence, pour que le dispositif fonctionne : le dédoublement de la structure narrative suffit, par contraste, à opérer la glorification de Sarraounia. Med Hondo est en quelque sorte redondant dans le dédoublement, pourrait-on dire, en représentant à la fois la bataille, et la dégradation grotesque, terrible et vulgaire, des Français. 253 Nehanda : le cycle, et la bataille comme centre vide Le temps de la confrontation coloniale est plus long chez Nehanda, et la première Chimurenga se retrouve dans plusieurs textes du corpus, soit par évocations (chez Vambe ou Samkange), soit par autonomisation du motif (de manière logique dans les Chimurenga songs). Le récit de la lutte est tout entier tendu vers la prophétie finale de Nehanda « my bones shall rise again », qui justifie les ré-analyses et les réécritures, toutes issues du contexte ou des suites de la seconde Chimurenga. Ce cycle, à l’échelle macrostructurale de notre corpus dédié à Nehanda, se retrouve à l’échelle de la structure du roman Nehanda d’Yvonne Vera. Nous avions cité en parallèle les paragraphes d’ouverture et de clôture de l’œuvre dans la première partie 254 de notre étude470, en montrant qu’ils formaient un diptyque. C’est l’ensemble de l’œuvre qui se structure autour du motif de la boucle, qui figure le retour du même, à intervalles réguliers, et entre autres, le retour de la Chimurenga471, contre l’oppression coloniale472, qu’Yvonne Vera étend également à l’oppression machiste473 contemporaine. L’œuvre s’équilibre et prend sens autour de cette structure circulaire, centrée sur le premier et le dernier chapitre qui décrivent la mort-ascension de l’héroïne, avec ensuite 7 chapitres consacrés à l’enfance, puis 7 chapitres aux possessions, puis de nouveau 7 chapitres sur la guerre, et enfin les 4 derniers au procès de Kaguvi et à la poursuite de Nehanda dans le maquis. Tout comme chez Abdoulaye Mamani, la confrontation militaire est seulement suggérée, et le rôle de Nehanda n’est pas clairement décrit. Sa capture reste d’ailleurs énigmatique, laissant entendre qu’elle s’est rendue pour protéger son peuple : Nehanda sees the future clearly and distinctly, and is fulfilled. But for now, her people will continue to be killed until evidence of her death has been found. The sun continues to shine across the river. They find her sitting in a clearing, waiting. (p. 94, chapter 25) [Nehanda voit le futur clairement et distinctement, et elle en est satisfaite. Mais pour l’instant, son peuple va continuer à être tué jusqu’à ce que les preuves de sa mort soient trouvées. Le soleil continue à miroiter sur la rivière. Ils la trouvent assise dans une clairière, à attendre.] Ce même mode de la suggestion et de l’allusion se retrouve pour les descriptions des batailles. La guerre proprement dite est vue à travers les yeux d’un jeune garçon, dont 470 Supra, Première partie, chapitre 1, section « L’institutionnalisation maximale du héros culturel : vers un appauvrissement des textes ? ». 471 Ce qui est également la thèse de Desiree LEWIS, « Biography, Nationalism and Yvonne Vera’s Nehanda », Social Dynamics, 30 (2004/1), p. 28‑50. 472 Lene Bull CHRISTIANSEN, « Yvonne Vera!: Rewriting Discourses of History and Identity in Zimbabwe », in Robert MUPONDE (dir.), Versions of Zimbabwe! : New Approaches to Literature and Culture, Harare, Weaver Press, 2005, p. 203‑215. C’est également la même lecture de Corwin Luthuli MHLAHLO, « Subalternity Revisited: unhu/ubuntu/Existentialist Intersubjectivity and Ancestral Silence in Yvonne Vera’s Nehanda », The Criterion.com [En ligne]. 473 Ce qui est également vrai d’au moins ces quatre autres romans : Yvonne VERA, Butterfly Burning, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2000 ; Yvonne VERA, Without a Name!; and, Under the Tongue, New York, Farrar, Straus, and Giroux, 2002 ; Yvonne VERA, The Stone Virgins, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2003. Voir les analyses transversales sur la question du genre chez Vera : Nana WILSON-TAGOE, « History, Gender and the Problem of Representation in the Novels of Yvonne Vera », in Robert MUPONDE, Mandi TARUVINGA (dir.), Sign and Taboo, op.cit. 255 le nom ne nous est pas donné, réfugié au faîte d’un arbre (« The boy is in the musasa tree, in his usual place », p. 79) : The panic on the ground surprises the boy. He now realizes that he should have warned his mother and his aunt, but it is too late. […] A very loud, sharp sound rings out. His mother slumps in the doorway and lies still, while his aunt screams and picks up the hoe. The sound is repeated and she too lies still. The branch the boy is holding begins to shake. He grips the trunk instead. The black horse stamps his foot three times. There is more screaming from further down the village, and the sound of pots breaking, and then the terrible sharp sounds. Later, smoke rises into the tree, and the boy sees flames leaping through the roof of the hut. His body shakes and he is crying and he bites hard to try and stop. After a time he is still shaking but the crying has ceased, and he thinks perhaps the crying was not his. (p. 80-81, chapter 21) [La panique au sol surprend le garçon. Il réalise à présent qu’il aurait dû prévenir sa mère et sa tante, mais il est trop tard. […] Un son très fort et strident retentit. Sa mère s’effondre sur le seuil et ne bouge plus, tandis que sa tante crie et s’empare de la houe. Le son se répète et elle ne bouge plus non plus. La branche que tient le garçon commence à trembler. A la place, il s’agrippe au tronc. Le cheval noir piaffe par trois fois. Il y a d’autres cris plus loin en contrebas dans le village, et le son des pots cassés, et puis ces terribles sons stridents. Plus tard, la fumée s’élève jusqu’à l’arbre, et le garçon voit des flammes crépiter à travers le toit de la hutte. Son corps tremble et il pleure et il se mord fortement pour essayer d’arrêter. Quelques temps plus tard, il tremble toujours mais les sanglots ont cessé, et il pense que peut-être les pleurs n’étaient-ils pas les siens.] La focalisation interne, d’un jeune garçon décrivant le massacre de sa famille, est fondée sur le déficit de connaissances du personnage, par rapport au lecteur, qui reconnaît avec effroi la cause des bruits sourds, dus aux fusils, et qui lit dans « lies down », la mort, euphémisée. Nehanda n’est pas présente dans cette scène de confrontation 474 . Les chapitres précédents étaient consacrés à sa fuite, et le chapitre 20 suggérait un parallèle entre elle et deux animaux qui font l’objet de longues contemplations : entre l’œuvre d’une araignée tissant sa toile, et la fuite de Nehanda dressant des pièges contre les colons d’abord (p. 74 ; p. 76), et ensuite entre sa course et l’obstacle surmonté d’un caméléon qui traverse une rivière en faisant ployer une branche d’arbre pour changer de rive (p. 75). 474 Voir infra, section « Représentations de la guerre », dans ce même chapitre, pour un tableau récapitulatif des rencontres avec les Blancs dans le roman. Seul le chapitre 19 livre le récit d’une autre bataille, mais Nehanda n’est pas présente. 256 Toutes ces stratégies narratives de suggestion, de détours et de parallèles visent à circonscrire le vide de la confrontation, qui reste volontairement euphémisée. Le rôle de Nehanda en est passé sous silence, par là même. Les Chimurenga songs, de manière révélatrice, adoptent ces mêmes stratégies, renforçant l’effet de circularité, et de centre vide. La confrontation guerrière, en ellemême, y est toujours éludée, laissant place à l’affirmation du retour des ancêtres, et du retour de la résistance (« resurrected ») : Mbuya Nehanda Mbuya Nehanda, mbuya (Mbuya Nehanda) Chorus Mbuya Nehanda, mbuya (Mbuya Nehanda) Chorus Mbuya Nehanda makareva […] Mapfupa aneHanda akamuka Pfuma reZANU ndokubaka moto Moto uyu igidi reZANU Rakatora nyika yedu Mapfupa aneHanda akamuka Pfumo reZANU ndokubaka moto Moto uyu igidi reZANU Rakatora nyika yedu Vapambepfumi Munyika yeZimbabwe Vaipona neropa revanhu Vachisveta simba revanhu Grandmother Nehanda, Grandmother Chorus: Grandmother Nehanda Grandmother Nehanda, Grandmother Chorus: Grandmother Nehanda, Grandmother Nehanda you prophesied […] Nehanda’s bones resurrected ZANU’s spear caught their fire Which was transformed into ZANU’s gun The gun which liberated our land. Nehanda’s bones resurrected ZANU’s spear caught their fire Which was transformed into ZANU’s gun The gun which liberated Zimbabwe. The exploiters of Zimbabwe Were cannibals drinking the masses’ blood Sucking and sapping their energy (NAZ Manuscripts Section 536/13 ZAPU songs, Julie Frederikse Files) [Grand-mère Nehanda, Grand-mère Chœur : Grand-mère Nehanda Grand-mère Nehanda, Grand-mère Chœur : Grand-mère Nehanda Grand-mère Nehanda tu l’as prédit […] Les os de Nehanda ont ressuscité La lance du ZANU a pris leur feu Qui s’est transformé en arme du ZANU L’arme qui a libéré notre terre. Les os de Nehanda ont ressuscité La lance du ZANU a pris leur feu Qui s’est transformé en arme du ZANU L’arme qui a libéré le Zimbabwe. Les exploiteurs du Zimbabwe Étaient des cannibales qui buvaient le sang des masses Suçant et sapant leur énergie] 257 Le ZANU est clairement, dans ce texte, l’incarnation nouvelle de Nehanda (ses os, littéralement : « bones »). Quant au motif guerrier, il est déplacé vers un autre motif contigu, celui des atrocités commises par les colons envers les masses. Ce déplacement métonymique, fondé sur la proximité sémantique de la violence dissymétrique, a la particularité d’inverser le cliché colonial du cannibalisme en le renvoyant sur l’action de colonisation elle-même : « The exploiters of Zimbabwe/Were cannibals drinking the masse’s blood/Sucking and sapping their energy ». Le lexique marxiste de l’analyse de classes se surimpose au motif du cannibalisme, en le renouvelant, et en l’associant à celui du vampire, vivant en parasite sur un corps étranger. Il ne s’agit donc plus d’une guerre, mais d’un état de violence prolongé – la colonisation – dont les conséquences décrites escamotent la confrontation frontale. Cette disparition rhétorique de la lutte de Nehanda, sous un appel répété au retour des esprits, nous semble correspondre aux impératifs pragmatiques d’élaboration et de réception de tels textes, pour des soldats préparés aux tactiques d’évitement, de sabordage des infrastructures, de harcèlements ponctuels de l’armée rhodésienne, d’escarmouches. Il y a bien une continuité dans le corpus concernant Nehanda, qui se lit dans le motif du cycle, du retour, tout en procédant à un évidemment de la scène de bataille. La comparaison avec Sarraounia s’avère ici précieuse, en renforçant la différence de traitement du fait guerrier : ainsi Med Hondo accentue-t-il la confrontation, en accumulant les plans fixes sur les armes, et en juxtaposant des séquences consacrées aux différentes tactiques de repli de l’armée de Lougou ; tandis que l’écrivain Abdoulaye Mamani, au contraire, traite de la guerre sur le mode métaphorique du songe d’une prophétesse, qui en souligne les retombées sur les civils. Cette tierce voix rappelle le traitement qu’en donne Yvonne Vera, à travers le regard du jeune garçon perché sur un arbre musasa, avec un regard à la fois panoramique, distancé, et innocent sur la scène. Le procédé dramatise l’évocation, dans les deux cas, tout en mettant à distance la scène guerrière proprement dite. Samori : expansion dérivative du corpus. L’exemple du théâtre sur Karamoko Sans surprise aucune, l’étude de l’arbre des variations de Samori révèle de nombreux motifs qui se sont autonomisés, ainsi que des motifs alternatifs : les réécritures 258 de cette figure héroïque sont celles qui ont le plus d’ampleur, et dont la cartographie possède le plus large périmètre. Parmi le vaste éventail de textes, un îlot narratif paraît particulièrement autonomisé, et semble correspondre ainsi à la définition de la fiction transfuge. Il s’agit de la mise à mort de Karamoko dans les trois pièces de théâtre de notre corpus. L’affrontement entre le père et le fils constitue, en effet, l’excroissance la plus manifeste des récits sur Samori. Les trois pièces sont extrêmement intéressantes à analyser conjointement, puisqu’elles se complètent et se répondent, de manière rhizomatique475, en développant des possibles narratifs distincts, tout en suivant une trame commune, et en proposant parfois des segments narratifs contradictoires entre eux. Nous en proposons donc une courte analyse comparée, afin d’illustrer le processus d’isolement et d’autonomisation d’un motif, au cœur d’une intrigue préexistante plus vaste. Les trois pièces choisissent toutes comme focale principale le retour de Karamoko d’un voyage diplomatique en France, en 1886, en l’amalgamant à sa mise à mort, en juillet 1894476. Karamoko se rend en France à la suite du traité de Kenyéba-Kura, que Samori conclut avec les Français – représentés par Péroz et Galliéni –, afin de pouvoir engager le siège de Sikasso, tout en ayant un front dégagé face aux puissances occidentales (1887-1888). Le prince voyage avec Tournier, capitaine d’infanterie et chef de la mission du Ouassoulou, ainsi qu’avec Alassane Dia et Mamadou Racine, d’août à septembre 1886477 : il prend le train, il est accueilli à Paris avec tous les honneurs, il visite la caserne de la garde républicaine des Célestins, l’école militaire de Vincennes, il assiste à une revue et est introduit dans les hangars de matériel (où il s’intéresse au modèle Kropatschek). Il est amené à l’opéra, à Longchamp, puis il est reçu par le ministre de la 475 Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Mille plateaux, op. cit. Introduction : « Rhizome ». Sur le rapport de la figure au rhizome, voir nos analyses supra, Première partie, Chapitre 2, conclusion de la section « Élites en résistance et héros des subalternes ». Voir pour une application à l’intertextualité, infra, Troisième partie, Chapitre 2 « Les imaginaires intertextuels ». 476 Sur le voyage de Karamoko en France, voir Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 2, p. 695 « DyaulèKaramogho en France ». Sur les circonstances de sa mise à mort, et les rumeurs sur sa fin, voir Samori, op. cit., tome 3, p. 1505-1506 « La fin de Dyaulè-Karamogho ». Sur le procès proprement dit, les seules informations sont celles livrées par la tradition orale : Yves Person ne cite que son informateur n°10, Karamogho Kuyaté, dont les notes de leurs entretiens sont conservées à la BRA : 4c1, « Notes manuscrites d’Yves Person », Interview de Lamfiya et Karamogho Kuyaté (n°10), à propos de Samori. Ce texte fait également partie de notre corpus. Ce thème du voyage de Karamoko est très célèbre à l’époque ; voir le portrait de Karamoko donné en illustration dans Louis Léon César FAIDHERBE, Le Sénégal ; La France dans l’Afrique occidentale, Paris, Hachette et cie, 1889, p. 417. 477 CAOM/FM/SG/SEN/IV/88-89 bis. D « Voyage de Karamoko », où Tournier demande le remboursement de ses notes de frais, d’hôtels, de voitures, de trains (sur la ligne Bordeaux-Paris), de cadeaux faits à Karamoko, du dentiste mandaté pour le prince. 259 Guerre, le général Boulanger ainsi que le président Grévy. Ce voyage semble l’avoir beaucoup impressionné, et il est par la suite considéré comme francophile. Ces convictions, certes affichées à la cour de son père, ne l’ont pourtant pas mené à la disgrâce, puisqu’il continue à occuper des postes stratégiques, selon Yves Person : La tradition nous apprend en effet qu’à son retour de France, Karamogho avait choqué son père par sa façon emphatique de décrire en public la puissance des Blancs, mais cela n’avait nullement entraîné sa disgrâce. Comme fils aîné de l’Almami, il était encore, en 1888, son homme de confiance, et il fut alors chargé de protéger la vallée du Milo au pire moment du siège de Sikasso478 . Il commet ensuite une suite d’erreurs stratégiques : en étant trop brutal dans les répressions de l’Amana en 1889, de même qu’à Nyonsomoridougou, puis en fuyant trop rapidement devant Richard en 1894, et enfin en échangeant des lettres avec Loyer, en juin-juillet 1894. Celles-ci ont bien existé, et elles ont été relayées à son père, mais elles ne constituent pas en soi une trahison : c’est le message oral transmis à l’intermédiaire qui promettait une démission prochaine, qui fut récité à Samori, et qui constitua la véritable cause de la condamnation de Karamoko. Dans les pièces de théâtre, une seconde intrigue liée à la succession se mêle à la question de la francophilie de Karamoko : signalons que Sarankégni Mori, un autre fils influent de Samori, est déclaré officiellement héritier en 1888, ce qui consacre la victoire des partisans de la guerre – dont le griot Morifing Dian Diabaté que nous retrouvons dans les mises en scène – sur la faction pacifiste, incarnée par Karamoko. Les personnages et l’arrière-plan politique sont supposés connus du public : en cela, le héros est transfuge, puisqu’il conserve des traits d’identification communs entre les textes préexistants sur Samori, et les pièces de théâtre (moins facilement entre les trois pièces de théâtre entre elles, puisque des réalités incompossibles entre elles se superposent parfois). Si nous juxtaposons les trois intrigues narratives entre elles, en suivant le déroulement linéaire des textes, il devient évident que Cheik Aliou Ndao et Bernard Zadi Zaourou ont exactement le même découpage chronologique : la pièce commence au retour de Karamoko, l’affrontement entre le père et le fils a lieu, le procès est suivi d’une délibération, le fils est mis à mort. Massa Makan Diabaté, quant à lui, commence le premier acte en amont du voyage, et une première intrigue liée à la succession de Samori apparaît à l’initiale, faisant se confronter les deux fils Sarankégni et 478 Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 3, p. 1505. 260 Karamoko, ainsi que le frère Kémé Birama479. Les deux autres actes reprennent le déroulement suivi par Cheik Aliou Ndao et Bernard Zadi Zaourou. Ce qui est étonnant, c’est que, dans les trois cas – bien que de manière différente – le récit du voyage de Karamoko n’est absolument jamais décrit : il fait l’objet d’une ellipse chez Massa Makan Diabaté, dans l’intervalle entre l’acte I et l’acte II (p. 58-59), tandis qu’il appartient à l’avant-texte chez les deux autres dramaturges. Le périple de Karamoko et de sa suite est pourtant relativement bien référencé, et ce, depuis les journaux d’époque, qui ont relayé les moindres déplacement du prince. Le voyage n’est néanmoins pas, à proprement parler, un point aveugle du texte, puisqu’il fait l’objet de toutes les interrogations, et qu’il fait, en outre, l’objet des trois récits d’opposition de Karamoko à son père dans les trois pièces de théâtre. Il est pourtant toujours-déjà médié, dans le souvenir, dans la construction discursive et argumentative de l’après-coup, et toujours-déjà inséré dans des jeux de stratégie et de pouvoir internes à la cour de Samori. Le récit du voyage est une preuve, un argument, une construction. En tant que tel, il n’a que peu d’importance : il est objet de fantasmes et de reconstructions ; le point de vue induit étant celui de Samori – ou celui du peuple – qui attend le retour du fils prodigue. Le lecteur-spectateur implicite partage ce point de vue marqué par l’expectative, autour de cet inaccessible qu’a été le voyage. Les trois textes partagent des récurrences, comme le thème de l’enfermement, de l’isolement de Karamoko dès les scènes d’ouverture. Karamoko n’appartient déjà plus au groupe. L’incipit du Fils de l’Almamy en est révélateur : Thiécouta : Les sofas désirent l’action. Karamoko : Hum! (Un silence) Je souhaite que mon père m’écoute avec la tête, non le cœur. Qu’il s’oublie un peu pour mieux m’entendre. J’aime l’Almamy pour m’avoir enseigné la droiture, l’amour du pays, mais surtout le refus de ce qui ne convainc pas. Dieu veuille qu’il sache que je parle au nom de notre bonheur. Thiécouta : L’Almamy est le symbole de ce bonheur ; le rempart contre l’abandon des vertus anciennes. Karamoko : Parlons-nous le même langage, Thiécouta? Maliba : La chaleur n’est pas propice à l’éclosion des idées, vous discuterez au camp. 479 Sur les querelles de succession et la représentation du droit islamique à partir de cette même pièce de Massa Makan Diabaté, voir plus bas, Troisième partie, chapitre 3 « La figure et la pensée du monde ». 261 (Noir) (Le Fils de l’Almamy, p. 12-13) L’intrigue militaire est d’ores et déjà mise en place : Thiécouta se fait porte-parole des sofas et milite pour la reprise des hostilités contre les Blancs. Nous retrouvons ce même thème au début de Une hyène à jeun, où deux membres de la cour – le griot Morifing Dian Diabaté et le frère de Samori, Kémé Birama – affichent publiquement leur désaccord avec la paix conclue avec les Français et tentent de convaincre Samori de reprendre les armes. Or, dans Le Fils de l’Almamy, Karamoko ne semble pas partager le même enthousiasme que ses compagnons, créant un malaise et portant le doute jusque sur la communauté fondamentale du langage utilisé (« parlons-nous le même langage? »). D’emblée, Karamoko se distingue de la masse, ce qui le prédispose à devenir un boucémissaire. De même, dans Les Sofas, le tableau II entre en contradiction avec le tableau I qui célébrait avec joie le retour du prince : dès sa première apparition, Karamoko est accusé par son père de trahison parce qu’il refuse d’apporter son soutien à la nouvelle campagne contre les Français : Samory : Le pays tout entier est sur le pied de guerre. Nous l’y avons préparé consciemment, parce que nous n’avions plus la moindre confiance en nos interlocuteurs français. De tout cela, j’ai entretenu le prince. Mais je dis et je répète que je trouve bien étrange les réponses du prince. Je ne reconnais plus mon fils et j’attends de lui qu’il se prononce clairement sur la ligne à suivre face à la plus grave menace qui ait jamais pesé sur la terre de nos ancêtres. J’ai parlé. (Les Sofas, p. 27) La dispute initiale est rejetée dans le hors-texte : Karamoko entre en scène en s’étant déjà opposé à son père, et en s’étant déjà marginalisé. Dans les deux extraits cités, Samori est présenté comme le gardien des traditions et la garantie de la préservation des royaumes précoloniaux (« le rempart contre l’abandon des vertus anciennes », Le fils de l’Almamy; « face à la plus grave menace qui ait jamais pesé sur la terre de nos ancêtres », Les Sofas), tandis que Karamoko occupe une place ambivalente, dont l’enjeu des différentes pièces sera d’en préciser les contours. Si les trois pièces partagent un fonds commun, elles proposent également des pistes d’interprétations diverses au sujet de la discorde entre le père et le fil, certaines étant contradictoires entre elles, d’autres étant partagées et reprises d’une pièce à l’autre. La première cause est un hapax : en effet, Cheik Aliou Ndao est le seul à expliquer l’affrontement entre Karamoko et son père par le motif d’un philtre aux pouvoirs 262 magiques, commandé par l’une des femmes de Samory, la jalouse Kéné : « D’après Damana, dès que Karamoko aura absorbé le philtre, la discorde règnera entre l’Almamy et son fils » (Le Fils de l’Almamy, p. 22), sur fond de conflit entre coépouses (même page : « Dans un mariage polygame, chaque épouse pense à son bonheur »). En revanche, cette même intrigue de lutte de pouvoir entre les femmes de Samori se retrouve chez Massa Makan Diabaté : Diaoulé protège son fils Diaoulé Karamoko, et de manière parallèle et opposée, Sarankégni lutte pour imposer le sien, Sarankégni Mory (Diaoulé dévoile sa haine envers ses coépouses à l’acte II, scène 1, après avoir feint l’entente parfaite durant l’acte I). Chez Cheik Aliou Ndao, l’on retrouve un deuxième motif inédit, celui de l’opposition privée entre le père et le fils, qui n’engage pas l’armée ni le peuple, et qui se conduit donc à huis-clos dans la première partie de la pièce. La scène de confrontation, de l’acte 2, scène 1, se déroule entre les deux hommes. Le canon, notamment, a marqué le discours du fils (« Il y a un nouveau canon auquel les murs d’un tata ne résistent pas », p. 25). Dans les deux autres pièces, c’est au contraire le fil public de l’intrigue qui lui confère sa coloration politique : la trahison filiale est avant tout une trahison politique et militaire, et l’opposition entre le père et le fils doit pour cela s’effectuer devant témoins, voire devant une foule réunie. Dans Les Sofas, de Bernard Zadi Zaourou, Karamoko dénonce la démesure technologique devant l’ensemble du conseil ainsi que le peuple (incarné par les personnages Premier homme du peuple, et Deuxième homme du peuple) : Le prince, debout et faisant des pas très lents : Quel malheur... Mais père, nous courons au suicide collectif ! Que pourront nos fusils à pistons ou même nos quelques armes à tir rapide contre l’arsenal militaire de la France ? Vous ne vous rendez pas compte de ce que peut représenter leur machine de guerre ! Il faut avoir vu tout cela de ses propres yeux. Nom d’Allah ! J’en tremble encore ! [...] Je ne sais quel obstacle résisterait à un seul des boulets que crachent ces monstres formidables. […] Oui ! J’ai vu des légions multiples défiler sous mon regard étonné. (Les Sofas, p. 33) Il est contrecarré par une voix du peuple qui rétorque « plutôt la mort que l’esclavage » (p. 33, déjà énoncé p. 24), qui est l’un des slogans les plus célèbres de Sékou Touré. Le même dispositif scénique se retrouve dans Une hyène à jeun, ce qui dramatise la tension narrative : Diaoulé Karamoko se lève, monte sur l’estrade et s’adresse à l’armée. Diaoulé Karamoko : Guerriers valeureux de mon père, si vous n’avez pas pu triompher des toubabs, votre valeur n’en est pas moins grande, car plutôt qu’à des hommes, vous avez affaire à des djinns. Je reviens de leur pays, j’ai assisté à leur simulacre de combat. En vérité, rien n’égale leur force. Il faut avoir entendu le bruit 263 tonnant de leurs canons lançant la mort et allant pulvériser loin derrière l’horizon des poussières et des flammes. (Une hyène à jeun, p. 67) Dans les deux cas, le défilé militaire et les démonstrations des canons (que l’on retrouve aussi dans Le Fils de l’Almamy, voir supra) sont des motifs marquants du discours du jeune prince480, qui s’étend ensuite sur de nombreuses répliques. Toujours dans Une hyène à jeun, Karamoko est loué par une voix invisible, ce qui souligne sa popularité et rend d’autant plus tragique le choix du père. Ce chant est calqué sur le modèle des chants de bravoure à l’adresse de Keme Bourema, que l’auteur a par ailleurs retranscrits481, et dont on retrouve de nombreuses réactualisations dans les chants de la RTG482. Enfin, cette opposition politique du fils devient une véritable traîtrise lorsque Karamoko est soupçonné d’avoir eu des échanges avec Archinard483 (Les Sofas, tableaux III et IV), et la démission est envisagée (Le Fils de l’Almamy, acte 3, scène 1). Enfin, les trois pièces mettent en scène des motifs alternatifs : autrement dit, des segments narratifs extrêmement proches et commutables. Ainsi des motifs de la douleur extrême, après la condamnation de Karamoko, qui fait perdre les sens aux personnages. Dans Le Fils de l’Almamy et dans Les Sofas, ce sont les deux personnages des femmes de Karamoko qui délirent en place publique (respectivement Sendi et Bintu), en alternant des passages chantés et des imprécations à l’encontre des coépouses (Le Fils de l’Almamy) ou de l’Almamy (Les Sofas) : Sendi (elle chante, le regard vague) Parce que je vois ce qu’il ne peut voir Le village dit que je suis folle folle folle 480 Que l’on peut comparer également avec le scénario de Sembène Ousmane, Samori, Première époque, Faamaya Sila : (les parenthèses sont de Sembène Ousmane) « Morifindiang : Dyaulen, explique-toi. / Dyaulen Karamoko : À Parizi, j’ai visité les Arsenali (Arsenaux) et j’ai vu les ghébé (canons). Les fusils y sont plus nombreux que les grains de sable. D’ici à Ndarou (Saint Louis du Sénégal), tous les Faama ont signé la paix avec les Toubabous. […] Manigbè : Depuis son retour, il se comporte comme tel et profère des paroles démoralisantes en exaltant le courage des soldasi », et non la simple démesure technologique, ce qui est une condamnation de Dyaulen par Sembène Ousmane, pour lâcheté. 481 Voir Massa Makan DIABATÉ, Janjon, et autres chants populaires du Mali, op. cit., p. 63-68. 482 « Keme Bourema », Orchestre de la garde républicaine 1ère formation, 1968, SLP6 ; « Keme Bourema », Objectif Perfection, Balla et ses Baladins, 1971, SLP75 ; « Keme Bourema », Sory Kandia Kouyaté, 1973, SLP37 ; « Keme Bourema », Djeli Cira Cissoko, El Hadj Keba Cissoko et Fantoumata Kouyaté, 1980, 0269/F. 483 Il s’agit de Loyer, et ce, à l’initiative de Loyer, en réalité. Voir Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 3, note 229 p. 1532 pour la retranscription de la lettre de Loyer. Mais Archinard est un personnage récurrent des textes sur Samori, qui sert à fédérer narrativement en un seul et même personnage tous les opposants français : ainsi la fin de Labarin Shamuri d’Abu Mallam, dans notre corpus, met-elle en scène le personnage d’Archinard capturant Samori, alors qu’il s’agit en fait du capitaine Gouraud : « Arshanari », folios 145-148 ; folios 181-182. 264 Parce que j’entends ce qu’il ne peut entendre Le village dit que je suis folle folle folle (Elle tourne sur elle-même et recommence à enlever ses pagnes comme si elle voulait être nue) […] Par ce que je veux boire la brume Rouler au fond des mers me nourrir de coquillages Le village dit que je suis folle folle folle […] Kéné : Enfermez-là, vous voyez bien qu’elle n’est pas saine. (Le Fils de l’Almamy, p. 52-53) Cette scène se retrouve dans Les Sofas : Elle danse, parle, danse et parle. Bintu : […] Le monde rayonne des ténèbres du mal Viens, frêle moissonneuse au regard de fer Viens faucher tes grains d’or. Viens caresser la tête grise des rois Mort vengeresse Viens puiser de tes mains poreuses le sang maudit des seigneurs de la guerre […] (Les Sofas, p. 51) Tandis que, dans Une hyène à jeun, c’est Samori qui occupe cette place, en mineur : Samory Touré, avec colère : [à Morifing Dian Diabaté] Retire-toi ! Ce soir je ferai une chose horrible, si horrible que Dieu se cachera la face. Ce soir, Seytane me rendra visite et je sais à l’avance ce qu’il me dire : « Embrasse ma cause et nous triompherons de Dieu ». Morifing Dian Diabaté : Tu es en proie au désespoir et tu délires. (Une hyène à jeun, p. 118) Toutes ces tirades de l’égarement et de la folie visent à dire le paroxysme de la douleur. Elles fonctionnent comme signe hyperbolique de la souffrance. De manière mimétique, les trois personnages s’enferment dans leur folie et se retirent de la communauté, tout comme Karamoko est condamné à être emmuré. Kéné conseille par jalousie d’enfermer Sendi. Bintu délire en place publique. Samory se coupe de son griot, et se dédie à Satan. Ces tirades peuvent commuter au sens où elles remplissent les mêmes fonctions dans le récit, comme caisse de résonance de la sentence prononcée à l’encontre de Karamoko. La mort du fils est dite, soit par un envoyé soit par Karamoko lui-même, mais les conséquences de sa mort sont décrites par les répercussions qu’elle a dans son entourage (sa femme ; son père). 265 Ainsi, au terme de cette succincte comparaison entre les trois pièces sur l’infanticide, nous retrouvons les mêmes mécanismes à plus petite échelle que ceux dégagés dans l’arbre de variations macrostructurelles de Samori (à ceci près que les pièces de théâtre sont toutes les trois dépendantes de la trame générale, et ne se comprennent qu’en référence à celle-ci) : développement de motifs alternatifs et interchangeables occupant des fonctions identiques (douleur de la femme de Karamoko ; douleur de Samori) ; déploiement de possibles narratifs rhizomatiques (multiples, en réseau, potentiellement incompossibles entre eux ; alternant continuités et ruptures : sur les diverses causes évoquées de l’affrontement entre le père et le fils), dont certains peuvent, à leur tour, s’autonomiser (comme le chant de louanges dans Une hyène à jeun). *** Nos trois figures se caractérisent par une très grande variation dans les réécritures, que nous avons tenté de présenter de manière synthétique. D’un texte à l’autre, des éléments sont repris, d’autres ajoutés, et l’ensemble fonctionne de manière réticulaire. Nous avons montré quelques particularités de nos figures (Sarraounia comporte majoritairement des récits à double trame ; Nehanda accueille des récits fondés sur le cycle ; alors que Samori déploie une multitude de motifs qui tendent à s’autonomiser), mais parmi ce spectre de variations, quelques invariances se font jour, liées au motif de la résistance à la colonisation. 2. QUELQUES INVARIANCES : MOTIFS TOPIQUES DE LA REPRÉSENTATION DU RÉSISTANT À LA COLONISATION Les trois figures de Samori, de Sarraounia et de Nehanda comportent entre elles quelques récurrences, que nous qualifierions de topoi de la représentation des résistants à la colonisation : des enfances merveilleuses qui aboutissent à la royauté (naissance extraordinaire, premiers exploits, prophéties et serments), la première rencontre avec les Blancs, la lutte inachevée à cause de la désunion des peuples noirs, ou d’une trahison. Certains traits sont tirés de la littérature orale des contes ou de l’épopée (les enfances), 266 d’autres sont spécifiques au thème de la narration (la première rencontre avec les Blancs). Ils sont systématiques dans notre corpus, et concernent nos trois séries de corpus, mais sont réactualisés sous des formes diverses. D’autres traits existent, comme la représentation de la guerre ou de la défaite, que nous étudierons plus bas484, mais leur traitement en est bien plus hétérogène. La défaite, par exemple, est un attribut paradoxal du héros : il n’en empêche pas le processus d’héroïsation, mais il nécessite un discours critique à même d’expliquer les causes de cette défaite. Ces prédicats paradoxaux suscitent un traitement narratif plus diversifié, tandis que les trois caractéristiques que nous venons de décrire sont plus régulières. Une accession au pouvoir d’exception Les héros d’exception ont des enfances d’exception. Leur naissance est annoncée, leurs premiers faits d’armes sont remarquables, leur accession au pouvoir préfigure leur destin hors du commun485. Ce trait est d’autant plus saillant pour la figure de Samori qu’il est unanimement reconnu d’origine modeste : ce n’est donc que par sa force de caractère et par ses qualités physiques et intellectuelles qu’il pourra s’élever, dans la logique narrative du conte et de l’épique. Nombreux sont les textes qui soulignent ce caractère du jeune Samori486. Ainsi du récit de Sory Fina Camara, où l’on voit le jeune garçon entouré d’une bande d’enfants – motif en mineur des bandes armées qu’il mènera sur des centaines de kilomètres grâce à son charisme : When Almami was born he grew up a headstrong child, But some wise people observed him carefully. Almami was popular With many children following him, Manju. (Sory Fina Camara [David Conrad], l. 125-129) 484 Voir infra, Deuxième Partie, Chapitre 2 « Attributs et paradoxes ». Pour ce traitement des enfances dans les contes, et de manière générale, de la récurrence des motifs, voir le tableau synthétique de Vladimir PROPP, op. cit., « Données pour la mise en tableau des contes ». Tableau I, situation initiale, p. 146-147. 1. Définition spatio-temporelle. 2. Composition de la famille. 3. Stérilité. 45. Prière pour la naissance d’un fils. 6. Ce qui provoque la prière. 7. Forme de la naissance merveilleuse. 8. Prophéties, prédictions. 9. Prospérité avant le méfait. 10-15. Le futur héros : nomenclature, sexe ; croissance rapide ; lien avec l’âtre, les cendres ; qualités spirituelles ; espièglerie ; autres qualités ». Pour d’autres parallèles : la naissance merveilleuse se retrouve dans le roman Sarraounia d’Abdoulaye Mamani (voir infra, Troisième partie, Chapitre 1, section « Mémoires nationales, mémoires locales ») ; la prédiction se voit dans le roman Nehanda d’Yvonne Vera, chapitre 3 ; pour le destin et l’« étoile » de Samori, voir « La geste des Jakite » recueillie par Amselle, Dunbya, Kuyate, Tabure, paragraphe 436. 486 Yves PERSON, « La jeunesse de Samori », Revue française d’histoire d’outre-mer, 49 (1962/175), p. 151‑180, en atteste de nombreux traits : son adresse, sa capacité de meneurs, ses réseaux dyula... 485 267 [Lorsqu’est né l’Almami, il devint un enfant têtu Mais quelques sages l’observèrent avec attention. L’Almami était populaire Et beaucoup d’enfants le suivaient Manju.] Ainsi de Djiguiba Camara, qui reconduit, tel quel, ce même motif : Samory fit son enfance à Mignanbaladou. Il fut tour à tour chevrier, bouvier, berger. Avec les enfants de son âge, ils organisaient des jeux où des guerres entre partis n’étaient pas exclues. Il montrait déjà une grande adresse à lancer, à grimper, à courir. En grandissant à Mignanbaladou il restait un bon fils rêvé, allant chercher du bois mort, faisant les petites commissions. Il ne restait jamais inactif et partout il était suivi par une armée d’enfants. A 17 ans il allait de village en village avec les produits paternels. Il ne reculait devant aucune querelle, aucun danger, ne se plaignant d’aucune souffrance et prenait volontiers la part des dioulas dans toutes les discussions. Aussi se fit-il aimer par tous ceux qui voyageaient avec lui. Il ne fit pas grande fortune ; l’homme prédestiné ne peut avoir du bonheur dans toutes ses entreprises. (Histoire locale, p. 47) Les jeux de l’enfance sont le lieu, en miniature, en mineur, en sourdine, de l’éducation à la guerre, au maniement des armes et aux stratégies militaires. Djiguiba Camara souligne l’exemplarité morale de son héros (sa déférence envers ses parents et sa mère), ses qualités physiques (lancer, grimper, courir), son aura de chef (avec les bandes d’enfants), son habile constitution d’un réseau d’informateurs (puisque les dioulas constitueront plus tard un appui fondamental : l’auteur poses des jalons d’explication qu’il réemploiera plus tard dans son texte), et enfin sa maladresse dans le métier de commerçant, signe, paradoxalement heureux, de sa prédisposition à un autre métier : celui des armes. Derrière des notations apparemment anecdotiques, Djiguiba Camara dresse en réalité un portrait extrêmement complexe et construit de son personnage, en recourant à des types de la littérature orale (croissance rapide ; qualités spirituelles indéniables), tout en l’adaptant à la situation précise du monde mandé à la veille de la pénétration coloniale (réseau dioula acquis à sa cause). Plus tard, l’enfant devient un jeune homme à qui la chefferie, ou le pouvoir, est proposé. Nous avions vu, dans la première partie, que des génies étaient souvent cités comme adjuvants et donateurs487. Ce pacte, assorti d’une prédiction, apparaît également avec un serpent, qui devient l’équivalent d’un initiateur, portant des attributs totémiques, et écartant de fait le héros de la religion musulmane. Chez Mallam Abu, en effet, le pacte conclu avec le serpent, noué en présence d’une jeune 487 Voir supra, Première partie, Chapitre 1, section « Des réécritures contradictoires : la polysémie « Samori » dans la sous-région » : « Samori Tariku », M’Faly Franwalia Kamissoko, Kankan, 2008 ; Sory Fina Camara (David Conrad), Kissidougou, 1994. 268 ami commerçant de son état, comme Samori, équivaut à une compromission initiale. Ici, le héros choisit la gloire et le pouvoir : Suna raha shi da abokisa kuma, Samori. Hali di wata rana Samori, shi da abokisa suna cikin fatauci, suna tafiya. Su ji kira bayya. Su tsayya, suka wawaya, suka duba bayya. Da suka wawaya, suka ga maciji. […] Da maciji ya kira shi, ya yi masa jawabi. Maciji ya ci : « Kai, ka sani, ya cima ba shaka bba, ni ba maciji ni ki ba. Ni ni aljininni, na zzama maciji. Ina alikawali da kai – ka ji ? » Samori ya ci, ya ji. « Samori, kai da abokika. Samori ka i sarauta dunya. Ni aljiniki na yi alkawali da kai. Ka i sarauta da muliki dunya. Samori, ni aljinini, na ba ka suna yawu. Sunanka Samori. » [Ils plaisantaient, lui et son ami encore, Samori. Jusqu’à ce qu’un jour Samori, lui et son ami, [alors qu’]ils faisaient du commerce, ils étaient partis. Ils entendirent [alors] un appel venant de derrière. Ils s’arrêtent, ils se retournent, ils regardent derrière. Quand ils retournèrent, ils virent un serpent. […] Quand le serpent l’a appelé, il lui a tenu ce discours. Le serpent a dit : « Toi, tu sais, dit-il avec certitude, je ne suis pas un serpent. Moi, je suis un génie, mais je me suis transformé en serpent. Je conclus un pacte avec toi – tu comprends ? ». Samori dit qu’il a entendu. « Samori, toi et ton ami. Samori, tu auras la royauté dans la vie488 . Moi, je suis ton génie. Je conclus un pacte avec toi. Prends la royauté et gouverne le monde. Samori, moi le génie, je te donne un nom aujourd’hui. Ton nom est Samori. »] (Labarin Shamuri, folios 2-3) [notre traduction, avec Souleymane Ali Yero] Le serpent offre le pouvoir terrestre – en opposition au pouvoir céleste – et cela équivaut à un second baptême : le personnage acquiert un nom, qui fondera sa renommée. Cette initiation doublée d’une prophétie légitime la puissance qu’aura par la suite le personnage. Il devient hors du commun par ce don initial. Notons d’ores et déjà que cet adjuvant est connoté négativement chez Mallam Abu, et que cette allégeance au surnaturel (réfutation du référent réaliste : « je ne suis pas un serpent » ; assertion d’un merveilleux de conte : « je suis un génie ») sera l’une des explications de sa chute future. Chez les deux femmes, et dans les « mises en roman » – la Sarraounia d’Abdoulaye Mamani et la Nehanda d’Yvonne Vera – ce sont également les naissances qui sont exceptionnelles : Sarraounia survit, alors que sa mère est morte en couches, grâce au lait d’une jument489, et elle est élevée par un homme, Dawa490. Nehanda, quant à elle, 488 Dunya : « ici-bas, le monde terrestre », en opposition à la vie céleste. Le pouvoir humain, si grand qu’il soit, ne peut qu’être limité dans l’ici-bas, et borné par le pouvoir divin. 489 C’est une reconstruction narrative, bien sûr (voir l’introduction générale, supra). Sur le rituel du takarma qui set à désigner la Sarraounia temporelle à partir du cadavre de la précédente, voir l’étude de Nicole MOULIN, Saraounia en pays Mauri, Lugu-Niger, DEA d’ethnologie, EHESS, sous la direction de Marc- 269 naît sans pousser un cri, au grand étonnement des sages femmes491. Dans les deux cas, la communauté reconnaît comme exceptionnel l’enfant qui vient de naître. Ainsi de Sarraounia : Jamais de mémoire d’Aznas on n’a vu un tel évènement. Un homme élever un enfant – passe encore un garçon – mais une fille ! Dawa et sa filleule furent inséparables. On les vit jour et nuit ensemble. Petite, il la portait dans ses bras. Quand elle sut marcher, ils coururent la savane, escaladèrent les collines, s’ébrouèrent dans les rivières et les marigots. Ils dormirent à la belle étoile, vivant le plus souvent de pêche, de cueillette et de la chasse. […] Bousculant les traditions établies, Sarraounia grandit à l’ombre solitaire de Dawa. Par toutes les saisons, elle portait le minuscule banté3 réservé aux enfants mâles. Elle avait l’endurance et la souplesse des garçons. Elle en avait aussi l’allure et le courage avec sa tête tondue et son air buté. Gare aux petits futés qui tournent autour des fillettes leur tirant cheveux et banté. Toutes griffes dehors, une véritable furie se jetait sur les insolents et la rue s’emplissait d’immenses clameurs. [Note 3 : Banté : cache-sexe de cotonnade que portent les enfants jusqu’à l’initiation] (Sarraounia, p. 22) Comme pour Samori enfant (Histoire locale, supra), Sarraounia possède déjà, enfant, les qualités de chef décrites et amplifiées par la suite. Dans cet extrait, elle châtie les insolents, possède un courage hors norme, grandit en dehors des règles sociales, se situe à côté des catégories de genre traditionnelles. Elle porte, en effet, l’habit des jeunes garçons, et reçoit une éducation de guerrière : elle n’est pas pour autant un garçon, elle se situe, simplement, en-dehors des obligations imposées aux jeunes filles. Sa naissance, sa survie, son éducation par un homme, le contenu de cette éducation, toutes ces notations font du personnage un être de la transgression, dont tous les présages disent le destin d’exception. De même, Nehanda, dont la naissance est célébrée par les esprits, se distingue des autres enfants par son silence inhabituel, puis par la démesure de ses cris : A murmur was heard from the entrance of the hut. The spirits were here. They hovered over the birth unseen and placed gifts of the future on the head of the newborn. The child came silently into the darkness and warmth of the hut. After she had been born she did not cry for a day. Mother worried about this silent child whom she had brought into the world, and wondered if her daughter had the power to assert her own presence on earth. […] Afterwards, she cried, and the women sang her back to sleep, willing a silence onto her. She defied them with her tiny speech-seeking voice and cried all day and all night until the mother fell asleep. (Nehanda, p. 10-11) Henri Piault, Paris, [S.d.]. Voir aussi sur les mythes de fondation, Marc Henri PIAULT, Histoire mawri : introduction à l’étude des processus constitutifs d’un État, op. cit., p. 49-73. 490 Abdoulaye MAMANI, Sarraounia, chapitre 4, p. 20-25. Sur le lait de jument, voir p. 21. Nous citons plus bas cet extrait sur le lait, pour le mettre en parallèle avec un chant de la Samaria dan Goudaou, (Zinder, 1986), infra, Troisième partie, Chapitre 1, section « Mémoires nationales, mémoires locales ». 491 Yvonne VERA, Nehanda, chapter 3, p. 3-12. 270 [On entendit un murmure à l’entrée de la hutte. Les esprits étaient là. Ils planaient sur la naissance, invisibles, et déposaient sur la tête du nouveau-né les cadeaux de son avenir. L’enfant arriva silencieusement dans l’obscurité et la chaleur de la hutte. Après sa venue au monde, elle ne poussa pas un cri pendant toute une journée. Mère s’inquiéta du silence de cette enfant qu’elle avait porté au monde, et se demanda si sa fille avait le pouvoir d’assoir sa présence sur terre. […] Ensuite, elle pleura, et les femmes chantèrent pour la rendormir, souhaitant qu’elle redevienne silencieuse. Elle les défia de sa minuscule voix balbutiante et pleura toute une journée et toute nuit jusqu’à ce que sa mère s’endorme.] Mais plus fondamentalement, la naissance de Nehanda est atypique parce qu’elle est le lieu du premier récit de la rencontre avec les Blancs. Le chapitre 3 est en effet l’un des plus longs du roman, et est presque intégralement constitué par le récit que la sagefemme fait aux deux autres femmes du village, venues assister Mother. Autour de l’âtre, elle raconte avoir mis deux jours pour aller au marché, et avoir effectué en route une rencontre hors du commun, mais elle laisse le suspens se déployer sur plusieurs pages, et les femmes qui la questionnent ont bien du mal à cerner la nature de cette rencontre et de ce présage qu’elle y a lu. Première rencontre avec les Blancs Ce suspens dilatoire, pour dire l’altérité radicale – celle de la rencontre coloniale – est un procédé que l’on rencontre pour nos trois figures. Le roman Nehanda en présente l’un des plus frappants, puisque la rencontre est placée quasiment à l’initiale du roman, au moment de la naissance de l’enfant, et qu’Yvonne Vera installe à dessein dans un récit enchâssé à la limite du rêve, de la vision prémonitoire, et de la description réaliste. Il est alors un appel au déchiffrement et à l’interprétation, et le lecteur cherche à y déceler les « signes » que la sage-femme annonce y avoir vus elle-même. Néanmoins, le procédé reste ouvert, puisque le récit se clôt sur l’annonce que la solution – le déchiffrement, le décryptage – de cette scène coloniale n’existe pas (« The dream brought with it no solution »). Dès lors, le lecteur est libre d’y associer plusieurs strates interprétatives, de la première rencontre coloniale des années 1885 avec les Boers, et la BSAC, à la lutte pour la libération des années 1970 contre les Blancs, en passant par d’autres analyses de rapports de domination subalterne. L’appel à cette surimposition interprétative est d’autant plus manifeste qu’Yvonne Vera prend soin de styliser les évènements et les actants : aucun nom de lieu – ce qui est encore plus frappant si l’on compare avec 271 Sarraounia d’Abdoulaye Mamani ou Labarin Shamuri d’Abu Mallam, saturés par les toponymes et les ethnonymes –, les colons n’ont aucune origine décrite et sont simplement désignés par « stranger », la scène a lieu sur une montagne (« hill ») dans une région aurifère et sacrée, ce qui ne renseigne en rien un lieu précis. Le récit est celui d’un rapt de terres et de richesses, par la violence, sur des populations subalternes et pacifiques. Une interprétation anticapitaliste (fondée sur l’accumulation excessive d’or sans raison apparente) ou féministe (fondée sur l’opposition de genre masculin/féminin – « he/she » – dans la description, au sein d’un récit d’une femme pour des femmes) peut aisément se rattacher à l’une des autres interprétations historiques, en complément les unes des autres : “Tell us then. Tell us of these wonders you saw at the end of your journey” […] “The stranger had decided to stay. Did you not hear me tell you of it? We discovered that the stranger became a sign of our future. What does it mean to have a stranger, with unknown customs, live among you? To live, I say, not to visit?” “That is indeed a sign.” The story-teller sat with her head resting under between her palms. “The stranger had decided to stay among us. There was evidence all over the hill that the stranger was to be among us for a long time. He had built a home. Humans are not like birds, which build nests in trees only to abandon them in the next season. Humans make home so that their young may walk the same soil that they have walked. He had taken many cattle away from us. He had moved us into the barren part of our land where crops would not grow. Many people were killed by the stranger. When we saw his arrival we gave him pieces of gold, and he gave us that which he had brought from his own land. What we saw on that hill tied our mouth, and we left in silence” […] The dream brought with it no solution. (Nehanda, p. 9-10) [« Dis-nous, alors. Parle-nous de ces merveilles que tu as vues à la fin de ton voyage » […] « L’étranger avait décidé de rester. Ne m’avez-vous pas entendu vous le dire ? Nous découvrîmes que l’étranger était devenu un présage de notre futur. Qu’est-ce que cela signifie, d’avoir un étranger, avec des coutumes inconnues, vivant parmi vous ? Pour vivre, je veux dire, et pas simplement pour visiter ? « En effet, c’est un signe ». La conteuse s’assit avec la tête reposant entre ses paumes. « L’étranger avait décidé de rester parmi nous. Il y avait des preuves tout autour de la colline que l’étranger était sur le point de rester avec nous pour un bout de temps. Il avait construit une maison. Les humains ne sont pas comme les oiseaux, qui construisent des nids dans les arbres seulement pour les abandonner la saison suivante. Les humains bâtissent des maisons afin que leur progéniture puisse fouler le même sol qu’eux. Il nous avait pris beaucoup de bétail. Il nous avait déplacés dans la partie stérile de nos terres, là 272 où les cultures ne pousseraient pas. L’étranger avait tué beaucoup de monde. Lorsque nous vîmes son arrivée, nous lui donnâmes des pépites d’or, et il nous donna ce qu’il avait apporté de son propre pays. Ce que nous vîmes sur cette colline lia nos langues et nous partîmes en silence. » […] Le rêve n’apporta pas avec lui de solution.] La vision de la sage-femme mêle plusieurs oppositions de durée, en glissant subrepticement du tableau (la rencontre avec l’étranger – stupéfiante, médusante) au récit condensé du temps long (le progressif rapt du bétail, l’enfermement dans des réserves aux terres infertiles, les meurtres de masse), tout en passant du singulier particularisant au généralisant (« the stranger »). Si la clé ne nous est pas donnée avec le songe, c’est également que l’une des réponses de cette rencontre inaugurale de la sage-femme avec les Blancs réside dans l’enfant qui va naître au moment précis où elle énonce cette vision : Nehanda naît en réponse à la violence coloniale initiale. La concomitance a valeur explicative, ici, nous semble-t-il, du moins en partie. Dans le roman, cette scène de première rencontre est rejouée à deux reprises : dans une scène de possession, la nuit, incarnée par le personnage d’Ibwe492, et à travers les questions qu’adresse la jeune enfant Nehanda au vieil homme Vatete, qui lui décrit une scène de profanation d’un territoire sacré par les Blancs. L’enfant déclare avec passion qu’elle n’aurait pas craint pour sa vie face aux Blancs, et Vatete lui raconte alors les conséquences de l’installation des Blancs : “It is a hard thing to see strangers on your land. It is even harder to find a stranger dancing on your sacred ground. What mouth can carry a sight such as that? We were afraid only of our ancestors who had been offended. How would we cleanse the soil? […] We did not speak to them. We were certain that they had come for gold. […] For a long time, we watched them dig. They were scattered through the land, and even asked our men to help them dig for gold […].” “You did not have any rain that year then?” “ The wind led to the dead part of the living. The ground was hard as rock, and yielded no crops. The sun had fallen from the sky. […] We did not dream because we had no sight with which to feed our dreams. Then a millipede moved across the earth, though there had been no rain. In the black sand, it left a soft trail that led behind a rock.” (Nehanda, p. 20-21) [« C’est dur de voir des étrangers sur sa terre. C’est encore plus dur de trouver un étranger en train de danser sur un terrain sacré. Quelle bouche peut dire un tel spectacle ? Nous n’étions effrayés que par nos ancêtres, qui avaient été offensés. Comment purifier la terre ? […] Nous ne leur parlâmes pas. Nous étions certains qu’ils étaient venus pour l’or. […] Pendant longtemps, nous les regardâmes creuser. 492 Nous traiterons de ce passage en détail plus bas, infra, Troisième partie, Chapitre 1, section « Les partis pris des auteurs. Stratégies postcoloniales d’écriture de l’histoire », puisque la question du papier brandi – de l’écriture et de l’archive – y est prégnant. 273 Ils étaient éparpillés sur le territoire, et demandaient même à nos hommes de les aider à chercher de l’or. […] « Vous n’avez pas eu de pluies cette année-là, alors ? » « Le vent conduisit à la partie morte du vivant. Le sol était dur comme la pierre, et ne donna aucune récolte. Le soleil était tombé du ciel. […] Nous ne rêvions pas parce que nous n’avions pas de vision pour nourrir nos rêves. Alors, un millepattes traversa la terre, bien qu’il n’y eût pas eu de pluies. Sur le sable noir, il laissa l’empreinte d’un chemin qui menait derrière un rocher ».] Là encore, le passage du singulier au pluriel (« the stranger / they ») se double d’une superposition de deux strates temporelles (anecdote d’un évènement précis / élargissement de longue durée). Ce double procédé renforce l’effet de progression infime et néanmoins inéluctable de la colonisation : imperceptible en surface, mais agissant de fait comme une implacable lame de fond. La profanation de l’espace sacré entraîne de manière nécessaire, dans la logique du texte, l’exploitation minière à outrance et la confiscation des terres. S’ensuivent une désorganisation du système social fondé sur l’économie pastorale, et la mort de nombreuses têtes de bétail – la Rinderpest, en 18951896 – associée à une année de récoltes perdues à cause d’une invasion de sauterelles. Ces deux phénomènes combinés ont contribué à l’expansion d’une famine extrêmement sévère493. La jeune Nehanda insiste sur l’adéquation entre l’absence de pluie et l’intrusion des colons de la BSAC (la compagnie n’étant d’ailleurs jamais nommée, selon le même principe de généralisation et de stylisation de l’invasion décrite plus haut). Son rôle de médium, plus tard dans le roman et dans l’économie symbolique shona, fait d’elle l’une des intermédiaires dans la demande des pluies et de la fertilité des sols aux ancêtres. Cette corrélation entre le bouleversement politico-économique et le désordre écologique est donc soulignée à dessein par la jeune enfant, annonçant dans une prolepse discrète le rôle qu’elle jouera dans la première Chimurenga. Vatete conclut sa description de ce choc politique, économique, culturel par une notation sibylline, tout comme la sage-femme avait conclut son récit par l’impossibilité de conclure. La contemplation de l’avancée lente d’un millepattes joue en effet le même rôle d’appel à l’interprétation symbolique, sans toutefois en donner les clés. Nehanda, attendue comme une figure rédemptrice, sur le modèle du retour (messianique, ou mahdiste, en quelque sorte), sera une figure 493 Vatete le décrit à la jeune Nehanda quelques lignes plus haut : « There was a long drought. The rotting wind was more than we could bear. The cattle had died in our kraals. We chewed bitter-tasting roots to keep the wind from utterly destroying us. We went to pray for rain under the big tree, walking in friendship with our lengthening shadows » (p. 18). 274 analogique de cette voie tracée dans le sable noir494, sans que l’auteur ne livre pour autant d’explications plus précises que cette simple suggestion. Les deux autres figures de notre corpus (Sarraounia ou Samori) présentent un mode de fonctionnement légèrement différent de celui de Nehanda, puisque la scène de première rencontre coloniale n’a plus lieu en amont, mais bel et bien dans la confrontation guerrière du temps du récit. Le premier regard est donc décalé chronologiquement : il se fait dans et par la bataille. Pour autant, le registre en est étonnamment très souvent comique. Ainsi, dans le film Sarraounia de Med Hondo, ce sont des Peuls qui faisaient paître leur troupeau qui assistent à l’arrivée de la colonne Voulet-Chanoine près de Lougou. Ils sont embusqués et observent de loin le carré des officiers. L’un d’eux dit à l’autre : « ils sont malades, pauvres hommes », pour expliquer la pâleur des étrangers. La scène est d’autant plus comique qu’elle offre un soulagement, à la suite de plusieurs descriptions de massacres. De même dans le scénario Samori de Sembène Ousmane (1ère époque, Faamaya Sila), c’est le personnage de Fabou (Keme Bourema) qui porte cet étonnement face aux hommes de Borgnis-Desbordes. La première scène de dialogue se fait par l’intermédiaire du messager-interprète Alkemessa, en malinké, juste avant la prise de Kéniéba Koura par les Français. Dans ces deux exemples, le registre comique est immédiatement contrebalancé et atténué, en amont ou en aval, par des épisodes de violence mettant en jeu l’efficacité des fusils à répétition, ou la panique déclenchée par l’apparition des canons. Chez Sembène, les sofas de Samori sont massacrés aux abords de Nyagassola, face aux salves organisées des tirailleurs, que menaient le capitaine Tournier et le lieutenant colonel Péroz495. La réplique est pourtant immédiate dans les rangs de Samori, qui réorganise son armée en unités plus petites (et en passant de l’unité de base 100 – le bolo – à l’unité de base 10 – le kuru), ce que Sembène Ousmane souligne à travers l’étonnement renversé des officiers français : Racine [Racine Sy] : Alors Lieutenant, ils tiennent devant ? Alkemessa : Ils attaquent par petits paquets. Racine : Samori pratique la voltige. Alkemessa : Combien sont-ils ? Racine : Un régiment. Je crois. Ils attaquent de partout et disparaissent. Par là, nous avons des morts. Panoramique : Les cadavres des tirailleurs. Coups de feu. 494 Tout comme le messie est associé à l’escargot dans l’iconographie occidentale, selon les analyses qu’en donnait Daniel Arasse sur le détail dans la peinture italienne renaissante. 495 « Un sofa se tient les boyaux ouverts face caméra. Samori ordonne le repli de l’autre côté du fleuve Niger ». 275 PM à PG [Plan Moyen à Plan Général] : Dyaulen Karamogho se déplace avec un kuru vers le ravin pour remonter… Dyaulen fait signe de se disperser… Il vise, tire. Borgnis Desbordes est alors contraint de s’enfermer dans Nyagassola. Les deux tirailleurs expriment leur admiration pour la réorganisation tactique de l’armée de Samori. L’étonnement face à l’altérité est à double sens, et elle change de camp, dans le scénario de Sembène. Cette même scène face à Kéniéra se retrouve dans l’Histoire de l’iman Samori, d’Amadou Kouroubari, avec les mêmes personnages – Fabou, puis Combes à « Niagasora ». Mais Kouroubari, qui entretient son texte dans une axiologie inverse à celle de Sembène, insiste davantage sur la défaite de Fabou : Les Blancs étaient 300, les hommes de Fabou 3 000. Ils se battirent tous comme des lions ; les Blancs furent vainqueurs et regagnèrent leur fortin. Les cadavres étaient si nombreux dans le marigot que les survivants de Fabou ne purent boire son eau. (Amadou Kouroubari, p. 153, traduction du R.P. Hébert, p. 548) Sous une apparente neutralité de ton, où la bravoure semble reconnue aux deux partis, c’est bien d’une défaite cuisante qu’il s’agit, et d’une singulière humiliation de Samori. Son orgueil précédemment évoqué (« Samori s’emporta jusqu’à menacer l’envoyé de lui faire couper la tête : « Les Blancs sont là, je ne les crains pas et ne reculerai pas » », ibid., p. 153) en est rabaissé : Amadou Kouroubari semble prendre un plaisir singulier à évoquer cette défaite à 1 contre 10, triomphant dans le discours de celui qui a massacré sa famille, et qui l’a contraint lui-même à fuir. Cette scène de première rencontre, jouant de la tension entre comique et tragique, sert des objectifs différents selon les narrateurs, qui emploient pourtant exactement les mêmes motifs et les mêmes procédés. Un seul de nos auteurs se démarque de ce récit, en faisant de Samori un vainqueur des Blancs, lors de leur première bataille : il s’agit d’Abu Mallam, dans Labarin Shamuri. Voici le texte (dont nous avons retiré les formules introductives et conclusives de chaque paragraphe, ainsi qu’un segment redondant) : A ci496 akwai Turawa Farasi cikin Bbabako. Samori ya zo, ya zo cikin Bbabako, ya ganni Turawa Farasi. Samori ya ci : « Ashi ». […] Dada ya yi shawara da muttanisa. « Ni Samori, Turawa ga su ci ni Samori iy koma ». Samori ya kira jama’asa da malamaisa, ya ci musu : « Ni Samori ni yi yyakin Turawa Farasi ». […] 496 Ce/ci : l’opposition e/i n’est pas notée en arabe, et la transcription en alphabet latin de Stanislaw Pilaszewicz ne choisit pas systématiquement de solution qui pourrait désambiguïser le propos : la différence entre ci (« manger ») et ce (« dire ») n’est pas donnée. Il paraît pourtant évident qu’il s’agit ici de ce (« dire »). 276 Dada Samori ya yi shiri yyaki. Shi da Farasa su gamu. Samori yya kashi Turawa Farasi goma ssha biyu cikin Babako. Samori yya kashi Turawa Farasi, ya ci gayyasu. Samori ya kashi sariki Babako, da shi da Turawasa. [On dit qu’il y a avait les Blancs de la France dans Babako. Samori est venu, il est entré dans la ville de Babako, il a vu les Blancs de la France. Samori a dit : « Eh bien497 ! ». […] C’est alors qu’il a consulté ses gens. « Moi, Samori, les Blancs ont dit que moi, Samori, je devais m’en aller ». Samori a appelé ses gens et ses marabouts, et il leur a dit : « Moi, Samori, je veux faire la guerre aux Blancs de la France ». […] C’est alors que Samori s’est préparé à la guerre. Lui et les Français se sont rencontrés. Samori a tué douze Blancs de la France à l’intérieur de Babako. Samori a tué les Blancs de la France, il a vaincu leur coalition498. Samori a tué le chef de Babako. Lui et ses Blancs499.] (Labarin Shamuri, folios 138-142) [notre traduction, avec Souleymane Ali Yero] Quelques paragraphes plus bas, le personnage d’Arshanari (Archinard) fait subir une importante défaite à Samori, reprenant le motif développé plus haut, et refermant cette parenthèse victorieuse, qui pourrait correspondre à la victoire de Woyowoyanko, par ailleurs très développée sous Sékou Touré dans la chanson officielle. Cette victoire initiale sur les Blancs est un hapax : elle est vite balayée par l’écrasante supériorité technique dont font montre les tirailleurs dans les folios suivants. Ici, dans l’extrait cité, l’étonnement de Samori face aux Blancs est bien marqué par l’interjection « Ashi », qui donne une indication des émotions du personnage – de sa surprise – ce qui est fort rare dans ce texte, où la maîtrise de soi, et singulièrement la maîtrise de sa parole sont des éléments clés, dénotant le caractère noble. La marque des émotions, renforcée par le fait qu’il s’agisse d’une interjection (que l’énonciateur n’a pu s’empêcher de marquer, comme une levée temporaire du contrôle de soi), souligne tout ce que cette rencontre a d’extraordinaire. Que la première rencontre se situe dans le passé proche pour Nehanda, ou dans la contemporanéité du choc guerrier, elle est un passage incontournable des récits de notre corpus. Quelle que soit la durée de l’affrontement (un jour, deux ans, vingt ans), ce motif a ceci de particulier qu’il s’applique de manière identique : le choc de l’altérité reste une 497 Ashi, interjection brève marquant la surprise, l’étonnement. Gayyasu, « leur groupe », le chef de Babako et les Blancs. Le possessif est intéressant. 499 Turawasa, avec le possessif –sa : « ses Blancs ». Il est possible que ce soient ses alliés (comprendre : « au chef de Babako »). 498 277 scène d’exception, que les auteurs traitent en variant les registres, mais qui manifeste toujours une violence latente très prégnante. Ce choc est également celui d’une occasion manquée, qui est toujours explicité à la suite du motif du premier regard : celui de l’impossible union des Noirs pour faire face aux envahisseurs. Désunions des peuples noirs : le thème de l’occasion manquée Tant pour Sarraounia que pour Samori, l’accent est porté sur l’impossible coalition des peuples noirs pour s’ooposer à la pénétration coloniale. Le motif est légèrement différent chez Nehanda, puisque la révolte de 1896 concernait à la fois les Shona et les Ndebele, donc la déploration ne peut porter entièrement sur la désunion : elle se reporte sur un motif annexe, celui de la trahison, faisant éclater l’unité du groupe, et provoquant la chute du héros. Pour Sarraounia et Samori, le motif acquiert deux fonctions complémentaires. Il permet, d’abord, de valoriser la figure, qui propose une sorte d’union africaine avant l’heure, et qui en fait un visionnaire politique. Il permet ensuite de dévaloriser les voisins et ennemis de la figure, incapables de se hisser à la hauteur des vues du héros, en raisonnant à une échelle toujours trop inférieure à la réalité : les ennemis africains sont en effet marqués par une vision géostratégique restreinte, qui les pousse à se féliciter de la chute de leur ancien ennemi, et ne discernant pas qu’ils chuteront avec lui, puisqu’ils n’accèdent pas à l’échelle régionale de la réflexion, où Français et Britanniques gagnent du terrain sur tous les fronts. Ce refus de l’aide – voire de la caritas, entendue comme vertu théologale – constitue une sorte de traîtrise, qui fait écho au traitement du motif chez Nehanda. Cette occasion manquée se déploie selon deux modalités : chez Samori, il s’agit d’une entrevue menant à l’impasse, tandis que chez Sarraounia, c’est chacun de ses voisins qui, un à un, lui refuse son soutien, la demande d’aide en elle-même étant rejetée dans le hors-texte. Dans Sarraounia, d’Abdoulaye Mamani, auquel correspond parfaitement le film de Med Hondo sur ce point, les refus interviennent dans une série de trois chapitres : le Gobir au chapitre 6, le califat peul-haoussa de Sokoto au chapitre 7, les Touaregs de l’Azawak au chapitre 8. L’auteur dresse une carte géopolitique du royaume de Sarraounia en faisant intervenir tout à tour chacun de ses voisins. C’est au sein du royaume du Gobir que la discussion est la plus vive et la plus intéressante pour nous : les débats reflètent les causes de l’échec de la coalition des peuples oirs, dans laquelle 278 l’auteur autant que le cinéaste, lisent les difficultés contemporaines de constituer une union politique et économique africaine forte, à même de rejeter l’hégémonie des anciennes puissances coloniales. Dans les deux autres chapitres, en effet, il n’y a pas de discussion puisque l’émir de Sokoto est immédiatement disqualifié en souhaitant la mort de Sarraounia, par vengeance, et ce, à l’intérieur d’une mosquée : « Pourvu qu’ils arrivent à écraser la vipère » (chapitre 7, p. 39). Tandis qu’au chapitre 8, l’Aménokal de l’Azawak, Al Roug Ag Tabit Ag Moha, bien qu’un fervent admirateur de Sarraounia (qu’il appelle la « FEMME », par respect, et que l’auteur écrit en majuscules tout au long de son monologue intérieur), doit se résoudre à ne pas lui prêter main-forte, par manque de moyens. Entre ces deux postures opposées, l’émir du Gobir est celui qui pourrait constituer un allié politique et militaire, et le débat est le lieu où se joue le sort de l’union des Noirs. Le chapitre s’ouvre par deux maximes antithétiques, l’une exposée par Serkin Yaki (« le chef de la guerre », littéralement) partisan de l’aide à Sarraounia, l’autre par Galadima, partisan de la neutralité. Tous deux luttent pour convaincre le serkin Gobiraouna. L’opposition, dans le discours, du couple antagoniste guerre/paix rappelle l’opposition traditionnelle, dans les épopées, entre le guerrier et le sage (entre Roland et Naimes, par exemple, dans La chanson de Roland), à ceci près que ce discours de la sagesse est complètement disqualifié ici par le narrateur. Le sage ne propose que la compromission et la soumission face aux fusils des Nassara. Nous rendons ici le discours de Serkin Yaki, dont la proposition d’unité fait tout à fait écho aux propositions de Samori. Le plaidoyer pour l’unité contient également un éloge de Sarraounia, fondé sur une réécriture de l’histoire militaire ainsi que sur un traité de tolérance à lectures multiples : — Si la barbe de ton voisin prend feu, dépêche-toi de mettre de l’eau sur la tienne. — Mais celui qui affaiblit ton adversaire te renforce. […] — Taisons nos querelles intestines et unissons nos forces pour barrer la route aux envahisseurs. […] Sarraounia nous nargue peut-être, mais jamais elle ne menace la paix de nos foyers. Elle récuse nos dieux et nos cultes, mais elle ne cherche jamais à nous imposer les siens. Cette femme a su préserver son royaume par l’épée et par la magie contre tous ceux qui tentent de la soumettre et de l’humilier. Elle a fortifié sa cité, organisé une escouade d’hommes rompus au métier d’armes les plus diverses. Elle a définitivement découragé les tentatives hégémoniques des Foulanis. Plus d’une fois, les forces fanatiques venues du Sud et du Nord se sont brisées contre sa farouche résistance, évitant ainsi à nos femmes et à nos enfants les horreurs de la guerre. Transformons le pacte de non-agression en un pacte d’amitié et d’assistance mutuelle. Nous n’en serons que plus forts et mieux organisés pour affronter ces ennemis d’un genre nouveau qui déferlent sur la terre des Noirs. 279 — Serkin Yaki, tu parles en guerrier. C’est ton droit. Mais la sagesse dicte la prudence et la ruse. (Sarraounia, p. 32-34) Les deux maximes s’opposent de manière manichéenne, et elles contiennent les deux positions que les discutants ne feront que développer au cours du chapitre. La tirade de Serkin Yaki lui permet de dresser une utopie politique du vivre-ensemble, qu’il bâtit sur la liberté et la tolérance religieuse, sur la sécurité des personnes, et sur la lutte contre l’intrusion (dans les secondes parties des balancements binaires qui suivent les conjonctions de coordination « mais »). Il est tout à fait intéressant de noter que, sur ce denier point, le jihad peul d’Ousmane dan Fodiyo est mis sur le même plan que l’agression française : l’un est renvoyé au fanatisme religieux tandis que l’autre est renvoyé à l’appât du gain et des terres, mais les deux sont réunis sous l’étiquette coloniale. L’orateur réécrit ainsi l’histoire du jihad peul (évoqué plus loin dans le roman, en analepse, au chapitre 13, p. 73-76) : Sarraounia est ici décrite comme un rempart contre les invasions, quelles qu’elles soient, et aurait ainsi protégé toute la région, y compris le Gobir (« évitant ainsi à nos femmes et à nos enfants les horreurs de la guerre »), des incursions peules. Cette réécriture est très subversive, et constitue un morceau de bravoure d’Abdoulaye Mamani, prônant une laïcité de la vie publique, et rejetant le prosélytisme agressif de l’islam sunnite. Le rôle de la Sarraounia est largement exagéré, et le Gobir n’était pas en proie aux mêmes désordres sociopolitiques qui ont provoqué les soulèvements et le jihad d’Ousmane dan Fodiyo dans les cités-États haoussa. Il a donc résisté au jihad pour des raisons structurelles, et non par la protection de la Sarraounia de Lougou, dont le rôle est ici largement amplifié et agrandi. Dans le temps du récit, le rassemblement autour de cet idéal politique et religieux est d’autant plus pressant que Serkin Yaki prend soin de souligner le caractère d’exception de la menace coloniale (« ces ennemis d’un genre nouveau »), dont les opposants comme Galadima ne saisissent pas l’originalité : l’amplitude de la menace, l’importance de l’armement, la simultanéité de plusieurs fronts méritent une union des Noirs. Les déterminants rendent compte de cette volonté d’unification, puisque les articles définis (comme dans « la terre des Noirs ») acquièrent une valeur référentielle par leur énonciation même : l’unité s’affirme, de manière quasi performative. La référence, et l’extensité spécifique du nom, se construit dans et par l’énonciation : elle n’a aucune réalité géopolitique dans le discours, avant que Serkin Yaki ne la fonde conceptuellement. Elle peut dès lors relever d’un référent discursif commun ; et elle fondera de fait le départ du fils du Serkin Gobiraouna au chapitre 12, où Dan Zaki rejette son père et part se rallier 280 à Sarraounia, précisément, au nom d’une idée de la terre commune. Le guerrier Baka se rallie quelques pages plus loin500 au nom de cette même référence de la terre commune. Cet appel à l’union ressemble à celui prôné par Samori lorsqu’il met en place la tactique de la terre brûlée ; du moins telle que cette tactique est transmise dans les récits. Ainsi, dans Monnè, d’Ahmadou Kourouma : Le griot souffla, se redressa, ajusta sa cora et son turban, et, accompagnant chaque mot d’amples gestes, déclara à haute voix : « L’Almamy Samory commande à tous les rois du Mandingue de se replier sur le Djimini. Face à certains affronts venant d’incirconcis, il faut, comme le bélier, reculer avant d’asséner le coup définitif. Tous nos peuples doivent déménager, tous : Sénoufos, Bambaras, Malinkés. Les toits seront incendiés, les murs abattus. Ces païens d’incirconcis conquerront des terres sans vie, sans grains, sans eaux, sans le plus petit duvet d’un petit poussin et sauront que nous sommes une race sur la croupe de laquelle jamais ne sera portée une main étrangère ». Djigui cessa d’égrener le chapelet et resta un instant interdit. Il ne pouvait incendier et détruire la ville de Soba. Il lui avait été révélé, et il y croyait aussi sûr que la nuit succède au jour, que le règne de la dynastie cesserait le jour où les murs de sa capitale tomberaient. (Monnè, p. 31-32) Dans les deux cas – le discours de Serkin Yaki pour Sarraounia ; le discours du griot pour Samori – des éléments rhétoriques reviennent et permettent de relever une certaine cohérence stylistique dans le traitement du motif de la désunion des peuples noirs. La généralisation, l’usage des articles définis (« la terre des Noirs ») et des pronoms indéfinis à valeur généralisante (« tous »), caractérise les harangues des personnages. Les injonctions à l’impératif de l’un (« taisons/transformons ») répondent aux futurs à valeur injonctive de l’autre (« les toits seront incendiés, les murs abattus »), l’ensemble étant marqué par la parataxe, ce qui renforce l’effet de liste et la dimension programmatique que l’énonciateur souhaite placer dans son discours. Mais le lecteur – connaissant a minima l’histoire coloniale de l’Afrique de l’Ouest – dispose d’un surplus d’informations par rapport au personnage et il ne peut lire ces passages extrêmement construits qu’avec la distance de l’ironie tragique : non pas celle d’une simple ironie, mais avec une conscience aiguë de l’inefficacité de ces appels à l’union, et de leur absence d’impact pragmatique. Les deux chutes, sur la lâche neutralité de Galadima, et sur l’aveuglement quasiment comique et ironique, au sens premier, de Djigui, jouent du décalage entre l’idéal présenté et la réalité historique des chutes des deux héros – Sarraounia et Samori, finalement et inéluctablement vaincus par les colons. Ces tirades auraient, dès lors, non plus une simple vocation argumentative, mais, du fait de leur 500 Mamani, Sarraounia, p. 195-196. 281 rapport intrinsèque à la référence historique, également une autre dimension, prospective : ces textes se lisent comme des utopies politiques et sociales pour le monde contemporain de la lecture, à travers des tableaux de la désunion africaine du XIXe siècle, dont le lecteur connaît pertinemment les suites. Ils ne prennent pleinement sens, à notre avis, que sous l’angle de l’anticipation : par anachronisme, par saut temporel et logique. Cette dimension utopique, au sens politique du terme, de vision régulatrice de comportements sociaux se retrouve logiquement dans le scénario de Sembène Ousmane501 qui est l’un des textes les plus engagés de notre corpus. On relève aisément le lexique marxiste (« Front Unitaire », infra) hérité des luttes syndicales de Sembène à Marseille, qui rend explicite cette utopie suggérée via la rencontre entre les chefs. Ainsi de cette rencontre, à l’initiative de Samori, d’Alboury, d’Ahmadu Tall et de lui-même : Samori : Je ne suis pas venu ici demander aide et secours mais proposer un Front Unitaire dans le combat contre les Oreilles Rouges et leurs soldasi. Si nous retardons notre action commune, un à un nous disparaîtrons sous les coups des ghébé (canons). […] La guerre fratricide que nous menons, tukulër contre bambara, malinké contre sénoufo, nous affaiblit devant notre seul ennemi commun, les Oreilles Rouges. Les dissensions au sein d’une même famille, doctrine contre doctrine, font que les Oreilles Rouges n’ont devant eux que des chefs amoindris. […] Alboury : Pour les Oreilles Rouges, il n’y a pas de Bambara, Malinké, Tukulër, Sarakulé, Peul. Une seule chose existe. Faire agenouiller la race noire. Nous ne devons former qu’un seul pays. (Samori, 2ème époque, Sikasso Kele) En l’occurrence, le plaidoyer de Samori rencontre l’adhésion d’Alboury, qui joue le rôle d’adjuvant. Mais c’est Ahmadu Tall qui fera échouer les négociations, en prenant le rôle d’opposant (comme Galadima pour Sarraounia, ou Djigui pour Samori, dans les exemples cités plus haut), et en arguant de la différence trop importante entre les cultes de chacun. C’est encore une fois la question religieuse qui cause la rupture des négociations. Notons en outre que Bernard Zadi Zaourou mentionne également la possibilité d’une 501 Sur ce point, voir la très instructive lettre de Sembène Ousmane adressée à Thierno Mouctar BAH, que ce dernier reproduit en préface de son ouvrage, Architecture militaire traditionnelle en Afrique de l’Ouest : du XVIIe à la fin du XIXe siècle, op. cit. , p. 7-8 : « J’ai été très content de ton communiqué : « La stratégie des Alliances ». Pour le film sur Samori, je pousse l’audace jusqu’à provoquer une rencontre entre Samori, Ahmadou, Alboury Ndiaye pour négocier cette alliance. Mais comme pour leur échange de correspondance, il n’y aura pas de suite : une concrétisation. Le cinéma historique, surtout pour nous, doit permettre cela. Nous connaissons les deux personnages et les doctrines qui les animent. Comme tu l’écris, seul Alboury symbolise ce « courant unitaire ». Hélas, il y a la présence de Day Kaba à Ségou au côté d’Ahmadou qui, sans trop le charger, l’accabler, fera échouer cette rencontre. Er lui, Day Kaba, en 90-91, rentrera à Kankan avec les Français. Samori, des années plus tard, fera la même chose avec Ba Bemba. La rencontre Ahmadou / Samori aura lieu après la retraite de Samori de Sikasso entre la signature du 3ème traité de Nyako et la chute de Ségou. Malgré tout, il faut que le film soit très logique et d’une lecture visuelle très limpide. Je veux éviter la légende dorée tout en voulant être très près de l’histoire. » (Dakar, le 22 octobre 1981) 282 rencontre entre tous les grands chefs noirs (en changeant néanmoins les actants), en nommant ce sommet son « arme secrète » : « Nous devons faire front, nous les souverains du Mandingue. Il me faudra convertir à cette idée Hamadou de Ségou […]. Il me faut me réconcilier avec Tiéba de Sikasso »502. Ce motif de la désunion occupe, en outre, l’ensemble des récits relatifs au siège de Sikasso503, dont nous avons montré qu’ils formaient un motif qui tendait à s’autonomiser de la trame principale des récits sur Samori : ainsi du Mémorial de Kélétigui Berté, de la pièce Une si belle leçon de patience de Massa Makan Diabaté, de Famagan Traoré504, de Sembène Ousmane505. Enfin, ce motif est également latent dans la rencontre entre Samori et le chef zarma Babatu, dont Sandra Bornand donne une description dans Le discours généalogiste chez les Zarma du Niger506, dont l’on retrouve déjà la trace chez Abu Mallam507. Il s’agit dans les textes du seul chef africain contre qui Samori décide de ne pas se battre, et l’occasion manquée aurait ici pu déboucher sur une véritable union politique, entre deux chefs égaux. *** Variances et invariances : les « métamorphoses » de nos récits sont nombreuses508, entre écrit, image, mais aussi son, nouvelles formes numériques… Entre les genres et entre les médias, entre l’imitation et la transgression des trames narratives509, les figures 502 Les Sofas, p. 37. Pour une discussion et un prolongement de l’œuvre d’Yves Person sur ce chapitre précis de l’histoire de Samori, voir Martin KLEIN, « The Siege of Sikasso and the Wasulu Revolt : The Beginning of the End », in Yves Person, Un historien de l’Afrique engagé dans son temps, Paris, Karthala, 2015, p. 65‑78. 504 Pièce audio du marché de Madina. 505 Cet épisode provoque chez Sembène une pulsion descriptive qui fait sortir le scénario du genre pour le faire basculer vers la description romanesque. À titre d’exemple, les très nombreuses descriptions du tata de Sikasso : « Côté sénoufo : PG plongée avec Pano Haut en Bas : des guerriers sénoufo (tireurs à l’arc). De face, à distance, les sofa armés de fusils. Le No man’s land entre les deux adversaires. Descente du Pano : grue : le sanyé (vue intérieur, côté forteresse). Les tireurs à l’arc, puis ceux armés de vieux fusils, le fusil entre les troncs. Les blessés ou tués sont évacués en direction de la forteresse. Pour les issues, entre les sanyé, des archers, avec des boucliers par paquets de cinq prennent position, d’autres sortent (par paquets de cinq). » 506 Sandra BORNAND, Le Discours du griot généalogiste chez les Zarma du Niger, Paris, Karthala, 2005, p. 285, et en annexe sur CD, v. 317-379. Voir aussi Jean ROUCH, « Les cavaliers aux vautours. Les conquêtes zerma dans le Gurunsi (1856-1900) », Journal des africanistes, 60 (1990/2), p. 5‑36. 507 Folios 170-172. 508 Voir des phénomènes semblables dans le collectif de Gaetano CIARCIA, Éric JOLLY, Métamorphoses de l’oralité entre écrit et image, Paris, Karthala, 2015. 509 Jean DERIVE, « Imitation et transgression. De quelques relations entre littérature orale et littérature écrite en Occident et en Afrique », Cahiers de Littérature Orale (2004/56), p. 175‑200. 503 283 de Nehanda, Sarraounia et Samori sont des « interfaces »510 sur lesquelles s’inscrivent les désirs et les imaginaires du temps. Ces figures sont parées d’attributs, dont nous avons tenté de décrire les contours, dans le chapitre suivant. Or, il est vite apparu que chacun des traits caractéristiques que nous relevions, au fur et à mesure des relevés et des comparaisons, était toujours plus problématique que le précédent. Nous avons voulu prendre acte de cette difficulté, que les textes faisaient paraître, et nous avons placé cette section sous le signe du paradoxe, afin de travailler ce qu’il recouvrait, à chaque fois. 510 Pour reprendre et étendre de manière métaphorique la notion théorisée par Alain RICARD, Flora VEITInterfaces Between the Oral and the Written, Amsterdam, Rodopi, 2005. WILD, 284 Chapitre 2 Attributs et paradoxes La figure héroïque est dotée d’attributs ou de caractéristiques511, à l’instar des personnages traditionnels de fiction, ce qui la rend reconnaissable et identifiable. Et certaines de ces qualités sont communes à nos trois héros, Samori, Nehanda et Sarraounia. En effet, que ce soit en Guinée, au Zimbabwe ou au Niger, les trois résistants à la colonisation font montre d’une certaine unité, au-delà de leurs parcours éminemment différents que nous avons déjà analysés. L’invariance est assez rare pour être soulignée, et cela constituait le corps du chapitre précédent. Au-delà des trames narratives, des attributs communs deviennent frappants par leurs récurrences lorsque l’on compare les trois héros : la figure semble se constituer dans la caractérisation paradoxale. En effet, non seulement le héros est un être d’exception, individualisé, qui s’est hissé hors du groupe par ses exploits – ce qui est somme toute conventionnel dans les récits –, mais il entretient également une série de rapports problématiques à la communauté, au double sens de la communauté d’appartenance originelle du héros et de la communauté de « ceux qui se souviennent des mêmes récits »512. Autrement dit, des communautés africaines aux prises avec la pénétration 511 Nous empruntons le titre de ce chapitre à une section de l’ouvrage collectif de Pierre CENTLIVRES, Daniel FABRE, Françoise ZONABEND, La Fabrique des héros, op. cit. 512 Gérard MACÉ, Le Goût de l’homme, op. cit., p. 13. 285 coloniale autant que les communautés postcoloniales qui en entretiennent la mémoire. Parcourons cette série de rapports problématiques. En premier lieu, la figure héroïque est toujours indissociablement liée au fait religieux. La religion en effet assoit sa légitimité, fonde son pouvoir temporel et lui assure le respect. Mais cette religion du héros est soit rendue suspecte dans le récit (Samori est accusé de manière quasi systématique d’être un mauvais musulman), soit mise à distance dans un passé révolu (l’animisme azna aussi bien que shona sont minorisés au moment où les récits sur Sarraounia et Nehanda émergent). Deuxième attribut hautement paradoxal, la figure héroïque semble affligée de ce que nous appellerons le complexe de Cassandre. Brillant stratège, meneur d’hommes à l’esprit guerrier, dirigeant au charisme exceptionnel : malgré toute la clairvoyance du héros, celui-ci ne peut ni fédérer l’ensemble des peuples pour lutter contre l’invasion coloniale, ni triompher de l’écart technologique qui sépare les troupes africaines des armées françaises et britanniques. Il est réduit à une lucidité sans aucun effet, sans impact pragmatique. Dernier point de récurrence problématique : tous nos héros ont été défaits par la colonisation, et leur capture ou leur mort sont les points d’aboutissement des textes. Ils sont pourtant célébrés dans leur défaite ; ce qui implique le déploiement de diverses stratégies d’explications et d’aménagements narratifs. Mais ce seul fait demeure : ce sont des héros vaincus que l’on porte aux nues. Que commémore-t-on exactement, dans ce cas ? De manière symétrique à la question précédente, l’interrogation suivante s’impose progressivement, au fil des réécritures : que célèbre-t-on finalement, si la figure héroïque n’est pas entièrement un idéal ? Non seulement nos héros sont singuliers, mais ils sont en outre problématiques, au sens où ils posent des problèmes513 que le récit travaille, analyse, reconfigure. Ainsi, la singularité de nos figures héroïques réside précisément dans leur attribution fondée sur le paradoxe. 513 Nous suivons la partition établie par Inès CAZALAS, dans sa thèse de doctorat sur l’épique, entre « épopées pétrifiées » et « épopées de la complexité », ces dernières étant régies par cette notion de rapport problématique à l’histoire (elle définit les épopées de la complexité comme « des récits problématiques qui interrogent »), Contre-épopées généalogiques! : Fictions nationales et familiales dans les romans de Thomas Bernhard, Claude Simon, Juan Benet et António Lobo Antunes, Université de Strasbourg, Strasbourg, 2011. Dans une démarche toute autre, Michel MEYER, dans De la problématologie : Philosophie, science et langage, Bruxelles, P. Mardaga, 1986, institue le problème et le questionnement comme fondements de la philosophie et de la démarche réflexive. 286 1. FAIT RELIGIEUX ET HÉROÏSMES : DE L’ATTRIBUT AU PARADOXE Le premier point est celui qui se rapprocherait le plus, de prime abord, de l’attribut au sens traditionnel : les trois héros sont définis par le fait religieux. Ils émergent comme figures dignes de récit dans et par la religion : Nehanda et Sarraounia occupent des fonctions religieuses, et c’est d’ailleurs ce qui leur donne un nom, tandis que Samori s’impose politiquement en imposant la religion musulmane514. Mais cet attribut est loin d’être aussi monolithique qu’il y paraît, comme nous essayerons de le montrer dans les sections suivantes, puisqu’il se mue rapidement en problème515, traité sous la forme du paradoxe. Chefs religieux et légitimation politique Sarraounia, Samori et Nehanda sont tous trois des chefs religieux : il s’agit là de l’un des points de comparaison les plus saillants entre nos trois figures. D’un point de vue historique et politique, le religieux a légitimé le pouvoir politique temporel, ancrant la chefferie dans une transcendance immuable. Rien de plus banal, semble-t-il. Nous ne proposerons que quelques illustrations rapides de ce point, tant le paradoxe apparaît rapidement, en sous main. Pour ce qui est de Samori, il est très net que l’adoption du titre d’« almami », couramment traduit par « prince des croyants », correspond à un couronnement. L’adéquation religieuse et politique y est certainement ici la plus nette, parmi les trois figures. Dans les textes, la consécration religieuse symbolise une consécration politique : l’aboutissement de la construction impériale, la soumission de tous les peuples sous une même loi (religieuse autant que politique), la fidélité à un même homme. Les récits relaient donc ce parallélisme souhaité par Samori, comme le montre ce passage de l’Histoire de l’Iman Samori : À cette époque, Samori regagna Sanankoro; il rassembla tous ceux qui avaient quelque autorité et leur déclara : « Je témoigne devant Dieu l’Unique, qui n’a pas engendré et qui n’engendrera pas, Lui qui a créé les anges, les génies et les idoles, les 514 Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 2, p. 881 : en favorisant la religion musulmane, Samori souhaitait augmenter le « loyalisme » des populations. 515 Inès CAZALAS, op. cit. ; Michel MEYER, op. cit. 287 hommes, leurs villages et le ciel : Allah, Mahomet est son prophète. Maintenant, Allah m’a envoyé, moi, Samori, fils de Lafia l’Occidental2 ; je succède à Mahomet. Tous les vendredis à la mosquée, vous direz mon nom à la prière, vous m’appellerez Iman, prince des Croyants3. Je n’ai pas d’autre nom ». Tous ceux qui l’appelaient encore Samori étaient arrêtés et punis : pour les hommes importants, c’était la mort ; les autres étaient vendus. [Notes de Maurice Delafosse. (2) C’est-à-dire, en arabe : « Samori, fils de Lafia, l’Occidental » ; le mot arabe Magrebiyu est souvent employé par les musulmans noirs avec le sens d’« Africain » et plus spécialement d’« Africain de race nègre ». (3) C’est-à-dire, en arabe : « l’Iman, prince des Croyants » : alimana est le cas direct ; les Malinkés ont adopté de préférence le cas indirect : alimani, dont nous avons fait « almamy ». C’est en 1881, vraisemblablement, que Samori s’est proclamé prince des Croyants et a revendiqué le titre d’Iman.] (Amadou Kouroubari, p. 151152 ; R.P. Hébert, p. 547) Même les récits présentant Samori en opposant, comme c’est le cas d’Amadou Kouroubari, reprennent et soulignent la concomitance entre la légitimation religieuse et la pleine expansion de l’empire. 1881 est la date de la première rencontre de Samori avec les troupes coloniales françaises, et signe donc le début des affrontements. C’est l’apogée de sa puissance politique qui se trouve de fait confirmée par le religieux. La prétention de Samori est par ailleurs soulignée dans le texte malinké 516 . Sans surprise, Sembène Ousmane décrit ce couronnement symbolique en inversant les valeurs : Samori est montré dirigeant la prière du vendredi, et acclamé par le peuple, tandis que ses frères et fils adoptent des noms musulmans (Fabou devient Keme Bourema) 517 . Quelle que soit l’axiologie, le parallélisme reste complet : prendre le titre d’almami, c’est affirmer par là même sa pleine puissance politique et militaire. Le parallèle est moins éclatant chez Nehanda, néanmoins, la caractérisation religieuse reste très forte. L’accent est porté sur sa proximité avec le monde des esprits, 516 Nous citons le commentaire d’Yves PERSON sur la traduction du R. P. Hébert, à propos de la suite de ce passage particulier : « Quelques contresens rendent certains passages incompréhensibles. […] C’est ainsi que la traduction de la page 152 nous montre Samori se proclamant d’abord Almami et successeur de Mahomet, puis se démentant de façon absurde : « Un beau jour, Samori fit la déclaration suivante : « qu’Allah m’ait envoyé pour être le successeur de Mahomet le prince des croyants, tout cela est faux. Nous devons tous bien savoir que le successeur de Mahomet c’est le grand chef des Turcs à Constantinople… » Une véritable inquiétude s’empara de tous ceux qui entendirent ces surprenantes paroles ». « Or cette contradiction n’existe pas dans le texte car Amadou Kouroubari a écrit : « La mi na Samori a ko Alla a ka a fyi a yele-ma-ra Mohamadu… a ka fa ma ». « Le jour où Samori a dit qu’Allah l’a envoyé pour succéder à Mahomet, il a menti ». C’est Amadou, non Samori, qui affirme que le successeur du prophète est le calife ottoman et c’est la prétention de Samori, non sa contradiction qui suscite l’inquiétude », Samori, op. cit., tome 3, annexe XII, p. 2120. 517 Sembène Ousmane, scénario Samori, op. cit., 1ère époque Faamaya Sila, 6ème épisode. Samori interdit également la bière (dolo) et la pratique du komo. 288 sur son don de prophétie, ainsi que sur son rôle de devineresse. Dès sa naissance, l’univers réaliste était mis à distance, et le récit de la sage-femme avait installé le lecteur dans un univers fictionnel investi de signes, de correspondances, et de prédictions518. La première possession de Nehanda intervient au chapitre 8519 dans le roman d’Yvonne Vera, à la grande surprise de la mère. Tandis que le village est rassemblé pour prier et danser, Nehanda reste apparemment confinée dans la hutte familiale : If Mother had the gift of sight, she would see her daughter in the clouds of dust that the men raise around them. Nehanda has not missed the celebration, though Mother thinks her in the hut. Nehanda sees all the activities, and dances on the shoulders of the best dancers among those gathered. The dancers stamp the ground valiantly. The spectators who stand in a circle cheer and sing, their feet covered in dust. (Nehanda, p. 28) [Si Mère avait le don de vision, elle verrait sa fille parmi les nuages de poussière que les hommes soulèvent autour d’eux. Nehanda n’a pas manqué la cérémonie, bien que Mère la pense dans la hutte. Nehanda voit toutes les activités, et elle danse sur les épaules des meilleurs danseurs réunis. Les danseurs piétinent le sol avec vaillance. Les spectateurs qui se tiennent dans le cercle applaudissent et chantent, les pieds couverts de poussière.] Il s’agit du premier signe des dons magiques de la jeune fille. Yvonne Vera insiste sur l’ubiquité offerte par ses pouvoirs, et la narration adopte en partie une focalisation centrée sur elle, tout en restituant régulièrement un point de vue omniscient et distancié. Ce balancement des focalisations participe à la construction de l’incertitude quant au statut de réalité de la possession, du religieux et de la magie dans le texte. Les pouvoirs d’exception de Nehanda en font une héroïne incontestée dans l’ouvrage d’Yvonne Vera, et en cela, le statut de la religion est similaire, toutes proportions gardées, au parallèle observé chez Samori. Mais le récit offre, en outre, des illustrations de ce rôle religieux de médium, en invitant le lecteur à prendre part aux visions et aux possessions de la prêtresse (ce que nous ne retrouvons en aucun cas chez Samori, puisque le titre d’imam n’engage qu’à la conduite de la prière, et non à une intercession effective avec le divin, de même que celui d’almami). Cette focalisation se retrouve d’ailleurs dans les récits sur Sarraounia. Cette attribution religieuse est traitée, pour une large part, dans le vaste corpus des Chimurenga songs, où Nehanda est invoquée en tant qu’esprit protecteur. 518 Sur le rôle de la magie dans les reconfigurations d’univers fictionnels, nous nous reportons à la typologie établie par Xavier GARNIER, La Magie dans le roman africain, Paris, Presses universitaires de France, 1999, et notamment sur la deuxième catégorie des mondes magiques faisant intervenir le merveilleux. 519 Voir le schéma de la structure narrative du roman Nehanda, supra, Deuxième partie, chapitre 1, section « Nehanda : le cycle, et la bataille comme centre vide ». 289 Nous avons déjà rencontré cette attribution plus haut. Nous tenons simplement à souligner ici comment ce rôle religieux se greffe, dans certains chants, à l’invocation à un Dieu unique, et même par défaut, à celui des chrétiens. Notamment dans ce chant : Musango Mune Hangaiwa (the Green Arrows) Mwari tine chichemo, God we have a request; Tiyamurei baba Let us have rains, Chichemo chedu mvura ngainaye, But it should not rain in the bush, Ichokwadi baba There are sacred birds there; Mwari baba isanaye musango, These pigeons have run wild; Tiyamurei baba They belong to our ancestral spirits, Musango umo mune hangaiwa, If you see them, please don’t touch them. Tiyamurei baba Get NeHanda’s permission first, Hangaiwa idzo ndedzemudzimu, NeHanda the guardian spirit of the nation; Tiyamurei baba Get NeHanda’s permission first, Tangai maenda kuna NeHanda, NeHanda the guardian spirit of the nation. Tiyamurei baba Mhondoro huruyenyika ino, Ichokwadi baba (Songs that won the liberation war, p. 141) [Dieu, nous avons une demande Permets-nous d’avoir des pluies Mais il ne doit pas pleuvoir dans le maquis Il y a là des oiseaux sacrés; Ces pigeons sont redevenus libres; Ils appartiennent à nos esprits ancestraux, Si vous les voyez, ne leur faites pas de mal. Demandez d’abord l’autorisation de Nehanda Nehanda l’esprit tutélaire de la nation Demandez d’abord l’autorisation de Nehanda Nehanda l’esprit tutélaire de la nation.] Nous l’avons choisi ici, parmi de nombreuses autres invocations religieuses à Nehanda plus traditionnelles, puisqu’il nous permet d’étudier un cas de concaténation de références religieuses très intéressant, qui a pour objectif de servir à crypter le message politique. Le premier vers de la strophe est une invocation à Dieu (« mwari » ; « mwari baba » ailleurs traduit Lord), tandis que la structure globale est celle d’une invocation aux esprits pour obtenir de la pluie. Il y a d’emblée un contraste entre deux références religieuses distinctes, que le texte permet de relier de manière relativement logique et harmonieuse : la pluie est appelée à purifier les populations, celles qui ne sont pas dans la forêt, et donc par assimilation métaphorique, celles qui ne sont pas engagées dans la lutte 290 armée520. La pluie épargne ceux qui sont redevenus sauvages par besoin politique (« these pigeons have run wild »), et relèvent du domaine sacré de Nehanda, érigée ici en mère protectrice de la nation (« NeHanda the guardian spirit of the nation »). Dieu est incité à protéger ces pigeons, et à ne pas leur faire de mal, sans la permission préalable de Nehanda. L’engagement politique et nationaliste est inséré dans un réseau d’associations religieuses, sous couvert de la forme traditionnelle de l’invocation aux ancêtres, pour la pluie et la fertilité des terres. Or, il s’agit en réalité d’un appel révolutionnaire, prenant comme parrains et le Dieu chrétien et l’esprit Nehanda. Cette insistance sur le religieux pour désigner l’héroïne peut également servir d’autres objectifs. Ainsi, dans le roman Sarraounia d’Abdoulaye Mamani, l’auteur se sert de la référence religieuse animiste, devenue largement désuète dans un Niger majoritairement musulman521, pour opérer une virulente critique sociale et politique. Le chapitre XIII est consacré aux enfances de Sarraounia, au sens de ses premiers exploits. Mamani clôt ainsi le paragraphe consacré à son accession au trône (« Sarraounia lui succéda tout naturellement », p. 74) : Par son comportement, sa manière de vivre et l’intérêt qu’elle porta pour la chose publique, par l’éducation permanente des jeunes, elle développa la conscience des Aznas et les transforma en une puissante communauté de fétichistes menacés par l’intolérance des tribus musulmanes du Nord et du Sud. Elle leur donna la foi et la croyance aux puissances occultes de goumki2 et de dogoua3. [(2) Goumki : objet de culte représenté par des masques et autres sculptures. (3) Dogoua : esprit protecteur et maléfique en pays azna.] (Sarraounia, p. 75) Comme pour Samori, l’arrivée au pouvoir est concomitante de l’imposition d’une religion (le fétichisme), qui semble se faire ici sans entrave522. Sarraounia lutte ainsi contre le fanatisme musulman, dont Abdoulaye Mamani fait l’un de ses thèmes privilégiés. L’auteur critique ainsi l’islam qui lui est contemporain en 1980, sous prétexte d’une description apparemment neutre de son héroïne. Avec une grande économie de moyens, dans une seule et même phrase, l’auteur dresse un programme politique et social – un modèle de bon gouvernement en somme – adossé à une notation religieuse à portée 520 Selon l’interprétation fournie par Alec PONGWENI dans la page suivante, Songs That Won the Liberation War, p. 142. 521 Nous reviendrons dans la section suivante sur le malaise, dans la réception, lié au souvenir du paganisme en contexte musulman. 522 Il n’y a pas eu d’imposition du fétichisme par Sarraounia Mangou, il s’agit bien sûr d’une invention de l’auteur. Sur les origines du culte de Sarraounia et de Baura, nous nous reportons notamment à Marc Henri PIAULT, Histoire mawri ; Introduction à l’étude des processus constitutifs d’un État, op. cit. 291 subversive (la promotion du fétichisme comme rempart contre le fanatisme musulman), ou en tous cas à double lecture. Notons toutefois que l’auteur prend le soin de nuancer cette qualification religieuse de Sarraounia en déléguant la divination au personnage de Dawa, le vieux tuteur (qui lit les cauris p. 77), et à une vieille femme devineresse (qui prophétise p. 119-120). Il s’agit normalement d’activités que Sarraounia aurait pu accomplir, et que l’auteur disperse sur plusieurs autres actants, en faisant ainsi de son héroïne un portrait à dominante guerrière, donc potentiellement moins subversive. Samori, Nehanda et Sarraounia sont donc présentés comme trois chefs religieux, ce qui légitime dans les trois cas leur rôle politique ainsi que leur résistance à la colonisation. Mais comme nous avons pu l’entrevoir avec le dernier exemple sur Sarraounia, cette attribution est hautement paradoxale, et un soupçon pèse sur la foi religieuse des trois protagonistes. Soupçons sur la foi La profession de foi musulmane de Samori est un thème majeur qui traverse tous les textes de notre corpus, et dans une bonne moitié d’entre eux, elle est remise en question : un soupçon est porté sur la réalité de sa conversion523. Dans Labarin Shamuri de Mallam Abu par exemple, la religion de Samori prend une place extrêmement importante, quasiment autant que dans les textes qui légitiment le personnage comme prince des croyants. À de nombreuses reprises, il est question de la chefferie incontestée de Samori sur terre, mais par moments, de virulentes critiques s’opèrent, sans que l’on soit en mesure de décider quelle est véritablement la posture du narrateur, qui semble relayer alternativement les deux opinions quant à la religion de Samori. Ainsi, dès l’initiale : Ga wani labari Samori, shi da babasa Da Allah ya ba shi dunya 523 Accuser un souverain d’hérétisme pour le renverser est par ailleurs une grande constante de la géopolitique au XIXe au Sahel (sans exclusive d’ailleurs), comme l’analyse Jean-Louis TRIAUD, « Le renversement du souverain injuste: Un débat sur les fondements de la légitimité islamique en Afrique noire au XIXe siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 40 (1985/3), p. 509‑519, à propos de Al-Hajj Umar Tal, de la Tijannya, et Amadu Amadu, souverain du Macina. 292 Ya kafirita da yawa. Musuluci Samori baki ciki. Ba shi da komi si yawudara. Hilan Samori ya fi na baki mutu duka. Sariki sariki miy dunya, dain Kufiti, sarikin yawudara, musulimi Samori, sarikin rudi mutanin muslimi da kafiri. Samori, ba ka yarada da Allah ba ! Hilan Samori hillan dunya. Wani labari ta tsayya kuma. [Voilà une autre histoire de Samori, de lui et de son père Quand Dieu lui a donné la vie Il était complètement païen524. Samori était musulman en apparence seulement525. Il ne fait rien que des tromperies. En matière de tromperie526, Samori dépasse tout les Noirs. Le chef, chef d’ici-bas, le fils de Kufiti, chef des tromperies, le musulman Samori, le chef des trompeurs527, des musulmans et des païens. Samori, tu n’es pas d’accord avec Dieu ! La tromperie de Samori est tromperie de ce bas-monde. Cette histoire s’est encore arrêtée.] (folio 7) [notre traduction, avec Souleymane Ali Yero] Ou de manière récurrente dans les formules de louanges, ici plus qu’ambivalentes : Samori miy jaba kowa. Samori miy gashi musulimi. Samori miy yawudara kowa. Haliki ki nan Samori haliki ki nan Samori. [Samori le dominateur, Samori qui tue528 les musulmans. Samori qui trompe tout le monde. C’est cela son caractère ; c’est ton caractère Samori.] (folio 93) [notre traduction, avec Souleymane Ali Yero] Le lexique de la tromperie (yawudara, hila, rudi) est régulièrement associé à la figure du guerrier ; il est également répété que son père était un kafir, en haoussa, c’est-àdire un cafre, un païen, et que lui-même ne s’est converti que tardivement à l’islam, conversion que le narrateur semble précisément mettre en doute à intervalles réguliers. Au-delà des partis pris idéologiques, où Mallam Abu semble d’ailleurs ne pas trancher puisqu’il adopte deux postures à la fois – celle reconnue en 1914 d’un Samori prince des croyants et celle d’un païen qui n’emprunte à l’islam que le nom pour mieux mener ses guerres de conquêtes –, ce qui est relevé dans ce texte pour la première fois en langue africaine, c’est le grand nombre de villes musulmanes, dont des villes saintes, assiégées et détruites par Samori. Ce processus est incontestable, et connaîtra de nombreuses 524 Kafiri, dérivé de l’arabe kafir, « cafre, mécréant, incroyant, païen » : aucun des peuples du Livre, donc ni musulman, ni juif, ni chrétien. 525 Il se dit musulman mais il ne pratique pas. Il n’est donc musulman qu’en apparence. 526 Yawudara : « ruse », hila : « tromperie ». 527 Rudi : « ruse, falsification ». 528 Miy gashi musulmi : gashi signifie habituellement « rôtir de la viande », strictement en cuisine. Stanislaw PILASZEWICZ, dans son article « On the Veracity of Oral Traditions as a Historical Source : The Case of Samori Ture », art. cit., cite ce paragraphe et traduit le segment par « Samori qui imite les musulmans », pour un sens second de gashi. En supposant une transcription approximative via l’ajami, de l’opposition [k]/[g], nous proposons de lire kashi, « tuer », puisque le contexte immédiat est celui de la mort prochaine de son ami Saga$iki, et donc de la rupture du pacte conclu au début du texte. 293 ramifications, dans le Nord de la Côte d’Ivoire, dans le Sud du Mali, et même en Guinée529. Il est interdit par le Coran530 de combattre ou de réduire en esclavage un autre musulman. L’expansionnisme de Samori se heurte aux interdits de la foi musulmane, ce que Mallam Abu souligne avec la prise de Kumu, particulièrement violente : Ga wani labari Samori dain Kufila Sariki dunyya Samori ya yi shiri tashi zuwa Kumu. Sunan gari Kumu. Gari Muslimi ni. Buban gari, bba shi da kama yyama ga ba. Gari malamai sosai. Yyayi nan Samori ya isa gari nan Kumu. Sunan gari Kumu. Ya zamna, ya $ira su wai su zo. Suka taru jama’asu, Musulumi, suka ttafi suka ttafi. Samori sariki dunyya ya ci ma mutanin Kumu. Sunan gari Kumu. Samori ya ci ma mutanin Kumu, ya ci : « Na sa ku Musulimi ku ki. Ama nni Samori, ya $irra ni Allah. Ama ba ku $irra ni Allah. Ku $omma kuma, ku $ira ni Allah. Ba ku $ira ni Allah, ba nibbari ku. Ku ji ? Abi dda ni gayya muku ki nan. » Samori, sariki dunyya. Wana labari ta tsayya kuma. Ga wani labari Samori Da shi, da mutanin Kumu Malammai Kumu suka ci ma Samori : « Mu muttanin Kumu, ba mu kira sariki dunya Allah ba. Dadi ba mu haka ba Samori dain Kufila. Samori dain Kufila, mu ki wanan ». Wana labari ta tsayya kuma. Ga wani labari Samori Samori ya yi kira jama’asa, ya ci masu : « Kobi adan gari ya way, ni da muttanin Kumu mu gana ». Samori ya ci muttanin Kumu rana guda. Wana labari ta tsayya kuma. Ga wani labari Samori Da ya kashi muttanin Kumu, ya yyaka Musulmiyin Kumu alilu, alilu, alilu saba’in. Haka ya yi. Wana labari ta tsayya kuma. [Voilà une autre histoire de Samori fils de Kufila Chef d’ici-bas, Samori s’est préparé pour partir à Kumu. Le nom de la ville est Kumu. C’est une ville de musulmans. C’est une grande ville, elle n’a pas son pareil dans tout l’ouest. C’est une ville de véritables savants. C’est alors que Samori a atteint la ville de Kumu. Kumu est le nom de la ville. Il est resté. Il les a appelés pour qu’ils viennent. Ils ont rassemblés leurs gens. Les musulmans sont partis, ils sont partis. Samori, chef d’ici-bas a dit aux gens de Kumu. Le nom de la ville est Kumu. Samori a dit aux gens de Kumu, il a dit : « Je sais que vous êtes des musulmans. Mais moi Samori, [il faut que] vous m’appeliez [du nom de] Dieu. Mais vous vous ne m’appelez pas Dieu. Il faut encore m’appeler Dieu, vous ne m’appelez pas Dieu. 529 Voir pour notre corpus la même dénonciation : Amadou KOUROUBARI, « Histoire de l’iman Samori », Bulletin de l’Institut Français d’Afrique Noire, art.cit ; Marie RODET, Fanny CHALLIER, The Diambourou Slavery and Emancipation in Kayes – Mali, op. cit. 530 « Illicite » : haram. 294 [Alors] je ne vous laisserai pas, avez-vous compris ? Voilà ce que j’ai à vous dire ». Samori, chef d’ici-bas. Cette histoire s’est arrêtée encore. Voilà une autre histoire de Samori De lui et des hommes de Kumu Les marabouts de Kumu ont dit à Samori : « Nous, les habitants de Kumu, nous n’appellerons pas le chef d’ici-bas par le nom de Dieu. Cela ne nous plaît pas, Samori, fils de Kufila. Samori fils de Kufila, nous refusons cela ». Cette histoire s’est arrêtée encore. Voilà une autre histoire de Samori Samori a appelé ses gens, il leur a dit : « Demain, quand le jour se lèvera, moi et les gens de Kumu, nous nous verrons ». Samori a vaincu les gens de Kumu en un seul jour. Cette histoire s’est arrêtée encore. Voilà une autre histoire de Samori Quand il a tué les gens de Kumu, il a égorgé les musulmans de Kumu par milliers et par milliers, jusqu’à soixante dix mille. C’est ce qu’il a fait. Cette histoire s’est arrêtée encore.] (folios 177-178) [notre traduction, avec Souleymane Ali Yero] L’arrogance de Samori est à son comble, puisqu’il exige de « se faire appeler du nom de Dieu », donc de prétendre prendre la place de Dieu sur terre. La prise de Kumu se termine par un massacre. Nous faisons l’hypothèse qu’il s’agit de la ville sainte de Kong, en Côte d’Ivoire, puisque les dates concordent : selon la chronologie que nous rétablissons à partir du manuscrit, l’attaque de Kumu intervient au même moment que la prise de la colonne Henderson par Sarankén Mori, le fils de Samori (en avril 1897). Or, Kong est détruite par Samori en mai 1897531. Il est fort probable que Kumu, cette importante ville sainte disposant de nombreux centres d’enseignement coranique, soit Kong. L’épisode se termine par un massacre, de la même manière que le décrira Djiguiba Camara en 1955, lorsqu’il évoque les feuillets du Coran tachés de sang, éparpillés au vent, lorsque les sofas de Samori pénètrent dans Kong532. Soupçonner la foi de Samori devient un motif littéraire à part entière. Sarraounia et Nehanda ont un rapport très différent à la foi religieuse. Il est, en effet, indéniable qu’elles pratiquent leur religion respective avec franchise, puisqu’elles en sont les garantes, étant toutes deux des médiums. Néanmoins, elles ont aussi pour particularité d’être célébrées pour leur résistance, tandis que la religion qu’elles 531 532 Le 18 mai 1897. Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 3, p. 1873-1881. Djiguiba CAMARA, Histoire locale, op. cit. 295 pratiquaient tend à se marginaliser. L’islam est largement majoritaire dans l’Arewa et plus généralement au Niger, tandis que l’évangélisme et le méthodisme dominent au Zimbabwe. La religion de Nehanda est moins traitée dans nos textes que celle de Sarraounia – vraisemblablement parce qu’elle pose moins problème, pour des raisons que nous tenterons d’expliquer – mais nous pouvons néanmoins en relever dans notre corpus quelques mentions. Chez Lawrence Vambe par exemple, le face à face entre la religion des ancêtres (et donc de Nehanda) et la religion catholique des colons occupe le premier et le dernier chapitre ; l’auteur y exposant les conflits nés de cette fracture religieuse. Dans ce cas, l’opposition religieuse n’est plus seulement celle de la figure héroïque (comme pour Samori, pris entre le paganisme de son père Lanfia Touré et la religion musulmane qu’il adopte), mais c’est bien l’ensemble de la société qui vit ce déchirement. Le premier chapitre s’ouvre, en effet, sur le mariage précipité de la tante du narrateur, Josephine, avec Martin, après qu’elle a révélé sa grossesse. Le Père de la mission veut les chasser, tandis que Madziza, le personnage de la grand-mère, bénit leur union, qui a prouvé qu’elle était fertile : Yet from the African point of view, no tribal law had been broken. Everything Josephine and Martin had done was perfectly honourable and consistent with the tradition of the tribe. […] We were no longer a free people, but since 1890, that year of national tragedy, we had been subject to the whims and foibles of the white man, whether he was in or outside the Church. (Vambe, p. 9) [Pourtant du point de vue africain, aucune loi tribale n’avait été transgressée. Tout ce que Josephine et Martin avaient fait était parfaitement honorable et conforme à la tradition de la tribu. […] Nous n’étions plus un peuple libre, mais depuis 1890, cette année de tragédie nationale, nous étions victimes des caprices et fantaisies de l’homme blanc, qu’il appartienne ou non à l’Église.] Le narrateur retourne aux commencements de la BSAC, aux traités passés avec Lobengula, et à l’installation des troupes de Rhodes pour expliquer la scission religieuse de la « tribu », et la surimposition d’un second système de lois religieuses sur un premier cadre de vie. De cette superposition ne peuvent naître que des conflits, ce que le narrateur souligne à nouveau dans le dernier chapitre consacré à la dissolution des mœurs à Salisbury et dans les milieux urbains en règle générale, tandis que les religions shona se meurent. Ce « double standard »533 moral reprend notamment les thèmes traités dans 533 Vambe, p. 248. 296 L’aventure ambiguë ou dans Le pauvre Christ de Bomba534, sous l’angle inverse pour ce dernier. Déjà en 1976, lorsqu’écrit Lawrence Vambe, Nehanda n’était plus vénérée comme en 1890, et les religions issues du catholicisme et du protestantisme se diffusaient rapidement. Il faut, dès lors, lire les appels aux ancêtres535 des Chimurenga songs comme des reprises de thèmes, plus que comme des invocations réelles, au sens où il y aurait une portée religieuse et sacrée dans l’appel. Il nous semble, au contraire, que ces lignées d’ancêtres constituent des héros qu’il s’agit d’égaler et d’admirer, mais la notion de « panthéon » est définitivement à prendre au sens métaphorique : Vana Baba Naama Mai 536 VaChitepo vakati tora gidi uzvitonge Baba Chaminuka, Kaguvi, Mbuya Nehanda Tinokumbira masimba tinoombera mudzimu Vapambepfumi vapera Chitepo told us to take up arms and liberate ourselves Baba Chaminuka, Kaguvi and Mbuya Nehanda With respect for our ancestors, we ask for strength The oppressors will be finished [Chitepo nous a dit de prendre les armes et de nous libérer Baba Chaminuka, Kaguvi et Mbuya Nehanda Avec la déférence vouée aux ancêtres, nous demandons la force Les oppresseurs seront vaincus] Les deux médiums Kaguvi et Nehanda ne sont plus considérés, dans cet éloge, comme des intercesseurs possibles auprès des esprits et des dieux, mais plutôt comme des ancêtres ayant déjà combattu les colons, auprès desquels le chanteur demande bénédiction et courage. Ce glissement est perceptible dans les textes, notamment grâce à la stratification des héros : l’appel aux ancêtres se fait sur la structure tout à fait traditionnelle en apparence de l’invocation – à connotation religieuse – à ceci près qu’il insère des héros contemporains, qui, eux, n’ont rien de religieux, à l’instar de Herbert Chitepo. C’est bien le signe que le fait religieux a changé de signification. 534 Hamidou KANE, L’Aventure ambiguë : récit, Paris, Julliard, 1961 ; MONGO BETI, Le Pauvre Christ de Bomba, Paris, R. Laffont, 1956. 535 Et à la Nehanda « initiale », la princesse shona qui eut une relation sexuelle avec le jeune frère Nebedza, dans le mythe de fondation, voir David LAN, Guns & Rain : Guerrillas & Spirit Mediums in Zimbabwe, Londres; Berkeley, J. Currey! ; University of California Press, 1985, p. 75-90! ; David N. BEACH, A Zimbabwean Past : Shona Dynastic Histories and Oral Traditions, Harare, Mambo Press Gweru, 1994, chapter 3 ; David N. BEACH, « The Mutapa Dynasty : A Comparison of Documentary and Traditional Evidence », History in Africa (1976), p. 1‑17. 536 Martha Lane, op. cit., p. 717 ; ATR/55/VOZ 0122-0212. 297 Sarraounia présente un cas encore plus impressionnant de dissociation religieuse, puisque la religion azna a été quasiment remplacée par la religion musulmane : c’est en effet un euphémisme que de dire qu’elle a été marginalisée dans le sud du Niger et la région de l’Aréwa, qui voit d’ailleurs aujourd’hui des afflux de réfugiés arriver, fuyant Boko Haram. Dès 1986, Boubé Gado atteste de l’influence grandissante de l’islam dans la région, puisque ses enquêtes orales révèlent un syncrétisme religieux, notamment dans le vocabulaire utilisé par les habitants de Lougou. À la question de l’étendue des terres contrôlées par les Aznas, la Sarraounia Gado (celle en charge des fonctions religieuses lorsque Boubé Gado a fait ses enquêtes) répond en citant elle-même le prophète Mahomet : Tun da Katsina har bakin ruwan Kuwara ba mu tara shi da kowa ba, sai Allah sai Ma’aiki sai ko uwan mi $asa… mu adda suwa. Depuis le Katsina jusqu’aux bords des Eaux du fleuve Niger, nous ne partageons ce pays avec personne d’autre que Dieu, son envoyé et notre mère, la terre… Nous en sommes les possesseurs (Les traditions de Lougou, p. 23-26, traductions de Boubé Gado) De même, sur le rôle de la Sarraounia : Iyakatta, in mutum ya rasa abinci, shi na zakkuwa nan, shi kawo koke, ita ka ro$o, Allah shi ba shi. Son rôle à elle, c’est quand une personne manque de quoi manger, elle vient la voir ici, elle formule ses vœux, la Sarraounia intercède pour elle, et Dieu donne satisfaction à la personne. (p. 25-26, traductions de Boubé Gado) Le même lexique musulman (Ma’aiki ; Allah) se mêle au vocabulaire de la divination (ro"o). Sarraounia Gado adopte donc une rhétorique double, qui manifeste des signes ostentatoires de déférence envers Dieu (Allah, qui est maître et possesseur des terres) tout en affirmant sa suprématie temporelle (« nous en sommes les possesseurs ») ; ce qui lui permet de jouer sur les deux tableaux. En 2009, Adeline Masquelier dresse un constat encore plus tranché537. Pour elle, l’animisme est devenu tabou, ainsi que la mémoire même du personnage de Sarraounia Mangou : Until recently, Muslims in Arewa generally felt uneasy about their “animism” past. In the Muslims ethos, the past was identified with jahiliyya (ignorance), a state of chaos, immorality, and permissiveness that typified the period preceding the arrival of Islam. Consequently Muslim residents saw no reason to celebrate the exploits of Sarauniya Mangu, the queen-priestess who, in 1899, had valiantly but unsuccessfully resisted the assault of the infamous Voulet-Chanoine column. (p. 135-36) 537 Adeline Marie MASQUELIER, Women and Islamic Revival in a West African Town, op. cit. 298 [Jusqu’à récemment, les musulmans de l’Aréwa étaient généralement gênés par leur passé « animiste ». Dans l’ethos des musulmans, le passé était identifié à la jahiliyya (l’ignorance), un état de chaos, d’immoralité et de licence, qui caractérisait l’époque précédent l’arrivée de l’Islam. Par conséquent, les habitants musulmans ne voyaient aucune raison de célébrer les exploits de Sarraounia Mangou, la reine-prêtresse qui, en 1899, avait vaillamment, bien que sans succès, combattu la tristement célèbre colonne Voulet-Chanoine.] L’auteure nuance ensuite son propos, en montrant comment la mémoire de Sarraounia a été instrumentalisée à l’échelle nationale, la rendant ainsi plus « fréquentable », pourrait-on dire, en tous cas, en lui ôtant son aura de subversion religieuse. Adeline Masquelier montre bien à quel point s’instaure une scission dans la mémoire collective, rendant caduque une religion auparavant majoritaire538, opacifiant par là même sa mémoire, en faisant le choix délibéré de l’amnésie. Fort heureusement, cette perte de mémoire volontaire ne va pas jusqu’à l’éradication des textes sur Sarraounia. Mais ceux-ci portent tout de même la trace de ce rapport problématique à la religion. Nous retrouvons là le même rapport ambigu que nous avions souligné pour Samori. Lorsqu’il s’agit de Sarraounia, en effet, l’attribution religieuse est immédiate, mais avec un lexique mixte, voire parfois avec des interprétations apparemment contradictoires. Ainsi de ce chant de l’orchestre Akazama de Doutchi : Na kirai Allah Na kirai tallah mai ni Ya jallah Kai ni karo ko uban giji mai ceto 539 Ga kid’i ya$i […] J’implore Dieu J’implore celui qui est mon créateur Gloire à Dieu [Dieu est grand] Emporte moi à la bataille sous la protection de Dieu le sauveur Voici le tambour de guerre […] Sarauniya Ba ki tsoron ya$i Ba ki tsoron Arna Ke ce maras tsoro ke tsoro Sarraounia Tu n’as pas peur de la guerre Tu n’as pas peur des païens C’est de toi que les effrontés ont peur Iska ! Ke tsare daji Ke tare gida ‘yal Mangu Kai halinta bai da iyaka Esprit ! Tu surveilles la brousse Tu protèges la maison de Mangu 540 538 Voir la description de la répartition des cultes dans l’Arewa dans les monographies coloniales, ANN, 6.1.10, « Le Maouri ou Aréouaé, E. Séré de Rivières, 1946, 9p. manuscrites. Voir aussi Eliane DE LATOUR, « Les noces du pouvoir! : la royauté en pays mawri », Africa : Rivista trimestrale di studi e documentazione dell’Istituto italiano per l’Africa e l’Oriente, 41 (1986/4), p. 560‑580 ; Eliane DE LATOUR, « Maîtres de la terre, maîtres de la guerre », Cahiers d’Etudes africaines, 24 (1984/95), p. 273‑297. 539 Na kirai : « j’appelle », ou « j’implore ». Les kirari sont les devises des guerriers, que l’on chante sur les champs de bataille. 540 Iska : « esprit, génie ». Nous avions déjà cité ce vers plus haut, Première partie, Chapitre 1, section « Sarraounia et l’ouverture des potentiels textuels ». 299 Ton caractère n’a pas de limites Na kirai Allah Na kirai Saadi da manzo Uban giji mu ta ro$o Sarkin ceto J’implore Dieu J’appelle le Saadi et le messager Le créateur du monde, nous t’implorons Le maître de la création. [Orchestre Akazama de Doutchi, traduction de Hadiza Nazal] L’ouverture et la fermeture du chant s’effectuent sur une invocation à Dieu (Allah), ce qui dénote d’emblée le glissement de la religion majoritaire : l’islam s’impose dès l’initiale comme contexte de référence pour l’interprétation du chant. Le Dieu monothéiste est présent sous plusieurs de ses appellations : le « créateur » (tallah mai ni), « Dieu le sauveur (uban giji, littéralement le « père des esprits », lexicalisé pour « Dieu », mai ceto, « celui qui sauve »), le « messager » (le Prophète, manzo), « le maître de la création » (Sarkin ceto), ce qui provoque une impression de saturation du discours. Au milieu, Sarraounia est louée pour son courage. Si le premier vers de cette strophe reste tout à fait usuel (ba ki tsoron ya"i, « tu n’a pas peur de la guerre »), le second pose plus de problèmes (ba ki tsoron Arna), puisqu’il signifie littéralement « tu n’as pas peur des Arna », ce qui est un non-sens. Précisément, Sarraounia mène les Arna au combat contre les Français. Pour que le chant ait un sens, il faut supposer que Arna devient générique pour « païens », et en vienne à désigner tout effronté qui n’a peur de rien, et de manière paradigmatique, celui qui ne craint même pas Dieu, ce qui est un péché grave, et éventuellement, par glissement métonymique, les païens par excellence, autrement dit les colonisateurs. Ainsi le troisième vers prend également sens (Ke ce maras tsoro ke tsoro), « c’est [pourtant] de toi que les sans-peur ont peur » : même ceux qui sont assez inconscients pour ne pas craindre le tout-puissant craignent Sarraounia pour sa bravoure au combat. Très subtilement, les « païens », même sous leur désignation ethnicisée (Arna), deviennent progressivement « les autres », renforçant l’impression que le locuteur est un musulman, et que le peuple conduit par Sarraounia l’est également. Ce qui constitue un basculement rhétorique singulièrement efficace. Poursuivons l’analyse des quatre vers suivants. Le vocatif iska a un référent incertain, pouvant à la fois englober l’esprit de Sarraounia (celui que la Sarraounia temporelle invoque, ou le génie, qui est par exemple invoqué lors du culte du bori), ou un esprit plus diffus, à l’extension plus importante, qui pourrait dès lors recouvrir « Dieu ». Les deux vers suivants interdisent la première explication puisque Sarraounia Mangou est désignée comme étant la protégée de cet esprit protecteur. Il serait illogique de considérer 300 comme valide la proposition suivante : « Sarraounia protège la maison de Sarraounia » ; nous sommes donc amenés à conclure que Dieu protège Sarraounia. Cela est confirmé par le dernier vers de la strophe (kai halinta bai da iyaka), puisque celui dont le caractère ne possède pas de bornes est bel et bien Dieu. Le même glissement rhétorique s’opère : Dieu est du côté de Sarraounia ; la religion de Sarraounia n’est donc pas incompatible avec l’islam. Par conséquent, elle peut être louée. Si les textes fonctionnent comme des machines textuelles miniatures, avec leur logique interne, et leurs propres explications théologiques, il est possible de trouver dans chaque texte des points de bascule rhétorique qui permettent d’assimiler ou non le héros à la religion dominante. Quel que soit le sens de l’assimilation ou de la réfutation, nous avons vu que Sarraounia, Nehanda et Samori, bien que marquées toutes trois par une forte caractérisation religieuse (qui est l’un de leurs « attributs » principaux), n’en demeurent pas moins problématiques. Toutes trois interrogent en effet la religion de départ et d’arrivée : la colonisation a violemment importé de nouvelles religions au Zimbabwe, ce qui provoque des tensions sociales importantes, mais Nehanda n’en est pas pour autant réinstituée comme figure religieuse541 ; l’islam a remplacé le paganisme qui avait cours dans le Nord de la Guinée et dans le Sud du Niger, mais les textes expliquent ces bouleversements, de manière diverses selon les cas. Pour Samori, ce remplacement est marqué par l’ère du soupçon sur les anciennes religions (Samori est suspecté de n’être pas assez bon musulman), mais il reste fondamentalement dans les récits un guerrier d’exception. Sarraounia, quant à elle, véhicule de plus en plus un lexique mixte qui permet à la figure d’échafauder des univers textuels où l’opposition animisme/islam n’est plus binaire et manichéenne, mais où des possibilités d’imbrications mixtes se font jour. Credo littéraire Pourquoi une telle récurrence du motif religieux ? Pourquoi une telle insistance et un tel besoin d’explicitation ? Nous proposons de déplacer l’objet de la croyance du religieux vers le narratif : il ne s’agit pas de croire en la littérature, mais de croire dans 541 Il n’y a pas de renouveau de la tradition shona des médiums de grande ampleur. Lawrence Vambe déplore cette perte, mais considère également comme illusoire l’abandon de la religion des Blancs (op. cit., chapter 13). Pour nuancer cette déploration, et pour un compte rendu de la place des médiums dans la période contemporaine au Zimbabwe, voir Joost FONTEIN, The Silence of Great Zimbabwe : Contested Landscapes and the Power of Heritage, PhD, University of Edimburgh, Edimburgh, 2003, p. 220-252. 301 l’univers textuel qu’elle ouvre. Nous montrerons que dans le cadre de la fiction, la référence au paganisme de Sarraounia alors que le pays est désormais musulman, et à la tradition des mhondoro alors que le Zimbabwe est christianisé, a une efficacité narrative importante : celle de rappeler un passé antérieur à la colonisation, dont les référents ne sont plus nécessairement légitimes, telles quelles, dans le contemporain de la lectureperformance, mais qui continuent de porter des valeurs fondatrices et pertinentes dans le collectif. Le rapport est plus complexe encore pour Samori, puisqu’il dépend de l’axiologie, mais il nous semble qu’une explication interne à l’univers narratif peut également être riche en analyses : dans bien des cas où l’axiologie est difficile à discerner, l’explication de la compromission religieuse est une raison commode pour expliquer la chute du héros, incompréhensible sinon. Le soupçon de paganisme permet de rendre compte de sa chute : la colonisation est rendue opaque par sa rapidité et sa fulgurance. Il faut qu’il y ait eu une traîtrise initiale pour que le récit puisse être intégré dans un réseau de valeurs contemporaines. Commençons par l’étude de Samori qui est le plus paradoxal. Il est à chaque fois incontesté que Samori a le titre d’almami, cela fait bien partie de ses attributs narratifs, mais les avis divergent quant à la valeur effective de ce titre. Le soupçon porté sur sa foi est un motif tellement récurrent qu’il interroge : pourquoi le dire sans cesse ? Il nous semble que chez Djiguiba Camara, dans Histoire locale, comme chez Mallam Abu, dans Labarin Shamuri, ainsi que pour Samori Tariku de M’Faly Franwalia Kamissoko542, il y a une réelle ambivalence dans la caractérisation religieuse de Samori. Chez Amadou Kouroubari543, il est tout à fait net que Samori est un païen parce qu’il a dévasté le village du narrateur et sa famille. Mais dans les trois autres textes qui font de la religion de Samori un motif, l’axiologie n’est pas aussi nette : Samori est dans le même temps adulé et contesté. Ses qualités de guerrier, d’homme brave, de bâtisseur d’empire ne sont pas remises en doute, et sa très longue opposition aux Français est toujours louée. Ce qui est incompréhensible, c’est bien sa chute : comment un tel homme a-t-il pu être pris et capturé ? Chez Mallam Abu, l’insistance dans l’incipit sur le pacte conclu avec le génieserpent permet au narrateur de proposer une explication commode, claire et incontestable de la victoire si rapide des troupes coloniales : c’est parce que Samori a péché initialement, en acceptant de s’allier avec un serpent, qu’il ne peut vaincre éternellement 542 543 M’Faly Franwalia KAMISSOKO, op. cit. Acheté au marché de Madina, Conakry. Histoire de l’imam Samori, op. cit. 302 les hommes, ici-bas. Sa chute était inscrite en son commencement. Ainsi peut se lire (s’entendre) la colonisation, et la victoire si rapide d’« Archinard »544, en seulement six paragraphes courts. Voici la conclusion de Labarin Shamuri : Wai a kai shi tsakanin gulubi, a i masa daki. Da shi Samori, da mattasa guda tsakanin gulubi. Sariki Farasi ya aji Samori da mattasa ki nan. Hali Samori ya mutu. A ci duniyya kida kariya ni. A ci iko ba na Allah ba. Kariya ni. Labari Samori dain Kufila ya zama almara. [Qu’on l’amène au milieu d’une rivière, qu’on lui construise une maison ! Samori et sa femme au milieu de la rivière. Le chef de France a déposé Samori et sa femme à cet endroit. Jusqu’à la mort de Samori. Eh ! La vie est faite d’illusions. Eh ! Le pouvoir qui n’est pas celui de Dieu n’est pas un vrai pouvoir. L’histoire de Samori fils de Kufila s’est achevée selon le dessein de Dieu.] (folio 182) [Notre traduction, avec Souleymane Ali Yero] Il est clair que les proverbes (« Dunyia kida kariya ne »; « Ashe iko ba na Allah ba, kariya ne ») servent à renforcer la démesure de Samori, qui s’est prétendu maître sur terre, à la suite de la promesse du serpent qui constituait l’initiale du récit (folios 1-8). Malgré la sècheresse de la fin, il y a bien un effet de clôture qui donne une signification nouvelle aux nombreuses références religieuses du texte. Cette trahison initiale de Samori – sous forme de pacte avec des génies femelles chez M’Faly Kamissoko 545 –, cet éloignement de la foi musulmane est la seule voie narrative possible qui permette d’expliquer la colonisation, dans l’espace de l’univers textuel (où Samori reste un héros loué comme tel par ailleurs). Nous avons traité plus haut du malaise des musulmans de Dogondoutchi quant au paganisme de Sarraounia. Le même problème pourrait se poser pour Nehanda. Or, cela n’apparaît pas dans le corpus. La religion shona et le culte des mhondoro n’entrent pas en contradiction frontale avec le christianisme, comme les bori ou la divination s’opposent à l’islam. Encore une fois, quelques pistes d’interprétations narratives peuvent être proposées. Chez Yvonne Vera, il s’avère, en effet, que la possession se charge de connotations plus larges que son origine uniquement religieuse. Nous adhérons à l’hypothèse formulée par Maurice T. Vambe pour qui : The use of spirit possession signifies the wish to construct a coherent discourse of post-colonial resistance to various forms of oppression. And yet, ironically, the desire to erect such a discourse, one not characterized by its own internal 544 Voir supra, chapitre précédent, section « Samori : expansion dérivative du corpus. L’exemple du théâtre sur Karamoko », sur le personnage d’Archinard et la capture de Samori dans les textes, alors qu’il s’agit en réalité du capitaine Gouraud. 545 « Samori Tariku », M’Faly Kamissoko, op. cit. ; voir aussi David Conrad et Fina Camara, in John William Johnson, Thomas A. Hale, Stephen Belcher, op. cit. 303 ambiguities, reflects the writer’s conscious or unconscious wish to retain those African values which are defined as unchanging546 . [L’usage de la possession par les esprits signifie le désir de construire un discours cohérent de résistance postcoloniale à différentes formes d’oppression. Et pourtant, ironiquement, le désir de bâtir un tel discours, qui ne soit pas caractérisé par ses propres ambiguïtés internes, reflète le désir conscient ou inconscient de l’auteur de retenir ces valeurs africaines prétendument immuables.] Les scènes de possession possèdent une double visée : constituer un mode d’affirmation postcolonial du féminin (en étant une sortie possible du monde patriarcal), et reconstituer un passé shona idyllique (avec toutes les implications de fixité que cela inclut). Aucune tension religieuse contemporaine ne peut alors interférer dans le récit : d’où cette apparence très « lisse » des références religieuses, comparativement aux deux figures ouest-africaines, Samori et Sarraounia. Ce sont certes, tous les trois, de grandes figures religieuses, mais tant la communauté d’appartenance, que la communauté qui les célèbre, entretiennent des rapports paradoxaux à ce statut religieux, qui les définit pourtant. Cet attribut pose problème, et les textes du corpus ne cessent d’y revenir pour proposer des interprétations narratives de grande ampleur (le résidu païen de Samori explique sa chute, et donc l’ensemble du processus de colonisation), pour formuler des hypothèses mixtes (où Sarraounia et Nehanda sont incluses dans des systèmes monothéistes – l’islam ou le christianisme – chez l’orchestre Akazama de Doutchi, ou dans le chant des Green Arrows), ou encore pour établir des critiques politiques et sociales du monde contemporain (en dénonçant l’extrémisme islamiste chez Abdoulaye Mamani, en revendiquant un tiers-espace hors du patriarcat, via les scènes de possession, chez Yvonne Vera). Selon la même logique, le second attribut paradoxal des héros – leur incapacité à ajuster le faire et le dire – constitue un problème autour duquel les textes achoppent, et donc glosent, interprètent, choisissent des pistes narratives diverses. 546 Maurice VAMBE, « The Paradox of Post-colonial Resistance in Yvonne Vera’s Nehanda », in Robert MUPONDE, Mandi TARUVINGA ( dir.), Sign and Taboo, op. cit. 304 2. LA FIGURE HÉROÏQUE ET LE COMPLEXE DE CASSANDRE Nehanda et Sarraounia sont deux prophétesses : elles peuvent voir l’avenir de leurs peuples. Pour autant, elles n’ont pas le pouvoir de réunir une armée suffisante pour venir à bout des forces coloniales. Samori, sans avoir le don de prophétie, est également doté, dans les textes547, d’une vision stratégique hors du commun, qui ne suffit pourtant pas à lui octroyer la victoire548. Les prédictions des trois héros sont condamnées à être sans effet. Ou du moins, pour nuancer, leurs discours ne s’articulent pas immédiatement à leurs actions. Nous pourrions dire que leurs prophéties ont un double impact, et en deux temps : elles annoncent, d’une part, la colonisation (Samori cherchant à unir les souverains voisins ; Nehanda rêvant de la ségrégation ; Sarraounia demandant l’appui des Peuls, des musulmans et des Touaregs), mais elles ne peuvent l’empêcher. Et dans un second temps, elles prédisent une victoire future que les figures héroïques elles-mêmes ne verront pas – par-delà leur défaite, toujours-déjà advenue : Nehanda annonce la seconde Chimurenga, mais elle est pendue à Salisbury, Sarraounia annonce la déroute de la colonne Voulet-Chanoine sur la route pour Zinder, mais Lougou n’en est pas moins pillé. Dans une certaine mesure également, Sékou Touré réutilise cette rhétorique prophétique pour se présenter comme l’incarnation de la revanche, soixante après la capture de Samori, de l’Afrique toute entière sur la colonisation européenne549. Pour reprendre l’expression de Gaston Bachelard 550 , Samori, Sarraounia et Nehanda seraient affligées du complexe de Cassandre : dire, sans pouvoir rien faire. Deux lieux fondamentaux sont l’expression de ce discours des héros : la prophétie et la harangue. Presque chacune des œuvres du corpus illustre ces doubles discours, et leurs réceptions. 547 Notamment dans Scénario Samori de Sembène Ousmane, volume 2 ; Monnè d’Ahmadou Kourouma ; Les sofas, de Bernard Zadi Zaourou. 548 Voir supra, chapitre précédent, « Désunion des Noirs : le thème de l’occasion manquée ». 549 Ahmed Sékou TOURÉ, La Révolution culturelle. Tome XVII Œuvres, op. cit., p. 396. 550 Gaston BACHELARD, Le Rationalisme appliqué, Paris, Presses universitaires de France, 1949, p. 75. 305 Prophéties. Inadéquations du dire et du faire La prophétie de Nehanda, (« Mapfupa edu achamuka », en shona ; « My bones shall rise again », en anglais) est la plus connue et la plus utilisée dans notre corpus. Les chants « Mbuya Nehanda », « ZANU Chete » et « Tinomutenda » 551 la citent explicitement, de nombreux autres y font référence (« Take up arms and fight », « Zimbabwe Nyika Yatinoda », « Tochema kuZANU »552). Dans le roman d’Yvonne Vera, le personnage annonce simplement : « My people will not rest in bondage » (Nehanda, p. 97). Le modèle est celui utilisé par le mahdisme553 : la résistance à la colonisation est portée par l’espoir d’un retour qui se joue dans un futur indéterminé. De l’indétermination naît l’espoir, tout en échappant à la censure et au contrôle colonial par l’évanescence même de son objet. Le sujet futur de la révolte s’évapore dans une attente sans fin, tandis qu’elle-même peut sans cesse être réactivée. Sa force provient donc, de manière contreintuitive, de sa fragilité essentielle, ontologique. Si Nehanda avait fondé une lignée, il aurait été plus aisé pour les Britanniques d’en contrôler la descendance et de mater une éventuelle seconde Chimurenga. Mais celle-ci pouvait éclater à tout moment parce que ceux qui se réclamaient de Nehanda excédaient la simple médium : elle était une figure d’appel, que l’on pouvait convoquer de n’importe quel lieu, à n’importe quel moment. Chacun pouvait, en puissance, actualiser la prophétie de Nehanda : la révolte est perpétuellement en devenir. Le « personnage prophétique »554 tire sa force de la création d’un imaginaire. Cette tonalité prophétique555 irrigue les textes du corpus. Des figures secondaires en captent certaines caractéristiques : ainsi du personnage de Grandmother dans An Ill-Fated People, qui avait prédit, à l’initiale de l’ouvrage, les conséquences 551 « Mbuya Nehanda », MS 536/13 ZAPU songs, Julie Frederikse’s Files ; « ZANU Chete », Martha Lane, The Blood that Made the Body Go, op. cit., p. 664 : ATR/43/VOZ ; « Tinomutenda », Martha Lane, The Blood that Made the Body Go, op. cit., p. 700 : ATR/51/VOZ 0129-0165. 552 « Take Up Arms and Liberate Yourselves », MS 536/13 ZAPU songs, Julie Frederikse’s Files ; « Zimbabwe Nyika Yatinoda », Martha Lane, The Blood that Made the Body Go, op. cit., p. 609 ; « Tochema kuZANU », Martha Lane, The Blood that Made the Body Go, op. cit., p. 631. 553 De mahdi, « le bien guidé », en arabe. Au Soudan, Muhammad Ahmad ibn Abd Allah Al-Mahdi (18441885) s’élève contre la domination coloniale britannique et prend Khartoum. Les Britanniques ont craint la résurrection de mouvements mahdistes pendant de nombreuses années. Voir sur ce sujet, Philip WARNER, Dervish. The Rise and Fall of an African Empire, Londres, Macdonald & Co., 1973. 554 Nous empruntons l’expression, tout en ayant conscience d’en adapter les connotations, à l’anthropologue Andrea CERIANA MAYNERI, Sorcellerie et Prophétisme en Centrafrique : L’imaginaire de la dépossession en pays banda, Paris, Karthala, 2014, à propos d’une figure réelle du prophétisme en Centrafrique : Ngoutidé (né Raymond Gonemba-Obal). 555 Sur le prophétisme en littérature, et la description de ses poétiques, nous nous reportons à Louiza KADARI, Pierre LEROUX, Tumba SHANGO LOKOHO, Prophétismes ou Discours de l’entre-deux voix : Francophonies africaines, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2015. 306 dévastatrices de la colonisation britannique. Le narrateur ne peut que confirmer après coup la lucidité du personnage : « Grandmother’s forebodings could no longer be ignored. White people were increasing in number »556 [Les prédictions de Grandmère ne pouvaient être ignorées plus longtemps. Le nombre des Blancs s’accroissait.] (An IllFated People, p. 213). La première partie de la citation montre bien que les prophéties qui se révèlent justes sont toujours ignorées et rejetées par le corps social. On n’atteste de la lucidité du personnage-Cassandre qu’en éprouvant les conséquences funestes de ses prédictions. Nous l’avons vu plus haut557, Sarraounia échoue aussi à prévenir ses voisins du danger que représente la colonisation. Elle tentera, en vain, de réunir une coalition des Noirs pour lutter contre la colonne Voulet-Chanoine. Néanmoins, une seconde prophétie a un dénouement moins funeste pour les habitants de Lougou, puisqu’elle annonce la dissolution de la colonne : — Qu’ils viennent les charognards. Qu’ils viennent nous trouver au cœur de la forêt sacrée ! […] Par le ventre du diable, par le tonnerre et le froid de la mort, nous ne bougerons pas d’ici d’un pouce. Que ces maudits envahisseurs restent dans les ruines de nos maisons si tel est leur plaisir, mais ils nous auront sur le dos à chaque instant du jour et de la nuit. (Mamani, p. 151-152) Ce thème de la victoire rétrospective de Sarraounia a fait l’objet de nombreuses réécritures, que nous analyserons dans la section suivante, consacrée aux glorifications de la défaite. Samori a, lui aussi, échoué à rassembler ses voisins autour de lui pour créer une union africaine. Quelques pièces de théâtre réutilisent la vision prophétique pour en faire un ressort dramatique : il s’agit des pièces de théâtre sur Karamoko. Il y a alors un transfert des qualités prophétiques du père vers le fils. Dans Le Fils de l’Almamy de Cheik Aliou Ndao et Une hyène à jeun de Massa Makan Diabaté, le personnage de Karamoko est tiraillé entre deux désirs contradictoires : être digne de son père et néanmoins annoncer la supériorité des armées françaises. Le drame intérieur qui se joue est tout à l’honneur de Keme Bourema, qui ne prophétise que dans l’espoir de sauver son peuple, contrairement à la pièce Les Sofas, où les motivations du personnage sont plus 556 Le même ouvrage montre la défiance initiale de Nehanda à l’égard de la rébellion, avant de s’y rallier. An Ill-Fated People, op. cit., p. 120. 557 Voir supra, Deuxième partie, Chapitre 1, section « Désunion des Noirs : le thème de l’occasion manquée ». 307 douteuses. Sa femme Sendi sert de confidente, et écoute le dilemme de son mari, pris entre deux exigences contradictoires : KARAMOKO. – Ah ! L’honneur d’un fils : égaler le père ou le surpasser. Comme je respecte Almamy ! Je suis la cime de ses enfants, pourtant il répugne à l’injustice. En m’enseignant le Devoir, il m’a dicté la résistance à la blessure de la conscience. Ai-je trahi son idéal ? […] (Un silence) Me voici solitaire devant mon débat. Nul n’est capable d’y entrer. Je porte ma charge à bout de bras. (Un silence) L’armée doit savoir !! (Le Fils de l’Almamy, p. 43-44) Au nom même de l’enseignement transmis par son père, Keme Bourema décide de lui désobéir. Le fils se retrouve dans la situation paradoxale de désobéir à son père par amour pour lui. Il doit lui être infidèle pour lui être pleinement fidèle. La fin de la délibération aboutit à une formule lapidaire (« L’armée doit savoir !! »), qui clôt sa tirade, au désespoir de Sendi et de Maliba, le griot de Samori. La même douleur de Karamoko, de savoir ce que les autres ne savent pas, et de prévoir ce que les autres ne voient pas, se lit dans l’extrait suivant, tiré d’Une hyène à jeun : DIAOULÉ KARAMOKO, comme rêvant – Plus tard ! Bien plus tard, les générations éloignées de nos préjugés comprendront peut être que ce fut pour moi un devoir sacré de crier du haut d’une estrade : « Assez de sang versé. A l’heure où grondent les menaces, brandissons nos antique sagesse ». (Il tend la main à son frère comme pour le remercier avant d’ajouter) Sarankegni Mori, je te le dis en vérité ! Je préfère la mort vive arrachant la chair aux os, à l’humiliation, la mort morale. […] NIATAGA MORY – Ce jeune homme a beau clamer que notre combat est perdu d’avance, on ne l’entend pas. SOTIGUI – Quand il arrête de prophétiser notre défaite pour demander un peu d’eau ou de nourriture, on la lui apporte. (Une hyène à jeun, p. 103) Les paroles de Sotigui et de Niataga Mory ont une valeur didascalique : ils commentent la scène, en en soulignant le caractère dramatique. Karamoko y est caractérisé comme un prophète (« prophétiser notre défaite »), condamné à n’être pas écouté (« on ne l’entend pas »). Le « personnage prophétique » manifeste à la fois de sa toute-puissance (avec une lucidité exceptionnelle) et de sa parfaite impuissance (en n’étant jamais écouté). Cette double caractérisation se retrouve dans un autre lieu commun de l’écriture des résistances 308 à la colonisations : les harangues, qui précèdent l’affrontement contre les Blancs. Elles sont toujours extrêmement construites, et manifestent une union collective, alors que l’issue de la bataille est quasiment toujours en défaveur des trois figures de notre corpus. Les harangues : mise en scène du collectif, au seuil de la défaite Les trois figures ont, dans les textes du moins, mené leurs armées en guerre. Juste avant le combat, la harangue est un topos, un lieu incontournable de la mise en scène du héros. Il se donne à voir comme chef, et de son discours doit se dégager son programme de résistance. C’est donc bien d’un appel à la guerre qu’il s’agit, mais toujours doublé d’un discours sur la société future, qui émergera du combat, et par conséquent un discours tourné vers le futur. Hormis les harangues présentes dans le scénario de Sembène Ousmane (volume 2, plans 1049-1059, avant l’exode vers l’Est558), nous n’avons repéré que très peu de discours de Samori à son peuple, avant la bataille. En revanche, ceux de Nehanda ont eu un vif succès. Les premiers textes connus sur Nehanda traitent de l’appel à la guerre : il s’agit des poèmes présents dans Feso, de Solomon Mutswairo, qui ont été déclamés en place publique : "NEHANDA! You great earthly spirit! A mighty Lioness! Oh Great One of ancient times! With fear, they quaked hearing your voice In the Pande tree near a flat rock. You ordered, "Go warriors! and destroy Those Vanyai gathered in the north. Fight, my heroes! […] Nehanda! I say, "Arise! and help us!"" (Feso, p. 29-30) [« Nehanda ! Toi, grand esprit de la terre ! Lionne puissante ! Oh, héroïne des temps anciens ! Ils tremblèrent de peur en entendant ta voix Sous l’arbre Pande près d’une pierre plate. Tu leur commandas : « Allez, guerriers ! et détruisez Ces Vanyai rassemblés dans le nord. Battez-vous, mes héros ! […] Nehanda ! dis-je « Relève-toi et aidenous ! »] Le chantre appelle Nehanda, au début et à la fin de l’extrait, en retranscrivant les injonctions de Nehanda : la harangue559 est en quelques sorte insérée dans un poème, qui 558 Nous citerons ce discours dans la Troisième partie de l’étude, voir infra, chapitre 1, « Ethos et transvalorisation : de la structure à l’agrammaticalité pour expliquer la figure ». 559 L’oralité, et les insertions de style oral, sont repérées comme des signes du roman zimbabwéen par Emmanuel Mudhiwa CHIWOME, « The Interface of Orality and Literacy in the Zimbabwean Novel », Research in African Literatures, 29 (1998/2), p. 1‑22. Voir aussi Maurice Taonezvi VAMBE, African Oral Story-Telling Tradition and the Zimbabwean Novel in English, Pretoria, Unisa Press, 2004.Nous pourrions bien sûr élargir ces analyses, qui ne valent pas pour le seul Zimbabwe, mais pour une certaine vogue de ce 309 a lui-même servi, en tant que tel, d’injonction à la révolte. Il y a un emboîtement des discours et des usages autour de ce poème. La modalité exclamative, l’impératif, les injonctions, et le thèmes mêmes de la harangue se retrouvent dans les Chimurenga songs, notamment le chant intitulé « Take up arms and liberate yourselves »560. Dans Year of the Uprising561, Stanlake Samkange reprend ce thème quasiment de manière inchangée, bien que le texte soit centré sur Chaminuka. Les parallèles avec Nehanda sont remarquables. Ainsi l’oracle déclare-t-il, dans le site de Great Zimbabwe : Put handles on your assegais! Let them who hid their arms When the white men came, From their hiding places take them, Clean them! (Year of the Uprising, p. 41) [Emparez-vous de vos sagaies ! Détournez-vous de ceux qui ont caché leurs armes Quand sont venus les Blancs, De leurs cachettes prenez-les, Nettoyez-les !] Le peuple rassemblé dans ce lieu symbolique de cohésion nationale entérine avant l’heure une union shona et ndebele (en formant, dans le texte un « nous collectif », pour reprendre l’expression d’Ursula Baumgardt562). Flora Veit-Wild souligne le caractère improbable et peu cohérent d’un tel scénario 563 . En revanche, l’un des plus beaux discours de Nehanda, et l’un des plus aboutis, est certainement celui d’Yvonne Vera. Il s’agit du seul endroit dans le roman où le terme « spirit medium » apparaît, et il fait figure de consécration du personnage : She turns around and points to the hill once again, and she keeps her eyes focused there. The tears in her eyes form deep rippling horizons. “We were not prepared for such a long journey. We did not think we could live long enough to witness an arrival. Still, we prayed. Our heavy feet sought the run but did not find it. Reluctantly, we witnessed the slow invasion of the land. […] Together, with our spears and our hard work we must send the enemy out of our midst…” The crowd retreats from her, respecting her command of the ground, her territorial claims. The people listen to the voice of their ancestors. […] “I am among you. I carry the message of retribution. The land must be cleansed with your blood. You must fight for what belong to us, and for your departed.” que nous pourrions appeler l’« effet-oral » dans le roman après les indépendances, sur l’ensemble du continent. 560 NAZ, MS 536/13 ZAPU songs 1970’s, Julie Frederikse Files, Manuscripts section. 561 Stanlake John Thompson SAMKANGE, Year of the Uprising, op. cit. 562 Ursula BAUMGARDT, Goggo ADDI, Une Conteuse peule et son répertoire : Goggo Addi de Garoua, Cameroun! : Textes et analyses, Paris, Karthala, 2000. Ce qui est également l’une des caractéristiques de la chanson populaire, d’après Sarah FILA-BAKABADIO, Giulia BONACCI, Musiques populaires : Usages sociaux et sentiments d’appartenance, Paris, EHESS, Centre d’études africaines, 2003. 563 Flora VEIT-WILD, Teachers, Preachers, Non-Believers : A Social History of Zimbabwean Literature, op. cit., chapitre 12 sur Stanlake Samkange, section « Mythologising History », p. 126-127, qui est extrêmement critique sur l’ouvrage, et sur ce passage en particulier. 310 Nehanda’s trembling voice reaches them as though coming from some distant past, some sacred territory in their imaginings. It is an alluring voice, undulating, carrying the current of a roar that reminds them of who they have been in the past, but it is also the comforting voice of a woman, of their mothers whom they trust. Her voice throws them in the future, and she speaks as though they have already triumphed, as though they only looked back at their present sorrow. But again she abandons that voice and brings them back into their present sorrow. The crowd recognizes and salutes the spirit medium that has been sent to them for the sake of their relief. […] “Rise up, I say. Rise up and fight”. (Nehanda, p. 50-55) [Elle se retourne et pointe à nouveau du doigt la colline, et elle garde ses yeux rivés sur celle-ci. Les larmes dans ses yeux forment de profonds horizons ondoyants. « Nous n’étions pas préparés à un si long voyage. Nous ne pensions pas que nous pourrions vivre assez longtemps pour assister à une arrivée. Nous avons quand même prié. Nos pas lourds ont cherché à courir mais n’y sont pas arrivé. À regret, nous avons assisté à la lente invasion de notre terre. […] Ensemble, avec nos lances et notre dur labeur, nous devons repousser l’ennemi hors de nos rangs… » La foule recule devant elle, respectant son commandement sur la terre, ses revendications territoriales. Le peuple écoute la voix de ses ancêtres. […] « Je suis parmi vous. Je porte le message de la rétribution. La terre doit être lavée par votre sang. Vous devez vous battre pour ce qui nous appartient, et pour vos défunts. » La voix tremblante de Nehanda les atteint comme si elle provenait de quelque passé lointain, quelque territoire sacré de leur imagination. C’est une voix attirante, ondulante, portant le courant d’un grondement qui leur rappelait qui ils avaient été par le passé, mais c’est aussi la réconfortante voix d’une femme, de leurs mères en qui ils ont confiance. Sa voix les projette dans l’avenir, et elle parle comme s’ils avaient déjà triomphé, comme s’ils ne faisaient que regarder en arrière vers leur tristesse actuelle. Mais, à nouveau, elle abandonne cette voix et les ramène dans leur tristesse actuelle. La foule reconnaît et salue la médium qui leur a été envoyée pour leur salut. « Debout, dis-je. Debout, et en avant564 ! »] Le motif topique « Rise up and fight » se retrouve dans la fin de l’extrait cité. Mais l’auteure étend largement ce simple cri de guerre en en faisant une dénonciation de la colonisation, doublée d’une revendication de reconquête de la terre. Au centre, un paragraphe entier est consacré à l’analyse de la voix de la médium565. L’art oratoire y est décrit avec minutie, en focalisant la description sur la capacité à relier passé, présent et avenir. Sa voix est celle des ancêtres (littéralement, une voix d’« outre-tombe »), et elle ne fait entrevoir le futur que pour inciter à l’action, dans le temps présent. Le médium 564 Rise up (« se lever, ressusciter ») rappelle la prophétie « my bones shall rise again », impossible à traduire dans cet appel aux armes. (de même que « Arise ! » du poème de Feso, cité précédemment) 565 Pour une autre analyse de la voix de Nehanda et du rythme de son discours, voir aussi An Ill-Fated People, p. 120. 311 joue bien son rôle de médiation, de lien entre les temporalités. C’est parce que le peuple entrevoit (« entre-voit », « voit à travers elle », pourrait-on dire) la victoire future qu’il est galvanisé pour la lutte imminente. Les harangues de nos figures sont également traversées par un autre thème, la défense de l’honneur. Abdoulaye Mamani le résume sous le substantif « NOM », écrit en majuscules, qui scande le discours de Sarraounia : — Je tapisserai mon trône de leur peau de singes. Qu’ils viennent, nous les recevrons comme on reçoit les bandits de leur espèce. […] N’oubliez pas qu’en luttant pour défendre nos foyers et notre liberté, nous nous battons aussi pour l’honneur de tous les Aznas, pour le NOM des Aznas ! Oui ! nous nous battrons jusqu’à la mort pour que, quand nos os auront blanchi dans le sable, nos griots, les fils de nos griots, les petits-fils de nos griots chantent le courage et l’honneur des Aznas. Je n’ai pas donné de fils aux Aznas mais je leur lèguerai plus qu’un fils, plus que la vie, plus que toutes les richesses, je leur lèguerai un NOM. J’ai donné aux Aznas la fierté d’ÊTRE. […] Une chose est certaine : seul le nom survit à l’homme. (Mamani, p. 116) Le discours sur le nom est tout à fait similaire dans le film Sarraounia de Med Hondo, ce qui est peu étonnant, puisque c’est Abdoulaye Mamani lui-même qui signe l’adaptation et les dialogues. Le nom est atemporel, puisqu’il survit à la mort de celui qui se bat pour lui (de manière similaire, quoi que légèrement différente, l’esprit « Nehanda » survit à la mort de son médium). C’est la noblesse du nom, acquis sur le champ de bataille, qui justifie le lancement de l’écriture (l’écrivain Mamani se présentant, dans cet extrait, comme un homologue des griots) : il est le garant de la mémoire. Appartenant à un genre différent, mais qui n’est pas dépourvu de ressemblances, les chants à la gloire de Keme Bourema, le frère de Samori, reconstruisent des représentations similaires du nom et de l’honneur. Deux chants de la RTG, en particulier, consacrent de longs développements à ce thème évoqué dans Sarraounia. On pourrait presque dire que les hymnes des héros sont des sortes de harangues, puisqu’ils exhortent les descendants du guerrier à égaler leurs ancêtres, que la filiation soit symbolique ou non. Le mécanisme est le même que pour le « miroir des princes » : il s’agit de ne pas déchoir 566 et de 566 Parallèlement à ces deux chants de la RTG qui fonctionnent en miroir dans une symétrie quasi-parfaite, nous proposons un autre type de « miroir des princes » sur le même modèle généalogique : Sory CAMARA, « Merci Ture », généalogie de Sékou Touré chantée par Jeli-Kaba, in Gens de la parole : Essai sur la condition et le rôle des griots dans la société malinké, Paris, Karthala, 1992, p. 279‑281. Nous n’en citons qu’un court extrait évocateur : Merci Ture « Le bon souverain de K#niña Moriba S#n#ni de K#niña ; celui-là sonda l’avenir : L’égal de l’éléphant ne peut être que sa métamorphose [Moriba Sononi est un devin qui a prédit un brillant avenir à Sékou Touré. Suivent les villages alliés traditionnels des Touré :] Les quatre villages de Komoriba 312 correspondre au modèle loué et magnifié par le texte. Il faut, pour l’auditeur, se rendre digne de son ascendance. C’est que le nom, on l’achète [par le sang, par les exploits] Le nom, on ne le prête pas Le nom, on le mérite La terre peut manger l’homme, la terre ne mange pas ton nom Le linceul peut manger l’homme, le linceul ne mange pas ton nom Les termites peuvent manger l’homme, les termites ne peuvent pas manger ton nom Le nom on ne l’achète pas, mais on le mérite par les actes posés (« Keme Bourema », Balla et ses Baladins) Le nom, on ne l’achète pas Le nom, on ne le prête pas Mais le nom, il faut le mériter Quand on achète le nom, ça ne dure pas Quand on prête le nom, ça ne dure pas Quand on mérite le nom, on le chantera La terre peut manger l’homme, mais la terre ne mange pas ton nom La guerre peut manger l’homme, mais la guerre ne mange pas ton nom Le linceul peut manger l’homme, mais le linceul ne mange pas ton nom Les termites peuvent manger l’homme, mais les termites ne mangent pas ton nom (« Keme Bourema », Sory Kandia Kouyaté) Les deux extraits ne sont contradictoires qu’en apparence. Sory Kandia Kouyaté expose l’hypothèse la plus courante : le nom ne s’achète pas ; autrement dit, ni la richesse, ni l’entourage ne font le nom. Ce ne sont que les actes qui prouvent la valeur réelle d’un homme. La version de Balla et ses Baladins reprend et module cette dernière proposition, en suggérant que ce sont les exploits qui « achètent » le titre de brave. Malgré la contradiction littérale, c’est bien le même motif de la renommée gagnée au champ d’honneur, que l’on retrouve dans Sarraounia. Les cinq de Josomori, W%r%la. Le prince de Kisidu Dulu épousa Fadika Duluku Joman% Cheval de jeune marchand [comparaison de Sékou Touré aussi fougueux qu’un étalon] Les Mori Kana. Moi je dis : cette année, Ne fais point honte à toi-même, Cinquante-six [1956, date de formation du RDA au moment de la loi-cadre : injonction à Sékou de se conformer aux idéaux de son entrée en politique] Cousin de Semari [il s’agit toujours de Sékou Touré] Ah Ture, ah Ture, merci ! » (p. 279) 313 La harangue est le lieu d’une dramatisation importante : le héros dit l’unité collective, au seuil du combat. Le paradoxe est que cette parole demeure sans effet, à l’intérieur de l’espace narratif, puisque l’affrontement est toujours-déjà une défaite face aux forces coloniales. Mais l’efficacité du discours se joue à un autre niveau, dans l’affirmation d’une identité collective. C’est certainement ce qui explique que la défaite est toujours louée, en tant que telle. 3. LE PARADOXE DE LA GLORIEUSE DÉFAITE « Singulière défaite où, malgré la plus horrible catastrophe, la gloire du vaincu n’a point souffert, ni celle du vainqueur augmenté », 567 Napoléon, Mémorial de Sainte-Hélène La défaite et l’éloge paradoxal Que ce soit des personnes historiques comme Napoléon ou Vercingétorix, des figures de saints, comme Jeanne d’Arc, ou encore des personnages de fiction, comme Roland dans La Chanson de Roland, la défaite est l’attribut paradoxal d’une grande série de héros. Les héros nationaux, singulièrement, ont souvent mené leurs armées à l’échec568. Cela n’empêche en rien le processus de mythification et de glorification569. Waterloo est l’une des plus glorieuses défaites de l’histoire, et Napoléon s’en targuait même à Sainte-Hélène, en exil, dans le lieu qui, précisément, symbolisait sa chute. 567 Cité dans Hervé DRÉVILLON, L’Individu et la Guerre. Du chevalier Bayard au Soldat inconnu, Paris, Belin, 2013, p. 211. 568 Pour une réflexion générale et interdisciplinaire sur l’héroïsme à l’épreuve de la défaite, voir Jean-Pierre ALBERT, « Pourquoi les héros nationaux sont-ils souvent des vaincus? », in Patrick CABANEL, Pierre LABORIE (dir.), Penser la défaite, Toulouse, Privat, 2002, p. 21‑27 ; Jean-Pierre ALBERT, « Du martyr à la star. La métamorphose de héros nationaux », in Pierre CENTLIVRES, Daniel FABRE, Françoise ZONABEND (dir.), La Fabrique des héros, op. cit. Voir aussi Xavier GARNIER, « Le poète swahili et sa légende. Le cas de Hemed Abdallah El-Buhry, dit "Mzee Kibao" », Swahili Forum, 19 (2012), p. 60-71. 569 Nous pouvons citer à ce propos la large part qu’a prise la France dans la reconstitution de la bataille de Waterloo pour le bicentenaire de la défaite, les 19 et 20 juin 2015, sa très grande médiatisation, et ce notamment à Paris. Il est encore plus notable que le site internet de l’événement (https://www.waterloo2015.org/fr, consulté le 5 août 2015), qui a une vocation internationale, est à la seule gloire de Napoléon, présenté au centre, en gros plan, comme le héros par excellence de la bataille. 314 De quoi la défaite est-elle donc le signe ? Pourquoi les vaincus n’ont-ils pas « toujours tort », pour reprendre une expression qui a eu un large succès dans l’historiographie570 ? L’écriture de l’histoire se fait par les vainqueurs, nous en sommes bien sûr convaincue. Mais le corollaire inverse n’est pas vrai : la défaite n’est en rien le synonyme du silence des vaincus. Au contraire, si l’on « pense la défaite » 571 plus que tout autre évènement, c’est qu’en tant que paradoxe, elle donne à réfléchir : elle est un appel à l’interprétation, au récit, et surtout à la réinterprétation. Et ce récit devient très vite national572. Deux éléments fondent l’intérêt de l’objet conceptuel « défaite ». D’abord, la défaite définit l’ennemi : elle est, en effet, la représentation paradigmatique de la résistance à l’ennemi. Dans la guerre se dit l’opposition frontale à l’autre, qui permet de se définir, soi. Et dans la défaite s’écrit le programme national de reconquête, en définissant ce qui est de l’ordre du soi et ce qui est de l’ordre de l’autre. Ensuite, et c’est le second élément, parce que la défaite appelle la revanche future : les différentes perceptions et les usages de la défaite ne sont qu’une prolongation continuée de cet espoir de revanche. Les vaincus peuvent revenir combattre (Samori harcelant les Français, dans le scénario de Sembène Ousmane), la victoire peut être différée (les partisans du ZANU revenant venger Nehanda ; ou Sarraounia maudissant la colonne Voulet-Chanoine), le martyr peut être réapproprié (dans les usages que fait Sékou Touré de Samori). Nos trois héros, selon les pratiques et les textes, se placent sur ce que nous pourrions appeler un vaste éventail de la défaite, avec deux pôles antithétiques (victoire/défaite) où le héros vaincu peut être soit glorifié dans cette défaite – et la souffrance de son martyr le rapproche alors de la figure du saint – soit présenté comme vainqueur en puissance, où le « devenir-vainqueur » du vaincu peut s’actualiser dans des temporalités diverses (Sarraounia finit par vaincre la colonne Voulet-Chanoine quelques semaines après le pillage de Lougou ; Nehanda « revient » soixante après qu’elle a été pendue ; Sékou Touré se présente comme l’incarnation de la revanche, soixante ans après 570 Michel de CERTEAU, L’Écriture de l’Histoire, Bibliothèque des histoires, Paris, Gallimard, 1975, « Avant propos à la seconde édition », p. 7, sur l’histoire écrite par les vainqueurs. Nous ne remettons pas en cause ce constat, nous nuançons le statut d’ordalie de la bataille : la victoire n’est pas toujours synonyme de raison ; ou plutôt : la défaite ne cesse d’être réinterprétée et réinterrogée. 571 Pour reprendre l’expression de Pierre LABORIE, Patrick CABANEL, Penser la défaite, op. cit., à propos de la « bataille de France » de 1940. Pour des examens de conscience critiques sur la défaite, par les acteurs eux-mêmes, voir Marc BLOCH, L’Étrange défaite. Témoignage écrit en 1940, Paris, Gallimard, 1990, ce qui est encore un autre point de vue sur la défaite. 572 Nous nous reportons aux acquis des études sur nationalisme et rhétorique ; notamment Ernest GELLNER, Nations et Nationalisme, trad. Bénédicte PINEAU, Paris, Payot, 1989 ; Gayatri Chakravorty SPIVAK, Nationalisme et Imagination, Paris, Payot, 2011. 315 la mort de Samori573). À partir de notre corpus, nous avons dressé un panel de postures possibles face à la défaite. Trois grandes positions émergent : la première, la plus évidente, est la mythification de la défaite (le « vaincu-martyr », à l’extrémité gauche de notre graphique, infra) ; la seconde est la célébration de la neutralité du héros (« le vaincu-pacifique », plus au centre, mais néanmoins encore proche de la figure du saint) ; la dernière, enfin, est l’inversion de la première, et s’emploie à réinterpréter la défaite en victoire (« le vainqueur-paradoxal », où la victoire est immédiate ou repoussée dans le temps, et donc résolument orientée vers le futur). La notion de « martyr »574 est l’un des termes-clé des discours politiques de Sékou Touré. Ainsi Samori est-il le premier des martyrs de la cause africaine, d’après l’ouvrage non daté, édité par le Ministère de la Jeunesse, des Arts et des Sports575. L’ouvrage est tout entier consacré à la glorification de Samori. Le poème « Dédicace aux héros africains », qui se clôt ainsi : Héros de la résistance Vous serez et resterez De tous les temps Des références permanentes et sûres Des martyrs aux causes impérissables. (p. 89) 573 Successivement dans Abdoulaye Mamani, Sarraounia, chapitres 23-24 ; Nehanda telle qu’illustrée dans les Chimurenga songs ; Ahmed Sékou TOURÉ, La Révolution culturelle. Tome XVII Œuvres, op. cit. 574 Edward BERENSON, Les Héros de l’Empire : Brazza, Marchand, Lyautey, Gordon et Stanley à la conquête de l’Afrique, op. cit., montre comment la « virilité » (p. 15) des héros coloniaux s’est construite en réaction au caractère « terne » des hommes politiques du moment. L’auteur confronte alors l’image du pacifique (Brazza) à celle du martyr-saint (Gordon), et les différentes modalités de « charisme » (p. 27) qu’ils mettent en œuvre. 575 L’Almamy Samory Touré, op. cit. 316 ouvre une galerie de photographies de résistants à la colonisation et d’acteurs de la décolonisation. Par la structure de l’ouvrage, ils sont comparés à Samori, et leur défaite est signalée par le terme « martyr », figurant dans presque toutes les légendes : « Ouezzin Coulibaly, martyr africain de la Haute-Volta » (p. 96), « Emery Patrice Lumumba, martyr africain du Congo (actuelle Rép. Du Zaïre) » (p. 97), « Dr Eduardo Chivambo Mondlane, martyr africain du Mozambique » (p. 98), « Gamal Abdel Nasser, martyr africain de la R.A.U. » (p. 99), « Dr E. Kwame N’Krumah, martyr africain du Ghana » (p. 100), « Dr Amilcar Cabral, martyr africain de la Guinée-Bissau et des Iles du CapVert » (p. 101). Le « martyr » 576 est souffrant parce qu’il est témoin de sa foi. Qu’est-ce à dire, sinon que, si Samori est bien perçu comme un martyr, c’est sur l’autel de la nation qu’il est consacré, et que la sanctification s’est opérée par l’État ? Dans ce cas, la capture joue un rôle fondamental577 puisqu’elle est le lieu de la déploration. De manière plus contemporaine, le chanteur Alpha Blondy traite de ce motif, tout en étant l’héritier de cette rhétorique de Sékou Touré. Ainsi dans « Bori Samori » : Fuis, fuis Samory, les Blancs arrivent, ils se sont juré de te tuer Fuis Samory les Nazaréens arrivent, ils se sont juré de te capturer Fuis Samory Fuis, fuis Samory x 3 Quand vous découvrez la trahison des Blancs Ils disent que vous n’êtes pas civilisés Quand vous découvrez la trahison des Blancs Ils disent que vous n’êtes pas développés […] Samory Touré, ils t’ont tué [eu] Almany Touré, ils t’ont eu ! Ba Bemba, ils t’ont eu, Lumumba, ils t’ont eu […] ! (Alpha Blondy, « Bory Samory ») La chanson se déploie uniquement dans le temps resserré de la capture, comme dans la nouvelle « Ilo Samory » de Roland Dorgelès et les récits de Gouraud578, mais en renversant évidemment le point de vue et l’axiologie. La fuite est emphatisée, pourtant la 576 « Témoin de Dieu », littéralement, d’après le Trésor de la Langue Française en Ligne. (TLFI) Nous ne reprenons que les conclusions de notre texte, Elara BERTHO, « Fictions littéraires et récits historiques de la capture de Samori!: une exploration historiographique », in Yves Person, un historien de l’Afrique engagé dans son temps, Paris, Karthala, 2015, p. 49‑63. 578 Pour le point de vue colonial, le motif de la chute et de la capture est bien évidemment, et tout à fait logiquement, inversé : c’est Gouraud qui constitue le premier intertexte en racontant la « surprise », du nom technique de la tactique militaire qui consiste à prendre de vitesse l’adversaire sans user d’armes. Sur cet officier, nous nous fondons sur le très riche ouvrage de Julie d’ANDURAIN, La Capture de Samory (1898), L’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest, op. cit. 577 317 capture demeure inéluctable. S’ensuit une longue liste, scandée, des martyrs de la colonisation, qui ressemble tout à fait à la liste dressée par le Ministère guinéen de la Jeunesse et des Sports (Lumumba est présent dans les deux listes, de même qu’Amilcar Cabral et Kwame N’Krumah). Dans les deux cas, Samori sert de référence qui initie le rappel de toute une série d’autres martyrs africains, en constituant un continuum entre 1890 et 1960 : il sert de lanceur de mémoire, de point d’accroche. Le lien est la souffrance. On retrouve le même lien métonymique, par contiguïté de souffrance, dans certains Chimurenga songs, où Nehanda est invoquée au nom de son martyr (de sa pendaison à Salisbury le 27 avril 1898). L’horizon religieux est encore plus net que dans le chant d’Alpha Blondy, pour des raisons génériques (la structure du chant aux ancêtres est en soi porteuse de connotation religieuses), et pour des raisons internes aux figures (Nehanda est un esprit, au-delà de son médium Charwe – Samori ne l’est pas). L’apostrophe (« Grandmother Nehanda ») se répète avec Chaminuka – l’autre médium initiateur de la révolte du Mashonaland – ainsi qu’avec Robert Mugabe et Leopold Takawira579 – deux membres permanents du ZANU. Ils sont érigés en saints, aux côtés desquels se jauge la souffrance du peuple zimbabwéen, opprimé par les forces coloniales. Titarireyi / Guard over us580 Nhandi vaNehanda mudzimu wedu baba Titarirei mambo tidzoke Zimbabwe Mudzimu woye, mudzimu woyere ! Titarie mambo […] Iye zvino kana vari kunetseka Vana mai vedu varikutambura Vana baba veduwo kani vari kunetsewa Vachauya rini titore Zimbabwe ? Mudzimu woye mudzimu woyere ? Titarire mambo Mudzimu woye mudzimu woyere Titarire mambo Grandmother Nehanda, our ancestral spirit, Look after us lord so we may return Ancestral spirit, to Zimbabwe ! Guard over us Lord […] Today people are suffering Our mothers are suffering Our fathers are suffering When shall we repossess Zimbabwe ? Ancestral spirit Ancestral spirit Guard over us 579 Leopold Takawira (1916-1970) a été Secrétaire des affaires extérieures du ZAPU, avant de suivre Ndabaningi Sithole et la nouvelle formation du ZANU, en 1963. L’année suivante, il est emprisonné, aux côtés, entre autres grands noms de la résistance, de Robert Mugabe. Il y restera jusqu’à sa mort. Il est possible que le chant « Titarireyi » ait été composé en célébration de sa mort en détention, mais nous n’avons aucune certitude sur les dates et les circonstances de composition de ces chants. 580 NAZ MS 536/13 ZAPU songs 1970’s, Julie Frederikse’s files. Voir le parallèle avec le chant cité dans Ruth WEISS, The Women of Zimbabwe, op. cit., p. 30. Nous l’avions cité et commenté, supra, Première partie, Chapitre 1, section « L’institutionnalisation maximale du héros culturel : vers un appauvrissement des textes ? ». 318 [Grand-mère Nehanda, notre esprit ancestral Veille sur nous, Seigneur, pour que nous puissions rentrer Esprit ancestral, au Zimbabwe ! Protège-nous Seigneur […] Aujourd’hui, les gens souffrent Nos mères souffrent Nos pères souffrent Quand reprendrons-nous le Zimbabwe ? Ancêtre spirituel Ancêtre spirituel Protège-nous.] C’est tout le peuple qui souffre (« people/mothers/fathers »), et Nehanda est appelée à les prendre en pitié, sur le modèle d’une mater dolorosa. Le registre pathétique vise à donner du courage aux destinataires et aux chanteurs des Chimurenga songs : c’est pour les délivrer de l’oppression coloniale que la révolte armée est nécessaire. Le tableau du martyr est un appel à la révolte, sous les auspices de Nehanda. Il s’agit de faire voir la souffrance – ou simplement de la dire, et de la répéter de manière litanique pour l’affirmer avec plus de force – afin de créer une identité commune, contre un ennemi qui n’est jamais nommé. Il y a continuité de souffrance entre les esprits protecteurs (Nehanda), les membres du ZANU emprisonnés (Mugabe, Takawira), le peuple zimbabwéen, les soldats du ZANU qui chantent ces textes : l’élément commun est le martyr, avec de manière implicite, l’horizon de la sainteté581. Le héros « témoigne de sa foi » en une victoire future, pour reprendre l’étymologie du terme, et accepte de souffrir pour que d’autres réussissent ce qu’il n’a pu achever. La défaite est nécessaire à l’argumentation dans ces deux cas (Samori chez Sékou Touré et Alpha Blondy ; Nehanda dans les Chimurenga songs) : la posture de la déploration constitue un argument de lutte contre l’oppression (qu’elle soit néocoloniale, tant chez Sékou Touré que chez Alpha Blondy, à des dizaines d’années de distance ; ou coloniale dans les chants du ZANU). Nehanda est également présentée comme une résistante pacifique : elle incarne alors la seconde posture que nous avions dégagé sur le graphique, où la lutte ne passe pas par les armes mais par l’opposition pacifique, à l’instar de Gandhi et de la résistance nonviolente. C’est le cas dans Nehanda d’Yvonne Vera, où l’héroïne se rend pour protéger 581 Nous ne développons pas un autre exemple sur Nehanda, de la souffrance du vaincu-martyr, orientée vers la sainteté : dans Death Throes, de Samupindi, chapter 4, sur sa condamnation à mort. « She now stood at the centre of the stage. The stage where the drama of the mortals is acting out. […] She screamed. Reltentlessly. […] She sobbed. She was now strained like a bow-string » (p. 41-42). 319 son peuple : « They find her sitting in a clearing, waiting »582 (p. 94, chapter 25). Le pronom « they » renvoie aux colons, ou aux soldats de la Mounted Infantry du Lieutenant Général Alderson 583 . Les participes présents (« sitting, waiting ») renforcent la disproportion entre les armées britanniques, venues conforter la BSAC, et la résistance non-violente qui leur est opposée. Ce mode de résistance n’est pas attesté, et la reddition de Nehanda constitue vraisemblablement une invention d’Yvonne Vera. Ce choix narratif est très intéressant : en effet, affirmer que Nehanda s’est rendue de son plein gré équivaut à redonner du pouvoir à la figure, en suggérant que son choix était voulu et non subi, et qu’il était, en outre, motivé par un altruisme qui confine à la sainteté. Le héros se sacrifie pour sauver son peuple. La défaite en est réappropriée. C’est le seul exemple de notre corpus où le héros fait le choix de la capitulation. Il existe des textes où la bataille est euphémisée, éludée, ou le versant guerrier de la confrontation est rejeté dans le hors texte (comme dans Sarraounia d’Abdoulaye Mamani, par exemple). Mais l’abandon des armes n’est pas présenté de manière aussi frappante qu’ici. Plus courant, en revanche : la troisième posture face à la défaite, à savoir la l’analyse rétroactive en victoire584. La version la plus explicite de cette réanalyse est donnée dans un livre pour enfants, le petit ouvrage illustré Sarraounia, d’Halima Hamdane. L’auteure présente ainsi la prise de Lougou : À la grande surprise des vainqueurs, la cité était déserte. Sarraounia et son peuple avaient gagné la forêt. Les soldats africains qui combattaient pour les Français refusèrent de poursuivre les Aznas. Ils avaient peur des pouvoirs magiques de Sarraounia. Car, même si elle n’avait pas gagné la bataille, elle avait réussi à sauver son peuple. Les Français ne purent jamais la retrouver. C’est ainsi que Sarraounia resta pour toujours dans les esprits et dans les cœurs comme la belle reine magicienne qui triomphe des colonisateurs. (p. 20)585 582 Nous ne développons pas cet exemple, puisque nous avions déjà cité ce paragraphe de Nehanda, pour d’autres aspects du texte, dans le chapitre précédent. Voir supra, section « Nehanda : le cycle, et la bataille comme centre vide ». 583 NAZ Biographical note, Lieutenant General Sir Edwin Alfred Hervey Alderson. 584 Pour une comparaison de cette revalorisation de la défaite à partir de l’exemple de l’Iliade, voir Florence GOYET, Penser sans concepts : Fonction de l’épopée guerrière, Bibliothèque de littérature générale et comparée, Paris, H. Champion, 2006, section « La victoire des vaincus », p. 185-210. 585 Ce livre pour enfants cite ses sources, et affirme avec force la véridicité de la version rapportée. Ainsi trouve-t-on, en fin d’ouvrage, la mention suivante : « Tu as lu ce livre ? Sais-tu qu’il raconte une histoire qui s’est vraiment passée ? Elle a été relue par le professeur Boubé Gado, historien et archéologue. Il enseigne actuellement à l’université Abdou Moumouni (Niamey, Niger). » (p. 23). 320 La victoire de Sarraounia est paradoxale : elle a perdu militairement – puisque Lougou a été évacuée et que les Français l’ont pillée – mais elle a gagné sur d’autres plans, que l’auteure développe en plusieurs points. Sur le plan tactique, sur le plan magique, sur le plan mémoriel : d’abord, il n’y a pas eu de prises de guerres ni d’esclaves (« la cité était déserte »), ensuite, il n’y a pas eu de poursuite par peur de ses pouvoirs magiques, enfin, sa renommée est devenue un emblème de lutte anticoloniale, et même de « triomphe » face à la colonisation. Le renversement est complet entre les propositions « même si elle n’avait pas gagné la bataille », et « la belle reine magicienne qui triomphe des colonisateurs ». L’ensemble de la page vise à expliquer le bien-fondé de ce renversement paradoxal : « elle a perdu mais elle a triomphé ». Précisément, ce renversement est préparé dans les premières mentions de Sarraounia issues du Grand Capitaine de Jacques-Francis Rolland586, et il est surtout préparé587 dans le premier roman consacré entièrement à Sarraounia, celui d’Abdoulaye Mamani, où la victoire magique est déjà suggérée. Dans l’avant-dernier chapitre, en effet, Voulet délire et peste contre ce que les Africains retiendront de la bataille de Lougou : J’entends déjà leur maudit tam-tam colporter la fastidieuse nouvelle à travers les hameaux et les villages de la brousse : « Sarraounia a résisté aux nassaras. Sarraounia a chassé les nassaras de son pays. Sarraounia est forte et invincible. Elle a défendu sa cité et ses gens contre les envahisseurs. Elle a tenu tête aux Blancs malgré leurs fusils et leur puissant canon. La grande armée des nassaras en déroute devant les fétiches de la Sarraounia » – et d’autres sornettes… (p. 149) Compte tenu de l’énonciateur et de sa caractérisation de brute perverse tout au long du roman, le lecteur est invité à lire ce passage comme programmatique, et non pas comme une déploration : les regrets de Voulet se transforment, à la lecture, en glorification de Sarraounia. Ce qu’il considère comme relevant de la croyance magique, et donc du faux (« Sarraounia est forte et invincible » par exemple), est inversé de manière positive en énoncé vrai : l’énoncé change de réalité, entre la distance que prend le personnage Voulet imaginant les louanges futures de Sarraounia, et le lecteur prenant 586 Sur les croyances en une victoire magique de Sarraounia dans Le Grand Capitaine, voir p. 42 : « Nous aurions dû laisser un message à Chanoine en le suppliant de capturer coûte que coûte la Sarraounia, de lui couper la tête, de la crucifier à un arbre, comme un corbeau. Nous avons été stupides. Tant qu’elle est en vie, sa malédiction nous poursuivra » dit Joalland. 587 Relevons par exemple les nombreux parallèles entre les deux extraits sur Sarraounia, entre le roman de Mamani et l’illustré pour enfants de Hamdane : « elle avait réussi à sauver son peuple » (Hamdane), « elle a défendu ses gens contre les envahisseurs » (Mamani) ; « elle […] triomphe des colonisateurs » (Hamdane), « Sarraounia a chassé les nassaras de son pays » (Mamani) ; « ils avaient peur des pouvoirs magiques de Sarraounia » (Hamdane), « la grande armées des nassaras en déroute devant les fétiches de la Sarraounia » (Mamani). 321 lui-même de la distance face à l’énonciateur. Au second degré, la distance s’annule, et l’on est poussé à adhérer à l’hypothèse d’une victoire magique de la reine de Lougou, rétroactive, qui pousse les colonisateurs à s’entre-tuer, et qui châtie les oppresseurs. Un autre degré de réanalyse est franchi dans le film Sarraounia de Med Hondo, où la victoire n’est plus présentée comme paradoxale, mais comme tout à fait effective, bien que rétroactive : Sarraounia a, dans le récit, triomphé des Blancs puisqu’elle réintègre son village, tandis que les deux capitaines sont tués par leurs tirailleurs quelques temps après le départ de Lougou. Tandis que l’hypotexte d’Abdoulaye Mamani présentait une issue relativement neutre, puisqu’aucune des deux armées ne regagnait son camp (ce qui était déjà une réanalyse de la défaite historique), l’œuvre de Med Hondo renforce cette tendance en soulignant la déroute de l’armée coloniale. Le combat à Lougou y a une place très importante, la focale est placée sur les différentes tactiques de repli (de la forteresse vers la forêt, en établissant des barrières de feu ; en utilisant des tactiques de salves pour les armes de jet 588), ainsi que sur les morts des tirailleurs, qui semblent bien plus importantes que les « 4 tués et 6 blessés » officiels589. Par un effet de montage, le pillage de Lougou est immédiatement associé à la mort des deux capitaines, d’ailleurs présentée au cours du même jour590 dans un effet de concentration. L’agencement et l’effet de superposition induisent à penser que la chute des officiers français est due à une punition magique, due à la colère de Sarraounia. La réinterprétation de la défaite y est donc radicale, par rapport à l’intertexte d’Abdoulaye Mamani : Sarraounia rentre dans son village, auréolée de gloire et chantée par ses griots, dans un plan large qui amène le générique de fin. La figure devient victorieuse, de manière rétroactive : non pas sur le champ de bataille, mais dans l’après-coup, c’est-à-dire après la mort des ennemis, dans la refondation de la communauté qui se forme dans l’osmose entre les anciens tirailleurs déserteurs et les habitants de Lougou. 588 Voir en annexes des exemples de plans du repli stratégique, en alternance de plans fixes, p. 795-796. Muriel MATHIEU, La Mission Afrique centrale, op. cit., p. 135, qui cite : Octave Frédéric François MEYNIER, La Mission Joalland-Meynier, Paris, Éditions de l’Empire français, 1947 ; Jules JOALLAND, Le Drame de Dankori : Mission Voulet-Chanoine. Mission Joalland-Meynier, op. cit. Sur les combats menés à Lougou et Tongana, dans les archives, voir SOM FM/DAM/16 Deuxième partie, déposition de Pallier du 28 juin 1900 qui mentionne Lougou, et l’existence d’une « sorcière » ; déposition de Joalland à Konakry du 21 février 1901, sur les « combats vifs » à Lougou ; déposition du Sergent Major Laury à Saint Louis le 2 juillet 1900 pour qui « le capitaine Voulet avait eu à Lougou quelques résistance à vaincre ». 590 Lougou est prise le 15 avril 1899 ; Chanoine est tué le 16 juillet 1899, et Voulet le 17 juillet 1899. Chez Med Hondo, les deux tirailleurs qui mettent en joue les capitaines expliquent ainsi leur rébellion : « Ce ne sont pas nos affaires. Ce sont des affaires de Blancs », en plan américain, face caméra, de telle sorte que le spectateur est placé dans la posture des deux capitaines. 589 322 La victoire est également rétroactive chez Nehanda, mais sur une échelle temporelle bien plus grande : les chants partisans présentent, en effet, la lutte armée du ZANU et du ZAPU comme le résultat de la résurrection de Nehanda (en actualisant la formule « my bones shall rise again »). Le « devenir-vainqueur » de la figure se joue alors sur plusieurs décennies de distance, et non plus sur quelques semaines pour Sarraounia. Cette réanalyse de la défaite se fait tout d’abord sur la négation de la mort, que l’on retrouve bien au-delà des seuls chants partisans, et qui caractérise presque tout notre corpus sur Nehanda. Le roman Death throes en donne une illustration originale puisque les derniers mots du texte sont une critique du certificat de décès du médecin légiste de Salisbury591 : OBITUARY 27th April 1898 “I certify that I have examined the body of Nehanda, upon whom sentence of death has been executed, and that life is extinct” Signed: District Surgeon for Salisbury. The Surgeon was wrong. So very wrong! (p. 42) [NECROLOGIE 27 avril 1898 « Je certifie avoir examiné le corps de Nehanda, sur qui la peine de mort a été exécutée, et que toute vie en est éteinte » Signé : le Médecin Chef du District de Salisbury. Le Médecin avait tort. Tellement tort !] Les deux dernières phrases manifestent la survie de l’esprit Nehanda malgré la mort de son médium, Charwe, et annoncent implicitement que la seconde Chimurenga sera l’aboutissement de la première. C’est donc une manière conventionnelle de légitimer, dix ans plus tard, en 1990, la victoire de 1980 du ZANU. Mais le moyen utilisé, la contestation frontale de la pièce d’archive (« The surgeon was wrong »), par une lecture seconde, reste très intéressant. D’une manière similaire dans le roman Nehanda, la danse de Nehanda face à M. Browning qui était venu tenter de la convertir au christianisme avant sa pendaison, manifeste cette vision à long terme de la victoire future : Mr Browning continues talking. 591 Que nous reportons à la pièce d’archive suivante : NAZ S401-252, District Surgeon for Salisbury, 27th April 1898. 323 Her body rocks back and forth, as though she would sleep. She wants to get up and dance, but her shoulders are filled with sleep. She has heard the drums, and now she will dance the histories of her people. She dances against Mr Browning and his God, against these strangers who have taken the land, she dances the faces of her people, the betrayal of time, the growth of wisdom, the glory of their survival – a shadow, moving on the wall. She dances in harmony with the departed who protect the soil from the feet of strangers. Thorns dig deep beneath her feet and she bursts into song. Then she lets out a scream that sends Mr Browning across to the other side of the room. (p. 95-96) [M. Browning continue à parler. Son corps se balance d’avant en arrière, comme si elle allait s’endormir. Elle veut se lever et danser, mais ses épaules sont pleines de sommeil. Elle a entendu les tambours, et maintenant elle va danser les histoires de son peuple. Elle danse contre M. Browning et son Dieu, contre ces étrangers qui ont pris la terre, elle danse les visages de son peuple, la traîtrise du temps, l’accroissement de la sagesse, la gloire de leur survivance – une ombre, se déplaçant sur le mur. Elle danse en harmonie avec les disparus qui protègent la terre des pas des étrangers. Les ronces lui lacèrent la plante des pieds, et son chant éclate. Puis elle pousse un cri qui projette M. Browning de l’autre côté de la pièce. ] La victoire se joue à plusieurs niveaux implicites dans cet extrait. D’abord, au niveau politico-religieux, le représentant de la colonisation (Mr Browning) échoue à convertir Nehanda, ce qui est en soi une nuance apportée à sa défaite : la médium Charwe est pendue, certes, mais elle n’a pas abdiqué ses valeurs ni sa religion. Ensuite, dans le simple cadre de l’extrait, il est remarquable que la description de la danse de Nehanda soit enchâssée entre deux mentions succinctes des réactions de Mr Browning. Face à la première notation, Nehanda oppose, au verbal, le non verbal : contre l’argument prosélyte, la danse. Contre l’oppression matérialiste qui manipule la langue592, la vérité du corps (la danse, le cri). La seconde notation vérifie la portée magistrale de ce langage de vérité : Mr Browning est forcé de reculer. Il y a, en miniature, une victoire de Nehanda, au seuil de l’échafaud. Enfin, dernière réanalyse : la victoire mémorielle, comme pour Sarraounia que nous traitions à l’instant. Nehanda perçoit en effet la victoire future de son peuple (« their survival »), ainsi que la permanence de la protection des anciens (« the departed who protect the soil from the feet of the strangers »593), malgré l’apparente défaite militaire du Mashonaland. Si Nehanda n’est pas morte, c’est qu’elle 592 Sur la dénonciation du verbe, manipulé par le colonisateur, voir dans le même roman, p. 32-33, le rôle du traité (« a piece of paper ») des Blancs. 593 Il est intéressant de le lire en parallèle des textes sur Sarraounia, chez Abdoulaye Mamani comme chez Halima Hamdane, par exemple sur cette victoire repoussée dans le champ de la mémoire collective, et notamment : « La grande armée des nassaras en déroute devant les fétiches de la Sarraounia », Mamani, p. 149. 324 doit finir par vaincre l’oppression : c’est aussi le syllogisme inconscient des chants de résistance du ZANU et du ZAPU qui rappellent constamment l’esprit de résistance à revenir. Et le lien vers la vengeance est assez explicite : les victoires des combattants zimbabwéens sont présentées comme les revanches prises sur la défaite de Nehanda, et sur son martyr. On retrouve tout à fait ce même esprit de revanche – et c’est le dernier avatar des relectures de la défaite – théorisé par Ahmed Sékou Touré, dans son poème « L’almamy Samory », du tome XVII de son ouvrage La Révolution culturelle : Aux soixante dix [sic] ans d’exil Sur le continent du soleil, Juste sur la ligne des tropiques Là où, par les rayons lumineux, Étaient transmises à la conscience Et à la volonté de notre peuple Les consignes de la résistance Jusqu’au grand jour Du 29 Septembre 1958 où revint la liberté Qui définitivement nous vengea De cet autre 29 Septembre 1898. La vengeance est au centre du poème, soulignée par le parallèle des dates, à soixante ans d’écart. La défaite de Samori est annulée par la victoire de Sékou Touré, l’une remplace l’autre, l’une rachète l’autre. De manière étonnante, les trois figures sont comparables également via leurs paradoxes. Et la glorification de leur chute est un élément pivot des récits : les auteurs et les producteurs des textes de notre corpus ne cessent de chercher à expliquer la défaite face à la colonisation, française ou britannique. Dans une perspective postcoloniale, l’on peut dire que louer les héros vaincus est une stratégie pour redonner voix à ces vaincus et aux oubliés de l’histoire. Si l’on reprend les hypothèses de Michel de Certeau594, la victoire confère un droit d’écriture aux vainqueurs, qu’il est difficile de contrer. En terme d’écriture, la guerre fonctionne presque comme une ordalie595, où le vainqueur a raison, par jugement divin : le perdant a toujours tort. Écrire contre la doxa, c’est inverser le 594 Michel de CERTEAU, L’Écriture de l’Histoire, op. cit., « le conquérant va écrire le corps de l’autre », p. 7. 595 Pour reprendre l’expression utilisée par Fabio VITI, « Guerra e violenza nel Baule fino alla conquista coloniale », in Fabio VITI, Guerra e violenza in Africa Occidentale, Milano, Franco Angeli, 2004, p. 117182, et notamment p. 160, 167. 325 regard. Or, il n’est pas certain que cela s’applique véritablement, ou alors de manière nuancée, aux figures de vaincus, qui sont louées précisément dans leur défaite, ou du moins au sujet desquels la défaite est un élément de questionnement (voire de réappropriation inversée). La glorification de la défaite, comme appel à la lutte, se manifeste avec une visée de lutte anticoloniale, ou de dénonciation néocoloniale (Alpha Blondy, Sékou Touré, les Chimurenga songs). Les inversions complètes de défaite en victoire (Med Hondo), quant à elles, ne peuvent apparaître que lorsque la défaite est déjà surmontée, après ou au moment des indépendances. Le retrait théorique des puissances coloniales constitue la victoire à partir de laquelle il devient possible de relire les prémisses dans la résistance des années 1890. La défaite joue le rôle de catalyseur du questionnement du bien-fondé de la colonisation : elle est à expliquer par les textes, pour légitimer les différentes formes de lutte. Les différentes réponses que nous avons dégagées sont autant de postures prises par rapport à l’engagement, de manière latente. En soi, ces stratégies narratives sont des contestations de l’« ordalie » qu’a constituée la capture des héros dans le champ clos de la bataille. Elles correspondent donc à une prise de pouvoir, et à une victoire, dans le champ de l’écriture, pour reprendre de Certeau. Représentations de la guerre. Quelques choix de paradoxes Dire la résistance à la colonisation, c’est bien sûr dire la guerre. Or, nos textes éludent très souvent les scènes de batailles entre les colons et les résistants (nous l’avons vu plus haut pour Nehanda d’Yvonne Vera, ainsi que pour Sarraounia d’Abdoulaye Mamani). Il est étonnant que des héros guerriers, soient caractérisés en dehors de leurs faits d’armes, que leur défaite soit réanalysée en victoire ou non. Nous n’allons pas parcourir l’ensemble de notre corpus, ce qui serait fastidieux sans offrir de recul suffisant. Nous nous proposons, à la place, de souligner quelques choix narratifs de représentation de la guerre, qui nous semblent représentatifs, et qui prolongent nos analyses précédentes : la guerre, et la défaite, sont des lieux (ou des topoï) paradoxaux parce qu’ils pensent596 la colonisation. Autrement dit, ils sont des lieux de réflexion des possibles (politiques, sociaux, culturels). 596 Au sens où l’entend Florence GOYET, Penser sans concepts : Fonction de l’épopée guerrière, op. cit., « l’épopée guerrière est une gigantesque machine à penser » p. 7; « c’est le présent que l’épopée cherche 326 Il n’y a pas de mesure dans la représentation de la guerre coloniale : soit elle est éludée – et c’est alors la guerre intra-africaine qui sert de transfert – soit elle est décrite selon la logique du carnage, de l’accumulation, et du trop-plein de l’horreur – pour dire l’irrationalité et le caractère extraordinaire de cette confrontation. Cette seconde voie narrative correspond à une description de la guerre éclatée, où le morcellement de la narration est un correspondant mimétique de l’indicible, du trauma. Éluder la guerre coloniale reste l’option privilégiée597. Monnè illustre parfaitement ce choix, en en condensant les enjeux tragiques et comiques. Le chef Djigui, en effet, ne se battra jamais véritablement contre les colons français, puisque ceux-ci ont investi Soba sans même qu’il ne s’en rende compte, tant il était persuadé que les sortilèges qu’il avait déployés l’auraient protégé. Or, les Français contournent la colline aux sortilèges, prennent le commandement, sans que les défis rituels de Djigui n’aient été traduits par l’interprète. Djigui se rendra compte bien plus tard qu’il aurait dû se rallier à Samori pour combattre véritablement la colonisation. La guerre est donc bel et bien escamotée, avec toutes les potentialités ironiques induites. Voici le seul affrontement qui a lieu, et qui ne demeure que strictement verbal : Djigui se crut en devoir de répondre au défi. Il le fit en prince légitime. C’est dans de telles circonstances que se reconnaissent les vrais chefs, les authentiques. Djigui se dressa sur les éperons de toute sa hauteur – il était grand. Ses narines battaient comme les naseaux de son cheval. Courageusement, il déclara : — Dis au Blanc que c’est contre eux, Nasaras, incirconcis, que nous bâtissons ce tata. Annonce que je suis un Keita, un authentique totem hippopotame, un musulman, un croyant, qui mourra plutôt que de vivre dans l’irréligion. Explique que je suis un allié, un ami, un frère de l’Almamy qui sur tous les fronts les a vaincus. Présente celui-ci – il désigne du doigt le messager –, son nom est Diabaté. Traduis que Diabaté est le plus grand griot de l’Almamy. Affirme que Samory me l’a envoyé pour achever la construction du plus grand tata du monde. Répète au Blanc que c’est par traîtrise que vous avez violé la ville de Soba. Rapporte que je le défie ; le défie trois fois. Adjure-le qu’en mâle dont l’entrejambe est sexué avec du rigide, il ainsi à penser, et les solutions qu’elle invente sont profondément nouvelles » p. 557. Ainsi que dans Florence GOYET, « De l’épopée canonique à l’épopée «!dispersée!»!: à partir de l’Iliade ou des H&gen et Heiji monogatari, quelques pistes de réflexion pour les textes épiques notés » [en ligne], Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines (2014/45), disponible sur http://emscat.revues.org/2366 (consulté le 20 juillet 2016). 597 Une exception flamboyante est le scénario Samori de Sembène Ousmane, néanmoins, la structure narrative en est tellement dépendante de la thèse Samori d’Yves Person (op. cit.) qu’il acquiert une place à part dans la représentation de la guerre. Sur les relations amicales et de travail d’Yves Person et de Sembène Ousmane, nous nous fondons sur les entretiens réalisés avec Roland Colin, à son domicile, le 10 février 2015. 327 consente un instant à repasser la colline Kouroufi ; qu’il nous laisse le temps de nous poster. (Monnè, p. 35-36) La guerre n’aura pas lieu, bien sûr. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle est déplacée du même coup dans l’univers du langage, mais qui n’a plus aucun effet pragmatique, puisque l’interprète ne traduira rien. Il y a tout un déploiement de signes verbaux et non verbaux du courage, qui sont sans effet : la posture guerrière (« se dressa sur ses éperons », « courageusement »), l’insulte rituelle (« je le défie »), l’insistance sur la filiation noble et la piété (« en prince légitime », « un musulman, un croyant »), l’accumulation des mentions de « Samory » comme paradigme du résistant colonial. Mais l’ironie porte sur l’absence de valeur opératoire de la démonstration de force, qui ne repose que sur le bon vouloir des Blancs (de repasser de l’autre côté de la colline), et sur la traduction (que l’interprète Soumaré ne réalise pas). Dès lors, on peut s’interroger sur la portée de l’adverbe « courageusement », qui semble véhiculer une connotation ironique, à plusieurs degrés, comme souvent chez Ahmadou Kourouma, où le sens se créé par emboîtements de significations. Le défi rituel exige en soi du courage, et c’est le premier sens utilisé, avant que le lecteur ne se rende compte que ses mots ne seront pas traduits. Mais dès le milieu de la harangue, des indices montrent le caractère irréaliste de la demande de Djigui (« qu’il consente à repasser… »), ce qui jette le doute sur la valeur de ce courage qui ne s’accomplira pas. Il y a une dissociation entre les prétentions oratoires et les faits, ce qui confère une ironie générale à toute l’intrigue de Monnè, tant sur le courage guerrier de Djigui que sur la réalité de sa foi. Troisième temps, de manière rétroactive, la traduction n’étant pas assurée, c’est une lecture franchement comique qui domine : la gesticulation et l’appel à Samory sont sans effet, le courage et le code de conduite chevaleresque sont sans raison d’être. Toutefois, pour nuancer cette veine comique, il existe une réelle profondeur tragique dans l’adverbe « courageusement », qui réfère à des élites finalement complices de la colonisation, quoi qu’elles en aient dit. Tout au long du roman, Djigui fournira des esclaves pour ce train qui n’en finit pas de se construire, et qui n’en finit pas d’exiger de plus en plus de manœuvres. Il nous semble que Kourouma induit plusieurs degrés de distance par rapport au discours de Djigui, à la fois tendre et cruel : toute l’inanité de son discours est exposée, mais il n’y a jamais de dénonciation franche. Et pourtant, une lecture tragique subsiste, de manière implicite, qui accroît cette distance entre le dire et le faire des élites politiques ivoiriennes sous la colonisation. L’absence d’affrontement accroît cette tension entre comique et tragique. 328 Il est étonnant de constater que les textes des officiers français éludent également la représentation de l’affrontement des troupes samoriennes et des troupes coloniales. Comme Samori n’a pas été capturé au cours d’une bataille rangée, mais suite à une « surprise », il est logique, en effet, que les mémoires des officiers retranscrivent cette absence de choc frontal. Néanmoins, ce qui nous interpelle à la lecture, c’est l’accent porté sur la difficulté de la poursuite plus que sur la guerre – ne serait-ce, a minima, que les multiples escarmouches qui ont eu lieu entre les bataillons français et les détachements de Samori. Nous donnons ici un exemple de la traque de Samori, relatée par le général Gouraud (alors capitaine au moment des faits) : Le contact est perdu avec les bandes de Samory. Les Guérés de la rive droite du Diougou, dont Wœlffel a tiré si bon parti, ne peuvent nous donner aucun renseignement sur la rive gauche, qui est le pays Dioula. Gaden réussit à grand’peine à trouver trois Dioulas, mais ils ne peuvent dire rien de précis : ils nous montrent au sud-est les montagnes boisées, noyées sous la pluie ; Samory est là, dans ce pays mystérieux ; il a construit, disent ses gens, des diassas1 ; mais que veut-il ? Les uns disent qu’il veut s’y faire tuer avec ses femmes, ses fils et ses fidèles ; d’autres, qu’il n’a pas renoncé à passer le Diougou plus au sud, pour continuer la marche vers l’ouest ; d’autres enfin qu’il fait chercher une route pour retourner vers les pays de l’est d’où il est venu. [1. Enceintes formées de pieux non équarris.] (Au Soudan, p. 192-193) Le texte est décevant. Mais ce n’est pas qu’un effet de montage de notre part, il illustre au contraire très bien toute une part de notre corpus598, centrée sur la quête, la perte, les difficultés du terrain, la douleur physique des poursuivants. Le lexique de l’impuissance sature le texte (« perdu », « à grand’peine », « ne peuvent donner/dire », « rien de précis »). Le registre épique des grandes confrontations guerrières en est totalement absent. Au centre de l’extrait, enchâssé entre deux postulats incertains, Samori est décrit comme tout aussi mystérieux que son refuge. Face à ce point aveugle de la 598 Voir dans notre corpus, la mise en récit de la traque de Samori : Roland DORGELÈS, Sous le casque blanc : récits. Sur le volet « Sarraounia » de l’étude, on retrouve l’insistance sur la traque sans fin et les descriptions de l’horreur dans les récits liés à la colonne Voulet-Chanoine, ainsi que ceux de Klobb lancé à leur poursuite : Jules JOALLAND, Le Drame de Dankori: Mission Voulet-Chanoine. Mission Joalland-Meynier, op. cit. ; Jean François Arsène KLOBB, Octave Frédéric François MEYNIER, A Maitrot de La MOTTE-CAPRON, À la recherche de Voulet ; Sur les traces sanglantes de la mission Afrique centrale, 1898-1899, op. cit. Pour les mises en récit, voir Jacques-Francis ROLLAND, Le Grand Capitaine. Voir aussi Jean-Claude SIMOËN, Les Fils de roi. Le crépuscule sanglant de l’aventure africaine, Paris, J. C. Lattès, 1996, qui semble une réécriture du texte de Rolland, c’est pourquoi nous ne l’avons pas inclus dans le corpus. Il ne traite que partiellement de Sarraounia, p. 158-161, décrite comme « sorcière édentée » (p. 158), reproduisant les clichés coloniaux et racistes. 329 poursuite, ne restent que les hypothèses, et la rumeur collective599 (« les uns disent », « d’autres », « d’autres enfin »), pour faire vivre le personnage. Si une grande partie des textes sur Samori taisent la confrontation coloniale, c’est pour ne dire de la guerre que les affrontements intra-africains600. Ils dessinent une cartographie guerrière de la nostalgie et de la mélancolie. La pièce de théâtre Une Si Belle Leçon de patience, de Massa Makan Diabaté est entièrement structurée autour de ce transfert : le thème en est le combat entre Ba-Bemba et Samory601, tandis que les Français menacent de les balayer tous deux. Les combats sont donc bel et bien décrits, ainsi que le courage des combattants, des deux côtés, mais pour en souligner aussitôt la vacuité, alors que les adversaires auraient dû s’allier pour contrer la menace de la colonisation, bien plus grande, et qu’ils n’ont pu prévoir. L’honneur et la bravoure sont répartis équitablement dans le texte, et les ennemis ne peuvent que s’admirer l’un l’autre. Ainsi de cette tirade de Kèmè Birama, qui relate l’affrontement contre Ba-Bemba : J’ai cependant ordonné l’attaque, au signal de Ba-Bemba, les enfants en rangs serrés se sont portés à l’avant de leur ligne, le sabre au clair. Nos sofas, pour éprouver leur courage, ont tiré quelques salves de sommation. Pas un ne nous a cédé un pouce de terrain. J’ai alors attendu, croyant à une ruse de l’ennemi. A mon grand étonnement, j’ai vu Sikasso se vider de tous ses guerriers, sous la conduite de N’Fafitini, en direction de Daoulabougou. Nous sommes restés face à face, onze bolos d’un côté, onze de l’autre. J’ai alors réitéré mon ordre, mais nos sofas se sont dispersés dans la campagne, émus aux larmes. (Une Si Belle Leçon de patience, p. 112) Ba-Bemba a décidé de sauver une partie de ses gens, et refuse de lancer ses armées contre celles de Samori602. Au risque de passer pour lâche, et d’être méprisé par Ba Mousso Sano, la veuve de Tiéba, par sa propre famille, et par ses soldats, il décide d’attendre que Samori comprenne que le vrai combat se déroulera plus tard, contre l’ennemi commun qu’est la colonisation. Kèmè Birama, le frère de Samori, raconte un épisode de grâce, où ses sofas sont touchés par la détermination des jeunes enfants, protégeant leur cité, mais refusant néanmoins d’attaquer. Il y a ici surenchère dans 599 Rendant semblable le personnage de Samori à certains autres, analysés par Xavier GARNIER, « Usages littéraires de la rumeur en Afrique », La Question des savoirs, Notre Librairie (2001), p. 3‑8. 600 Notons la même chose pour Sarraounia : nous avons évoqué plus haut que la prise de Lougou se fait dans le hors texte (supra, Deuxième partie, chapitre 1, section « Sarraounia : dédoublement des structures narratives), il est tout aussi vrai que pour Samori, que l’affrontement intra-africain illustre la bravoure guerrière de la figure héroïque. Voir la scène de bataille contre les Peuls, Abdoulaye MAMANI, Sarraounia, p. 73-74. 601 Pour une autre illustration de l’affrontement entre Samori et le Kénédougou, voir dans notre corpus le Mémorial de Kélétigui Berté, in Roland COLIN, Kenedougou. 602 Le cas de ces deux armées, précisément, a fait l’objet d’une étude comparée de l’historien Micha" TYMOWSKI, L’Armée et la formation des États en Afrique occidentale au XIXe siècle : Essai de comparaison, l’État de Samori et le Kenedougou, Warszawa, Wydawnictwa Uniwersytetu Warszawskiego, 1987, qui a montré les différents usages du fusil notamment. 330 l’héroïsme, et l’exploit relève moins du fait guerrier que de la grandeur morale. Aucun des deux camps n’est condamné par l’auteur, puisqu’ils se reconnaissent finalement comme alliés, dans la scène finale de réconciliation603. Ce moment de reconnaissance des braves est rejeté dans une vision nostalgique d’un temps où la guerre se faisait sur un terrain équitable et loyal, avec un partage de valeurs communes, et avec une équivalence de moyens. Cette représentation est teintée de mélancolie dans de nombreux textes, et singulièrement dans Une Si Belle Leçon de patience, puisque précisément, la conquête coloniale a rompu cet équilibre, en imposant une guerre asymétrique. Ce temps guerrier ancien était celui des hymnes aux chefs valeureux (le rôle des hymnes est discuté dans la même pièce, acte I, scène 2), loués de part et d’autre des remparts de Sikasso. Face à ces différents moyens de taire la confrontation coloniale, certains auteurs font le choix inverse de la représentation du carnage : de l’exhibition du corps mort, marqué par l’acharnement et la cruauté 604 , par le « cru », littéralement. Le Grand Capitaine regorge d’exemples de membres mutilés, de têtes coupées, de soldats exécutés, de porteurs assassinés de sang froid… De même, dans le scénario Samori, de Sembène Ousmane, les moindres échauffourées sont décrites avec précision (voir par exemple la scène d’attaque du fort de Nyagassola, tenu par Borgnis-Desbordes, dans le premier volet : « Un sofa se tient les boyaux face caméra. Samori ordonne le repli de l’autre côté du fleuve Niger »), ou dans Histoire locale, de Djiguiba Camara. Dans ce dernier texte, la brutalité en contexte guerrier joue un rôle très important. La description des combats, et de la surenchère de la cruauté, c’est-à-dire dans la violence « non strictement nécessaire et apparemment gratuit[e] »605, est rapportée minutieusement606. Elle correspond à un usage ritualisé de la violence, visant à effrayer l’ennemi, à le décourager : la cruauté sur 603 Acte III, scène 5, p. 117-122. Pour une analyse critique de la notion de cruauté, nous nous reportons à l’étude de Fabio VITI, « À la guerre comme à la guerre. De la cruauté dans l’art du combat (Baoulé, Côte d’Ivoire, 1891-1911) », in Dominique CASAJUS, Fabio VITI (dir.), La Terre et le Pouvoir. À la mémoire de Michel Izard, Paris, CNRS éditions, 2012, p. 249-270. L’auteur rappelle l’étymologie du terme, dérivé du crudelis, et du crudus latin. 605 Fabio VITI, art. cit., p. 251. 606 Pour des exemples dans les guerres intra-africaines, que nous ne développons pas ici pour nous concentrer sur la pénétration coloniale, nous relevons notamment chez Djiguiba Camara le grand usage des trophées, avec exhumation du corps : « En reconnaissance de sa générosité à l’égard des prisonniers, les Malinkés ne tenaient pas à les faire exécuter mais sur l’insistance de Gbima, Gbondo lui fut remis. Celui-ci le fit décapiter, sa tête bouillie et la mâchoire envoyé[e] à Massé Bigné qui en fit un collier pendant » (Histoire locale, p. 107) ; ou les décapitations d’enfants circoncis pour qu’ils aient l’âge théorique d’être reconnus comme ennemis : « Sadji Oussou et son fils Kanfing Féré furent décapités un peu plus loin. La tête de Sadji est enlevée, cuite avec du sel. Ainsi, croit-on, on tuait pour toujours le germe de la chefferie dans cette famille. […] Dans les mœurs indigènes on ne pouvait décapiter sans circonscrire [circoncire]. Kagbè Féré fut d’abord circoncis, puis décapité en premier lieu ; il ne voulait pas voir couler le sang de son père qui le suivit, puis ensuite Sa Oussou » (Histoire locale, p. 69). 604 331 les corps morts des ennemis, sur leurs cadavres, appartient à la catégorie des armes psychologiques. Les régiments français y ont eu recours tout autant que les troupes samoriennes : la pratique des têtes fichées sur une pique n’en est que l’illustration la plus courante607. Dérivée de cette seconde stratégie, puisqu’elle vise aussi à dire le caractère extraordinaire de l’affrontement guerrier colonial, la représentation qu’en donne Yvonne Vera opte pourtant pour des modalités relativement différentes : la guerre y est décrite de manière totalement éclatée à travers tout le roman. Il est vrai que la colonisation en Rhodésie a correspondu à une avancée progressive de la BSAC, et que les révoltes du Mashonaland et du Ndebeleland ne sont intervenues que dans l’après-coup : il est donc impossible de représenter le processus colonial sous l’angle de la bataille frontale. Néanmoins, cette dislocation de la violence et son éparpillement dans tous les aspects du quotidien, dans toutes les strates du corps social, et de manière mimétique, dans tout le texte, sont particulièrement accentués par Yvonne Vera, à tel point qu’ils en sont lestés d’une signification nouvelle. Nous avons montré plus haut que la bataille décisive constituait un « centre vide » du roman Nehanda, et que l’affrontement prenait plus la forme d’une fuite du personnage, et des songes dans le maquis. Il y a une grande volatilité de l’objet « bataille » dans ce texte, pourrait-on dire. Ainsi de ces remarques formulées au début du roman, au chapitre 9, lorsque Nehanda voit les hommes de son village revenir d’une guerre incertaine : Only the scarred faces of her people tell them they have been in battle. They are shocked at this transformation of their bodies because they cannot remember the call for battle. On which plateau has the battle been fought, and against which adversary? Surely they have not fought one another? (Nehanda, p. 30, 31) [Seuls les visages meurtris de son peuple leur disent qu’ils sont allés à la guerre. Cette transformation de leurs corps les choque car ils ne se souviennent pas de l’appel à la guerre. Sur quel plateau la bataille a-t-elle eu lieu, et contre quel adversaire ? Ils ne se sont tout de même pas battus entre eux ?] Il n’y a que peu d’épisodes qui décrivent la guerre avec plus de consistance. Nous proposons ici un tableau récapitulatif des représentations de l’affrontement face à la colonisation, au sens large : 607 Voir en annexe p. 804 la reproduction de la carte postale « Haute Guinée – Colonies françaises : Diakolidougou près Beyla. La tête de Diali Amara. Griot et Conseiller de Samory, qui organisa et ordonna le massacre de la mission Braulot (Août 1897) » pour une illustration des trophées de membres humains faits par l’armée coloniale française. 332 Ch. 3 Ch. 6 Ch. 9 Ch. 10 Ch. 14 Ch. 15-16 Ch. 17 Ch. 18 Ch. 19 Ch. 21 Ch. 24 Songe de la sage-femme à la naissance de Nehanda : vision de l’exploitation du peuple et de la terre par les colons Conversation avec Vatete : récit de la profanation par les Blancs des terres sacrées Retour des hommes de la « bataille », contre des adversaires fuyants Possession d’Ibwe : mise en scène de la rencontre avec les colons et signature du traité Harangue de Nehanda, discours d’appel à la guerre Nehanda dans la forêt avec les hommes et Kaguvi – fuite Smith est retrouvé mort, description en analepse Récit des hommes à Nehanda de la guerre, retour dans les grottes Attaque des grottes par la cavalerie, repli des hommes vers Nehanda dans la forêt Attaque du village, vue par le jeune garçon perché dans l’arbre musasa Reddition pacifique de Nehanda La guerre se dit soit dans les songes et les épisodes de possession608, soit dans l’après-coup par des récits609, soit dans le défi610, ou bien depuis un point de vue déficient en informations611. Le seul épisode guerrier qui échappe à cette structure est le chapitre 19, mais Nehanda n’est pas présente dans cette scène. Le jeu des focalisations (en externe, dans ce dernier cas) contribue là encore à produire une distance très importante à la lecture. Cette incertitude quant à la matérialité d’une bataille effective est contrebalancée par la dissémination de la violence dans tout le texte, et singulièrement dans les rapports sociaux maître-esclave (tous les chapitres consacrés aux rapports Mr Browning-Moses, en particulier, en font état). Tout fonctionne dans le texte comme si plus l’objet de la bataille s’évaporait, et plus la violence en était accentuée. Yvonne Vera dit ici de manière très fine la singularité de la domination coloniale, fondée sur une prise de possession insidieuse du territoire, puis des corps et des esprits. La bataille se joue, finalement, dans l’affrontement entre la danse et les prophéties de Nehanda, et l’imposition du châtiment de la pendaison (que nous analysions plus haut). La véritable guerre est psychologique chez Yvonne Vera. La guerre coloniale se joue mentalement. Ce choix de dissémination de la violence demeure un cas particulier dans notre corpus. Dans la plupart des textes que nous venons de présenter, la figure guerrière est exaltée, le courage du combattant est magnifié, sa virilité est exhibée. Et ce malgré, 608 Chapitres 3 et 10. Vatete au chapitre 6 ; au retour des hommes aux chapitres 9, 18 ; dans la reconstitution, pour la mort de Smith au chapitre 17. 610 La harangue du chapitre 14. 611 Le jeune garçon assistant au massacre de son village, au chapitre 21. 609 333 apparemment, le fait que notre corpus comprenne deux femmes : dans la guerre, le caractère dévastateur est-il spécifique au masculin ? Comment les femmes négocient-elles ces différentes attributions guerrières, dans les textes ? Il s’agit de la seconde caractérisation paradoxale de nos héros, et le choix de notre corpus mixte nous permet de traiter de ce rôle du féminin dans la guerre, en le comparant au pôle masculin, parfois, mais pas systématiquement, perçu comme opposé612. Féminités guerrières Un nombre significatif de héros guerriers sont des femmes (Jeanne d’Arc, Jeanne Hachette en France, Anna Colbjørnsen en Norvège, etc.). Notons que le choix d’une héroïne n’est en aucune façon une reconnaissance positive de la valeur du féminin. Bien au contraire, il confirme une vision plutôt dépréciative des potentialités féminines ordinaires613. Voilà qui est bien paradoxal : l’héroïne guerrière – féminine – n’est en aucun cas une revalorisation du féminin614. Notre corpus comprend plus de femmes guerrières qu’il n’y paraît : il y a bien sûr Sarraounia et Nehanda, mais le volet « Samori » de notre étude n’en est pas pour autant dépourvu. Il comprend également des figures secondaires de femmes portant les armes, ainsi de Ba Mousso Sano, la veuve de Tiéba, dans Une Si Belle Leçon, ou de Sarankéni, l’une des femmes préférées de Samori, dans le scénario de Sembène Ousmane615. Ce ne sont pas des amazones, au sens que lui donne l’historienne Hélène d’Almeida-Topor pour le Dahomey 616 , puisqu’elles ne constituent pas une caste de femmes sélectionnées, entraînées et éduquées pour le combat. Seule la Sarraounia d’Abdoulaye Mamani pourrait 612 Nous nous plaçons sous le patronnage de Chimamanda Ngozi ADICHIE, Nous sommes tous des féministes!; suivi de Les marieuses, Folio, Paris, Gallimard, 2015, p. 50, qui appelle à une révolution éducative en cessant d’imposer une partition genrée entre jeunes garçons et jeunes filles. Être « tous » féministes, c’est intégrer le masculin dans l’étude, pour mieux tenir compte des stéréotypes de genre forgés dans les récits, en brassant l’ensemble du spectre narratif à disposition. Il nous semble qu’il est important, afin d’étudier pleinement le féminin (et la portée féministe possible de Nehanda et Sarraounia) de le comparer à la représentation narrative du masculin (Samori) 613 Jean-Pierre ALBERT, « Du martyr à la star. La métamorphose de héros nationaux », in Pierre CENTLIVRES, Daniel FABRE (dir.), La Fabrique des héros, op. cit., p. 18. 614 Voire : le féminin sert d’exutoire, comme dans les Chimurenga songs : Herbert CHIMHUNDU, « Sexuality and Socialisation in Shona Praises and Lyrics », in Graham FURNISS, Liz GUNNER (dir.), Power, Marginality and African Oral Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 147‑161. 615 Texte dont n’avait pas connaissance Karen LINDO, « Ousmane Sembene’s Hall of Men: (En) Gendering Everyday Heroism », Research in African Literatures, 41 (2010/4), p. 109‑124, pour son analyse sur la représentation du genre et de l’héroïsme. 616 Hélène D’ALMEIDA-TOPOR, Les Amazones : Une armée de femmes dans l’Afrique précoloniale, Paris, Eds. Rochevignes, 1984. 334 y correspondre, puisqu’elle apprend le maniement des armes avec son tuteur. Mais les autres réécritures de Sarraounia, et les autres figures de notre corpus insistent sur l’aspect circonstanciel du rôle militaire qu’elles ont eu. Les textes insistent, en outre, sur le caractère d’exception de ce rôle guerrier. Comment analyser l’écart avec la norme de la place que chaque société attribue à la femme ? À nouveau, ce sont nos textes qui nous fournissent la solution. En regard de ces scènes d’exception, nous pouvons nous reporter à notre corpus pour analyser la place traditionnelle attendue d’une femme : il s’agit alors de la figure de la parfaite femme au foyer, mère ou épouse du héros617. La femme-mère doit respecter sa place : c’est là qu’elle deviendra héroïque. Ainsi des chants de la RTG, qui magnifient le dévouement et l’abnégation de la mère de Keme Bourema : Quand on dit aux femmes du foyer de patienter, de pardonner Et quand une femme au foyer pardonne tout, Dieu va te donner un fils brave Keme Bourema et Samory sont les fils de femmes de foyer qui ont tout pardonné […] Quand elle pardonne leur mari, Dieu va leur donner un enfant brave La femme digne, qui a tout pardonné dans le foyer, Ma Keme618, c’est de son fils Keme Bourema que l’on parle (« Keme Bourema », Balla et ses Baladins)619 Les femmes ne sont décrites qu’en relation avec un homme (mari ou fils) d’exception, et leur exploit consiste à remplir parfaitement le second rôle qui leur est dévolu, d’assistance du grand homme. Dès lors, les femmes qui acquièrent un rôle politico-militaire tranchent avec le commun 620 , et les récits s’attachent à souligner 617 Ce contre quoi s’insurgent d’ailleurs Fatimata MOUNKAÏLA, « Femmes et Politique au Niger: présence et représentations », in Le Niger : État et Démocratie, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 353‑391, et Antoinette Tidjani ALOU, « Niger and Sarraounia: One Hundred Years of Forgetting Female Leadership », Research in African Literatures, 40 (2009/1), p. 42‑56, (consulté le 10 mars 2014). 618 « Ma grand-mère Keme », littéralement. 619 Les deux versions suivantes donnent une vision comparable de l’idéal féminin de dévotion au mari : « Le fils de Sona au cou altier L’espoir des Africains Je dis aux femmes, si vous ne pouvez pas rester au foyer, être dignes et franches envers vos maris, je dis encore aux femmes, si vous ne pouvez pas être au foyer, dans le groupe, les femmes qui ont le courage de rester dans la « grande famille » [les coépouses et leurs enfants], qui se soumettent aux peines de leur mari, c’est elles qui donnent naissance aux chefs guerriers » (« Samory », Niandan Jazz) « Eh, le fils [Keme Bourema] de la femme qui a tout laissé pour les hommes Le fils de la femme qui a été sérieuse dans le foyer Le fils de la femme qui a toujours pardonné à ses prochains » (« Keme Bourema », Sory Kandia Kouyaté) 620 Voir aussi, en dehors de notre corpus, l’exclusion dont fait preuve la narratrice possédée par un esprit (tout comme Sarraounia et Nehanda en définitive), dans Cœur tambour, de Scholastique MUKASONGA, Paris, Gallimard, 2016, et qui raconte l’histoire d’une femme prêtresse et résistante à la colonisation, ellemême rejetée en dehors des relations sociales villageoises, Muhumuza (p. 120-129 pour la digression sur Muhumuza à partir d’archives du Frère Rogatien). 335 l’exceptionnalité de la circonstance. Amadou Kouroubari décrit à deux reprises le rôle de Sarankèñyi621, l’une des favorites de Samori : Samori en personne campait près d’un autre marigot, le Gyamoukwo. Sa femme Sarana était avec lui. Apercevant les cavaliers en retraite, il les interpela : « Venez ici ! c’est aujourd’hui que l’on va se débarrasser de tous les Blancs ! » Et il engagea vivement le combat. Sa femme se battait comme un homme ; cela lui valut de changer son nom en Sarangyè(2). [(2) Contraction de Sarana-Kyè : « la Sarana mâle ».] (Kouroubari, p. 162 ; R.P. Hébert, p. 554) Samori fit un conseil avec sa femme Sarangyè, son fils Sarankyè Mori, tous ses chefs de bande, Forouba Moussa et Siékouba. « Maintenant, il nous faut prendre Babemba, qui est resté dans le Djimini. Que Sarangyè se porte à Darhara, Sarankyè Mori à Dawakala […] ». (Kouroubari, p. 171 ; R.P. Hébert, p. 558) Surgit ici un élément déterminant : l’exception de l’action guerrière féminine est attribuée à une part de virilité du personnage622. Si Sarangyè est une guerrière hors pair, c’est donc qu’elle doit porter un nom d’homme (« Sarana-Kyè »). L’exception féminine est rabattue sur le masculin pour la normaliser, l’apprivoiser, la rendre compréhensible. La femme qui sort du rang se hisse nécessairement au niveau de l’homme. Elle ne peut s’accomplir comme femme, ce qui serait subversif : Anne Eriksen parle d’« anomalie culturelle » 623 qu’il s’agit de « purifier » 624 . Nous retrouvons exactement ce même procédé d’attribution masculine de l’exploit pour le personnage de Sarraounia : Reine fille de Mangou Femme au pantalon en fer Femme au tempérament d’homme (Jeux de la Francophonie) [Traduction de Sani Malam Kadri] 621 Le rôle de Sarankèñyi est attesté par Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 2, p. 832-833 « Le cas de Sarankèñyi Konaté est exceptionnel. Dès 1886, Péroz avait signalé qu’elle exerçait une forte influence sur son époux. Elle allait jouer un rôle glorieux dans la Grande Révolution et fera proclamer son fils comme héritier de l’empire, dès 1890, malgré son jeune âge. Sa prépondérance sera alors considérable. De 1892 à 1895, durant l’exode vers l’Est, elle assurera la sécurité de ses coépouses, avec sa garde personnelle, puis ira s’installer au Dyimini. […] Durant toute la guerre de Sikasso et la crise consécutive, Sarankèñyi ne bougera pas de Bisãndugu où elle exerçait une sorte de régence ». Elle assure donc des fonctions de police, en réglant la sécurité des convois, et de régence politique, lorsque son mari est en campagne militaire. 622 Nous nous éloignons ici du seul pouvoir féminin sur la guerre, tel qu’il est décrit par Laura S. GRILLO, « Catachresis in Côte d’Ivoire : Female Genital Power in Religious Ritual and Political Resistance », Religion and Gender, 3 (2013/2), p. 188‑206 ; ou de l’influence politique du féminin en Afrique telle qu’analysée par Iris BERGER, E. Frances WHITE, Women in Sub-Saharan Africa : Restoring Women to History, Bloomington, Indiana University Press, 1999. Les femmes d’exception de notre corpus ont, en plus d’un pouvoir politique et symbolique, un pouvoir militaire effectif. 623 Anne ERIKSEN, trad. Claudie VOISENAT, « Être ou agir, ou le dilemme de l’héroïne », in Pierre CENTLIVRES, Daniel FABRE (dir.), La Fabrique des héros, op. cit., 1999, p. 162. 624 Anne ERIKSEN, art. cit., p. 155. 336 Et, de manière plus ambiguë, dans le Ballet lyrique de 1986 : Sarraounia on te salue, parce que tu as mis les pieds là où même un homme n’a pas pu le faire. Même si une femme a cherché la beauté par les sciences occultes, sa beauté n’atteindra jamais la tienne. Sarraounia on te salue car tu as fait des choses que même les hommes n’ont pas pu faire. On en a vu des guerres mais jamais comme la tienne. On en a vu des beautés mais pas comme la tienne (Sarraounia, Ballet lyrique) [Traduction d’Ernestine Beidari et d’Amina Bertho] Les critères de genre sont ici mêlés625, et nous aboutissons à un deuxième pallier dans l’écriture de l’héroïsme au féminin : la figure féminine transgresse les deux normes de genres, elle se situe dans un au-delà. Si elle n’est plus réappropriable avec les catégories du masculin, c’est qu’elle est érigée en symbole, repoussée hors du monde quotidien, mise à distance dans son exceptionnalité même626. Sarraounia dépasse les femmes par sa beauté et les hommes par son courage : l’opposition beauté/guerre est transcendée par la figure, qui excelle et transcende les deux domaines. Cette notion de « symbole », et de l’au-delà de la figure féminine, se retrouve aussi dans Une si belle leçon de patience, où Ba Mousso Sano, la veuve de Tiéba, affirme : Le jour de son couronnement, le nouveau roi du Kénédougou me rendit un hommage triomphal et me donna ce titre lourd à porter : « La femme à qui on ne peut dire non ». […] Je suis Ba Mousso Sano, déesse de la fécondité et symbole de cette ville. Le pouvoir ne m’en impose pas, il est au-dessous de moi. Je suis déterminée à la guerre avec mes treize bolos. Dans sept jours, je sortirai de Sikasso, seule, avec un fusil et je défierai le Ouassoulouké. Si je meurs, Momo-la-femme-à-un-seul-sein627 jettera mes 625 Dans leur introduction au dossier thématique sur les héroïnes, Sophie CASSAGNES-BROUQUET, Mathilde DUBESSET, « La Fabrique des héroïnes », Clio. Femmes, Genre, Histoire (2009/30), p. 7‑18, analysent l’« héroïsme au féminin » en soulignant comment la construction symbolique de l’héroïsme « a longtemps été une affaire d’hommes », ce qui trouble donc l’attribution de genre de l’héroïne. 626 Ce qu’analyse précisément, pour Nehanda, Terrence MUSANGA, Anias MUTEKWA, « SupraMasculinities and Supra-Femininities in Solomon Mutsvairo’s Chaminuka : Prophet of Zimbabwe (1983) and Yvonne Vera’s Nehanda (1993) », African Identities, 11 (2013/1), p. 79‑92. Le parallèle entre Sarraounia et Nehanda est ici très riche de ce point de vue. 627 Ansoumane CAMARA, Centenaire du souvenir, Almani Samori Touré 1898-1998, Symposium international de Conakry du 29 septembre au 1er octobre 1998, op. cit., p. 151 et suivantes, élucide le surnom : la sœur du souverain Kéba (Tieba chez Massa Makan Diakité) s’appelle Mosso Sinkelen (« la femme à un seul sein »). Dans la version que donne Ansoumane Camara, la jeune femme s’éprend de Keme Bourema, du camp ennemi. Lorsqu’il l’apprend, Samori est pris de colère et pense ne plus pouvoir faire confiance à son frère. Pour lui prouver que sa vaillance est intacte, celui-ci s’empare alors du gombo dans l’enclos de Sikasso pour soigner Samori, préférant se suicider plutôt de vivre dans la honte. Il retire le vêtement qui le rendait invulnérable et part au combat sans protection. C’est ce qui expliquerait sa mort. Le personnage de la femme à un seul sein est traité de manière différente dans l’extrait cité de Massa Makan Diabaté, puisqu’elle devient chef de guerre. 337 treize bolos contre le Ouassoulouké. Mais pendant sept jours tout négociateur du pouvoir qui se présentera à mon diassa sera mis à mort… Le symbole qui va s’éteindre ne pardonne pas. (Elle sort) (Une Si Belle Leçon de patience, p. 83-84) Ba Mousso Sano, veuve de Tiéba, est quasiment déifiée à la mort de son mari. Ce statut de « déesse de la fécondité » n’en fait pas pour autant un parangon du féminin, pour la simple raison qu’elle est rejetée en dehors des oppositions de genre quotidiennes, en dehors des catégories usuelles de la cité. Elle dispose d’une licence de parole hors du commun, puisqu’on ne peut rien lui refuser, et elle est la seule à s’opposer frontalement à Ba Bemba, en exigeant qu’il s’attaque sans tarder à Samori. La quasi-déification permet de repousser en dehors du réel l’inconcevable héroïsme du personnage. Ainsi, elle ne remet pas en cause les conventions sociales, telles qu’est son établies pour le féminin dans les chants de la RTG que nous citions plus haut (chez Balla et ses Baladins, Sory Kandia Kouyaté, et le Niandan Jazz). Les figures de femmes chez Abdoulaye Mamani constituent un cas particulier. Antoinette Tidjani Alou souligne que Sarraounia ne correspond pas à l’idéal féminin nigérien, relativement semblable à ceux proposés par la RTG de la femme-mère628 : « Sarraounia est l’antithèse de la femme exemplaire, vu du Niger », « le thème de la femme fatale traduit un sous texte troublant, introduisant dans le roman un discours double qui érode les velléités féminisantes et progressistes. Sarraounia ressort sous la plume de Mamani comme une belle noiseuse aussi » 629 . Nous suivons l’analyse d’Antoinette Tidjani Alou qui conteste l’exemplarité de Sarraounia : il est certain qu’elle est placée dans un au-delà de la cité630. Sa naissance et son enfance sont placées en dehors 628 Antoinette TIDJANI ALOU, « “Chants de gloire” pour une femme de pouvoir!: Sarraounia dans le texte », in Médiévales n°38, Épopées et identités! : Rois, peuples, guerriers, héros, divinités, Amiens, Presses du Centre d’études médiévales, Université de Picardie-Jules Verne, 2005 ; l’auteure s’en prend aux interprétations jugées naïves de Denise BRAHIMI, Anne TREVARTHEN, Les Femmes dans la littérature africaine : Portraits, Paris, Karthala, 1998, qui sont accusées de « contempl[er] avec nostalgie cette image de petite fille libre, courant la savane presque nue, en compagnie des hommes et des garçons, et de [se] di[re] que ce modèle nous vient tout droit du paléolithique heureux et révolu ». Notons qu’Aïssata SIDIKOU, « De l’oralité au roman: Sarraounia ou la reine contre l’empire », The Romanic Review, 93 (2002/4), p. 457, adopte la même thèse que Denise Brahimi et Anne Trevarthen, selon lesquelles Sarraounia porterait bien les caractéristiques d’un idéal féminin. Ousmane TANDINA dans, L’Épopée orale au Niger, Collection Médiévales, n° 46, Amiens, Presses du Centre d’Etudes Médiévales, Université de Picardie, 2008, considère également, tout comme Antoinette Tidjani Alou, que Sarraounia incarne un modèle d’exception comparable à celui de la femme fatale. 629 Antoinette TIDJANI ALOU, art. cit. 630 Et ce dès le mythe de fondation des Cités-Haoussa qui met en jeu une première Sarraounia mythique, Mary Wren BIVINS, « Daura and Gender in the Creation of a Hausa National Epic », African Languages and Cultures, 10 (1997/1), p. 1‑28. La perspective militante de Addo MAHAMANE, « Sarauniya Mangu. Réintégrer une héroïne de la lutte anti-coloniale dans l’historiographie nigérienne », in Odile GOERG, Anna 338 des conventions sociales et des conventions de genre 631 . Mais plusieurs indices permettent de compliquer cette interprétation : Sarraounia n’est pas simplement mise à distance comme femme fatale, ce qui annulerait ses potentialités subversives, en la rejetant dans un ailleurs, hors des conventions sociales haoussa, ou même nigériennes. C’est certainement, toutefois, la réception dominante du roman632, depuis sa parution jusqu’à aujourd’hui. Il nous semble pourtant qu’Abdoulaye Mamani avait en tête un modèle féminin plus cosmopolite lorsqu’il a écrit Sarraounia. Notons déjà qu’elle est réintroduite dans un contexte social lorsque, dans le roman, le personnage de l’Aménokal la décrit : Ils [les membres de la colonne Voulet-Chanoine] marcheraient déjà sur la cité de la FEMME. L’Aménokal nomme ainsi la Sarraounia – ce qui indique chez lui un signe d’admiration et de respect pour la reine des Aznas. Jamais il n’a permis un raid sur la ville de la reine magicienne. C’est d’ailleurs contraire à leur tradition où la femme occupe une place de choix dans la société. Et cette FEMME a toute sa sympathie parce que courageuse et indomptable. Car il est de la race de ceux qui admirent et respectent la force et la bravoure. Cette FEMME, donc, est menacée par des hommes mieux armés et plus forts que lui. (Mamani, p. 42-42) Ici, l’écrivain prend soin de souligner que la société touarègue confère une place importante aux femmes, ce qui lui permet de respecter Sarraounia à la fois comme chef d’exception, comme guerrière courageuse, et comme femme (ce qui est renforcé par l’usage des majuscules, réitéré à de nombreuses reprises dans le paragraphe). Quelques lignes plus loin, l’héroïne touarègue Tafinat est parée des mêmes qualités (p. 45-47), et l’une des femmes de tirailleurs, la jeune Amina, constitue également un troisième modèle féminin dans le roman. Il y aurait donc trois modèles d’héroïnes dans le roman, qui se complèteraient, plutôt qu’une, qui ne serait que spécifiquement haoussa – ce qui validerait l’hypothèse de la non exemplarité absolue de Sarraounia. Or, il est possible d’élargir encore l’horizon de référence en convoquant les poèmes d’Abdoulaye Mamani, et notamment celui qu’il a écrit pour la libération d’Angela Davis633 : PONDOPOULO (dir.), Islam et sociétés en Afrique subsaharienne à l’épreuve de l’histoire. Un parcours en compagnie de Jean-Louis Triaud, Paris, Karthala, 2012, p. 157‑172, n’interroge pas ce critère du genre. 631 Telles qu’étudiées pour la région par Barbara MacGowan COOPER, Marriage in Maradi : Gender and Culture in a Hausa Society in Niger, 1900-1989, Portsmouth; Oxford, Heinemann; James Currey, 1997. Notons les appropriations par les femmes du modèle patriarcal, notamment de la réclusion réinvestie par les femmes comme espace de commerce et de loisir (p. 130-142), ainsi que du contrat de mariage (p. 143-167). 632 Notamment dans des ouvrages de vulgarisation : ainsi du chapitre « Sarraounia, L’adversaire du grand capitaine » p. 157 et suivantes, dans Jacqueline SOREL, Femmes de l’ombre et grandes royales dans la mémoire du continent africain, Paris, Présence africaine, 2004. 633 Abdoulaye MAMANI, Œuvres poétiques : Poémérides, Eboniques, préface à l’Anthologie de poésie de combat, premiers poèmes, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 81. « Ange free » est le premier poème du recueil 339 Ange free Ton poing noir dans le ciel trouble de l’Amérique blanche ton blanc sourire dans la honte noire de l’oncle Sam Ange noir qui gèle et brise la haine et le racisme et le mépris my soul sister O ma brune cavale amazone des temps nouveaux ta crinière insolente monte à l’assaut de la liberté […] En prenant en compte les autres romans de l’écrivain, publiés après sa mort634, et les inédits635, l’hypothèse d’un modèle cosmopolite, voire panafricain, de la figure de l’héroïne, engagée, militante, guerrière, se confirme. La Sarraounia d’Abdoulaye Mamani s’émancipe de son origine spécifiquement haoussa, pour se transformer en figure idéale de femme combattante, en résonnance avec les multiples engagements de l’écrivain (de lutte anticoloniale lors de ses années passées aux côtés du FLN, d’engagement pour les droits civiques aux côtés des Black Panthers, de militantisme syndical depuis Djibo Bakary636). Il est donc vrai qu’elle n’est pas « exemplaire » au Niger, pour reprendre l’expression d’Antoinette Tidjani Alou, puisque son exemplarité se joue à une autre échelle, de contiguïté, voire d’intersectionnalité637 des combats. Certaines réappropriations s’insurgent contre la lecture initiée par Abdoulaye Mamani, et semblent « revenir » à un modèle féminin antérieur. Ainsi du manuel édité par Tarbiyya Tatali : Eboniques. Angela Davis, emprisonnée en 1972, a milité pour les droits des Noirs américains aux ÉtatsUnis. Voir aussi le poème « Femme », en écho au discours de l’Aménokal, Œuvres poétiques, op. cit., p. 53-55. 634 Abdoulaye MAMANI, Le Puits sans fond : roman, op. cit. ; mais surtout Abdoulaye MAMANI, À l’ombre du manguier en pleurs !; suivi de Une faim sans fin, Paris, L’Harmattan, 2014. Nous avons collaboré à l’édition et à l’appareil critique des deux premiers, avec Jean-Dominique Pénel. Une édition de deux autres inédits est en cours. 635 Shit (roman), et Divagations d’un nègre hippy. Nous remercions Jean-Dominique Pénel de nous avoir donné accès à ces textes. 636 Décrit par Klaas van WALRAVEN, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, op. cit., p. 64. 637 Kimberle CRENSHAW, « Mapping the Margins! : Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color », art. cit. 340 Un mythe s’est créé autour de Saraouniya Mangou du fait de sa résistance à la colonisation. Ce mythe est fort éloigné de la réalité de la Saraouniya de Lougou, reine qui a pour seule arme une quenouille et qui n’organise la guerre défensive que quand on menace son territoire. (Tarbiyya Tatali, Les femmes nigériennes dans la vie publique, p. 55) Au nom de la vérité historique et culturelle au sens large, le petit manuel Les femmes nigériennes dans la vie publique dénonce la formation d’un « mythe Sarraounia ». D’un point de vue critique, il est quasiment certain que la Sarraounia n’a pas mené elle-même ses hommes au combat, la quenouille étant bien l’un de ses attributs, plutôt que la lance. Pourtant, ce petit ouvrage de l’association vise à promouvoir l’engagement politique des femmes. Loin d’être uniquement une sorte de retour en arrière sur la place des femmes, ce texte réinscrit dans une réalité haoussa contemporaine l’existence de femmes chefs locales, pour inciter les vocations politiques des femmes. L’association a également publié un ouvrage sur Lougou, intitulé Lougou et Saraounia638. D’autres ouvrages, comme Miroir du passé, Grandes figures de l’histoire du Niger, ou Femmes pionnières639, qui mentionnent aussi Sarraounia, ont quasiment le même rôle, quoi que moins immédiatement engagés dans la vie publique640. Comme les femmes fatales (Harakoy, et Lobbo Django641 pour le Niger), et les femmes de pouvoir (Ana de Sousa642 pour l’Angola et Yaa Asantewa643 pour le Ghana), les femmes guerrières, ou combattantes au sens large, sont souvent mythifiées et allégorisées – c’est alors soit la figure de la « mère nation » qui s’impose (même si ni Nehanda ni Sarraounia ne peuvent procréer du fait de leurs fonctions religieuses et de leur 638 Nicole MOULIN, TARBIYYA TATALI, Lougou et Saraouniya, Niamey, Tarbiyya Tatali, 2007. Avec la collaboration de Boubé Namaïwa, Marie-Françoise Roy, et Bori Zamo. L’association mène des programmes d’auto-développement au Niger, avec notamment la création d’écoles, de centres de santé, le développement d’activités des femmes comme le tissage, et la promotion de la culture de l’Aréwa. Les quatre contributeurs de cet ouvrage se sont tous intéressés à la région au cours de leur parcours universitaire. 639 Boureima ALPHA GADO, Miroir du passé, Niamey, Ousmane Garba, 1993, chapitre 18 « Saraounya Mandou, La Reine des Azna face au capitaine Voulet » ; Femmes pionnières, tome 1, Littérature de jeunesse, Niamey, Editions SEEDA, 2005. 640 Pour une analyse sociologique du rôle des femmes en politique au Niger, voir Hadiza DJIBO, La Participation des femmes africaines à la vie politique : les exemples du Sénégal et du Niger, Paris, Harmattan, 2001. 641 Harakoy est la déesse du fleuve Niger, qui a un mari dans chaque ethnie qui jouxtait son territoire (un Gourmantché, un Haoussa, un Touareg). On lui prête une ascendance peule. Lobbo Django est le type de la belle mariée indécise. 642 La source majeure sur Ana de Sousa a bénéficié d’une édition critique récente, Giovanni Antonio CAVAZZI DA MONTECUCCOLI, Njinga, reine d’Angola la relation d’Antonio Cavazzi de Montecuccolo, 1687, trad. Xavier de CASTRO, Alix du CHEYRON D’ABZAC, Paris, Chandeigne, 2010. 643 Sur les différents usages de Yaa Asantewa, voir Thomas C. MCCASKIE, « The Life and Afterlife of Yaa Asantewaa », Africa, 77 (2007/02), p. 151‑179. Les concordances avec nos figures sont remarquables, bien que Yaa Asantewa n’ait bénéficié que de bien moins de réécritures littéraires. 341 grand âge) – soit elles sont déifiées. Il y a donc une double tentation, allégorique et religieuse, qui met dans les deux cas la figure à distance afin d’en neutraliser les potentialités subversives, de remise en cause de l’ordre masculin. Pourtant, il existe des usages de la figure qui tendent à revaloriser le féminin, et notamment l’héroïsme guerrier féminin. Pour preuve, les réutilisations par les associations de la figure de Sarraounia ; ou encore la relecture atypique et cosmopolite de la même Sarraounia par Abdoulaye Mamani. *** Le héros est singulier. Or le singulier inquiète644. Les guerriers d’exception, et les femmes guerrières d’autant plus, interrogent et pensent la règle645. De manière générale, l’héroïsme – et cela vaut alors autant pour Samori, pour Sarraounia que pour Nehanda – constitue un processus d’individualisation, qui tranche avec le commun. Et le « traitement social réservé au héros (légendaire s’entend) »646 diffère selon les contextes culturels ; mais dans tous les cas, l’individu héroïque ne devient pleinement héros qu’en transgressant la règle. Dès lors, il n’est pas étonnant que ses attributs se muent en paradoxes. Cela a été le cas pour nos trois figures, qui sont pensées par les différentes sociétés qui les ont générées sous l’angle de la caractérisation paradoxale, qu’elle soit religieuse, prophétique ou guerrière. Ces trois aspects transcendent les différences culturelles et géographiques de notre corpus et permettent une comparaison « en coupe », pourrait-on dire, de l’ensemble de nos textes. Cette individualisation, que la société traite par la représentation paradoxale, a partie liée avec l’inquiétant, l’inavouable. Partout dans les textes, il y a paradoxe parce qu’il y a fascination et parce qu’il a matière à penser. Et c’est cette inquiétude, que Jean-François 644 Sur la relation entre singulier, héroïsme, et individualité : Hervé DRÉVILLON, L’Individu et la Guerre. Du chevalier Bayard au Soldat inconnu, op. cit. 645 « L’exception pense et renforce la règle », Michel IZARD, « Trois figures féminines Moose », in Singularités. Textes pour Éric de Dampierre, Paris, Plon, 1989, p. 445‑455. 646 Manga BEKOMBO PRISO, « En guise de postface. Individualisme et figures de héros », in Singularités. Textes pour Éric de Dampierre, op. cit., p. 507‑517. Nous avons essayé de montrer, au cours de cette étude, les continuités et les ruptures dans le « traitement social » réservé aux héros en Guinée, au Niger, et au Zimbabwe. 342 Lyotard appellerait l’impur, qui produit le récit. Lyotard, dans Discours, figure647, montre comment le récit mythologique des Murngin de la terre d’Arnhem, expliquant la saison des pluies, inverse les notions de pur et d’impur. Reprenons un instant ce mythe : chez les Murngin, la saison impure des pluies est considérée comme un châtiment des dieux, qui punit la transgression d’un espace sacré par deux femmes. Mais la saison sèche (a priori « bonne ») ne peut être pure et fertile qu’après le châtiment des pluies. Dès lors, la saison impure est également « bonne », tout comme la saison pure est « mauvaise »648. Lyotard conclut : L’ambivalence est double : dans le signifié, l’inceste et son effet de mort sur l’ensemble social sont des traces du désir ; le châtiment représente le refoulement du désir et la transmutation culturelle des valeurs. Dans le signifiant, le désir se présente négativement en tant que commencement du récit, que différence qui fait qu’il y a quelque chose à raconter parce qu’il y a quelque chose à rétablir. (p. 151) La forme du texte (que Lyotard nomme la dispositio) signifie à un autre degré que l’analyse purement structurale du signifié qui ne fait qu’opposer pur/impur, homme/femme, sacré/profane. Or, le signifiant est plus complexe que ces oppositions manichéennes, et dans l’impur gît déjà le pur, puisque l’impur, suggère Lyotard, est une trace de désir que le récit cherche à comprendre, à appréhender, à amadouer. Dès lors, les catégories binaires, ou du moins structurales, ne permettent pas de penser l’émergence des récits fascinants. Lyotard démontre ici que le récit est une « opération de cicatrisation » (p. 150) permettant de penser un refoulé649. Et c’est pour le circonscrire que le récit se déploie, en tentant de lui donner sens et cohérence. De même pour nos héros : en poursuivant cette ligne tracée par Lyotard, nous pourrions dire que le paradoxe serait le résultat du traitement social de l’inquiétant caractérisé par la défaite, la religion, le prophétisme. Ces trois thématiques fascinent parce qu’elles donnent à penser. Elles ne se laissent pas appréhender par des catégories binaires qui réduiraient la pensée à victoire/défaite, tandis que la victoire dans la défaite ou la victoire paradoxale, ou encore la valorisation de la défaite, ne pourraient être pensées. L’individuation héroïque et la victoire coloniale sont exposées à la lecture par un ensemble attributif des héros, qui permet de figurer la complexité du contemporain : la 647 Jean-François LYOTARD, Discours, Figure, Paris, Klincksieck, 2002 [1971], p. 147 et suivantes. Le récit est emprunté à Claude LÉVI-STRAUSS, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962. 648 Jean-François LYOTARD, Discours, Figure, op. cit., p. 150. 649 Quoique de manière différente, et sans recourir au vocabulaire de la psychanalyse, Florence Goyet analyse aussi ces mécanismes de pensées du collectif, par le littéraire. Cette pensée des textes est reprise par Pierre VINCLAIR, De l’épopée et du roman. Essai d’énergétique comparée, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015. 343 mémoire coloniale, la place du féminin, la persistance de l’animisme (ou de sa mémoire) constituent trois points paradoxaux, dont les nœuds sont des « machines à penser »650. 650 Florence GOYET, Penser sans concepts : Fonction de l’épopée guerrière, op. cit., p. 7. 344 Chapitre 3 Que reste-t-il de la figure ? L’horizon de l’évaporation Il paraissait contre-intuitif d’affirmer que c’étaient les paradoxes qui reliaient nos trois figures entre elles. Or, l’étude a montré que les liens, les points communs, les lignes de comparaison à travers les différentes séries de corpus, passaient par les mêmes caractérisations paradoxales des héros. Nous avons conclu que les récits pensaient de manière récurrente les mêmes problèmes, et y apportaient des solutions sous forme d’attribution problématique. Il s’agissait là de récurrences. Autrement dit, on peut reformuler cette proposition comme suit : un grand nombre de textes pensent de manière similaire l’objet « Samori », « Sarraounia », « Nehanda ». Mais tous ne le pensent pas ainsi. Il existe des textes qui ne décrivent pas la défaite de Sarraounia, par exemple. Il existe, de même, des récits qui ne traitent pas de la religion de Samori. Tout comme il existe des textes qui ne parlent pas de la prophétie de Nehanda. Relever une récurrence ne signifie pas que tous les textes de l’ensemble s’y rapportent. C’est simplement relever une constante. On peut alors se demander ce qui relève du « plus petit dénominateur commun narratif » de chacun de nos corpus : à partir de quand le lecteur identifie-t-il un texte comme relevant d’un récit sur Samori, Sarraounia, Nehanda ? Quelle en est la limite minimale, à partir de laquelle, ensuite, les récits s’étoilent en une multitude de caractéristiques qui leur deviennent propres ? Quel en est le seuil ? 345 Nous avons jusqu’à présent délimité des récurrences, des retours significatifs du même. Or, pour reprendre le concept mathématique de la théorie des ensembles, que reste-t-il d’absolument et de nécessairement commun, entre tous les textes sur la même figure ? Pour répondre à cette question, il faut traiter le corpus de manière absolument exhaustive. Il faut tester chacun des cas, pour aller au-delà de la simple récurrence significative, et remonter, par éliminations successives, aux traits distinctifs minimaux651. 1. ÉCLATEMENT ET RECONSTITUTION : VERS LE FIGURAL « Il me sembla que le jardin humide qui entourait la maison était saturé à l’infini de personnages invisibles. Ces personnages étaient Albert et moi, secrets, affairés et multiformes, dans d’autres dimensions de temps ». Borges, « Le jardin aux sentiers qui bifurquent », Fictions, p. 103. Aires d’incompossibilités Plus on rajoute de variables (ce qui était l’objet du chapitre précédent), moins il reste de critères absolument communs : chaque texte contradictoire élimine petit à petit les traits caractéristiques minimaux de la figure. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la somme n’apporte pas un surplus de caractérisations ; bien au contraire. Dans la multiplication des réécritures, donc, le héros se vide de sa substance plus qu’il ne se construit une densité romanesque. Plus ce que nous appelons l’aire d’étendue de la figure s’étend, plus elle semble s’évanouir, ou plutôt s’évaporer : en augmentant le corpus, et donc en augmentant la capacité de la figure à couvrir un large champ, on en réduit la définition. Il peut exister des critères récurrents, le long de cette aire, mais ils ne se 651 Cette réflexion que nous proposons ici sur la notion de figure a été initiée par la journée d’études doctorales d’Adhoc, organisée par le CELLAM, à Rennes, où nous avons discuté de « Réflexions sur la notion de figure : que devient le personnage dans la fiction historique ? À partir de Sarraounia au Niger, Nehanda au Zimbabwe, Samori en Guinée », le 3 juin 2015. La version publiée de ce texte est disponible en ligne, Adhoc, n°4, dossier « La figure » coordonné par Clémence Aznavour, Gaëlle Debeaux, Joanna Pavlevski-Malingre, Barbara Servant : http://www.cellam.fr/wp-content/uploads/2016/02/Bertho_FigurePersonnageHistorique.pdf, consulté le 20 avril 2016. ! 346 recoupent pas tous intégralement : tel texte définit Samori comme père aimant, tel autre comme jeune marchand dyula, tel autre comme tacticien, tel autre comme infanticide malgré lui, tel enfin, comme infanticide pleinement conscient de son acte. D’un bout à l’autre de l’aire tracée par les textes, du domaine d’extension de la figure donc, il existe des mondes incompossibles entre eux, induits par les caractéristiques diverses des figures appelées « Samori ». Or, il est probable que ces aires d’incompossibilités soient plus importantes que les aires de compossibilités. Nous reprenons à Gilles Deleuze 652 la définition de la « compossibilité » ou non des mondes, qu’il emprunte lui-même à Leibniz : On appellera compossibles 1) l’ensemble des séries convergentes et prolongeables qui constituent un monde, 2) l’ensemble des monades qui expriment le même monde (Adam pécheur, César empereur, Christ sauveur…). On appellera incompossibles 1) les séries qui divergent et dès lors appartiennent à deux mondes possibles, 2) les monades dont chacune exprime un monde différent de l’autre. Selon le Littré, qui reprend le Dictionnaire de Trévoux, est incompossible ce qui, en dogmatique, « se détruit réciproquement, ne peut exister ensemble, en parlant d’idées, de propositions »653. Adam non pécheur (Samori héros) est possible en soi, tout comme son contraire, Adam pécheur (Samori tyran). Les deux sont contradictoires entre eux. Mais, poursuit Deleuze, il existe un autre type de relations entre ces deux pôles : il y a non seulement contradiction, mais incompossibilité entre le monde où Samori est héros et où Samori est tyran. Les mondes inclus dans les univers référentiels où existe un Samori héros et Samori tyran appartiennent à des séries divergentes. Reprenant Borges, Deleuze appelle « bifurcation » « un point comme la sortie du temple, au voisinage duquel les séries divergent » 654 (les sentiers bifurquent). Nous avons rendu visibles dans les chapitres précédents, ces points de bifurcations, par des représentations graphiques de lignes de récits divergentes655. Si l’on suit cette piste, on peut même dire qu’il y a dans notre corpus des aires d’incompossibilités figurales. Dès lors, pourquoi continuer d’appeler du même nom propre « Samori » ces individualités divergentes, dans des mondes incompossibles ? Autrement dit, qu’est-ce qui, finalement, fédère la réception ? 652 Gilles DELEUZE, Le Pli. Leibniz et le Baroque, Paris, Minuit, 1988, p. 80. Littré en ligne : littre.org, consulté le 29 janvier 2016. 654 Gilles DELEUZE, Le Pli. Leibniz et le Baroque, op. cit., p. 83. 655 Voir supra, Deuxième partie, chapitre 1 « De la variation ». 653 347 L’hypothèse de l’homonymie « C’est qu’une singularité peut toujours être isolée, excisée, coupée de ses prolongements », poursuit Deleuze656, à propos d’Adam non pécheur. Le prédicat primitif « n’est plus saisi dans tel ou tel monde, mais seulement considéré « sub ratione generalitatis » »657. La figure, en tant qu’individualisation, peut être conçue en dehors de son monde d’appartenance : la monade, qui inclut en elle-même un monde possible, peut être extraite de son univers d’appartenance pour être conceptualisée de manière générale. Est-ce à dire que le Samori ivoirien appartient à un autre monde que le Samori guinéen ? Sont-ce deux mondes incompossibles ? Peut-on parler d’homonymie, entre deux mondes possibles (incompossibles) : Samori serait un nom propre homonyme dans plusieurs univers de fiction ? Nous ne pensons pas que l’homonymie soit une réponse satisfaisante à cette question, dans la mesure où tous les textes prennent tout de même appui sur un même référent extralinguistique originel : le Samori historique, ayant bel et bien vécu, quel que soit la légende qui en a été faite, indépendamment des constellations de récits qui en sont nés. Ahmadou Kourouma, Cheik Aliou Ndao, Massa Makan Diabaté, Bernard Zadi Zaourou, prétendent tous parler du même individu, ayant pour nom Samori, et non pas d’« un Samori ». Il y a unicité de la référence, mais multiplicité des mondes possibles induits dans chacun des récits. Il nous semble que l’hypothèse de l’homonymie réduit ce qu’il y a de fascinant dans le problème : il y aurait tout simplement autant de mondes possibles que de fictions, et autant de héros homonymes que de fictions, sans aucun rapport au réel. Or, précisément, ce qui vient heurter la mémoire, ce qui interroge, et ce qui relance le désir de narration, c’est que Samori a une référence unique, historique, factuelle, incarnée, à partir de laquelle s’étoilent les récits, chacun d’entre eux tirant sa force de cette référence initiale, en dehors du langage, et chacun se nourrissant des autres. 656 657 Gilles DELEUZE, Le Pli. Leibniz et le Baroque, op. cit., p. 85. Gilles DELEUZE, Le Pli. Leibniz et le Baroque, op. cit., p. 86. 348 Spectralité et évaporation de la figure Nous prenons donc au sérieux l’hypothèse que les Samori, Nehanda, Sarraounia de notre corpus ne sont pas des homonymes, qu’ils se réfèrent, au moins en surface (ils le prétendent), à un référent unique, qu’ils en tirent une force, et une énergie, qui alimente leur densité romanesque. Que reste-t-il de la figure ? Très peu de choses en réalité puisqu’ils s’évaporent à mesure de l’étendue de leur extension. Ils deviennent, à l’échelle macrostructurale, des spectres hantés par l’histoire 658 , que la rumeur collective, et que les différentes manifestations littéraires défont659. Mais prenons appui, dans cette enquête sur la figure, sur des personnages tout à fait intéressants dans notre corpus, qui peuvent nous donner des éléments de réponse, de manière indirecte : les Coryphées, et figures de la voix collective. Il nous semble que le personnage de l’homme du commun, de la rumeur, le personnage fantôme permet un détour intéressant, puisqu’il est lui aussi tout à fait évanescent, mais à l’échelle microstructurale des textes, ce qui offre l’avantage heuristique de proposer des « faits » textuels stables, avant de revenir interroger la spécificité de l’évanescence des figures historiques. Des êtres de la rumeur collective : figures et Coryphées Représentants de la communauté, incarnations d’un dire unique, ces avatars du collectif proposent au lecteur-spectateur une voix émanant directement du peuple, qui devient individuée parce qu’elle est collective, à la manière du Coryphée. Et ce 658 Carole Matheron a consacré en 2015 et 2016 plusieurs séminaires doctoraux à l’étude des « fantasmagories de l’histoire », et à l’« inquiétante étrangeté de l’histoire », à l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Elle montre comment le trauma de l’histoire du XXe siècle hante les personnages, qui se défont jusqu’à devenir des spectres, des fantômes, marqués par la perte. Ce manque qui les constitue, d’un point de vue narratif, oblige le lecteur à « vivre avec les fantômes », pour reprendre l’analyse de Jacques DERRIDA Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993, exorde. De manière différente, Xavier GARNIER montre comment la situation postcoloniale, traumatique également, recompose la notion de figure, comme évidement du personnage romanesque traditionnel : le personnage se trouve de la même manière hanté par l’histoire (L’Éclat de la figure : Étude sur l’antipersonnage de roman, op. cit.). 659 Paul ZUMTHOR, dans La poésie et la voix dans la civilisation médiévale, Paris, Presses universitaires de France, 1984, remarquait que le Roland chanté devant les Hastings n’était pas le même que celui chanté dans la maison de particuliers. 349 personnage a un statut d’arbitre, puisqu’il incarne la renommée660, présente le futur des personnages du drame : il est le témoin-juge, qui représente, dans le temps de la pièce, le temps du recul critique et du commentaire. Dans Les Sofas, le personnage du peuple est souvent mis en scène à travers des groupes de personnages, parlant au nom d’un collectif. Sur scène, ce sont des groupes d’acteurs qui se déplacent de conserve, s’opposent, ou se rassemblent, en ayant la fonction de juge, sur l’agora (« la place publique ») : TABLEAU VI LE PEUPLE SUR LA PLACE PUBLIQUE Deux groupes de promeneurs se rencontrent. Premier homme du peuple : Vous savez ce qu’on raconte maintenant à Bissandougou ? Second homme du peuple : Quoi, l’affaire du prince Karamoko ? Premier homme du peuple : C’est devenu grave, maintenant, vous savez ! Il paraît qu’il est contre la guerre. Second homme du peuple : Et alors, tu n’es pas contre la guerre, toi ? Premier homme du peuple : Tu es fou ? Qui n’est pas contre la guerre ? Mais il s’agit de la guerre contre les blancs ! (Les Sofas, p. 51-52) La voix collective décide du sort (de la réputation, du récit, du verbe) de Karamoko : parler de Karamoko sur la scène (ici, la scène publique de l’agora), c’est décider de l’axiologie du récit. « Premier homme du peuple » et « Second homme du peuple », tous les deux des émanations des deux groupes d’acteurs présents sur scène, par le récit (« ce qu’on raconte de », « maintenant vous savez »), jugent de la renommée du personnage. Cette dimension judiciaire de la voix collective se retrouve plus bas, lorsque l’un des acteurs incarne « Le peuple », aux côtés des deux autres : Samory : Dieu fasse que rien ne nous écarte du chemin de la justice et de la vérité. Mes amis, le procès d’aujourd’hui doit revêtir un caractère exceptionnel, parce que l’accusé est un Touré, précisément celui-là même qui devait prendre en main les destinées de ce pays dès la fin de mon règne. […] Le peuple : Karamoko Touré. (L’accusé se lève) Tu es accusé d’avoir trahi ton pays, ton peuple, et ton propre trône. Premier homme du peuple : Tu as pactisé avec le plus cruel ennemi du peuple mandingue, tu l’as servi avec dévouement. 660 Le kleos, le « ouï-dire, la gloire » : en ce sens, la figure représente la dimension « aurale », véhiculée du bouche à oreille, au sens littéral. Pour une réflexion sur l’auralité dans la critique littéraire sur l’épique, nous nous appuyons sur la communication de Florence Goyet, « Auralité : le rôle de l’auditoire. Matériaux pour une enquête », à la journée d’études « Changer d’auditoire, changer d’épopée ? », à l’EPHE, le 29 avril 2016. Sur cette dimension de la mémoire des auditeurs dans la construction du récit épique, voir plus spécifiquement Eric Alfred HAVELOCK, « Prologue to Greek literacy », in Lectures in Memory of Louise Taft Sample, University of Cincinnati Classical Studies, vol. 2, Norman, University of Oklahoma Press, 1973, p. 229!291. 350 Deuxième homme du peuple : Tu as voulu répandre l’épouvante parmi le peuple ; tu as tenté d’abattre son moral en lui prêchant la peur du danger. Troisième homme du peuple : En agissant ainsi, tu as renié notre race et souillé le glorieux passé des Touré dont tu es issu. Le prince, très ferme : Qui m’accuse ? Le peuple : Ton peuple ! (Les Sofas, p. 54-55) Dans Une hyène à jeun, on retrouve un dispositif de mise en scène semblable du collectif : la « voix », hors scène, chante les louanges de Diaoulé Karamako. Elle est la marque de la sympathie du peuple pour le pacifisme du jeune garçon, en fonctionnant comme dénonciation implicite de Samory. Celui-ci, de manière significative, n’est plus à l’écoute du peuple, et ne peut – ou ne veut – plus l’entendre : On entend une voix : « Il est revenu de France Diaoulé Karamoko est revenu de France Décidément il n’a peur de rien » Morifing Dian Diabaté : As-tu entendu ? Samory Touré : Non ! Un grand calme règne. J’aime écouter naître le silence. La voix : « Il est revenu de France Diaoulé Karamoko est revenu de France Décidément il n’a peur de rien » Morifing Dian Diabaté : Cette fois-ci sans aucun doute tu as entendu. Samory Touré : Le gazouillis des oiseaux dans le feuillage mordoré. […] La voix : « Il est revenu de France Diaoulé Karamoko est revenu de France Il nous a libérés » Morifing Dian Diabaté (moqueur) : Déjà une variante de la louange de Diaoulé Karamoko. (Une hyène à jeun, p. 70-71) Il y a une dissolution du personnage dans la rumeur collective, diffracté dans les bruits et les chants qui s’étoilent en autant de variations que de voix successives qui en prennent le relai (« déjà une variante de la louange »). « La voix » fait figure d’arbitre. C’est elle qui décide de la renommée en composant des chansons (en écrivant l’histoire). Ce thème est modulé quelques lignes plus bas, lorsque le conflit entre Karamoko et son père se matérialise dans une juxtaposition de deux chants de louanges opposés : entre celui nouvellement créé de Karamoko, qui symbolise la paix, et celui, guerrier, de Kèmè Birama, qui est dans cette pièce un double de Samory : Fabou : Oui, ton message a effrayé une fraction de l’armée, celle qui s’est enrichie, qui tire sa fortune du sang versé pour la convoitise du butin. Une fraction minime. L’autre, la plus importante, est en parfait accord avec toi. Et j’ai lu dans les yeux de l’Émir tout son désarroi. Kèmè Birama s’est sauvé comme un voleur, hué par les 351 troupes qui ciraient « Paix, paix ! ». Morifing Dian désemparé, les bras levés, prenait le ciel à témoin. La chanson qui est née ? Désormais ton titre de gloire qui ternit celui de Kèmè Birama. (Une hyène à jeun, p. 75) Or nous formons l’hypothèse que ces personnages de Coryphées fonctionnent comme mises en abyme des récits sur la figure, à l’échelle macrostructurale. Autrement dit, comme les voix collectives chantent et dessinent un portrait d’un personnage (le personnage-Karamoko, le personnage-Samori), les différents textes de notre corpus, reprenant le mécanisme de la rumeur collective661, dessinent les contours de la figure (la figure-Samori, la figure-Nehanda). Ces Coryphées, de par le verbe, sont des puissances de louanges et d’accusations. Ils créent de la variation (« déjà une variante »). Et une variation – le chant de louange de Karamoko – peut servir à contrer une autre variation – le chant préexistant sur Kèmè Birama. Le récit, la fable, le chant oppose un autre monde possible, pour rétablir un équilibre en termes de justice. Ce paradigme judiciaire nous semble important dans la création littéraire : écrire sur la figure de Sarraounia, Nehanda, Samori, c’est redonner vie à une figure méprisée, donner une autre version de l’histoire, en prenant appui sur un référent historique, pour prétendre dire le vrai, le juste. Ce qui unit la référence extralinguistique, le récit, le collectif, et les variations autour de la figure, ce sont donc, au terme de cette enquête sur les Coryphées, deux éléments : un accord minimal sur une trame commune qui fonde le récit d’une part, et un nom propre662 d’autre part. Tout le monde s’accorde à dire, par exemple, que Sarraounia est haoussa, azna, de Lougou, près de Dogondoutchi, que c’est une femme et qu’elle s’est opposée aux Français. À partir de ce noyau très simple – et relativement décevant en terme d’analyse –, les récits divergent, les sentiers bifurquent. Ce qui demeure, c’est le nom propre, comme « somme jamais close de ses incarnations »663. 661 Xavier GARNIER, « Usages littéraires de la rumeur en Afrique », art. cit. Voir ainsi pour le mythe des analyses semblables : « Électre, c’est d’abord un nom », Pierre BRUNEL, Pour Électre, Paris, Armand Colin, 1982, p. 5. Véronique GÉLY, L’invention d’un mythe, Psyché : allégorie et fiction, du siècle de Platon au temps de La Fontaine, vol. 56, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 25-34 « Nom propre et mythologie ». Pour Patrice BIDOU, « Le nom propre : un pilier mythique », Ethnologie française (1993/1), p. 27‑36, le nom est le principe décisif de l’instant où les êtres « deviennent » mythologique et tranchent leur dernier lien avec la terre pour venir peupler l’Olympe ». 663 Véronique LÉONARD-ROQUES, « Figures mythiques, mythes, personnages. Quelques éléments de démarcation », p. 25, in Figures mythiques : fabrique et métamorphoses, Clermont Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008, p. 25‑48 ; ce que l’auteur reprend dans son « Avant Propos » également (p. 9-21). 662 352 2. LE NOM PROPRE DES FIGURES « Le nom propre n’est qu’idéalement non descriptif », Ducrot et Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, p. 291. « Le personnage se manifeste de plusieurs manières. La première est dans le nom du personnage qui annonce déjà les propriétés qui lui seront attribuées (car le nom propre n’est qu’idéalement non descriptif) », et de fait, le nom propre renferme, en soi, un potentiel de signification que les textes du corpus se chargent d’actualiser, chacun différemment. Ducrot et Todorov sentent bien la nécessité de la restrictive, « ne… que », dans la définition qu’ils donnent du nom des personnages : il y a toujours, en amont, du sens dans le nom propre des figures. Et le nom propre de la figure historique constitue un cas intéressant d’analyse, puisqu’il est bien ce qu’on appelle un « désignateur rigide » en philosophie du langage, tout en étant à la fois instructionnel (il désigne le porteur du nom), et descriptif (le référent est un particulier)664, en référant au référent (personne) initial « Sarraounia », « Nehanda », « Samori ». Mais lorsqu’il se charge de toutes les réécritures, la description du « sens » véhiculé par le nom propre du personnage de fiction devient bien plus problématique à penser. Une référence extralinguistique comme point d’appui Il s’agit de la première caractérisation de ces trois noms propres : elles s’ancrent dans une référence en dehors de la langue, dans une personne ayant existé, dans un référent considéré comme unique. Ce premier aspect est fondamental pour comprendre la puissance des personnages des fictions que nous étudions, puisqu’ils ont pour point d’appui un être réel. L’« être de papier » puise sa force et son énergie charismatique de la perception d’un « ça a été »665, ce qui brouille les frontières entre réel et fiction, et donc entre histoire et roman. 664 Georges KLEIBER, « Peut-on sauver un sens de dénomination pour les noms propres? », Functions of Language, 11 (2004/1), p. 115‑145. 665 Nous nous approprions, en le décentrant quelque peu, le concept élaboré par Roland BARTHES, La Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980. L’effet de « ça a été » lui permet de 353 Avec une conscience tout à fait fine, et tout en jouant des potentialités ludiques de ce brouillage, les romanciers exposent eux-mêmes cette superposition de références du nom propre. Abdoulaye Mamani, ainsi, raconte : À mon retour j’ai discuté avec les Maoris. [...] Moi, mon avantage, ce [Sarraounia] n’est pas de la légende, mais c’est de l’histoire récente, ce sont des faits historiques. Le noyau est là, existe jusqu’à présent, la Sarraounia et ses arrière-arrière-petites filles ont succédé, et une Sarraounia existe à l’heure actuelle. C’est ce qui a fait justement le succès du livre, il y a eu une telle confusion, entre l’histoire et le roman666 . L’écrivain tire parti de cette confusion du référent : il y a un transfert d’énergie, de densité narrative, qui s’effectue à travers ce nom propre. Or, celui-ci, et Mamani le souligne également, est un titre, ce qui renforce encore, s’il était besoin, la densité narrative de Sarraounia. Non seulement il y a eu une Sarraounia Mangou effective, morte à la fin du XIXe siècle, mais il y a également eu ensuite une lignée de Sarrounia, une succession de femmes qui portent son titre, jusqu’à la Sarraounia existante. Ce que la Sarraounia Gado confirme en 1981, lorsqu’elle se désigne parmi une généalogie : Ah Mangou ! C’est elle qui avait combattu le Dan-Katchira, qui avait combattu Bagagué, qui avait combattu les Blancs. [...] Les Sarraounia de Lougou, Mangou, Taga, Kounnaou, Intaya, et cette autre… Talokoyo et puis moi Gado. (Les traditions de Lougou, de Birni Lokoyo et de Massalata, p. 24) Il y a toute une série de références implicites comprises dans « Sarrounia », que l’on peut lister comme suit : « Sarraounia » 1. Sarauniya, en haoussa, « reine »667. Titre porté par la « reine » de Lougou 2. Sarauniya, du mythe de fondation, qui s’installe à Lougou 3. Sarraounia Mangou668, qui régnait au moment de l’arrivée des Français 4. Sarraounia (Gado), remplacée aujourd’hui : l’actuelle reine 5. Sarraounia-personnage-de-fiction définir l’expérience d’un choc esthétique, profondément intime et subjectif, à la vue d’une photographie de sa mère, enfant. Cette notion s’applique aux noms propres dans la mesure où ceux-ci sont déjà chargés d’une densité textuelle, notamment dans le cas des répétitions litaniques des noms propres de nos figures. Tout comme l’effet de « ça a été » ne se manifeste pas dans toutes les photographies, il ne correspond pas non plus à tous les noms propres. Nous formulons l’hypothèse que les noms propres des figures, précisément, mettent en jeu un transfert d’énergie narrative, où la densité poétique du nom propre renvoie à une expérience partagée, dans le monde. 666 Jean-Dominique PÉNEL, Amadou MAIL! ELE, Littérature du Niger : Rencontre, op. cit., p. 71. 667 Sarauniya : « Queen. Sarauniyar Ingila : Queen of England. Sarauniyar kyau : Beauty queen » Sarauta : « Rule over. Sarauniyar Daura ta sarauci $asar Hausa har zuwa Bayajidda. The queen of Daura reigned over Hausaland until Bayajida came » (Newman, A Hausa-English Dictionary). 668 La signification de « Mangou » n’est pas donnée de manière explicite par des locuteurs haoussaphones. Issa Ousseini, professeur de haoussa aux Peace Corps à Niamey, relie ce nom propre au nom que l’on donne aux filles nées après plusieurs garçons. 354 Il y a une circulation d’influences entre ces cinq niveaux de références, qui profitent au personnage littéraire. « Sarraounia », en tant que personnage littéraire, par exemple chez Mamani, réfère à « Sarraounia Mangou ». Dans une certaine mesure, elle prend sa place (puisque « Mangou » disparaît fréquemment669 des textes et récits), et elle connote également les autres niveaux de références 670 . « Nehanda » fonctionne de manière tout à fait similaire, puisqu’il est également un titre, donné à une prêtresse, en référence à une princesse d’un empire disparu, et qu’il se transmet encore aujourd’hui671. « Samori » est moins complexe, puisque le nom propre n’est pas un titre : il y a donc bien moins de niveaux d’interférences dans les référents que pour les deux femmes de notre corpus, sauf à considérer que le patronyme « Touré » joue d’une ambiguïté similaire (et de fait, Sékou Touré exploitera cette ressemblance, mais qui n’est somme toute qu’homonymique, ici). Pour autant, la « confusion » que repère Abdoulaye Mamani pour Sarraounia se repère également pour Samori, puisque le succès des romans et pièces de théâtre sur Samori s’explique par la très grande renommée de la personne historique qui leur sert de référent. Agir par exophore mémorielle L’usage connotatif des noms propres a été décrit par de nombreux linguistes, comme Lionel Wee ou S. Marmaridou et A. Sophia672, mais il ne s’agit pas ici de discuter de ces thèses, qui se sont d’ailleurs centrées souvent sur les usages de l’antonomase. Signalons simplement que les figures que nous décrivons entretiennent un rôle extrêmement particulier à la référence, et notamment à la connotation, en opérant des croisements entre plusieurs niveaux distincts. 1. Ils ont une fonction d’identification référentielle tout à fait traditionnelle comme tous les autres noms propres. 669 À l’exception notable de plusieurs chants des archives radio : dans notre corpus « Mangou » est présent dans le chant de la Samaria dan Goudaou, et de l’orchestre Mahalba de Doutchi. 670 Comme par exemple dans ce poème « Les noms de mon terroir », d’Ousman dan LÉLÉ, dans Cueillettes : poèmes, Niamey, Nouvelles Imprimeries du Niger, 2005, p. 83 : « Les noms de mon terroir semblent bizarres […] / Moi je les aime / Qui font la chronique des évènements dans leur haut et leur bas / Qui immortalisent une génération identifiée / Qui circonscrivent une région, un terroir / Où vivent encore Baoura, Saraounia / Du Daoura des sept Hawsa. / Ils sont la preuve pérennes de mon histoire ». 671 Voir supra, introduction, Présentation du corpus ; Première partie chapitre 1, Proto-récits sur Nehanda. 672 Lionel WEE, « Proper Names and the Theory of Metaphor », Journal of Linguistics, 42 (2006/02), p. 355‑371 ; A. SOPHIA, S. MARMARIDOU, « Proper Names in Communication », Journal of Linguistics, 25 (1989/02), p. 355‑372. 355 2. Ils connotent également un univers référentiel induit par le nom propre, comme « monde possible » selon l’acception de Deleuze, et c’est alors l’usage métaphorique673 du nom que l’on analyse. Le nom propre devient un acte de langage véhiculant des bribes de mémoires collectives, à l’instar de ce que Keith Basso décrit pour les noms de lieux chez les Apaches674. Grâce au nom propre, à sa concision et à sa charge symbolique dense, « de solides mondes sémantiques prennent vie de façon éblouissante »675. 3. En plus de cela, ils tirent parti du brouillage entre textualité et référence, et l’on pourrait alors avancer que la densité de la figure littéraire s’explique par cette capacité à agir par exophore mémorielle. Nous reprenons cette définition, telle qu’elle utilisée en linguistique, pour définir les allusions implicites ou explicites à une référence extralinguistique, au monde réel. L’exophore s’oppose aux endophores (elles-mêmes subdivisées en anaphores et en cataphores), qui sont des références internes aux univers de discours. Nos figures se créent dans le discours, et les noms propres se tissent de manière endophorique, évidemment, mais leur particularité est que cette navigation entre les textes se double d’une profondeur historique, qui renvoie directement au réel d’un « ça a été » (mais qui n’est plus). Cette effectivité, passée, produit une dramatisation du récit, opère un trouble sur la référence, et, en tout état de cause, la figure gagne à entretenir ce flou, ce tremblé676 : c’est paradoxalement ce qui lui fournit sa consistance. L’exophore est dite mémorielle car elle opère in absentia, puisque le référent historique (que nous proposons de lire ici comme « Sarraounia Mangou »677) constitue une référence absente, que convoque ensuite la mémoire collective678. 673 Cette réflexion sur le nom propre et la métaphore est nourrie par le séminaire « Métaphore(s) » organisé par Bertrand Masquelier et Isabelle Leblic, au LACITO, en 2015 et 2016. Je remercie notamment Bertrand Masquelier pour ses nombreux et avisés conseils de lecture. La métaphore y est ici comprise dans un sens étendu, tel qu’il est décrit par George LAKOFF, Mark JOHNSON, Les Métaphores dans la vie quotidienne, trad. Michel DE FORNEL, Paris, Éditions de Minuit, 1985, elle « permet de comprendre quelque chose (et d’en faire l’expérience) en termes de quelque chose d’autre », p. 15. Voir aussi Georges KLEIBER, La Métaphore, entre philosophie et rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, 1999. Plus généralement, nous nous nourrissons dans cette section des analyses de Keith H. BASSO, L’Eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert, Bruxelles, Zones sensibles ; Les Belles lettres, 2016, sur les Apaches : notamment ici du chapitre « Parler avec les noms », p. 99-134. 674 Keith H. BASSO, « “Speaking with Names” : Language and Landscape Among the Western Apache », Cultural Anthropology, 3 (1988/2), p. 99‑130. 675 Keith H. BASSO, L’Eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert, op. cit., p. 134. 676 Cette « ponctualité infinie du signifiant pluriel », dit poétiquement Julia KRISTEVA, op. cit., p. 240. 677 Mais qui peut aussi se surimposer à d’autres strates de mémoire. Voir ainsi comment Julien BONDAZ analyse les batiks vendus au Musée National de Niamey représentant Sarraounia, comme des métamorphoses de guerriers lybiens des peintures rupestres, « Imaginaire national et imaginaire touristique », Cahiers d’études africaines, 193-194 (2009), p. 365-389. 678 Susan S. BEAN, « Ethnology and the Study of Proper Names », Anthropological Linguistics (1980), p. 305‑316, étudie ce fonctionnement du nom propre, sur la base d’un accord collectif sur le référent, ce qu’elle rattache à un fonctionnement indexical. 356 Les textes du corpus travaillent avec cette référence, et mettent en scène leur propre activité : cherchant à effacer la frontière entre l’exophore et endophore. Par exemple, Mamani montre Sarraounia devant les habitants de Kougou, les exhortant à prendre les armes. Nous avons déjà cité plus haut679 ce discours de harangue, mais revenons un instant sur cette maxime, énoncée dans l’exorde : « seul le nom survit à la mort ». Deux interprétations : soit Mamani imagine son héroïne se prédisant une renommée future, ce qui correspond à la réécriture que l’écrivain opère, puisqu’il reprend un « texte » précédent, celui des récits des « vieux Maoris », dont il dit s’inspirer. Nous sommes dans une référence endophorique en quelque sorte : il s’agit d’une réécriture. Soit Mamani glose, de manière exophorique, le futur succès qu’il espère de son ouvrage, qui porte le même nom de Sarraounia, et qui réfère donc à la fois à Sarraounia Mangoupersonne historique, et à Sarraounia-personnage. Quoi qu’il en soit, cette « survie » annoncée s’effectue dans cette indécision-là, à la frontière des références (ou précisément : du frottement de ces références). *** Conclusion. L’évaporation permet un pouvoir imageant maximal Il y a un dehors du texte, il y a un dehors du nom propre, et ce n’est pas seulement son envers, sa face réversible, ce qui serait en réduire la portée. Au contraire, dans la figure, ce qui est fascinant, c’est cette force qui traverse les réécritures, les relectures et les publics, ce que transcende et recouvre à la fois, le nom propre. Il y a, donc, ce que Lyotard appelle une « énergétique », de la figure : L’art indique une fonction de la figure, qui n’est pas signifiée, et cette fonction autour et jusque dans le discours. Elle indique que la transcendance du symbole est la figure, c’est-à-dire une manifestation spatiale que l’espace linguistique ne peut pas incorporer sans être ébranlé, une extériorité qu’il ne peut pas intérioriser en signification. […] Le symbole […] n’est pas qu’il donne à penser, si tant est qu’une 679 Voir supra, Deuxième partie, Chapitre 2, section « Les harangues, mises en scène du collectif, au seuil de la défaite ». 357 fois le langage existant, tout objet est à signifier, à mettre dans un discours, tombe dans le trémis où la pensée remue et trie tout, l’énigme est qu’il reste à « voir ».680 La figure historique agit comme une énergie681 qui travaille les textes, dont la force dépasse la simple analyse discursive, et qui se nourrit des interactions avec le réel, en « débordant le texte » : en faisant, en amont, référence à un « ça a été », en étant, en aval, repris et réapproprié par la rumeur, les bruits, la rue, le collectif. Samori, Sarraounia, Nehanda constituent des « images », pour reprendre le lexique de Lyotard, au sens où ils sont des forces désirantes, qui travaillent les discours, en rejetant toujours la signification dans un au-delà des textes. Nous avons décrit les aires d’étendues que prenaient nos figures, en pointant les caractères récurrents, ainsi que leurs paradoxes. Ce qui traverse ces aires diverses, c’est le nom propre, qui agit comme une flèche à travers ces étendues. Il connote des univers différents, en fonction des réécritures, mais autour d’une trame minimale réduite à sa portion congrue. Or, c’est précisément cette relative évaporation de la figure, devenant ainsi aérienne, évanescente, qui permet un pouvoir imageant maximal. Si elle perd en qualités et attributs, elle gagne en revanche en plasticité et en force de figuration. À quoi sert cette énergie ? Avec quels usages ? C’est ce qu’interroge la dernière partie de notre étude. 680 Jean-François LYOTARD, Discours, Figure, op. cit., p. 13. Pierre VINCLAIR, De l’Épopée et du roman : essai d’énergétique comparée, op. cit., p. 13, utilise la notion d’energeia, pour refonder une distinction entre les genres épiques et romanesques. 681 358 TROISIÈME PARTIE Constructions des imaginaires historiques Que produit le récit ? « Dans notre façon d’imaginer gît fondamentalement une condition pour notre façon de faire de la politique » Didi-Huberman, Survivances des lucioles, Paris, Minuit, 2009. Introduction. Performativités des figures Comment la fiction reconstruit-elle la mémoire historique ? Comment s’élabore un imaginaire ? Comment la littérature pense-t-elle les crises politiques, culturelles, sociales ? Autant Nehanda, Samori que Sarraounia permettent de penser les rapports entre « notre façon d’imaginer » que décrit Didi-Huberman, l’archive historique et les récits qui se déploient dans les marges ou à partir de ces archives. Ces figures construisent la mémoire historique, de manière performative : elles incarnent un état de la mémoire, en donnant corps et consistance à des affects. 359 360 Chapitre 1 La figure reconstruit la mémoire historique 1. LA LITTÉRATURE N’EST PAS UN REFLET DÉGRADÉ DE L’HISTOIRE : DES OUTILS D’ANALYSE TEXTUELLE AU CROISEMENT DES DISCIPLINES Pour sortir de la question du vrai et du faux Que se joue-t-il réellement lorsque l’écrivain prend pour personnage, pour persona, c’est-à-dire pour masque, une personne historique comme Samori, Sarraounia ou Nehanda ? Que fait la littérature à l’histoire en s’emparant de son objet ? En dénaturet-elle les contenus ? Comment pense-t-elle l’histoire ? Et de manière parallèle, quelle part d’imagination gît donc au cœur de l’archive ? Quelle liberté pour le critique lorsqu’il traite de l’histoire, et précisément de l’histoire coloniale ? Dégager ce qui constitue le personnage-Nehanda, par rapport à la personne-Nehanda, c’est comprendre ce que fait l’écriture fictionnelle à l’énonciation historique. Il ne s’agit pas de différencier les deux in abstracto mais de comprendre leurs interrelations et les effets de rétroactions qui les lient l’une à l’autre. 361 La fiction et l’histoire semblent être deux modalités opposées d’expression du réel, qui sont traditionnellement pensées dans un face à face suspendu, occupant chacun un pôle dans le continuum des discours, et se définissant chacun dans la distance de l’un par rapport à l’autre. Ainsi la littérature a-t-elle émergé des Belles Lettres, en se pensant comme champ autonome682. Ainsi l’histoire se structure-t-elle comme scientifique, depuis le positivisme 683 . Dans cette perspective, raconter 684 , imaginer, inventer, rêver 685 , vampiriser686 ou dire l’Histoire constituent un oxymore véritable, reliant deux bornes extrêmes d’une dichotomie indépassable : c’est créer une chimère à partir de deux éléments hétéroclites, le récit, la fiction, le désir, d’un côté, et l’histoire, la science, le fait de l’autre. Dans cette perspective, donc, la grande majorité des œuvres de notre corpus – celle des romans historiques – relève au mieux de la reconstruction, ou plus largement du faux, c’est-à-dire de la dégradation de ce que pourrait être un texte scientifique sur le sujet. An Ill-Fated People, un récit de souvenirs, serait alors conçu comme moins scientifique qu’un essai sur la seconde Chimurenga du Zimbabwe au XXe siècle. Certes, il est souvent laissé à la littérature le soin de dire « une autre vérité », ou « une vérité supérieure » sur l’homme, sur sa nature, sur ses penchants. Ce que Philippe Roger rappelle dans l’introduction de la revue Critique consacrée aux rapports entre histoire et littérature : L’écriture historique n’est pas la seule à poser le problème des moyens de vérité : c’est le souci central d’un romancier comme Stendhal, qui n’en confond pas l’exigence avec l’exactitude documentaire des naturalismes naïfs. La littérature « en sait long sur l’homme » ; mais ce savoir n’est pas ce qui la constitue comme telle : impossible ajoute Barthes, d’éluder la question de la valeur687. Mais au-delà de cette connaissance supérieure, la littérature n’est pas pensée comme possible opérateur cognitif. Ce grand partage des disciplines est devenu un terrain de jeu pour écrivains, qui se sont fait une joie de tester les limites des définitions et des 682 Pour une histoire de ce mouvement d’émancipation du littéraire, voir William MARX, L’Adieu à la littérature : Histoire d’une dévalorisation, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Minuit, 2005. 683 Pour une histoire croisée des deux disciplines, littéraire et historique, et les constructions de leurs champs respectifs, voir Ivan JABLONKA, L’Histoire est une littérature contemporaine : Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Le Seuil, 2014. 684 Présentons dès à présent des historiens pratiquant cet « oxymore » : Ivan JABLONKA, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus : Une enquête, Paris, Le Seuil, 2012. 685 Charlotte BERADT, Rêver sous le IIIe Reich, Paris, Payot, 2002. 686 Luise WHITE, Speaking With Vampires : Rumor and History in Colonial Africa, Berkeley, University of California press, 2000. 687 Philippe ROGER, Introduction, Critique, « Historiens et Romanciers, vies réelles, vies rêvées », Critique, n°767, 2011 (4). Voir aussi Le Débat, « L’histoire saisie par la fiction », n°165, mai-juin 2011, Gallimard. 362 genres de discours : que ce soit Les Bienveillantes de Jonathan Littell688, HHhH de Laurent Binet 689 , ou encore Jan Karski de Yannick Haenel 690 , les romanciers questionnent les frontières textuelles, retournent les catégories de manière ludique et polémique, et relancent de ce fait les débats de l’historiographie contemporaine. De manière symétrique en effet, les historiens ont entamé également une démarche réflexive sur les catégories, en interrogeant la place du verbe dans leur discipline : comment avoir accès, en effet, au passé sans rhétorique ? Le fondement de la démarche historique, c’est-à-dire une patiente invocation des morts à paraître devant les lecteurs n’est en réalité qu’une prosopopée prolongée, un art profondément narratif, qui consiste à faire parler les disparus. Le linguistic turn opéré en sciences sociales, et le narrative debate qui prolongeait dans la recherche anglo-saxonne, les analyses d’Hayden White691, ont contribué à rappeler la part de subjectivité et de narration692 induite par la discipline historique : il y a une pratique narrative de l’énonciation historique, il y a toujours-déjà du verbe dans la description d’un fait. Pour autant, tous les discours ne se valent pas, et de nombreux historiens se sont attachés, en réaction, à circonscrire la spécificité de la méthode historique, par delà le rapprochement avec la littérature. Roger Chartier tente notamment de sortir du panfictionnalisme d’Hayden White, dans son ouvrage Au bord de la falaise, l’histoire entre certitudes et inquiétude693, en cernant les modalités de contrôle à l’œuvre dans la pratique scientifique. Il y a, dit-il, une différence de visée et de méthode qui rendrait opérante la distinction fiction/histoire : l’écriture du chercheur est vectorisée par la volonté de dire le vrai, ce qui induit un souci de la preuve, du classement des sources, d’argumentation en réponse à une hypothèse, de circonscription de la subjectivité du moi écrivant694. Le rappel de la visée, de la démarche et de l’intention (non au sens d’intention d’auteur, mais d’intentionnalité) est effectivement salutaire ; mais le grand partage reste acquis, et il s’agit toujours d’écarter la littérature de ce qui fonde l’histoire. Plus troublant encore, dans la définition du style de l’historien, nous semble être la 688 Jonathan LITTELL, Les Bienveillantes : roman, Paris, Gallimard, 2006. Récompensé du Prix Goncourt. Laurent BINET, HHh : roman, Paris, Bernard Grasset, 2009. La pratique du sous-titre est révélatrice de ce jeu-limite. Prix Goncourt du premier roman. 690 Yannick HAENEL, Jan Karski : roman, Paris, Gallimard, 2009. 691 Hayden WHITE, Metahistory : The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1975. Lawrence STONE, « The Revival of Narrative: Reflections on a New Old History », Past & Present (1979/85), p. 3‑24. 692 Il faut y « croire », à la manière d’un credo : François HARTOG, Croire en l’histoire, Paris, Flammarion, 2013. 693 Roger CHARTIER, Au bord de la falaise : L’histoire entre certitudes et inquiétude, Paris, Albin Michel, 1998. 694 Voir aussi Pierre NORA, « Histoire et roman : par où passent les frontières ? », in Le Débat, art. cit. 689 363 proposition de l’historien Ivan Jablonka pour qui l’histoire est « un agencement de fictions non fictionnelles dont le but serait de percer à jour le réel »695. Autrement dit, le style de l’écrivain est toujours déjà narratif – on ne peut pas sortir du discours – mais la tâche de l’historien réside dans l’agencement du discours d’une part, et dans la visée d’autre part (ce dernier élément rejoignant Roger Chartier). Ivan Jablonka plaide en outre, au sein même de la méthode historique (donc fondamentalement dans l’agencement), pour un usage de la fiction ; c’est ce qu’il définit comme des « fictions de méthode », pour un usage heuristique du verbe en quelque sorte. Il y aurait – et cela nous semble particulièrement stimulant dans la manière de décaler les partages disciplinaires, dans la manière de faire bouger les lignes de fracture et de faire dialoguer les points de vue – un usage possible de la fiction comme expérimentation cognitive. Deux propositions, en réponse, pour l’analyse des fictions historiques, qui se placent intentionnellement au croisement des disciplines, en interrogeant ce que sait la littérature, en mimant des pactes de lecture fondés sur la scientificité, en exhibant les marques de leur objectivité. Interroger la notion de vérité. L’axe vrai/faux696 n’est pas pertinent pour penser les fictions, qui appartiennent à l’axe réel/fiction. Il n’y a pas de dégradation de l’histoire en littérature, il n’y a pas de chute du texte dans le récit, l’écrivain ne dénature pas l’Histoire en s’emparant du héros culturel. Le travail de création ne peut être pensé seulement comme une plus ou moins grande marge de liberté prise avec l’archive et le fait, qui seraient des catégories stables préexistantes au récit. Il y a un entrelacement des discours dans la construction du héros culturel : la fiction construit la mémoire de l’Histoire. L’histoire n’est jamais préexistante au discours, ce que nous tirons du débat initié par Hayden White, en le prolongeant pour notre objet d’étude ; Samori-personne et Samoripersonnage se construisent l’un l’autre. Le corollaire n’est pas pour autant l’abandon du souci du vrai. Nous plaidons pour une plongée dans les archives, afin de retrouver les traces de la figure dans l’administration coloniale, dans les radios et les télévisions nationales, dans les archives privées. Cette démarche, engagée au départ comme littéraire, d’un point de vue textuel, 695 Ivan JABLONKA, L’Histoire est une littérature contemporaine, op. cit., p. 215. Qui demeure un topos : voir à titre d’exemple, Jan JANSEN, « Une histoire sans archives est-elle possible!? La “vraie” histoire de Samori Touré », Ultramarines. Revue de l’Association des amis des archives d’outre-mer (2008/26), p. 18‑25. 696 364 est la seule à même de jauger de la création. Simplement, l’œuvre n’est pas analysée de cet unique point de vue : le roman Death Throes par exemple, de Charles Samupindi, dont certains passages sont de purs calques des archives des National Archives of Zimbabwe, pourrait être uniquement classé dans la catégorie « vrai », ou plus proche des archives. Mais de quelle vérité parle-t-on, alors que l’auteur reste entièrement dépendant (et même prisonnier) de l’écriture de l’histoire effectuée par le système judiciaire colonial, qu’il tentait pourtant de dénoncer ? Donc l’axe vrai/faux, et la question qui lui est liée, de la dégradation de l’histoire par la fiction, ne sont pas des entrées pertinentes. Ce qui ne veut pas dire que l’immersion dans les archives soit inutile pour le littéraire : au contraire, il est fondamental d’avoir retrouvé les pièces du procès « Queen against Nehanda »697 dans les National Archives of Zimbabwe, pour pouvoir définir l’intertexte du roman Death Throes, et analyser toutes les ambiguïtés du rapport à l’écriture de l’histoire du romancier Charles Samupindi. Sa posture énonciative s’en trouve singulièrement éclairée. Efficacité pragmatique de l’artéfact : la littérature participe de la construction de la mémoire. Nous proposons également de tenir compte de ce qu’il y a précisément de vrai dans la littérature, au-delà de la « vérité supérieure » qui lui est traditionnellement attribuée, pour sortir de l’opposition binaire histoire scientifique/littérature fictionnelle. Le pouvoir de la littérature, à notre sens, est qu’elle « naturalise ses contenus », comme le dit Vincent Debaene698 : le mythe du bourgeois qui apparaît dans la littérature du XIXe siècle fait exister la bourgeoisie. La figure du héros culturel fait advenir une communauté, selon le même principe ; la figure d’un Samori nationaliste fait advenir une certaine conception de la collectivité et du vivre-ensemble dans les années 1960 en Guinée. Il y a une efficacité pragmatique du récit. La littérature participe de la construction mémorielle : elle s’inspire de l’histoire, et en retour, elle influence la mémoire de l’histoire, et nous pouvons même dire qu’elle influence jusque la manière d’écrire l’histoire699. Le roman historique n’est pas seulement « inspiré de faits réels » pour reprendre l’expression consacrée, à l’initiale des films et des romans, ni même qu’un reflet de l’histoire : en 697 NAZ S401-252. Vincent DEBAENE, « L’historien et la littérature », Critique, art. cit. Voir aussi Vincent DEBAENE, L’Adieu au voyage : L’Ethnologie française entre science et littérature, Paris, Gallimard, 2010. 699 Voir par exemple comment les historiens nigériens ont rétrospectivement légitimé le « coup textuel » que représentait l’invention de la figure de Sarraounia par l’écrivain Abdoulaye Mamani : Elara BERTHO, « Sarraounia, une reine africaine entre histoire et mythe littéraire (Niger, 1899-2010) » [en ligne], Genre & Histoire, art. cit. 698 365 réseau, les romans historiques ont un impact effectif sur l’imaginaire collectif, et au-delà, sur l’écriture de l’histoire. Littérature et histoire constituent deux pôles que l’on ne peut penser séparément, et que nous proposons d’analyser en relation de symbiose. Dès lors, à charge pour nous d’élaborer des outils pour penser la construction mémorielle, en acte, dans les textes, au croisement des disciplines : c’est-à-dire, en plaçant notre objet « figure » au centre de la réflexion, en amont de la division disciplinaire. L’enjeu est donc de déplacer l’axe de la réflexion vrai/faux vers une prise en compte globale du fait textuel, sans tomber pour autant dans le travers du panfictionnalisme, celui des narrativistes. Tous les discours ne se valent pas, et nous proposons des stratégies alternatives d’études des textes qui en rendent compte. Il ne s’agit pas de dire seulement qu’Yvonne Vera s’éloigne ou non du vrai puisque le débat n’est pas celui de la véridicité de la littérature, mais de savoir ce qu’elle construit dans le fictionnel : ce qu’elle érige comme vraisemblable qui agira en retour sur l’imaginaire collectif, sur la représentation collective de l’histoire coloniale, sur les stratégies contemporaines d’adhésion au discours du vivre-ensemble. Une boîte à outils pour l’analyse des représentations : de la discipline Les historiens ont accompli une démarche réflexive sur leurs outils et leurs méthodes, en apportant des solutions non-conventionnelles d’usages de la fiction700, à la fois vivifiantes et intrigantes. Elles apportent des réponses inspirantes pour l’analyse de la construction de la mémoire historique, dans les textes. Nous avons délibérément choisi d’étendre la notion de textualité afin d’intégrer dans notre étude non seulement la littérature orale, mais aussi les chants de propagande, certains manuels scolaires, des chants et des ballets radiotélévisés, en empiétant sur des domaines réservés de l’historien, la très classique question de la création des nationalismes, et celle qui lui est couplée, des créations identitaires. C’est parce qu’il nous semble qu’un centre vide demeure dans l’analyse de ces questions théoriques : celui de l’analyse textuelle. Benedict Anderson théorise ainsi les communautés imaginées : Je proposerai donc la définition suivante : une communauté politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine. 700 Ivan JABLONKA, op. cit. 366 Elle est imaginaire (imagined) parce que les membres de la plus petite des nations ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens : jamais ils ne les croiseront ni n’entendront parler d’eux, bien que dans l’esprit de chacun vive l’image de leur communion701. Les communautés politiques sont imaginées, donc elles sont fondées sur une imagerie : au rang desquels le drapeau, la carte d’identité, le musée, l’idée d’une langue unique, l’école figurent en bonne place. Cette imagerie702 est fondée également dans et par les textes, que l’imaginaire est fondé dans la fiction, et singulièrement dans la fiction cristallisée autour de héros. Cette problématique de la langue est pointée par Benedict Anderson dans le chapitre « Patriotisme et racisme » : « Il existe une forme particulière de communauté contemporaine que seul suggère le langage – surtout sous la forme de poésie et de chansons : les hymnes nationaux, par exemple »703. Il faut en prendre acte : les produits culturels sont textuels, et reconnus à l’unisson. Ce que résume Benedict Anderson dans cette formule condensée : « L’image : unissonance ». Mais nous pourrions tout autant remplacer « image » par « figure héroïque », qui n’en est qu’une catégorie, et la formule est également juste. Il s’agit de chanter ensemble, de célébrer à l’unisson. Pour autant, l’analyse textuelle ne demeure qu’un horizon704 du texte de Benedict Anderson, qu’à titre programmatique, puisqu’il ne l’entreprend pas lui-même : au-delà des hymnes nationaux, tout un réseau de textes pourrait prétendre à l’analyse qu’il fonde. C’est ce terrain qu’il est possible de réinvestir, pour caractériser comment l’unissonance se tisse dans les textes, ou au contraire comment ces mêmes textes révèlent parfois de la dissonance, ou viennent du moins compliquer le schéma narratif global, lorsque des mémoires régionales entrent en conflit avec les mémoires nationales par exemple. Avec cet horizon d’étude, la pratique de l’interdisciplinarité n’est pas une confrontation des disciplines, mais elle est plutôt, dans la démarche que nous 701 Benedict ANDERSON, op. cit., p. 19. Voir aussi notre travail sur l’image, au sens propre, et notamment sur les photographies coloniales et leur rôle dans la diffusion des récits, dans nos annexes, p. 804-818. Voir aussi comment nos trois figures sont considérées comme des figures proprement plastiques, notamment par Michel LEIRIS qui place Samori dans sa liste d’« images » : « Imagerie africaine : La mort de Livingstone, Fachoda, Arthur Rimbaud vendant des armes, […] Samori », L’Afrique Fantôme, in Miroir de l’Afrique, Paris, Quarto, Gallimard, 1996, p. 509 (Samori est d’ailleurs cité aussi p. 125 à propos de l’une de ses anciennes captives, et p. 134 où Michel Leiris retranscrit ce graffiti de Médine : « LA ILO SAMORI ARRETE TOI SAMORY HO »). 703 Benedict ANDERSON, op. cit., p. 148-149. 704 C’est également le cas de l’ouvrage d’Anne-Marie THIESSE, La Création des identités nationales, op. cit., qui fait une large part aux productions culturelles, mais l’objectif de notre étude ici est d’analyser dans le détail des textes l’efficacité pragmatique des fictions dans la création des imaginaires, et de le prouver à partir d’énoncés en circulation. 702 367 expérimentons, la recherche d’une complémentarité théorique autour d’un même objet pragmatique : la figure « Samori », « Sarraounia », « Nehanda ». Nous la concevons dans la lignée de ce que Myriam Suchet décrit être l’indiscipline705, qui se place en amont du grand partage des disciplines, et en reliant les savoirs à la Cité, au fait politique706. Comment dialoguer avec l’Histoire, en ce sens ? Qu’apporter au débat, lorsque nous décidons de franchir la frontière institutionnelle des universités ? Que pouvons-nous dire des représentations collectives ? Il ne s’agit pas uniquement d’une question de lexique (ce qui est appelé intertexte ici, est appelé influence ailleurs, entre autres exemples) mais de croisement des méthodes, des démarches, et des questions que l’on pose aux textes ou aux sources. Nous proposons ici une typologie des outils critiques que nous utiliserons au fil de cette troisième partie, avec cette perspective croisée, dans l’espace entre histoire et littérature. Pour une extension du contexte littéraire. La notion de contexte est bien sûr fondamentale dans l’analyse historique traditionnelle des sources; nous plaidons ici pour une prise en compte dans la notion de « contexte » du contexte littéraire : l’influence intertextuelle latente des contes, des traditions orales, d’un mode de structuration épique des récits, ou encore des racines théologiques d’assise du pouvoir temporel dans l’explication des modalités de prises de pouvoir des rois et des chefs. Les textes que l’on écoute la nuit ou le jour fondent des horizons d’attente dans la manière de construire les récits. Ceux sur Samori, Sarraounia et Nehanda ne sont pas des créations abstraites sur le pouvoir, la guerre, la défaite. Ils appartiennent à un espace textuel qui détermine des passages obligés de la narration, de manière sous-jacente ou explicite. Dans « Histoire locale » de Djiguiba Camara, par exemple, où nous avons déjà souligné que l’axiologie était particulièrement mouvante quant à la caractérisation de Samori, puisque la première partie du texte lui semble favorable tandis que la seconde se clôt sur un éloge des Français qui ont mis un terme à l’esclavage, il nous semble déterminant d’examiner le rôle des contes noirs et des contes cruels707 pour analyser la seconde caractérisation de 705 « L’indiscipline », conférence de Myriam SUCHET à Paris 3 Sorbonne Nouvelle, le 20 décembre 2013, dans le cadre du séminaire de recherches « Littérature et sciences », dirigé par Alain Schaffner, Aude Leblond et Marie Bonnot; reprenant l’expression forgée par Laurent LOTY, « Pour l’indisciplinarité », Julia DOUTHWAITE et Mary VIDAL (éd.), The Interdisciplinary Century, Oxford, Voltaire Foundation, 2005. 706 Partageant en cela la démarche d’Yves CITTON, Lire, interpréter, actualiser : Pourquoi les études littéraires ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2007. 707 Pour une analyse du conte cruel, nous nous référons aux analyses fondatrices de Geneviève CALAMEGRIAULE, Contes tendres, contes cruels du Sahel nigérien, Paris, Gallimard, 2002. Sur un espace connexe, voir Christiane SEYDOU, Contes peuls du Mali, Paris, Karthala, 2005. Sur la construction des chants 368 Samori qui relève de la « légende noire ». Dans sa conclusion, Yves Person a montré comment l’accusation de cruauté (du terrible) relevait en réalité d’enjeux de pouvoir et de luttes dynastiques : on accuse de cruauté celui que l’on veut destituer708. Le motif est récurrent et fondé sur les mêmes accusations. Yves Person incite, dès lors, à considérer ces motifs comme des motifs qu’il appelle légendaires, en tous cas à les considérer dans un intertexte global de tentatives de renversements dynastiques fondés sur des récits et des rumeurs. Fondés, donc, sur des textes. Plus largement dans notre corpus, la narration semble se fonder sur des modèles canoniques de description de l’horreur, afin de canaliser le trauma et de signifier de manière globale les ravages de la guerre, sans prendre au pied de la lettre les détails rapportés. Contrairement à ce que le bon sens historique semble privilégier, la récurrence d’un motif n’a pas valeur d’attestation : au contraire, c’est le signe de son extrême stylisation du réel et d’un compromis narratif pour dire l’indicible. Le motif des enfants pilés constitue le comble de l’horreur et Marie Rodet a filmé des attestations de ces récits toujours vivants aujourd’hui pour dire la présence de Samori dans les mémoires709. Plutôt que d’y voir une preuve, nous y voyons un motif littéraire, ce qui n’en atténue pas la portée, au contraire : le souvenir des razzias et des pillages est trop violent pour avoir été conservé tel quel, et surtout pour être ré-oralisé. Samori est relié implicitement au personnage de l’ogre710, à l’enfant terrible qui choisit le mal pour le mal de manière incompréhensible à la communauté, à l’irruption du désordre dans le réel de manière inopinée711, au roi assoiffé de pouvoir ; et tous ces motifs offrent des recours narratifs à ce qui reste en amont trop brûlant pour accéder au dire. Le littéraire canalise ici le trauma : et l’intertexte est un élément du contexte712. Pour une analyse intertextuelle de l’archive. Afin d’éclairer cet intertexte large, nous nous sommes fondée également sur des recherches ponctuelles menées en archives. Le dépouillement a bien sûr été partiel, et il ne s’est jamais agi de refaire le travail des historiens, qui ont par ailleurs travaillé sur les figures ou sur les contextes des résistances malinké et leur structure, voir l’imposant livret explicatif de Gilbert ROUGET, « Guinée Musique des Malinké », Collection du CNRS et du Musée de l’Homme, Harmonia Mundi, Chant du monde, 1999. 708 Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 3, p. 2039. 709 Marie RODET, Les Diambourous, op. cit. 710 Au personnage de Barbe-Bleue, presque. 711 Sur le motif de l’enfant terrible, et sur la question du mal en littérature, voir Veronika GOR ! OG ! , Histoires d’enfants terribles (Afrique noire). Études et anthologie, Paris, G. P. Maisonneuve et Larose, 1980. 712 Nous prenons l’intertexte au sens large, et profitons de l’ouverture permise par la perspective comparatiste, en intégrant des langues différentes (malinké, haoussa, shona, français, anglais) et des médias différents (romans, chants, ballets, films, pièces de théâtre). Sur le choix du comparatisme, voir l’introduction, supra. 369 de Samori, de Sarraounia et de Nehanda713. Notre travail a consisté à rechercher les sources fondatrices des discours coloniaux, dont nous avons montré en première partie (chapitre 1, section 1 « Les figures héroïques dans la période coloniale ») qu’ils étaient l’intertexte originaire des réécritures ultérieures. Souvent le fait d’officiers ou d’agents de la colonisation, il est possible de retrouver des monographies et des rapports antérieurs à leurs récits publiés, qui constituent des notes prises directement sur le terrain qu’il est intéressant de comparer avec la construction future de leurs souvenirs imprimés. La colonisation a constitué une démesure archivistique, où les fonctionnaires étaient des écrivains la moitié de leur temps : pour écrire à leur famille (les récits de Gaden à son père racontent sur le vif la vie des officiers ayant participé à la capture de Samori, et qui l’ont ensuite escorté vers Kayes et Saint-Louis714), pour fournir des études historiques et anthropologiques (sur la région de Dogondoutchi au Niger, la série 1D offre un panorama d’études de 1909 à 1946, et attestent de l’évolution du rôle des chefs religieux – dont la Sarraounia – pendant la période715), ou encore pour se justifier de leurs actes devant leur supérieur, et de manière paradigmatique devant un tribunal (l’enquête menée par le chef de bataillon Laborie rassemble tous les acteurs de la mission Afrique Centrale afin d’expliquer le meurtre de Klobb par Voulet, et de déterminer la nature exacte des « atrocités » commises sur leur route716), entre autres exemples. Nous verrons d’abord comment ces récits constituent véritablement un intertexte dans notre corpus, c’est-à-dire comment ces documents sont mis en scène, reproduits, cités, manipulés, réutilisés, subvertis, démentis (chapitre 1, section « Écrire avec l’archive »)… Autrement dit, nous 713 C’est une évidence pour ce qui est de Samori, où Yves PERSON a réalisé une somme considérable, Samori, op. cit. Les travaux sont en revanche moins fournis pour la figure de Nehanda, où les études sont souvent globales sur les Chimurenga, plus que sur la résistance d’une seule médium. De même pour Sarraounia, où l’historiographie se centre de manière globale sur l’histoire de la colonne Voulet-Chanoine. (voir les notes bibliographiques complètes fournies au premier chapitre « Bio-graphies des héros culturels », supra) 714 CAOM, FP 15APC/2. Lettres à son père, Samory, 1897-1898. 715 Série 1D. Sur Sarraounia, voir 6.1.2 « Monographie de Doutchi » par Belle, 1913, 19p. manuscrites. Mention de Voulet et Chanoine ; 6.1.8 « Les fétichistes de Lougou et de Bagagi par M. Plagnol, Annexe au rapport de tournée, 1946 » : « Les fétichistes de Lougou (version revue et corrigée) » ; « Les fétichistes de Bagagi » avec une carte du cercle de Dosso. Description du rituel de désignation de la Sarraounia, description des rites de divination et de possession (bori) ; 5.1.9 recoté 5.1.13 « Histoire du peuplement du cercle de Dosso », 39p. tapuscrites, J. Périé et H. Sellier, Administrateurs des colonies, 1946. 1ère partie en photocopie : « Des origines à la fin du XVIIIe siècle » ; 2ème partie tapuscrite : « Le XIXème siècle ». Comprenant des cartes. Mentions de Sarraounia (p. 11, 37), des archers de Lougou (p. 29, 31). (6.1.10) « Le Maouri ou Aréoua », E. Séré de Rivières, 9p. tapuscrites. Mentions de Sarraounia. 716 CAOM, DAM/16 En quête de la mission « Afrique Centrale », 1ère partie ; 2nde partie. Rapports. Dépositions des témoins : Lieutenant Pallier, Lieutenant Joalland, Docteur Henric, Lieutenant Peteau, Lieutenant Delaunay, Lieutenant Salaman, Sergent Major Laury, Sergent Bouthel, Maréchal des Logis Tourot, témoins indigènes. 370 étudierons la place de l’objet « document » dans les récits, et nous en analyserons les fonctions discursives. Puis nous analyserons la place de ces textes dans la formation des imaginaires collectifs et le rôle de ces avant-textes souvent délaissés par la critique littéraire. Pour une analyse de la construction textuelle du point de vue. Notre corpus est fait d’un ensemble de textes qui semblent dérouler le même récit, et nous avons montré dans la seconde partie de notre thèse que de nombreux textes présentaient globalement la même structure narrative. Or, dire la même chose dans le même ordre ne signifie pas véritablement et complètement dire la même chose. Pour définir l’orientation, plus ou moins explicite, donnée à l’histoire coloniale, il ne sous semble pas que la structure permette de livrer toutes les clés d’interprétations utiles. Nous nous fonderons sur les études d’Alain Rabatel sur la construction textuelle du point de vue 717 avec une perspective stylistique afin d’expliquer ce que Gérard Genette nomme des cas de transvalorisation, c’est-à-dire de réorientation axiologique donnée à un même récit. Med Hondo raconte, dans la majeure partie de son film Sarraounia, l’avancée de la colonne Voulet-Chanoine – en lui donnant une place quasiment aussi importante qu’à Sarraounia – or il est évident que si le fil chronologique de succession des épisodes recoupe, dans cette première partie du récit, les textes comme ceux de Jacques-Francis Rolland dans Le Grand Capitaine, une ré-analyse idéologique s’opère. L’analyse de l’ethos du narrateur, et l’interrogation sur la posture, sur la voix, viendront compléter ces caractérisations de transvalorisations des récits de l’histoire coloniale. Le « point de vue » se construit dans une source comme dans un texte, et des choix d’écriture informent de ces constructions. Pour une analyse narratologique de la pensée fictionnelle. Comment pense la fiction ? Que pense la fiction ? « Que peut la littérature »718? Comment influence-t-elle les représentations de soi ? Dans son ouvrage comparatiste à propos de l’épique, Florence Goyet montre par une analyse narratologique comment des systèmes d’oppositions des personnages et de la diégèse plus généralement (Achille / Patrocle ; Roland / Olivier) portaient des structurations implicites du réel, formulaient une pensée du monde 717 Alain RABATEL, La Construction textuelle du point de vue, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1998. Pour reprendre les titres célèbres des interrogations des critiques, à la suite de l’interrogation formulée par Sartre : Alain FINKIELKRAUT, Mona OZOUF, Pierre MANENT, et al., Ce que peut la littérature, Paris, Stock; Panama, 2006 ; Stéphane AUDEGUY, Philippe FOREST, Que peut (encore) la littérature ?, Nouvelle Revue Française, n°609, Paris, Gallimard, 2014. 718 371 s’affranchissant des concepts719. Achille ne re-présente pas l’orgueil des grands aux prises avec l’émergence d’une société démocratique et d’un nouveau type de souverain (Hector), à partir d’une situation qui aurait déjà émergé et qui serait transcrite mimétiquement dans le texte. Il constitue en soi une modalité de la pensée, non régie par le principe de non-contradiction, qui offre des possibilités alternatives à la conceptualisation théorique. Le réel étant encore trop prégnant, la transformation étant trop globale, la possibilité du texte théorique n’offre pas assez de recul pour la pensée. Le récit permet d’incarner des bouleversements politiques, sociaux, économiques, culturels, en proposant des pistes de comportements et des trajectoires dynamiques qui, dans le système des personnages, dans les oppositions binaires que le récit propose, pense la société. Nous postulons que l’extrême rapidité des processus de colonisation / décolonisation en moins de cent ans, en Afrique, constitue un cas particulièrement riche de demande de récits. Samori, Sarraounia, Nehanda participent de ce laboratoire, dans un intervalle finalement relativement court, de création d’identités collectives dans et par le récit, comme pensée du réel720. (Chapitre 2 « La figure et la pensée du monde en crise ») Ce bref panorama des outils que nous mobiliserons dans notre analyse constitue une tentative de résoudre certaines apories du partage disciplinaire. Il ne se veut bien évidemment non exhaustif, et ne relève que de la proposition méthodologique, à partir d’un modèle inductif où les figures Samori, Sarraounia, Nehanda sont toujours-déjà placées en amont et au centre de la réflexion, en partant des textes, et non des divisions méthodologiques et disciplinaires. 2. COMMENT ON RACONTE L’HISTOIRE : ENJEUX D’UNE LITTÉRATURE HISTORIQUE « Raconter l’histoire », c’est aussi « écrire l’histoire » : les choix des écrivains, artistes, chanteurs, musiciens dans la narration de l’histoire ont un impact sur les 719 Florence GOYET, Penser sans concepts : Fonction de l’épopée guerrière, op. cit., le « parallèlehomologue », p. 75, et le « parallèle-différence », p. 141. 720 Appelé aussi « schèmes de modélisations du réel » par d’autres, Vincent DEBAENE, L’Adieu au voyage. L’ethnologie française entre science et littérature, op. cit. Nous reviendrons sur ce rapport à la représentation des crises politiques dans le chapitre 2, infra. 372 représentations et les imaginaires collectifs, étendant en cela la notion d’ « écriture de l’histoire », et de ses acteurs. À cet égard, les questions du sens dans l’écriture de l’histoire sont à traiter en réseau, en articulant les productions scientifiques et les productions culturelles à un premier niveau, et les productions textuelles entre elles à un second niveau. Le « lieu commun »721 à partir duquel l’on pense – imbriqué dans un réseau de non-dits et d’impensés de la langue et du discours –, l’épistémè donc, se construit dans et par les discours; et les récits, en réseau, participent de son élaboration. Les textes de notre corpus interrogent ce rapport d’écriture de l’histoire, à plusieurs échelles, que nous suivrons dans le déroulement de cette section de notre étude. D’abord, ils se nourrissent d’histoire : c’est la définition même du « roman historique ». L’histoire sert de trame narrative, elle donne un cadre temporel, elle est un décor. Cela est vrai autant pour les romans, comme Monnè d’Ahmadou Kourouma ou Sarraounia d’Abdoulaye Mamani722, que pour un chant bien plus court, comme « Keme Bourema » de Sory Kandia Kouyaté. Immédiatement relié à cet aspect intervient la question de l’interprétation de l’histoire, du sens à donner aux faits racontés, conçus comme vectorisés en direction du lieu et du moment d’écriture : dans une perspective téléologique, la capture de Samori constitue un appel à une relecture happée par le contexte de production de la Guinée des années 1970 par exemple. La capture de Samori est lue à travers la prise de pouvoir de Sékou Touré : elle constitue le début de la période coloniale précisément et uniquement parce que Sékou Touré vient y mettre un terme soixante ans plus tard. Derrière nos narrations historiques, il y a une stratégie d’appropriation de l’écriture de l’histoire. Au-delà de la stratégie explicite déployée par les auteurs, les textes de notre corpus développent un imaginaire de l’archive tout à fait intéressant. « Écrire l’archive » représente un enjeu majeur de nos textes, depuis les chants jusqu’aux manuels scolaires, en passant par les romans : écrire depuis les archives, réécrire l’archive, écrire contre l’archive, mythifier l’archive… Toutes les postures sont représentées, avec un pivot central : le développement narratif s’enracine dans un intertexte préexistant, l’intertexte 721 Rejoignant la question de la production du « lieu », Michel de CERTEAU, L’Écriture de l’Histoire, op. cit., section « Un lien social ». Sur la configuration de l’histoire par le système dans lequel elle s’élabore, voir Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire ; Essai d’épistémologie, Paris, Le Seuil, 1971, dans l’historiographie. Les narrations historiques telles que celles de notre corpus contribuent à cette production d’une épistémè commune, sous-jacente au « lieu ». 722 Sur l’usage de l’histoire coloniale chez Mamani, nous reprenons les analyses d’Antoinette TIDJANI ALOU, « Comment peut- tre écrivain au Niger ? Histoire coloniale, marginalité et magie de l’écriture littéraire », Niamey, édition Annales de l’Université Abdou Moumouni, tome VII-B, sect. 1-11, 2006, qui les lit selon la modalité de la subversion. 373 colonial, celui des papiers et rapports de l’administration, celui des récits des officiers, celui des procès. Afin d’inventorier cet imaginaire, il était nécessaire de retourner aux sources de ces archives, dans les Archives Nationales de Guinée, les Archives Nationales du Niger, la Section Outre-Mer des Archives Nationales, à Aix-en-Provence, les National Archives of Zimbabwe. Une fois cette documentation réunie, nous faisons le pari d’étudier ces différents papiers issus de l’administration coloniale comme intertexte, comme hypotexte pour reprendre la terminologie de Gérard Genette, c’est-à-dire un avant-texte, même comme pré-texte ou prétexte si l’on préfère723. Enfin, l’étude de l’ethos des narrateurs viendra compléter cette analyse de la représentation de l’histoire. Nous avons vu dans la seconde partie de cette étude, consacrée aux formes et aux poétiques des figures, qu’un ensemble de variations se faisait jour dans les réécritures, et que nous avons pu les cartographier724, reprenant en cela une démarche structuraliste. Dans l’écriture de l’histoire, la question du point de vue vient considérablement compliquer la représentation de la narration, alors même que les épisodes racontés sont identiques, et le sont de surcroît dans le même ordre. Ce détour par le point de vue permettra notamment de réintégrer dans l’étude ce qui paraîtrait autrement impensable : ce sont les nombreuses agrammaticalités qui parsèment nos textes : ces incohérences apparentes, que Michael Riffaterre analyse dans Sémiotique de la poésie comme des structures agrammaticales sur le plan syntagmatique, rendue cohérentes si l’on envisage l’axe paradigmatique725. Nous nous réapproprions ce concept pour montrer comment les impensés du texte s’expliquent par l’intertexte, mais surtout comment le niveau microstructural révèle les postures des auteurs, bien plus que (ou du moins en complément de) la structure générale des récits qu’ils exposent. Les partis pris des auteurs. Stratégies postcoloniales d’écriture de l’histoire Le premier niveau de l’analyse concerne donc les partis pris que les auteurs affichent dans la réécriture de l’histoire. Qu’ils soient écrivains ou chanteurs, ils sont en effet très nombreux à affirmer leur choix d’écriture de l’histoire, et à s’en expliquer, à 723 « Hypotexte », Gérard GENETTE, Palimpsestes : La littérature au second degré, Points, Paris, Le Seuil, 1982, p. 13. « Prétexte » dira plus tard János RIESZ, De la littérature coloniale à la littérature africaine : Prétextes, contextes, intertextes, Paris, Karthala, 2007. 724 Voir supra, partie II, « Poétiques des figures héroïques », Chapitre 2. 725 En prenant l’exemple de la poésie baudelairienne ; Michael RIFFATERRE, Sémiotique de la poésie, op. cit. 374 produire un discours critique réflexif sur leur pratique : pourquoi prendre comme cadre et comme décor l’histoire, et singulièrement l’histoire coloniale ? Nous nous centrons ici sur les choix postcoloniaux726, autrement dit sur les stratégies de subversion de la norme coloniale 727, que ce soit avant ou après les indépendances. Nous attribuons donc à postcolonial le sens large et non chronologique de posture transgressive de l’idéologie coloniale et impériale. Nous remontons ici à l’origine du choix de mettre en scène non seulement des héros guerriers, mais des héros de résistants à la colonisation, où la notion de résistance peut s’étendre à une multitude d’interprétations pragmatiques, dans la réception étendue des œuvres et des chants de notre corpus. Pour le roman Sarraounia, Abdoulaye Mamani est extrêmement clair dans les différents entretiens qu’il a pu donner728 : il s’agissait pour lui de présenter une autre vision de l’histoire que celle véhiculée par les Français. Le Grand Capitaine est le roman qui a servi de repoussoir dans la conception de son propre texte : Comment sortir cette histoire banalisée ? J’ai aussi lu une fois Le Grand Capitaine, et j’ai lu que dans Le Grand Capitaine on a consacré un paragraphe à Sarraounia. L’auteur dit que la mission Voulet-Chanoine, de passage, est tombée sur une vieille sorcière que le premier coup de feu a dispersé dans la brousse729 . J’ai dit, mais ça suffit ! S’il y a eu des coups de feu, donc il y a eu velléité de résistance. [...] Alors je vais en France, je fouille les documents à la même source que celui qui a écrit Le Grand Capitaine.730 Jacques-Francis Rolland fut membre du Parti Communiste Français, journaliste et professeur d’histoire, il obtint en 1984 le prix du roman de l’Académie française pour Un dimanche inoubliable près des casernes731. Son travail de reconstitution historique de la 726 Sur la notion de postcolonialité chez Ahmadou Kourouma, dont nous ne développons pas ici l’analyse par souci de concision mais qui fonctionne sur le même modèle que les textes présentés dans cette section, voir l’article de Kasereka KAVWAHIREHI, « Ahmadou Kourouma et la mise en œuvre de la vérité postcoloniale », Tangence, (2006/82), p. 41-57. 727 Ce qui a été étudié pour quelques textes de la littérature sénégalaise : Daouda MAR, « Des comptes rendus de mission (1620-1920) à la littérature sénégalaise: transposition et réécriture », in Jean-François DURAND (dir.), Regards sur les littératures coloniales, op. cit., p. 125‑151. 728 Voir Sahel Dimanche, n°409, 410, 411 des 11, 18, 25 décembre 1992 : entretien en trois volets avec Abdoulaye Mamani menés par Oumarou Ali, ANN, Niamey. Voir aussi l’annexe « Entretien avec Abdoulaye Mamani à Zinder le 16/12/1986 » du mémoire d’Ousman Maman IDI, L’Esthétique d’Abdoulaye Mamani dans Sarraounia, mémoire de Lettres Modernes, Université Abdou Moumouni de Niamey, 19881989, sous la direction d’Amadou Maïlélé et d’André Guyon. La source majeure restant les entretiens réalisés par Jean-Dominique Pénel : Jean-Dominique PÉNEL, Amadou MAIL! ELE, Littérature du Niger : Rencontre, Niamey; Paris, Ténéré!; L’Harmattan, 2010. 729 C’est inexact : Jacques-Francis Rolland décrit la bataille de Lougou, puis les différentes tactiques de harcèlement des Aznas contre la colonne. Abdoulaye Mamani noircit à dessein la vision qu’il juge colonialiste et impériale du roman Le Grand Capitaine. Il est, en revanche, exact que Sarraounia est présentée comme « une vieille sorcière ». 730 Jean-Dominique PÉNEL, Amadou MAIL! ELE, Littérature du Niger : Rencontre, op. cit., p. 71. 731 Jacques-Francis ROLLAND, Un dimanche inoubliable près des casernes : roman, Paris, Grasset, 1984. 375 colonne Voulet-Chanoine est salué par l’historienne Muriel Mathieu dans son ouvrage La Mission Afrique Centrale732, bien que l’auteur ait été singulièrement fasciné par les deux capitaines français qui menaient la mission. Abdoulaye Mamani est très dur avec cette reconstruction, « cette histoire banalisée » dit-il, qu’il juge impérialiste, et il ne cita jamais le nom de Jacques-Francis Rolland, en réaction de qui il écrivit. Dans la suite de l’entretien qu’il a livré à Jean-Dominique Pénel, il explique le besoin de revenir sur l’histoire du Niger, pour se la réapproprier : Il fallait que nous cherchions dans notre passé, dans notre histoire. En discutant avec des Maoris, des vieux Maoris, je suis tombé sur l’histoire du peuple Azna, un petit peuple qui est demeuré dans le dernier carré de l’animisme au Niger. [...] Tous les ans, même le pouvoir va consulter le Baoura, un vieux charlatan qui est très connu, tous les ans, il prédit l’avenir des grands, et à côté j’ai trouvé l’histoire de Sarraounia. Entre-temps les choses ont changé, je me suis retrouvé en prison et en prison j’ai essayé d’esquisser le roman.733 Abdoulaye Mamani ne connaissait pas le personnage de Sarraounia, il a pratiqué une enquête de terrain, il est allé à la rencontre des dépositaires de la mémoire de la colonisation, il a cherché à rencontrer la Sarraounia alors en fonction… Ce qui le guide fondamentalement dans cette démarche, c’est l’innutrition de ce qu’il considère être un passé partagé, un passé nigérien : « il fallait que nous cherchions dans notre passé, dans notre histoire », affirme-t-il, afin qu’en retour il nourrisse les créations contemporaines, capables de réécrire l’histoire du point de vue d’un nous collectif qu’il cherche à construire rhétoriquement (d’autant plus rhétorique qu’il assume d’ailleurs avoir découvert Sarraounia peu de temps avant le processus d’écriture : le nous collectif est donc bien de l’ordre du pari textuel). Il est plus aisé de comprendre la posture d’Abdoulaye Mamani si l’on se réfère à l’introduction du Grand capitaine, contre lequel il écrit734. Je n’ai rien ajouté, je peux donner la référence de chaque détail. Je prie les lecteurs qui me soupçonneraient d’avoir inventé des épisodes afin d’atteindre une dimension romanesque, d’être convaincus qu’il n’en est rien. La réalité, fabuleuse, décourage la fiction. Seules la construction et l’écriture me sont personnelles. De même, je me suis interdit tout commentaire. Ni réquisitoire, ni plaidoirie, cet ouvrage peut affirmer sincèrement : cela fut ainsi. Dans l’horreur comme dans l’expiation. (Le Grand Capitaine, p. 7) 732 Muriel MATHIEU, La Mission Afrique centrale, op. cit., Introduction. Jean-Dominique PÉNEL, Amadou MAI!LELE, Littérature du Niger : Rencontre, op. cit., p. 70. Le thème du charlatanisme est hérité du vocabulaire colonial que Mamani reprend à son compte dans cette citation. 734 Pour une comparaison plus systématique entre Sarraounia et Le Grand Capitaine, voir Antoinette Tidjani ALOU, « Sarraounia et ses intertextes : Identité, intertextualité et émergence littéraire », Revue électronique internationale de sciences et langage Sudlangues, 5 (2005), p. 44‑69. 733 376 Jacques-Francis Rolland déploie dans son introduction un ethos de scientificité, garant de son objectivité (« je peux donner la référence de chaque détail »). Il déclare n’avoir rien inventé, et prétend donc adopter un point de vue universel sur les faits qu’il rapporte. Seule la mise en récit serait de son fait. Pourtant ces quelques lignes trahissent l’engagement de son auteur, qui est subjugué par son objet (« la réalité, fabuleuse, décourage la fiction »). Plus loin, l’auteur déclare d’ailleurs : « de plus en plus fasciné, je suis allé travailler aux sources », mené par « une envie impérieuse d’en savoir davantage ». Voulet et Chanoine seront décrits comme des hommes abandonnés par leur hiérarchie, contraints d’inventer sur place les moyens de leur expédition, égarés par la douleur, la maladie, la soif, mais avant tout et essentiellement guidés par une force psychique hors du commun, et un esprit d’aventure magnifique (comme l’indique le soustitre, désignant Voulet : « un aventurier inconnu de l’épopée coloniale »). L’horreur y est certes décrite, mais l’élan de l’écriture demeure celui de la fresque, « horreur » et « expiation » étant agrandies par un souffle épique dans les deux cas. Le schéma suit celui de la tragédie : déjà condamnés – puisque le lecteur de 1976 sait d’emblée le carnage dont ils sont responsables – les deux personnages principaux luttent dans la douleur pour expier leur faute, d’où les descriptions des longues marches dans le désert, de leur soif inextinguible qui apparaît comme un châtiment divin des atrocités qu’ils commettent. Cette mise en scène, cette présentation des deux capitaines comme des héros incompris, paraît aujourd’hui extrêmement datée, tant l’historiographie s’est attachée à déconstruire ce mythe de l’aventurier735. Quatre ans après Le Grand Capitaine, qui continue de relayer une image de l’officier colonial empreinte d’une fascination bien peu contenue, quelles que soient les déclarations d’intention de l’auteur, Abdoulaye Mamani fait paraître son roman Sarraounia, dont l’incipit est une réponse directe à celui de Jacques-Francis Rolland : Le dix-neuvième siècle s’achève dans un tumulte de guerre, de conquête et d’occupation. La colonisation de l’Afrique bat son plein. Français, Anglais, 735 Ce mythe a été créé par le propre père du capitaine Chanoine, qui publie sous un anonymat relatif une collection de documents destinée à l’innocenter post-mortem : Charles Paul Jules CHANOINE, Documents pour servir à l’histoire de l’Afrique Occidentale Française, 1895 à 1899. Correspondance du Capitaine Chanoine pendant l’expédition du Mossi et du Gourounsi. Correspondance de la mission Afrique centrale. Annexe: Extraits des rapports officiels du Lieutenant Gouverneur du Soudan. Pièces justificatives, op. cit. ; une entreprise critique globale a été élaborée par l’historien Finn FUGLESTAD, « À propos de travaux récents sur la mission Voulet-Chanoine », Revue française d’histoire d’outre-mer, 67 (1980/246-247), p. 73‑87 ; signalons enfin la réédition des deux textes de Meynier et de Klobb, qui est accompagnée d’un dossier critique à la présentation pédagogique soignée : Jean François Arsène KLOBB, Octave Frédéric François MEYNIER, A. Maitrot de La MOTTE-CAPRON, À la recherche de Voulet : sur les traces sanglantes de la mission Afrique centrale, 1898-1899, op. cit. 377 Allemands, Portugais et Belges s’en donnent à cœur joie. Une colonne française, sous le commandement du capitaine Voulet, part du bord du fleuve Niger pour le lac Tchad avec mission d’arrêter la marche foudroyante de Rabah, un aventurier arabe qui rêve de se tailler un royaume au cœur de l’Afrique. Voulet et sa légion de mercenaires noirs quittent le 2 janvier 1899 Ségou, capitale de l’ancien Soudan (actuellement le Mali). Ils traversent le pays Mossi, le Gourma et le pays Djerma en brisant impitoyablement toute résistance à leur marche vers l’Est. (Sarraounia, p. 7) Il n’y a pas de déclaration d’intention de l’auteur, le récit d’introduction adopte d’emblée une focalisation zéro, les compléments circonstanciels de temps et de lieu saturent le récit. Les noms propres, les toponymes, et les ethnonymes créent une illusion référentielle efficace : il s’agit de persuader le lecteur que l’écriture de l’histoire est fiable. Ce n’est qu’une posture bien sûr, car jamais le roman ne prendra à nouveau cette texture froide de l’énonciation historique scientifique. Comment expliquer cette rupture syntaxique à l’initiale de l’œuvre ? C’est que, pour Abdoulaye Mamani, l’incipit a pour principale fonction de construire un seuil où l’énonciation historique nigérienne possède une validité, à l’égale de la française contre laquelle elle se retourne. La première des postures des écrivains est donc d’affirmer un droit à l’écriture de l’histoire; ici conçue comme histoire commune, partagée au-delà des différences ethniques, sociales, religieuses (Abdoulaye Mamani n’étant ni Azna, ni païen). L’intertexte n’est cité que dans les entretiens de l’auteur; l’œuvre n’en fait pas de mention explicite. La posture des écrivains et artistes guinéens des années 1970 s’inscrit dans cette ligne, tout en allant plus loin dans le dispositif de dénonciation de l’écriture de l’histoire par les Français : la position idéologique est bien la même que celle d’Abdoulaye Mamani, mais l’intertexte est cité dans les textes et dénoncé à l’intérieur des œuvres736. Le mécanisme d’écriture de l’histoire comme contre-écriture est exhibé, mis en scène, exposé. Dans la conclusion de son article sur l’enseignement de l’histoire sous Sékou Touré et de son rôle dans la construction d’un imaginaire national737, Céline Pauthier pointe l’influence qu’a eu le manuel scolaire de Djibril Tamsir Niane et de Jean SuretCanale sur l’imaginaire collectif, notamment à travers la figure de Samori chanté par le 736 Signalons ici que cette posture est la même que celle de Charles Samupindi dans Death Throes sur Nehanda. Nous citons la quatrième de couverture : « Death Throes is a reincarnation of a monumental personality in the history of Zimbabwe, the woman, Mbuya Nehanda. Although the work has been written as fiction, the author developed his material from ascertainable fact. The raw materials from which the story is hewn are, firstly, the original court record in the trial judge’s own hand, which is with the National Archives. Secondly, there is also a mine of scripts on oral history, also with the Archives, which covers this period in question. ». 737 Céline PAUTHIER, « Forger l’imaginaire national : les enjeux de l’enseignement en histoire en République de Guinée au lendemain de l’indépendance », in L’école en situation postcoloniale, Cahiers Afrique n°27, Paris, L’Harmattan, 2012. 378 Bembeya Jazz National dans Regard sur le passé, comme le souligne l’historienne, qui cite les deux textes en annexe : Plusieurs hypothèses permettent de rendre compte de cette correspondance quasiparfaite entre deux versions du récit national. Tout d’abord, on peut avancer que le Bembeya Jazz s’est appuyé sur le manuel, puisque les paroles ont été écrites plusieurs années après sa sortie. Il est peu probable que les musiciens eux-mêmes se soient appuyés sur leurs souvenirs d’écoliers. En revanche, on peut penser que le manuel a réellement servi de matrice à la mise en récit d’une des périodes jugées les plus glorieuses de l’histoire guinéenne. De plus, Sékou Touré ayant lui-même relu et apporté des corrections au récitatif de Regard sur le Passé, il n’est pas impossible qu’il se soit lui aussi servi du manuel de 1961. Toutefois, cette hypothèse ne prend guère en compte le travail de recherche effectué localement par les musiciens du Bembeya, largement issus de la tradition mandingue. La forme musicale de Regard sur le passé, s’appuie sur les chansons de geste inventées par les griots dès l’époque de Samory. Sans aucun doute les musiciens ont-ils traduit en français les paroles de la tradition mandingue. Le rapprochement établi par Céline Pauthier est en effet confondant, et il nous faut ici étendre l’intertexte aux manuels scolaires et aux textes d’historiens, à cheval sur les disciplines pour pouvoir comprendre l’originalité du texte du Bembeya Jazz. Dans les deux cas, l’écriture de l’histoire s’établit comme une écriture en réaction à une domination de l’écrit colonial. Il s’agit pour les historiens et les chanteurs de redorer le blason d’un héros national, injustement calomnié par ses ennemis. Mais les deux textes vont encore plus loin, outre cette entreprise de déconstruction-reconstruction de l’imaginaire de Samori, effectuée de facto dans les textes et les louanges qui les accompagnent plus ou moins implicitement, le manuel scolaire et la chanson ont retrouvé ce qui, dans la « Bibliothèque coloniale », confortait leur héroïsation de Samori. L’effet produit est donc double : d’une part, une écriture de l’histoire postcoloniale est fournie en remplacement d’une autre, coloniale ; et d’autre part, l’écriture de l’histoire est subvertie pour qu’il n’en reste plus que les auteurs qui ont admiré Samori. Le renversement est donc complet. Voici une section des deux textes que Céline Pauthier cite en annexe de son article : Après l’audition d’un tel hymne, est-il besoin de vous présenter l’Almamy Samory Touré ? Pour le camper, nous nous contenterons de quelques citations, citations de ceux-là même qui l’ont combattu, et qui ont essayé de salir sa mémoire. « Dans l’histoire des colonies françaises, Péroz écrit, ses ennemis les plus mortels sont unanimes à reconnaître que l’Almamy Samori Touré ne revenait jamais sur la parole donnée. » Delafosse ajoute : « La trahison n’était pas dans ses habitudes ». 379 Et Baratier poursuit : « Il n’est pas exagéré de dire, que l’Almamy Samory s’est montré supérieur à tous les chefs noirs qui furent nos adversaires sur le continent africain. Il est le seul ayant fait preuve de qualité caractérisant un chef de peuple, un stratège et surtout un politique. Il le fut en tous cas, possédant l’audace, l’énergie, l’esprit de suite et de prévision, et par-dessus tout une ténacité inaccessible au découragement. » (Bembeya Jazz National, retranscription complète en annexe) Alors que le manuel scolaire, sept ans plus tôt affirmait de son côté : L’histoire coloniale a dépeint Samory sous les traits d’un monstre sanguinaire, fourbe et traître, etc... Elle en a fait autant pour justifier tous ceux qui ont résisté à la conquête. C’était une manière de justifier l’action des colonisateurs. (...) Ce sont les adversaires eux-mêmes de Samory qui reconnaissent sa loyauté : « ses plus mortels ennemis sont unanimes à reconnaître, écrit Péroz, qu’il n’a jamais violé la parole donnée ». Et dans l’Histoire des colonies françaises, Delafosse reconnaît : « la trahison n’était pas dans ses habitudes ». Sur ses qualités d’homme et de chef, le général Baratier écrit : « il n’est pas exagéré de dire que Samory s’est montré supérieur à tous les chefs noirs qui ont été nos adversaires sur le continent africain. Il est le seul ayant fait preuve de qualité caractérisant un chef de peuple, un stratège et même un politique. Conducteur d’hommes, il le fut en tout cas, possédant l’audace, l’énergie, l’esprit de suite et de prévision, et par-dessus tout une ténacité irréductible, inaccessible au découragement ». Enfin et surtout, Samory mérite de prendre place parmi les héros parce que, au-delà de ses qualités personnelles, il a combattu pour une cause juste, celle des peuples, en luttant contre l’impérialisme colonial738. Quelques remarques s’imposent, en complément de la stratégie de contre-écriture que nous avons définie à propos de ces deux textes en regard. Si nous adhérons pleinement à la remarque de Céline Pauthier sur l’usage du manuel scolaire comme « matrice » de la rhétorique propagandiste de Sékou Touré autour de Samori Touré (qui devait fonctionner par « éléments de langage », car l’on retrouve disséminés dans les textes de la RTG, que nous fournissons en annexe, des retours répétés de formules de louanges ou de dénomination de la colonisation française par exemple), il nous est en revanche plus délicat d’adopter son point de vue sur une éventuelle source orale commune ; et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, le jeu de la traduction – que ce soit depuis le malinké, le bambara ou le peul – n’aurait jamais fourni une telle ressemblance entre deux textes en français, comme « langue cible ». D’autre part, l’influence des chansons de geste est tout à fait perceptible dans les sections de Regard sur le passé en malinké (rappelons que cette chanson fait alterner des strophes en français et des strophes en malinké, ces dernières, dont nous avons obtenu une traduction à Conakry, étant 738 Djibril Tamsir NIANE, Jean SURET-CANALE, Histoire de l’Afrique Occidentale, Paris, Présence africaine, 1961. Chapitre 24. Cité dans l’annexe de l’article de Céline PAUTHIER, art. cit. 380 souvent peu connues et peu étudiées en France739), mais elle ne porte pas sur les mêmes aspects de la ré-écriture de l’histoire. À aucun moment en malinké ne sont cités les dires d’un officier français ou des textes d’archives. Cette opération de citation du texte impérial en guise de justification de l’argumentaire postcolonial ne peut s’effectuer que, précisément, dans la langue coloniale, pour que le dispositif fonctionne à plein : il faut que ce soit dans la langue symbole de la domination que se joue la réappropriation pour qu’elle soit complète. Ainsi, ce sont les acteurs de la colonisation qui sont cités comme gages de l’héroïsme de Samori, et c’est dans la langue française que la réécriture se déroule. Enfin, pour clore ces quelques remarques sur l’écriture de l’histoire dans Regard sur le passé, notons simplement que les auteurs sont extrêmement attentifs aux jeux de langue. La strophe en malinké qui suit immédiatement le texte que nous venons de citer est un hymne à Samori, qui reprend des motifs tout à fait traditionnels de louange du héros guerrier, en reprenant l’influence des chansons de gestes mandingues que citait Céline Pauthier, à ceci près que le malinké déploie un univers textuel où Samori est « le vainqueur des Blancs » : Le rempart contre les Blancs Le lion des Blancs Excusez le chef, là où tu es, tout le monde te connaît Là où tu vas, tout le monde a peur Là où tu n’as pas été, on chante ton nom là bas aussi Tes ennemis ont fui Le chef des guerriers, on ne peut pas te battre, les guerres que tu fais ont produit des échos dans le monde Où es-tu parti ? L’ennemi des Blancs, où es-tu parti ? Le lion des Blancs, où es-tu parti ? L’exemple de l’Afrique, où es-tu parti ? (Bembeya Jazz National, traduction du malinké par Bangaly Diene Diane, cf. annexe) Il est vrai que Samori a tenu tête aux Français pendant de longues années, qu’il a su réorganiser son empire pour mener la lutte sur plusieurs fronts, que la colonne de Kong a été mise en déroute, ou bien encore que la bataille de Woyowoyanko a été une victoire des troupes de Samori sur les bataillons français. Néanmoins, Samori est ici présenté comme « vainqueur des Blancs » de manière intransitive : universellement vainqueur des Blancs, et non pas seulement « vainqueur des Blancs à Woyowoyanko ». Cette déploration sur la mort du héros en malinké s’effectue à la suite des passages en français qui citaient Baratier et Delafosse : elle est une clôture de l’opération de réécriture de 739 Voir les traductions complètes en annexes, p. 644-649. 381 l’histoire, qui n’est dès lors plus uniquement une contre-écriture, comme pour Abdoulaye Mamani. C’est une subversion de l’écriture de l’histoire coloniale, et une réécriture complète, en français et en malinké de la mémoire coloniale. La mise en scène de la réécriture coloniale chez Yvonne Vera dans Nehanda suit les mêmes objectifs idéologiques, d’une démarche militante de réappropriation postcoloniale d’une histoire collective, tout en s’illustrant par la création d’une forme tout à fait particulière. Ici, le contre-discours colonial des Boers est dénoncé avec tout autant de force que chez Abdoulaye Mamani ou que chez le Bembeya Jazz National, mais la proposition d’un texte alternatif n’est pas si frontale, tout en développant d’autres significations. La stratégie de réécriture d’Yvonne Vera passe par la multiplication des songes de Nehanda, l’alternance entre discours indirect libre – qui frôle à certains moments le flux de conscience – et la focalisation zéro, la pratique de la possession, des divinations et prophéties qui rendent le personnage de Nehanda littéralement hors d’ellemême, toutes ces visions et ces procédés contribuant à troubler l’horizon de réalité de l’illusion référentielle. Le lecteur est plongé dans des inter-espaces qui sont le lieu d’inter-discours, pourrait-on dire : le songe, la possession, la prophétie est le moyen narratif qui permet de faire émerger des discours alternatifs, et qui dépasse surtout, grâce une extrême poétisation du texte, la dichotomie discours colonial/discours nationaliste. Yvonne Vera ne se reconnaît pas dans la violence patriarcale de la société zimbabwéenne post-indépendance, et nous suivons le critique Maurice Vambe qui considère que la possession est un moyen à la fois d’inverser les motifs de l’écriture coloniale, tout en se mettant en retrait de la société patriarcale traditionnelle740. Ainsi, Yvonne Vera propose un espace autre, celui de l’interstice entre deux discours rejetés et renvoyés dos à dos : « spirit possession encodes within it counter-memories to the dominant narratives of colonialism and Shona patriarchy » analyse Maurice Vambe, ce qui pourrait tout aussi bien convenir aux rêves de Nehanda, à ses nombreux cauchemars (chapitres 8, 9), aux songes de Mother (chapitre 12) et de la marchande (chapitre 3), et à tous les procédés de décrochages énonciatifs qui installent un horizon merveilleux ou fantastique dans la narration : autrement dit, qui circonscrivent la possibilité d’un lieu alternatif d’un discours 740 Maurice VAMBE, « The Paradox of Post-colonial Resistance in Yvonne Vera’s Nehanda », art. cit. ; voir aussi sur les stratégies de réappropriations postcoloniales de l’écriture d’Yvonne Vera, Khombe MAGWANDA, « Re-mapping the Colonial Space : Yvonne Vera’s Nehanda », in Robert MUPONDE, Mandi TARUVINGA (dir.), Sign and Taboo, op. cit. et Tiyambe ZELEZA, « Colonial Fictions: Memory and History in Yvonne Vera’s Imagination », Research in African Literatures, 38 (2007/2), p. 9‑21, dont le propos est rigoureusement identique. 382 libérateur sur la terre – le lieu de l’oppression coloniale – ainsi que sur les corps, notamment des corps féminins – le lieu de l’oppression sociale contemporaine. L’originalité de cette forme de réécriture peut se lire dans le chapitre 10, celui de la possession du personnage d’Ibwe, qui fonctionne comme une miniature de l’ensemble des procédés que nous avons décrits, enchâssée dans la narration. Ibwe est au centre du dare, dans le village de Nehanda, et tous les habitants, hommes, femmes et enfants, sont rassemblés autour de lui. Au milieu de tous, il va rejouer l’épisode traumatique de la colonisation, où la possession devient la forme la plus intense de théâtralité puisqu’Ibwe incarne au sens littéral les personnages qu’il fait advenir alternativement sur la scène publique : il est possédé tout à tour par le colon, le chef, les ancêtres, et ceux-ci apparaissent devant tous pour non pas représenter la violation des terres, mais la présenter à nouveau, la faire advenir une seconde fois pour l’expliquer, pour rejeter les arguments des Blancs, pour personnifier la voix du village énonçant/écrivant la colonisation. Ibwe raises his voice above the impatient murmurs. “The elders delivered our message well. The white man treated our elders with contempt. He had no respect for what we had to say. The stranger was told that our ancestors are not pleased with the presence of the white men. He laughed at our beliefs”. […] His eyes are those of a dog that has not yet decided whether to attack or to run away. His jaw has moved forward, so that the words, when he continues speaking, seem to force their way out of his mouth. The people understand that the white man is now standing before them. … “I will give you guns, and teach you to pray to my God. He will strengthen you, and give you victory over your enemies. The things you believe are not true. Your ancestors cannot help you.” […] He looks at his hand, which holds a piece of paper. … “I shall read everything to you, and you will see that it is very clear. I am a messenger of the Queen. The Queen is like your Mwari. She protects, and wishes to extend her protection over you. I shall give you guns with which to fight your enemies. In return, my people will be allowed to search for gold. You can trust me.” (p. 32-33) [Ibwe couvre de sa voix les murmures impatients. « Les anciens ont bien transmis notre message. L’homme blanc a traité nos anciens avec mépris. Il n’a eu aucun respect pour ce que nous avons à dire. On a dit à l’étranger que nos ancêtres n’approuvaient pas la présence des hommes blancs. Il a ri de nos croyances. […] Ses yeux sont ceux d’un chien qui n’a pas encore décidé s’il allait attaquer ou s’il s’enfuir. Ses mâchoires se sont avancées, de sorte que les mots, lorsqu’il continue à parler, semblent se frayer un passage avec difficulté à travers sa bouche. Le peuple comprend que l’homme blanc est à présent devant eux. … « Je vous donnerai des armes, et vous enseignerai à prier mon Dieu. Il vous rendra puissants, et vous donnera la victoire sur vos ennemis. Ce à quoi vous croyez n’est pas vrai. Vos ancêtres ne peuvent vous aider » […] Il regarde sa main, qui tient un morceau de papier. … « Je vais tout vous lire, et vous verrez que c’est très clair. Je 383 suis un messager de la Reine. La Reine est comme vos Mwari. Elle protège, et souhaite étendre sa protection sur vous. Je vais vous donner des armes avec lesquelles vous combattrez vos ennemis. En échange, mon peuple sera autorisé à chercher de l’or. Vous pouvez me faire confiance »] La phrase « The people understand that the white man is now standing before them » condense le procédé d’énonciation. La scène, l’auditoire distribué en cercle, l’incarnation de la voix du colon : l’ensemble du dispositif narratif dramatise la parole d’Ibwe, qui rejoue la première rencontre entre les Blancs et les Shona. Ibwe est le colon. Celui-ci, « The white man », est rejeté en-dehors de la terre, il est l’étranger « the stranger », et de facto assimilé à l’usurpateur. Son discours, inséré entre plusieurs prises de paroles des Anciens (« the elders », à travers Ibwe), porte la marque de cette annexion illégitime. Il multiplie les manifestations ostensibles de confiance et de transparence du pacte qu’il veut conclure : l’emploi du lexique de la clarté (« it is very clear », « you can trust me »), l’emploi du présent de vérité générale à valeur dogmatique (« you ancestors cannot help you »), le futur de l’indicatif fonctionnant comme programmatique (« I will give you guns », « my people will ne allowed to search for gold »). Tout le coup de force rhétorique colonial consiste précisément à faire paraître naturel une violation de territoire, assortie d’une reconfiguration culturelle : la reine d’Angleterre est comparée (« is like ») au chef shona, mais elle prétend en réalité le remplacer ; la fonction des dieux shona est reniée et remplacée par une religion nouvelle ; la proposition d’échange (des armes contre le droit d’exploitation du sol) est factice puisque les ennemis véritables sont précisément ceux qui prétendent s’accaparer la terre (et non pas comme le suggère le colon les autres tribus shona ou même ndebele). L’ensemble reposant sur une preuve irréfutable : « a piece of paper ». C’est le papier qui valide le discours colonial : c’est la source, la pièce d’archive, le texte qui écrit l’histoire des vainqueurs. « Le conquérant va écrire le corps de l’autre et y tracer sa propre histoire » comme le synthétise Michel de Certeau741. Le processus de lecture à voix haute du texte écrit a une valeur prescriptive et normative : le papier est un coup politique, théorique, textuel 742 . Encapsulée dans le chapitre 10, l’écriture de l’histoire coloniale est déconstruite par Yvonne Vera et dénoncée comme une série de mystifications diverses, la plus grande de toute étant la violence symbolique recelée dans l’écriture, avec ses ramifications politiques, sociales, culturelles dans 741 Michel de CERTEAU, L’Écriture de l’Histoire, op. cit., Avant Propos à la seconde édition Folio Histoire, p. 9. 742 J’emprunte la notion de « coup textuel », dérivé de celle classique du « coup d’État » de Christian JOUHAUD, Richelieu et l’écriture du pouvoir : Autour de la journée des Dupes, Esprit de la cité, Paris, Gallimard, 2015. 384 l’imposition d’un schéma unique de pensée, celui du colon, aux dépens de tous les autres. Cette violence symbolique se retrouve quelques lignes plus loin lorsque le colon exige une signature du traité : « Put your mark on this paper. Any mark that is yours. Do not use any symbol that is shared by others. Do you have your own symbol ? » (p. 34). En réponse, les Anciens proposent une poétique de la vie du langage : la langue n’est signifiante que réactivée dans l’oral, et en quelque sorte, elle ne vit réellement que lorsqu’elle est embrayée (« the speech that bore them », infra) : “Our people know the power of words. It is because of this that they desire to have words continuously spoken and kept alive. We do not believe that words can become independent of the speech that bore them, of the humans that controlled and give birth to them. Can words exchanged today on this clearing surrounded by waving grass become like a child left to be brought up by strangers? Words surrendered to the stranger, like the abandoned child, will become alien – a stranger to our tongues. The paper is the stranger’s own peculiar custom. Among ourselves, speech is not like rock. Words cannot be taken from the people who created them. People are their words” (p. 33-34) [« Notre peuple connaît le pouvoir des mots. C’est pour cela qu’il désire que les mots soient continuellement dits et gardés vivants. Nous ne pensons pas que les mots puissent devenir indépendants du discours qui les a portés, des humains qui les ont contrôlés et qui leur donnent vie. Les mots échangés aujourd’hui, dans cette clairière couverte d’une herbe ondoyante, peuvent-ils devenir comme un enfant délaissé, élevé par des étrangers ? Les mots qui se sont rendus face à l’étranger, comme l’enfant abandonné, deviendront autres – un étranger à nos langues. Le papier est la coutume particulière de l’étranger. Chez nous, le discours n’est pas comme un roc. Les mots ne peuvent être arrachés aux gens qui les ont créés. Les gens sont leurs mots »] À l’instar de l’épisode des « paroles gelées » dans le Quart Livre de Rabelais743, les paroles ne sont vivantes que lorsqu’elles sont prononcées, vécues, oralisées, et l’on ne peut les conserver « dans la neige et glace » : Pantagruel l’interdit car c’est « follie faire reserve de ce dont jamais l’on n’a faulte et que tous les jours on a en main, comme sont motz de gueule entre bons et joyeulx Pantagruelistes » 744 . Le mot s’actualise dans l’échange immédiat, et c’est cette actualité du langage qui préserve la pluralité des significations, et partant, qui empêche la fixation mortifère du sens745. Cette même dichotomie entre deux paradigmes se retrouve chez Yvonne Vera : 743 François RABELAIS, Le Quart Livre des faicts et dicts héroiques du bon Pantagruel [1552], Genève, Droz, 1947. Chapitres 55 « Comment en haulte mer Pantagruel ouyt diverses parolles degelées » et 56 « Comment, entre les parolles gelées, Pantagruel trouva des motz de gueule ». 744 François RABELAIS, Le Quart Livre, op. cit., chapitre 55. 745 Michel JEANNERET, Le Défi des signes : Rabelais et la crise de l’interprétation à la Renaissance, Orléans, Paradigme, 1994. II. « Rabelais et les signes », « Les paroles dégelées ». 385 Parole oralisée / vie / significations multiples / écoute Texte écrit / mort / figement du sens / vision La « leçon d’écriture » est inversée746 : contre Lévi-Strauss, Yvonne Vera pense le mot en relation, et définit la parole comme ce qui toujours échappe à la fixité. Couché sur le papier, le mot s’appauvrit et devient étranger (« alien »). L’écriture est un moyen d’oppression, mais elle n’est qu’une victoire technologique, puisqu’elle est aussi et surtout un dévoiement du sens. La leçon d’écriture, c’est avant tout la mort d’un rapport embrayé et vivant à la langue. Est-ce à dire que la spécificité de l’écriture de l’histoire d’Yvonne Vera est de dénoncer toute écriture, paradoxalement ? Comme pour Rabelais qui dénonce, dans le chapitre 55 du Quart Livre, la fixité du langage, il ne nous semble pas qu’il faille interpréter si loin. L’écrivain se sert de l’écriture pour dénoncer un usage perverti de la langue, mais suggère des pistes de réactivation dans le même temps, des procédés de revivification des significations. Pantagruel nous invite à être « de bons Pantagruélistes » en s’échangeant « des motz de gueule », en communiquant, en blaguant, en devisant : en faisant circuler le discours, et ce également dans les textes. Ce n’est que l’usage violent de la langue qui est dénoncé par Yvonne Vera, le mode assertif, le futur programmatique, le pacte mensonger, l’échange faussé, le mot hors du corps qui promet. L’ensemble de l’ouvrage, et singulièrement le chapitre 10, avance des clés pour cerner la poétique de la langue qu’elle élabore, en réaction à ce mésusage colonial de la langue. La transformation onirique des sensations, l’accession à des lieux alternatifs par la possession, le jeu d’ombres du théâtre incarné constituent trois modes pour atteindre un espace en rupture avec le discours dominant, où la langue est déliée : déliée des stéréotypes, déliée de la doxa, déliée de l’écriture dominante de l’histoire. Précisément, Yvonne Vera ne propose pas un seul discours opposé à l’inter-discours colonial : elle propose un mode de réflexion sur la construction de l’oppression, elle pointe la mystification, elle suggère une rupture dans le discours dominant. Elle établit une poétique de la faille. Voici la clôture du chapitre 10, à la question « jusqu’à quand subirons-nous la domination des étrangers ? », il n’y a pas de réponse : “We cannot remember how far we have walked. We cannot recall which proverb we once uttered to lead us into the future. Shadows melt into the earth. The sun has 746 Claude LÉVI-STRAUSS, Tristes Tropiques, Terre Humaine, Paris, Plon, 1955. 386 swallowed the earth. The wind whirls and waits. The wind leads us to the dead part of the living. “For how many moons will the stranger be with us?” (p. 36-37) [« Nous n’arrivons pas à nous rappeler jusqu’où nous avons marché. Nous n’arrivons pas à nous souvenir quel proverbe nous prononcions jadis pour nous guider vers l’avenir. Les ombres se sont mêlées à la terre. Le soleil a avalé la terre. Le vent tourbillonne et attend. Le vent nous guide vers la partie disparue des vivants. « Pendant encore combien de lunes l’étranger sera-t-il avec nous ? »] « The shadows », « the wind », « the sun » sont autant de métaphores régulières du rapport aux disparus, aux ancêtres, qui sont une partie intégrante de l’humain. Nous sommes lestés du poids des ancêtres, et ce sont eux qui nous font vivre. L’adhésion possible à « la partie disparue des vivants » est connotée très positivement chez Yvonne Vera. Que ces métaphores reviennent à la fin de ce chapitre métalinguistique, de profonde réflexion sur l’écriture coloniale de l’histoire, et de propositions de réappropriations de sa propre langue, n’est pas innocent : ces éléments diffus et évanescents (shadow, wind, – tout autant que les rayons du soleil dont l’on ne peut se saisir) rappellent la circulation nécessaire de la langue au sein de la communauté des vivants. Yvonne Vera propose une esthétique de la faille, autrement dit : il y a un soin à apporter à la langue, une attention à donner au mot qui peut toujours être corrompu, dévoyé, et se figer dans l’écrit mortifère, alors qu’il faut l’entretenir, prendre soin de ses résonances. Ce n’est qu’ainsi que la réappropriation véritable de l’histoire sera possible, que les mots d’une nouvelle écriture attentive à ses failles peut émerger, libérée des différents types d’assujettissements combinés – d’intersectionalités747. Écrire pour réhabiliter une histoire pensée comme nationale pour Abdoulaye Mamani, réécrire l’histoire nationale en subvertissant l’histoire coloniale pour le Bembeya Jazz, ouvrir des espaces interstitiels d’une écriture ouverte et non normative pour Yvonne Vera : ce sont trois stratégies postcoloniales de s’emparer de la fiction pour réagir au discours dominant. Or ce discours porteur de la violence symbolique repose précisément sur un élément fondamental : le fragile « piece of paper » brandi par le colon dans la scène que joue Ibwe, qui deviendra pièce d’archive coloniale, la source, la preuve, garante de véridicité. 747 Selon le concept forgé par Kimberle CRENSHAW, « Mapping the Margins : Intersectionality, Identity Politics, and Violence Against Women of Color », art. cit. 387 Ces trois postures, ces trois manières d’occuper le champ de la création fictionnelle induisent également une prise de position par rapport à l’archive coloniale, dont nous nous proposons d’en établir une étude littéraire en l’incluant comme intertexte dans un réseau de productions textuelles, qui sont tout autant de vecteurs d’imaginaires symboliques, à la croisée desquelles les figures « Samori », « Nehanda » ou « Sarraounia » s’élaborent. Écrire avec l’archive. Pour des usages littéraires de l’archive en analyse textuelle Qu’elle soit citée ou non, l’archive a très régulièrement le statut d’intertexte dans notre corpus, et nous nous proposons de l’analyser comme tel748. L’archive interfère avec le texte littéraire selon une progression graduée par trois seuils et quatre entrées – le niveau 0 étant celui de la pure copie, et ne proposant pas véritablement de réécriture, même si l’insertion en contexte narratif constitue en soi un choix littéraire à commenter. Le premier seuil, ou le premier palier, dans l’usage littéraire de l’archive est celui de l’utilisation par l’auteur comme preuve d’auto-légitimation : la source est brandie comme avant-texte 749 pour garantir le statut de l’écrivain, et par là même, pour garantir la véridicité de la fiction qui s’offre au lecteur. Dans ce cas, l’archive est présentée dans les introductions, notes liminaires, préfaces. Elle est alors doublement un avant-texte, pourrait-on dire : au sens chronologique du déroulement de la lecture, où elle précède la fiction en son seuil; et au sens logique de la conception de l’œuvre où elle lui a servi de modèle, de point d’ancrage, d’appui au récit. Le second seuil de réutilisation de l’archive 748 Sur les usages des archives dans des contextes artistiques, voir le panorama établi par Maëline LE LAY, Dominique MALAQUAIS, Nadine SIEGERT, et al. (dir.), Archive (re)mix. Vues d’Afrique, op. cit., où les archives sont « remixées » par l’art contemporain. Voir aussi, à propos d’usages américains : Crystel PINÇONNAT, « De l’usage postcolonial de l’archive. Quelques pistes de réflexion » [en ligne], Amnis. Revue de civilisation contemporaine Europes/Amériques (2004/13), disponible sur <https://amnis.revues.org/2187>, (consulté le 24 octobre 2015). 749 János RIESZ, De la littérature coloniale à la littérature africaine : Prétextes, contextes, intertextes, op. cit. aurait parlé de « prétexte » : non seulement antérieur mais aussi fondateur d’imageries et de structures narratives ; Gérard GENETTE, Palimpsestes : La littérature au second degré, op. cit., aurait quant à lui parlé plus généralement d’hypertextualité et d’hypotexte, et pour les hypertextes, selon les cas, de charge (l’une des manières de lire Death Throes : une charge contre l’administration coloniale), ou de transvalorisation (inversion des valeurs de l’hypotexte). Nous reviendrons dans la section suivante sur cette dernière notion. Notons dès à présent que l’ensemble des textes de notre corpus pourrait correspondre en outre à la notion de transmodalité genettienne, puisque le changement de régime archive/récit entraîne des bouleversements narratifs tout aussi importants que le passage roman/film, que nous avons, par ailleurs, également dans notre corpus. Nous conservons ici « avant-texte » comme terme générique, puisque son statut change en fonction des réutilisations, notamment pour la saisie 4 du tableau que nous proposons. Nous reviendrons au cas par cas sur l’analyse genettienne. 388 ne concerne non plus le statut de l’auteur mais engage une réévaluation de l’ensemble de la narration : il s’agit de l’inversion des valeurs narratives opérées par une contre-lecture de l’archive. Celle-ci est toujours convoquée, citée, exposée, mais elle sert à produire un contre-discours subversif : les archives servent à prouver le contraire de la doxa contre laquelle s’insurge l’auteur. Enfin, dernier seuil, l’archive est séparée de son contexte, rendue autonome, détachée, pour devenir un symbole au statut proche de la « mythologie » de Barthes750 : un élément dont s’empare la rumeur pour s’en réapproprier les significations, tout en le coupant de son sens initial. L’iconographie 751 est particulièrement révélatrice de ce dernier stade de réutilisation de l’archive : les photographies de Samori lors de sa capture, la photographie de Nehanda et Kaguvi, ont eu un devenir-littéraire remarquable. Le tableau qui suit résume ces quatre entrées du continuum des usages de l’archive dans notre corpus : Mais de quelles archives752 parle-t-on ici ? Celles qui couvrent l’ensemble du spectre décrit sont les archives coloniales, françaises et britanniques, conservées à Aixen-Provence, à Vincennes, à Paris, à Londres, à Dakar – dont certaines copies se trouvent 750 Roland BARTHES, Mythologies, op. cit. Dernier chapitre : « Le mythe aujourd’hui ». Se reporter au cahier iconographique en annexe, p. 798, 804-818. Il est évident que pour l’image, le stade 0 de copie a peu d’utilité, sauf à considérer que la reproduction de la photographie dans les œuvres constitue une sorte de réécriture, ce qui est fort possible. Jérôme FERRARI interroge le statut des images coloniales dans À fendre le cœur le plus dur, Paris, Incultes, 2015. Il appelle à ne pas « sacraliser » (p. 13) la violence inscrite dans ces images, et donc de les « profaner » (p. 14), par l’écriture et la parole, pour rendre visible la barbarie. « Ce qu’a fixé la photographie a cessé d’exister pour toujours et se montre désormais, dix secondes ou cent ans plus tard, dans la perspective de sa propre disparition. La vie est devenue une archive » (p. 61), et la parole profanatrice du commentateur doit venir chercher la vie dans l’archive. 752 Nous le prenons ici à la fois dans le sens restreint de l’archive administrative coloniale, et dans le sens plus ouvert dégagé par Carolyn HAMILTON (dir.), Refiguring the Archive, Cape Town; Dordrecht; Norwell, David Philip!; Kluwer Academic Publishers, 2002, p. 7, mais nous souhaitons surtout montrer comment l’archive est opérateur de changement d’opinion, et avant tout opérateur de rêves et de constructions narratives. 751 389 à Niamey –, à Conakry, ou encore à Harare. Il est remarquable que ces archives ne soient que rarement niées, ou effacées : le Bembeya Jazz National ou Abdoulaye Mamani, par exemple, proposent des contre-lectures d’archives, mais écrivent rarement contre les archives. Le paradigme de la subversion n’est pas de dénier une légitimité à ces avanttextes, mais de les retourner en quelque sorte contre eux-mêmes et la structure administrative qui les a produites. Jamais le statut de véridicité de la source écrite n’est remis en cause dans notre corpus : on peut l’accuser d’être partiale, subjective, mais très rarement d’être complètement mensongère ou artificielle 753 . Il est plus efficace de retourner les armes de l’ennemi contre lui que de leur dénier toute portée. En quelque sorte, nous pourrions dire que tous nos textes déploient un certain « goût de l’archive »754, vorace, novateur. En revanche, notons que les sources orales – que nous ne considèrerons néanmoins pas sur le même plan que l’archive, mais que nous intègrerons dans l’analyse de la réécriture – sont régulièrement convoquées dans une stratégie de légitimation identique à celle de la seconde entrée de notre tableau (soit le premier seuil : « Avanttexte : légitimation de l’auteur »). Sources orales et sources coloniales se complètent parfois, l’auteur se réclamant ainsi de deux allégeances, ou bien, au contraire, elles se heurtent sur un point d’interprétation, mais rarement sur un fait ou un évènement, l’écrit conservant une légitimité dans la notation de l’histoire. Ces sources orales n’intègrent que difficilement les autres entrées du tableau, néanmoins. Pour la première entrée, qui constitue le niveau zéro de réécriture, celui de la copie, l’archive constitue le degré d’attestation de véridicité755 le plus évident pour les récits historiques (englobant les romans historiques, mais également des chants de propagande comme ceux de la RTG…) : le texte est au plus près de la vérité puisqu’il cite la source ; le texte est l’archive. Les dispositifs textuels peuvent ensuite varier et justifier 753 Il s’agit d’en démonter l’a priori, la positivité, la construction de son espace de communication, dans une démarche finalement proche de celle de Foucault. Michel FOUCAULT, L’Archéologie du savoir, op. cit., « L’a priori historique et l’archive », p. 173. 754 Pour détourner, et le prendre au sens littéral, l’ouvrage d’Arlette FARGE, Le Goût de l’archive, Paris, Le Seuil, 1989. Voir aussi l’image de l’anthropophage « dévoreur d’idées », Lise GAUVIN Cci VAN DEN AVENNE, V ronique CORINUS, et al., Littératures francophones : Parodies, pastiches, réécritures, Lyon, ENS éditions, 2013, p. 9. 755 Ce procédé se retrouve aussi dans la littérature contemporaine : voir par exemple le besoin de sous-titre explicitant l’appartenance générique chez Tierno MONÉNEMBO, Le Roi de Kahel : Roman, op. cit., et Abdelkader DJEMAÏ La Dernière Nuit de l’émir : Récit, Paris, Le Seuil, 2012, qui utilisent tous deux des matériaux d’archives comme sources. 390 différemment ce recours le plus simple et le plus direct à l’archive qu’est la pure et simple copie : chez Charles Samupindi, les archives coloniales du procès « Queen against Nianda » 756 sont citées pour prouver l’hostilité de l’administration judiciaire, pour dénoncer la délation et la fausseté des témoignages de tous les témoins convoqués, et pour décrire l’absence de recours de l’héroïne, ainsi que la férocité du jugement final. Il s’agit de citer pour dénoncer757. Comparons le roman Death Throes758 : And so Mbuya Nehanda was destined for the noose. Hanging. The music of the day. As a way of saying goodbye, Watermeyer stared at her. He intended to be sarcastic but he looked sadistic. His eyes were glassy and luminous. Watermeyer immediately directed that the High Commissioner Milner be expeditiously notified of the outcome of proceedings. Milner immediately gave his authority thus: In the Territory of Mashonaland. The Queen against Nehanda in custody under sentence of death for murder. To the Honourable, the Judge of the High Court of Matabeleland, the Sheriff and all whom it may concern: […] I do hereby, thereon, authorize and approve the execution of the said sentence of death upon the said prisoner, Nehanda, on Wednesday the 27th of April 1898 at Salisbury. [Et ainsi Nehanda fut condamnée au nœud coulant. Pendue. La musique du jour. Pour tout au-revoir, Watermeyer se contenta de la fixer. Il se voulait sarcastique, mais il ne parut que sadique. Ses yeux étaient vitreux et lumineux. Watermeyer ordonna immédiatement que le Haut Commissaire Milner soit notifié sans tarder de l’issue des poursuites. Milner donna immédiatement son mandat : Dans le Territoire du Mashonaland La Reine contre Nehanda en garde à vue, encourant la peine de mort pour meurtre Votre Honneur, monsieur le Juge de la Cour Suprême du Matabeleland, Sheriff, et à qui de droit : […] J’autorise et approuve par la présente ladite exécution à mort sur ladite prisonnière, Nehanda, le Mercredi 27 Avril 1898, à Salisbury.] Au document du procès : In the territory of Mashonaland The Queen against Nianda in custody under Sentence of DEATH for Murder. 756 NAZ S401-252. Proche en cela de la « parodie comme pratique de déviation », Lise GAUVIN, Cécile VAN DEN AVENNE, Véronique CORINUS, et al., Littératures francophones : Parodies, pastiches, réécritures, op. cit., p. 11. 758 Pour d’autres passages tirés des archives dans ce roman, voir la citation brève que nous proposons, supra, Première partie, Chapitre 1, section « L’institutionnalisation maximale du héros culturel : vers un appauvrissement des textes ? ». Voir aussi dans le roman, p. 10-11, 16-20, 24-26, 31-36, 38-39, 42. 757 391 To the Honourable Judge of the High Court of Matabeleland, the Sheriff and all whom it may concern: […] And I do hereby, thereon, authorise and approve the execution of the said Sentence of DEATH upon the said Prisoner Nianda on Wednesday the 27th day of April 1898 at Salisbury. [Dans le Territoire du Mashonaland La Reine contre Nianda En garde à vue, encourant la Peine de MORT pour Meurtre. Votre Honneur le Juge de la Cour Surpême du Matabeleland, Sheriff, et tous ceux à qui de droit : […] Et j’autorise et approuve, par la présente l’exécution de ladite Peine de MORT sur ladite Prisonnière Nianda le Jeudi 27 Avril 1898 à Salisbury.] La sécheresse du style judiciaire, inhérente au type de document cité, corrobore l’analyse interprétative de Charles Samupindi, celle de la brutalité du système juridique colonial. La litanie des vocatifs (« To the Honourable… »), l’aspect codifié et normé de l’écriture du jugement, l’ensemble de la machine textuelle ne peut que prouver le sadisme du personnage de Watermeyer affirmé à la première ligne. Le document vient après coup étayer la description, par le narrateur, du caractère du personnage. Le procès se renverse : l’accusateur devient l’accusé, Watermeyer devient donc le coupable, et les pièces d’archives constituent les preuves de sa culpabilité. Ainsi donc, aucune citation, aucune copie d’archive ne peut être lue comme un dispositif neutre, et même les romans les plus simples – à l’instar de celui de Charles Samupindi qui ne brille pourtant pas par son originalité – installent par la citation de l’intertexte archivistique un dispositif de lecture à plusieurs niveaux, tout à fait intéressant, proches des mécanismes subversifs de mimicry dégagés par Homi Bhabha759. Ces textes instaurent donc un pacte de lecture complexe760, via la copie. Précisons que ce dispositif de copie de la source existait déjà dans le corpus colonial, notamment à travers les illustrations et les cartes 761 , avec une valeur d’attestation du récit historique. La copie fonctionnait sur le modèle du témoin « j’y étais, 759 Homi K. BHABHA, The Location of Culture, Londres, Routledge, 1994. Jouant avec, et manipulant habilement plusieurs « modèles » narratifs : voire, tirant parti de cette « oscillation des modèles » décrite par Véronique Corinus pour le corpus créole, Lise GAUVIN, Cécile VAN DEN AVENNE, Véronique CORINUS, et al., Littératures francophones : Parodies, pastiches, réécritures, op. cit., p. 119. 761 Pour des exemples d’illustrations de récits, voir parmi d’autres Louis Gustave BINGER, Du Niger au Golfe de Guinée par le pays de Kong et le Mossi, op. cit. ; Henri Joseph Eugène GOURAUD, Au Soudan : souvenirs d’un africain, op. cit. ; Jean François Arsène KLOBB, À la recherche de Voulet : mission KlobbMeynier ; un drame colonial, op. cit. ; Albert NEBOUT, « Vingt et un jours chez Samori », Journal des voyages, Paris, sect. 150 ; 151 ; 152, 1899, p. 306‑308 ; 326‑327 ; 343‑345. 760 392 voici ce que j’ai vu » : le témoin est l’histor762, et par glissement, celui qui écrit l’histoire. Cette incertitude générique entre récit et histoire, entretenue grâce au dispositif de la copie, figure également dans Le Grand Capitaine de Jacques-Francis Rolland. Contrairement à Death Throes, la narration ne dépend pas uniquement des sources coloniales, mais celles-ci servent en revanche à créer de l’effet de réel, en élargissant sensiblement la notion de Barthes763. C’est la narration qui se sert de la source comme appui de son propre univers textuel, de son propre monde : et non pas la source qui vectorise entièrement l’effet de réel, à tel point que le récit ne peut se lire que comme une extension romancée des sources. Chez Samupindi, la création d’un monde textuel est à son degré minimal. Le sens du vecteur dans l’effet de réel est inversé dans ces deux textes : chez Rolland (tout comme chez Abdoulaye Mamani 764), c’est la source qui légitime un récit déjà existant et déjà constitué comme monde, chez Samupindi au contraire, le récit ne peut exister sans la source. Chez Rolland, la citation, la copie de l’archive coloniale est dotée d’une autre valeur, qui rejoint la première saisie de notre continuum des usages littéraires de l’archive : celle de la légitimation de l’auteur, qui se surimpose au narrateur. Ainsi peut-on lire dans le chapitre 3 intitulé « Le câblogramme n°86 » : Maintenant, il [le fonctionnaire] recopiait la dépêche du ministre1. « Transmettez confidentiellement Trentinian ordre suivant : j’apprends atrocités auraient été commises par mission Voulet environs Say et Sansan-Haoussa. Villages paisibles attaqués baïonnettes pour prendre de force porteurs. Habitants résistants massacrés… » L’attention de Georges Teissier fut détournée par le bruit de la pluie cinglant les vitres. [note 1 : Cette citation, de même que les textes ultérieurs, est reproduite d’après les documents d’archives] (p. 33) Le câblogramme est celui qui va lancer la commission d’enquête, que l’auteur s’attachera à suivre tout au long de son roman. Il est également la première copie d’archives, dont la note de bas de page atteste de son authenticité et installe un pacte de lecture fondé sur la confiance, et le souci de la preuve. Le carnet illustré au centre du 762 Pour reprendre Paul RICŒUR, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Le Seuil, collections Points, 2000, citant L’Enquête d’Hérodote, p. 167. 763 Roland BARTHES, « L’effet de réel », Communications, 11 (1968/1), p. 84‑89. 764 Mamani, Sarraounia, lettre de Martinet, médecin des troupes coloniales, chef de la mission médicale du bas Niger, Say, p. 48-51 ; revue de presse p. 52-53 ; lettre à Voulet du capitaine Granderye, résident en chef du poste français du Bas-Niger, Say, p. 59-62. Nous ne développons pas cet exemple qui a exactement les mêmes effets que celui du Grand Capitaine de Rolland. 393 texte, composé de gravures d’époque, fait partie du même paradigme. Pour reprendre Alain Rabatel, il existe dans ces textes une construction textuelle du point de vue par une perception objectivante765, autrement dit, qui tend à l’objectivité. Ce qui nous semble tout à fait intéressant dans le cas de l’énonciation historique, c’est qu’à l’intérieur de la perception objectivante telle que dégagée par Rabatel – adossée à une narration hétérodiégétique à la troisième personne du singulier, ainsi qu’à une focalisation zéro 766 – , peut s’inscrire une intense marque de subjectivité, précisément. La construction textuelle de l’objectivité, avec le déploiement d’un apparat critique de la preuve, un débordement de marquages de l’authenticité et de la véridiction, est également en elle-même le signe de la subjectivité auctoriale derrière son masque : précisément, c’est d’une posture qu’il s’agit, et l’affichage de la preuve n’empêche pas la subjectivité. Cet exemple nous mène au premier seuil de réutilisation de l’archive : lorsque celle-ci est un avant-texte qui dessine la légitimité de l’auteur. La posture, l’ethos de l’auteur s’élabore autour de la notion de l’archive. Celle-ci est alors décrite dans sa composante matérielle, par son aspect extérieur, ou par son état de conservation, au seuil du roman. C’est également le cas dans l’incipit du récit Le Grand Capitaine : De plus en plus fasciné, je suis allé travailler aux sources, en l’occurrence les archives de l’ancien ministère des Colonies. Sous la cote « Afrique III, dossiers 37, 38, 38 bis », de grosses boîtes cartonnées et ficelées renferment les documents de la mission ainsi que les correspondances confidentielles émanant d’une administration affolée par la crainte du scandale : cahier de décisions, carnets de routes, lettres privées, rapports officiels, télégrammes, états de service, conclusions des conseils d’enquête, papiers jaunis et poussiéreux, voilà tout ce qui reste de cette colonne maudite qui, du mois de janvier au mois de juillet 1899, poursuivit son avance inexorable vers le lac Tchad dans le sable et le sang, à la lueur des incendies. (p. 7) Dans ce pacte de lecture, l’auteur pousse l’exactitude jusqu’à citer les cotes des documents qu’il consulte, en fournissant le détail des trois cartons qu’il a dépouillés. Cette stratégie auctoriale d’affirmation du vrai, à l’initiale du récit, sera convoquée discrètement à chaque fois que Jacques-Francis Rolland cite une source : le rapport de Peteau, après son renvoi et son retour en France, est cité par Guillain devant Georges Delcassé et les ministres réunis767, l’erratum du câblogramme 86 est ajouté quelques 765 Alain RABATEL, La Construction textuelle du point de vue, op. cit., p. 83. À propos des subjectivèmes, Alain Rabatel note qu’il est préférable de parler de perception objectivante, ou subjectivante, de manière scalaire, pour déjouer l’opposition binaire et simpliste de subjectivité/objectivité, recouvrant l’opposition tout aussi labile récit/discours. 766 Focalisation zéro qu’Alain Rabatel considère comme un mythe d’ailleurs, mais qu’il convoque tout de même pour l’analyse. 767 Le Grand Capitaine, p. 39. 394 pages suivantes 768, puis le rapport Granderye 769, le carnet de route de Klobb770, la correspondance entre Klobb et Voulet771… Les guillemets et les italiques garantissent la citation, mais c’est plus généralement l’ensemble du récit qui semble régi par le système de la preuve par l’archive coloniale, et la frontière entre récit et source s’estompe parfois. La mention de la date en initiale de paragraphe laisse planer le doute sur l’étendue de ce qui est cité, par exemple devant la ville de Birni N’Konni : 8 mai 1899. Une date qui compterait dans les annales de l’expédition. Jamais elle n’avait pris une ville forte de dix mille habitants. La vraie guerre. Sautant de sa selle, le capitaine demanda à Joalland de venir auprès de lui pour coordonner le plan de bataille. (p. 56) L’indication de temps, calquée sur le modèle du journal de route que l’auteur cite par ailleurs, donne l’impression que la citation d’archive continue. Or, il s’agit bien ici d’une reconstitution qui s’émancipe de la source, par l’usage de dialogues (Voulet – Joalland), ou encore par l’usage du discours indirect libre (la joie de Voulet de faire « la vraie guerre »; la projection dans la future gloire de l’expédition, « une date qui compterait »). La légitimation de l’auteur déborde donc le seuil, en ayant une efficacité pragmatique qui couvre l’ensemble du texte ; le doute étant porté sur l’étendue effective des guillemets, le pacte de lecture du roman historique a alors admirablement bien fonctionné. Selon le même processus du premier seuil de notre tableau, les sources orales, de la même manière que la pièce d’archive (« the piece of paper » d’Ibwe cité plus haut), servent d’attestation à l’auteur, tout en entretenant un rapport ambivalent à l’archive coloniale. Il s’agit d’un avatar de l’histor – « j’ai vu, j’ai entendu » – puisque les sources orales sont souvent familiales, plus la source étant proche, plus la validité du témoignage de l’auteur étant importante. Ainsi Lawrence Vambe fait-il un usage répété d’incises du type « as my grandfather used to say » (« Comme mon grand père disait », p. 104), parfois généralisé par « as my people say » (« Comme le dit mon peuple », p. 104), ou par « in the opinion of my tribe » (« selon le point de vue de ma tribu », p. 37). L’engagement dans l’écriture est expliqué au début du chapitre 4, où les sources orales servent à requalifier l’histoire du peuple shona, déconsidérée par les archives coloniales : il faut 768 Le Grand Capitaine, p. 41. Le Grand Capitaine, p. 50. 770 Le Grand Capitaine, p. 59. 771 Le Grand Capitaine, p. 73-75. 769 395 redonner une dignité à l’histoire shona en proposant une lecture plurielle des faits. Si l’auteur fonde son savoir par son appartenance à un milieu rural shona : But I still count myself fortunate in having heard firsthand certain facts and facets of the chequered story of my tribe which I would not have known, had I been born in an urban environment. (p. 38) [Mais je me considère encore aujourd’hui comme chanceux d’avoir entendu de témoins de première main certains aspects et facettes de l’histoire mouvementée772 de ma tribu dont je n’aurais pu avoir connaissance, si j’étais né en ville.] Il n’en reste pas moins que les historiens sont également abondamment cités (en grande partie les essais de Terence Ranger sur l’histoire de la première Chimurenga) : Lawrence Vambe ne récuse pas la source coloniale, il la complète par les sources orales pour en renverser la signification. L’auteur poursuit alors la même démarche d’inversion que l’on constatait plus haut chez Charles Samupindi, et notamment autour de la question identique des procès des résistants : We do not know how many people were hanged for their crimes nor do we know what evidence was cited against them. […] I was given the impression by my elders that they were very considerable. […] Many of the Africans subpoenaed either would not give evidence, or submitted facts which were of little value to the authorities. And the few committed government informers were such notorious liars that they testified against innocent people. As the Smith regime is doing today, the law officers of that time encouraged informers and spied of all kinds. Against outstanding personalities such as Nehanda, Kaguvi and Paramount Chief Mashonganyika, however, the testimony was overwhelming. They were to be executed with little political or moral compunction. (p. 136-137) [Nous ne savons pas combien de personnes ont été pendues pour leurs crimes, ni ne savons quelles preuves étaient avancées contre elles. […] Les aînés de ma famille m’ont donné l’impression que leur nombre était considérable. […] Beaucoup des Africains cités à comparaître ne fournissaient pas de preuves, ou ne proposaient que des faits qui n’avaient que peu de valeur auprès des autorités. Et les quelques informateurs compromis avec le régime étaient des menteurs d’une telle renommée publique qu’ils témoignaient même contre des innocents. Tout comme le régime de Smith le fait aujourd’hui, le personnel de l’administration juridique encourageait les informateurs et les espions de toutes sortes. Contre des personnalités éminentes telles que Nehanda, Kaguvi et le Paramount Chief Mashonganyika, en revanche, les témoignages étaient accablants. Ils devaient être exécutés avec peu de scrupules politiques ou moraux] Dans ce cas, les sources (« by my elders ») renversent la relation accusateur/accusé, et ce sont ici les témoins qui sont appelés à comparaître devant le tribunal que dresse 772 « En dents de scie » qui traduit chequered, « à damiers » littéralement, ne rend pas compte de la situation coloniale décrite. Nous optons pour une expression plus vague mais juste. 396 Lawrence Vambe : ce sont les mêmes menteurs, espions, collaborateurs qui minent la société contemporaine du temps de l’écriture (1972). Un second renversement s’opère ici, que l’on ne pouvait noter dans Death Throes qui lui est bien postérieur (1992) : l’accusé est de manière plus globale le gouvernement de Ian Smith dans son ensemble, et le lecteur est appelé à chercher aujourd’hui les équivalents des Nehanda, Kaguvi ou du chef Mashonganyika. Ici, il s’agit bien d’accusation de falsification de la source coloniale, ce qui n’apparaît que ponctuellement dans notre corpus, la stratégie du renversement de la lecture étant préférée. La virulence du propos de Lawrence Vambe à l’égard des espions et des textes qu’ils produisent (des serments, des preuves, des accusations…) s’explique par le pont qu’il établit entre les procès de la première Chimurenga et ceux qui ont cours dans le contexte de rédaction. De manière plus atténuée, Djiguiba Camara cite des sources orales à l’appui de son propos, mais sans récuser complètement l’archive coloniale, puisqu’il se réclame également d’une historiographie occidentale traditionnelle, soucieuse de ses sources écrites : ce double modèle d’écriture est développé dans sa note d’intention « Notice à mon ami » (Archives Yves Person, BRA Paris 1. Feuillet 1). Sa posture est ambivalente puisqu’il cherche à la fois à récuser l’imaginaire de Samori véhiculé par l’historiographie française : « Ils sont mal connus, nos ancêtres », dit-il, en se présentant comme témoin direct (puisque fils de chef). Et en même temps, la structure même de son essai, la pratique des concordances systématiques avec le français, la présentation de plusieurs codex juridiques numérotés, entre autres dispositifs textuels, vise à égaler le modèle d’écriture scientifique de l’histoire, résolument européen, si ce n’est français, pour le lecteur implicite qui se dégage de cette « Notice »773. Un deuxième palier d’utilisation de l’archive, qui constitue notre troisième entrée, concerne la contre-lecture de l’archive : l’archive est toujours un avant-texte, et de manière générale un intertexte, mais elle est interprétée différemment, en se référant à une lecture déjà existante. Dans le cas d’Abdoulaye Mamani pour Sarraounia, nous pourrions presque parler d’usage de l’archive au second degré, puisqu’il se réfère à la lecture qu’en produit Jacques-Francis Rolland, mais il n’est pas certain qu’il ait lui-même réellement consulté les sources coloniales. Dans un entretien avec Jean-Dominique Pénel, il affirme l’avoir fait : « Alors je vais en France, je fouille les documents à la même source que 773 Au-delà du mystérieux « ami » de la dédicace initiale, il semble bien que le lecteur implicite de ce tapuscrit de plus de 110 pages soit bien un lecteur francophone d’une part, mais également français d’autre part. La pratique de la concordance entre le système militaire de Samori et le système militaire français n’aurait aucun sens, si le lecteur français n’était le destinataire implicite. 397 celui qui a écrit Le Grand Capitaine774 ». Plus loin, l’écrivain nigérien spécifie son rapport à l’archive historique, et précise la valeur qu’il attribue au texte écrit : Puisque tous les personnages de la Mission Voulet-Chanoine existent, il y a le rapport, c’est écrit, il me faut créer les personnages autour de Sarraounia. [...] D’abord, le plus important, c’est Sarkin Bori [...]. Donc il y avait Boka le chef de guerre, tout cela, puis j’ai créé les personnages et j’ai sorti le roman. Mais pour ne pas avoir les historiens sur le dos j’ai pris la prudence de mettre « roman ». Si un historien me pose des questions, je réponds que ce n’est pas un livre d’histoire, il ne faut pas faire la confusion. C’est une histoire romancée qui me donne toute la latitude d’écrire ce que je veux. La force d’un romancier, c’est de puiser d’un fait, même s’il est historique, de broder autour à l’infini775. L’archive est le point de départ de l’écriture : Sarraounia a existé puisqu’elle est mentionnée, « c’est écrit », dit-il. Mais la part de liberté concerne tous les personnages secondaires, ceux qui doivent leur existence aux blancs de l’archive coloniale, aux interstices des rapports de Voulet, Klobb, Peteau… Plus stimulante encore, la liberté de l’auteur est d’interpréter le sens de l’archive, et selon l’idée qu’Abdoulaye Mamani avait vraisemblablement en tête, le sens de l’histoire. La boutade du sous-titre « roman » concerne deux types de publics : ceux qui pourraient s’offenser d’une Sarraounia légèrement libertine d’une part, et ceux qui s’insurgeraient contre l’idée d’un maléfice jeté contre Voulet d’autre part. « Broder autour à l’infini », donc écrire autour de l’archive : c’est cela qui fonde le romancier selon Abdoulaye Mamani, puisqu’à travers cette femme aux nombreux amants, c’est la société nigérienne contemporaine qu’il vise à dénoncer (celle qu’il découvre à sa sortie de prison), et à travers cette hypothèse d’une victoire finale de Sarraounia par la refondation de Lougou, c’est l’écriture française de l’histoire qu’il conteste. L’archive – ou, pour être plus prudente, l’archive au second degré, c’est-à-dire lue à partir de Jacques-Francis Rolland – est convoquée pour en inverser la valence : Sarraounia devient héroïne, Voulet devient adversaire. Nous reviendrons plus en détails sur les diverses modalité de ces « contre-lectures », non plus seulement de l’archive coloniale, mais de ce que nous appelons l’« imaginaire colonial », dans le chapitre suivant. Enfin, nous avons appelé « mythologie » le dernier niveau de notre tableau, qui en constitue le troisième seuil. L’archive n’est plus seulement copiée, ni même citée, elle est intégrée au récit, manipulée par la fiction : elle s’émancipe de son contexte, et sa valeur documentaire s’atténue au profit de significations nouvelles, qu’un groupe de 774 775 Jean-Dominique PÉNEL, Amadou MAI!LELE, Littérature du Niger : Rencontre, op. cit., p. 71. Jean-Dominique PÉNEL, Amadou MAI!LELE, Littérature du Niger : Rencontre, op. cit., p. 72. 398 lecteurs/récepteurs lui confère. Il y a « mythologie » au sens où Roland Barthes l’emploie parce que la signification première en est évacuée776. Nous avions rapidement évoqué l’usage de la photographie de Nehanda et Kagubi dans les commémorations 777 , et notamment dans la statuaire à Harare. Il nous semble que l’usage littéraire qui est fait de cette photographie de la capture – qui signifie initialement la prise de guerre, la victoire du colon, l’application de la peine capitale, et donc également le bon déroulement de la justice coloniale – rend bien compte de la disparition de ce premier niveau de signification, et de l’apparition d’une seconde strate de connotations et de discours : la gloire des vaincus, le martyr des héros, appelant à une seconde révolte au sein du même contexte colonial. Solomon Mutswairo reproduit cette photographie dans Zimbabwe, Prose and Poetry (1974), dans une version dessinée778, et lui consacre surtout un poème, dont la version anglaise figure juste avant la photographie : The Picture of Nehanda and Kagubi La photographie de Nehanda et Kagubi Why, now, Nehanda Nyakasikana1, Do you close your eyes, Mufakose, With your face gently lowered, And your eyes staring long, And looking down – heavy with tears; Your mind muddled And, as a torn cobweb, perplexed? Pourquoi, désormais, Nehanda Nyakasikana1, Fermes-tu les yeux, Mufakose, Avec ton visage doucement incliné, Et tes yeux au long regard fixe, Et qui se tournent à terre – gonflés de larmes ; Ton esprit embrouillé Et, comme une toile d’araignée déchirée, rendu perplexe ? Even Mazoe, once your domain, (You – the ruler, all under your feet), Today, they, too, turn their backs on you. There you stand outside the prison! You have no more followers. Still, you are wonderful, our heroine! Alone, of all the women of Zimbabwe2 You are about to enter the door of death for our land, To spill your heart’s blood – a living sacrifice Même ceux du Mazoé, qui fut auparavant ton territoire, (Toi – la dirigeante, de tout ce que tu foulais) Aujourd’hui, eux aussi, ils te tournent le dos. Voilà que tu te tiens hors de la prison ! Tu n’as plus aucun partisan. Mais même ainsi tu demeures merveilleuse, notre héroïne ! Seule, parmi toutes les femmes du Zimbabwe2 Tu t’apprêtes à franchir le seuil de la mort 776 Nous ne développons pas ce point légèrement en décalage avec l’archive, mais l’usage des slogans pourrait être une piste d’étude intéressante pour ce quatrième stade de l’usage d’énoncés : comment la célèbre sortie de Sékou Touré « Nous préférons la liberté dans la pauvreté que l’opulence dans l’esclavage » est devenue motif de réappropriations littéraires et artistiques, entre autres exemples. Tout comme pour les archives ici, les énoncés se détachent de leurs situations d’énonciations pour signifier via des modes de circulation qui leur sont propres : ils deviennent des blocs de significations endurcies, fossilisées. 777 Voir supra, Première partie, Chapitre 2, section « Les commémorations et la mise en scène du corps social ». 778 p. 151, par H. S. Clapp. Nous nous permettons de citer quasiment intégralement ce poème, trois strophes sur les quatre, tant la description de l’archive rend compte du processus de « mythologisation » de la source. Nous reproduisons la version dessinée du document quelques pages plus bas, voir infra. 399 For the freedom of Zimbabwe! pour notre terre, A verser le sang de ton cœur – comme une offrande vivante Pour la liberté du Zimbabwe ! What great outrage did you commit To bring you to this sad state? Why was there no one fighting at your side? Now, silent, you seem to stand, even more alone! Where are those who placed you in the forefront? Indeed, I ask, Nehanda Nyakasikana. Even Kagubi, who stands there beside you, His glory, too, no longer bright; Yet, he stands still a great hero. The picture speak of pain But we “see” the fearless heart. […] Quel grand crime as-tu commis Qui puisse t’amener à ce triste état ? Pourquoi n’y avait-il personne pour combattre à tes côtés ? Maintenant, silencieuse, tu sembles être d’autant plus seule ! Où sont-ils, ceux qui t’ont envoyée en première ligne ? Vraiment, je le demande, Nehanda Nyakasikana, Même Kagubi, qui se tient là à ton côté, Sa gloire non plus ne resplendit plus ; Et pourtant il demeure un grand héros. La photographie parle de souffrance Mais nous y « voyons » le cœur intrépide. […] [Notes. 1. Nehanda Nyakasikana : une femme médium renommée d’un esprit, associée aux rebellions de 1896-1897 en Rhodésie, et pendue à Salisbury. 2. Zimbabwe : nom africain pour la Rhodésie] [Notes. 1. Nehanda Nyakasikana: a celebrated woman spirit-medium associated with the rebellions of Rhodesia of 1896-97, and hanged in Salisbury. 2. Zimbabwe: African name for Rhodesia] Solomon Mutswairo propose ici une longue déploration au sujet du sort de Nehanda, au pied de l’échafaud – la proximité de son exécution servant à dramatiser le récit de sa vie, tout entière consacrée au combat pour sa terre. La description de la photographie a un double rôle : apparemment descriptif et circonstanciel, avec une attention portée à la mise en scène, mais de manière bien plus profonde, cette description interroge à un second niveau notre propre interprétation, entre ce qui est dit/montré (« speak ») et ce que nous voyons (« see ») effectivement. Il y a une interrogation herméneutique – sur le sens des images, sur le sens de l’archive coloniale globalement, et sur la production des discours – à l’œuvre dans ce poème, de façon très fine et élégante nous semble-t-il. Le poème s’offre d’abord comme une description tout à fait classique de la photographie, si ce n’est que l’auteur s’adresse à la deuxième personne du singulier au personnage photographié, Nehanda. Ce dispositif énonciatif sert à dramatiser la description de l’archive : celle-ci étant à la fois une ouverture vers le monde disparu de 1898 – le « paysage » pour reprendre l’analyse de Roland Barthes sur la photographie779 – et un rappel de la disparition de ce paysage – une « vitre », où le spectateur est résolument 779 Dans La Chambre claire, Œuvres complètes V, p. 793. Cité avec un commentaire critique par Tiphaine SAMOYAULT, Roland Barthes : Biographie, Paris, Le Seuil, 2015, p. 674. 400 de l’autre côté du paysage. Le schéma d’interlocution (avec l’usage du « you ») renforce l’intensité de la présence du « paysage », de l’Autre, de Nehanda représentée, et équivaut à l’illusion de présence véhiculée par le médium de la photographie. Il s’agit ici de deux personnages côte à côte attendant contre un mur (« Kagubi, who stands beside you »), mais la focalisation se fait sur la femme, figée dans une attitude de plainte silencieuse (« your face gently lowered », « your eyes looking down » notamment), le second devenant simple figurant du drame qui se joue dans le regard de Nehanda. Cette attention aux larmes de la déploration annonce déjà subtilement son innocence, ce que l’historiographie débattra quelques années plus tard780. Tout comme dans le postérieur Death Throes, ou dans An Ill-Fated People, le procès qui a mené à sa condamnation est rejeté du côté du factice, de l’artifice : « What great outrage did you commit / To bring you to this sad state ? ». Parallèlement à cette dénonciation, un nous collectif (« our ») s’élabore autour de la désignation de Nehanda : « our heroine », « our land », articulé à un procédé de re-nomination de la terre : « Zimbabwe », que la note explicite avec une apparente neutralité, pour affronter la censure, mais qui a bien pour but de suggérer un nationalisme militant. Ce dernier élément est conforté par le pathos créé par le dénuement de Nehanda, abandonnée de tous : l’indignation du lecteur doit mener à un sursaut collectif, de réappropriation de la terre et des noms. Jacques Derrida parle, à propos du « nous » de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis, d’un « coup de droit », d’un « coup de force » et d’un « coup d’écriture » 781 . Le denier paragraphe déploie une opposition entre la situation effective des vaincus, ce que la photographie coloniale montre : des prisonniers (le studium, selon Barthes), et leur héroïsme que le lecteur/spectateur est amené à voir, par l’émotion qui nous point (le punctum barthésien) : « His glory, too, no longer bright / Yet, he stands still a great hero ». Les deux derniers vers renforcent cette interrogation herméneutique : « The picture speak of pain / But we « see » the fearless heart » avec un balancement binaire : ce qui est présenté par la 780 La « femme innocente », selon David N. BEACH, « An Innocent Woman, Unjustly Accused? Charwe, Medium of the Nehanda Mhondoro Spirit, and the 1896-97 Central Shona Rising in Zimbabwe », History in Africa, art. cit. 781 Jacques DERRIDA, Otobiographies. L’enseignement de Nietzsche et la politique du nom propre, Paris, Galilée, 1984, p. 23. Quelques lignes plus haut, le philosophe analyse le statut de cette fiction littéraire dans le droit, que nous nous proposons de relier au poème de Mutswairo : « Cette obscurité, cette indécidabilité entre, disons, une structure performative et une structure constative, elles sont requises pour produire l’effet recherché. Elles sont essentielles à la position même d’un droit comme tel, qu’on parle ici d’hypocrisie, d’équivoque, d’indécidabilité ou de fiction. J’irai même jusqu’à dire que toute signature s’en trouve affectée. […] Le « nous » de la déclaration parle « au nom du peuple ». Or ce peuple n’existe pas. Il n’existe pas avant cette déclaration, pas comme tel. […] La signature invente le signataire » (p. 22-23). 401 photographie coloniale / ce que nous y voyons, nous, le nous collectif qui nous reconnaissons dans le nom Zimbabwe, le nous des patriotes. L’archive coloniale se prête à plusieurs niveaux de lecture, et peut être réinsérée dans un nouveau réseau de discours, où l’axiologie en est non seulement renversée (comme dans la saisie 3 du tableau) mais où le document devient en soi symbole de l’héroïsme. La photographie s’émancipe de son cadre de discours pour devenir le sujet de poèmes, puis, plus globalement, le sujet d’inspiration de toute une statuaire que nous avons présentée en première partie782 de cette étude, des manuels scolaires dans les chapitres sur les résistances à la colonisation783, et enfin l’illustration favorite de tout discours qui traite de Nehanda. Ainsi la couverture de Death Throes (à droite) est-elle également illustrée par cette photographie784 : 782 Notamment aux National Archives of Zimbabwe, avec cette pose de la capture réappropriée comme signe du martyr à venir. 783 People Making History, book 2, op. cit., chapitre 11, p. 98-104, avec une variante de la photographie de la même série de la capture ; People Making History, book 3, op. cit., chapitre 6.2, p. 103-118, avec exactement la même photographie présentée sous la forme d’agrandissement des deux portraits de Kaguvi et Nehanda ; The African Heritage, History for O’level Secondary Schools, book 3, op.cit, p. 47-50. 784 Avec un choix qui n’est pas très heureux de rajouter au crayon le nœud coulant de la corde. Kagubi est complètement rejeté dans l’ombre sur cette couverture, ce qui renforce son rôle de figurant déjà perceptible dans le poème de Solomon Mutswairo. Notons, pour un ultime détail, que la source d’archive présente Nehanda avec les mains croisées à l’avant ; ce qui est reproduit dans les manuels scolaires et dans l’ouvrage de Mutswairo, mais ce qui est inversé dans Death Throes, où les deux personnages semblent avoir les mains liées dans le dos. 402 Dans Death Throes, la première page du chapitre premier est d’ailleurs une description de Nehanda qui s’inspire de cette posture présentée en couverture785. Il s’agit bien, dès lors, d’une représentation de l’archive rendue mythologique, puisqu’elle peut être convoquée pour des usages multiples, en la détachant de son contexte initial, et en en renversant même la valeur. Mais alors que Roland Barthes dénonce l’émergence de significations secondes, atténuées, conformistes 786 , il nous semble ici que les significations nouvelles constituent de véritables réappropriations, et nous ne prendrons pas en charge le rapport polémique que Barthes entretient avec la réactualisation populaire. Il y a une réelle positivité de la réinterprétation commune, de la rumeur collective, qui transforme l’archive en bien commun. Le même phénomène pourrait être discuté de la même manière avec les photographies prises lors de la capture de Samori787, qui réapparaissent sur les pochettes de vinyles du Bembeya Jazz en Guinée, entre bien d’autres usages788, à partir des photographies prises par Henri Gaden tout au long de son voyage vers Saint-Louis789. Ethos et transvalorisation : de la structure à l’agrammaticalité pour expliquer la figure Derrière la stratégie d’écriture postcoloniale, derrière les réutilisations de l’archive, nous l’avons abordé à quelques reprises, c’est l’ethos de l’auteur qui se met en scène dans les énonciations historiques. C’est lui qui influence l’interprétation 785 Op. cit., p. 9-10. Roland BARTHES, Mythologies, op. cit. 787 Voir des analyses iconographiques ponctuelles de Stéphane RICHEMOND, « Samory Touré - Le portrait de Bissandougou », Images et mémoires (2012/32), p. 28‑30. ; Stéphane RICHEMOND, « Iconographie de Samory Touré!: de Guélémou à Kayes (1898) », Images et mémoires (2014/41), p. 22‑28. Nous dressons dans le cahier iconographique, en annexe, un état des lieux sur l’iconographie de Samori p. 801-818. 788 Voir le dossier iconographique en annexe, notamment p. 818 pour les usages en musique. 789 Dont certaines sont conservées aux Archives Municipales de Bordeaux. Voir sur ce fonds Alain RICARD, Anne-Laure JÉGO, Henri Gaden photographe [exposition au Salon du livre de Bordeaux 2001], B!rdea"x, Éd. Confluences, 2001. Pour le portrait de Samori, que l’on retrouve ensuite sur les vinyles des années 1970, le négatif est conservé à la Section Outre-Mer des Archives, à Aix-en-Provence, dans les fonds privés : CAOM, FP/15APC/2, fonds Henri Gaden. Sur ce fonds, voir Roy DILLEY, Henri Gaden à travers l’Afrique de l’Ouest (18941939) : Fils de Bordeaux, aventurier africain, trad. Jean-Louis Balans, Paris, L’Harmattan, 2015. Sur la photographie autour de la capture de Samori Touré, voir aussi le SHD, GR2K194 Album photo « Prise de Samory ». 166 photos, 1898, prises par Gouraud. Album ayant appartenu à de Lartigue. Voir en annexe, p. 804-818, notre travail sur les photographies coloniales de Samori : nous y avons reproduit les plus connues, mais également des inédites (notamment celles du Musée des Invalides, Inv. 12375/1-11, et celles du Lieutenant Rampont, au SHD, GR2K292). 786 403 narrative 790, en sous-main, quasiment implicitement semble-t-il, au-delà des simples seuils textuels des préfaces, introductions ou notes d’intention que nous venons d’étudier, ainsi que des mises en scène de l’écrivain-historien au travail, notamment autour de la notion d’archive. Tout au long du texte en effet, cette posture continue de se construire et de se modeler à travers des marqueurs et des embrayeurs ténus, qu’il nous semble pourtant fondamental de souligner, tant ils peuvent inverser les valeurs assignées à la figure héroïque. C’est l’ethos qui donne au texte son apparente transparence et son apparent naturel : lorsque Vincent Debaene souligne la capacité que possède la littérature de « naturaliser ses contenus »791, c’est bien parce qu’une voix s’est construite comme légitime pour l’affirmer au lecteur, soit directement par le discours sur le contenu (dans le paratexte, les seuils, les épilogues par exemple, ou par des commentaires métatextuels) soit indirectement par la mise en scène du contenu. C’est l’ethos qui peut renverser l’interprétation de deux textes à la structure narrative pourtant relativement similaire. Nous revenons donc ici sur les tableaux des variations des récits, dans la seconde partie de notre étude792, pour nous centrer sur des récits dont la structure n’explique pas tout, comme par exemple la pléiade de récits similaires concernant la mort du fils de Samori : l’ordre des épisodes peut être le même sans que l’imaginaire du héros culturel soit pour autant le même793, et les marques du point de vue du narrateur pour le prouver sont souvent difficiles à dégager. L’ethos vient ainsi complexifier « la morphologie du conte » pourrait-on dire. La différence de posture énonciative dans le récit vient bouleverser la signification. Elle explique les mécanismes de transvalorisation dégagés par Gérard Genette794, autrement dit d’inversion des valeurs de l’hypotexte : la figure héroïque est reprise du fond commun, les mêmes épisodes sont racontés dans le même ordre, mais la valeur attribuée au récit est inversée. Samori est célébré ou haï. Mais cela peut se jouer beaucoup plus finement dans une caractérisation fluctuante au long du récit, ou dans une incertitude d’interprétation sur la cause d’un geste ; par exemple sur la culpabilité 790 Liesbeth KORTHALS ALTES, Ethos and Narrative Interpretation. The Negotiation of Values in Fiction, Lincoln, University of Nebraska Press, 2014, p. 3, introduction. 791 Vincent DEBAENE, Critique, op. cit. 792 Voir supra, deuxième partie, chapitre 2. 793 Dans une analyse patiente et documentée, Fabio Viti dégage par exemple les structures narratives des différentes variantes du mythe de la reine Aura Poku, afin de prouver l’influence matricielle des premières transcriptions de Maurice Delafosse, parfois même sur des sources orales ultérieures : Fabio VITI, « Les ruses de l’oral, la force de l’écrit. Le mythe baule d’Aura Poku », art. cit. Nous soulignons dans notre analyse l’importance de la notion d’ethos, en complément de l’analyse structuraliste tout à fait traditionnelle, telle que l’a initiée Vladimir PROPP, Morphologie du conte, op. cit. 794 Gérard GENETTE, Palimpsestes : La littérature au second degré, op. cit., p. 483. 404 effective ou non de Samori dans la mort de son fils Karamoko, au retour de Paris, ou bien dans la décision de la lapidation de ses filles devant Péroz795. Souvent reliée à la notion de voix, la catégorie d’ethos a été abondamment glosée, et mérite quelques précisions définitionnelles. Myriam Suchet présente une mise au point archéologique de la notion796, en dégageant deux acceptions générales : une acception rhétorique et discursive, dérivée de la Poétique d’Aristote, où le sujet s’adapte à son auditoire dans une dimension interactive, ouverte à une polyphonie énonciative, et une acception sociologique, qui suppose un sujet plein, antérieur à l’énonciation797. Une grande partie des textes de notre corpus présente un ethos lié à l’arêtè : l’art de se présenter comme sincère face à son auditoire, ce que nous pourrions lier à la construction textuelle du point de vue objectivant, pour dresser un parallèle avec les analyses d’Alain Rabatel798. La persuasion – la conviction de dire le vrai, et le désir concomitant de remporter l’adhésion du lecteur-auditeur – sous-tend l’organisation du récit dans son ensemble799. Le récit historique occupe une place particulièrement intéressante pour l’analyse de l’ethos, puisque les textes affichent constamment un brouillage entre les instances auctoriales et les instances narratives : le lecteur est poussé à transférer l’ethos du narrateur sur celui de l’auteur, c’est Abdoulaye Mamani qui affirme avoir été aux sources de Jacques-Francis Rolland, c’est d’ailleurs Jacques-Francis Rolland qui affirme avoir été consulter les archives coloniales. Dans les deux cas, le lecteur est invité à annihiler la distance entre auteur et narrateur, tout comme pour un texte de l’historiographie, tant les marquages de la subjectivité viennent se surimposer à une prétendue objectivité de surface – à une perception objectivante, pour être plus précis. 795 Sur le récit de la lapidation par exemple voir Marie Étienne PÉROZ, Au Soudan français : Souvenirs de guerre et de mission, Paris, Calmann Lévy, 1891, p. 418-419. Et le commentaire très critique que donne Yves PERSON de cette source dans Samori, Une révolution dyula, op. cit., tome 2, note 44 p. 859, en se fondant sur le texte de notre corpus de Djiguiba Camara, « Histoire locale ». 796 Myriam SUCHET, Textes hétérolingues et textes traduits : De « la langue » aux figures de l’énonciation, Thèse de doctorat, Université Concordia, Montréal, Canada, France, 2010, p. 371 et suivantes. Pour une étude de l’histoire de la notion, reliée à la place du lecteur dans l’interprétation, voir aussi l’introduction de Liesbeth KORTHALS ALTES, Ethos and Narrative Interpretation. The Negotiation of Values in Fiction, op. cit. 797 Voir par exemple les analyses de Georges MOLINIÉ, et Alain VIALA, Approches de la réception : Sémiostylistique et sociopoétique de Le Clézio, Paris, Presses universitaires de France, 1993, pour qui l’écrivain déploie une posture à l’intérieur d’une position, cette dernière étant sociologiquement déterminée, et réinvestie par une stratégie. Et Jérôme MEIZOZ, L’Œil sociologue et la littérature : essai, Genève, Slatkine Érudition, 2004, qui réfute la dichotomie stricte entre texte et contexte, en rappelant que le « texte est tissé de socialité » (introduction) : il est un « compromis formel » (4. « Propositions sociologiques sur la littérature »), « l’interface entre la subjectivité des créateurs et l’objectivité des contraintes sociologiques ». 798 Voir supra, Alain RABATEL, La Construction textuelle du point de vue, op. cit. 799 ARISTOTE, P#étique, Paris, Gallimard, 1996, 1356a. 405 Dès lors, il devient difficile de ne pas prendre en compte la dimension sociologique de l’ethos et de le couper de son acception rhétorique : pour reprendre Cicéron, le lecteurauditeur est influencé dans son interprétation par le prior ethos, l’image qu’il a du rhéteur avant de l’entendre parler. Le lecteur ne lit pas dans une tour d’ivoire, de la même manière que l’auteur n’écrit pas dans une tour d’ivoire. Cela signifie qu’il existe une architecture de présupposés qui influencent nos interprétations de lecture : nous n’écoutons pas Sékou Touré citer Samori de la même manière qu’Ahmadou Kourouma qui en fait l’un de ses personnages. Il y a un « auteur implicite »800 construit par le lecteur, qui continue de s’élaborer dans les textes par l’ethos. L’extratextuel et le textuel sont liés, surtout dans les textes de notre corpus, qui relèvent de l’énonciation historique, et dont les acteurs qui les ont produits n’ont pas fait qu’écrire sur les figures historiques, ils en ont pleinement et activement vécu les réappropriations. Sékou Touré se vit comme petit-fils de Samori – que cela soit vrai ou non. Les ruses de la narration, d’affichage de la véridicité, ne doivent s’interpréter que dans la pleine conscience de ce vécu extratextuel des figures, toujours couplé à ses manifestations textuelles. Nous chercherons donc à définir l’ethos des auteurs – puisque notre corpus brouille à dessein le rapport auteur/narrateur – afin de dégager les pistes interprétatives de la figure héroïque dans les textes de notre corpus particulièrement ambivalents. L’analyse de la seule structure narrative ne peut pas rendre compte des valeurs associées aux héros culturel, et donc de la réappropriation qui en faite, surtout si les textes sont ambigus, ou que la figure est présentée avec des valences incertaines, troubles, voire même changeantes au fil du texte. Les récits de Djiguiba Camara, d’Abu Mallam, ou encore d’Ahmadou Kourouma laissent planer le doute sur la caractérisation définitive de Samori Touré. Précisément parce qu’il n’y a pas dans ces textes de lecture définitive du personnage, et qu’il est inutile d’essayer de plaquer une interprétation univoque, l’ethos, qui inclut le prior ethos (ou l’auteur implicite), permet de rendre compte de cette ambivalence, de la circonscrire dans les textes, et d’en préciser les implications herméneutiques, pour l’interprétation que peut en faire le lecteur, dans l’attention à la 800 Pour un compte-rendu des débats suscités par la notion d’auteur implicite, voir Tom KINDT, « L’auteur implicite. Remarques à propos de l’évolution de la critique d’une notion entre narratologie et théorie de l’interprétation », in Théorie narrative. L’apport de la recherche allemande, trad. Thierry GRASS, Sylvie LE MOËL, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2007, p. 59‑84. Disponible en ligne : http://www.vox-poetica.org/t/articles/kindt.html, avec l’autorisation de l’éditeur. Consulté le 13 mai 2016. Voir surtout Wolfgang ISER, The Implied Reader : Patterns of Communication in Prose Fiction From Bunyan to Beckett, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1974. 406 polyphonie des textes, ainsi que dans l’attention à la complexité des voix et des déterminations à l’œuvre derrière le sujet de l’écriture. Notre corpus présente plusieurs cas où l’interprétation paraît à première vue impossible, ou mène à une impasse, si l’on ne relie par le texte à un intertexte précis, expliquant la posture de l’auteur, et rendant de ce fait le texte à nouveau lisible. L’ethos permettrait alors d’élucider ce que Michael Riffaterre nomme des « agrammaticalités »801, des segments obscurs, illogiques, ou manifestement aberrants dans leur référence historique, mais explicables par le détour d’un texte antérieur, voire ici, par une posture ou un positionnement influençant une voix particulière, dans le texte (cette posture se référant elle-même, si l’on veut être précisément textualiste, à d’autres textes, au sens large). Voici la définition initiale qu’en donne le sémioticien : Chaque agrammaticalité dans un poème est un signe de grammaticalité ailleurs, le signe qu’elle appartient à un autre système. Cette relation systémique confère la signifiance. Le signe poétique a deux faces : textuellement agrammatical, intertextuellement grammatical. Nous nous réapproprions cette notion, en la pensant comme un engagement à considérer les textes en système, en réseau, densément reliés entre eux, en évacuant la question du vrai et du faux. Par exemple, dans l’immense scénario Samori de Sembène Ousmane, le tome 2 Sikasso Kele présente en son centre un très long discours de Samori qui encourage son peuple à l’union, en dressant un portrait de son empire. Nous en citons de larges extraits, parce que le texte n’est pas édité, et parce qu’il semblerait pour un historien résolument du côté de la falsification. Nous essaierons de montrer en quoi cette agrammaticalité apparente constitue en réalité le climax du scénario dans son ensemble – en étant placé au cœur de la structure, à l’exact milieu du second tome – qui ne peut s’interpréter qu’en prenant en compte la vision panafricaine du personnage de Samori qu’avait en tête le réalisateur sénégalais : (1048) Samori à son peuple : Ensemble, nous avons gagné des batailles pour unifier le Faamaya… (togna, togna ndiati). Nous n’avons ni asservi, ni soumis en esclavage nos adversaires d’hier (togna, togna !). Que chacun de nous observe son voisin de gauche, de droite, de devant ou de derrière. Il verra que celui-ci vient de dugu, de kaffu, hier en hostilité permanente (togna Mandju). Notre devise est : qu’une femme, toute seule, avec sa charge, puisse voyager la nuit sans être inquiétée 801 Michael RIFFATERRE, Sémiotique de la poésie, op. cit., p. 206. Nous formulons ici l’hypothèse que cette notion d’agrammaticalité, telle que développée par Michael Riffaterre, s’articule à la notion de transvalorisation, que décrit Gérard Genette, pour permettre de comprendre les usages ambivalents de la figure historique. 407 (Hate ! hate). Vive avec nous, sans inimitié, des musulmans de doctrines différentes (togna ! togna Mandju) (1049) Samori : Aujourd’hui, nous vivons en famille… Nous combattons en nous l’ostracisme. Nos enfants se marient, forment de nouvelles familles (togna ndiati ! togna)… […] (1052) On a dit, répété, que j’avais été tué, mort à Sikasso, me voici ! (1053) Nous voici, réunis chez nous. Devant vous tous, je reconnais mon erreur de vous avoir entraînés à Sikasso. Les Oreilles Rouges ont profité de cette erreur pour susciter l’insurrection. Les Toho Guigui, les ambitieux, ont voulu détruire le Faamaya. (1054) Les Soldats Rouges avec leurs soldasi viennent d’annexer le Baleya et le Oulada malgré les trois traités d’amitié. Nous défendrons cette terre au prix de notre vie, sinon nos compagnons seraient morts pour rien. Moi vivant, jamais nous ne serons esclaves de personne. […] (1056) Moi vivant, aucun orphelin ne restera sans oncle, aucune veuve sans mari, aucun sofa âgé sans soutien. (1057) Pendant les pluies, nous allons tous cultiver la terre. Ni Karamogho, ni Modibo, ni Keletigui, ni sofa ne seront exempts des travaux des champs… (1058) Pendant l’insurrection, des femmes ont pris les armes pour défendre nos familles. Elles se sont conduites en hommes. A la saison des pluies, elles cultivent le riz, le gombo, elles lavent, cherchent le bois, élèvent nos enfants. (1059) Cultiver, c’est nourrir, habiller nos familles, se battre contre nos envahisseurs. Chaque vendredi, après la prière d’asara, nous nous retrouverons ici pour débattre de nos problèmes. Dans cet extrait, la question du vrai et du faux n’a pas de sens802, sauf à dire que Sembène Ousmane est dans l’invention, en présentant une figure historiquement fausse de Samori, ce qui n’apporte que très peu d’un point de vue heuristique : il est évident que les propositions « Nous n’avons asservi ni réduit en esclavage », et « Moi vivant, jamais nous ne serons esclaves de personne » sont en contradiction avec l’économie de la traite mise en place par Samori. Syntaxiquement, il s’agit d’une agrammaticalité : cela ne fait pas sens sur l’axe syntagmatique, en respectant le principe de non-contradiction. Néanmoins, si nous nous référons à un intertexte plus large, et en élucidant les références panafricaines de Sembène Ousmane disséminées dans l’extrait, la posture dégagée devient tout à fait cohérente. Samori se construit un ethos panafricain. Mieux, Sembène produit un ethos panafricain de la figure « Samori », en élargissant les possibilités latentes de la figure. Ce discours de mobilisation des troupes, alors que Samori décide de lever le siège de Sikasso contre Tyèba et de reformer son empire en matant les révoltes (1888)803, est l’occasion pour Sembène Ousmane de dresser un idéal de société. Or celui-ci ne peut s’interpréter avec 1888 comme référent, mais bien avec le référent du temps de l’écriture, 802 Nous analyserons cette question plus bas, Troisième partie, Chapitre 1, « Pour sortir de la question du vrai et du faux ». 803 Voir Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 2, p. 1084 et suivantes sur la répression des révoltes et la fin du siège de Sikasso. 408 celui des années 1962-1985, marquées par la vision postcoloniale de l’auteur804. Sembène construit un nous collectif, une unité rhétorique fondée dans la langue, autour d’une devise commune (« Qu’une femme, toute seule, avec sa charge, puisse voyager la nuit sans être inquiétée », qui apparaît dès le premier volume du scénario et qui constitue ensuite un leitmotiv). Le nous qui sature le discours (parfois de manière tautologique : « Nous voici réunis chez nous », où le collectif se décrit par l’espace du collectif et inversement) se fonde dans l’opposition aux « Soldats Rouges », l’autre radical, les « Oreilles Rouges », les Blancs, aidés des tirailleurs (« les soldasi »). Le personnage Samori plaide l’union des peuples africains autour d’une seule et même collectivité, et d’une seule et même armée. L’injonction, les déictiques, les adverbes totalisants (« Que chacun de nous observe son voisin de gauche, de droite, de devant ou de derrière »…) visent à constituer une unité que Sembène a rêvé pour sa propre époque (la réunion des kaffu et des dugu, où la division des villages serait subsumée par un idéal commun). La communauté se caractérise par le respect des différences religieuses sans tentative de prosélytisme (« vive avec nous, sans inimitié, des musulmans de doctrines différentes »), par l’égalité de tous dans le travail collectif, sans considération de préséance (« Ni Karamogho, ni Modibo, ni Keletigui ni sofa ne seront exempts des travaux des champs »), par l’équité de la répartition des tâches entre hommes et femmes (« Pendant l’insurrection, des femmes ont pris les armes... Elles se sont conduites en hommes. A la saison des pluies, elles cultivent le riz, le gombo »…). Les trois epigraphes placés à l’initiale du texte (volume 1 « Faamaya Sila »), de Cheik Anta Diop, de Joseph Ki-Zerbo et d’Abdou Diouf 805 informent cet extrait en lui restituant son ampleur politique. L’engagement de Sembène, depuis son expérience syndicale à Marseille au sein de la CGT et du PCF, ensuite avec sa formation dans les studios Gorki en URSS806 rendent compte de ce choix de lecture historique de la trajectoire de Samori Touré. Il se construit dans le texte comme l’unificateur possible de l’Afrique de l’ouest, proposant un modèle 804 Sur le postcolonialisme de Sembène, voir les deux chapitres des ouvrages suivants : Kenneth W. HARROW, Postcolonial African Cinema : From Political Engagement to Postmodernism, Bloomington, Indiana University Press, 2007 ; David MURPHY, Patrick WILLIAMS, Postcolonial African Cinema : Ten Directors, Manchester ; New York, Manchester University Press, 2007. 805 Cheikh Anta DIOP, Nations nègres et culture, Paris, Editions africaines, 1954, sur la nécessité pour les Africains de se pencher sur leur histoire pour mieux se connaître ; Joseph KI ZERBO, Histoire de l’Afrique noire, Paris, Hatier, 1978 [1972], sur l’histoire africaine comme « puits de ressources spirituelles et de raisons de vivre » ; Abdou Diouf, 27 juin 1984, remise du prix du concours général à Dakar, sur l’exaltation d’hommes « qui ont su incarner nos valeurs et les rendre efficaces ». 806 Sur la formation des premières années de Sembène, nous nous référons à Paulin Soumanou VIEYRA, Ousmane Sembène cinéaste. Première période, 1962-1971, op. cit. ; Samba GADJIGO, Ousmane Sembène : The Making of A Militant Artist, Bloomington, Indiana University Press, 2010. 409 politique inspiré de l’idéologie marxiste, laïc, égalitaire, dans le partage des ressources et des modes de production. La question de l’esclavage ne peut, dans cette perspective, qu’être escamotée, puisqu’elle n’aurait pas sa place dans un tel discours. La question de la réalité historique n’importe pas en tant que tel, puisque le référent ne peut pas se lire comme en 1888. C’est bien d’un modèle social dans le contemporain que dresse Sembène Ousmane et il nous semble que la question de l’ethos vient expliquer le phénomène de transvalorisation du récit (par rapport aux pièces de théâtre ivoiriennes et maliennes par exemple). Le texte s’explique par le détour d’autres textes (avec l’héritage de Frantz Fanon807, de Cheikh Anta Diop) : il n’a une agrammaticalité que syntaxique (il est historiquement faux que Samori ait aboli l’esclavage) mais il possède en revanche une véritable grammaticalité paradigmatique (Sembène construit un Samori à l’ethos panafricain dans lequel cet énoncé trouve sa place tout à fait logiquement). Un autre cas de transvalorisation très explicite dans notre corpus est certainement celui des réécritures de la condamnation à mort de Karamoko lorsqu’il est accusé de traîtrise en voulant pactiser avec les Français, ce qui se fonde sur certains éléments attestés par l’historiographie808. Les textes littéraires qui y font référence isolent en effet cet épisode, en lui donnant une autonomie, tout en le réinterprétant librement et en lui conférant des lectures opposées. Dans Une hyène à jeun de Massa Makan Diabaté et dans Les Sofas de Bernard Zadi Zaourou, la structure narrative suit le même parcours : Karamoko est choisi pour remplir une mission diplomatique en France, il revient après un délai variable, il est unanimement acclamé par le peuple et l’armée, des chants sont produits en son honneur, mais il annonce en public que l’armée française est invincible, ce qui provoque la colère de son père et du conseil : après concertation et jugement, Samori est contraint d’ordonner la mort de son fils. Blâmé comme infanticide dans le texte de Bernard Zadi Zaourou, Samori devient plus nuancé dans le texte de Massa Makan Diabaté, comme nous l’avons vu dans la seconde partie de notre étude. L’ethos dans les pièces de théâtre semble plus complexe à dégager, puisqu’il n’existe évidemment pas de narrateur ; le changement de valorisation est en revanche bien net. 807 Frantz FANON, Les damnés de la terre, et surtout Peau noire, masques blancs (Paris, Gallimard, 1991, et Le Seuil, 1952). 808 Yves Person est prudent lorsqu’il relate cet épisode qui aura une grande fortune littéraire. Il est vrai que Karamoko aurait échangé des lettres avec Loyer, dont certaines sont retranscrites en notes de bas de pages du Samori, ce qui constitue en soi un motif d’accusation grave d’échanges de renseignements avec l’ennemi. Voir Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 3, note 233 p. 1533 pour l’échange épistolaire. Voir tome 3, note 229, p. 1532 pour les sources africaines de cette trahison. 410 Plus intéressant pour la notion de posture énonciative, le cas de Sarraounia après le roman d’Abdoulaye Mamani et le film de Med Hondo révèle une réappropriation tout à fait singulière. Nous avons rapidement évoqué les ballets Sarraounia, Ballet lyrique, d’après Abdoulaye Mamani (1986), et les Cinquièmes jeux de la francophonie (2005) dans la première partie de notre étude 809 , et nous avons montré que la figure de Sarraounia oscillait entre une lecture conservatrice et une lecture subversive, tout en gardant la trace de l’intertexte fondateur : le roman d’Abdoulaye Mamani. Nous souhaitons revenir sur ces deux ballets pour montrer comment un cas de transvalorisation peut s’inverser, et passer de subversif à institutionnel, à l’inverse si l’on peut dire du phénomène montré plus haut dans le scénario de Sembène Ousmane. Dans le ballet de 1986, le vers en haoussa « même si tu as fait des erreurs, on te pardonne » peut désormais être assimilé à une agrammaticalité, sur le même modèle que précédemment810 : Nous les hommes sommes venus te saluer, et te féliciter pour ta désignation, Tu es courageuse, tu n’as peur ni en brousse, ni dans ton village, nous, les hommes et les femmes, sommes venus pour te rendre hommage. Avec tout ce que tu as fait il est normal que l’on te rende hommage. Même si tu as fait des erreurs on te le pardonne. Saraounia on te salue, parce que tu as mis les pieds là où même un homme n’a pas pu le faire. Même si une femme a cherché la beauté par les sciences occultes, sa beauté n’atteindra jamais la tienne. Saraounia on te salue car tu as fait des choses que même les hommes n’ont pas pu faire. On en a vu des guerres mais jamais comme la tienne. On vu des beautés mais pas comme la tienne. [traduction Ernestine Beidari et Amina Bertho] En contexte, il n’a aucun sens. Les hommes et les femmes de Lougou n’ont aucune raison de pardonner quoi que ce soit à la nouvelle Sarraounia qui vient d’être désignée par le rituel du takarma (qui n’était pas présent dans l’ouvrage de Mamani, puisque Sarraounia héritait du trône de son père). Ce vers se comprend néanmoins dans un contexte global de lissage de la figure, d’institutionnalisation, de canonisation et, partant, de gommage de toutes ses potentialités subversives. L’ensemble du ballet se détache du contexte historique de la colonne Voulet-Chanoine qui n’est presque pas montrée, et les 809 Voir supra, Première partie, Chapitre 1, section « Sarraounia et l’ouverture des possibles textuels ». Nous avions déjà analysé ce passage dans notre travail de master, sans toutefois aborder la question de l’agrammaticalité au sens où l’entend Riffaterre : Elara BERTHO, Sarraounia ou la naissance d’un mythe littéraire, M2 de Lettres Modernes, sous la direction de Cécile Van Den Avenne, ENS de Lyon, Lyon, juin 2011. 810 411 premiers et seconds volets de l’œuvre sont consacrés à une présentation, régie par le principe du folklore, des rituels de possession, ainsi que des cultes du bori. Le troisième volet est consacré à la victoire contre les Blancs. Il y a dans cette œuvre une vocation documentaire, de présentation pittoresque d’une région du Niger. C’est la promotion de la diversité et la victoire contre la colonisation qui constituent le fil conducteur du récit, et non pas le respect des religions, l’égalité hommes-femmes, la liberté sexuelle, le rejet de l’oppression, le rejet surtout des pouvoirs locaux incapables de prendre les armes contre les Blancs (le chef de Birni N’Konni, le sultan de Sokoto sont tous les deux ridiculisés), qui caractérisaient les œuvres de Mamani et de Hondo. Le ballet de 2005 semble suivre cette même folklorisation du récit, en donnant une large part aux mouvements de groupe, chaque groupe ethnique ayant son morceau de bravoure (Peuls de Sokoto, Touaregs du Nord notamment), avec des danses et des tenues différentes et clairement reconnaissables. La narration est en partie en français, et l’introduction compare Sarraounia à « Tafinat, l’ancêtre mythique des Touaregs », « Harakoy, la déesse du fleuve Niger », « Toula, la fille sacrifiée » ou encore « Kassey la magicienne »811. Ces affiliations et la multiplication des danses régionales indiquent clairement que les organisateurs ont souhaité mettre en scène une narration de la nation, en prenant pour prétexte Sarraounia. Celle-ci en devient donc plus éthérée, les manifestations les plus visibles de la réécriture de Mamani en sont complètement éliminées, et n’en subsistent que des dénégations, que l’on ne peut comprendre qu’en référence à l’hypotexte. La posture, l’ethos du narrateur (dans le ballet de 2005, qui parle en français812) se construit dans le respect d’une vision mythifiée de la tradition et de l’origine. Notre corpus est en grande partie constitué par la transvalorisation. Au-delà des études de structure du récit, c’est bien l’axiologie qui permet de livrer des hypothèses 811 Tafinat est mentionnée dans le roman d’Abdoulaye Mamani dans un passage enchâssé dans la narration, p. 45-47. Tafinat « femme-chétan », (« sorcière », « associée à Satan » littéralement), s’offre à un djinn pour sauver son peuple, en échange du secret d’une source et du secret de l’écriture. Dans le texte de Mamani, elle est l’ancêtre des Touaregs. Harakoy est une divinité aquatique qui règne sur le fleuve Niger en s’unissant à plusieurs hommes de plusieurs ethnies différentes qui bordent son lit. Toula est une jeune fille sacrifiée par son peuple pour que cesse la sécheresse (voir le film de Moustapha Alassane, Toula ou le génie des eaux, 1973, coproduction franco-allemande). Kassey est la sœur, ou la mère selon les versions, du fondateur de l’empire songhay, Sonni Ali Ber. 812 Il n’existe pas de narrateur dans le ballet de 1986, il est donc plus délicat de parler d’ethos ; le rédacteur étant par ailleurs moins repérable que dans le cas de Sembène Ousmane, où la posture panafricaine de Samori était un indice indéniable d’une voix subsumant le récit tout entier. Nous sommes néanmoins convaincue qu’il existe une voix qui donne cohérence au récit dans cette pièce de 1986, à travers toutes prises de paroles des personnages, allant dans le sens d’un lissage généralisé du récit, comme pour le ballet de 2005. 412 interprétatives riches, qui donnent sens aux réécritures de l’histoire coloniale. Dans les énonciations historiques complexes (comme celles d’Histoire locale, de Djiguiba Camara, par exemple), l’embrayage du point de vue objectivant est un effet de construction dont l’ambivalence a une influence sur l’ambivalence de la présentation de la figure. La notion d’ethos, adossée à celle de prior ethos, rend compte des stratégies de réécritures des figures de Sarraounia, Samori et Nehanda. 3. UNE « GUERRE DES MÉMOIRES » JOUÉE PAR HÉROS INTERPOSÉS La figure reconstruit la mémoire historique 813 : nous l’avons vu, les écrivains s’emparent du héros et élaborent des jeux de réécritures. Les stratégies postcoloniales de construction de contre-discours s’opèrent à deux niveaux : il peut s’agir de subvertir le discours colonial véhiculé par l’ancienne puissance coloniale, en figeant la « Bibliothèque coloniale » à travers ses manifestations les plus polarisées814. Les textes issus de la politique culturelle de Sékou Touré en sont l’exemple paradigmatique. Mais la subversion peut également s’opérer contre le discours des nouveaux États postcoloniaux, et des écrivains comme Abdoulaye Mamani, représentant de la marge politique, ou comme Yvonne Vera, portant la voix des femmes et des exclus, illustrent ce pouvoir de contestation des figures toujours actif, même une fois l’indépendance acquise. La figure héroïque a donc un pouvoir de structuration de l’imaginaire extrêmement efficace. Néanmoins, cette reconstruction ne se fait pas sans dommages, et les deux niveaux que nous avons présentés (stratégie postcoloniale d’écriture contre l’ancienne métropole, contre le nouvel État indépendant) constituent des impositions théoriques et narratives qui ont été contestées ou qui continuent de faire débat, encore aujourd’hui815. 813 En incluant toutes les conséquences politiques d’une telle reconstruction, ce qui confirme en cela les travaux de Marie-Aude FOUÉRÉ, « La mémoire au prisme du politique », Cahiers d’études africaines (2010/1), p. 5‑24. 814 Nous avons déjà présenté la diversité du corpus colonial, notamment sur Samori, dans le premier chapitre de la Première partie, section « Les premiers textes sur Samori », supra. 815 Faisant son autocritique, Terence Osborn RANGER, « Rule by Historiography!: The Struggle over the Past in Contemporary Zimbabwe », in Robert MUPONDE (dir.), Versions of Zimbabwe! : New Approaches to Literature and Culture, op. cit., p. 217‑243, atteste de cette « guerre de mémoires » qui s’est jouée sur le terrain de l’historiographie, pour ce qui est de Nehanda. 413 Les reconstructions par la fiction – dans l’usage des figures 816 , dans les pratiques d’appropriations des textes – s’insèrent dans des conflits de mémoires plus large817, dont on ne peut comprendre la complexité qu’en comparant les échelles d’analyses entre elles. Il y a en effet une « guerre des mémoires » qui se joue, et l’expression de Benjamin Stora 818 à propos de la guerre d’Algérie doit se moduler pour combiner plusieurs variantes : à l’échelle transnationale, les conflits de mémoires sont évidents, et la mémoire guinéenne de Samori s’oppose frontalement à la mémoire ivoirienne du second empire. À l’échelle nationale, les mêmes conflits s’opèrent, entre ethnies apparemment – où le peul Alpha Yaya Diallo remplace Samori Touré dans le rôle du résistant – mais pas uniquement : le filtre ethnique ne rendant pas compte des dissensions constatées dans le berceau même de l’empire de Samori. À l’échelle micro-locale donc, les héros ne sont pas toujours maîtres en leur pays, et de même que Samori est contesté par ses anciens « oncles » Camara, du Nord de la Guinée, de même Sarraounia est considérée avec mépris dans le monde haoussa comme la rémanence païenne de temps que l’on veut penser révolus. Ce spectre de dissensions, où la mémoire apparaît comme un gigantesque champ de bataille dont l’enjeu est le pouvoir, sa représentation et sa perpétuation, ne s’analyse qu’échelle par échelle. À ce large tableau, il faut ajouter la ville qui opère en miniature l’ensemble de ces conflits : du fait des migrations, de l’exode rural, des brassages de populations, la ville devient le lieu de la concaténation des conflits de mémoire. C’est d’autant plus frappant que la ville est également, parce qu’elle est le siège politique, institutionnel, culturel du pouvoir, le lieu de la création de l’imaginaire institutionnel du héros. Elle a alors la double caractéristique d’être à la fois l’hyperinstitutionnalisation de la légende héroïque et un condensé de tous les conflits que cette même institutionnalisation génère. De la dispute transnationale aux enjeux micro-locaux, en passant par les reconfigurations induites par les croisements d’échelles qui s’opèrent en ville 819 – 816 Pour la notion d’usage des figures, nous nous référons à Moses I. FINLEY, Mythe, mémoire, histoire : Les usages du passé, Paris, Flammarion, 1981 ; en élargissant la formule de Véronique BOUILLIER, Claudine LE BLANC, L’Usage des héros : Traditions narratives et affirmations identitaires dans le monde indien, Paris, Champion, 2006. 817 Voir ainsi Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°117-118, « Mémoires et constructions nationales en Afrique », dirigé par Houda Ben Hamouda et Karine Ramondy, 2015, centré sur les usages de l’histoire par les États africains après l’indépendance. 818 Benjamin STORA, La Guerre des mémoires : La France face à son passé colonial, Paris, Édition de l’Aube, 2007. 819 Sur ces « lieux de mémoire », pris au sens propre, et les stratifications mémorielles composées et recomposées (rendant la ville quasiment un palimpseste au sens où Genette l’entend, de manière quasiment 414 Conakry, Niamey, Harare, sans exclusive –, notre approche sera donc résolument géographique dans cette section, en suivant un plan par échelles. Car la guerre des mémoires a pour terrain les lieux de mémoire, où le lieu (géographique) se trouve indissociablement mêlé au récit (narratif). Nous retrouvons dans l’ouverture de la définition donnée par Pierre Nora aux « lieux de mémoire »820 : les lieux topographiques bien sûr, mais également « les marques extérieures sur lesquelles les conduites sociales peuvent prendre appui pour leurs transactions quotidiennes »821. Le lieu de mémoire est avant tout imaginaire et symbolique, répondant à une fonction signifiante pour une collectivité, qui tend à le patrimonialiser. Cette patrimonialisation est précisément dénoncée par Pierre Nora, à la fin de son ouvrage, où il conclut avec amertume que l’entreprise qu’il avait voulu être celle d’une déconstruction avait été récupérée par cette même frénésie de commémoration. L’immatériel a été rattrapé par le commémoratif, avec une dérive identitaire telle que la mémoire remplace désormais l’histoire : « Et le patrimoine est carrément passé du bien qu’on possède par héritage au bien qui vous constitue »822. Plus loin, l’historien précise : « La France comme « personne » appelait son histoire. La France comme identité ne se prépare un avenir que dans le déchiffrement de sa mémoire »823. La mémoire fonde l’identité, la représentation remplace l’histoire. Paul Ricœur glose ainsi Pierre Nora, où l’expression « guerre de mémoires » de Benjamin Stora se trouve d’ailleurs incidemment réactualisée : « Une bataille des mémoires occupe la scène : le culturel et le local, destructeurs du national, encombrent les médias »824. Nous ne nous engagerons pas sur le terrain de la condamnation morale, que suivent l’historien et le critique. Nous pouvons en revanche pointer la montée du narratif dans ce courant qu’ils dégagent tous deux, dans cette nouvelle « ère de la commémoration », celle littérale), voir Jean-Louis TRIAUD, « Lieux de mémoire passés et composés », in Jean-Pierre CHRÉTIEN (dir.), Histoire d’Afrique. Les enjeux de mémoire, Paris, Karthala, 2010, p. 9‑12. 820 En reprenant les deux définitions données par l’historien, à l’initiale de son projet, Pierre NORA, Les Lieux de mémoire. I, La République, op. cit., « Entre mémoire et histoire, la problématique des lieux », p. 17-42 ; et en clôture : Pierre NORA, Les Lieux de mémoire. III, Les France, Paris, Gallimard, 1992, « De l’archive à l’emblème », p. 977-1012. 821 Paul RICŒUR, dans l’analyse faite des lieux de mémoire : La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000, p. 526 et suivantes. 822 Pierre NORA, Les Lieux de mémoire. III, op. cit., p. 1010. Nous sommes consciente des difficultés posées par l’usage des concepts élaborés par Pierre Nora pour le continent africain, telles que les développent Henri MONIOT, « Faire du Nora sous les tropiques!? », in Jean-Pierre CHRÉTIEN (dir.), Histoire d’Afrique. Les enjeux de mémoire, op. cit., p. 13‑26, ainsi que Jean-Louis TRIAUD, « Lieux de mémoire passés et composés », dans le même ouvrage, p. 9‑12. 823 Pierre NORA, Les Lieux de mémoire. III, op. cit., p. 1010. 824 Paul RICŒUR, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 533. 415 de la « Nation mémoriale » 825 . Si la représentation fonde l’identité, désormais, l’identification à la figure héroïque prend une place et une importance capitales. C’est dès lors un champ de bataille narratif qui investit la scène médiatique et culturelle, comme une véritable gigantomachie, ou comme un combat de figures héroïques, lestées chacune d’imaginaires construits, avec des intérêts et des univers qui lui sont propres. Pour notre corpus, la patrimonialisation est le lieu où se cristallisent les tensions et les conflits de mémoire826, c’est également le lieu où s’exercent le pouvoir et sa force d’oppression symbolique. Pour les enjeux rhétoriques et politiques du couple Sékou Touré/Samori Touré par exemple, les effets en sont archétypaux : l’homme politique fixe une histoire nationale qu’il souhaite à l’image de sa propre généalogie fantasmée, excluant de fait la plus grande partie des Guinéens827. Pour partir à la recherche des traces828 laissées par l’investissement des lieux par les imaginaires, nous avons élaboré des représentations graphiques de la mémoire historique. Ce sont des propositions de cartographies du corpus, qui illustrent les conflits d’échelles des représentations, mais qui ont eu également une véritable valeur heuristique dans la construction de l’étude. Ces essais de cartes de mentalité, en même temps que de spatialisation du corpus (ou de tentative de géographie littéraire829), rendent lisibles des conflits latents. Histoire, littérature et géographie apparaissent comme intimement liés dans la construction de la mémoire et de l’identité. Les textes représentent l’espace bien sûr, puisqu’ils décrivent des lieux que l’on peut situer sur une carte (par exemple les villes de Sikasso, Kouroussa, ou Siguiri). Ce faisant, ils font des choix d’écriture qui les inscrivent dans une géographie mentale, au sein d’une guerre de mémoires, hystérisée par l’entrée contemporaine dans l’ère de la commémoration830 que dénoncent Pierre Nora et Paul Ricœur. Enfin, ces récits, ces lieux symboliques, influencent en retour l’habitation 825 Pierre NORA, Les Lieux de mémoire. III, op. cit. Engageant un triptyque terre-conflit-littérature, Eldred D. JONES, « Land, War and Literature in Zimbabwe : A Sampling », in Eldred D. JONES, Marjorie JONES (dir.), New Trends and Generations in African Literature, Londres, James Currey, 1996, p. 50‑61. 827 Sans que l’on ait d’ailleurs recours au prisme ethnique pour justifier cette exclusion, qui est plus large qu’une simple opposition entre ethnies d’appartenance, comme nous l’analyserons plus bas. 828 Pour Tim INGOLD, dans Une brève histoire des lignes, trad. Sophie RENAUT, Bruxelles ; Le KremlinBicêtre, Zones sensibles ; Les Belles lettres, 2011, les traces sont « les marques durables laissées dans ou sur une surface solide par un mouvement continu », à l’instar de l’écriture, du texte (comme tissage de traces), ou des traces auditives. Elles s’opposent aux fils. 829 Comme le prône Michel COLLOT, Pour une géographie littéraire, Paris, José Corti, 2014. 830 Un exemple simple serait l’histoire de l’hymne national zimbabwéen, Rewai MAKAMANI, Isaac CHOTO, From “Nehanda Nyakasikana” to the National Anthem: Poetic aesthetics and the articulation of local and national sensibilities in Solomon Mutswairo’s poetry. [en ligne], 2010, disponible sur <http://ir.polytechnic.edu.na/bitstream/handle/10628/119/Makamani%20%26%20Choto.%20From%20 Nehanda%20Nyakasikana%20to%20....pdf?sequence=1&isAllowed=y>, (consulté le 5 juin 2016). 826 416 des lieux, le vivre-ensemble (statuaire, commémoration). Ces trois niveaux de la réflexion peuvent se représenter graphiquement, en une seule carte, faisant émerger, par leur croisement, les relations et les conflits d’échelles que nous pointions plus haut831. Il s’agira, dans le commentaire des interférences des échelles d’analyses et de ces cartes, de tenir ensemble la représentation graphique globale, que Franco Moretti nomme distant reading832, et l’attention fine à la lettre des textes, le close reading, que nous ne pensons pas incompatibles. Conflits de mémoires transnationales : une gigantomachie de représentations Le premier acte de la « guerre des mémoires » se joue à l’échelle internationale, sous la forme d’un combat 833 de représentations, par grandes figures héroïques interposées. Nous nous centrerons dans ce paragraphe sur la figure de Samori, car elle est la seule à disposer d’une aura pleinement internationale. Nehanda est certes connue au Mozambique, du fait de la porosité de la frontière lors de la seconde Chimurenga, mais elle n’a pas généré une production artistique transnationale comparable à celle dont Samori a été l’objet. Nous avons représenté avec la carte « Samori : lieux de mémoire et de création artistique » (infra) une grande partie de notre corpus sur Samori 834 : la mémoire franchement hostile au personnage835 se décline à Wa au Ghana (Labarin Shamuri, d’Abu Mallam), au Mali avec Sikasso, sans surprise, en mémoire du siège (Mémorial de Kélétigui Berté), à Kayes avec le souvenir des razzias et de l’esclavage (Esclavage et émancipation), dans le Nord de la Côte d’Ivoire autour de Dabakala (Histoire de Samori en mandé). Les Sofas, publié en Côte d’Ivoire, est dans une moindre mesure porteur de cet imaginaire de la légende noire. 831 Selon la maxime : « les cartes sont davantage que la somme de leurs parties », de Franco MORETTI, Graphes, cartes et arbres : Modèles abstraits pour une autre histoire de la littérature, trad. Étienne DOBENESQUE, Paris, Prairies ordinaires, 2008, p. 89. 832 Franco MORETTI, Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 35. 833 Sur ce motif du combat : dans L’Illusion identitaire, Jean-François BAYART (Paris, Fayard, 1996) montre comment ces représentations agissent comme des « sortilèges », induisant des conflits. Il en appelle pourtant, non pas au fatalisme, mais à se « déprendre de soi-même », grâce au questionnement intellectuel (p. 10). 834 L’encart sur la ville de Conakry sera commenté plus bas, dans la sous-section relative aux métropoles, intitulée « La ville comme support de la commémoration ». 835 Marquée par de petites étoiles noires sur la carte. 417 Nous avons déjà largement présenté, dans la première partie de notre thèse, les processus de canonisation et d’institutionnalisation de Samori Touré en Guinée836. Nous proposons ici un second volet de ce diptyque à l’échelle transnationale en plaçant la focale sur les autres réutilisations nationalistes rejetant la figure de Samori en dehors de leur panthéon, et en en faisant une figure-repoussoir : les négociations identitaires se jouent à travers des « guerres de mémoires », sur le terrain symbolique de l’héroïsme. La Côte d’Ivoire est un parfait exemple de cette mémoire opposée à Samori, qui se structure comme en négatif à celle de la Guinée. Un bref aperçu des manuels scolaires d’Histoire-Géographie des écoles élémentaires éclaire cette mémoire contrastée. En Côte d’Ivoire, où l’opposition est la plus farouche, on constate un durcissement des positions, des années 1970 aux années 2000837. Tandis que celui de 1971 consacrait encore un chapitre entier au résistant, sous le titre « Samory : l’organisation de la Côte d’Ivoire » 838 , et le citait par ailleurs régulièrement 839 en concluant sur les talents du chef : « C’est à Guélémou que les Français l’ont fait prisonnier en 1898. Malgré son courage, Samory n’avait pas arrêté les soldats français »840, le manuel de 2004 ne comporte, en revanche, plus aucune section qui ne lui soit dédiée, ni dans la résistance à la colonisation ni dans les formations politiques précoloniales. La section 5 est dévolue aux « royaumes de Côte d’Ivoire » : de Bouna, des Abron, de Kabadougou, de Kong841, de Fakourou Bemba, mais rien sur celui de Samori qui les a pourtant, par la suite, tous assujettis. Il est néanmoins impossible de rayer complètement le nom de Samori Touré lorsque l’on fait une histoire de la Côte d’Ivoire. À la fin de chacun de ces chapitres, son nom apparaît donc comme destructeur d’empires et de royaumes : « À la fin du 19è siècle, Samory Touré, venu de l’Ouest, prend et détruit Bouna sans difficulté »842, « À la fin du 19è siècle, Samory Touré détruit le 836 Voir supra, Première partie, Chapitre 1, section « La chanson militante de l’indépendance guinéenne : relecture nationale univoque » ; Chapitre 2, section « Le Chef d’État et le culte de la personnalité » et section « Labels musicaux, festivals nationaux : l’art du spectacle d’État ». 837 Histoire de la Côte d’Ivoire, cours élémentaires, par un groupe d’enseignants, CEDA, Imprimerie Tardy Quercy Auvergne, Hatier, 1971. Histoire Géographie, École et développement, Ministère de l’éducation nationale, SIPPI, NEI, 2004. Les auteurs ne sont pas cités. Nous remercions Fabio Viti et N’Guéssan Kouadio Célestin pour ces deux ouvrages. Nous plaçons des reproductions en annexe, p. 733-734. 838 P. 52-53. 839 P. 38-41. 840 P. 53. 841 Voir aussi les mémoires de Kong, assiégée par Samori, forcément hostiles également : Victor DIABATÉ TIÉGBÉ, Marie José DERIVE (dit.), Table ronde sur les origines de Kong, les 1-2-3 novembre 1975 à Kong, Annales de l’université d’Abidjan Série J, vol. Tome I Traditions Orales, Abidjan, Université nationale de Côte-d’Ivoire, Institut d’histoire d’art et d’archéologie africains et Institut de linguistique appliquée, 1978. 842 Histoire Géographie, 2004, op. cit., p. 65. 418 royaume Abron »843, « Le royaume de Kong, affaibli, s’était rangé du côté des Français. Samory Touré, mécontent de cette alliance a attaqué Kong et détruit la ville le 15 mai 1897 »844, « Les grands marabouts de Kong avaient prédit que la ville de Kong serait rasée par Samory Touré et ne se relèverait que cent ans après »845, « Fakourou s’allia à Moriba Touré du Kabadougou qui avait signé un traité avec les Français. Samory, mécontent de cette alliance prit le petit royaume de Fakourou »846. Face à lui, d’autres chefs considérés comme ivoiriens sont mis en avant. Un exemple étonnant en est Amatifou, « le roi-soleil » des Agni du Sanwi, dont la description du règne par les auteurs constitue un tableau tout à fait idyllique de l’invasion coloniale, ainsi que des relations de pouvoir à l’époque contemporaine : Amatifou voulait la paix avec ses voisins. Il recherchait le bien-être des Agni. Il était considéré comme le roi-soleil du pays Agni. Il était rusé et bon diplomate. Amatifou signe un traité avec les Français. Ce traité place le petit royaume de Krinjabo sous la protection de la France. Aujourd’hui encore un roi règne à Krinjabo. (p. 76) Dans une douce continuité dynastique entre l’époque précoloniale, la colonisation et la période postcoloniale, la chefferie des Agni semble se perpétuer en bonne intelligence avec ses voisins, son peuple et les autorités étatiques847. C’est un autre type de figure historique qui est opposé à Samori, dans cette guerre des représentations. L’exemple est certes en la défaveur des Agni, tant la narration est simpliste, mais l’intérêt de ce manuel est la disparition progressive du nom de Samori. Notons que les manuels scolaires maliens et sénégalais sont plus mesurés848, et présentent une version officielle de la construction de l’empire samorien puis de sa résistance aux Français, dérivée du canon que représente le manuel de Djibril Tamsir Niane et de Suret-Canale, de 1961, figurant 843 Op. cit., p. 68. Op. cit., p. 71. 845 En légende d’une photo de Samory prise à sa capture, op. cit., p. 72. 846 Op. cit., p. 80. 847 Au mépris des crises sécessionnistes du Sanwi de 1959, avec des résurgences dans la période contemporaine, qui se fondent sur ce traité de protectorat initial de 1843 conclu par Amatifou. C’est bien d’une histoire idyllique et fantasmée qu’il s’agit ici, caractérisée par une pacification rétrospective des événements et un lissage généralisé des relations diplomatiques et politiques. 848 Pour le Sénégal : Histoire, 3e étape, Ministère de l’éducation nationale du Sénégal, NEADE, EDICEF, 1996. Section « Les résistances armées », chapitre 30 « Samory Touré » (la chronologie comporte des coquilles). Voir p. 768-769. Pour le Mali : Tariku, 6 nan, Sanusi Songomo, Sajo Tarawore, éditions Donnya, Bamako, 2008 : manuel de 6ème année en bambara, chapitre 14 « Samori Ture ; Ka Mansabamara » ; Histoire 9e année, République du Mali, Ministère de l’éducation, Youssouf Konandji, Mamadou Dolo, Sidibé Raharinjanahary, Mory Famanta, Famoro Keïta, Moriba Kané, Mahamadou Karamoko Diallo, éditions Jamana, Bamako, 2002 : section 11, « Les résistances au Soudan (Mali) ». Nous remercions Antoine Fenayon pour ces textes. Voir p. 747-756. 844 419 d’ailleurs dans notre corpus. Le manuel scolaire, comme véhicule de la doxa, porte les choix d’écriture de l’histoire à son plus haut degré d’institutionnalisation, puisque les programmes sont rédigés dans les ministères de l’éducation nationale. Ils sont donc un reflet révélateur de l’État, se mettant en scène, s’exposant, s’affichant comme producteur de discours. La mémoire de Samori en Côte d’Ivoire n’est manifestement plus souhaitée dans les dernières moutures des manuels scolaires. En Guinée, au contraire, le nationalisme affleure largement dans les sections qui lui sont consacrées : « La conquête coloniale fut difficile. Des patriotes africains, fiers de préserver la terre de leurs ancêtres, luttèrent avec détermination contre la conquête coloniale. L’Almamy Samory Touré est né vers 1830 … »849. Il y a très clairement une figuration héroïque à l’œuvre dans les manuels scolaires, qui correspond à l’image que les ministères veulent donner de l’idée de « nation », en creux. Samori ne participe pas de l’« ivoirité » 850 , dont la définition est en construction851, mais il s’est en revanche transformé en modèle de patriotisme guinéen, de manière apparemment très naturelle. Précisément, cette naturalisation des héros, dont la mémoire se structure à l’intérieur des frontières nationales, recoupe d’autres types de formations mémorielles. Les autres textes de notre corpus superposent à cette structure étatique un autre agent de cristallisation 852 de la mémoire : l’ancienne appartenance aux royaumes et 849 Histoire Géographie, 6e année, Conakry, op. cit., p. 45. La formule, relancée par Henri Konan Bédié, a eu un impact politique important à partir des élections présidentielles de 1995 et dans la crise ivoirienne enclenchée par les événements de 2002, et rejouée avec les élections présidentielles de 2010, qui ont opposé Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Sur le concept d’ivoirité, voir notamment le dossier « Côte d’Ivoire », d’Afrique contemporaine, n°206, 2003 (2). Sur le rôle des intellectuels et surtout des écrivains dans l’élaboration du concept d’ivoirité, voir Emmanuelle EYMARD, Autour de la notion d’ivoirité, participation de quelques écrivains à la crise politique de la Côte d’Ivoire, Thèse de doctorat, sous la direction de Xavier Garnier, Université Paris 13, Paris, 2014. 851 Ce que pointe d’ailleurs Ahmadou KOUROUMA, au détour d’une digression, dans Quand on refuse on dit non, Paris, Le Seuil, 2004, p. 58-59 : « [Les Français] se heurtent à une résistance farouche des Gouros, des Baoulés et des Attiés. Surtout, au Nord, ils ont affaire à Samory, « le Napoléon de la savane ». Après divers traités, de grands combats eurent lieu avec Samory. Il fut capturé par traîtrise en 1898. Toutefois la Côted’Ivoire officielle ne reconnaît pas Samory parmi ses héros. Parce qu’il était arrivé au centre de la Côted’Ivoire, poursuivi par les Français qui l’avaient chassé de Guinée et du Nord-Ouest du pays, la région d’Odienné. Pour affamer ses poursuivants, il avait appliqué dans le centre de la Côte-d’Ivoire la technique de la terre brûlée. C’est-à-dire beaucoup de destructions et beaucoup de massacres. Les Ivoiriens sont loin de pardonner à l’almamy les souffrances endurées par les populations pendant l’épopée. […] Houphouët, le premier président de la Côte-d’Ivoire avait une conception curieuse de l’histoire des peuples. Pour s’entendre avec le colonisateur, il a effacé la résistance à la colonisation. Il a parlé des vainqueurs et a oublié les vaincus. Il a laissé les vaincus dans l’ombre de l’oubli ». Ces propos font écho aux évolutions des manuels scolaires, du moins de 1971 à aujourd’hui (voir en annexe les reproductions des manuels à notre disposition, p. 716-794 pour une comparaison qui donne raison à Ahmadou Kourouma sur l’effacement progressif de Samori des programmes). 852 Pour reprendre les notions théorisées par Edgar Morin dans l’analyse de la structuration de la rumeur, de sa propagation, de sa cristallisation, et de ses remparts ; Edgar MORIN, La Rumeur d’Orléans, Paris, Le Seuil, 1969. 850 420 formations politiques vaincues par Samori, et son corollaire, l’ancienne et la très contestée mémoire de l’esclavage. Les populations vaincues et réduites en esclavage conservent un souvenir évidemment négatif de l’empire de Samori, à cheval sur les constructions étatiques contemporaines qui élaborent leur propre redéfinition de la mémoire historique. Le thème de la razzia et de la captivité existe depuis les premiers textes du début du XXe siècle. Il est assorti au motif du traître, qui livre la ville à Samori, permettant les pillages et la mise sous tutelle des populations. Amadou Kouroubari par exemple, rend compte dès 1901 du siège de Dawakala : Tous les habitants du Djimini se mirent à l’abri dans une place fortifiée et réclamèrent l’aide de Bourama, de Kosi, de Péminyan, des Foro, des Dioula, de Kitara Sara, de Bandogho, de Bigyala, de Kpana, de Wolo et du Tagbona. Tous avaient rendez-vous à Dawakala. Du côté de Samori, Sarankiè Mori, Siékouba, Sangwola et Forouba Moussa se construisaient des fortins. Leurs cavaliers en grand nombre ratissaient la savane et emmenaient toutes les femmes et les enfants qu’ils rencontraient. Les indigènes du Djimini, les Kyépéré, ne tremblaient pas; bandant leurs arcs, ils faisaient pleuvoir les flèches mortelles sur les fortins ennemis et éliminaient ainsi pas mal de cavaliers, mais nos provisions étaient rares ! Nous attendions Kpakibo853 et Kpakibo ne venait toujours pas. Un habitant de Dawakala, Mamadou Wattara, égaré par la peur, ouvrit de nuit la porte de la ville à Sarankyè Mori. Tous les cavaliers ennemis firent irruption et tuèrent tous ceux qu’ils rencontraient. […] Sarankyè Mori ramenait à son père les femmes, les enfants, les chevaux et tout ce qu’il avait pris. (p. 557-558 [p. 170-171]) Il faut un traître pour expliquer la défaite : c’est ici Mamadou Wattara. Hormis cela, Amadou Kouroubari insiste bien sur la bravoure des guerriers du Djimini (« ils ne tremblaient pas »), eux qui ont ensuite été réduits en esclavage et déportés, avec la réputation d’être de perpétuels errants. S’enracine ici l’idée qu’une trahison est à l’origine des malheurs de la région. L’auteur prend d’ailleurs soin de mettre en scène la férocité des sofas de Samori, ou des troupes de ses fils : la razzia commence avant l’approche de la ville, et avant même le début du siège (« leurs cavaliers en grand nombre ratissaient la savane »), lors de la prise (« ils tuèrent tous ceux qu’ils rencontraient »), et pendant la traque qui suivit (« Sarankyè Mori ramenait à son père les femmes, les enfants »). Ce même agent de « cristallisation »854, autour de la même cause – le souvenir de 853 Maurice Delafosse rappelle en note de bas de page que Kpakibo signifie « celui qui fend la forêt, l’ouvreur de route », et réfère à Marchand, lors de son voyage d’avril 1894. 854 Edgar MORIN, op. cit. 421 l’esclavage – est attesté dans un autre pays voisin de la Guinée : le Mali855. Dans le documentaire de Marie Rodet856 sur les Diambourous dans la région de Kayes, Samori est très régulièrement mentionné comme la cause principale des migrations, des rapts de femmes, et des pillages des villages et des récoltes. Le témoignage de Doro Traoré, chef du quartier Bangassi-Liberté, est particulièrement poignant à cet égard. Il semble s’agir d’un souvenir universel, et les exactions des sofas constituent un thème récurrent. Pour autant, il n’est pas certain que cette mémoire corresponde strictement au passé effectif de chacune des familles interrogées. L’historienne Marie Rodet admet d’ailleurs avoir utilisé la mémoire de Samori pour désambigüiser les questions qu’elle posait857, en différenciant ainsi la mémoire de l’esclavage précolonial, de celle du travail forcé installé à grande échelle par la colonisation858. Il apparaît dès lors très nettement que Samori opère comme canalisateur du traumatisme : il sert à nommer un évènement traumatique ou indicible (la migration, l’exil, la perte des parents, l’esclavage, le rapt des femmes) parce que sa notoriété permet de fédérer l’ensemble des troubles politiques, sociaux, économiques et culturels de la fin du XIXe siècle, et de regrouper sous un même nom – et un même récit – un ensemble plus vastes de phénomènes dans le Mandé (la multiplication de bandes armées ; les exactions des tirailleurs autant que des sofas ; les migrations de populations à grande échelle ; la chute des anciens empires et royaumes précoloniaux, dont celui de Samori, du Kénédougou, du Fouta Djalon, ou des Toucouleurs). Samori sert à nommer, et donc à expliquer, la violence. Il cristallise le souvenir. Pour conclure, comment donc expliquer les différentes mémoires de Samori, que nous constatons sur la carte (infra), à l’échelle transnationale – dans l’opposition entre la Guinée et la Côte d’Ivoire, cette dernière partageant des traits communs avec le Mali ? Analyser pourquoi Samori n’est pas un héros culturel en Côte d’Ivoire permet de mettre en évidence la nature de cette gigantomachie qui se déroule entre États, par opposition de 855 Voir aussi sur le Mali et la mémoire de Samori, Jan JANSEN, « Samori Toure et la chute de l’« État de Kangaba » (1880-1888) », Études Maliennes 53 (2000), p. 29‑45. 856 Les Diambourou, op. cit. 857 Lors de la séance « Méthodes et difficultés du métier d’historien de l’Afrique » du séminaire de recherches du groupe Afrique Océan Indien coordonné par Jean-Luc Martineau, de Paris 7 – Denis Diderot : présentation de Marie Rodet, « Les méthodes de l’enquête filmée à partir du documentaire Les Diambourou, Esclavage et émancipation à Kayes- Mali », dont nous avons animé le débat, 26 mars 2015. 858 Les communautés d’anciens esclaves ont d’ailleurs servi de viviers d’exploitation pour les travaux forcés pendant la colonisation. Sur le statut des villages de liberté, et des diambourou dont traite Marie Rodet, voir l’étude de Denise BOUCHE, Les Villages de liberté en Afrique noire française, 1887-1910, Paris, Mouton & Company, 1968. 422 héros contraires. Il existe bien une « guerre des mémoires », jouée au niveau des États, dans les représentations fantasmées des histoires nationales en construction, et dont les manuels scolaires sont le reflet le plus largement répandu. C’est le point le plus évident : l’idéologie nationaliste structure les imaginaires héroïques. Cette « guerre des mémoires » se joue également sur un second plan – et c’est la seconde cause explicative que nous avons dégagée –, dans la restructuration de la mémoire des vaincus, et donc en partie, de la mémoire de l’esclavage sur les anciennes terres des razzias de Samori, sur les anciennes populations asservies, ou sur les conquêtes tardives et plus violentes du conquérant859. Ces oppositions ne rejouaient pas forcément les frontières étatiques actuelles, mais elles ont été considérablement amplifiées ou étouffées860 de part et d’autre de ces mêmes frontières, ce qui nous mène à l’échelon inférieur de notre étude : les négociations mémorielles à l’intérieur de l’échelle nationale. 859 Voir Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 3, p. 1537 et suivantes sur le « caractère extrême » des conquêtes en Côte d’Ivoire par exemple dans les années 1896-1898. 860 Un exemple particulièrement violent de résurgence de conflits et de règlement de comptes manipulé par Sékou Touré est le « complot peul », Céline PAUTHIER, L’indépendance ambiguë, op. cit., p. 435 ; Mike M. GOVERN, Unmasking the State, op. cit. 423 424 Mémoires nationales, mémoires locales : de la violence symbolique du héros culturel ? Amnésies narratives À l’échelle nationale, nous retrouvons le même mécanisme de dissensions mémorielles, sous des avatars différents, ce qui nous amène à revenir sur la fondation de la mémoire d’État analysée en première partie, pour décrire ce qui était encore resté dans l’ombre : les redéfinitions de la portée de cette politique publique de la mémoire, en fonction des mémoires régionales contrastées, ancrées dans le territoire. Nous nous centrerons ici sur les conflits qui ont émergé, entre l’imposition d’une figure voulue comme nationale, et la persistance d’autres mémoires dissidentes, ou alternatives, convoquant d’autres figures héroïques. Notre corpus permet d’évaluer un spectre remarquable de rapport à la figure, allant d’un positionnement globalement consensuel qui tend à la stylisation de la figure pour une application nationale sans heurts visibles (Nehanda), à quelques remises en cause discrètes au détour d’un vers (Sarraounia), à l’opposition franche de mémoires frontalement contradictoires (Samori). L’imposition d’une figure à l’échelle nationale relève toujours d’un parti pris, d’un choix idéologique, voire d’une violence symbolique. Ce qui est rejeté dans l’amnésie est toujours un coup de force narratif. Mais cette violence n’est pas toujours visible dans les textes. Lorsque la contestation est aussi évidente que pour Samori, les textes qui le remettent en cause ou qui proposent d’autres héros (Alpha Yaya Diallo au premier rang des figures concurrentes) sont aisément repérables. Mais pour ce qui est de Nehanda par exemple, aucun texte de notre corpus ne remet en cause sa participation à la première Chimurenga, ni ne semble structurer une opposition politique au ZANU, comme l’on pourrait s’y attendre si nous dressons le parallèle avec la Guinée. Comment expliquer un tel consensus autour de la figure de Nehanda861 ? Elle appartient au monde shona (zezuru), devenu largement majoritaire notamment avec l’accession du pouvoir de Robert Mugabe. La comparaison avec la Guinée laisserait supposer que des héros ndebele pourraient devenir vecteurs de contestation implicite du pouvoir de Mugabe après 1980. Or, les textes édités et non édités ne répercutent pas une 861 Même les propos les plus ambivalents sur les spirit mediums (notons que Tongogara était particulièrement méfiant à leur égard), comme ceux de Fay CHUNG, Preben KAARSHOLM, Re-living the Second Chimurenga : Memories From the Liberation Struggle in Zimbabwe, Uppsala; Harare, Nordic Africa Institute ; Weaver Press, 2006, leur reconnaissent pourtant « an alternative moral authority and counter-power to that of the political and military leadership », contre « the exploitation of women » dans les camps (p. 17). 425 telle réappropriation. Ce qui ne signifie pas que la contestation n’ait pas eu lieu : au contraire, les manifestations successives de l’opposition ont été sévèrement réprimées. Les vagues de violences policières qui ont empêché l’accession au pouvoir du principal opposant de Mugabe aux élections de juin 2008, Morgan Tsvangirai, ont été menées avec une virulence extrême. Mais cette contestation ne s’est pas jouée sur le terrain symbolique862, puisque les figures de la première Chimurenga qui avaient été réutilisées lors de la seconde Chimurenga ont conservé un caractère très évanescent, stylisé, qui était à même de fédérer tout un territoire contre l’ennemi commun : les Blancs. Ces figures ne peuvent donc pas incarner la contestation politique, si tant est qu’elle puisse se structurer sous Mugabe. Les divisions ethniques des figures héroïques ont été subsumées par l’opposition au pouvoir de Ian Smith, jusqu’en 1980, et ont par la suite gardé leur caractère fédérateur. Year of the Uprising de Stanlake Samkange (publié en 1978) est représentatif de cette stylisation de la figure héroïque durant la seconde Chimurenga. Centrée sur les révoltes des Matabele et des Mashona de 1896-1897, selon le modèle analogique Première-Seconde Chimurenga dégagé plus haut, la figure de Chaminuka est omniprésente. Nehanda apparaît à intervalles réguliers, dans l’ombre de cette première figure (p. 141, 145, et en filigrane dans les récits de possession des jeunes femmes, p. 41, p. 49) et les textes d’invocations, sous forme de longs poèmes, peuvent être attribués à l’une ou l’autre figure. Il y a une indécision dans la chaîne de références ; ainsi dans ce chant d’appel au combat : Go, go, go, go away, Another day, another hour, Our sons will rise again, And our land from white power For ever gain. Back, back, back, back again, Come when you can say : Pars, pars, pars, pars au loin Un autre jour, une autre heure Nos fils s’élèveront à nouveau, Et notre terre contre le pouvoir des Blancs Sortira pour toujours victorieuse. Et reviens, reviens, reviens, reviens encore Lorsque tu pourras dire : This is the day, this is the hour, The spirits have risen again, And our land from white power For even gain. […] Voici le jour, voici l’heure, Les esprits se sont à nouveau élevés Et notre terre contre le pouvoir des Blancs Sortira toujours victorieuse. […] 862 Joost FONTEIN, The Silence of Great Zimbabwe, op. cit., montre bien comment le site archéologique de Great Zimbabwe est rapproprié comme héritage national, qui fédère une intersection d’appartenances (ultralocales, nationale). Notons que Great Zimbabwe est aussi le lieu où a été enterrée Nehanda : Fay CHUNG, Preben KAARSHOLM, Re-living the Second Chimurenga : Memories From the Liberation Struggle in Zimbabwe, op. cit., p. 17, note 11 : Wilfried Mhanda, qui appartint au ZANLA et au ZIPRA à la fois, raconte : « after resuming the war in January 1976, I personally arranged for the remains of Mbuya Nehanda to be exhumed and re-buring nearer to Zimbabwe ». 426 Arise, Beat the drum, play the mbira For Zimbabwe. Dance ! Sing songs and praises For Zimbabwe. (p. 146-147) Debout, Bats le tambour, joue de la mbira Pour le Zimbabwe. Danse ! Chante des chansons et des louanges Pour le Zimbabwe Ce chant enchâssé dans la narration est inspiré des Chimurenga songs, et fonctionne sur le modèle du chant d’appel à la guerre. Il vise à mobiliser les soldats et à justifier l’enrôlement des nouvelles recrues (« Come when you can say : / This is the day »; « Arise »). Or, les vers « Ours sons will rise again » sont une référence claire à la prophétie de Nehanda « My bones will rise again »863; d’autant qu’il est repris quelques vers plus bas : « The spirits have risen again ». Nehanda est une référence implicite qui donne cohérence au texte, puisque Chaminuka – pourtant plus présent dans le cours de la narration – ne peut pas expliquer les références à la résurrection (« rise again » et ses dérivés, « have risen », « arise ») : celui-ci a bien été un médium ayant participé à la première Chimurenga, mais n’a jamais annoncé son retour, ce qui pose problème pour l’élucidation de ce chant, placé dans les dernières pages du roman, à la clôture du texte. La chaîne de références anaphoriques est brouillée à dessein, et « the spirits » peut, dans cet agencement textuel, renvoyer à Chaminuka, tout en étant rendu signifiant par Nehanda. Cette stylisation des figures héroïques est placée au second plan, parce que l’objectif principal de la lutte est la re-nomination de la terre : avec le passage de la terre des Blancs (la Rhodésie, qui n’est pas nommée) à la terre des ancêtres qu’il faut reconquérir en la nommant (« Zimbabwe »). Year of the Uprising représente bien cette transformation des figures héroïques en lignes évanescentes, disponibles à toutes les réactualisations. L’imposition du modèle national de la figure « Nehanda » n’entraîne donc pas de remise en cause du modèle narratif proposé, le modèle dominant zezuru. Du moins, le passage par le récit des Chimurenga n’est plus le vecteur de la subversion politique de nos jours, ou de manière très minoritaire864. L’opposition entre mémoires locales, ou entre mémoire locale et mémoire nationale, est sensiblement plus visible chez Sarraounia. Nous avons déjà évoqué plus 863 Avec une connotation non seulement d’élévation mais de résurrection, que nous n’avons pas pu rendre dans la traduction de l’extrait, du fait de l’espace resserré du vers. 864 Sur internet notamment. Voir supra, l’épisode de la chute de l’arbre de Nehanda dans le centre ville d’Harare, Première partie, Chapitre 1, section « L’institutionnalisation maximale du héros culturel », et les nombreuses réactions dans la presse et sur les blogs. 427 haut dans les ballets de 1986 et 2005 (Ballet lyrique ; Cinquièmes Jeux de la Francophonie), en montrant que c’était paradoxalement la mémoire institutionnelle qui contestait la subversion des premières apparitions du personnage « Sarraounia ». La mémoire rendue transnationale par Med Hondo, avec le succès de son film Sarraounia, véhiculait une image jugée trop libre des femmes et de l’opposition politique. La récupération idéologique d’État s’est donc chargée d’effectuer un lissage des textes, jusqu’à l’agrammaticalité865 (que nous avions étudié à partir du vers « On te pardonne », supra). D’autres chants permettent de pointer ces divergences d’interprétation, qui témoignent du jeu d’interférences entre les échelles géographiques de réappropriations : entre le transnational, le national et le local. Dans un chant en haoussa de 1986, tiré des archives sonores de la phonothèque de l’ORTN, on trouve un étonnant mélange de références, qui révèle cette négociation subtile entre plusieurs mémoires qui paraissent contradictoires. Le chant a été enregistré à Zinder le 28 novembre 1986, et il est l’œuvre d’un groupe de jeunes gens (samaria) de Matameye, la Samaria dan Goudaou866 : […] Ba a ja da ke, ke mai doguwa nawa, ke mai doguwa dari ! Kowa ya ja da ke mangu, ya ja mai kanshi wuya Tun a lokacin da kike marauniya, kin sha nono godiya, don haka a lokacin da kike naki zamani, mace ce kin hi mutun guda, Mangu, sai mutun biyar (à voix basse : mai karhin mutun biyar) Mai kyauwo kamar watan kwana goma sha biyar (à voix basse : sai a hankali) [inaudible : mun jiya tsohi-tsohi, mu sun fada ?] Ku yi yawo ku fada, mun je wurin farauta ! Akuya ta halaka, rogo ya halaka, da sunka tahi […] 867 Personne ne peut t’affronter , toi qui as ô combien de génies, toi qui as cent génies ! Tous ceux qui te provoquent, ils s’attirent des ennuis Depuis le moment où tu étais orpheline, tu as bu le lait de femelles, c’est pour cela que pendant ton règne, c’est [toi], une femme, qui étais supérieure à un homme, Mangu, et même à cinq hommes (à voix basse : tu as la force de cinq hommes) Tu es aussi belle que la lune en son quinzième jour 868 (à voix basse : seulement avec prudence ) [inaudible] Allez annoncer la nouvelle, nous irons à une battue ! Les chèvres seront massacrées, les moutons seront massacrés, lorsqu’ils seront partis 865 Voir supra. ORTN, Archives sonores de la phonothèque, Samaria dan Goudaou (Matameye), 8’, à l’occasion de la tournée du PCMS à Zinder, 28 novembre 1986, Haoussa. Bandes magnétiques. Traduction d’Issa Ousseini à Niamey le 9 décembre 2014. Transcription et traduction complète en annexe, p. 707-710. Nous choisissons de noter h le son ['] dans hi (« surpasser »), par exemple, et non pas le standard nigérian fi, pour mieux respecter la réalisation phonique nigérienne. 867 « Tu n’es l’égale de personne », sous-entendu, en ce qui concerne la guerre. 868 Hankali : « intelligence, précaution, mesure, analyse ». Comprendre : on n’aborde Sarraounia qu’avec mesure, et déférence : on ne peut la regarder ni ne l’approcher sans précaution, tant sa puissance est grande. 866 428 El marauniya ta yi yuri a cikin ca(o Sunka iske ta cikin ca(o, farin day suka rikice, suka haukace nan wasu suka hallake […] Mai kiwo cikin dawa, mai noma cikin gonakay, mai aiki cikin gari : ko yara a dandali mu tuntani da Mangu ! Mu girma ma ta ! Ko ba komi, mu tuntuna da turawa sunka zo [inaudible : sun yi hu rizi ?] Sunka ce ba a ja da ku, mutum ba$in zai ja da ku Mangu bazaruma, kin hana $arya, ta yi hure Mangu ke kika ja da su Sun zo Lugu, turawa da dan zagi nan suka sha bakal wuya, Suka sha wuya Nan sunka haukace Nan wasu sunka hallake Kunya-kunya ! Ba girma da arziki Yaya suke [yi] da ke mangu ? Dole sun raga L’orpheline a poussé le cri de youyou dans la 869 boue Les autres l’ont rejointe dans la boue, aussitôt ils ont été galvanisés et certains sont devenus incontrôlables, d’autres dans la précipitation se sont blessés […] 870 Toi qui fais paître les animaux dans la forêt , toi qui cultives dans les champs [les plus dangereux], toi qui travailles au village : ayons une pensée pour elle, Mangou, nous tous, 871 même les enfants dans leurs jeux ! Honorons-la ! 872 Même si elle n’a rien fait , souvenons-nous de l’arrivée des Blancs [inaudible] On dit que l’on ne peut pas vous affronter, mais l’homme noir va vous affronter Mangou l’héroïne, tu as empêché le mensonge, Mangou tu as détruit le mensonge en son 873 germe Ils sont venus à Lougou, les Blancs et leurs 874 suivants , c’est là qu’ils ont vraiment souffert Ils ont souffert C’est là qu’ils se sont affolés C’est là qu’ils ont été massacrés 875 La honte, la honte ! Pas de pitié Comment s’y prendre avec toi, Mangou ? Ils vont obligatoirement se soumettre [traduction Issa Ousseini] Dans ces deux extraits du chant, l’influence du roman d’Abdoulaye Mamani, déjà paru depuis six ans, et relayé la même année par le succès du film de Med Hondo, se remarque aisément. Sarraounia Mangou est dite « orpheline » (« marauniya ») dans le 869 Yi yuri, « faire le youyou » ; ca$o : « la boue ». Avant chaque battue, les chasseurs se plongent dans la boue pour ne pas que les animaux sentent leur odeur. Sarraounia est rentrée la première dans la boue, et a crié pour annoncer le début de la battue, et de la guerre. 870 C’est-à-dire dans un endroit bien plus dangereux que la brousse, où l’on a une vue dégagée. 871 Dandali : « amusements, jeux, divertissements d’enfants ». 872 Ko ba komi : « même s’il n’y a rien ». 873 Hure : « le bourgeon », avant l’éclosion, l’épanouissement. 874 Dan zagi : « ceux qui les accompagnent », recrutés au fur et à mesure, et non pas sojoji « les soldats », ce qui aurait supposé qu’ils aient eu un uniforme clairement reconnaissable. Ce n’étaient donc pas des tirailleurs, mais bien des hommes enrôlés en chemin. 875 Girma da arziki : expression d’une réserve de pudeur et de considération qui empêche le massacre total de l’ennemi. Ici, il n’y avait aucune raison d’épargner les assaillants (Ba girma da arziki), il n’y a donc pas eu de prisonniers. 429 chant, ce qui n’est pas attesté, hormis dans le roman, où la mort de la mère et la question du lait maternel sont longuement évoqués au chapitre IV : Un soir de grande tornade, malgré toutes les vertus des herbes et la science de Dawa, la mère de Sarraounia, une indomptable fille du kawar1 drainée par les vicissitudes de la guerre, mourut en couches laissant entre ses mains une minuscule enfant aux yeux de biche. Profondément mortifié par cet échec, Dawa jura de prendre sa revanche sur la mort. Malheureusement, aucune femme n’allaitait au village et dans les environs. Mais Dawa avait une jument qui avait mis bas quelques jours plus tôt. D’accord avec serkin Aznas, le père de Sarraounia, il emporta la fille chez lui et après plusieurs lunes de patientes becquetées, ses efforts furent récompensés. La fille sans mère vécut. [Note. 1. Kawar : région du Tibesti occidental habitée par les Toubous.] (p. 21) N’oublie jamais, ma fille, que tu n’as pas été nourrie de lait humain. Aucune femme ne t’a donné à téter. Tu n’as pas été élevée par les femmes. (p. 23) La sarauta, le titre de sarauniya, ne se transmet pas par l’ascendance, mais par désignation au cours du rituel du takarma. Le corps de la sarauniya défunte choisit la sarauniya suivante, de préférence âgée, afin qu’elle ne renonce pas à la vie séculière si elle peut encore porter des enfants. Rien de tel dans le roman où le pouvoir se transmet du père à la fille. La question de l’ascendance est donc centrale : la survie d’une « fille sans mère » relève en soi de l’exploit, et constitue le premier signe du caractère d’exception du nourrisson. Le second signe est le lait non-humain, le lait de jument. Le chant de la Samaria y fait référence : « Kin sha nono godiya » (« tu as bu le lait de la jument »), et en donne la conclusion par induction (« don haka »), expliquant la force supérieure de la jeune femme : « don haka a lokacin da kike naki zamani, mace ce kin hi mutun guda, Mangu, sai mutun biyar ». Cette enfance hors du commun, magique, explique que, bien que femme, elle puisse mener les hommes au combat avec autant d’allant. La scène de préparatif à la guerre, dans la boue, souligne cette impatience du combat : « el marauniya ta yi yuri a cikin cabo ». Le chant élude la représentation du combat proprement dit, et la construction en est très intéressante : le chanteur prend de nombreuses précautions oratoires afin de souligner le caractère hors du commun de l’ascendance de l’héroïne, puis il décrit les préparatifs du combat, et enfin l’issue fatale aux Blancs et leurs suivants (« turawa da dan zagi »). Au milieu, dans ce centre vide, réside une invocation au présent d’énonciation, qui constitue une rupture avec le présent de narration. Il s’agit d’un appel au public, présenté dans une diversité de situations (successivement dans les pâturages, aux champs, dans les villages), à remercier Sarraounia de son action. Tout un chacun, où 430 qu’il soit, est appelé à honorer la mémoire de la reine. Cette strophe centrale, tant du point de vue de la construction, que du point de vue du récit puisqu’il constitue un centre vide, comme un point aveugle, cette strophe, donc, se clôt sur ce vers étrange : « Ko ba komi, mu tuntuna da turawa sunka zo » (« Même s’il n’y a rien, souvenons-nous des Blancs qui sont venus »). La filiation intertextuelle avec le roman d’Abdoulaye Mamani et le film de Med Hondo est ici interrompue très nettement. La Samaria dan Goudaou sous-entend que le combat ne s’est pas déroulé sous l’égide de la Sarraounia, ou qu’elle n’y a pas eu le rôle de meneuse que le romancier Abdoulaye Mamani lui attribuait. L’issue est pourtant bien la déroute des Blancs, dans les dernières strophes du texte (« Nan wasu sunka hallake »). Que conclure de cette mémoire qui ne coïncide pas, en son centre, avec les récits à large audience de la même époque (le roman ; le film) ? La Sarraounia y apparaît comme célébrée, certes, mais tout en étant rejetée dans le cadre de l’extraordinaire, du mythique : elle n’appartient pas complètement au monde réel (de par son enfance, de par sa maîtrise des génies). Cela correspond, en soi, à un refus du personnage d’Abdoulaye Mamani qui véhiculait une conception sociale radicalement neuve, et ce trait constitue la première rupture mémorielle. Sa victoire contre les Blancs est également chantée, mais elle n’est pas décrite, et elle est même soupçonnée de n’avoir pas existé sous cette forme (ba komi) : cela correspond à la seconde rupture mémorielle du texte. Sarraounia y incarne avant tout l’espoir, qui clôt le chant : « Sanan ke ce, abikiyar mu » (« Tu es l’espoir, c’est aussi notre amie »). La figure s’émancipe très tôt du récit d’Abdoulaye Mamani, et le groupe de Matameye, bien que reprenant l’argument de la victoire sur les Blancs, la déréalise, en rejetant les propositions politiques et sociales induites dans la narration d’origine. La figure rendue transnationale par le succès du film est réordonnée localement par les groupes de jeunes chanteurs, puis par les productions d’État (le Ballet lyrique de 1986). Il y aurait donc ici une confrontation entre les propositions qui se sont exportées à l’international, et les réutilisations locales (Matameye ; à Zinder) et nationales (Ballet lyrique). Mais nous franchissons une autre échelle de contestation lorsque nous abordons la question de Samori. Il ne s’agit plus seulement de contester un modèle social inspiré par les idées socialistes, féministes et égalitaristes du Sawaba (comme pour le personnageSarraounia de Mamani), mais de réfuter au héros son statut de fondateur. Nous l’avions vu avec les mémoires maliennes et ivoiriennes, mais la contestation est tout aussi vive à l’intérieur même des frontières guinéennes, malgré la grande place qu’a pu prendre 431 Samori dans la « révolution culturelle » 876 que souhaitait Sékou Touré. La carte « Samori : lieux de mémoire et de création artistique » (supra) montre un exemple de cette volonté d’union nationale voulue par Sékou Touré, en retraçant le cortège – festif877 – à travers toute la Guinée qui accompagna le retour des dépouilles d’Alpha Yaya Diallo et de Samori Touré en 1968878. Le parcours illustre la mise en scène du corps des héros, à la fois dans l’ancien fief de Samori, avec ses anciennes capitales et places fortes comme étapes (Kissidougou, Beyla, Kankan, Kouroussa), et dans le royaume du Labé pour Alpha Yaya Diallo (Labé). Or, précisément Kankan, cette grande ville qui a constitué une étape importante dans cette démonstration de prestige du corps des anciens rois (dont l’objectif était de légitimer celui du « Roi » actuel, dépositaire du sacré de la fonction, en la personne de Sékou Touré879) au troisième jour de la procession, et qui a été une capitale d’empire 880 dès 1880, cette ville est aussi le siège d’une mémoire relativement hostile à Samori881. En effet, en 2008, M’Faly Franwalia Kamissoko récite Samori Tariku, « l’histoire de Samori », et son opposition à Karamo Daye, en soulignant la cruauté de Samori882. Alors que ce texte est issu de l’une des capitales historiques de l’empire de Samori, l’on pourrait s’attendre à une mémoire plus conventionnelle du rôle de l’almami dans la région. Or, il n’est pas du tout évident que Samori soit héros en son 876 Entretien avec Djibril Tamsir Niane, à son domicile le 19 juin 2014, à Conakry, sur la mise en scène de Samori, en 1968, et lors du « Centenaire du souvenir de l’Almamy » (1998). 877 « Les fêtes situées aux confins du spontané et du codifié, procédant à la fois du politique et du culturel, constituent un angle d’approche pour les sociétés africaines particulièrement éclairant. Approbation autant que contestation des pouvoirs, apparence de consensus ou rebéllion ouverte, les festivités urbaines présentent maintes facettes », Odile GOERG, Fêtes urbaines en Afrique : Espaces, identités et p$u%$i&s, Paris, Karthala, 1999, p. 6. 878 ANG Horoya, Organe Quotidien du Parti Démocratique de Guinée, 22 et 23 septembre 1968, n°1565, « Le président Ahmed Sékou Touré à propos de la restitution au sol natal des restes des héros l’Almamy Samory Touré et Alpha Yaya Diallo : Une victoire pour le peuple », Itinéraires des restes de Samory Touré et d’Alpha Yaya Diallo. 879 Pour reprendre la théorie des « deux corps du roi » d’Ernst KANTOROWICZ, et de la mise en scène du pouvoir (Les Deux corps du roi : Essai sur la théologie politique au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1989 [1957], p. 21-22). Pour le jeu mémoriel instauré par Sékou Touré, voir GOERG Odile, PAUTHIER Céline, DIALLO Abdoulaye, Le Non de la Guinée (1958), Entre mythe, relecture historique et résonances contemporaines, op. cit. ; voir dans le même ouvrage le parallèle avec Samori, Odile Goerg, introduction, p. 10, la citation de Mamadou Fodé Touré, inspecteur de l’éducation primaire, « Philosophie de la résistance de l’Almamy Samory », Revue de l’éducation nationale, de la jeunesse, des arts et de la culture, 1963, p. 18-19 : « L’arbre de la résistance à la domination étrangère était planté en Afrique », reprenant le poème de Sékou Touré « L’arbre planté le 28 septembre 1898 a grandi », en référence à Samori (« L’Almamy Samory », op. cit.). Voir aussi sur la mise en scène de l’indépendance, à plus large échelle que la Guinée : Odile GOERG, Jean-Luc MARTINEAU, Didier NATIVEL, et al. (dir.), Les Indépendances en Afrique. L’évènement et ses mémoires, 1957/1960-2010, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013. 880 Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 1, p. 339 sur l’annexion de Kankan au début du règne de Samori. 881 Comme l’indique sur la carte le sigle de l’étoile noire. Voir aussi, dans le même espace géographique, le chant Famagan Traoré, enregistré à Siguiri en 2013, pour une mise en scène similaire de Samori. 882 Notamment dans le châtiment de son griot, Arafan Djeli, que nous avions cité dans la section « Des réécritures contradictoires : la polysémie « Samori » dans la sous-région », Première partie, Chapitre 1. 432 propre pays, à l’échelle micro-locale. L’explication par le prisme ethnique ne suffit pas à rendre compte de la différenciation mémorielle dans les narrations : comme Samori Tariku le montre, le propre fief de Samori, constitué de ses premières alliances parentales, ne véhicule pas nécessairement qu’une mémoire positive à son égard883. Le récit multiplie les déictiques et les références à Kankan, le lieu de production, en emphatisant l’importance de la ville : Le grand Pape a entendu parler de Cheikh Fantamadi Cherif et s’est déplacé à Kankan uniquement pour le voir. Ça ne s’est jamais fait dans le monde, qu’un chrétien se déplace pour avoir la bénédiction, et ça s’est fait à Kankan en Guinée. Les papes ne font plus jamais ça884 . […] Les marabouts de Kankan, je vous dis le bonsoir, nous parlons d’abord des marabouts de Kankan. C’est pour cela qu’à Kankan, Karamo Daye était à Kankan, c’est pour cela que l’Almamy Samory est venu pour être son élève coranique : « Comme tu m’avais dit de faire la mission de battre les cafres qui ont le Koma, je l’ai fait et je suis venu apprendre maintenant. Avez-vous encore des ennemis dans les alentours de Kankan, pour que je me batte contre eux ? » [Traduction de Bangaly Diene Diane ; texte complet en annexe] La venue du Pape accentue l’importance du décor où se déroulent les évènements. Le présent d’énonciation, le vocatif et l’appel au public, la reprise anaphorique du nom de la ville ont le même rôle, en dramatisant le suspens, jusqu’à la scène de première rencontre entre Karamo et Samori. Le récit se revendique donc de Kankan. Il est le porteur d’une mémoire locale, à l’ancrage clairement énoncé, et même exhibé. Karamo Daye rompt par la suite l’engagement qu’il avait conclu avec Samori, et ce dernier se retourne alors contre lui, mais avec une telle violence qu’il en est disqualifié (« Quand le griot s’est approché, il [Samori] a déchiré sa bouche jusqu’aux oreilles et a cassé sa tête »). Cette performance publique, autour d’une audience lettrée de Kankan (saluée avec déférence dans l’extrait cité plus haut) souligne donc le caractère excessif et guerrier du règne de Samori. Cette lecture de l’histoire, dans le berceau du premier empire, nous a de prime abord surprise. Nous nous attendions à une lecture plus canonique, en accord avec l’institutionnalisation mise en place sous l’ère de Sékou Touré. Or il n’en est rien. Cela est certainement dû au caractère très contemporain de ce texte, et à l’éloignement relatif 883 Comme le déplore l’un de ses descendants dans un entretien : El Hadj Mory Touré, petit-fils de Samori Touré, interrogé par nous à l’Assemblée Nationale, au Palais du Peuple, le 1er juillet 2014, (entretien portant sur le comité des descendants de l’Almami, sur sa mémoire contemporaine et sur le Journal mensuel de la famille Touré). 884 Nous n’avons pas pu retrouver de quel voyage du pape il a pu s’agir. Peut-être n’est-il même pas réel, mais le résultat d’une reconstruction. 433 de la politique culturelle de Sékou Touré, et de l’âge d’or de la RTG. Mais nous pensons également que la portée de cette politique culturelle a été considérablement réduite, ou contrecarrée, par des mémoires dissidentes, jusque dans l’ancien empire de Samori. Les « oncles » Camara885 et Cissé886 de Samori ont très tôt regretté d’avoir protégé un tel meneur d’hommes et, dès les années 1880, les anciens appuis de Samori se sont trouvés dépassés par la situation et par leur protégé. L’exode forcé de 1897, l’évacuation du premier empire vers le second en Côte d’Ivoire, et la politique de la terre brûlée, appliquée avec une rigueur extrême, expliquent également cette mémoire locale, qui se sépare nettement de la doxa voulue par Sékou Touré. Ce serait donc, non pas l’ancienne région natale de Samori, qui serait le vecteur majeur de propagation de sa mémoire – dont on aurait pu penser qu’elle échappait aux razzias et aux conséquences de l’esclavage que nous avions dégagé dans la section précédente comme agent de cristallisation de la « légende noire » – mais peut-être le siège du pouvoir : la capitale. 885 886 Ce qu’atteste Djiguiba Camara, dans Histoire locale, op. cit. Voir Yves PERSON, Samori, op. cit., p. 337. 434 La capitale comme support de la commémoration : le champ de bataille de l’imaginaire 435 La capitale 887 (Niamey, Conakry, Harare) constitue à la fois l’échelle de l’institutionnalisation maximale et paradoxalement également celle de toutes les contestations. Par la concentration de ses pouvoirs, d’abord, elle est l’incarnation de l’appareil d’État. Elle est la représentation paradigmatique du « strié », selon Deleuze et Guattari888 : l’espace sédentaire par excellence, l’espace institué par l’appareil d’État sur le territoire. L’étude de la toponymie dans Harare prouve que la géographie même de la ville institue le nom de la figure « Nehanda »889, qui en devient visible sur la carte 890que nous présentons ici (supra) : un hôpital porte son nom, ainsi qu’une rue de l’hyper-centre, et une statue d’elle se trouve aux NAZ. Le quartier dans lequel se trouve cette rue est d’ailleurs une illustration magistrale de cette force du « strié » : la mairie d’Harare a pris un grand soin à la re-nomination systématique des lieux après l’indépendance891, dont le passage de Salisbury à Harare est le plus connu. Pour ce qui du nom des rues, les héros de la première et de la seconde Chimurenga se côtoient (Mbuya Nehanda Road est proche de l’avenue Herbert Chitepo) – ce qui confirme l’analyse du modèle analogique que nous défendons, fondé sur un saut à la fois chronologique et logique entre la première et la seconde Chimurenga – tout en étant associés à de grands hommes politiques ayant soutenu le ZANU de Robert Mugabe dans les années 1970. Plus précisément, nous pouvons observer comment géographiquement, spatialement, Robert Mugabe Road se trouve à l’intersection des héros de la première Chimurenga (où Kaguvi Road et Mbuya Nehanda Street sont voisines, parallèles et de tailles similaires) et des hommes politiques l’ayant soutenu dans les années 1970 (Julius Nyerere Road). Robert Mugabe est en position centrale, au croisement d’un panthéon héroïque rassemblant plusieurs époques de 887 La ville serait l’un des lieux par excellence de la mémoire coloniale. Sur l’importance et le rôle des espaces urbains dans la colonisation, Odile GOERG, Pouvoir colonial, municipalités et espaces urbains : Conakry-Freetown des années 1880 à 1914, 3 vol., Paris, L’Harmattan, 1997. 888 Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Mille plateaux, op. cit., section « Le lisse et le strié », p. 592 et suivantes. 889 Voir en annexes les photographies des lieux mentionnés, et des traces et marques de chacune de nos trois figures sur le territoire des capitales, p. 799-800, 814-816, 822. 890 Peut-être que l’un des rôles assignés à la littérature serait de rassembler du commun, dans le lieu de la ville, ce que démontre Sarah NUTTAL, à propos de plusieurs œuvres romanesques d’Yvonne Vera : « Inside the City! : Reassembling the Township in Yvonne Vera’s Fiction », in Robert MUPONDE (dir.), Versions of Zimbabwe! : New Approaches to Literature and Culture, op.cit., p. 177‑192. 891 Philippe GERVAIS-LAMBONY consacre une section de son chapitre VI à la toponymie à Harare : De Lomé à Harare, Le fait citadin, Paris, Karthala-IFRA, 1994, p. 367-392. « Africaniser les noms de rue et flatter le régime » p. 383 : cette notation correspond tout à fait aux dynamiques de re-nomination à Harare sous le régime de Mugabe, comme « outil de propagande » (p. 387). Ainsi Nehanda Street était avant 1989 Victoria Street, Robert Mugabe Road était Manica Road, Kaguvi Street était Pioneer Street (op. cit., p. 385). 436 résistance à la colonisation, et plusieurs espaces géographiques (le Zimbabwe, la Tanzanie), tout en étant au cœur de la ville, entre la gare et le musée. De même, pour Conakry (« Samori : lieux de mémoire et de création artistique », encart sur Conakry, supra), c’est bien l’hyper-centre entre la Corniche sud et le quartier de Kaloum, qui est le vecteur de conservation et de diffusion de la mémoire de Samori. La concentration des ministères et des moyens de communication (RTG pôle Archives, ancien pôle de diffusion du label musical Syliphone ; marchés) explique cette même concentration, analogique, de la mémoire de Samori. La mise en scène de la figure dans la statuaire est également l’une des manifestations de cet espace « strié ». Les bustes et les représentations de Samori sont nombreuses dans la ville : au Musée National, à l’entrée du Camp Militaire Almamy Samory, au centre du rondpoint du 2 octobre, dans l’enceinte de la mosquée Fayçal, face au mausolée qui renferme sa dépouille ainsi que celles de Sékou Touré et d’Alpha Yaya Diallo. Conakry était, en outre, le lieu de départ et d’arrivée du cortège accompagnant les corps de Samori et d’Alpha Yaya Diallo en 1968 (jours 1 et 7). La ville – et donc la capitale, par excellence – est le lieu d’imposition de la norme commémorative : elle fixe et instaure ce que l’on doit commémorer de la figure et comment. Conakry n’a pas le monopole de la statuaire de Samori, il existe par exemple un buste à Boké892. Mais elle en est simplement l’émanation la plus concentrée et donc la plus visible. Et cette régularité influence la régularité des textes produits à Conakry sur Samori : par exemple, les chants de la RTG et du label Syliphone (dans notre corpus, voir la régularité des textes du Niandan Jazz, de Balla et ses baladins, de Sori Kandia Kouyaté, du Bafing Jazz, du Tropical Djoliba Jazz, de Djeli Cira Cissoko, des différents orchestres de la Garde républicaine, et bien sûr du Bembeya Jazz National). La ville est donc également le lieu d’institution du « régulier »893, dans la spatialité de la ville et dans les textes. Niamey a alors une place à part, puisque la norme commémorative se sépare nettement des premiers intertextes (Mamani, Hondo) qui fondaient la figure de Sarraounia. Le Ballet Lyrique, celui des Cinquièmes Jeux, les textes de l’Orchestre Akazama de Doutchi, de la Samaria dan Goudaou, et de Malhaba partagent des traits communs évidents, typiques de cette « régularité », qui pourrait ressembler à l’espace « strié » de Deleuze et Guattari. 892 Le buste est reproduit dans le manuel scolaire d’Histoire-Géographie, 6ème année, INRAP, op. cit., p. 52. Pour reprendre la terminologie de Michel FOUCAULT, L’Archéologie du savoir, op. cit., section « L’original et le régulier », p. 197. 893 437 Pour autant, la marginalité, l’« originalité » pour reprendre la catégorie de Foucault, ou le « lisse » pour reprendre celle de Deleuze et Guattari, ne sont pas absents de la capitale. Le strié est « toujours-déjà traversé par l’autre »894 : les cinémas où ont pu être projeté le film Sarraounia, de Med Hondo, se situaient bien en ville895, par exemple. Ce n’est qu’un paradoxe apparent, puisque la concentration qui expliquait l’extrême régularité s’applique également aux lectures subversives et marginales : la même attraction de la ville s’opère pour les textes aux propositions alternatives. C’est bien à Harare qu’est tombé l’arbre de Nehanda, qui a ému le web896. Il n’est pas absolument pas certain qu’il ait bien été le lieu de la pendaison effective de Nehanda, mais il correspondait à un lieu central, ouvert, adaptable aux réactualisations et aux interprétations de nouveaux récits parce qu’il était au cœur de l’espace urbain. À toutes les échelles, il existe une négociation permanente de mémoires contradictoires entre elles, pour définir et redéfinir les contours de la figure « Samori », « Sarraounia », « Nehanda ». Depuis le transnational, où nous avons qualifié ces jeux de mémoires de « gigantomachie » puisqu’ils mettaient en scène des héros différents qui s’opposaient entre eux, jusqu’au micro-local, où nous avons montré que le héros n’était pas nécessairement héros en son propre pays, et que précisément, ce cœur territorial de la mémoire était parfois porteuse des contestations et des rancœurs contre la figure héroïque les plus anciennes et les plus tenaces, nous pouvons donc, au terme de ce parcours des échelles d’analyse, avancer qu’il n’y a pas d’espace totalement homogène en ce qui concerne la représentation mémorielle des figures. Il y a toujours du jeu – au sens du tremblement du sens, d’une relecture dans l’interstice de la doxa – et ce à toutes les échelles. Ce jeu procède de l’écart minimal d’interprétation897 : l’ontologie secondaire doit respecter, a minima, l’ontologie primaire, tout en préservant un espace de liberté, et de réactualisation dans le lieu ainsi ouvert. On ne peut pas tout dire de Nehanda, mais l’on peut négocier à l’intérieur d’un commun. 894 Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Mille plateaux, op. cit. Le cinéma de Niamey n’est actuellement plus en activité. 896 Pour une analyse des blogs et des réactions de la presse, voir supra, Première partie, Chapitre 1, section « L’institutionnalisation maximale du héros culturel : vers un appauvrissement des textes ? ». 897 Sur l’écart minimal en fiction, voir Marie-Laure RYAN, « Fiction, Non-Factuals, and the Principle of Minimal Departur », Poetics, IX, 1980, p. 403‑422. Sur l’application de l’écart minimal dans le rapport réel/fiction, voir Thomas G. PAVEL, Fictional Worlds, Cambridge, Harvard University Press, 1986. 895 438 Notre corpus manifeste donc bien l’existence d’une guerre de mémoire898 qui a la particularité d’être continuée dans le temps et dans l’espace : dans le temps puisque depuis les premières caractérisations coloniales tout à fait opposées de Samori en « Napoléon des savanes » ou en « tyran sanguinaire », cette bipartition n’a cessé de se perpétuer, et dans l’espace puisqu’elle transcende et parcourt toutes les échelles d’analyse, du transnational au local, du panafricanisme à la mémoire villageoise. En cela, cette guerre des mémoires est complexe puisqu’elle nécessite d’être explicitée échelle par échelle, afin d’en révéler les éléments binaires, eux-mêmes simples, en jeu à chaque niveau : l’ensemble formant une construction en dialogue, d’un niveau à l’autre. Il est en effet évident que les niveaux d’analyse que nous avons démontés un à un ne sont pas clos sur eux-mêmes ni étanches, et qu’ils dialoguent de manière intertextuelle tout au long du siècle. La radio a une influence sur les romans, tout comme l’archive a une influence sur les pièces de théâtre ou sur les mémoires locales. Le dialogue peut s’opérer à toutes les échelles, il comporte parfois des ruptures et des cassures d’interprétations, mais peut s’opérer, en puissance, à chaque niveau. C’est pour cela qu’il nous semble nécessaire de penser chacune des relations que nous avons décrites fondamentalement en réseau. *** Entre littérature et histoire, la théorie échoue à trouver de différence intrinsèque, et les textes de notre corpus ont la particularité de jouer avec cette frontière poreuse, en réutilisant l’archive (Samupindi, et Mutswairo avec les archives coloniales), en empruntant des caractéristiques stylistiques objectivantes afin d’en tester les potentialités (Jacques-Francis Rolland), en manipulant les documents et en jouant des citations (le Bembeya Jazz National citant Baratier)… Il serait alors absurde de considérer la littérature comme une dégradation de l’histoire, comme une falsification du document qui serait le garant du « fait vrai », par ailleurs utopique. La littérature participe de la construction mémorielle, tout comme l’écriture de l’histoire (qui reste avant tout une écriture) : ce sont simplement des modalités et des intentionnalités diverses. L’historien se donne pour tâche de viser le vrai, en donnant la 898 Benjamin STORA, op. cit. 439 plus grande cohérence possible aux sources. L’écrivain, l’artiste, n’a pas besoin de viser cette exhaustivité dans un récit. Nous avons donc voulu montrer, dans ce chapitre, les enjeux du champ de la « littérature historique », qui constitue globalement la définition générique de notre corpus. Contrairement au cliché qu’elle véhicule, il ne nous semble pas qu’il faille l’interpréter comme une mise en scène de l’histoire, qui fonctionnerait sur le modèle de la vulgarisation pour le plus grand nombre. Elle participe pleinement de la création des imaginaires collectifs, et singulièrement de la représentation de l’histoire coloniale. L’histoire n’est jamais qu’un cadre mimétique qui viserait à reproduire un fait – une figure (Samori, Sarraounia, Nehanda). Le texte est toujours-déjà une construction ancrée dans l’élaboration de la représentation de la figure. Il ne vient pas après coup. Il n’est pas analysable, a posteriori, sous l’angle du vrai et du faux. Nous voudrions maintenant prolonger ces analyses sur le rôle du texte dans la formation des imaginaires, en analysant la nature exacte des relations que les textes de notre corpus entretiennent entre eux. Nous continuerons notre analyse de l’archive coloniale, en prenant pour acquis qu’elle constitue un intertexte de nos œuvres899 pour démontrer que le document colonial constitue une matrice des imaginaires de Samori, de Sarraounia, et de Nehanda. 899 Voir supra, « Écrire avec l’archive ». 440 Chapitre 2 La figure et la pensée du monde en crise Introduction Penser le monde en crise : la puissance intellectuelle des récits [Les deux possibles différents, Achille, Patrocle] vont permettre de faire agir devant l’auditeur les possibles opposés ou homologues, de suivre la chaîne de conséquences de chaque attitude – qui est dans chaque cas une position politique. En somme, le texte recourt aux formes archaïques de la pensée que sont le parallèle et l’antithèse. Il pense par paires. La projection n’est pas le moyen de pallier une absence de psychologie, mais bien plutôt une façon très adroite d’utiliser le récit pour élaborer des conceptions, pour donner les éléments du choix, pour penser en l’absence de concepts. (Florence Goyet, Penser sans concept, op. cit., p. 11) Ainsi entendus, les récits épiques pensent le réel : ils élaborent des conceptions, en l’absence de concepts900, pour penser le contemporain en crise. Florence Goyet démontre dans son ouvrage comment la structure du texte, les oppositions entre les personnages, les 900 Ce qui rejoindrait la distinction opérée par Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Mille plateaux, op. cit., entre concept (pensée philosophique) et percept (pensée des arts) : « la littérature est un agencement, elle n’a rien à voir avec de l’idéologie », p. 10. Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991 (Première partie, « Philosophie »), « Qu’est-ce qu’un concept ? » : « Tout concept a des composantes, il a un chiffre, il est une multiplicité » (p. 21), donc sa consistance est créée par ses composantes, c’est-à-dire par le survol des composantes qu’il ordonne ». Plus loin, « Il dit l’Évènement, mais non l’essence ou la chose » (p. 26). 441 parallèles et les oppositions – ces « formes archaïques de la pensée » : le même et l’altérité – opèrent un « travail épique », autrement dit, une pensée de la crise (politique, culturelle, économique, sociale)901. Ce « travail » du récit permet de dire l’ordre pour le faire advenir, pour mettre à distance le chaos de la crise politique ou sociale qui advient. Mais le texte prend très vite acte du chaos pour en dire la multiplicité, à travers la pluralité des voix, dans la diégèse. La principale caractéristique de ce concert de voix, permis par la fiction, est qu’elle laisse ouverte la contradiction : deux personnages porteurs de réalités incompossibles peuvent cohabiter dans le champ de la narration. Ce que la pensée théorique réfute par le principe de non-contradiction est possible dans la fiction902. Des voix qui ne pouvaient pas se rencontrer dans le raisonnement conceptuel peuvent s’affronter dans le récit. Chaque personnage semble alors porter des valeurs différentes, sans qu’un seul d’entre eux ne puisse émerger de cet apparent chaos, et cette polyphonie mènerait à l’indécision. Précisément, le texte épique n’est pas une allégorie d’un choix qu’une société aurait déjà opéré, mais la représentation, la figuration dans le récit, des choix possibles, au moment où ces derniers ne sont pas encore effectués. Il s’agit non pas de re-présenter de manière mimétique une transformation qui a déjà eu lieu, mais de faire jouer sur la scène du texte les éléments du choix, encore en devenir. Les personnages, par paires homologues, ou par paires antithétiques, constituent les « définitions réelles » des concepts : en reprenant le terme aux Provinciales de Pascal, Florence Goyet souligne que le texte ne met pas en scène les mots, mais les réalités qu’ils recouvrent, en acte. Non pas un nouveau type de souverain émergeant en Grèce, mais Hector, responsable devant son peuple. Non pas l’affrontement du pouvoir royal face aux grands, mais Agamemnon face à Achille. La logique des comportements de chacun peut 901 Ce qui va plus loin, et prolonge, la pensée de l’« identité » souvent décrite comme inséparable du genre épique : Danielle BUSCHINGER, François SUARD, Épopée et identités : Rois, peuples, guerriers, héros, divinités : Actes du colloque de Niamey, 25-27 janvier 2005, Amiens, Presses du Centre d’études médiévales, Université de Picardie-Jules Verne, 2005 ; Jan JANSEN, Épopée, histoire, société, op. cit. ; plusieurs contributions du collectif Ursula BAUMGARDT, Jean DERIVE, Paroles nomades : Écrits d’ethnolinguistique africaine, en hommage à Christiane Seydou, Paris, Karthala, 2005, notamment celle de Dominique CASAJUS, « Retour sur le dossier H », p. 47-70. 902 Voir également Mamoussé DIAGNE, Critique de la raison orale : Les pratiques discursives en Afrique noire, op. cit., qui parle de « ruse du savoir » que celui-ci entretiendrait avec lui-même : la littérature orale, selon l’auteur, pense en figurant par l’image et par la dramatisation, c’est-à-dire en opérant une mise en scène de l’idée, s’incarnant dans le texte. (partie I, chapitre 1). Ce faisant, l’auteur offre un pendant à la célèbre « raison graphique » développée par Jack GOODY, dans La Raison graphique la domestication de la pensée sauvage, Paris, Minuit, 1978, tout en réhabilitant l’oral contre l’écrit, dans une perspective militante – parfois volontiers polémique – de revalorisation des pratiques narratives fondées sur l’oralité. 442 ainsi aller bien au-delà de la définition initiale que l’on donnerait au concept, et jouer son rôle « exploratoire »903, pourrait-on dire, dans l’expérimentation que constitue le texte. Nous nous inscrivons résolument dans ce champ de recherche, en considérant que les figures historiques – qui demeurent sans auteur, en étant l’émanation d’une rumeur collective et d’un entrecroisement de voix – ont un mode de fonctionnement similaire. La figure ne re-présente pas mimétiquement un bouleversement politique, elle n’en est pas non plus l’allégorie. Son récit imagine des possibles, que le collectif met en scène pour soi-même904. Nous faisons le postulat qu’il est possible d’analyser du « travail épique » à l’œuvre dans notre corpus, si nous l’analysons à l’échelle macrostructurale, en considérant non pas une seule œuvre une par une, mais toutes les œuvres ayant trait à une figure dans un même ensemble. Entendons-nous sur ce changement d’échelle que nous proposons. Il ne s’agit pas de dire que Monnè est une épopée905 : Monnè est bel et bien un roman906. Mais notre hypothèse est que Monnè, en réseau (rhizome serait plus juste) avec les récits de Roland Dorgelès, de Massa Makan Diabaté, du Bembeya Jazz National produisent une pensée de la colonisation, et de la décolonisation, assimilable à un « travail épique ». En ce sens, la figure serait un « récit problématique qui interroge »907, en proposant des « schèmes de pensée »908. En suivant les travaux de Florence Goyet, nous analyserons les modalités d’application du « travail épique » aux ensembles textuels que sont nos figures, et nous montrerons qu’elles sont, à notre sens, de formidables chambres d’échos pour lire et 903 Reprenant cette expression à Milan KUNDERA, L’Art du roman : essai, Paris, Gallimard, 1986, décrivant l'immersion fictionnelle dans la lecture. 904 La construction d’un espace de proposition littéraire, par la possible chambre d’échos de voix contestataires, participerait alors de la construction d’un possible démocratique : Maria-Benedita BASTO (dir.), Enjeux littéraires et construction d’espaces démocratiques en Afrique subsaharienne, Paris, Centre d’études africaines, École des hautes études en sciences sociales, 2007. 905 Comme l’on a pu dire du roman d’Abdoulaye Mamani qu’il était une épopée : Ousmane M. TANDINA, « Sarraounia, une épopée écrite? », Au carrefour des littératures Afrique-Europe : Hommage à Lilyan Kesteloot (2013), p. 239 ; Ousmane TANDINA, Richard BJORNSON, « Sarraounia, An Epic? », Research in African Literatures, 24 (1993/2), p. 23‑32, ce que nous contestons fortement. 906 En ce sens, nous nous inscrivons dans le sillage des travaux sur la notion de travail épique traversant différents genres, et notamment le roman : Delphine RUMEAU, Chants du Nouveau Monde épopée et modernité, Whitman, Neruda, Glissant, Paris, Classiques Garnier, 2009 ; Inès CAZALAS, Contre-épopées généalogiques : Fictions nationales et familiales dans les romans de Thomas Bernhard, Claude Simon, Juan Benet et António Lobo Antunes, op. cit., qui reprennent toutes deux la notion de « travail épique » que Florence Goyet a exposée. 907 Selon la définition que donne Inès CAZALAS, Contre-épopées généalogiques! : fictions nationales et familiales dans les romans de Thomas Bernhard, Claude Simon, Juan Benet et António Lobo Antunes, op. cit., de l’« épopée de la complexité », contrairement à l’« épopée pétrifiée ». 908 Pour reprendre l’expression de Pierre MACHEREY, « Où en est la théorie littéraire!? », Textuel (2000/37), p. 133‑142 citée dans Pierre VINCLAIR, De l’épopée et du roman : essai d’énergétique comparée, op. cit., p. 11 qui définit par ailleurs le genre épique en fonction de son « énergétique » (p. 12) : son « acte », son « effort », entendu comme « machine à penser du contenu sémiotique ». 443 interpréter les crises qu’ont représentées les colonisations et décolonisations909. Cette pensée du bouleversement du contemporain se donne à lire à travers la représentation de la résistance à la colonisation, déployant un univers fantasmatique, d’un passé précolonial idyllique et de fantaisie. Et cette pensée se met également en scène, à travers des figures de bâtisseurs, de passeurs, et d’interprètes, qui nous semblent fonctionner comme autant de mises en abymes de la refondation que les textes interrogent, et leur récurrence dans nos récits, aux côtés des trames principales, nous a incitée à questionner les possibles connotations métapoétiques qu’ils peuvent incarner. Enfin, nous comparerons nos trois figures à quelques autres figures qui n’ont pas émergé, et qui n’ont pas bénéficié du même succès, afin de valider, ou d’invalider, les hypothèses énoncées tout au long de cette étude. En effet, l’exercice de la mise en relation avec des figures mineures, éventuellement ratées, en tous cas minorées, permet de faire apparaître les avantages comparatifs des figures de notre corpus : pourquoi celles-ci, et non pas d’autres, ont-elles été choisies par des communautés – et par des générations successives de communautés – pour penser les indépendances ? 1. LA REPRÉSENTATION DE LA COLONISATION COMME PRISME POUR LIRE LES INDÉPENDANCES D’emblée, soulignons que nos textes ne sont pas des allégories de la crise : il n’y a pas de représentation allégorique de la résistance à la colonisation dans nos textes. Cette solution, qui aurait été extrêmement facile, aurait conduit à la victoire de Sarraounia, Nehanda, Samori 910 . Or, les textes de notre corpus, à partir des années 1950, ne choisissent pas – ce qui aurait été un possible textuel – de livrer une interprétation réductrice de la crise politique, en proposant par exemple des univers fictionnels où nos figures seraient victorieuses. Mais, au contraire, les textes mettent en scène la complexité et l’ensemble des ambivalences qu’ont été la colonisation, puis la décolonisation : nos 909 Jean DERIVE, dans L’Épopée : Unité et diversité d’un genre, Paris, Karthala, 2002, parle « d’épopée en mosaïque », et de textes éclatés, ce qui nous semble tout à fait pertinent, pour qualifier nos corpus. 910 En ce sens, les textes de notre corpus ne sont pas des « romans à thèses », comme les définissent Florence GOYET, Penser sans concepts : Fonctions de l’épopée guerrière, op. cit., p. 211, et Pierre VINCLAIR, De l’épopée et du roman : essai d’énergétique comparée, op. cit., p. 83-118, notamment p. 115. 444 récits sont globalement tous des récits de défaite911. En ce sens, ce ne sont pas des allégories d’une lutte fantasmée contre la présence européenne en Afrique. Caricature et diabolisation des ennemis La représentation de la colonisation semble, d’emblée, extrêmement simple : deux partis sont en opposition, les Blancs et les Noirs, les colonisateurs et les colonisés, et l’ensemble des textes s’ordonnent autour de cette bipartition manichéenne du monde. Il y a une réelle « simplicité de surface » 912 qui dérive vers le schématisme. De cette diabolisation et de cette simplification apparente émergent en réalité une pensée plus complexe où l’intérêt du texte se porte davantage sur l’un des deux camps, en crise, que sur l’opposition – somme toute sommaire – entre deux camps. Dès lors s’opère une pensée par comparaison, que Florence Goyet nomme sunkrisis913, que nous pouvons appliquer à la pensée politique des indépendances. Dans ce monde de surface, qui sert de toile de fond aux intrigues de notre corpus, le personnel dramatique et la partition du réel s’opèrent selon deux catégories opposées, l’une se construisant dans l’inverse de l’autre. Sans nuance : Mory Fin’Dian : « Qui aime Archinard a cœur de bâtard Dieu priva le canard de voix Ainsi finira ce têtard Qu’on nomme Archinard » Le prince : Mory ! Mory Fin’Dian : C’est une chanson populaire. Ton peuple exècre cet homme, et tout ce qu’il représente. (Les Sofas, p. 31) 911 Voir supra, Deuxième partie, chapitre 2, « Le paradoxe de la glorieuse défaite ». Florence GOYET, Penser sans concepts : Fonctions de l’épopée guerrière, op. cit., p. 227. Dans La Chanson de Roland, le monde musulman est caricaturé, puisque l’intérêt du texte serait, selon l’auteur, de penser le complexe à l’intérieur du camp de l’armée de Charlemagne. De même dans notre corpus, les ennemis, qui sont cette fois les Blancs – en inversant le regard – sont décrits de manière extrêmement réductrice. 913 Florence GOYET, Penser sans concepts : Fonctions de l’épopée guerrière, op. cit., p. 20 : « La sunkrisis est peut être le procédé qui incarne le plus évidemment le travail de l’épopée. C’est le parallèle-différence, dans lequel on construit un objet par différenciation. […] Le grand problème de la crise sociale et politique, c’est qu’on ne parvient plus à distinguer le bon grain de l’ivraie, la voie droite de l’erreur. L’épopée est un extraordinaire outil intellectuel parce qu’elle se charge de faire jouer devant nous, complètement, les attitudes possibles, les postures politiques que la situation engendre ». 912 445 Le Blanc est, et ne peut être, qu’un fantoche914. Il est la risée des enfants et de la chanson populaire 915 , symbole par excellence d’une voix indistincte, porteuse de l’assentiment général. D’où le rire : c’est parce que tout le monde – dans ce monde construit de la réception de ce texte – pense toujours-déjà qu’Archinard est un ogre tout droit sorti des légendes, balourd et carnassier, que la chanson peut faire rire le public. Selon le même procédé, Ahmadou Kourouma, avec subtilité et ironie, décrit les « bienfaits » de la colonisation : les « prestataires »916 sont sélectionnés – autre nom pour les réquisitions forcées –, les femmes sont distribuées et mariées – autre nom pour les viols institutionnalisés –, les travaux forcés, enfin, permettent d’entrer « dans la civilisation »917 – autre nom pour le pillage systématique des ressources minières918. Jouant de plusieurs registres, empruntant au lexique colonial pour mieux le mettre à distance, le narrateur décrit les premiers mois de la colonisation à Soba comme une véritable caricature, aux limites du carnavalesque. Les Blancs sont des pantins, des marionnettes, des ombres d’eux-mêmes. Le portrait à charge est également l’une des modalités descriptive de la bande-dessinée : la ligne claire de La colonne, de Dabitch et Dumontheuil, s’y prête bien. À titre d’exemple, la planche du délire de « Boulet »919, nom à peine voilé de Voulet, blessé par une flèche empoisonnée lors de l’attaque du village de Sarraounia, rend bien compte du parti-pris de ce schématisme. En huit cases, se succèdent les injures (« con de toubib », « salaud », « putain »), l’argot (« ils veulent me crever »), le surnom au suffixe dépréciatif (« Henrouille »), le dialogue du masque, esprit imaginaire de la colonne et porte-parole de la mission française, à forte valeur ironique, qui ne peut être pris au premier degré920 (« La flèche était empoisonnée… Tu va t’en 914 Nous pourrions multiplier aisément les exemples. Signalons simplement, en ouverture d’Une hyène à jeun : « Eh bien, le visage du capitaine Tournier ne me dit rien qui vaille. Sa bouche ? Une belle gourde posée sur un ventre pourri », p. 17. 915 Reprenant pour les parodier des chants de louanges, tels que ceux de Keme Bourema, dont nous avons vu plus haut des réactualisations, à la RTG par exemple. 916 Monnè, p. 55-56. 917 Monnè, p. 61. 918 Monnè, p. 61. Avant l’attente et les travaux du fameux « train », qui n’arrive jamais à Soba. 919 La Colonne, tome 2, p. 49. 920 Sur exactement le même registre, de même, ne peut être prise au premier degré cette tirade du Prince dans Les Sofas : « La France, celle que j’ai appris à connaître quatre années durant, cette France-là ne vit que pour la paix ! j’en suis profondément convaincu. Si par une démarche dont je pourrais moi-même me charger, mon père obtenait le rapatriement de ces mauvais officiers, je dis que la paix se raffermirait ; et pour longtemps. La France ne demande pas mieux que de se concilier les rois mandingues. Elle veut que son commerce prospère et son commerce ne peut prospérer en temps de guerre. C’est là toute la signification de sa devise « Liberté – Égalité – Fraternité ». De cela aussi, je suis profondément convaincu » (p. 28). Le lecteur-spectateur est invité à rire de l’aveuglement du jeune Prince, incapable de comprendre les prétentions impérialistes de la France, qui ne se contentera pas que de commercer, mais qui imposera le commerce dans et par la guerre. 446 sortir, hein ? Il le faut ! Pour la France ! Si tu réussiras, la France te pardonnera ! Tout sera oublié ! Je me suis habitué, moi ! »), l’énervement et l’épuisement des corps921 : l’ensemble de ces éléments rend la description des Blancs éminemment satirique. L’on pourrait continuer ainsi longtemps cet inventaire des insultes proférées par les personnages de Blancs, qu’ils soient officiers coloniaux, médecins, marchands, voyageurs, ou juges : ils sont invariablement grossiers922, machistes923, alcooliques924, racistes925, autoritaires et sanguinaires926… La vulgarité serait un objet d’étude en soi, tant il est un puissant révélateur des stéréotypes des officiers français et britanniques, tout comme ceux des artistes et écrivains qui s’en emparent pour en inverser la charge insultante. En effet, dans l’économie des textes, c’est bien celui qui injurie qui est déprécié et non l’inverse. Le tableau semble vite exécuté. C’est certainement le signe que le vrai sujet des récits est ailleurs. Alors que les États ont obtenu, ou luttent pour, l’indépendance, le consensus sur la représentation manichéenne de la colonisation semble établi. Or, ce que ces textes disent en réalité, bien plus profondément que la surface apparente d’une dénonciation de la colonisation (qui existe de manière manifeste), c’est la difficile transition des indépendances, la division interne des partis politiques, et, plus grave encore, la division du corps social dans son ensemble. Mais cette division fait figure d’un impensable, à un moment où l’heure devrait être aux réjouissances, il est impossible de faire figure de trouble-fête. Comment penser les indépendances ? Comment faire du commun ? À travers une trame apparemment simple, s’élabore en réalité une pensée de la division interne des nouvelles nations en construction. La trame du XIXe siècle ne sert que de toile de fonde pour penser le présent. 921 Case 4, case 8 de la même page. Le personnage de Voulet malade répond en tous points aux descriptions des Blancs en Afrique centrale, épuisés souffrants, drogués, dans un perpétuel état second : Johannes FABIAN, Out of Our Minds : Reason and Madness in the Exploration of Central Africa, op. cit. 922 Quelques exemples au fil des relevés : des jurons et insultes, « bordel » (Mamani, Sarraounia, p. 80), « fripouille » (Mamani, Sarraounia, p. 81), « crétin » (Mamani, Sarraounia, p. 82), « putain » (Dabitch et Dumontheuil, tome 1, p. 39 ; Mamani, Sarraounia, p. 132), « saloperie ; salope » (Dabitch et Dumontheuil, tome 2, p. 44-45), « witch » (Death Throes, p. 11), « imbecile » (Death Throes, p. 15), « shut up » (Death Throes, p. 37), « baboojaans » (babouin, en Afrikaner, An Ill-Fated People, p. 17), « niggers » (An Ill-Fated People, p. 17), « fool » (Vera, Nehanda, p. 37), « bon dieu » (Mamani, Sarraounia, p. 132) ; de l’argot populaire « traquenard » (Mamani, Sarraounia, p. 81). 923 Pour le traitement des femmes réquisitionnées au fil des batailles, voir Mamani, p. 11 ; Kourouma, p. 5556 ; Dabitch et Dumontheuil, tome 1, p. 40, 58-59 ; où les colonisateurs plaquent des comportements adoptés également avec des prostituées parisiennes, Dabitch et Dumontheuil, tome 1, p. 10-13. 924 Des descriptions de beuveries dans Dabtitch et Dumontheuil, tome 1, p. 40. 925 Parmi les injures dépréciatives relevées : « bougnouls » (Mamani, Sarraounia, p. 81, 148). 926 Sur les massacres, voir particulièrement la cruauté de Chanoine dans Dabitch et Dumontheuil, tome 1, p. 53, tome 2, p. 3-12 ; Le Grand Capitaine, p. 55-60 ; Mamani, Sarraounia, p. 121-122. 447 Penser les indépendances : la place de l’islam Des études de cas très précises, dans les textes, permettent de prouver que certains nœuds narratifs se forment autour des figures (des noms « Samori, Sarraounia, Nehanda ») pour pouvoir penser les grandes crises sociales, politiques, culturelles du siècle, et notamment celles accompagnant les indépendances. La représentation de l’islam, par exemple, et son changement de statut dans une très courte période, se lit dans les textes, comme en retentissement à la fois assourdissant et silencieux d’une mutation sociale inédite. Ainsi, dans les pièces de théâtre notamment, la présence de Samori et les intrigues liées à la succession sont en réalité des mises en scène d’un basculement d’un droit coutumier, qui privilégie le frère cadet927, au droit musulman, qui privilégie le fils. Ce passage de l’un à l’autre constitue l’un des moteurs narratifs profonds des pièces, et la colonisation cristallise des tensions internes à la société en pleine mutation. Une hyène à jeun présente en ces termes l’intrigue, au début de l’acte I : Morifing Dian Diabaté : [Il faut] Confier au capitaine Tournier un de tes fils qui se rendra avec lui en France. Et ce sera gage de ta bonne foi. […] Samory Touré : Lequel a ta préférence ? […] Morifing Dian Diabaté : C’est à toi de désigner ton successeur. (Une hyène à jeun, p. 20) Puis la scène résout l’indécision initiale du père : Samory Touré : Si Kèmè Birama décide qui, de Diaoulé Karamoko ou de Sarankegni, doit se rendre en France, il comprendra que je suis résolu à appliquer la loi musulmane : le fils succède au père. Il réalisera que mon intention est de mettre fin à la coutume anté-islamique : le cadet héritait sans partage de son aîné. C’est là un problème qui m’a si souvent tenu en éveil. Vois-tu, Morifing Dian, celui qui commande ne dort pas. Il se repose quand les soucis lui donnent quelque répit. (Une hyène à jeun, p. 20) La pièce s’ouvre928 sur un dialogue entre Samory et son griot, Morifing Dian Diabaté, qui lui reproche d’avoir conclu un traité avec les Français, dont le personnage de Tournier en est dans le texte le principal représentant : il s’agit en réalité du traité de Kényèba Kura, signé en mars 1886, entre le chef d’État-major de Frey, le capitaine 927 Sur le rôle du frère dans la société mandingue, et surtout sur les représentations narratives des querelles de succession, voir Jan JANSEN, « The Younger Brother and the Stranger: In Search of a Status Discourse for Mande Le frère cadet et l’étranger. À la recherche d’un discours sur le statut au Mande », Cahiers d’études africaines (1996), p. 659‑688. 928 Une hyène à jeun, p. 15. 448 Tournier, et Samori929. Morifing Dian Diabaté reproche à l’empereur d’avoir pactisé avec les Blancs, et de fait, l’un des griots de Samori, Amara-Dyèli930, incarnait à la cour de Samori le parti de l’opposition forte face aux Français. Il sera tenu pour responsable du massacre de Bouna931, notamment, et sera condamné à mort après la reddition de Samori. Sur ce fond politique extrêmement tendu, Samori doit choisir entre ses deux fils préférés, Diaoulé Karamoko ou Sarankegni, pour décider qui des deux sera envoyé en France, en échange diplomatique. Ce choix revient symboliquement à choisir un héritier. Or ce dilemme en recouvre un second, plus pressant (« qui m’a si souvent tenu en éveil »932 dit Samory) qui est celui de la règle même de succession : Kèmè Birama, le frère cadet de Samory aurait dû hériter de l’empire, et être envoyé en France, et non pas l’un de ses deux neveux. Le nœud de la succession se joue donc avec trois prétendants au trône, et non pas deux. Kèmè Birama est dès l’ouverture désigné comme arbitre entre les deux jeunes princes, ce qui revient à l’éliminer de la chaîne de succession. Représentant d’un ordre archaïque, le droit coutumier face à un islam désormais dominant, il sera l’un des principaux artisans de la chute de l’héritier désigné, Karamoko, et il œuvrera à le disqualifier933 lorsque ce dernier reviendra de son voyage diplomatique. Les crispations identitaires, sur fond d’accords contestés avec la France (dans la personne du capitaine Tournier), à un moment où l’islam s’étend véritablement sous l’empire de Samori934, est une véritable finesse historique de la part de Massa Makan Diabaté. En cela, le texte s’inspire d’une réalité historique tout à fait attestée. Néanmoins, il nous paraît tout aussi intéressant de lire ce texte avec l’arrière plan de sa circonstance de production – rappelons que le texte paraît en 1988 – tandis que l’islam est désormais majoritaire au Mali, tout comme au Sénégal (où est écrit Le fils de l’Almamy), en Côte d’Ivoire (pour Monnè, outrages et défis, et pour Les Sofas). Or, des pratiques mixtes, qu’elles soient religieuses 929 Sur ce traité, et plus largement sur l’envoi de Karamoko en France, voir Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 2, p. 687-692. Voir SOM SG Afrique Sénégal et dépendances, IV/85 Expansion territoriale et politique indigène 1885-1886 Soudan ; IV/88 Expansion territoriale et politique indigène 1886-1887, qui présentent le rôle fondamental de Mahmadou Racine et d’Alassane dans l’organisation du traité. Pour une biographie de Mahmadou Racine, grande figure de tirailleur sénégalais, voir le très instructif ouvrage de Guy THILMANS, Pierre ROSIÈRE, Les Tirailleurs sénégalais : Aux origines de la Force noire, les premières années du Bataillon, 1857-1880, Gorée, Sénégal, Éditions du Musée Historique du Sénégal (Gorée), 2008, p. 179-191. 930 Sur l’opposition de ce griot à tout traité avec les Français, voir Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 2, p. 687. 931 Pour Bouna : Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 3, p. 1886-1897, notamment p. 1894 pour la condamnation à mort du griot par la cour martiale de Beyla. Voir SOM SG Afrique Côte d’Ivoire IV/4 Expansion territoriale et politique indigène 1889-1901, d) Kong et Bouna. 932 Une hyène à jeun, p. 20. 933 Une hyène à jeun, p. 69-74. 934 Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 2, p. 881, sur la politique religieuse intérieure menée par Samori. 449 ou juridiques (incluant notamment la question de la succession) persistent et trouvent des réponses théologiques nouvelles935. Cette hésitation du personnage de Samory, au début de la pièce, son choix pour l’islam qui s’incarne dans Diaoulé Karamoko, partisan de la paix, tandis que les tenants de l’opposition aux Blancs (Morifing Dian Diabaté, Kèmè Bouréma) incarnent la persistance du droit coutumier, compliquent la simple opposition binaire Noirs/Blancs, colonisateurs/colonisés. Cet étoilement de l’intrigue, incluant de nombreux personnages secondaires, permet également de rendre compte du tiraillement du personnage principal, Samory, pris entre son opposition aux Blancs, et la religion qu’il choisit936, ce qui ne recouvre pas les mêmes actants, dans la répartition des rôles d’Une hyène à jeun. Il y a, en effet, un croisement du schéma actanciel entre religion et orientation politique : l’héritier de la loi islamique est favorable aux Français, l’héritier du droit coutumier est contre le traité de paix, or Samori se veut musulman et d’abord favorable à la paix, avant de se rétracter et de vouloir la guerre à nouveau. Une manière de lire ces oppositions narratives est, nous semble-t-il, de les comparer aux relations qu’entretiennent les États de l’ancienne AOF avec la métropole (voire avec les premières générations de migrants économiques, nous y reviendrons), et avec la religion majoritaire. L’existence de tension, entre la profession de foi et l’importance toujours considérable de la divination notamment, se lit dans les textes par des oppositions narratives, cristallisées autour du nom de Samori. Derrière l’histoire de l’imposition de la religion musulmane au XIXe siècle, c’est bien la tension contemporaine dans la réception de l’islam qui nous semble la plus fertile, d’un point de vue heuristique, pour lire l’intrigue d’Une hyène à jeun. Cette crispation autour des évolutions religieuses contemporaines se lit de manière tout à fait identique pour la mémoire de Sarraounia. Traitant du Niger, Adeline Masquelier note à cet égard : Until recently, Muslims in Arewa generally felt uneasy about their “animist” past. In the Muslim ethos, the past was identified as jahiliyya (ignorance), a state of chaos, immorality and permissiveness that typified the period preceding the arrival of Islam. 935 Voir notamment sur « les nouveaux visages de l’islam », la contribution d’Adriana PIGA, in Odile GOERG, Anna PONDOPOULO (dir.), Islam et sociétés en Afrique subsaharienne à l’épreuve de l’histoire : Un parcours en compagnie de Jean-Louis Triaud, op.cit. Sur les aménagements idéologiques, et les crispations sociales, identitaires, théologiques qui peuvent en découler, voir pour le cas du Niger, Adeline MASQUELIER, Women and Islamic Revival in a West African Town, op. cit., p. 50, qui reprend sans le citer les conclusions de Vincent MONTEIL, L’Islam noir, Paris, Le Seuil, 1964, pour les réévaluer, et montrer à quel point la notion d’islam noir modéré a été une construction coloniale. 936 Yves PERSON, « Les ancêtres de Samori », Cahiers d’études africaines, art.cit, rappelle que Samori venait d’une famille dés-islamisée, et que son père était païen. 450 Consequently Muslims residents [in Dogondoutchi] saw no reason to celebrate the exploits of Sarauniya Mangu, the queen-priestess who, in 1899, had valiantly but unsuccessfully resisted the assault of the infamous Voulet-Chanoine column dispatched to claim southern Niger for France at the height of the “scramble” for Africa. They feared that acknowledging Sarauniya as a heroine would resurrect a religious past – replete with demonic spirits – that they would rather see buried. Rather than honouring historical figures such as Sarauniya Mangu, they wished to disown them. In their opinion, only be resolutely breaking with the age of jahiliyya would Dogondoutchi forfeit its reputation as a den of “animism”. These efforts to relegate the pre-Islamic past to oblivion have been undermined, however, by cultural countercurrents directed towards the celebration of national heritage. Of late, Sarauniya Mangu has been reclaimed by intellectual elites as a tragic figure of the Nigérien past.937 Jusqu’à récemment, les musulmans de l’Arewa se sentaient généralement mal à l’aise avec leur passé « animiste ». Dans l’ethos musulman, le passé est identifié à la jahiliyya (l’ignorance), un état de chaos, d’immoralité, et de permissivité qui caractérise la période précédant l’arrivée de l’Islam. En conséquence, les habitants musulmans [de Dogondoutchi] ne voyaient aucune raison de célébrer les exploits de Sarraounia Mangou, la reine prêtresse qui, en 1899, résista vaillamment mais sans succès à l’assaut de la tristement célèbre colonne Voulet-Chanoine, envoyée pour conquérir le Sud du Niger au nom de la France dans la « course au clocher » en Afrique. Ils craignaient que la reconnaissance de Sarraounia comme héroïne raviverait un passé religieux – plein d’esprits du diable – qu’ils préfèreraient voir enterré. Plutôt que d’honorer des figures historiques telles que Sarraounia Mangou, ils préféraient les désavouer. Selon eux, ce n’est qu’en coupant brutalement court avec l’âge de la jahiliyya que Dogondoutchi perdrait sa réputation de bastion de l’« animisme ». Cependant, ces efforts pour reléguer le passé préislamique à l’oubli se sont vus minés par des contrecourants culturels orientés par la célébration d’un héritage national. Sur le tard, Sarraounia Mangou a été investie par des élites intellectuelles qui en ont fait une figure tragique du passé nigérien. Le passé du village est soumis à un interdit, il est l’objet d’une honte que la notion haoussa de jahiliyya938 recouvre de manière englobante. Ainsi donc, le cœur du pays haoussa, le lieu-même de la résistance de Sarraounia, conserve avec réticence la mémoire de la reine : nul n’est prophète en son pays, et plus précisément, c’est même là que l’orthodoxie musulmane est la plus dure, parce qu’elle est la plus nécessaire939. Cette chronologie vécue940, par les acteurs, interroge les pratiques mémorielles, à l’intersection 937 Adeline MASQUELIER, Women and Islamic Revival in a West African Town, op. cit., p. 135-136. À comparer avec cette réplique du personnage de Tassili Magan Kanouté, conseiller de Samory, à Diaoulé Karamoko : « L’Émir t’a choisi pour enterrer la jahiliyya, la période anté-islamique », Une hyène à jeun, p. 80. 939 Sur la cohabitation de l’Islam et de pratiques religieuses et magiques pré-islamiques dans le cercle de Dogondoutchi, de 1900 à l’indépendance, voir ANN, 1D26 Monographie du cercle de Tahoua par le Lieutenant Peignol 1907, 41 pages dactylographiées ; 1D92 1936 Droit coutumier de l’Aderewa musulman, Duboy, 14 pages ; 1D151 1947 Dogondoutchi Monographie : les fétichistes de Baare et Goube de Bagaji et Lougou ; 1D195 1964 Doutchi. Le Maouri ou Arewa par E. Séré de Rivières en 1964, 9 p. ; 4E Politique musulmane 1907-1955. 940 En effet, Marc-Henri Piault, Histoire mawri. Introduction à l’études processus constitutifs d’un État, op. cit., p. 52-56, rapporte un mythe de fondation où Sarraounia aurait été musulmane avant d’être païenne. Il convient donc de ne pas adopter de schéma simpliste sur la diffusion de l’Islam, mais de plutôt s’attacher à 938 451 entre le local et le global. De même, le cœur du pays dioula, dans le Nord de la Guinée, conserve un souvenir extrêmement mitigé des guerres samoriennes 941 , en associant régulièrement Samori à la figure du païen942. Nous pourrions avancer l’hypothèse que le village de Dogondoutchi, précisément parce qu’il a été associé aux cultes et à la divination préislamique, doit redoubler d’ardeur dans l’adhésion à la foi musulmane, et le souvenir de Sarraounia ne fait que gêner ce processus d’exhibition religieuse. Phénomène étonnant, cette relecture puritaine, si l’on peut dire, de l’histoire locale, se heurte à une strate nationale de réécriture de l’histoire coloniale, où Sarraounia a depuis les années 1980 toute sa place. Derrière les conflits d’échelles se lit l’ambivalence de la coexistence de l’islam et de pratiques non-musulmanes, que celles-ci soient effectives ou qu’elles ne survivent seulement que dans le souvenir des textes. Une bonne porte d’entrée pour lire cette tension réside également dans les figures de marabout, de devin, et de prophétesses qui sont extrêmement nombreuses dans notre corpus. Ce panel de figures secondaires a, en effet, la particularité d’être récurrent, et de bénéficier de descriptions systématiquement minutieuses de la part du narrateur : le « quartier des fétiches » et la prophétesse chez Abdoulaye Mamani943, les pouvoirs du komo dans les films de Med Hondo, de Serge Moati et dans le roman d’Abdoulaye Mamani944, la possession chez Yvonne Vera945, l’horizon de la sorcière chez Massa Makan Diabaté946 et chez Cheik Aliou Ndao947… montrer comment la coexistence de plusieurs religions, sur un temps long (ce qui déconstruit L’Islam noir, op. cit., de Monteil, par là même) ont produit des textes, récits, mythes, légendes qui interrogent la diversité confessionnelle. 941 Voir dans notre corpus, les chants de Sidiki Kouyaté (« Diamori », et « Famagan Traoré »), ainsi que Samori Tariku, de M’Faly Franwalia Kamissoko. 942 Pensons également aux assertions de Mallam Abu, extrêmement polémiques, où Umaru est décrit comme « fils de talaka » (Labarin Shamuri), même si le texte provient de Wa, et non pas du pays dioula. 943 Mamani, Sarraounia, p. 119-120. 944 Mamani, Sarraounia, p. 129-133. 945 Vera, Nehanda, p. 26-27. 946 Une hyène à jeun, p. 84-85, et le personnage de Diaoulé, la mère de Diaoulé Karamoko : « Égorger moimême un chat noir dans un puits abandonné. Brûler en plein jour un morceau de linceul enduit de beurre de karité. Enterrer un âne vivant après lui avoir crevé les yeux. Et que n’ai-je fait pour atteindre l’étoile de Sarankegni Mori ! ». 947 Le Fils de l’Almamy, p. 22-23, avec les personnages de Kéné et Lamya. 452 Penser les indépendances : les répressions politiques, la place de l’Europe Proposons, en outre, une dernière interprétation possible de la condamnation à mort du fils par le père948. L’infanticide de Samori, dénoncé dans les textes dès 1973 avec Cheik Aliou Ndao, puis avec toutes les pièces de théâtre de notre corpus – et que l’on peut lire, en sous texte, dans toutes les louanges discrètes à Kèmè Bouréma949 – nous semble être une réponse littéraire au système de propagande instauré par Sékou Touré à partir de 1961, fustigeant les « ennemis de la Guinée », en ne cessant d’inventer des « complots » pour mieux effectuer des purges intérieures. Ainsi Céline Pauthier passe-telle en revue la longue liste des ennemis extérieurs, qui sont progressivement également devenus des ennemis « intérieurs » de la Guinée950 : le « complot des enseignants », dès novembre 1961, dont Djibril Tamsir Niane eut à subir les conséquences, le « complot des commerçants » 951 en novembre 1965, le « complot des officiers félons et politiciens véreux » en mars 1969952, le débarquement guinéo-portugais dont nous avons montré les réminiscences musicales, en novembre 1970953, le « complot peul » en 1976… Le Chef de l’État tuant son fils, dès lors, devient également une figure métaphorique des politiques de répressions successives qui agitent la Guinée sous Sékou Touré. Parallèlement à cette interprétation, qui nous semble valide pour les textes les plus durs à l’égard de la figure de Samori Touré (sous laquelle nous proposons de lire Sékou Touré, comme dans Les Sofas), se superpose également l’ambivalente et conflictuelle figure du fils prodigue, de retour d’Europe. Les textes sont alors beaucoup plus nuancés, exposant tout à la fois le devoir du fils, de prévenir sa famille et son peuple du danger de l’Occident, et le devoir du père, de châtier son fils (Une hyène à jeun en est le plus bel exemple). Au cœur de ce conflit entre deux personnages, tous deux porteurs de valeurs antagonistes, et entre lesquels le texte ne tranche pas, le lecteur-spectateur est incité 948 Nous avions déjà évoqué d’autres extraits autour de ce même thème, supra, chapitre 1, Première partie, section « Le théâtre sur Samori » ; ainsi qu’au chapitre 1 de la Deuxième partie, section « Samori : expansion dérivative du corpus ». 949 La louange du jeune frère peut en effet être lue comme la célébration de celui qui n’a jamais failli, en composant l’équivalent d’un « miroir du prince », incitant à la comparaison avec le souverain actuel, qui peut ne pas se conformer à ce tableau, auquel cas la louange se transforme en dénonciation, de manière implicite. 950 Céline PAUTHIER, L’Indépendance ambiguë, op. cit., p. 388. 951 Céline PAUTHIER, L’Indépendance ambiguë, op. cit., p. 420. 952 Céline PAUTHIER, L’Indépendance ambiguë, op. cit., p. 428. 953 Voir supra, Première partie, Chapitre 2, « Le Chef de l’État et le culte de la personnalité ». Et Céline PAUTHIER, L’Indépendance ambiguë, op. cit., p. 430. 453 simplement à accompagner954 le parcours de l’intrigue, sans prise de parti explicite à la résolution de la pièce 955. Y lire la difficile position du « Guinex », le Guinéen de l’extérieur, de la diaspora, qui retourne au pays dans les années 1970, sans être reconnu par les siens est alors une option tout à fait possible. Ces migrants de la diaspora, partis pour des raisons économiques, et qui ne trouvent pas leur place au retour, ont été particulièrement stigmatisés par Sékou Touré. Les textes donnent alors à voir – à expérimenter, sur scène – la scission interne que ce retour provoque chez le personnage de Karamoko, à l’instar de Samba Diallo du pays des Diallobés, assassiné par un fou dans les dernières pages de l’Aventure ambiguë, signifiant par là l’impossibilité de retour véritable956. L’Europe est alors perçue comme une instance d’acculturation, entraînant un imaginaire clivé957, pris entre deux espaces et entre deux cultures. L’intérêt de ce corpus, qui présente de manière apparente un conflit du XIXe pour parler du contemporain, est qu’il expose une position sans pour autant prendre parti958. La position de l’exilé, la position de celui qui est resté au pays : toutes deux sont incompatibles, et le texte les fait dialoguer, « imageant » une situation à plusieurs niveaux de lecture – car « les images, comme le langage, forment des surfaces d’inscriptions privilégiées pour ces complexes processus mémoriels »959. Cette opposition au personnage de l’Européen, qui se traduit dans un conflit pèrefils, se retrouve aussi, bien qu’en sourdine, dans le volet « Sarraounia » de notre corpus. Le roman d’Abdoulaye Mamani expose ainsi les termes du débat entre deux générations, l’une prônant l’opposition aux Français, l’autre la collaboration. La figure de dan Zaki est tout à fait mineure dans l’œuvre, et ne sert que de double atténué à la figure de la Sarraounia. Elle est pourtant intéressante puisqu’elle installe un possible textuel de la 954 À propos de ce partage d’informations entre lecteur-spectateur et le texte, Pascal BOYER, « L’étoffe et la doublure du héros. Remarques sur les couples des personnages héroïques », in Singularités. Textes pour Éric de Dampierre, Paris, Plon, 1989, parle d'« illusion de compagnonnage ». 955 Notons que la contradiction est un motif travaillé dans l’historiographie, notamment pour discuter les thèses de Jan Vansina, David NEWBURY, « Contradictions at the Heart of the Canon : Jan Vansina and the Debate over Oral Historiography in Africa, 1960-1985 », History in Africa (2007), p. 213‑254, ce qui a longtemps été un argument pour réfuter la validité des sources orales. Pour un décentrement de ce débat, voir aussi David M. GORDON, « Interpreting Documentary Sources on the Early History of the Congo Free State : The Case of Ngongo Luteta’s Rise and Fall », History in Africa 41 (2014), p. 5‑33. 956 Hamidou KANE, L’Aventure ambiguë, op. cit. p. 186 « C’est alors que le fou brandit son arme, et soudain tout devint obscur autour de Samba Diallo ». 957 Cet imaginaire, vécu sur le mode dramatique dans les années 1970, conserve des traces plus contemporaines et Alain MABANCKOU, dans Lumières de Pointe-Noire, Paris, Le Seuil, 2013, en donne une illustration plus ironique et cinglante. 958 Selon la distinction opérée par Georges DIDI-HUBERMAN, Quand les images prennent position, Paradoxe, Paris, Minuit, 2009, p. 11. 959 Georges DIDI-HUBERMAN, Quand les images prennent position, op. cit., p. 35. 454 résistance, et de l’opposition au père, ce qui décentre légèrement le propos, et fait intervenir des nuances dans le texte : « Mais que peut son courage contre le canon et les longs fusils des nassara ? Elle se fera massacrer, et avec elle, tous les hommes qui se laisseront entraîner dans sa folle tentative. – Eh bien, je serai de ceux-là. Je lèverai une escouade d’hommes libres et nous irons nous battre sous l’étendard de la Sarraounia. – Tu ne feras pas ça, dan Zaki. Tu n’iras pas combattre dans les rangs des païens… – Sûr que je le ferai et pas plus tard que ce soir. Dès ce soir, je me mettrai en route pour le pays des Aznas. J’irai et viendront avec moi ceux qui veulent me suivre; tous les hommes d’honneur. Nous irons lutter aux côtés de la Sarraounia. Nous irons grossir les rangs des hommes qui se battent pour la dignité. – Par Allah, je te maudirai » (Sarraounia, p.71) Conclusion : le sens d’un texte, sur le temps long Comment et pourquoi la figure reste-t-elle fascinante alors que les sociétés évoluent960 ? Comment expliquer le succès de telle ou telle figure sur le temps long961 ? Serait-il possible de penser la mort d’une épopée ? Par ce parcours de plusieurs relectures du parcours de Nehanda, Samori et Sarraounia, nous avons voulu montrer comment ils étaient particulièrement adaptables et plastiques pour lire et penser les indépendances, ce qui explique très certainement le foisonnement des réécritures à cette période, que nous avons décrit dans la première partie de cette étude. Cette malléabilité de la figure – du nom propre, et d’une trame adéquate – en fait un objet narratif idéal pour servir de modélisation des crises politiques, culturelles et sociales qui ont secoué l’Afrique en quelques décennies. Pour penser le temps long de la fascination continuée pour une figure, des premières description coloniale, en passant par le pic de réécritures des années qui ont 960 Sur cette dialectique du changement et de l’invariant, Roberte HAMAYON, « La «!tradition épique!» bouriate change tout en étant facteur de changement », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines (2014/45). 961 Ce thème était le propos de la journée d’étude « Changer d’auditoire, changer d’épopée », organisée par Florence Goyet et Jean-Luc Lambert, au Centre d’études mongoles et sibériennes, à l’EPHE, le 29 avril 2016. Notamment, la communication de Jean Derive « L’une meurt, l’autre part. L’épopée au fil du temps », centrée sur le Mvet, traitait du motif de l’« épopée dispersée », ne devant son inscription au genre épique que par ses circonstances de production et son inscription dans l’histoire, devenant la métaphore d’une réalité historique ponctuelle. Notre propos ne concerne néanmoins pas de textes relevant stricto sensu du genre épique, mais bien plutôt de constellations de textes fonctionnant en réseau. 455 suivi les indépendances, jusqu’à nos jours, il faut faire le deuil d’un « sens » qui se construirait selon une hypothèse substantialiste, de croissance tendue vers une seule direction donnée. Au contraire, il faut ici penser que le développement du sens n’est jamais stable – puisque le figement dans un sens univoque signerait son arrêt de mort – mais toujours en évolution. Il suit des ramifications multiples qui peuvent s’entrecroiser selon les besoins et les réactualisations, dans une structure réticulaire qu’il faut concevoir comme en devenir. Ce que Gilbert Simondon962 a étudié pour le sujet dans l’individuation collective fonctionne admirablement pour la figure légendaire : il y a plusieurs entéléchies possibles dans la vie d’une figure légendaire, qui se construit dans la relation au groupe. La figure est alors comprise comme réserve de significations, comme potentialité signifiante, dotée d’une réserve d’être, qui s’actualise au gré des auteurs et des circonstances de sa réception. Les figures légendaires véhiculent des récits qui sont suffisamment vastes pour contenir en leur sein des réserves non exploitées, qui pourront s’actualiser en temps voulu. L’épisode de Samori contre Karamoko peut, de manière discontinue, constituer une trame quasi-autonome. L’être peut avoir plusieurs entéléchies, selon Gilbert Simondon : Le monisme de l’individuation doit être remplacé par un pluralisme de l’individuation, l’être recevant, au lieu d’une seule forme donnée d’avance, des informations successives qui sont autant de structures et de fonctions réciproques963 . Autrement dit, si nous l’appliquons au signe, le sens ne contient pas plusieurs phases dans un développement linéaire fixe, mais il est une extension de potentialités signifiantes, à partir de l’unité du texte. Par exemple, Samori a constitué un formidable moyen narratif pour penser la lutte pour l’indépendance, puis les premières années qui l’ont suivie. Or, il continue d’être fascinant pour un collectif, puisque son nom est vecteur de récits suffisamment malléables et adaptables pour pouvoir être réactualisés964. 962 Gilbert SIMONDON, Jacques GARELLI, L’I'()viduati*' à la lumi+e des '*-i*'. de f*+me et d’information, Millon, Grenoble, 2005. 963 Gilbert SIMONDON, op. cit., p.217. 964 Comme l’a montré John Miles FOLEY, Oral Tradition and the Internet Pathways of the Mind, op. cit. pour la tradition orale et les développements numériques. 456 2. MISES EN ABYME DE LA PENSÉE LITTÉRAIRE DANS LES TEXTES À l’échelle microstructurale désormais, plusieurs textes mettent en scène cette faculté exploratoire de la fiction, comme si cette dernière se regardait agir en se mettant en scène 965 . Miroirs du « travail épique » des figures, réflexions métapoétiques circonscrites dans des épisodes apparemment anodins, détours de la fiction et trames secondaires peuplent nos récits. Cet anodin, ce détour, est en réalité un parfait exemple pour analyser les mises en abyme de cette « pensée » littéraire. Trames secondaires : facultés exploratoires de la fiction Tout au long du roman d’Yvonne Vera, une trame secondaire court sur plusieurs épisodes, apparemment sans but précis et sans résonnance aucune avec l’enfance de Nehanda. Les chapitres 11, 13 et 17966 sont entièrement ou en partie consacrés à la relation qu’entretient un colon, dénommé malicieusement par l’auteur Mr Browning, (« brunissement » au sens littéral, tandis qu’il ne se préoccupe au contraire que de rester « blanc » en Afrique), et de son serviteur, Mashoko. Leurs conversations, leurs regards, leurs silences, leurs évitements constituent de longs interludes dans le parcours de Nehanda, sans qu’il ne soit de prime abord possible de raccrocher l’une des deux trames à l’autre. Mr Browning est chargé d’installer un poste de police967, et dans l’attente de sa femme Cecilia dont l’arrivée ne cesse d’être repoussée – à tel point qu’elle n’arrivera jamais –, il forme son domestique aux tâches ménagères : service à table, jardinage, cuisine à l’européenne… Or de cette trame secondaire se lit toute la complexité de la dialectique du maître et de l’esclave, et les contradictions de la « servitude volontaire ». Nous souhaitons prendre le temps d’analyser en détail l’évolution de la relation entre ces deux personnages, puisqu’elle nous semble incarner la complexité de la situation coloniale, insérée dans une temporalité et une intrigue centrée sur la résistance à la colonisation. Or si Nehanda est effectivement une héroïne historiquement située (1896- 965 Notons que ce procédé n’est pas propre à notre corpus africain, mais qu’il est également relevé comme caractéristique de l’épique par Pierre VINCLAIR, De l’épopée et du roman. Essai d’énergétique comparée, op. cit., 34-36. 966 Vera, Nehanda, p. 37-39, 42-47, 61-64. 967 Le « government station », qui comprendra dix policiers africains, Vera, Nehanda, p. 42. 457 1898), la temporalité semble suspendue dans les chapitres 11, 13 et 17 qui nous intéressent : le lecteur peut alors parfaitement y reconnaître une mise en scène de la situation coloniale telle qu’elle était vécue par exemple par les Shona au XIXe siècle, mais aussi dans les années 1970, en pleine guerre de libération nationale. La trame secondaire de la cohabitation par la colonisation propose donc un contrepoint à la trame primaire de la lutte frontale. Nous souhaitons montrer que l’une interroge l’autre, et que de leur entrelacement naît une pensée plus générale de la situation coloniale, et de la prise de pouvoir du sujet subalterne (que l’on nomme cette capacité agency 968 , ou empowerment, elle recouvre ce que Marivaux avait inséré dans le temps suspendu de la fiction dans L’Île des esclaves, où Arlequin se venge d’Iphicrate, avant un retour à l’ordre final de la société d’Ancien Régime). Observons la première apparition de ce duo dans le roman : Moses had once told Mr Browning his heathen name, but Mr Browning can see no point in using it. The new name is easier to remember, and more importantly, it is a step toward the goal of civilizing the country. […] “Moses! Moses!” He shouts as though Moses were many miles away. How is one to get prompt action from Africans if one does not shout? Moses comes in bearing a white metal bowl of water and a white towel draped over his left arm. […] What a fool this Moses is, a real clown. He wonders what his wife will think of Moses. His habits are embarrassing. What a fool Mr Browning is, Mashoko thinks. He places a china plate on the table directly in front of the chair that Mr Browning will occupy to consume his breakfast. (Vera, Nehanda, p. 37) [Moïse avait déjà dit à M. Browning son nom païen, mais M. Browning ne voyait aucun intérêt à l’utiliser. Le nouveau nom était plus facile à mémoriser, et plus important, c’était un pas vers la mission de civiliser le pays. […] « Moïse ! Moïse ! » Il crie comme si Moïse était à des kilomètres. Qui peut obtenir des actions immédiates des Africains s’il ne crie pas ? Moïse arrive en portant un bol d’eau, en métal blanc, et une serviette blanche à son bras gauche. […] Quel idiot que ce Moïse, un vrai clown. Il se demande ce que sa femme pensera de Moïse. Ses manières sont gênantes. Quel idiot que ce M. Browning, pense Mashoko. Il place un plat de porcelaine chinoise sur la table directement face à la chaise qu’occupera M. Browning pour son petit-déjeuner] 968 Notons simplement à propos de ce terme à la bibliographie très riche, qu’il existe des analyses semblables pour deux autres romans d’Yvonne Vera, par Grace MUSILA, « Embodying Experience and Agency in Yvonne Vera’s Without a Name and Butterfly Burning », Research in African Literatures, 38 (2007/2), p. 49‑63. 458 Charmant personnage que Mr Browning : il est l’incarnation du colon dans ce qu’il a de plus monolithique et caricatural, puisque l’important n’est pas sa caractérisation propre, mais l’ombre qu’il projette sur un personnage qui reste, au début du moins, dans son ombre, dans les coins des pièces lorsqu’il mange969, derrière lui lorsqu’il se rase, ou dans les arrières cuisines – il s’agit de son serviteur, Mashoko, dit « Moses ». Celui-ci accepte de travailler pour un Blanc afin de pouvoir payer la hut tax970, et ne pas perdre son troupeau. Il accepte d’être dépersonnalisé, par l’imposition d’un nom chrétien qui n’est pas le sien. À nouveau, Yvonne Vera joue avec les effets de nomination : ce baptême imposé, censé être le symbole de la civilisation apportée par les Britanniques, jouant comme pari à valeur performative, est en réalité un jeu de mots dans le temps de la lecture, qui annonce, par un effet de prolepse, l’inverse de ce que Mr Browning entendait. Moïse est le prophète qui sauve son peuple de l’esclavage, en le menant sur la route de la terre promise, comme les médiums menaient les Shona vers la terre qu’ils nommaient « Zimbabwe » : par un jeu de nomination, par un jeu sur les prophétismes, par un jeu de double, Nehanda et Mashoko-Moses entrent en écho l’un avec l’autre, et les deux trames se superposent pour venir inquiéter et complexifier l’apparence maîtrise du maître sur son esclave. La répétition de la réplique « What a fool » (« quel idiot »), que s’adressent intérieurement les deux personnages de Mashoko et de Mr Browning, accentue la dégradation carnavalesque – en la rendant presque burlesque – de cette maîtrise du pouvoir. Ce qui est continué quelques pages plus loin : “Smith, do you know the difference between us and the natives? The difference is that we know where we are and the native does not.” “Surely the Africans know the land…” Mr Smith answers dispassionately. “I mean the knowledge of the world that we have. We have drawn maps, and know how to locate ourselves on the globe. The native only knows where he is standing. I have been collecting maps since I was a boy. This is what we should teach at the new school, a knowledge of the earth” […] Moses responds without a delay, bringing a tray. As he lays the items on the table, Mr Browning and Mr Smith resume their conversation. “I shall introduce order and culture”, Mr Browning says, as Moses pours the milk into his tea and Mr Smith extends his cup to be filled. “We should enlarge the prison”, Mr Browning continues. “We need order and justice” […] 969 Quelques lignes plus bas : « Afterwards, he stands at the corner of the room, and watches Mr Browning eat » (Vera, Nehanda, p. 39). 970 « Mashoko does not find his work interesting; in fact, when he is in his village he feels ashamed of it. If it were not for hut-taxes that he is being made to pay, he would not accept the work. His cattle will be confiscated if he fails to pay the money asked of him » (Vera, Nehanda, p. 38). 459 Large red hibiscus petals burst and yellow dust gathers over them. Pollen and nectar surrender their sweetness to the heated air, inviting birds and bees. The bees wander uncertainly into the bushes, hovering with outstretched forelegs in ritual dances overt the fertile ground. (Vera, Nehanda, p. 44-46) [« Smith, connais-tu la différence entre nous et les indigènes ? La différence, c’est que nous savons où nous sommes et l’indigène ne le sait pas. « Sûrement que les Africains connaissent la terre… » répondit sans passion M. Smith. « Je veux dire la connaissance du monde que nous avons. Nous avons dessiné des cartes, et savons nous placer sur un globe. Les indigènes ne connaissent que l’endroit où ils se tiennent. J’ai fait la collection de cartes depuis que je suis enfant. C’est ce que nous devrions enseigner dans la nouvelle école, une connaissance de la terre… » […] Moïse répondit sans délai, apportant le plateau. Alors qu’il déposait les objets sur la table, M. Browning et M. Smith poursuivirent leur conversation. « Je dois introduire l’ordre et la culture », dit M. Browning tandis que Moïse verse du lait dans son thé et que M. Browning tend sa tasse pour qu’elle soit remplie. « Nous devrions agrandir la prison », continue M. Browning. « Nous avons besoin d’ordre et de justice ». […] De larges pétales d’hibiscus rouge flamboient et une poussière jaune tombe audessus d’eux. Le pollen et le nectar envahissent de leur douceur l’air chaud, invitant les oiseaux et les abeilles. Les abeilles vaquent de manière incertaine dans les fourrés, voltigeant avec leurs pattes avant tendues dans des danses rituelles au-dessus de la terre fertile.] Au-delà de la caricature, Yvonne Vera interroge ici le rôle de la géographie, de la cartographie, et du savoir dans la colonisation et la possession des terres. Smith et Browning ne se fréquentent que parce qu’ils parlent tous deux anglais971, et par la force des choses, en exil, ils sont obligés de se supporter l’un l’autre malgré leurs divergences d’opinions évidentes. De leur conversation « dépassionnée », ennuyée, discrètement haineuse en somme, naît une réflexion sur la possession de la terre et le sentiment d’appartenance, tandis que l’esclave (le serviteur), par sa présence muette, vient abolir les constructions théoriques inventées par le discours. Les prétentions de Mr Browning au sujet de la cartographie, bien que cette discipline ait été fondamentale dans le processus d’implantation de la BSAC, sont ramenées ici à un jeu de collection puéril, d’appropriation par l’entassement, de capitalisation par l’excès, d’amas vain, de démesure (tout comme Mr Smith collectionne les insectes972). Or le silence de Mashoko est plein de toute la prise de distance d’Yvonne Vera, dénonçant ici la possession capitaliste des terres, détachée de tout lien avec le territoire et soulignant finalement toute la distance 971 972 Vera, Nehanda, p. 43. Vera, Nehanda, p. 46-47. 460 qu’il existe entre la « carte » et le « territoire »973. C’est sa présence muette, l’attention portée à ses gestes de serviteur, apparemment consentant, docile et obéissant, dans le rituel du thé, qui colore le discours de Mr Browning d’une profonde inanité. Cette association order-tea-prison qui se joue dans la dernière réplique du colon (« I should introduce order » - « Moses pours the milk into the tea » - « We should enlarge the prison »), en reliant le discours auto-légitimant de la colonisation, le produit par excellence d’exportation des comptoirs coloniaux, et la force violente de la répression, outre l’effet comique de l’opération de rapprochement, rend compte avec une grande concision de la relation de pouvoir sur les corps instaurée par la BSAC. Tout cet appareil de contrôle est désavoué non seulement par le corps même de Moses – dont les silences fonctionnent comme des répliques véritables – mais aussi par la description flamboyante du paysage qui suit et clôt le dialogue : la réponse au discours colonialiste de maîtrise de la terre est la magnificence d’un monde qui a déjà un ordre et une culture, contrairement à ce qu’affirme Mr Browning. La beauté de la floraison de l’hibiscus, la fertilité des sols, le parcours du pollen sont autant de réponses, dans la narration, au discours impérial. Les abeilles, errantes dans le maquis, effectuant des danses rituelles dans un territoire consacré, participant à la fertilisation de la flore, deviennent la métaphore des guerriers shona, luttant pour perpétuer cette relation à leurs terres dont ils sont dépossédés. La dernière apparition de Moses-Mashoko dans le roman renoue les trames narratives, principale et secondaire, entre elles, puisque le personnage rejoint la rébellion, à l’image de ces mêmes abeilles, et se range aux côtés de Kaguvi : The rebellion gathers its own strength. When he closes his eyes, the voice of Nehanda comes to Kaguvi. […] A man emerges out of the crowd bearing his shield, and carries a blood-curdling shout into the circle that the people formed around Kaguvi. He wears a ring of redpainted feathers around the crown of animal skin over his head. His face and arms are painted with red clay. He dances to the crowds, affirming the truth that has been spoken, shedding the humiliation he has suffered since the arrival of the white men. He dances well and is soon rewarded with shouts and joyful clapping, which 973 Rejoignant ainsi la « méditation sur le pouvoir de la topologie » sur les corps occidentaux, telle que la décrit Michel HOUELLEBECQ, dans La Carte et le Territoire, Paris, Flammarion, 2010, p. 152 ; nous lui préférons toutefois la prose poétique de Gérard MACÉ, qui, dans La Carte de l’empire, Paris, Gallimard, 2014, déploie une réflexion sur le rôle de la littérature, comme « carte de l’empire (aussi grande que l’empire), à cause de son apparent réalisme. Que les apparences soient trompeuses n’y change rien, bien au contraire : l’art est simplement une réalité plus subtile », p. 15 : ainsi, reprenant Borgès, (« une carte de l’empire aussi grande que l’empire »), Macé montre la manière dont la littérature fait émerger une cartographie des système impériaux, qui permet de sortir de cette opposition binaire « carte/territoire », tout en en montrant les relations conflictuelles. 461 encourage him into more elaborate motion. The man is Mashoko. (Vera, Nehanda, p. 61) [La rébellion rassemble ses forces. Lorsqu’il ferme les yeux, la voix de Nehanda vient à Kaguvi. […] Un homme émerge de la foule portant son bouclier, et pousse un cri à glacer le sang dans le cercle que les gens avaient formé autour de Kaguvi. Il porte un anneau de plumes peintes en rouge autour de la couronne de peau animale qui ceint sa tête. Son visage et ses bras sont peints avec de la glaise rouge. Il danse pour les foules, affirmant cette vérité qui avait été dite, se dépouillant de l’humiliation qu’il avait endurée depuis son arrivée chez les hommes blancs. Il danse bien et il est vite récompensé par des cris et des applaudissements joyeux, qui l’incitent à des mouvements plus élaborés. Cet homme, c’est Mashoko.] La danse qu’il exécute est une réponse directe à l’oppression qu’a constituée la servitude, et plus métaphoriquement à l’état de colonisé. Son corps se débarrasse – physiquement – des vexations et humiliations subies au service de M. Browning, autant qu’il le lave (shedding) et le purifie. Cette danse, décrite sans que l’on sache d’abord qui l’exécute puisque la révélation en est repoussée en fin de paragraphe, peut tout à la fois être lue comme une possession, un rituel d’entrée dans la résistance, une explosion de joie. Ainsi, cette trame secondaire dans le roman d’Yvonne Vera a-t-elle servi d’exploration des possibles, d’image de la servitude coloniale, et de parcours sur le mode mineur de l’exploitation à la révolte. Mashoko-Moïse est à la fois un opposé et un double de Nehanda, et le récit se nourrit de cet entrelacement de deux trames, qui n’avaient de prime abord aucun rapport entre elles. Mises en scène de la fiction : le mot comme arme Cette « faculté exploratoire » de la fiction se manifeste également par des mises en scène du rôle de la fiction, et notamment une surexposition du rôle du griot. Le récit devient « spéculaire »974, et se pense pensant. Dans le prolongement des hypothèses que nous venons de formuler sur les réappropriations des figures dans le temps long, nous 974 Lucien DAL! LENBACH, Le Récit spéculaire : Essai sur la mise en abyme, Paris, Le Seuil, 1977, p. 18 : « est mise en abyme toute enclave entretenant une relation de similitude avec l’œuvre qui la contient ». À partir de récits de Gide, l’auteur définit la « métasignification » et à la réflexivité, renvoyant à l’énoncé, l’énonciation, ou au code du récit (p. 62). L’ouvrage de Nicolas CORREARD, Vincent FERRÉ, Anne TEULADE (dir.), L’Herméneutique fictionnalisée : Quand l’interprétation s’invite dans la fiction, Paris, Classiques Garnier, 2014, ouvre une perspective plus large sur la question de l’interprétation, de la métalepse, de la mise en scène de l’activité de lecture et d’écriture. 462 voudrions montrer ici que les textes pensent également le rôle de la poésie, comme instrument de l’espace public (démocratique 975 ), mise en scène des possibles, et finalement, espace de subjectivation. Ainsi, ce débat sur le rôle de la poésie, dans la pièce de Massa Makan Diabaté : Le griot (s’adressant à Kèmè Birama). Écoute, fils de Makémé, j’ai composé pour toi le plus beau fasa1 qui jamais sortît de ma tête, au prix de journées laborieuses et de nuits d’insomnies. Naganfaly. Va-t-en ! Sors d’ici et ne t’avise pas de revenir. Le griot (en souriant). De tous les combattants, les guerriers sont les plus partisans. Ils méprisent tous ceux qui ne se battent pas les armes à la main. Kèmè Birama (ironique). Un combattant, toi ? Le griot. Oui je me bats… Kèmè Birama. Contre qui ? Et avec quoi ? Le griot. Contre vous, et avec vous. Avec pour seules armes les mots. Un combat bien difficile, n’est-ce pas ? [(1) Fasa : louange.] (Une Si Belle Leçon de patience, p. 23-24) Cette métaphore filée, de la parole comme arme, est reprise tout au long de la scène, et fait écho, pour le spectateur, aux nombreux chants qui existent effectivement en l’honneur du personnage de Kèmè Bourèma976. Le griot explique le pouvoir du chant, face à des courtisans sceptiques qui l’ont pris à parti : Mais pourquoi changerais-je d’arme ? Une arme dont on ignore le maniement est aussi vaine qu’un serpent sans tête. Les mots ! Les mots de tous les jours ! des mots sans importance choisis par moi, ils deviennent plus durs que pierre, plus virulents qu’une flèche mise à fermenter dans l’anus d’une hyène morte. […] Le temps ne la [l’hymne de Kèmè Bouréma] chassera pas de la mémoire des hommes qui viendront après nous ! ils ne changeront pas un mot à cette chanson ! Ils sauront que l’émir du Ouassoulou a été secondé par un frère non moins valable. (Une si belle leçon de patience, p. 26-27) Massa Makan Diabaté joue de références partagées avec son public, qui reconnaît les louanges de Kèmè Bourèma, ce qui semble attester de la validité du propos du griot : cette célébration du jeune héros aurait réellement traversé le temps, puisque le spectateur 975 Maria-Benedita BASTO (dir.), Enjeux littéraires et construction d’espaces démocratiques en Afrique subsaharienne, op. cit., « comme lieu de production et production d’un lieu », et « l’existence d’un espace de liberté au sein des rapports de pouvoir », p. 6. 976 Nous en avons plusieurs dans notre corpus : l’hymne non chanté de l’Orchestre de la Garde Républicaine, daté de 1968, la louange de Balla et ses Baladins de 1971, la version de Sory Kandia Kouyaté en 1973, et celle de Djeli Cira Cissoko, El Hadj Keba Cissoko, et Fantoumata Kouyaté, de 1980. Les textes se trouvent en annexe, p. 637, 651-657, 670-672. 463 en a entendu des réactualisations radiophoniques977. Ce syllogisme se retrouve également dans la pièce de Cheik Aliou Ndao, dans Une hyène à jeun, à propos de ces mêmes louanges de Kèmè Bourèma978. De manière symétrique, c’est la voix du griot qui introduit la première apparition de Sarraounia dans le roman d’Abdoulaye Mamani : « Je t’aime parce que tu es mon amante de la nuit, J’ai peur de toi parce que tu es la grande magicienne Je te respecte parce que tu es ma reine Je t’adore parce que tu es mon seigneur Je te glorifie parce que tu es la plus forte Tu es l’œil et l’honneur des Aznas Douce Sarraounia aux griffes de fer Tu brises tes ennemis aussi sûr que La panthère brise les os de sa proie » Chaque sortie de Sarraounia est saluée par cette glorieuse mélopée. Gogué, l’amant-griot, sur sa viole monocorde, glorifie sa reine, son seigneur et sa maîtresse. (Mamani, Sarraounia, p. 12) La voix du chant précède l’entrée en scène de la reine, et le griot est chargé de rendre gloire à sa maîtresse. Cette même fonction, avec une variante, existe aussi dans le film de Med Hondo. En effet, le film se clôt sur un chant de louange à la figure de Sarraounia, qui se transforme vite en louange du griot à travers les âges : Que resterait-il des hauts faits et des exploits si nous n'avions pas nos musiciens Avec leurs riches mémoires et leurs chansons colorées ? Ils les font vivre à jamais. Quel exploit survivrait sans ces chansons ? Qui se souviendrait du courage de Sundiata Keita Sans jeli Jakuma son talentueux musicien et fidèle compagnon ? Qui se souviendrait du sacrifice suprême de Babemba Dans les ruines ensanglantées de Sikasso ? [...] Ils les immortalisent et les préservent en vie à travers les âges, Ô Sarraounia, Sarraounia979 ! Derrière ce personnage du griot se lit la figure de l’écrivain – de l’artiste – dont l’arme principale est le chant, décrit comme espace de liberté face au puissant, dans et depuis des champs de forces dont il ne maîtrise pas la portée. 977 Voir aussi les valorisations du rôle de la parole – et donc du chanteur, dans « Keme Bourema » de Sory Kandia Kouyaté : « Chaque jour n’est pas destiné à la parole, chaque jour n’est pas destiné à la guerre », et « Eh il y a le moment de dire la parole / Il y a le temps de dire la parole, il faut dire la parole à temps / Il y a le savoir-dire / Eh la parole, il y a une manière de te dire ». 978 Acte II, scènes 2 et 3, p. 69-74. 979 Cette traduction est une transcription des sous-titres. Le générique de fin est de Pierre Akendengue, qui a supervisé la bande originale du film (dont l’on retrouve des morceaux dans son album Carrefour Rio, Mélodie, 1999). 464 Pour une part courtisan, et le premier d’entre eux, le griot fonde son statut social sur la louange des puissants, et son statut de vassalité en dépend980. Et au sein de cet espace de parole, d’autre part, le griot peut aménager un espace de liberté, voire de subversion, qui lui confère la gloire et la renommée, aux côtés des héros qu’il chante, mais qui lui permet de s’opposer ponctuellement aux chefs, ce que les guerriers avec leurs seules armes, ne peuvent effectuer. Précisément parce que les chants des griots (chez Med Hondo, chez Abdoulaye Mamani, chez Cheik Aliou Ndao, chez Massa Makan Diabaté) est à plusieurs lectures, le langage leur offre un espace, à double tranchant, d’expression. Figures de passeur, en demi-teinte : les interprètes Le dernier aspect de cette capacité « exploratoire » de la fiction est la mise en scène de figures métaphoriques de l’écrivain : ces passeurs que sont les interprètes981. Ce sont des personnages hautement problématiques : ils incarnent à la fois un pont entre les cultures, ils sont des figures de savants, d’intelligence des situations et des relations humaines, mais aussi et surtout, ils sont ceux qui ont rendu la colonisation possible982, traduisant les ordres, imposant la soumission des chefs, et tirant parti de leur statut social983. Toujours soupçonnés d’être des Wangrin984, ils sont pleinement agents et 980 Pour le Niger, voir le statut des jasare zarma : Sandra BORNAND, Le Discours du griot généalogiste chez les Zarma du Niger, op. cit., p. 159-227. 981 Une autre très belle figure de passeur serait celle du bâtisseur, qui n’apparaît néanmoins que chez Yvonne Vera, c’est pourquoi nous ne la présentons qu’en note. Au début de Nehanda, en effet, plusieurs paragraphes sont consacrés à la construction de la maison de Mother (p. 15-16), et le travail des hommes est décrit avec une grande minutie, dans une collaboration harmonieuse avec la nature, et le groupe des femmes. La terre battue devant être sans cesse réaménagée, reconstruite, ce travail d’élaboration du foyer, pour faire du commun, par un collectif, et devant être toujours l’objet d’une attention constante à sa reconstruction, nous semble une très belle métaphore du « nous » (Rémi ASTRUC, Nous ? L’aspiration à la communauté et les arts, Versailles, Apphi, 2015), et de cet espace commun qu’est le récit, l’élaboration narrative. 982 Sur ce double statut, Benjamin N. LAWRANCE, Emily Lynn OSBORN, Richard L. ROBERTS, Intermediaries, Interpreters, and Clerks : African Employees in the Making of Colonial Africa, op. cit. Pour le volet linguistique de ces rapports de domination et de savoir, voir Cécile VAN DEN AVENNE, « De la bouche même des indigènes ». Le statut de l’informateur dans les premières descriptions de langes africaines à l’époque coloniale [en ligne], Linguistiques et colonialismes, vol. 20, Glottopol. Revue de sociolinguistique en ligne, 2012, disponible sur <http://www.univrouen.fr/dyalang/glottopol/telecharger/numero_20/gpl20_08vandenavenne.pdf>, (consulté le 11 mai 2016). 983 Jacques FRÉMEAUX, L’Afrique à l’ombre des épées, 1830-1939. Officiers administrateurs et troupes coloniales, tomes 2 et 3, Paris, Service historique de l’Armée de terre, 1993, p. 10-11, et p. 110 sur la question de la langue, de l’informateur et des critiques faites du « jeu personnel » des interprètes. 984 Amadou Hampaté B L’Étrange destin de Wangrin ou, Les roueries d’un interprète africain, Paris, Union générale d’éditions, 2012 (1973), voir notamment la scène de son engagement comme interprète, p. 32-37. Cette mention de l’interprète qui précédait Wangrin est significative : « D’une manière générale, le commandant n’avait pas de secret pour lui. Il était le témoin privé et l’assistant permanent », p. 32. 465 auxiliaires de la colonisation, à l’instar des tirailleurs985 : le personnage de l’interprète Coulibaly accompagne chez Abdoulaye Mamani le capitaine Voulet, et il en est le premier exécutant986. Et pourtant, comme chez Ahmadou Kourouma, ces collaborateurs sont également du côté des opprimés : ainsi de Moussa Soumaré, dont le double jeu rhétorique permet à Djigui de conserver son trône987. Sembène Ousmane inverse ce lieu-commun, en adoptant cette fois la perspective de l’interprète du camp de Samori, envoyé chez les Français pour traiter avec les « Oreilles Rouges ». Ce personnage, nommé Tassili, occupe un très beau rôle, qui donne la réplique à Nebout, dans une perspective résolument socialiste : Les administrateurs Nebout, Le Filliatre à Dabakala. Tassili est un interprète qui parle parfaitement le français, qui a été à l’école des otages, et qui a voyagé avec Dyaulen988. Le Filliatre : Monsieur, vous vous exprimez bien dans notre langue. Nebout : L’esclavage est supprimé. Dans vos fonctions de conseiller de Samory, vous êtes un homme libre, n’est-ce pas ? Tassili : Nous sommes libres. Plus libres que les ouvriers de vos manufactures. Capable de dialoguer avec les deux camps, Tassili a bénéficié – dans le récit de Sembène – d’une éducation à l’européenne, et aurait participé au voyage à Bordeaux et à Paris, dans l’entourage de Karamoko. Cette double expérience lui fournit un rôle d’arbitre entre les deux cultures, et Sembène se plaît à souligner que l’esclavage, dont l’abolition a été l’un des arguments de la mission civilisatrice989, a un pendant occidental : celui de la lutte des classes. Cette relecture socialiste de la question de l’esclavage, transposée et inversée sur le territoire de l’oppresseur, pour lui retourner ses propres arguments est à la 985 Dabitch et Dumontheuil décrivent ainsi les motivations du jeune tirailleur, destinataire du narrateur : « Je ne voulais pas quitter les miens, mais les fusils étaient beaux et les costumes aussi », tome 1, p. 34. Sur le même modèle que l’enrôlement de Bardamu, Louis-Ferdinand CÉLINE, Voyage au bout de la nuit : suivi de Mort à crédit, Paris, Gallimard, 1932 (1962), fasciné par les costumes et la belle musique militaire. 986 L’épisode avec l’interprète Coulibaly, p. 83-88. 987 Monnè, p. 37 : « Je suis ton frère de plaisanterie, donc je te connais. Comme tous les Keita tu es un fanfaron irréaliste. Je n’ai pas traduit un traître mot de tes rodomontades ». 988 C’est-à-dire Karamoko, le jeune fils de Samori. Cela ne correspond pas au récit qu’en fait Albert NEBOUT, « Vingt et un jours chez Samori », Journal des voyages, Paris, sect. 150 ; 151 ; 152, 1899, p. 306‑308 ; 326‑327 ; 343‑345. 989 Et Maurice Delafosse sera chargé, entre autres, d’appliquer ces mesures contestées, notamment pour l’esclavage de case. 466 fois ironique et très fin. Inverser le regard990, en soulignant les inégalités de classes et les conditions salariales en Europe, permet à Tassili d’opérer dans la fiction un retournement. Cette présence, discrète mais régulière, des interprètes dans notre corpus, comme figures de passeurs, tout aussi ambivalents que le langage qu’ils manient, a un correspondant dans les archives coloniales. Le Coulibaly de la fiction de Mamani correspond au Courbaly, dont la trace a été conservée dans les rapports d’enquête de la Direction des Affaires Militaires, sur la mort de Klobb. La parole des « indigènes » est précieuse autant que rare, et certaines pièces d’archives offrent d’étonnants échos avec les textes de notre corpus. Ainsi, la déposition du Sergent Demba Sar991 décrit le trajet de l’interprète, au moment où les tirailleurs se révoltent contre Voulet et Chanoine : [Les tirailleurs gradés] se mirent tous d’accord pour que, aussitôt la soupe sonnée, chaque sergent sorte avec sa section du camp et se porte sur les dunes. Lorsque la soupe fut sonnée, chaque sergent sortit avec sa section et les canonniers avec la pièce. Quand Mamadou Coulibaly s’aperçut que les tirailleurs étaient tous sortis du camp, il prévint le Capitaine. À ces paroles, les Capitaines sortirent et le Capitaine Chanoine fut le premier, qui monta à cheval en prenant son révolver à la main, il galopa sur les tirailleurs, leur cria, mais les tirailleurs achevèrent de monter sur les dunes. En s’approchant, il tira quatre coups de révolver et blessa un tirailleur au bras, il ne peut pas monter sur la dune par le chemin suivi par les tirailleurs, il fut obligé de faire un détour. C’est alors que les tirailleurs envoyèrent un feu de salve. Chanoine et son cheval tombèrent. Le Capitaine Voulet de son côté sortit du village pour rejoindre les tirailleurs. On lui envoya un feu de salve, alors il se dirigea dans la brousse avec trois spahis auxiliaires et l’interprète. Voulet resta dans la brousse avec un spahi et la femme du Capitaine Chanoine. L’interprète avec les deux autres spahis sont retournés et rentraient au village. Ce témoignage, d’une très grande intensité, fait état de la double affiliation de l’interprète, décrit d’abord comme un double de l’officier français, qui s’échappe avec lui du village, mais qui, finalement, l’abandonne pour réintégrer sa section, aux côtés de tous les autres tirailleurs. Ce parcours, au plus près des officiers français, signifie bien la place stratégique de l’interprète, et rappelle une évidence : la colonisation s’est effectuée sur fond d’incompréhension linguistique, par éclats rares de compréhension. La mort de 990 Sur le même principe que le film de Jean RENOIR, Sur un air de Charleston, 1927, disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=n3ap6haM0ds, consulté le 8 juin 2016, qui raconte l’arrivée d’un explorateur d’Afrique Centrale dans un Paris en plein cœur des terra incognita, en 2028, en inversant tous les clichés racistes d’époque, et en invitant à un décentrement. 991 SOM, DAM 16. Enquête de la Mission Afrique Centrale. 2e partie. Déposition des témoins indigènes. Déposition du Sergent Demba Sar. Nous reproduisons en annexe, p. 712-715 de plus larges extraits de cette déposition qui nous semble particulièrement intéressante. Ce dossier de la Direction des Affaires Militaires n’apparaît pas, de manière étonnante, dans la monographie de Muriel MATHIEU, La Mission Afrique centrale, op. cit., ni dans celle de Bertrand TAITHE, The Killer Trail. A Colonial Scandal in the Heart of Africa op. cit. C’est pourtant un dossier capital pour la reconstruction des évènements. 467 Voulet, revisitée par la fiction992, a suscité de nombreuses légendes, d’autant que son corps n’aurait pas été retrouvé 993 . La question du dernier dialogue, marqué par l’incompréhension, et l’altérité linguistique se retrouve aussi pour la mort de Chanoine. Une déposition d’un tirailleur, prise le 18 mars 1901, soulève cette question avec une grande portée dramatique994 : Réponse. […] Le Capitaine Chanoine est sorti à cheval en même temps que le Capitaine Voulet. Il s’est dirigé vers nous pour nous demander pardon ce que nous n’avons pas voulu admettre, nous avons tiré sur lui et il est tombé. Demande. Comment savez-vous que le Capitaine Chanoine vous a demandé pardon ? Réponse. En se dirigeant sur nous à cheval, j’ai entendu que le Capitaine Chanoine disait « Tirailleurs pardon, tirailleurs pardon ». Je comprends bien la signification du mot pardon. Ici dans cette scène sans interprète, c’est un éclat de compréhension qui apparaît, mais dont le tirailleur nie la véracité. Équivoques, doubles, suspectes autant que respectées et craintes, les figures d’interprètes, caractérisées par l’entredeux nous semblent offrir une riche nuance à la figure du griot, chantre positif de la langue, et expert du maniement de la langue. C’est ici une vision bien plus trouble du récit, de la mise en scène, et du pouvoir des mots qui est montrée, en offrant une autre interprétation de la charge symbolique du passage d’une langue à l’autre995. Nous avons décrit plusieurs aspects de la pensée des textes et des facultés exploratoires de la fiction pour penser la crise. Nous voudrions, pour finir, montrer comment se déploie cette pensée autour de nos figures, en proposant une comparaison avec une série d’autres figures connexes, mineures, voire ratées. 992 Dabitch et Dumontheuil, tome 2, p. 83-84 ; Rolland, p. 252-254. L’onomastique est très intéressante ; la bande dessinée prend en effet come héros principal Souley Traoré, du nom de l’un des gradés ayant organisé la rébellion (Soulé Taraoré dans les archives). 993 Voir dans le film de Moati le plan large où Voulet s’enfonce dans la brousse (voir en annexe le plan, p. 796), en conquérant, avec des accents très conradiens (Joseph CONRAD, Heart of Darkness, Charlottesville, University of Virginia Library, 1899 [1996]). 994 SOM, DAM 16. Enquête de la Mission Afrique Centrale. 2e partie. Déposition des témoins indigènes. Déposition de Tiamoro. Voir également en annexe des portions plus longues de cette déposition, p. 712715. 995 À cet égard, la notion d’« appropriation » de la langue de l’autre, problématique dans ses prolongements, est discutée par Myriam SUCHET, L’Imaginaire hétérolingue : Ce que nous apprennent les textes à la croisée des langues, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 43-51. 468 3. CONTREPOINT : FIGURES RATÉES, COMPAGNONS DE ROUTE, HÉROS MINEURS Quels avantages ont nos figures par rapport à d’autres, qui n’auraient pas émergées ? Existe-t-il des héros ratés996 qui permettraient de faire la comparaison ? Comment les retrouver ? S’il a déjà été difficile de retrouver des traces de nos figures dans les archives coloniales, dans les mémoires et les récits qu’ils soient publiés ou conservés dans des archives privées, dans la presse ou sur internet, il est a fortiori encore plus compliqué de retrouver la trace de héros ratés. Plus largement, comment jauger de la réussite narrative d’un personnage ? Par la pratique du contrepoint 997 , qui pourrait s’apparenter à une parenthèse, nous voudrions analyser le cas de figures, si ce n’est oubliées998 – ce qui semble une impasse si elles n’ont pas généré de récits – du moins mineures, en termes de densité narrative, pour mieux dégager les spécificités des figures de notre corpus. Pour ce faire, nous sommes repartie des premières sources : des archives coloniales999, et plus précisément, de la première attestation de la soumission de Nehanda, que nous avons retrouvée dans les National Archives à Londres. Quatre figures de résistance shona Lorsqu’en 1896, ce câblogramme de la BSAC arrive au bureau du Secrétaire d’État aux Colonies, à Londres, Nehanda n’est qu’un nom parmi une liste de rebelles : 996 Comme au Cameroun, où l’héroïsation anticoloniale n’a pas fonctionné selon Andréas ECKERT, « Mémoires anticolonialistes au Cameroun. La recherche vaine de “héros nationaux” », in Histoire d’Afrique. Les enjeux de mémoire, Paris, Karthala, 2010, p. 473‑487. Cette politique de création mémorielle, imposée par l’État, que nous avons décrite plus haut, a également été décrite pas ses « ratés » : Norma J. KRIGER, « The Politics of Creating National Heroes!: The Search for Political Legitimacy and National Identity », in Soldiers in Zimbabwe’s Liberation War, Harare, UZ Publications; James Currey, 1995, p. 139‑162. 997 Ce que Pierre VINCLAIR, De l’épopée et du roman : essai d’énergétique comparée, op. cit. pratique de manière systématique, à la fin de chacune de ses parties, de manière extrêmement convaincante (« Épopées inachevées, romans à thèse » p. 83-119 ; « Réussite et échec de l’effort à l’œuvre » p. 197-229 ; « Connotation et performance » p. 327-345). 998 L’oubli – l’amnésie – pouvant très bien être l’une des modalités de gestion de l’histoire collective, par ailleurs : Susanne BUCKLEY-ZISTEL, « Remembering to Forget : Chosen Amnesia as a Strategy for Local Coexistence in Post-genocide Rwanda », Africa-London-International African Institute, 76 (2006/2). 999 Cherchant en cela l’infâme, au sens littéral : Michel FOUCAULT, Collectif Maurice Florence Archives de l’infamie, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009 (qui accorde une grande place à la photographie, ce qui nous fut impossible pour cette section de notre travail. Voir néanmoins en annexe notre travail sur les photographies coloniales et les circulations des images coloniales sur nos trois figures, p. 716-822). 469 Communicate the following to Secretary of State for Colonies: After several days negotiations with rebels, Mr Rhodes, Dr Sauer and Mr J.W. Colenbrander went at the risk of their lives yesterday (and) rode unattended into heart of rebel stronghold, five miles (into) Matoppos and thirty miles East of Bulawayo, (they) held four hours inadaba1000 with following Chiefs: Somabulanka, Mlugulu, Sikhombo, Dhlism, Gunu, Manyoba, Mabevu, Sikhota, Nyanda, Bidi and thirty four heads of towns and Majacas, all representing districts and military towns; results, war is over; terms of settlement not yet known, but practically amount to unconditional surrender. Message ends. [À communiquer au Secrétaire d’État aux Colonies : Après plusieurs jours de négociations avec rebelles, Mr Rhodes, Dr Sauer et Mr J.W. Colenbrander sont allés hier au risque de leur vie (et) ont pénétré au cœur d’un bastion rebelle, à cinq miles (dans) les Matoppos et à trente miles à l’Est de Bulawayo, (ils) ont conduit pendant quatre heures les soumissions des Chefs suivants : Somabulanka, Mlugulu, Sikhombo, Dhlism, Gunu, Manyoba, Mabevu, Sikhota, Nyanda, Bidi et trente quatre chefs de villes et Majacas, tous représentants des districts et des villes fortifiées ; en conséquence, la guerre est finie ; les termes de l’accord pas encore connus, mais relèvent pratiquement d’une reddition inconditionnelle. Stop1001 .] Au demeurant, Nehanda n’est pas la priorité ni de la BSAC ni de la Couronne britannique, puisque ce n’est pas son nom qui a été souligné en rouge dans la copie conservée aux National Archives de Londres, mais ceux de Somabulanka et Dhlism, deux autres chefs shona aujourd’hui quasiment tombés dans l’oubli. Non seulement dans ce qui est dit, mais aussi dans les signes graphiques qui entourent le texte d’archive (les traits au crayon gras des archivistes et membres du Colonial Office britannique), il est évident que Nehanda est une figure mineure en 1896. Comment expliquer que ce soit elle, précisément, qui ait émergé pour devenir l’héroïne louée d’une grande partie des chants révolutionnaires zimbabwéens ? Et inversement, qu’a donc Somabulanka pour être un héros « raté », oublié de l’histoire, mais surtout et sans doute plus important, pour n’être pas narratif ? Il ne s’agit pas de porter des jugements de valeurs hâtifs sur telle ou telle figure, mais de pouvoir comparer l’émergence d’une héroïne, à l’intérieur d’un champ d’autres héros potentiels, qui pourtant n’ont pas réussi leur « carrière » narrative, pourraiton dire, à l’intérieur de l’espace des possibles (textuels1002). C’est alors un travail de comparaison avec des héros oubliés – à l’instar de Somabulanka – qu’il s’agit de dresser, pour mieux faire ressurgir, en creux, ce qui permet à Nehanda d’être plus attractive que 1000 Nous postulons « indaba », traduit habituellement par « chief » dans l’anglais colonial du XIXe siècle. National Archives, Londres, CO 417/197 South Africa Company, 1896. 1002 Pour une analyse de la notion de « possible textuel », et un prolongement littéraire de la réflexion de Bourdieu sur le champ, voir Marielle MACÉ, « !"La valeur a goût de temps", Bourdieu historien des possibles littéraires », art. cit. 1001 470 les autres noms de cette liste. Or, le propre des héros sombrés dans l’oubli, c’est précisément, qu’ils n’ont pas généré de textes. Dès lors, recréer une espace des possibles textuels en 1896 entre Salisbury et Bulawayo, c’est interroger des listes de noms, tous porteurs de récits, en puissance, comme celle de ce câblogramme de la BSAC. Aux côtés de ces héros ratés, au sens où ils n’ont pas du tout véhiculé de récits, figurent de nombreux autres héros, de taille moindre que Nehanda, mais d’allure similaire : ils ont généré des récits, ils sont cités dans les chants de la Chimurenga, de grands intellectuels s’attachent à écrire leur histoire, mais ils ont peut-être une densité moindre que peut l’avoir Nehanda, en étant moins fascinants par exemple, ou moins immédiatement rattachables à l’actualité 1003 : ce sont des figures voisines, des compagnons de route, mais qui fonctionnent comme en sourdine par rapport à nos figures, sur un mode mineur. Nous pensons, autour de Nehanda, à Kaguvi, le médium qui l’accompagnait sur la photographie de sa capture, mais aussi à Lobengula, bien plus régulièrement cité dans les archives coloniales, et qui a constitué un opposant craint et respecté par les Britanniques, ou encore Kadungure Mapondera, opposant pendant près de vingt ans à la BSAC. D’autres héros, comme Chaminuka1004, pourraient être convoqués ici, mais par souci de concision de l’argumentaire, et pour ne pas amplifier démesurément cette parenthèse, nous ne nous concentrons que sur ces trois autres figures, qui ont l’avantage de fonctionner en gradation entre elles, de l’oubli complet avec Somabulanka, jusqu’à la reconnaissance tardive avec Chaminuka. Kaguvi correspond tout à fait au modèle du « compagnon de route », de l’adjuvant, ou plutôt du double du héros fonctionnant sur un mode mineur : toujours à sa suite, présent dans l’iconographie aux côtés de Nehanda, loué dans les chants au même titre qu’elle1005, il lui est pourtant toujours affilié, ne venant qu’en second lieu. Sa longue 1003 Les héros que nous évoquons ici, ne font pas l’objet de réappropriations populaires aussi vives que pour l’épisode de l’« arbre de Nehanda », par exemple. Voir supra. 1004 Sur Chaminuka néanmoins, nous renvoyons à la notice biographique présentée dans Steven C. RUBERT, R. Kent RASMUSSEN, Historical Dictionary of Zimbabwe, op. cit., p. 52-53. Pour les récits le concernant ou le mentionnant, voir NADA, 1926, F. W .T. POSSELT, Native Commissioner, « Chaminuka the wizard », p. 35-38 ; R. C. WOLLACOTT, « Pasipamire – Spirit Medium of Chaminuka the « Wizard » of Chitungwiza », NADA, 1975, p. 154-167. Voir en public jeunesse, Margaret H. TREDGOLD, The First Ones. Nehanda and Chaminuka, op. cit. La réécriture la plus réussie est sans doute Stanlake John Thompson SAMKANGE, Year of the Uprising, op. cit. (voir notamment la scène de possession p. 49 et suivantes). 1005 Pour des attestations de ce couple Nehanda-Kaguvi dans les chansons, voir Kathy BOND-STEWART, Leocardia Chimbandi MUDIMU, Young Women in the Liberation Struggle : Stories and Poems from Zimbabwe, op. cit., « The First Struggle » p. 2, poème de Winnie Chinoi, p. 39 ; Martha LANE, « The Blood that Made the Body Go », op. cit., « Maruza Vapambepfumi » p. 648-649, « Vana Baba Naama Mai » p. 717. 471 silhouette entravée constituait pourtant l’illustration de première de couverture de Revolt in Southern Rhodesia1006, qui a contribué à rendre célèbre Nehanda. Pourquoi n’a-t-il donc pas supplanté son alter-ego féminin? La mise en scène de Kaguvi, dans son rapport avec Nehanda, est traitée de manière paradigmatique par Yvonne Vera, et l’étude précise de la fin du roman nous apporte des éléments de réponse intéressants sur cette hégémonie de Nehanda. Le personnage de Kaguvi est certes présent dans de nombreux chapitres, mais le roman s’intitule toutefois Nehanda, et non pas Nehanda et Kaguvi. Pourquoi ? Yvonne Vera en fait le plus zélé des disciples de Nehanda, c’est d’ailleurs comme auditeur de ses discours qu’il apparaît la première fois dans le roman : When she has left, the horn-blower emerges again out of the crowd. His name is Kaguvi. (Vera, Nehanda, p. 56) [Quand elle fut partie, le joueur de corne émerge à nouveau de la foule. Son nom est Kaguvi] Cette entrée théâtralisée par l’attente de son identité, avec l’information repoussée à la fin du paragraphe, dans une phrase courte, est reconduite dans le chapitre suivant : A small wind climbs the hill and meets her [Nehanda] on her descent, but she does not turn away from it. On the hills she has traversed with the message of her cry, another wind rises, loud and captivating: the hunter Kaguvi. (Vera, Nehanda, p. 58) [Un vent léger se lève sur la colline et il la [Nehanda] rencontre à sa redescente, mais elle ne se détourne pas de lui. Sur les montagnes qu’elle a traversées avec le message de son cri, un autre vent se lève, profond et captivant : le chasseur Kaguvi.] La métaphore filée, qui court tout au long du roman, du vent de la révolte se levant sur les montagnes, est ici dédoublée pour faire apparaître, de manière atténuée, la voix de Kaguvi, qui n’est toutefois qu’une copie (« another »), dupliquée, de celle de Nehanda. Trois chapitres lui sont entièrement consacrés1007 : il y est dépeint par Yvonne Vera comme l’auditeur, passif, de la harangue de Nehanda d’abord, puis comme son allié dans la lutte contres les colons, mais surtout comme son épigone – celui qui tire sa force de son enseignement et de sa voix, ce qui est exposé dans cet extrait au sens littéral de l’expression : Voir aussi ce même couple, dans la prose coloniale : Rev. A. BURBRIDGE, « In Spirit-Bound Rhodesia », NADA, 1924, p. 17 (« Neanda and Kagubi… ») ; W. EDWARDS, « Wiri », NADA 1962, « III. The Rebellion », p. 21-24 (« The Mondoro or Mwari was not god of war, but a new priest or mouth-piece come upon the scene in Kagubi, alias Gumboreshumba. Kagubi was a ventriloquist » p. 23), « Neyanda and Kagubi » p. 24. Pour le point de vue inverse : Lawrence VAMBE, An Ill-Fated People : Zimbabwe Before and After Rhodes, op. cit., p. 136-137. 1006 T.O. RANGER, Revolt in Southern Rhodesia, 1896-97 : A Study in African Resistance, op. cit. 1007 Chapitre 16, p. 58-61, chapitres 22 et 23, p. 82-89. (Vera, Nehanda) 472 The rebellion gathers its own strength. When he closes his eyes, the voice of Nehanda comes to Kaguvi. The voices give him strength, and he works with it towards achieving the goal of the rebellion. Drummers and runners cross the forest from village to village, spinning a web that will envelop and destroy. Kaguvi waves his staff across the faces of the people and speaks with a reverberating dreamlike voice, and they listen, chanting. (Vera, Nehanda, p. 60-61) [La rébellion rassemble ses forces. Lorsqu’il ferme les yeux, la voix de Nehanda parvient à Kaguvi. La voix lui donne de la force, et il s’attèle avec elle à mettre en œuvre les objectifs de la rébellion. Des batteurs et des messagers parcourent la forêt de village en village, tissant une toile qui bientôt enveloppera et détruira. Kaguvi agite son bâton au-dessus des visages des villageois et parle d’une profonde voix prophétique, et ils l’écoutent, psalmodiant une mélopée.] Ce beau passage associe la voix au courant de la rébellion, en empruntant un champ de connotations connexe à celui du vent. Kaguvi est parlé par Nehanda comme celle-ci est parlée, elle-même, par un esprit. Cet emboîtement de voix est une relecture de l’écrivaine, puisque Kaguvi est également le nom d’un esprit, (ou mhondoro1008), le nom du médium étant Gumporeshumba1009. Or ici, c’est le personnage Nehanda qui semble parler à travers Kaguvi. Plus signifiant encore, dans le roman, qui retranscrit alors des faits réels, Kaguvi finit par être converti, pour des raisons laissées mystérieuses, au christianisme, reniant ainsi la religion shona1010. C’est certainement pour cela précisément que Kaguvi ne peut être qu’un éternel second, en termes de narration : il se convertit avant d’être pendu aux côtés de Nehanda. Il est doublement perdant en quelque sorte puisqu’il abjure sa religion, en embrassant celle des vainqueurs, tout en n’étant pas grâcié pour autant : il est, malheureusement pour lui, mis à mort, tout comme Nehanda. Tandis que les mémoires de Nehanda peuvent tirer parti de cet attachement à la culture, à la terre, à la religion, et aux valeurs shona, celles de Kaguvi sont comme téléologiquement conduites par son reniement final, par ailleurs rendu avec poésie par Yvonne Vera, dans 1008 Pour une courte notice biographique, et des précisions sur les « lion spirits », voir Steven C. RUBERT, R. Kent RASMUSSEN, Historical Dictionary of Zimbabwe, op. cit., p. 147. Pour de plus amples renseignements, voir T.O. RANGER, Revolt in Southern Rhodesia, 1896-97 : A Study in African Resistance, op. cit., notamment, p. 369-373, et la photographie de Kaguvi p. 372. 1009 Yvonne Vera fait référence au nom du médium à deux reprises dans le roman, p. 59 (« « My name is Gumboreshumba ! » he shouted. « My name is Leg-of-the-lion ! » »), et de manière semi-cryptée puis littérale, lorsque Kaguvi imagine, tel Saint Jérôme, un lion dans sa cellule, ce qui tout en étant peut-être une réécriture évangélique, est en tout état de cause la personnification de son nom de guerre au moment précis où il vient d’être converti par un missionnaire, p. 88-89 (« Kaguvi dare not look at the lion which is now crouched at the opposite side of the room, its mane raised angrily until its brown and yellow hairs touch the roof. The lion crouches, ready to attack him. He hears a distant chant call his praise name « Gumboreshumba… Gumboreshumba… ». But there is no promise there to save him, only a wild echo that has been sent to taunt him. Kaguvi curses and turns his back away from the hall »). 1010 Vera, Nehanda, p. 85-88. 473 un dialogue imaginaire avec un lion, symbole de son nom shona qui lui reproche d’être parjure1011. Lobengula est un cas différent : roi du Matabeleland depuis les années 1860, il se révolte contre la BSAC trois avant que n’éclatent les révoltes du Mashonaland. Lésé par un contrat qu’il n’arrive pas à faire annuler (la Rudd Concession, signée en octobre 1888), et ce malgré la lettre écrite à la reine Victoria, il prend les armes contre les envoyés de Cecil Rhodes et de son associé L. S. Jameson en 1893. Les Ndebele, par un préjugé racial à la vie longue, étaient considérés par les Britanniques comme de redoutables guerriers, farouches et sanguinaires – tandis que les Shona étaient supposés être lascifs. Rendue tragique par ces jugements de race, la guerre des Ndebele (connue sous le nom de « Ndebele War », tandis que celle des Shona, trois ans plus tard, ne sera qualifiée que de « révolte » : « Mashona risings ») fut suivie et largement documentée en Grande Bretagne et dans la colonie du Cap1012. Dès novembre 1893, Bulawayo brûle, Lobengula est en fuite, les Britanniques ont « pacifié » la région. Fuyant vers l’actuelle Zambie, les circonstances de sa mort restent néanmoins mystérieuses, elle eut lieu probablement en février 1894, mais l’emplacement de sa tombe fait encore débat aujourd’hui. Rhodes avait veillé à ce que trois des fils de Lobengula soient envoyés en Afrique du Sud afin d’y être éduqués, s’assurant ainsi que la dynastie soit neutralisée, mais un autre de ses fils jouera un rôle important dans les révoltes shona et ndebele de 1896. Davantage référencé que Nehanda pendant la période coloniale, Lobengula fait l’objet de récits remarqués : The Downfall of Lobengula, dès 18941013, est richement illustré ; Baden Powell, pour sa part, le cite abondamment dans son ouvrage The Matabele Campaign, paru en 1897 1014 . Sans multiplier les exemples, signalons simplement qu’en termes narratifs Lobengula a contre lui le fait, précisément, d’être ndebele, pourrait-on dire. Dans la mythologie pro-shona que le ZANU entend créer, il ne serait pas de bon ton de rappeler que l’un des premiers résistants est en réalité ndebele. Deuxième facteur fonctionnant comme un handicap dans le récit : le fait qu’il a bel et 1011 Vera, Nehanda, p. 88-89, cité plus haut. Elsa Goodwin GREEN, Raiders and Rebels in South Africa, op. cit., mentionne Lobengula bien plus que Nehanda, voir par exemple p. 43. 1013 W. A. WILLS, L. T. COLLINGRIDGE, The Downfall of Lobengula. Fasimile of the 1894 edition, Bulawayo, Rhodesiana Reprint Library, 1971 [1894]. 1014 Robert Stephenson Smyth BADEN-POWELL OF GILWELL, The Matabele Campaign, 1896. Being A Narrative of the Campaign in Suppressing the Native Rising in Matabeleland and Mashonaland, (rééd.) Westport, Negro Universities Press, 1970 [1897]. Disponible en ligne sur le site « The Dump », de Scoutscan.com, dérivé de la célèbre organisation des Scouts que l’auteur avait instituée (consulté le 19 avril 2016). 1012 474 bien signé une charte avec Rudd, et qu’il aurait donc, en un certain sens, et en prenant toutes les précautions oratoires concernant ces traités traduits tout à fait sommairement par les interprètes au moment de leurs signatures, pactisé avec l’ennemi. Or, Nehanda a l’avantage d’être shona, de n’avoir jamais signé aucun traité. Ce seraient donc pour une double raison ethnique et d’histoire diplomatique que Lobengula aurait été moins référencé après la Seconde Guerre mondiale, tandis que la trajectoire de Nehanda a fonctionné de manière diamétralement inverse : quasi-inexistante durant les premières années de la colonisation et dans l’entre-deux-guerres, mais en revanche très vivante après l’UDI (1965). Enfin, Mapondera est celui qui a suscité le plus grand nombre de réécritures, et il est certainement celui qui s’apparente le plus à Nehanda, en terme d’usages et de pratiques narratives : non pas héros raté donc, mais figure mineure, dont la comparaison avec Nehanda nous semble particulièrement fructueuse. D’étonnantes similitudes apparaissent lorsque nous établissons une concordance des réécritures : en premier lieu, l’écrivain Solomon Mutswairo écrit un court roman sur Mapondera1015 tout comme il avait auparavant écrit sur Nehanda, et en second lieu, un grand historien du monde shona, David Beach, rédige une monographie sur le résistant 1016 , de manière exactement symétrique à l’étude Revolt in Southern Rhodesia1017 de Terence Ranger, qui avait rendus célèbres les médiums Nehanda et Kaguvi, tout en leur conférant une dignité historiographique. Or, la chronologie ne concorde pas : Mapondera, Soldier of Zimbabwe ne paraît qu’en 1978, tandis que Feso était rédigé en 1957. De la même manière, David Beach ne fait paraître Mapondera qu’en 1989, tandis que l’essai de Terence Ranger date de 1967. Les intellectuels s’emparent de Mapondera plus tardivement que de Nehanda. Pourtant, ce personnage est à bien des égards fascinant : né dans les années 18401018 dans la vallée de la Mazoe, il s’oppose aux Britanniques dès 1894 en refusant la hut tax, et en fuyant vers le Mozambique. C’est dans cette terre d’accueil qu’il aidera ses hôtes, les Makombe, à lutter contre les Portugais : il n’est donc pas présent au Zimbabwe lors des Mashona Risings. Il livre bataille aux Britanniques en 1901, à Mount Darwin, lorsqu’il retourne sur ses terres, et il continue à vivre de raids avant de se rendre en 1903. 1015 Solomon M. MUTSWAIRO, Mapondera, Soldier of Zimbabwe, Washington, Three Continents Press, 1978. 1016 D. N. BEACH, Mapondera. Heroism and History in Northern Zimbabwe, 1840-1904, Gweru, Mambo Press, 1989. Notons que la couverture imite l’iconographie de Revolt in Southern Rhodesia, op. cit. 1017 T.O. RANGER, Revolt in Southern Rhodesia, 1896-97 : A Study in African Resistance, op. cit. 1018 Pour une notice plus succincte, voir Steven C. RUBERT, R. Kent RASMUSSEN, Historical Dictionary of Zimbabwe, op. cit., p. 187. 475 Combattant près de vingt ans les colonisateurs, qu’ils soient Portugais au Mozambique ou Britanniques au Zimbabwe, Mapondera a été victime d’un découpage de frontières coloniales qui ne lui rend pas justice – et nous avons là la preuve éclatante que les frontières coloniales eurent une influence directe sur la partition des mémoires anticoloniales : c’est bien parce qu’il n’était pas en Rhodésie (Zimbabwe) en 1896 que sa mémoire a mis plus de temps à être réinvestie par les intellectuels zimbabwéens. Étonnamment gracié par l’administration coloniale, il finit ses jours en prison en 1904. David Beach raconte à ce propos cette très instructive anecdote, qui mérite d’être comparée au déroulement du procès de Nehanda1019 : In the event, the varungu [colons] did not execute Maponder. At his trial, though he and his following told some imaginative lies to avoid the death sentence that seemed inevitable, it turned out that after more than forty years of raiding not enough evidence could be brought forward to show that he personally had committed or ordered a killing. Under the law of the varungu he could not be executed, and he was sentenced to seven years of imprisonment, which as the judge pointed out was very nearly the same thing as a death sentence for a man of his age. His death was as contradictory as his birth: having been nearly starving at his surrender, he put on weight during his remand. He seemed to treat the trial with “a degree of levity” and danced at his sentencing. Seven weeks later, he died in the prison hospital. [À cette occasion, les varungu [colons] n’ont pas exécuté Mapondera. À son procès, tandis que lui et ses proches racontèrent d’ingénieuses fables afin d’éviter la peine capitale qui semblait pourtant inéluctable, il s’avéra qu’après plus de quarante ans de raids, aucune preuve ne pouvait être déposée qu’il ait jamais personnellement commis ou commandité un meurtre. Il ne pouvait être exécuté sous la loi des varungu, et il fut condamné à sept ans d’emprisonnement, ce qui, pour un homme de son âge, était similaire à une peine capitale, comme le fit remarquer le juge. Sa mort fut tout aussi paradoxale que sa naissance : presque mort de faim lors de sa reddition, il prit du poids durant sa détention. Il sembla considérer son procès avec un « certain degré de légèreté » et il dansa lors de la proclamation de sa sentence. Sept semaines plus tard, il mourait dans l’hôpital de la prison] Contrairement à Nehanda et Kaguvi, Mapondera échappe à la peine capitale, danse à son procès : en un haut mot, il nargue ses bourreaux, mais échappe par là même à une mort en martyr. Sa mort ne peut donc acquérir la portée politique ou idéologique que les cadres du ZANU confèreront à celle de Nehanda. Somabulanka l’oublié, Kaguvi le compagnon de route, Lobengula le collaborateur, Mapondera le combattant de l’ombre : ce sont quatre personnages de résistants, quatre profils différents qui dessinent une gradation de l’oubli à la figure, et qui gravitent autour de celle de Nehanda. 1019 D. N. BEACH, Mapondera. Heroism and History in Northern Zimbabwe, 1840-1904, op. cit., p. 55. 476 Ces quatre types de configurations héroïques nous semblent à même de balayer un large spectre de personnages secondaires existants, et ils permettent d’analyser d’autres personnages secondaires, ou du moins mineurs, des deux autres régions d’étude. Aussi nous ne multiplierons pas les exemples de manière systématique, puisqu’ils fonctionnent sur des modèles similaires. Mentionnons simplement les noms de Ba Bemba de Sikasso, d’Alpha Yaya Diallo du Labé, de Bocar Biro dans le Fouta Djallon, entre autres, qui forment la même constellation de personnages secondaires autour de Samori, que celle que nous avons dégagée pour Nehanda. Sarraounia, quant à elle, est souvent comparée à Tafinat ou Arakoy1020, qui sont deux figures féminines légendaires, ce qui ne correspond pas à proprement parler aux autres cas étudiés ici. Pour ce qui est des résistants à la colonisation, qui pourraient être comparées à Sarraounia, les figures sont beaucoup plus rares. Nous présentons ici une comparaison induite par l’un des romanciers de notre corpus, Abdoulaye Mamani, entre Sarraounia, et deux autres chefs noirs : Ahmadou Kouran Daga, sultan de Zinder, au Niger, et Babemba, que nous retrouvons après l’avoir évoqué au sujet de Samori. Cet écrivain a en effet la particularité d’avoir produit un cycle de romans historiques sur la résistance à la colonisation, ce qui nous offre la chance de pouvoir observer comment des comparaisons sont dressées spontanément entre différentes figures de la sous-région. Ahmadou May Roumji, Babemba, Sarraounia : la trilogie historique d’Abdoulaye Mamani Pourquoi et comment une telle comparaison entre trois figures si différentes ? Il s’agit en réalité de trois récits historiques d’Abdoulaye Mamani, consacrés à la résistance africaine à la colonisation. Or deux de ces textes, La Passion de Babemba, Poème épique1021, et Le Puits sans fond1022 consacré à Ahmadou May Roumji n’ont jamais été publiés du vivant de l’auteur, mais étaient restés dans ses archives personnelles qu’avait été chargé de conserver Jean-Dominique Pénel. L’édition de ces deux récits, qui eut lieu 1020 Tafinat est une héroïne mythique touarègue, citée par Abdoulaye Mamani dans son roman Sarraounia. Harakoy est la déesse du fleuve Niger, ayant autant d’amants que de représentants des ethnies vivant le long du fleuve. 1021 Abdoulaye MAMANI, Idriss Alaoma : Le caïman noir du Tchad! ; La passion de Babemba! : poème épique !; Néo-africanthropus, Paris, L’Harmattan, 2014. 1022 Op. cit. 477 au cours de notre travail de thèse et à laquelle nous avons collaborée, a conféré une autre dimension au roman Sarraounia, en l’incluant dans un projet plus vaste de réécriture de l’histoire coloniale, avec une nette volonté postcoloniale de la part de l’auteur d’écrire une « contre-histoire ». Ces deux figures ont un statut différent : tandis que Babemba a effectivement résisté à la colonisation en tenant un siège contre les Français en mai 1898, au Soudan – et dans ce cas, la comparaison avec Sarraounia est nettement méliorative, puisque la résistance de Lougou a été beaucoup moins importante – Ahmadou May Roumji a dans un premier temps accueilli le français Cazemajou et son interprète, Olive, avant de les faire assassiner et de jeter leurs cadavres dans un puits1023, à Zinder, au Niger, en mai 1898 également – et la notion de « résistance » est dans ce cas bien plus problématique. Ce sont deux figures « mineures » dont Mamani réécrit l’histoire ici. « Mineures », d’abord parce qu’Ahmadou May Roumji est loin d’avoir suscité le même nombre de réécritures que Sarraounia, et ensuite parce que le suicide de Babemba, à l’arrivée des Français, est certainement une cause de l’ampleur relativement moins importante des réappropriations de sa mémoire1024. En tout état de cause, ce sont les œuvres de Mamani qui ont été minorisées, en ce qu’elles n’ont pas été éditées de son vivant, qu’elles sont beaucoup plus courtes, et certainement moins travaillées par l’auteur1025. En outre, nous pouvons repérer dans les textes des procédés d’affiliations, voire de réécritures de Sarraounia, ce qui nous permet de dire, en cela, qu’elles constituent des versions mineures, en sourdine, de son précédent roman. Babemba est présenté comme un véritable résistant à la colonisation, dans ce long poème en vers libres, ce qui est une lecture tout à fait partisane – si ce n’est contestable – des longs rapports qui ont existés entre le royaume de Sikasso et les Français. Yves Person montre bien comment Tièba d’abord, puis Babemba qui lui succède, se sont 1023 Sur cet épisode, voir les récits qu’en font les acteurs : Gabriel Marius CAZEMAJOU, « Du Niger au lac Tchad. Journal de route », Bulletin du Comité de l’Afrique Française (1900/X) ; ainsi que les souvenirs du Commandant Marcel CHAILLEY, « La mission du haut-Soudan et le drame de Zinder », Bulletin de l’Institut Français d’Afrique Noire (1954-1955/16 ; 17), p. 243‑254 ; p.1‑58. Voir aussi F. FOUREAU, Mission saharienne Foureau-Lamy. D’Alger au Congo par le Tchad, Paris, Masson et Cie, 1902, qui passe par Zinder après la mort de Cazemajou (en récupérant la colonne Voulet-Chanoine, après la mort des deux officiers), et qui décrit la ville et son armement, notamment ses canons, p. 505 et suivantes. Pour une analyse critique, voir l’historien André SALIFOU, Le Damagaram ou Sultanat de Zinder au XIXe siècle, Niamey, Centre Nigérien de Recherches en Sciences Humaines, 1971, p. 102 et suivantes. 1024 Même si elle est encore bien vivante au Mali. Voir dans notre corpus, Massa Makan Diabaté, Une Si Belle Leçon de patience, qui est un éloge appuyé de Babemba, opposé à Samori. 1025 Nous ne savons pas si Mamani avait tenté ou non de les éditer, ni s’il avait entamé des démarches auprès d’éditeurs. Les textes sur lesquels nous avons travaillés, avec Jean-Dominique Pénel, comportaient des coquilles relativement nombreuses. 478 d’abord alliés aux Français afin de mieux lutter contre Samori qui avait fait le siège de leur capitale entre 1887 et 18881026. Cette quasi « agrammaticalité »1027 est entretenue à dessein par Mamani, qui prend soin de souligner à plusieurs reprises que Babemba avait prophétisé qu’il ne « verrait jamais l’homme blanc », cette prophétie servant d’allégorie de son refus de la colonisation dans son ensemble. Ce qui, au sens propre comme au figuré, relève à propos de Babemba, d’une réécriture tout du moins audacieuse de l’histoire. Le premier passage où le personnage annonce ce thème – qui reviendra de nombreuses fois par la suite1028 – est néanmoins très beau, rappelant les initiales des gestes épiques1029 : Moi, Babemba Traoré Roi du Kénédougou Maître de Sikasso Je déclare Mes yeux vivants ne verront jamais l’homme blanc Écoutez, hommes du Kénédougou Écoutez, femmes du Kénédougou Écoutez et témoignez… (La Passion de Babemba, op. cit., p. 81) Mais surtout ces deux figures annexes permettent de mieux renseigner le projet d’Abdoulaye Mamani lorsqu’il écrit Sarraounia. Ainsi la présentation de La passion de Babemba est-elle éclairante : 1898. Quinze ans depuis la Conférence de Berlin. Les puissances européennes se disputent fébrilement la possession des territoires d’Afrique. De la Méditerranée au lac Tchad, les troupes d’occupation françaises, pressées de damer le pion aux Anglais, descendent par marche forcée le cours du Niger. […] Ces derniers [les Français], en butte à la résistance farouche de Samory Touré dans le Wassoulou et harcelés par Amadou le Foulanké dans le Macina, cherchent une brèche dans le pays bambara afin de s’implanter dans le Mossi et le Gourma. C’est alors qu’ils tombent sur le Kénédougou, un des grands royaumes qui bordent le Mossi. Babemba Traoré, dit Bemba, le grand roi tout-puissant du Kénédougou leur opposa une mémorable résistance, retranché derrière son dionfoutou*, ce rempart fameux de six mètres de haut et six d’épaisseur, qui entoure sa capitale, Sikasso la glorieuse. 1026 Or Yves Person reconstitue minutieusement les relations diplomatiques et la longue politique d’alliance qu’Archinard puis Gallieni ont entretenus avec Tiéba puis avec Babemba, son successeur, ce qui supposait, a minima, plusieurs rencontres diplomatiques. Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 3, p. 1282, 1288 pour Gallieni, 1314-1316 pour les rapports de coopération militaire avec Marchand, 1424-1425 avec Quinquandon reçu à Sikasso, entre de très nombreux exemples. 1027 Voir l’usage que nous faisons de la notion, supra. Troisième partie, Chapitre 1, section « Ethos et transvalorisation ». 1028 De manière réécrite, passim ; par répétition littérale de ces vers, p. 83. 1029 Comparer également avec, dans notre corpus, l’initiale du Bembeya Jazz National, Regard sur le passé : « écoutez peuple d’Afrique… », qui mime également la pratique de la captatio benevolentiae des griots. 479 Après deux jours de combat acharné, les canons eurent raison de l’immense portail surnommé « la porte de l’enfer » contre laquelle se brisèrent tant de convoitises étrangères. Vaincu, malgré son courage et sa détermination, Babemba préféra se suicider plutôt que de voir la dislocation de son royaume. Il avait juré que ses yeux ne verraient jamais l’homme blanc. On trouva son cadavre sur le donjon central du dionfoutou, le yatagan* royal plongé dans le cœur. [Dionfoutou : mur d’enceinte fortifié de six mètres de haut et de six mètres d’épaisseur entourant la ville de Sikasso. Yatagan : grand poignard à un ou deux tranchants pour divers usages. Les rois et les guerriers le portaient comme arme de noblesse. (notes de l’auteur)] (La Passion de Babemba, op. cit., p. 79) La comparaison avec la « Présentation » de Sarraounia parle d’elle-même. Nous en rappelons quelques extraits : Le dix-neuvième siècle s’achève dans un tumulte de guerre, de conquête et d’occupation. La colonisation de l’Afrique bat son plein. Français, Anglais, Allemands, Portugais, et Belges s’en donnent à cœur joie. Une colonne française […] travers[e] le pays Mossi, le Gourma et le pays Djerma en brisant impitoyablement toute résistance à leur marche vers l’Est. […] C’est alors qu’ils buttent en pays haoussa (dans l’ouest actuel du Niger) sur un petit royaume gouverné par une reine magicienne : Sarraounia, la reine des Aznas. […] Après une nuit de combat acharné, Voulet et ses hommes occupent la Cité royale. (Mamani, Sarraounia, p. 7-8) Le plan suivi est rigoureusement identique : un rappel historique du partage de l’Afrique entre les grandes puissances européennes, puis une focalisation resserrée sur une colonne française qui traverse les mêmes pays dans les deux cas (« C’est alors que… »)1030, et enfin l’affrontement contre un grand résistant africain qui vient perturber la marche inéluctable de la colonisation. Ce plan général est également adopté pour Le puits sans fond, bien que de manière moins systématique que dans ces deux extraits1031. 1030 Et mentionne même « Samory » pour le cas de La Passion de Babemba, ce qui révèle qu’il est une référence véritablement incontournable pour ce qui est de la « résistance » à la colonisation. Notons que la périphrase « tant de convoitises étrangères » réfère également à Samory, en renvoyant par allusion au siège de Sikasso, que celui-ci a perdu (1887-1888). Sur ce siège, voir Yves PERSON, Samori, op. cit., tome 2, p. 747-783. Voir aussi les représentations littéraires de ce siège entre deux souverains noirs : notamment dans notre corpus Yoro SIDIBÉ, « L’épopée de Samory : le siège de Sikasso », « Le mémorial de Kélétigui Berté », in Roland COLIN, Kènèdougou ; mais aussi Jacques MENIAUD, Sikasso ou l’Histoire dramatique d’un royaume noir au XIXe siècle, Paris, impr. F. Bouchy, 1935 ; Djibril Tamsir NIANE, Sikasso ou La Dernière Citadelle, Honfleur, Pierre Jean Oswald, 1971. 1031 De nombreux traits communs peuvent toutefois être relevés : « À l’aube de la colonisation, des missions européennes plus ou moins pacifiques sillonnent l’Afrique : missions de contact, missions de reconnaissance, missions d’études ethnologiques, missions géographiques et historiques, missions religieuses, etc… Le but avoué ou non de ces missions est de préparer le terrain aux forces d’occupation qui déferleront sur le continent à la fin du dix-neuvième siècle. Dans les premiers jours de l’année 1898, la 480 L’objectif de ces trois œuvres est donc bien le même : écrire une histoire du point de vue des vaincus, donner une dignité narrative à des figures subalternes, minorées dans l’histoire occidentale1032. Ce qu’Abdoulaye Mamani expose dans la « Présentation » du Puits sans fond : Aujourd’hui, nous interrogeons les acteurs de cette tragédie qui appartient à l’histoire de la colonisation. […] Cazemajou fut un héros et un martyr de l’Empire colonial français tandis que l’Afrique Indépendante considère Ahmadou May Roumji comme un glorieux résistant digne de respect. Au sommet d’énormes rochers qui surplombent la ville, la garnison installée par les Français en l’honneur de Cazemajou existe toujours, mais porte désormais le nom d’un roi du Damagaram considéré naguère comme un tyran. Ainsi donc, l’histoire n’est pas seulement une association des faits bruts, elle est aussi la signification que les témoins des actions lui donnent, les interprétations des faits, l’utilisation que font les hommes des évènements. (Le Puits sans fond, op. cit., p. 39) L’écrivain interroge les différentes trajectoires prises par les mémoires, de part et d’autres de la Méditerranée, en prenant comme point de départ les toponymes – ces ancrages locaux, géographiques, du récit collectif national. Se voulant porte-parole de l’« Afrique indépendante », son entreprise est celle d’une réhabilitation d’un tyran. Or, et c’est en cela qu’Ahmadou May Roumji n’eut pas la même postérité que Sarraounia, cette qualification de « tyran » ne lui était pas uniquement donnée par les colons – ce qui aurait occasionné une démarche somme toute traditionnelle de contre-discours comme nous en avons étudiés de nombreux exemples – mais également par son peuple. Dès lors, la narration est compliquée par les mémoires locales elles-mêmes : comment louer un contre-héros, s’il n’est pas digne de louanges ? Comment opérer une contre-histoire sans héros ? L’entreprise est certes délicate, et l’écrivain choisit pour cela de confier la narration à un chœur de voix anonymes. À l’instar d’un chœur antique, cette rumeur annonce la mort d’Olive et Cazemajou, qui n’est jamais montrée bien qu’elle constitue mission Cazemajou quitte Say (sur le bord du fleuve Niger) pour joindre le lac Tchad. Une distance de près de deux mille kilomètres. Quatre mois plus tard, un drame sanglant met fin à cette mission qui avait déjà parcouru avec succès près d’un millier de kilomètres dans un pays totalement inconnu. En effet, le chef de la mission, le capitaine Cazemajou, et son interprète sont assassinés à Zinder (actuelle République du Niger) sur ordre du sultan et leurs corps sont précipités dans un puits » (Abdoulaye MAMANI, Le Puits sans fond, op. cit., p. 39). Le même déroulement de l’argumentaire, quoi que plus resserré, s’opère dans ces quelques lignes qui constituent le seuil du roman. Notons que les motivations du sultan ne sont pas expliquées (seulement sur le mode de l’allusion, avec une dénonciation initiale des objectifs militaires de opérations de reconnaissance), et que son nom n’est même pas livré dans ces premiers paragraphes : l’héroïsation du personnage d’Ahmadou May Roumji semble plus difficile à se mettre en place, surtout si on le compare aux effets de dramatisation qui accompagnent l’apparition du nom de Sarraounia. 1032 Signalons cette même entreprise, datant de la même décennie, par un historien nigérien, également à propos de l’histoire coloniale de Zinder : André SALIFOU, Si les cavaliers avaient été là, op. cit. 481 théoriquement le point d’aboutissement de la « résistance » supposée du sultan. En voici la première annonce : Dans ce désastre qui s’abat sur la ville, les réflexions les plus osées se déchaînent. Chacun va librement de son petit commentaire : — Les nassarou [Blancs] vont tous nous massacrer. — Qui parle des nassarou ? Il n’y a plus de nassarou. Il paraît qu’ils sont prisonniers dans le Palais. Ce sont leurs hommes qui nous attaquent. Ils demandent la libération de notre maître. — […] Qu’ils laissent partir les nassarou, sinon leurs tirailleurs vont nous massacrer tous. — Laisser partir les nassarou ? Mais comment ? Il paraît qu’ils ont été décapités et jetés dans le fameux puits. — Le puits sans fond ? — Parfaitement ! (Mamani, Le Puits sans fond, op. cit., p. 114-115) La circulation des voix (« chacun », « il paraît que »), l’insistance du texte sur ce procédé (avec une mise en abyme : « qui parle ? »), la répétition par effet d’anadiplose des derniers termes de la phrase précédente à l’initiale de la suivante (« laisser partir les nassarou »/« laisser partir les nassarou ? »; « le fameux puits »/« le puits sans fond ? ») : tout concourt à l’impression qu’une même rumeur surgit d’une foule recommençant et reprenant des énoncés inassignables, qui dévoile le point d’acmé de l’intrigue – la mort des colons. Mais celle-ci est rejetée dans le hors-scène, et c’est un autre chœur, de femmes cette fois, qui accuse Ahmadou May Roumji de mener son peuple à la ruine, quelques pages plus loin : — Ce grand vide! Où sont les guerriers ? Le tambour gronde et je ne vois toujours pas le peuple en armes. — Sire ! Les hommes disent qu’ils ne veulent pas mourir pour un tyran… — Les lâches ! Un tyran ? Les fils de lâches ! Moi, un tyran ? C’est aujourd’hui seulement qu’ils découvrent que je suis un tyran ? Ah tous ces lâches qui se sont engraissés à l’ombre du Palais découvrent aujourd’hui que je suis un tyran… Malédiction ! Qu’est-ce que c’est que ce tumulte ? — Ce sont les femmes de la ville. Les mères des enfants affamés, les veuves des hommes qui sont tombés sous les cartouches des Étrangers, les femmes des guerriers qui tremblent pour leur mari. Ce sont les femmes de la ville en pleurs. Elles viennent vous prier de libérer les nassarou pour ramener la paix dans la cité. (Mamani, Le Puits sans fond, op. cit., p. 121) 482 Mais Olive et Cazemajou ont déjà été assassinés, et il n’est plus possible de contenter le peuple. Singulière résistance que celle menée par un roi inconséquent, manipulé par ses conseillers, qu’ils soient des grands commerçants aux affiliations troubles comme Mallam Yaou1033, ou des théologiens aussi prosélytes que dangereux comme le Cheikh Al Mahdi Al Muhammad Al Sanussi1034. Découvrir et éditer ces deux textes d’Abdoulaye Mamani nous a permis d’abord d’insérer le projet de contre-écriture de l’histoire dans un plus vaste cycle, et donc de lire Sarraounia comme le premier volet d’une entreprise de plus grande ampleur de réécriture systématique de l’histoire coloniale – ce qui a conforté nos hypothèses précédemment posées au chapitre III.1. En outre, la comparaison avec ces deux autres personnages a permis de relever, en creux, plusieurs caractéristiques de la figure sur le plan narratif : dans les deux cas, la notion de « résistance »1035 est problématique, puisque Babemba a d’abord collaboré et signé de nombreux traités d’alliance diplomatique – et même parfois militaire, avec Marchand contre Samori notamment – avec les Français ; et puisque d’autre part, Ahmadou May Roumji est caractérisé comme un tyran par le narrateur luimême et par les chœurs de femmes. Dès lors, et sans vouloir relire de manière téléologique le succès de Sarraounia par rapport aux deux autres figures, il nous semble que nous pouvons au moins apporter les traits de caractérisations suivants à la figure : celle-ci n’a pas nécessairement à avoir résisté longuement à la colonisation pour être mythifiée, et à cet égard Sarraounia en est effectivement l’archétype, mais en revanche, l’existence de traités de protectorats et d’alliances – comme pour Babemba, mais aussi Tiéba, Alpha Yaya Diallo, que nous citions plus haut – constitue, du point de vue narratif, 1033 Sur ce personnage d’intermédiaire, entre les commerçants arabes, la noblesse zindéroise, et les colonisateurs français, qui a réellement existé, voir André SALIFOU, « Malan Yaroh, un grand négociant du Soudan central à la fin du XIXe siècle. », Journal de la Société des Africanistes, 42 (1972/1), p. 7‑27. ; voir aussi la version romancée qui prolonge son travail d’historien : André SALIFOU, Si les cavaliers avaient été là, op. cit. 1034 Pour un portrait de Cheikh Al Mahdi Al Muhammad Al Sanussi (le successeur du fondateur de la confrérie, Muhammad bin Ali al-Sanussi), dix ans avant les faits, voir le récit très virulent d’Henri DUVEYRIER, La Confrérie musulmane de Sîdi Mohammed ben ‘Alî es-Senoûsî et son domaine géographique en l’année 1300 de l’Hégire, 1883 de notre ère, Paris, Société de G/0gr123ie4 5886 ; pour un étude critique de la « légende noire » de la Sanûsiyya en Afrique, nous nous reportons à Jean-Louis TRIAUD, « Les “trous de mémoire” dans l’histoire africaine, La Sanûsiyya au Tchad : le cas du Ouaddaï », Revue française d’histoire d’outre-mer, 83 (1996/311), p. 5‑23, (consulté le 21 avril 2016). 1035 Qui ne peut ni référer à une résistance militaire effective sur le long terme, comme étudiée par Michael CROWDER (dir.), West African Resistance. The Military Response to Colonial Occupation, op. cit. ; ni à des formes de résistances populaires plus diffuses et silencieuses, voire passives telles que celles analysées par James C. SCOTT, Weapons of the Weak. Everyday Forms of Peasant Resistance, op. cit. ; James C. SCOTT, Domination and the Arts of Resistance : Hidden Transcripts, op. cit. ; Donald CRUMMEY, Banditry, Rebellion, and Social Protest in Africa, op. cit. 483 un écueil que le texte doit résoudre. De plus, la résistance doit être appuyée par une adhésion populaire forte – ce qu’ont Sarraounia comme Babemba, mais que n’a pas du tout Ahmadou May Roumji. *** De Somabulanka à Ahmadou May Roumji : le spectre est large de personnages plus ou moins tombés dans l’oubli, du parfait inconnu au héros bel et bien « raté », puisqu’il est resté dans les mémoires, même (et peut-être surtout) locales, comme un tyran. Ce contrepoint nous a permis d’explorer différentes strates d’héroïsations, qui n’ont pas ou peu abouti, ce qui permet de confirmer, par la comparaison avec nos trois figures, nos hypothèses sur la formation d’imaginaires collectifs (et les trois axes qui ont guidé notre thèse). D’une part, sans aucune réécriture ou réappropriation de la part d’intellectuels – écrivains, journalistes, politiques –, la figure n’a aucune chance d’accéder à la notoriété. Ainsi Somabulanka reste-t-il un nom sur câblogramme, conservé dans des cartons d’archives1036. C’était l’objet de la première partie de notre thèse que de montrer quels ont été les acteurs de la fabrique des figures. D’autre part, les figures manifestent une poétique, certes sujette à d’intenses variations, mais avec néanmoins des traits caractéristiques. Or la conversion au christianisme de Kaguvi, le suicide de Babemba mais surtout ses alliances diplomatiques et militaires avec les Français, l’autoritarisme d’Ahmadou May Roumji, ou encore la collaboration de Lobengula sont autant d’éléments qui rendent ces personnages moins adaptables et moins malléables que Nehanda, Sarraounia, et Samori. C’était l’objectif de notre seconde partie : analyser les poétiques des figures héroïques, leurs potentiels de variations, et leurs attributions paradoxales, à même de penser le complexe. Enfin, ces figures sont signifiantes pour une société : autrement dit, elles s’appuient sur un collectif – qui est mis en scène dans les textes (par les voix, la rumeur publique, les chœurs : qui s’oppose à Ahmadou May Roumji dans Le puits sans fond, contrairement à Sarraounia), et elles signifient pour une collectivité. Notre troisième partie visait à décrire comment se structurent les imaginaires collectifs, de 1900 à nos 1036 Toujours susceptible d’être réactualisé ou réactivé néanmoins : ce constat ne peut être, bien sûr, que provisoire, et n’attend que d’être démenti par la parution d’un texte, scientifique ou littéraire, sur Somabulanka. 484 jours, et comment, surtout, une même figure peut s’adapter sur le temps long, et être relue à l’aune de plusieurs crises différentes, en étant réinvestie de significations différentes. 485 486 Conclusion générale Comparer trois figures d’ampleur différentes à partir de trois terrains d’enquêtes a permis de dégager des constantes, parfois inattendues, et de dessiner les contours des mécanismes de (re)création des imaginaires historiques. À l’épreuve du terrain et de l’enquête, il a en effet été frappant de voir à quel point les figures offraient des correspondances entre elles, et combien leurs dissemblances permettaient de créer des oppositions utiles à l’analyse. D’autres figures auraient été tout autant intéressantes, notamment Chaka Zoulou en Afrique du Sud ou Lat Dior au Sénégal, mais Nehanda, Samori et Sarraounia ont eu l’avantage de présenter trois cas complémentaires de réactualisations de la résistance à la colonisation, ce qui a permis de faire jouer les échelles et de proposer des interprétations transversales précisément grâce à ces trois types différents d’ampleur de la résistance et d’ampleur de survivance de la mémoire. Nous avons parfois été surprise des similarités qui se dégageaient de nos corpus : ainsi des chants de la RTG en Guinée qui se sont révélés à bien des égards similaires aux chants de la Chimurenga au Zimbabwe (dans la réutilisation de la louange aux ancêtres et de la pratique généalogique, dans l’usage de la géopolitique contemporaine, dans le culte de la personnalité du chef, entre autres). De même les différences entre les figures ont fait émerger des hypothèses fortes : c’est par l’absence relative de sources sur Nehanda et Sarraounia dans la première période de notre étude que nous avons pu déterminer l’ampleur du rôle des élites dans la création de récits communs 487 (des historiens comme Terence Ranger pour le Zimbabwe, des romanciers comme Abdoulaye Mamani pour le Niger). Ce que nous avions cerné pour Samori par intuition (l’importance du rôle de Djibril Tamsir Niane avec son premier manuel scolaire d’histoire par exemple) est validé par la comparaison, qui permet de retracer de manière précise les liens intertextuels qui se sont tissés entre les différents acteurs et producteurs. Notre corpus multilingue et transmédiatique a permis une large comparaison et a mis en avant la régularité des mécanismes de production mémorielle et de mythification à l’œuvre. Nous avons autant que possible mis à disposition les textes que nous avons collectés auprès de sources diverses (archives coloniales, archives des radios et des télévisions, archives privées, productions littéraires à faible tirage, marchés…), en les éditant ou en les plaçant en annexe. Il a été fructueux de comparer non seulement des sources éditées et des sources non éditées, et ce dans différentes langues, mais également des pièces d’archives et des productions littéraires. Ce que les historiens appellent l’histoire « connectée » et « à parts égales » passe nécessairement par la traduction et la comparaison. Traduire des sources en haoussa et les comparer aux sources coloniales permet de dresser des parallèles et des oppositions entre les continents : il est évident que l’on ne peut considérer l’Afrique comme un monde clos. Ainsi a-t-il été particulièrement stimulant d’étudier comment les constructions nationalistes se sont inspirées de récits, de schèmes et de bribes narratives héritées des constructions coloniales. Imaginaires Tout au long de ce travail, nous avons interrogé le rôle du récit et de la littérature dans la construction des imaginaires. Trois points d’entrée synthétisent les comparaisons entre Nehanda, Samori et Sarraounia. 1. Il existe un continuum d’intensité dans l’usage du fait narratif en société (en politique, dans les médias, à l’école, sur internet, entre autres). Notre corpus comporte un spectre assez important qui montre bien l’ampleur des usages sur cet axe. Prenons deux extrêmes pour illustrer les deux pôles opposés de cet axe : les chants de propagande (de la RTG ou du ZANU) sont le niveau où l’idéologie investit le plus massivement l’espace narratif. À l’autre extrême, des intellectuels tendent à construire un « nous » collectif de manière beaucoup plus diffuse et discrète, ce qui n’en est pas moins opérant (Yvonne Vera, Abdoulaye Mamani). Ces romanciers et écrivains ne sont pas nécessairement resituables au sein d’un parti politique en activité, et leurs textes témoignent de 488 fantasmes, de rêves et de projections personnels. Entre ces deux pôles, il y a un gradient d’utilité immédiate plus ou moins important, étant entendu que les récits de romanciers, comme ceux d’Yvonne Vera, peuvent tout à fait à nouveau circuler dans le discours public, sous diverses formes. Ce qui nous a intéressée est ce va-et-vient de discours entre ces deux extrêmes et l’existence d’une innutrition réciproque dont le point commun est toujours le nom propre « Nehanda, Samori, Sarraounia ». 2. Les récits qui font usage des figures manifestent différentes polarités d’inclusion : ils font surgir de l’inclusion, tout comme ils manifestent, en creux de l’exclusion. Benedict Anderson dit du nationalisme qu’il est un « Janus à deux têtes ». Nous pourrions en dire tout autant des récits collectifs au sens large. Samori opère de l’inclusion sous Sékou Touré, qui cherche à bâtir une unité guinéenne, ce qui se fait en forgeant de l’exclusion – Maliens, Ivoiriens, Sénégalais sont résolument de l’autre côté de la frontière. Ce qui nous a semblé fascinant, c’est que ce phénomène d’inclusion joue à de nombreuses échelles : au niveau transnational d’abord, puisque Samori peut tout à fait être lu dans une perspective panafricaine, par un Sembène Ousmane par exemple, ou dans le domaine de la chanson contemporaine par un Alpha Blondy (« Bori Samori ») – voire transatlantique, avec Ta-Nehisi Coates, qui nomme son fils « Samori » ; mais aussi à l’échelle locale, puisque Samori opère une division entre Peuls, Malinkés, Sosso. Et parfois, l’échelle peut être particulièrement fine, puisque deux chants issus d’un même chanteur opèrent des inclusions et des exclusions différentes – contradictoires – autour du nom même de Samori, en fonction de l’auditoire auquel il s’adresse. 3. Enfin, les figures (les récits) sont dotées d’un degré de dissidence plus ou moins grand, qui varie en fonction des époques, des circonstances de production, et des réécritures. Le parcours de Nehanda est à cet égard fascinant : elle a d’abord été une figure de l’extrême subversion, en étant l’héroïne des maquis du ZANU, puis avec l’avènement de Robert Mugabe en 1980, elle a investi les manuels scolaires, la statuaire de la capitale, sa topographie. Elle est donc passée de l’extrême subversion à l’institutionnalisation maximale. Nous avons d’abord pensé que cela signait l’arrêt de mort de la figure : si elle devient signe même de l’institution, il semblait qu’elle s’essoufflait, que moins de réécritures littéraires s’emparaient de son nom. Bref, qu’elle mourait, lentement, du feu des projecteurs. Or, Internet a prouvé avec l’affaire de l’arbre de Nehanda qu’elle conservait toute sa capacité de signification, et que la dimension 489 subversive ne demandait qu’à resurgir, au détour d’un fait divers. Au-delà de l’anecdote, ce que nous lisons dans cette controverse, c’est la capacité de figuration du récit – du nom propre et de toutes les connotations qu’il véhicule : la figure peut être capturée par l’appareil d’État, mais elle peut tout à fait resurgir comme machine de guerre, pour reprendre les catégories employées par Deleuze et Guattari. Elle est une forme – un terreau – disponible pour l’emploi. « Indiscipline » Notre enquête sur la mémoire de ces trois figures et leurs différentes réactualisations jusqu’à Facebook, mais aussi sur la formation de ces récits, en remontant de plus en plus loin dans les intertextes jusqu’aux archives coloniales, nous a menée à collecter des textes sur leurs lieux de production – Harare, Niamey, Dakar, Saint-Louis, Conakry. Ces séjours de recherche ont été rendus indispensables par la forme même que prenait l’enquête, au fur et à mesure qu’elle avançait : les récits ont circulé autant dans les archives radiophoniques que dans les bibliothèques, autant sur les bancs de l’école que dans les archives coloniales. Il était nécessaire de collecter les récits là où ils ont été produits, là où ils ont été pensés, et là où ils étaient conservés – lorsqu’ils l’étaient. Pour reconstituer tous ces récits autour de Nehanda, Samori et Sarraounia, il a donc fallu croiser des matériaux tout à fait divers, qui n’ont pas pour habitude de se croiser, ni d’être analysés de conserve. Il a également fallu se placer, d’un point de vue méthodologique, à l’intersection entre la littérature, l’histoire, et parfois l’anthropologie. Apprendre notamment à se repérer dans les archives, qui n’ont souvent rien d’intuitif, apprendre à repérer et traiter des archives privées, arriver à gagner la confiance de ses interlocuteurs, à les faire parler autour d’un thé, apprendre une nouvelle langue, et confronter ces matériaux disparates pour leur donner une cohérence : cette intersection entre les disciplines est aussi une faiblesse puisqu’il faut emprunter à divers champs pour cerner son objet – la figure, dans notre cas. Pourtant nous sommes persuadée que ce traitement de l’archive dans la confrontation systématique avec la littérature est fructueuse. Il y a régulièrement un décalage entre le travail de l’historien et les traitements littéraires ou artistiques d’un évènement. Or, ce que nous avons montré, c’est que ce décalage est fructueux : il est fonctionnel. C’est dans ce décalage, précisément, que s’élabore le dialogue entre les disciplines et que se fonde la construction du héros culturel. Abdoulaye Mamani ne crée 490 pas une Sarraounia fidèle aux évènements. En revanche, il participe à l’élaboration de sa mémoire et à la construction d’un imaginaire. Les interactions jouent dans les deux sens. Certes – et cela a souvent été étudié – la littérature s’inspire régulièrement de l’histoire. Mais – et cela est plus difficile à démontrer – la littérature participe aussi de la construction de l’historiographie. À titre d’exemple, Terence Ranger n’aurait jamais employé le terme de « résistance » pour la Première Chimurenga s’il n’avait pas été plongé dans un univers d’écrivains et d’activistes ayant en commun des chants, des poèmes, des récits des révoltes du Mashonaland. Il s’inspire largement de ce fond commun pour orienter son écriture scientifique, voire pour en donner une illustration. Pour le prouver, nous avons placé au centre de notre enquête notre objet : la figure, et nous avons collecté des matériaux hétérogènes que nous avons assemblés selon une méthode qui s’est élaborée dans le temps même de l’enquête. En ce sens, notre méthode a eu beaucoup à voir avec le bricolage, avec la définition que lui donne Derrida, à partir de Lévi-Strauss : certes défini en vue d’un projet – puisque toute notre enquête a été guidée par l’idée de la figure, dont nous cherchions à reconstituer le corps textuel, au sens de corpus : les récits, les traces, les indices de son existence – tout en ayant dû faire avec les moyens du bord, emprunter à l’hétérogène, réinterpréter des objets pour leur attribuer une signification ou une direction autre que celle qu’ils avaient à l’origine, agencer du divers. De cette « indiscipline », il émerge une conclusion : les textes de notre corpus montrent que les identités et les imaginaires se fondent sur le branchement, la greffe si l’on veut. Jean-Loup Amselle avait proposé le concept de branchement pour mettre en évidence les croisements et les influences réciproques des cultures (et rajoutons-nous, des textes), et pour rejeter la recherche de l’origine ou d’une pureté fantasmée qui serait synonyme d’identité. Variations Ce constat du branchement des textes entre eux fournit un argument en faveur de la variation. Non seulement il n’existe pas de texte originel (qui jouerait le rôle de Urtext) dans la construction de nos figures, mais nous avons fait l’hypothèse que c’est précisément la variation qui était au fondement de ce qu’était la figure : toujours réinterprétable, soumise à la multiplication, la figure se nourrit des résonnances entre les différents textes qui la mettent en scène. De toutes ces résonnances et vibrations intertextuelles naît une aura (une « énergie », pour reprendre le terme de Pierre Vinclair) 491 qui entoure la figure. Fascinante, elle cristallise des enjeux du contemporain, et elle est toujours susceptible d’être remobilisée dans un nouveau contexte, venant parler de manière indirecte et souvent inconsciente des crises politiques ou sociales de l’actualité. La variation n’est en ce sens pas uniquement ce que les études sur le conte en Afrique avaient nommé la « variabilité » : elle est, plus qu’un volet d’un même type réactualisé dans une performance, une capacité d’évolution de la figure, toujours tournée vers l’avenir. Cela pourrait paraître paradoxal pour des figures censées être inspirées de la conquête coloniale, mais en réalité cela ne l’est pas. La personne historique au fondement des intertextes appartient bien au passé. Mais la figure, en tant que force fascinante, est quant à elle tournée vers les récritures ultérieures, le monde contemporain et les possibles qu’il porte en lui. Au sein de ces variations, nous avons tenté de dégager des attributs de nos figures : ce qui, dans le cas des contes et des variantes, est tout à fait habituel. Or, pour nos figures, il nous est apparu très vite que tous les traits définitoires et tous les attributs que nous arrivions à repérer étaient en réalité des paradoxes, des problèmes, des éléments qui mettaient le récit en crise. Ainsi de la féminité guerrière, ainsi du rapport à la religion, ainsi surtout de la défaite. Cet échec à dégager de véritables attributs de nos figures s’est transformé en véritable poétique : il nous semble en effet particulièrement intéressant que, à travers la variation et la multiplication des récits, ce qui se dégage des textes est avant tout l’image d’un monde en crise (le « travail épique », pour reprendre l’expression de Florence Goyet) et des propositions narratives pour en sortir. Fictions Cette pensée des récits, que nous avons voulu définir dans ce travail de thèse, s’est manifestée de manière particulièrement frappante autour de la représentation de la conquête coloniale. Samori, Sarraounia, Nehanda avaient comme principale caractéristique commune de dire l’opposition aux Blancs, aux colons, aux oppresseurs. La mise en fiction de ces épisodes a produit une pensée sur la colonisation, mais aussi et surtout sur la décolonisation et sur ses suites. Masculine ou féminine, la figure aide à interpréter et à lire les bouleversements du monde contemporain. Or, au cœur de ces récits dits « mémoriels », il y a aussi souvent beaucoup d’oubli. Nous avons appelé ce phénomène des « amnésies narratives » : dire la colonisation pour ne pas dire les conflits contemporains. Le travail critique vise alors à déconstruire les 492 effets rhétoriques à l’œuvre dans ces mises en scène, pour révéler les choix délibérés d’oubli. En sortant du seul cadre de la représentation de la colonisation, il serait possible d’élargir cette réflexion sur la mémoire et l’oubli. Par exemple, une comparaison entre Yaa Asantewa au Ghana et Aura Pokou en Côte d’Ivoire, qui sont deux cas d’usages contemporains de figures féminines, permet de mettre en lumière comment la colonisation est passée sous silence dans le cas ivoirien. L’histoire mythifiée – mystifiée aussi, dans un certain sens – des migrations, rejetée dans un passé légendaire, permet précisément de ne pas parler de la colonisation et de l’histoire proche. C’est le rapport à l’histoire et plus largement à la politique diplomatique franco-ivoirienne d’Houphouët Boigny qui serait ici à interroger. Entre les non-dits et les mises en scène ostentatoires, c’est toujours d’une fiction qu’il s’agit, et des enjeux d’interprétations que l’analyse critique doit dégager. La fiction, en ce sens, inclut également les silences, peut-être même de manière privilégiée, et la tâche du lecteur (enquêteur) est d’en rechercher, derrière l’apparente transparence, les traces d’un deuil encore à faire – d’un récit à venir. 493 494 Sources et Bibliographie CORPUS NEHANDA Chimurenga Songs, ZANU PF, Gramma Records, 2007. CHITEPO, Herbert Wiltshire, « Soko Risina Musoro » / « T79 Tale Wi:7;<: A =ead », in Zimbabwe Prose and Poetry, >ew Y@DEJ Khree Continents Press, 1974. HARARE MAMBOS, « LbOQR Nehanda Nyakasikana », Ngatigarei Tese, SXZis[\]^, TeXZ Record Company, Disc ZIM 29, 1980. LANE, Martha, « The Blood that Made the Body Go » : The Role of Song, Poetry and Drama in Zimbabwe's War of Liberation 1960-1980, Evanston, Illinois, décembre 1983, PhD thesis, history. Volume III : appendix, Chimurenga songs. MUTSWAIRO, Solomon, Mweya waNehanda, Harare, Harare College Press, 1990. MUT_WAIRO, Solomon, Zimbabwe : Prose and Poetry, op. cit. 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BARRY Sikoumar, ancien réalisateur rattaché à l'ONACIG (Office National de Cinématographie de Guinée), chargé de la captation de la pièce de théâtre sur Samori produite initialement par la circonscription de Kankan en 1977, dont les rushs n'ont jamais été montés et vraisemblablement détruits pendant le coup d’État de 1984. Entretien à son domicile le 1er juillet 2014. DIAKITÉ Moussa, directeur de l'agence de production cinématographique Nova Plus, ancien ami de Sembène Ousmane, et collaborateur sur le projet de film en trois épisodes sur Samori, en coproduction Sénégal-Côte d'Ivoire-Guinée, arrêté à la mort de Sembène Ousmane. Entretien au siège de Nova Plus le 2 juillet 2014. DIALLO Mamadou Dian, Professeur d'histoire, entretien à l'Université Général Lansana Conté, de Sonfonia-Conakry, le 30 juin 2014. NIANE Djibril Tamsir, entretien à son domicile le 19 juin 2014, sur son rôle dans la création des manuels scolaires de 1960, et la réhabilitation de la figure de Samori pendant l'indépendance. TOURÉ El Hadj Mory, arrière petit-fils de Samori Touré, entretien à l'Assemblée Nationale, Palais du Peuple, le 1er juillet 2014, portant sur le comité des descendants de l'Almami, et le Journal mensuel de la famille Touré. Dakar DELGADO Clarence, ancien assistant de Sembène Ousmane, producteur et réalisateur. Entretien à son bureau, à la maison de la radio, le 15 décembre 2014, portant sur Sembène Ousmane, sur le projet « Samori », et sur l’intérêt de Sékou Touré au projet. Harare MUSIYIWA Mickias, Professeur d'histoire à l'UZ, 11 Septembre 2013, sur l’usage des traditions orales chez Solomon Mutswairo. WAKERLEY Veronique, Professeur de littérature, 10 Septembre 2013. 529 Niamey ALBARKA Aziz, chanteur et rappeur, à propos de sa chanson « Sarraounia », au CCFN (Centre Culturel Franco-Nigérien), le 29 novembre 2014. GADO Boubé et Diouldé LAYA, historiens, à l'IRSH, Niamey, le 27 janvier 2011. HAMANI Djibo, ancien directeur de l'IRSH (Institut de Recherches en Sciences Sociales), professeur d'histoire à l'université Abdou Moumouni, ministre sans portefeuille rattaché au cabinet du Président Mahamadou Issoufou, à propos de Labarin Shamuri de Mallam Abu, de Sarraounia, et du lycée « Sarraounia Mangou » de Dosso qu'il a fait baptiser sous Seyni Kountché, entretien à son domicile à Niamey, les 30 novembre et 4 décembre 2014. Consultation de sa bibliothèque personnelle, ainsi que de ses archives. MAIZAMA, à son domicile, Niamey, janvier 2011. Chargé de l’équipe de repérage pour les décors nigériens pour le projet du film Sarraounia (1er projet au Niger), de Med Hondo. MOUMOUNI Seyni, au centre Mara des manuscrits ajami, dans l’IRSH, le 22 octobre 2014, à propos de Labarin Shamuri, le manuscrit ajami d’Abu Mallam. OUMAROU Ali, producteur de l'émission « Mémoire du Niger » à l'ORTN, journaliste à La voix du Sahel, à l'ORTN section radio, à propos de ses émissions sur Sarraounia, le 3 décembre 2014. YÉRO Souleymane Ali, professeur d'Histoire-Géographie au lycée Olinga et au complexe scolaire Halissa, Niamey, le 14 février 2011. Enregistrement du cours sur Sarraounia et les résistances avec la classe de 1ère D, le même jour. Professeur d’Histoire-Géographie au lycée français La Fontaine après 2012. Nombreuses séances de travail communes en novembre 2014 pour la traduction du manuscrit d’Abu Mallam. Entretien mené avec les employés de la radio Saraounia, siège de Niamey, le 15 février 2011. Entretien mené avec les employés de la station service Saraounia du Grand Marché, Niamey, le 15 février 2011. Paris COLIN Roland, à son domicile, le 10 février 2015, sur les rencontres entre Sembène Ousmane et Yves Person. 2. ARCHIVES SECTION A. AFRIQUE Archives Nationales de Guinée (Conakry) Série D, Administration Générale, 1865-1958 1D1, Beyla, rapports et tournées 1D84, Beyla, Simandougou 1D87 Beyla, Simandougou 1D44, Monographie de Siguiri, Sous-série 2D, Affaires Administratives 2D4, Beyla 1904-1906 2D5, Beyla 1909-1911 530 2D6, Beyla 1911-1912 2D7, Beyla 1912-1916 2D129, Beyla, Inspection des Affaires administratives 2D279, Beyla 1898-1953, réorganisation territoriale 2D280, Beyla 1898-1958, Tournées Sous-série 7D, Élections 7D29, Élections partielles du 20/03 et 10/04/49 (5ème circonscription : Kankan, Siguiri, Kouroussa, Beyla) 7D34, Élections au Conseil Général du 28.01.51, 5ème circonscription, et élections partielles du 04.02.51 en remplacement de M.Ferraci décédé. 7D50, Élections de fin 1946 7D42 Élections législatives partielles pour le remplacement de Diallo Yacine, 27 juin 1954 : Sékou Touré leader à Beyla, mais seconde position dans le cercle. Série E 1E41, 1E42 Activités politiques 2E2, Chefferies : nominations 1911-1931 2E14 Chefferies, Beyla, 1896-1954 2E17 Chefferie, Beyla 1901-1953 2E19 Personnages influents en Guinée Archives Nationales du Niger (Niamey) Presse Le Sahel, 1980-1987 Sahel Dimanche, n°409 / 410 / 411 des 11 / 18 / 25 décembre 1992. Entretiens avec Abdoulaye Mamani, menés par Oumarou Ali. Magazine Culturel, n°1/2/3, de mars / avril / mai-juin 1987. Décrets du Ministère de l’Enseignement N°7/MEN/EX du 16 février 1965, JO n°4 du 15 février 1965 N°7/MEN/EX du 16 février 1965, JO n°5 du 1er mars 1965 N°21/MEN du 8 octobre 1965, JO n°20 du 15 octobre 1965 N°20/MEN du 10 juin 1967, JO n°13 du 1er juillet 1967 N°72-45/PRN/MEN du 19 mai 1972, JO n°11 du 1er juin 1972 Série D Administration Générale Sous série 1D Études générales 1D26 Monographie du cercle de Tahoua par le Lieutenant Peignol 1907, 41 pages dactylographiées. 1D27 Histoire de l’Ader et de l’Azawak, non signé. (copie large de Peignol, voir supra) 1D31 1909 Monographie du cercle de Dosso par M. Millot, Cap. Lelong, 9p. 1D32 1909 Monographie de Gaya par le Lieutenant Marsaud, 30p. 1D33 1909 Dosso, Les races à Gaya, 4p. 1D37 1913 Dosso, Monographie, Capitaine Mahani, 20+8p. 1D42 1913 Doutchi Monographie, par Belle, 19p. 1D92 1936 Droit coutumier de l’Aderewa musulman, Duboy, 14p. D142 1946 Histoire du peuplement de Dosso par les administrateurs des colonies J. Périé et H. Sellier, 39p. 1D151 1947 Dogondoutchi Monographie : les fétichistes de Baare et Goube de 531 Bagaji et Lougou, annexé au rapport de tournée de M. Plagnol en 1946. 12+11p. Cartes annexes. 1D195 1964 Doutchi. Le Maouri ou Arewa écrit par E. Séré de Rivières en 1964, 9p. 1D208 Doutchi, Notes sur le Maouri, 5p. Série E Affaires politiques 1E Rapports politiques 1900-1961 2E Politique indigène 1887-1952 2E1 Colonie du Niger, indigénat 4E Politique musulmane 1907-1955 5E Relations extérieures 1989-1961 Centre de Formation et de Promotion Musicale (Niamey) Fonds photographiques : non classé, partiellement daté, sur les festivals de musiques des années 1974-1986, et des festivals de jeunesses (Samarya) des mêmes années. Archives documentaires : programmations musicales de quelques festivals de jeunesses. Archives de la phonothèque FJ/AZ 0001-0008 Festival de la jeunesse Agadez, 1982-1983. Mini-festivals de la Jeunesse : AZ (Agadez, 1982), DA (Diffa, 1981), DO (Doutchi, Dosso, 1979), MI (Maradi, 1978), NY (Niamey, 1980, 1983), TA (Tahoua, 1989), ZR (Zinder, 1976, 1986). Nombreuses cassettes inaudibles. FMT 0001-0007 Festival de Musique du Niger de Tahoua, 22-26 mai 1996. MMN 0003-0072 Musique Moderne du Niger, non daté. MNT 1-97 Plan National de Sauvegarde et de Revitalisation du Patrimoine Immatériel. Nombreuses cassettes inaudibles. National Archives of Zimbabwe (Harare) Presse Zambesi Mission (1899) Native Affairs Department Annual (NADA) : années 1920-1980, collection complète. Périodiques, années 1960-1970 : Rhodesian Poetry The battle cry Zimbabwe News Zimbabwe People's Voice Fonds colonial Historical Manucripts, MS series, Julie Frederikse files, MS 536/1 à MS 536/13. Historical Manuscripts, Alderson Files, AL1/1. Southern Rhodesia, 1891-1923. Chief Native Commissioner : N3/31- 4 Nieanda Native Affairs. Central Governement, High Court, Criminal cases, trial « Queen against Nianda » : S401/252, S401/334, S2953. Record Center ATR/12/VOZ à ATR/58/VOZ ; Voice of Zimbabwe, enregistrés à Maputo, Mozambique Radio Studio, sans date. Transcriptions dans les annexes de la thèse de Martha Lane. Acquisition par les NAZ entre 1982 et 1989. 532 Dont les chants mentionnant Nehanda : ATR/40/VOZ 0182-0218 Tamarira Kuenda Kumusha ATR/40/VOZ 0349-0416 Maruza Vapambepfumi ATR/40/VOZ 0418-0466 Tochema kuZANU ATR/40/VOZ 0775-0800 Mudzimu woye ATR/42/VOZ 0721-0766 Shingisa Mwoyo ATR/43/VOZ 0000-0071 Mudzimu woye ATR/43/VOZ ZANU Chete ATR/44/VOZ 0617-0681 Zimbabwe Tine Urombo ATR/47/VOZ 0130-0222 Nehondo ATR/51/VOZ 0129-0165 Tinomutenda ATR/51/VOZ 0169-0215 Torai Hama ATR/55/VOZ 0122-0212 Vana Baba Naana Mai ATR/57/VOZ 0088-0163 Dai Ndiine Mapapiro ATR/58/VOZ 0671-0718 Shina Comrade ATR/58/VOZ 0859-0916 It’s not an esay road ATR/58/VOZ 0917-0966 Totochema Nevakafa Collectés par Philip Mashiroko et par Primrose Sithole, en annexes de la thèse de Martha Lane p. 609 et suivantes : Zimbabwe Nyika Yatinoda 01/06/89 ; Tinofa Tichienda (24/11/89) ; Mbuya Nehanda (27/02/90) ; Tochema kuZANU (27/02/90) ; Zimbabwe, land of hope. Office de Radiodiffusion Télévision du Niger (ORTN), sections radio et télévisions (Niamey) Magazine Culturel, Sarraounia : Entretien avec Abdoulaye Mamani, Niamey, ORTN télévision, 1980. Enregistrement sur K7 bêta endommagé (générique illisible). Émission « Mémoire du Niger » sur Sarraounia, réalisée par Ali Oumarou, journaliste à La voix du Sahel. Invité : Boureima Alpha Gado, professeur d'histoire de l'université Abdou Moumouni, 26'59. (non daté : 2010?) ORTN radio. Émission « Mémoire du Niger » sur Sarraounia, réalisée par Ali Oumarou. Invité : Moumouni Mahamane Sani, inspecteur de l'enseignement, 26'42. ORTN radio. Radio et Télévision de Guinée (RTG), section Archives (Conakry) SLP 4. « Almamy Mamaren » 3'38, Bembeya (Diaouné Hamidou dir.), 1968. SLP 6. « Keme Bourema » 3'32, Orchestre de la Garde Républicaine 1ère formation, 1968. " ()*"'!+"Regard sur le passé, Bembeya Jazz National, 1968 « Regards sur le passé » 36'53 ; 1969 « Chemins du PDG » 24'38. " SLP 19. « Samory » 09'33, Niandan Jazz (orchestre de Kissidougou), 1970. SLP 37. « Keme Bourema » 14'46, Sory Kandia Kouyaté, 1973. " SLP 75. « Keme Bourema » 13'19, Objectif Perfection, Balla et ses Baladins, 1971. 0017-M. « Almamy Samory » 3'43, Fetoré Jazz (orchestre fédéral de Pita), 1970. " 0269/F. « Keme Bourema », 7'17, Djeli Cira Cissoko, El Hadj Keba Cissoko, et Fantoumata Kouyaté, 1980. 0342F« Épopée du Manding » 16'34, « Épopée du PDG » 12'34, Ensemble Voix de la Révolution (Sory Kandia Kouyaté dir.), 1975. 0508M+"« Hommage à nos héros » 29'54, Bafing Jazz, 1978. 0508M+"« L'Afrique vaincra » 32'39, Tropical Djoliba Jazz, 1978. " 533 SECTION B. EUROPE Archives Nationales (Pierrefitte-sur-Seine) Fonds privés 66AP6-11. Papiers Parfait-Louis Monteil. Expédition de Monteil en Haut-Oubangui et contre Samory en Côte-d’Ivoire (1894-1895). Archives Nationales d’Outre Mer (Aix-en-Provence) Série Afrique III, Explorations, missions et voyages Dossier 37 Explorations et missions 1898-1899. Missions françaises VouletChanoine. Correspondances. Dossier 38 Explorations et missions 1898-1901. Missions françaises : Voulet et Chanoine. Rébellion. Exhumation des restes du Lieutenant Colonel Klobb. Dossier 38bis. Explorations et missions 1898-1900. Missions françaises : Voulet et Chanoine. Correspondances diverses. Pièces venues de Dakar. Fonds ministériel. Série Géographique. Afrique. Sénégal et dépendances IV/85. Expansion territoriale et politique indigène 1885-1886, Soudan b) Campagne de 1885-1886 : Relations avec Samory : Péroz auprès de Samory, dans la mission Tournier du Ouassoulou. Organisation du traité de Kéniéba-Koura, avec Mahmadou Racine et Alassane. IV/88. Expansion territoriale et politique indigène 1886-1887 a) Traités de Galliéni avec Mamadou Lamine et Ahmadou c) Relations avec Samory : décembre 1886-1887. Télégrammes de Péroz sur l’influence de Karamoko rentré de France Fort de Niagassola, Rapport sur le Soudan français, décembre 1886. Lettres de Galliéni à Samory de novembre 1886; du même en mars 1887; du même en avril 1887 d) Voyage de Karamoko, août – octobre 1886 par M. Tournier Capitaine d’infanterie et de Marine; chef de mission du Ouassoulou. Frais de mission et demandes d’avances sur frais. Fonds ministériel. Série Géographique. Afrique. Côte d’Ivoire IV/1. Expansion territoriale et politique indigène 1889-1895 a) Généralités b) Relations avec Samory IV/4. Expansion territoriale et politique indigène 1889-1901 d) Kong et Bouna g) Samory 1895-1896 IV/5. Expansion territoriale et politique indigène 1892-1896. Lutte contre Samory a) Armes de contrebande de Samory c) Occupation du Baoulé « reprise des opérations contre Samory » août-septembre 1895 d) Échec de la mission Braulot 534 IV/6. Expansion territoriale et politique indigène 1897-1898 a) Négociations avec Samory b) Négociations dans le Lobi c) Disparition de Braulot d) Renseignements sur Bouna IV/7. Expansion territoriale et politique indigène 1898. Lutte contre Samory c) De Lartigue 1898, rapport sur la prise de Samory d) Capture des « bandes de Samory » e) Colonne contre Sikasso, avril 1898, rapport du Commandant Pineau. À propos de la retraite de Samory vers le Sanankoro Fonds ministériel. Série Géographique. Afrique. Soudan III/1. Exploration et missions 1889-1894. Rapports de Péroz à Sikasso, décembre 1891-janvier 1892, envoyé près de Tiéba. Rapports de Péroz chez Samory. Mission de Quinquandon 1892-1896 auprès de Tiéba. V/2. Expéditions militaires 1893-1894 a) Colonne Bonnier contre Samory fin 1893 e) Rapport de l’adjudant Angeledei sur les incidents survenus au village de N’Zapa (région de Beila) dans la journée du 17 mars 1894 V/3. Expéditions militaires : 1894 b) Colonne de Kong V/4. Expéditions militaires : 1898 Prise de Samory. Rapport d’Audéoud, de Lartigue, de Gouraud. Fonds ministériel. Série Géographique. Afrique. AOF AOF/III/2. Visite de Migeod en AOF Fonds privés 15APC/1 Papiers Gaden. Coupures de presse sur la capture de Samory : « La capture de Samory », La défense, 20 octobre 1930, p. 5 ; « Notre glorieuse histoire coloniale », La défense, 29 septembre 1898 ; Henri Gaden, « La capture de Samory », A travers le monde, 25 février 1899, p. 57-60. 15APC/2. Papiers Gaden. Lettres à son père, extraits à propos de Samory, 18971898 : Nzo daté du 23 septembre 1898, la route de la mort Kolodougou daté du 10 octobre 1898, prise de Samory le 29 septembre 1898 Beyla daté du 21 octobre 1898, mentions des photos prises de Samory Beyla daté du 2 novembre 1898, mentions de Fachoda et de Voulet Photographies de Samory, non datées, non localisées Direction des Affaires militaires 16. 1 Dépositions prises par le Chef de bataillon Laborie, Officier de police judiciaire militaire. Déclaration manuscrite de Voulet, seul responsable de la mort de Klobb ; 535 Rapport du lieutenant Meynier au sujet du meurtre du Lieutenant Colonel Klobb, 19 juillet 1899. 16. 3. Dépositions de Diabé Dianko, garçon du Colonel Klobb; Abdoulaye Dem, écrivain l’arabe ; Sergent Suley Taraoré, des tirailleurs soudanais, disculpé de la mort de Voulet ; Dr Henric ; Sergent Demba Sar, des tirailleurs soudanais ; Pallier. 16. 4. Déposition de Moussa Ba, Gao, le septembre 1899, prise par le lieutenant Theveniaut. 16. 6. Affaire du Lieutenant Peteau, janvier-avril 1899. Extraits du rapport Granderye, février 1899. Copie du renvoi de Peteau, février 1899. Lettre de Peteau, de Kita le 11 mai 1899, relayée par de Trentinian au Ministre. 16. 7. Copie de la lettre de Voulet injurieuse à Klobb. Lettre de Klobb relevant Voulet de ses fonctions. Journal de marche du Colonel Klobb avril-juillet 1899. 16. Enquête de la mission « Afrique Centrale » 1ère partie. Déposition des témoins, par le Chef de bataillon Laborie, Officier de police judiciaire militaire, Saint Louis, le 29 mai 1900, à la caserne Roquiat Sud : Lieutenant Pallier ; Lieutenant Joalland ; Dr Henric ; Lieutenant Peteau ; Lieutenant Delaunay ; Lieutenant Salaman ; Sergent Major Laury ; Sergent Bouthel ; Maréchal des Logis Tourot ; Témoins indigènes. Enquête de la mission « Afrique Centrale » 2ème partie Dépositions, par le Chef de bataillon Laborie, Officier de police judiciaire militaire : Déposition du Lieutenant Pallier, le 28 juin 1900, à Saint Louis Déposition du Lieutenant Joalland, le 21 février 1901, à Konakry Déposition du Sergent Major Laury, le 2 juillet 1900, à Saint Louis Déposition du Dr Henric, le 6 juillet 1900, à Saint Louis Déposition du Sergent Bouthel, le 25 février 1901, à Konakry Déposition du Maréchal des Logis Tourot, le 4 juillet 1900, à Saint Louis Déposition du témoin indigène Courbaly François, interprète, sur la mort de Voulet Rapport du lieutenant Pallier de Zinder le 15 août 1899, n°28. Archives de la Bibliothèque de Recherches Africaines (BRA) de Paris 1 Archives Yves Person (d’après l’inventaire du 31 juillet 1997) 4a, Touba, Séguéla et Mankono (Côte d’Ivoire) 4b, Cercles d’Odienné et de Bondougou (Côte d’Ivoire) 4c, Guinée, travaux et documents liés à la thèse sur Samori 4d, Mali, Cercles de Sikasso, de Mahou, et de Bougouni 4e, Notes et documents liés à la thèse sur Samori, copies de rapports coloniaux 4f, Notes sur la personne de Samori, Cartes 4g, Thèse 4h, Administrateur, rapports 4i, Cercle de Siguiri 4j, Archives 4k, Thèse complémentaire 4z, Travaux et documents liés à la thèse sur Samori 8c6, Tradition orale et chronologie 11a10, Dossier sur les traditions orales Musée de l’Armée – Invalides Fonds iconographique. Six photographies de Samory. Capitaine Tamburini. Inv. 12375/1-11 536 Service Historique de la Défense (SHD) de Vincennes – Armée de Terre GR1K316-1 Fonds général Lebas, capitaine d’artillerie au Soudan. Allusions à Samory GR2K194 Album photo « Prise de Samory ». 166 photos, 1898, prises par Gouraud. Album ayant appartenu à de Lartigue GR2K292 Photographies du lieutenant Rampont. 22 photographies du Soudan et de Samory 5H192-2 Capture de Samory. Correspondances de Lartigue et Gouraud 5H211 Drame de Dankori. Rapports de Joalland 5H214 Animisme et fétichisme au Niger National Archives (Londres) Admiralty, Naval Forces, Royal Marines, Coastguard, and Related Bodies ADM 196/82 Accoutant, Medical and Navigating Branches' officers : Migeod p. 410 Colonial Office CO 417/193 South Africa, Foreign Office, 1896 (Septembrer-November) CO 417/194 South Africa 1896 - Public Offices - War – Home (January-August) CO 417/195 South Africa 1896 - Public Offices - War – Home (August-December) CO 417/196 South Africa, Miscellaneous, 1896 CO 417/197 South African Company, 1896 CO 417/227 South Africa, Foreign Office, 1897 (January-March) CO 417/230 South Africa, Foreign Office, 1897 (October-December) CO 417/231 South Africa, War Office, 1897 (January-December) CO 417/232 South Africa, 1897 Offices Miscellaneous CO 417/233 South Africa, 1897 Offices Miscellaneous CO 417/242 South Africa, 1898 (January-February) CO 417/243 South Africa, 1898 (March) CO 417/249 South Africa, Foreign Office, 1898 (January-April) CO 455/1 BSAC Gazette 1894-1900 CO 545/8 High Commission for South Africa, 1897 CO 545/9 High Commission for South Africa, 1898-1899 Dominions Office DO 191/204 Press and Radio Activities in Southern Rhodesia, 1964-1965 Foreign and Commonwealth Office FCO 14/159 Telecommunications : Rhodesia : Telecommunications and postal traffic : Meeting of sanctions commitee FCO 36/276 Rhodesia : Information : Supply of TV material to Rhodesia FCO 36/277 Broadcasts by Zambia Radio to Rhodesia (1967) FCO 36/935 Radio, Press Reports and Information on University of Rhodesia (1971) FCO 36/950 Transcripts and Reports of Television and Radio Programmes about Rhodesia (1971) FCO 36/1252 Information on Rhodesia from Broadcasts of Salisbury Radio (1972) FCO 92/17 BCRO (British Commission on Rhodesian Opinion) Meetings/talks with detainees (1972) Foreign Office 537 FO 371/188035 Radio and Television : Rhodesia (1966) War Office WO 32/7840 Rhodesia, 1897 WO 32/7842 South Africa, Foreign, 1897 School of African and Oriental Studies (SOAS) – Archives and Special Collections (Londres) Migeod section. MS 98024 Army Book MS 98013 Histories of Babatu and Samori and others, 1914, 180 folios SECTION C. ARCHIVES PRIVÉES ET DOCUMENTS DIVERS GADO, Boubé, « La Sarraounia de l’Arewa », inédit, polycopié, 3 p., daté du 14 avril 2004 et du 11 mars 2008. MAMANI, Abdoulaye, Anthologie de la poésie de combat 1945-1960, Quinze ans de lutte en Afrique Noire, tome I, Afrique d’expression française, non daté, 257 p., tiré à une dizaine d’exemplaires par l’auteur, diffusion personnelle. PÉNEL, Jean-Dominique, fascicule « Abdoulaye Mamani », papiers officiels, cartes et diplômes. Tapuscrits de l’auteur, édités au cours de la rédaction de notre thèse : Babemba, et en collaboration avec nous : À l’ombre du manguier en pleurs, et Le puits sans fond. Tapuscrits qui lui sont attribués, sans certitude : diverses productions poétiques. TIDJANI ALOU, Antoinette, « Rapport du « Terrain d’enquête sur la Sarraounia » mené à Lougou et Bagagi, du 21 au 28 janvier 2004 », Groupe de Recherche sur « Littérature, Genre et Développement : Visions et Perspectives Nigériennes », inédit, polycopié, 53 p. 3. PRESSE Armée et Marine, revue hebdomadaire illustrée des armées de terre et de mer, n°43, 28 octobre 1900. Rhodesia Herald, Salisbury, juillet-septembre 1964 ; septembre 1979. Sawaba, Organe du Mouvement socialiste africain (section du Niger), 1957-1959, n°1 à 10. Talaka, Organe Officiel de l'Union des syndicats confédérés du Niger (n°1 de 1955). Illustrations de la presse coloniale : L’Indépendant de Saint Clause, Supplément Littéraire Illustré, 18 novembre 1899, n°6, p. 8. « La mort de Voulet ». Le Petit Journal, Supplément illustré, 30 octobre 1898, n°415, Une. « Capture de Samory par le lieutenant Jacquin ». Le Petit Journal, Supplément illustré, 5 février 1899, n°429, p. 48. « Tentative de suicide de Samory ». Le Progrès Illustré, 22 janvier 1899, n°4, p. 8. « Le Général de Trentinian reprochant ses 538 crimes à Samory ». Lectures pour tous, Revue universelle illustrée, « La capture de Samory, Journal de route du capitaine Gouraud avec treize illustrations et deux cartes », 11ème numéro, 1er août 1899, p. 962-976. Culture France : réception du film Sarraounia de Med Hondo dans la presse européenne Christophe d’Yvoire, « Sarraounia. Sous le soleil de plomb du Burkina Faso, ex Volta, un tournage épique », Première, juillet 1986. Films Français, 31 octobre 1986. Fiches Cinéma, 19 novembre 1986. Paola Flor et Luigi Elongi, « Sarraounia, une reine africaine », Afrique Asie, 15-28 décembre 1986, p. 54. RFI, juillet 1990, script. American Film Insitute, April 1987. Le Monde, 30 mai 1992. 4. MÉMOIRES ET THÈSES Bibliothèque Nationale de Guinée (Conakry) Mémoires de fin d'études CAMARA, Sékou, « L'Almami Samori Ture et sa politique d'ouverture sur la Côte d'Ivoire », Mémoire de fin d'études, IPGAN (Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser), Conakry, 1974. (Cote1923, 109p) FOFANA, Kalil, « L'Almami Samori Toure empereur », Mémoire de fin d'études, IPGAN (Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser), Conakry, 1980. (Cote 1777, 90p) KABA, Soumaoro, « L'influence de l'Almamy Samori Touré dans la région forestière, 1830-1890 », Mémoire de fin d'études, IPGAN (Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser), Conakry, 1970 (Cote 1777, 115p) TOURÉ, Ibrahim Kalil, « La guerre de résistance de l'Almami Samori Touré contre l'intrusion coloniale française », Mémoire de fin d'études, IPGAN (Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser), Conakry, 1974. (Cote 1778, 110p) Bibliothèque de l’Université Abdou Moumouni (Niamey) IDI, Ousmane Maman, L'esthétique d'Abdoulaye Mamani dans Sarraounia, mémoire de Lettres Modernes, université Abdou Moumouni de Niamey, 1988-1989, sous la direction d'Amadou Maïlélé et André Guyon. En annexe : Entretien avec Mamani Abdoulaye à Zinder le 16/12/1986, réalisé par Ousmane Maman Idi. KAOUM, Boulama, Les conflits dans Sarraounia, mémoire de Lettres Modernes, université Abdou Moumouni de Niamey, 1991-1992, sous la direction d'Ousmane Tandina. OUMAROU, Hama, Étude comparative des figures mythiques féminines de Kassey et de Sarraounia : femme, magie et pouvoirs, mémoire de Lettres Modernes, université Abdou Moumouni de Niamey, 2003-2004, sous la direction d'Antoinette Tidjani Alou. University of Zimbabwe (Harare) Masters / Dissertations MUSIYIWA, Mickias, The Significance of the Use of Oral Traditions in Solomon 539 Mutswairo and Ngugi Wa Thiongo's novels : A Comparative Analysis, 1998, University of Zimbabwe. MTEWA, A., Old Testament Apocalypticism : A Reflection on Zimbabwean's Chimurenga Music and Poetry 1966-1980, 2007, University of Zimbabwe. MPONDI, Douglas, The Shona Novel's Depiction of the Liberation Struggle in Zimbabwe, 1993, University of Zimbabwe. NEUSI, K., Nehanda : The History of the Mhondoro and the Svirikos, 1983, University of Zimbabwe. Thèses CHIWOME, Emmanuel, Factors that Under-developped Shona Literature with Particular Reference to Fiction 1950-1980's, 1994, University of Zimbabwe. CHIWOME, Emmanuel, The Poetics of Shona Song and Verse, 1987, University of Zimbabwe. KAHARI, George Payne, The Development of Contemporary Shona Narratives 1890-1984, 3 volumes, 1987, University of Zimbabawe. MASHIRI, Pedzirai S., Interpretations of the Author's Vision of Women in the Shona Novel, 1994, University of Zimbabwe. 540 INDEX ballet * 31, 36-38, 40-42, 49, 52-53, 129-130, 132, 146, 166, 213-217, 236, 337, 366, 411-412, 428, A 431, 437 * Ballets Africains * 213-214 Afrique Centrale, mission * Voir mission (Afrique bataille * II.1.1.2 Centrale) 79, 95-96, 104, 121, 126, 135, 155, 159, 162, 181, administrateur * 44,-45, 53, 68, 70,-71, 74-78, 90-91, 215, 250-256, 258, 275-276, 289, 299, 309, 312, 170, 466 314-315, 320-322, 326, 329-330, 332-333, 375, agrammaticalité * 138, 374, 403, 407-408, 410-411, 381, 395, 407, 414-416, 435, 475 • Voir aussi 428, 479 • Voir aussi intertexte, intertextualité guerre, guerrier Aix-en-Provence * 17, 45, 72, 374, 389, 403 bibliothèque coloniale (imagerie coloniale) * I. 1.1 amnésie * 299, 425, 469, 492 • Voir aussi oubli, 67, 379, 413 • Voir aussi imaginaire (imaginaire mémoire colonial) ancêtre * 84, 98, 103, 112-115, 139, 142, 148-149, Bissandougou * 31, 350, 403 151, 154, 160, 162, 173, 177-178, 182, 184, 186, Boer * Voir colon 190, 192, 202, 204, 208, 216, 223, 232, 257, 262, bori * 136, 300, 303, 370, 398, 412 273-274, 291, 296-297, 311-312, 318-319, 383, * Sarkin Bori * 398 387, 397, 412, 420, 427, 487 • Voir aussi animisme, religion, paganisme, païen, sarauniya anglais (langue anglaise) • Voir Grande-Bretagne Bouna * 418, 449 animisme * 30, 126, 129, 197, 286, 291, 298-299, 301, British South Africa Company (BSAC) * 26, 32, 85, 344, 376, 451 • Voir aussi paganisme, religion, bori 186, 271, 274, 296, 320, 332, 460-461, 469-471, archives * Avant-Propos, III.2 474 14-18, 21, 39-40, 43-47, 54, 74-77, 83-85, 93, 97, 108, 112, 124, 129, 131, 145-147, 160, 178, 192, C 204, 207, 212, 226, 251, 322, 335, 355, 359, 364, 369, 373, 381, 388-395, 399, 405, 428, 439, 467- canonisation * I.2.1.5 469, 471, 477, 484, 487, 490 • Voir aussi 199, 221, 411, 418 imaginaire (imaginaire de l'archive) capitale * III.1.3.4 authenticité * 25, 66, 136, 212, 214, 393-394 18, 110, 210-211, 213, 218, 281, 378, 432, 434, * authentique * 211 435, 437, 438, 476, 479, 489 • Voir aussi lieux de mémoire, commémoration B capture * 26, 80, 82, 83, 88, 108, 135, 160-161, 191, 202, 218-220, 244, 251, 255, 286, 303, 305, 317- BBC * Voir radio (BBC) 318, 326, 370, 373, 389-399, 402-403, 419, 471 • Voir aussi photographie caricature * III.2.1.1 541 445-446, 460 christianisme * 33, 303-304, 323, 473, 484 • Voir carnage * 121, 327, 331, 378 • Voir aussi bataille, aussi chrétien, religion, évangélisme horreur, trauma, traumatisme cinéaste * 20, 44, 172, 225, 226, 228-229, 231, 233- carte * 15, 26, 30, 94, 97, 122, 195, 217, 278, 332, 367, 234, 278 • Voir aussi cinéma 370, 416-417, 422, 432, 436, 461 • Voir aussi cinéma * I.2.3.1 cartographie, cartographier, échelle 23-24, 38, 58, 63, 212, 214, 226-227, 229, 231, * carte des empires de Samoi * 27 233, 282, 438 • Voir aussi cinéaste * carte de la mission Afrique Centrale * 28 colon * 32-33, 85-87, 89-90, 106-107, 121, 139, 161, * carte de la Rhodésie du Sud * 29 177-178, 186, 229, 244, 256, 258, 272, 274, 281, * carte de Conakry et des lieux de mémoires en 296-297, 320, 326-327, 333, 383-384, 387, 399, Guinée * 424 • Voir aussi Conakry , lieux de 457, 459, 461, 472, 476, 481-482, 492 • Voir aussi mémoire colonisation, mission Afrique Centrale imaginaire * carte de Harare * 435 • Voir aussi Harare, lieux de colonial mémoire * Boer * 32, 271, 382 cartographie * 13, 242, 259, 330, 460, 461 • Voir aussi colonisation * 14, 17, 20, 24, 30-33, 44, 53-54, 66-67, carte, cartographier 77-80, 84, 90, 93, 96, 111, 114, 117, 122, 124, 131, cartographier * 51, 374 • Voir aussi carte, cartographie 137, 139, 146, 151, 161, 163, 186, 193, 195-196, Cassandre * II.2.2 199, 201, 204-205, 208-209, 215-217, 226, 228, 120, 286, 305, 307 • Voir aussi prophétie 230, 232-233, 244, 258, 266, 274, 285-286, 292, chanson * I.1.2.2, I.2.1.2, I.2.2.2 301-307, 311, 317-318, 321, 324-328, 330, 332, 14, 37, 46, 52, 104, 111-113, 115, 154, 157, 159, 335, 341, 370, 372, 375-377, 380, 383, 402, 412, 183, 185-186, 205, 207-210, 213, 219-220, 235, 418-420, 422, 436-437, 443-448, 457, 460, 465, 277, 279, 310, 317, 350, 352, 366, 378-380, 418, 467, 475, 477-478, 480-481, 483, 487, 492-493 • 426, 445-446, 463, 489 Voir aussi colon, mission Afrique Centrale, • Voir aussi chant, Chimurenga songs, musique, radio, guerre (chants imaginaire colonial, bibliothèque coloniale de guerre) * colonisation française * 90, 111, 228, 380 chant * I.1.2.2, I.2.1.2, I.2.2.2 * colonisation britannique * 32, 57, 307 • Voir aussi 15-18, 36, 39, 41-44, 49, 53, 58, 67, 89, 99-106, Grande-Bretagne 110-115 , 129-132, 139, 142, 153, 155-159, 162, * colonisation de l'imaginaire * 79 182, 186-190, 192, 206-207, 210, 212, 218, 214, colonne Voulet-Chanoine * Voir mission Afrique 231, 233, 245, 264, 266, 270, 290, 299-300, 304, Centrale 310, 312, 318-319, 323-325, 338, 351-352, 355, commémoration * I.2.2.3, III.1.3.4 366, 373, 375, 390, 410, 426-430, 432, 437, 463- 114, 151, 205, 217, 219, 221, 223, 399, 415-417, 465, 470-471, 473, 487-491 • Voir aussi chanson, 435 Chimurenga songs, musique, radio, guerre (chants capitale de guerre) • Voir aussi lieux de mémoire, mémoire, Conakry * 14, 18, 21, 42, 44, 76, 113-114, 151, 154- Chimurenga songs * 36, 40, 46, 53, 67, 99, 103, 106, 155, 158, 195, 204, 210-212, 214-215, 218-220, 110, 112, 115, 139, 142, 149, 164, 166, 174, 181, 226, 228, 230, 235, 302, 381, 390, 415, 417, 432, 184, 187, 189, 190, 191, 192, 202, 220, 254, 257, 436-437, 490 • Voir aussi capitale, lieux de 289, 297, 310, 316, 318, 319, 326, 334, 427 • Voir mémoire aussi chant, chanson, musique, radio, guerre * carte de Conakry * 424 (chants de guerre) chrétien * 290-291, 293, 433, 459 Côte d'Ivoire * 31, 68-69, 72, 99, 116, 118, 132, 193, • Voir aussi 226, 230, 294-295, 331, 417-418, 420, 422-423, religion, christianisme, évangélisme 434, 449, 493 542 esclavage * 114, 116-117, 157, 211, 263, 294, 368, D 399, 407-408, 410, 417, 421-423, 434, 459, 466 • Voir aussi mémoire (de l'esclavage) Dakar * 17, 36, 44, 200, 226-229, 243, 282, 389, 409, * esclave * 31-32, 81, 127, 157, 207, 228, 231, 321, 490 • Voir aussi capitale 328, 333, 408, 422, 457-460 • Voir aussi razzia déception * 46-47, 68, 83, 167, 181, 214 • Voir aussi * esclavage de case * 466 silence (sources) * travail forcé * 422, 446 désespoir * Voir espoir espoir * 118, 149, 177, 193, 197, 306-307, 315, 335, désir * 150, 172, 284, 304, 307, 343, 348, 358, 362, 431 405 * désespoir * 152, 231, 265, 308 discipline (partage des savoirs) * III.1.1.2 ethos * III. 1.2.3 47, 49, 56, 58, 90, 239, 361-368, 460, 490-491 173, 298, 299, 371, 374, 377, 394, 403-408, 410, * indiscipline * 490-491 412-413, 450-451 évangélique * 473 • Voir aussi religion, chrétien, E christianisme évangélisme * 296 • Voir aussi religion chrétien, échelle (analyse, géographie) * 26, 41-42, 51, 65, 67- christianisme 68, 101, 122, 132, 150, 158-160, 167, 171, 192, extralinguistique * II.3 202, 205, 208, 226, 230, 235, 240-241, 244, 251, 241, 245, 348, 352-353, 356 • Voir aussi nom 254, 266, 278, 299, 323, 340, 349, 352, 414, 417- propre 418, 422-423, 425, 431-432, 436, 439, 443, 457, 489 • Voir aussi carte, cartographie F * conflit d'échelles * 414-417, 452 élite * I.2.1, I.2.2 femme * Avant-Propos, Introduction, II.2.3.3 60, 66, 68, 84, 103, 110, 123, 128, 130, 138, 167, 16, 20, 30, 48, 52, 84-85, 87, 89, 94-95, 107, 123, 170-176, 184, 186, 192, 196, 203, 213, 223, 235, 125-126, 130, 132, 136, 141, 148-149, 153, 156- 237, 249, 328, 451, 487 • Voir aussi rumeur, 157, 193, 197, 215, 245, 252, 263,-266, 271-272, peuple, populaire 279-280, 292, 303, 308, 311, 334-340, 343, 352, enquête (méthode de travail) * 13-14, 17, 20-21, 42, 354-355, 383, 398-399, 401, 407, 409, 411, 413, 44-47, 71, 170, 182, 226, 349-350, 352, 376, 393, 421, 428, 430, 446, 457-458, 467, 479, 482 • Voir 422, 487, 490-491 • Voir aussi indice, trace aussi genre, guerrière (héroïne) * enquête militaire sur la mission Afrique Centrale * * femmes soldats (Zimbabwe) * 142, 144, 234, 471 45, 91, 93, 96, 124, 370, 393-394, 467-468 * femmes guerrières * 334, 342, 408 • Voir aussi * enquêtes orales * 157, 298, 376 guerrière (héroïne) épique * III.2 150-151, 153, 156, 233, 243, 253, 267, 286, 327, * femmes au foyer * 335 329, 350, 358, 368, 371, 377, 441-443, 455, 457, * femmes fatales * 341 477, 479, 492 * coépouse * 263-264, 335-336 • Voir aussi épopée, genre fiction * Introduction, III.1, III.2.2, Conclusion (littéraire) 24, 52-55, 58-62, 82-83, 167, 239-245, 249, 259, épopée * III.2 285, 302, 314, 346, 348, 352-353, 359, 362-367, 37-38, 40, 53, 115, 119, 123, 150, 152-153, 155, 371, 376-378, 387-388, 398, 401, 414, 438, 442, 160, 166, 208-209, 213, 266, 279, 286, 326-327, 457-458, 462, 465, 467-468, 492-493 • Voir aussi 338, 350, 377, 420, 442-445, 455, 480 • Voir aussi représentation épique 543 * fiction transfuge * 240-241, 249, 259 • Voir aussi * anglais (langue anglaise) * 15, 38, 44, 46, 58, 62, transfuge, intertextualité 146-147, 153, 173, 179, 182, 184, 189, 201, 306, * fiction de méthode * 365 399, 460 * non-fiction * 55 guerre * II.2.3.2 * univers fictionnel * 241, 289, 347, 443 24, 30-33, 67, 72-78, 81, 85, 87-89, 96, 102, 106- * panfictionnalisme * 362, 365 107, 125, 127, 134, 136, 142, 150, 153, 156, 161, figuration * 116, 357, 419, 441, 489 • Voir aussi 164, 175, 185-192, 200-202, 207-210, 217, 221, figure, représentation 229, 234, 236, 255-256, 258, 260, 262-263, 265, figure ! Introduction, II.3 267-268, 277, 279-280, 282, 299-300, 309, 311, 23, 25-26, 33, 41-44, 47, 49-52, 56-58, 61, 62-63, 313, 315, 325-341, 350, 368, 377, 395, 398, 399, 66, 76, 79-80, 90, 97, 100, 103, 111, 114, 120, 129- 405, 413-419, 423, 427-430, 439, 446, 450, 458, 131, 133, 137-138, 141-142, 149, 150-151, 156, 464, 470, 473-474, 480, 490 • Voir aussi guerrier, 158-159, 160, 162, 164, 171-173, 181, 184-187, bataille, siège, surprise, trauma 192-193, 197-198, 200-204, 212, 215-217, 222, * guerre intra-africaine * 72, 112, 151, 156, 268, 226, 228, 236-237, 241-242, 244-245, 249-250, 293, 327, 330-331 255, 259, 261, 267, 274, 278, 285-286, 293, 296, * jihad peul * 280 301, 305-306, 309-310, 315, 320, 322-323, 330, * guerre coloniale * 327, 333 333, 335, 337, 340-343, 345-346, 348-358, 361, * guerre civile * 106, 192, 201 364-368, 370, 372, 378, 393, 399, 403-404, 406- * guerre de libération (Zimbabwe) * 150, 175, 192, 408, 411, 413, 416-419, 425, 427, 431, 436-438, 201, 234, 458 440-441, 443, 447, 449, 451-455, 464-465, 468, * guérilla * 42, 67, 87, 98-99, 103-105, 109-110, 470, 475-476, 483-485, 489-492 • Voir aussi 113, 128, 142-143, 173-174, 187, 190-195 • Voir figuration, héros, héros culturel, mythe aussi peuple ("être dans le peuple…" Mao) * figural * II.3.1 * Première Guerre mondiale * 107 346-347 * entre-deux-guerres * 90, 110, 475 Frente de Libertaçao de Moçambique (FRELIMO) * * Seconde Guerre mondiale * 24, 33, 39, 78, 235, 110, 208, 235 475 * guerre des mémoires * 413, 415-416, 418, 423, 439 • Voir aussi mémoire, échelle (conflit G d'échelles) * guerre de représentations * 419 genre (masculin, féminin) * 16, 19, 30, 52, 255, 270, • Voir aussi représentation 272, 334, 337, 338, 339, 442, 443-444, 455 • Voir * chef de guerre (masculin, féminin) * 30, 73, 96, aussi femme, guerrière (héroïne) 134, 156, 161, 279, 337, 398 • Voir aussi guerrier, genre (littéraire) * 23, 53-54, 57, 139, 150, 173, 186, héros 242, 283, 312, 358, 363, 442-444, 455 • Voir aussi * prise de guerre * 31, 321, 399 épique, mythique * chants de guerre Grande-Bretagne * 67, 176 • Voir aussi colonisation * 67, 187 • Voir aussi Chimurenga songs, chant, chanson, musique britannique , Londres * cri de guerre * 107, 311 * Britanniques * 24, 31-32, 45, 57, 71, 85-86, 92, * machine de guerre * 202, 236, 263, 490 100, 175, 177, 186, 231, 244, 278, 286, 306-307, guerrier * 24-25, 49, 85, 94, 102, 104, 107, 111-112, 320, 325, 377, 389, 447, 459, 470, 474-476, 479- 120, 125-126, 133, 154, 152, 156, 159-163, 187, 480 250, 257-258, 263, 275, 277, 279-281, 286, 293, 301-302, 309, 312, 320, 326, 328-335, 342, 351, 375, 381, 421, 433, 461, 463, 465, 474, 480, 482 • 544 Voir aussi guerre, chef de guerre, héros, figure, * héroïne * 19, 41, 43, 46, 52, 84, 97, 99, 102-103, bataille, héros culturel, sofa 106, 113, 122-123, 127-130, 133-134, 138, 146- * paysan-guerrier (guérilla) * 188 • Voir aussi 149, 184, 197, 216, 233, 235, 240, 252-253, 255, guerre (guérilla) 289, 291-292, 309, 319, 334-340, 357, 391, 398- guerrière (héroïne) * II.2.3.3 52, 123, 125, 127, 130, 399, 429-430, 451, 457, 470, 477, 489 133-134, 181, 193, 216, 270, 292, 333-342, 492 • * héroïne panafricaine * 325 • Voir aussi femme, Voir aussi femme, genre guerrière (héroïne), genre Guinée * 17, 24, 31, 37, 40-41, 44, 53, 56, 65-67, 76- héros culturel * Introduction 78, 81, 90, 98-99, 111, 112-119, 132, 150-155, 41, 48-50, 52, 57, 59-63, 65, 84, 131, 138, 167, 158-161, 173, 195, 199-200, 204-220, 226-231, 169, 170, 202, 235, 236, 255, 318, 364, 365, 370, 285, 294, 301, 332, 342, 346, 365, 373-374, 378, 391, 404, 406, 422, 425, 427, 438, 490 • Voir aussi 392, 403, 414, 418, 420, 422, 425, 432-433, 452- héros, héroïne, figure, guerrier, mythe, épopée 453, 487 • Voir aussi indépendance (indépendance homonymie * II.3.1.2 de la Guinée) 84, 131, 242, 348 • Voir aussi nom propre, * carte des lieux de mémoire en Guinée * 425 extralinguistique horreur * 124, 157, 252, 280, 327, 329, 369, 376, 377 • Voir aussi carnage, infanticide, trauma H I haoussa * 19, 30, 37-38, 71-73, 91, 123, 125-126, 132135, 138, 173, 194, 216, 229, 232-233, 278, 280, identitaire * 32, 50, 167, 177, 211, 366, 414-418, 449- 293, 339-341, 352, 354, 369, 411, 414, 428, 451, 450 • Voir aussi identité, identité collective, 480, 488 représentation harangue * II.2.2.2 identité * 15, 50, 57, 59-60, 98, 140, 147, 183, 242, 281, 305, 309-310, 312, 314, 328, 333, 357, 472 314, 319, 338, 367, 376, 415-416, 442, 472, 491 • Harare * 13, 14, 21, 36, 40-42, 44, 85, 139, 145-147, 185-186, 192, 220, 234, 236, 390, 399, 415, 436, Voir 438, 490 • Voir aussi capitale, lieux de mémoire, représentation aussi identitaire, carte * carte d'identité * 15, 367 * carte de Harare et des lieux de mémoire * 436 * identité nationale identité collective, * 25, 98, 367 • Voir aussi nation, nationalisme, imaginaire national héros * Introduction 25, 26, 32, 37, 41, 46-50, 52, 57, 59-61, 63, 65-66, * identité collective * 140, 314, 372 • Voir aussi 80, 84, 98, 102, 112, 115-117, 121-122, 124, 130- identitaire, imaginaire collectif, représentation imaginaire * Introduction, III, Conclusion 131, 137-138, 140-141, 144, 150-151, 153, 156, 158, 160-161, 166-167, 169, 171-174, 181, 185- 13-14, 20, 24-26, 42-43, 47, 50-51, 53, 58-59, 66, 186, 192, 199-206, 209, 215, 218-219, 223, 230, 74-75, 79, 80, 85, 87, 130, 161, 171, 199-200, 214, 233, 235, 236, 240-242, 244, 249-250, 255, 259- 216, 225, 239, 284, 306, 357, 359, 366, 367-368, 260, 267-268, 278, 281, 285-287, 297, 301-305, 374, 379-380, 388-387, 397-398, 404, 413-417, 309, 312, 314-316, 318,-320, 325-326, 334-336, 423, 435, 440, 446, 474, 484, 487-488, 491 • Voir 338, 342-348, 364-367, 370, 375, 377, 379-381, aussi colonisation (colonisation de l'imaginaire), 391, 399, 404, 406, 413-414, 420, 422, 425, 427, représentation 431-432, 436, 438, 442, 454, 463, 466, 468-471, * arrière-pays imaginaire * 13 475, 481, 484, 490 • Voir aussi héros culturel, * imaginaire collectif * 24, 58, 214, 365-367, 371, figure, guerrier, épique, mythe 373, 378, 440, 484 • Voir aussi identité collective, mémoire collective, représentation 545 * imaginaire national * 378 • Voir aussi nation, 57, 242, 455 • Voir aussi variante, variation nationalisme, mémoire nationale islam * III.2.1.2 * imaginaire historique * 130, 487 120, 123, 126, 134-135, 201, 280, 291-293, 296, * imaginaire de l'archive * 373 • Voir aussi archive 298, 300-301, 303-304, 448-449, 451-452 • Voir * imaginaire colonial * 398 • Voir aussi aussi musulman (religion musulmane), religion, bibliothèque coloniale animisme, paganisme, guerre (jihad) * imaginaire clivé * 454 * anté-islamique/pré-islamique * 120, 123, 126, indépendance * I.1.2, III.2.1 448, 451-452 • Voir aussi paganisme, païen 15, 25, 65-68, 80, 84, 98-99, 111-114, 130-131, * convertir à l'islam * 134-135 140-141, 146, 149, 164, 167, 170, 172, 176, 181, * islam sunnite * 280 193, 198-200, 204-210, 213, 218, 220, 222, 227, * islamiste * 304 231, 235, 326, 375, 413, 436, 444-445, 447-448, * non-islamique * 52 453, 455-456 • Voir aussi référendum * indépendance du Niger (1960) * 67, 122, 130-131, J 193, 198 • voir aussi Niger * indépendance de la Guinée (1958) * 67, 111-114, jihad * Voir guerre (jihad) 204-23 • Voir aussi Guinée * NON au référendum de 1958 (Guinée) * 111-114, K 194, 198, 204, 206-207, 209-210, 213, 219 • Voir aussi référendum Kankan * 31, 37, 75, 154-155, 160, 214, 218, 268, 282, * indépendance du Zimbabwe (1980) * 67, 131, 432-433 140-141, 146, 220, 222 • Voir aussi Zimbabwe Kong * 31, 53, 69, 70, 78, 81, 82, 152, 157, 160, 295, * UDI (Unilateral Declaration of Independence), 381, 393, 418-419, 450 Rhodésie (1965) * 175-176, 182, 475 * Liberation Struggle (1965-1980), Zimbabwe * 44, 67, 98, 106, 142-144, 177, 185, 234, 425-426, 471 L * Déclaration d'indépendance des Etats-Unis * 401 * commémoration des indépendances * 15, 435-440 lieux de mémoire * 24, 414-415, 417, 432, 437 • Voir indice * 46, 88, 91, 133, 328, 339, 412, 491 • Voir aussi carte (carte des lieux de mémoire), capitale, aussi trace, enquête commémoration, mémoire, représentation, oubli indiscipline * Voir discipline Londres * 36, 40, 45, 71-72, 85, 179, 182, 191-192, infanticide (Samori) * 116-117, 121, 266, 347, 410, 228, 385, 469-470 453 • Voir aussi horreur, trauma Lougou * 20, 30, 37, 40, 44, 91, 92, 93, 94, 95, 97, interprète (personne, personnage) * III.2.2.3 122, 123, 124, 125, 129, 130, 134, 136, 233, 250, 134, 223, 251, 275, 327-328, 444, 465-468, 475, 251, 252, 253, 258, 275, 280, 298, 305, 307, 315, 478 • Voir aussi passeur 320, 321, 322, 330, 341, 353, 355, 371, 376, 399, intertexte * 50, 61, 75, 77, 80, 96-97, 123, 133, 136, 412, 429, 452, 479 138, 172, 186, 232, 253, 317, 322, 365, 368-370, 373-374, 376, 378-379, 388, 392, 397, 407-408, M 411, 437, 440, 490, 492 • Voir aussi intertextualité, agrammaticalité, transfuge, transvalorisation Mali * 31, 36-37, 41, 99, 112-113, 116, 118, 132, 153, intertextualité * 58, 61-63, 259, 376 • Voir aussi intertexte, agrammaticalité, 156-157, 196, 230, 288, 294, 378, 417, 419, 422, transfuge, 449, 478, 489 transvalorisation, variante, variation invariant * II.1.2 546 malinké * 18, 37, 44, 67, 69, 76, 90, 112-113, 115, mission * mission Afrique Centrale * (carte) 28 * 30, 120, 154, 159, 173, 207, 214, 275, 281-282, 288, 54, 91, 94, 123, 133, 322, 329, 371, 377-378, 468- 331, 369, 380-381, 489 469 • Voir aussi colonisation, colon manuels scolaires * 31, 39, 41, 43, 49, 52, 53, 66, 123, Mozambique * 44, 84, 85, 106, 110, 142, 143, 144, 131, 133-136, 143, 146, 150, 151, 187, 199, 200, 182, 184, 188, 192, 208, 214, 231, 234, 235, 317, 213, 215, 217, 220, 236, 340-341, 366, 373, 378- 417, 475 380, 402, 418- 420, 423, 488-489 musique * I.1.2.2, I.2.1.3, I.2.2.2 Maputo * 44, 182, 184, 192 39, 62, 112-114, 182-183, 190-191, 211-213, 215- marxisme * 127 • Voir aussi socialisme 216, 391, 466 • Voir aussi chant, chanson, * marxiste * 143, 187, 258, 282, 410 Chimurenga songs, guerre (chant de guerre), radio mélancolie * 330, 331 musulman (religion musulmane) * 72, 120, 134, 152, mémoire * 14, 16-17, 19-20, 23-24, 41, 45, 46, 58, 59, 157, 268, 286-288, 291-305, 327-328, 408-409, 60, 61, 63, 68, 75, 77, 85, 88, 90, 93, 97, 98, 99, 448, 450-452 • Voir aussi islam, religion, 106, 116, 117, 136, 140, 157, 158, 177, 196, 220, paganisme, païen 223, 226, 245, 270, 286, 298, 299, 312, 318, 324, * loi musulmane * 120, 448 331, 339, 344, 348, 350, 356, 359, 361, 364, 365, * mauvais musulman (Samori) * 72, 286, 293-294, 366, 369, 375, 376, 379, 382, 413-425, 427, 412, 301 432-439, 450-451, 463, 469, 473, 476, 478, 481, * fanatisme musulman (ennemis de Sarraounia) * 483-484, 487, 490-491, 493 • Voir aussi lieux de 291-292 mémoire, guerre des mémoires, commémoration, * Musulmans (communauté) * 134, 157, 288, amnésie, oubli, silence 293294 * mémoire locale * 91, 99, 367, 425, 427, 433-434, mythe * Introduction 439, 481 • Voir aussi guerre des mémoires, échelle 19, 26, 42-43, 47-51, 61, 77, 82, 84-85, 108, 112, (conflit) 123, 129, 136, 151, 175, 241, 242-243, 297, 338, * mémoire nationale * 99, 117, 236, 367, 414, 418, 341, 343, 352, 354, 365, 377, 389, 394, 404, 411, 425, 427, 431 • Voir aussi nation, nationalisme, 432, 451 • Voir aussi mythique, figure, épopée imaginaire national, identité nationale, guerre des mythique * 49, 216, 242, 338, 353, 413, 432, 478 • mémoires, échelle (conflit) Voir aussi mythique, genre (littéraire) * mémoire collective * 23, 60-61, 63, 299, 356 • Voir aussi imaginaire collectif, identité collective, N représentation * guerre des mémoires * Voir guerre des mémoires nation * I.1.2, I.2.2, III.1.3 * lieu de mémoire * Voir lieux de mémoire 25, 40, 43-44, 48, 52, 59, 65, 80, 84, 89, 98, 101, * mémoire (de l'histoire) coloniale * 20, 58-59, 77, 106, 112, 122, 140, 142, 177-178, 180, 191-192, 344, 359, 361, 366, 376, 382, 413, 416 204, 206, 211-212, 215, 217-218, 226, 234, 241, * mémoire postcoloniale * 41 290-291, 314, 317, 334, 341, 367-368, 412, 418, * mémoire de l'esclavage * 421-423 • Voir aussi 420, 469 • Voir aussi nationalisme, imaginaire esclavage national, mémoire nationale * mémoire institutionnelle * 428 nationalisme * I.1.2, I.2.2, III.1.3 * mémoires (ouvrage) * 53, 83, 86, 88, 96, 329 24, 98, 101, 106, 122, 176-177, 190, 203, 215, 217, métaphore * II.3 224, 315, 306, 401, 420, 489 • Voir aussi nation, 148, 356, 387, 455, 461, 463, 465, 472 identité, identité collective, imaginaire national, meurtre * 87, 91, 108, 251, 370, 391, 476 imaginaire collectif mhondoro * 32, 184, 185, 302, 303, 473 ndebele * 26, 181-183, 310, 385, 426, 475 547 Niamey * 16, 37, 40-41, 43-44, 124, 129, 195-196, * attribut paradoxal * 52, 242, 267-268, 285-286, 216, 220, 232, 233, 354-355, 356, 373, 375, 390, 292, 302, 304, 314, 316, 321-322, 334, 342-343, 415, 428, 436, 437, 438, 442, 478, 490 • Voir aussi 345, 356, 476, 484 capitale, lieux de mémoire * éloge paradoxal * 314 Paris * 45, 68, 76, 116, 187, 198, 213, 259, 314, 389, Niger * 15-16, 19, 24, 30, 37-38, 41, 43, 53-56, 65, 67, 69, 78, 81, 98, 122-123, 128-130, 133, 161, 173, 397, 405, 466-467 193-196, 215, 232-233, 275, 283, 285, 291, 296, * Voyage de Karamoko à Paris (1886) * 116, 259, 298, 301, 320, 331, 335, 338-342, 346, 354-355, 405, 466 365, 370, 373-376, 378, 392-393, 398, 412, 450- Parti Démocratique de Guinée (PDG) * 37, 112-113, 451, 465, 477-481, 488 • Voir aussi indépendance 115, 166, 173, 194, 204-208, 211, 213, 218, 432 • Voir aussi indépendance de Guinée (indépendance du Niger) passeur * II.2.2.3 nom propre * II.3 173, 444, 465-466 • Voir aussi interprète 25, 43, 151, 203, 245, 347-348, 352-358, 401, 455, peul * 113, 243, 278, 280, 341, 380, 414, 423, 453 489-490 • Voir aussi extralinguistique, homonymie * Alpha Yaya Diallo, roi peul du Labé * 113, 414 * Califat peul de Sokoto * 278 O * jihad peul d'Ousmane dan Fodiyo * 280 * "complot peul" (Guinée, 1976) * 423, 453 ORTF * Voir radio (ORTF) peuple * 33, 79, 81, 87, 101, 109, 117, 123, 129, 134, ORTN * Voir radio (ORTN) 135, 142, 148, 153, 173, 180, 186-187, 191, 194, oubli * 61, 103, 223, 226, 415, 420, 451, 469-471, 476, 484, 492-493 196-197, 199-200, 205, 208, 210, 231-232, 234, • Voir aussi amnésie, silence, 255, 261, 263, 278, 281, 286-288, 296, 300, 305, mémoire 307, 309-312, 318-321, 324-325, 332-333, 349- * oubliés de l'histoire * 325 351, 376, 380, 383-383, 395, 407, 409-410, 419, 442, 445, 453, 459, 481-483 • Voir aussi populaire, P élite, rumeur * peuple noir, peuple africain * II.1.2.3 paganisme * 291, 296, 301, 302, 303 • Voir aussi 231-232, 234, 266, 278, 281, 287, 409 • Voir aussi animisme, religion, païen, bori, sarauniya panafricanisme, panafricain païen * 136, 281, 293, 299-300, 302, 304, 378, 450, * (dés)union des peuples * 122, 127, 208, 266, 281, 452, 455, 458 • Voir aussi animisme, paganisme, 409 religion, bori, sarauniya * petit peuple * 129, 194, 197 , 376 panafricain * I.2.3, II.1.2.3 * voix du peuple * 173, 263 • Voir aussi rumeur 26, 122, 129, 171, 208, 212, 215, 225-226, 228- * ennemi du peuple * 350 235, 340, 407-408, 410, 412, 489 • Voir aussi * "être dans le peuple comme un poisson dans panafricanisme, héroïne panafricaine, peuple noir l'eau" (Mao) * 107 • Voir aussi guerre (guérilla) * Festival Panafricain d'Alger (1969) * 212 photographie * 19, 114, 129, 144, 147, 151, 190-191, panafricanisme * I.2.3, II.1.2.3 224-225, 229, 231, 232, 235, 439 218-221, 317, 353-354, 367, 389, 399-403, 436, • Voir aussi 469, 471, 473 • Voir aussi capture panafricain, peuple noir populaire * 18, 23, 43, 48, 52-53, 97, 100, 103, 115, panfictionnalisme * Voir fiction 128, 130-131, 172-174, 181, 183-186, 191-192, paradoxe * II.2, II.3 194-195, 201, 220, 230, 234, 237, 249, 268, 310, 284-287, 314-315, 325-326, 342-343, 345, 358, 403, 445-446, 447, 484 • Voir aussi peuple, élite, 438, 492 rumeur 548 postcolonial * 24-25, 41, 60, 67, 78-79, 122, 184, 199, * (Guinée) * 111-114, 194, 198, 204, 206-207, 209- 226, 229, 235, 286, 304, 325, 349, 374-376, 379, 210, 213, 219 • Voir aussi indépendance de la 381-382, 387, 389, 403, 409, 413, 419, 478 Guinée (1958) prophétie * 32, 104-105, 139, 148, 205, 242, 245, 250, * (Niger) * 198, 204 252, 254, 266, 269, 289, 305-307, 311, 345, 382, religion * II.2.1 427, 479 • Voir aussi Cassandre 32, 49, 52, 88-89, 103, 128, 187, 198, 242, 268, * "My bones shall rise again" (Nehanda) * 33, 104, 286, 287, 289, 291-292, 295-303, 324, 343, 345- 139, 148, 254, 306, 311, 323, 427 346, 384, 412, 450, 473, 492 • Voir aussi animisme, chrétien, christianisme, évangélisme, islam, musulman, mauvais musumlan (Samori), R paganisme, païen, bori représentation * 20, 31, 58-60, 63, 66, 80-81, 83, 98, radio * 13-16, 18, 21, 23, 38, 44-45, 52-53, 58, 62-63, 115, 120, 146, 167, 193, 213-214, 223, 236, 261, 138, 147, 170, 182, 191, 211, 213, 215, 220, 226, 266-267, 312, 315, 326-327, 329-334, 342, 366- 227, 240, 355, 364, 366, 439, 464, 488, 490 • Voir 368, 373-375, 403-404, 414-419, 430, 436-438, aussi musique, chant, chanson, Chimurenga songs 440, 442, 444-445, 448, 492-4934 • Voir aussi * BBC (Grande-Bretagne) * 182 identité collective, imaginaire collectif, mémoire * ORTF (France) * 37, 40, 121 collective, guerre des mémoires, guerre des * ORTN (Niger) * 37-38, 40, 43-44, 129-130, 233, imaginaires 428 * représentation collective * Voir imaginaire * RTG (Guinée) * 37, 40, 42, 44, 112-113, 153, collectif , mémoire collective 155, 164, 204-208, 212, 218, 235, 264, 312, 335, * représentation de soi * 371 338, 380, 390, 437, 446, 487-488 * représentation de l'archive * 403 • Voir aussi * Syliphone (label, Guinée) * 113-144, 204, 212, archive, imaginaire de l'archive 219, 437 résistance * Introduction * ZBC (Zimbabwe) * 15-16, 21, 146, 182, 220 20, 21, 24, 26, 31-33, 41-42, 84, 91-98, 100, 103, ratés 112, 117-118, 123, 130, 131, 133, 134, 142-143, héros * III.2.3 146-147, 150-151, 163, 170-171, 174-176, 181, 469, 471 185, 187, 193, 201-205, 215-216, 219-220, 222, razzia * 31, 124, 369, 417, 421, 423, 434 224, 226, 229-230, 235-236, 244, 249, 257, 259, rebelle * 30, 85, 185, 230, 469-470 • Voir aussi 266, 279, 292, 295, 304, 306, 308-309, 315-316, résistant, résistance, rébellion, subversif 318-319, 322, 325-326, 341, 369-370, 375, 378, rébellion 402, 418-420, 432, 437, 444, 451, 455, 457, 462, * de Voulet et Chanoine * 94, 96, 322, 468 • Voir 469, 477-483, 487, 491 aussi mission Afrique centrale, colonisation, colon • Voir aussi résistant, rebelle, colonisation, subversif , indépendance, * des Shona et Ndebele (Rhodésie) * 100, 107-108, guérilla (guerre), rébellion 145-146, 176-177, 180, 185, 220, 307, 461-462, * résistance passive * 24 473 • Voir aussi colonisation, shona, ndebele * résistance non-violente * 320 * rébellion nationaliste (Zimbabwe) * 101 • Voir * résistant, résistante * 24-25, 87, 89, 101-102, 122, aussi indépendance du Zimbabwe, nationalisme 124, 130, 134, 161, 163, 174, 186, 197, 204, 208, * rébellion du Sawaba (Niger, 1964) * 193, 198 • 215, 230, 236, 244, 266, 285, 317, 319, 326, 328, Voir aussi indépendance du Niger 335, 379, 393, 396, 414, 418, 474-478, 480-481 • référendum de 1958 (AOF) Voir aussi résistance, colonisation, rebelle, guerrier RTG * Voir radio (RTG) rumeur * I.1.1.3, II.3.1.4 549 19, 51, 60, 75, 80, 83-84, 90, 101, 103, 135, 138, subalterne * 16, 93, 170-171, 173-174, 178, 181, 184, 169, 172, 184, 192, 221, 237, 259, 330, 351-352, 199, 203, 235, 249, 259, 271-272, 458, 481 • Voir 358, 369, 389, 420, 403, 443, 481-482, 484 • Voir aussi peuple, populaire aussi peuple, voix du peuple (peuple), populaire subversion * 17, 66, 138, 170-171, 182, 189, 201, 203, 236, 299, 373, 375, 382, 390, 413, 427-428, 465, 489 S * subversif * 20, 90, 181, 193, 195, 213, 236, 336, 389, 392, 411 • Voir aussi rebelle, postcolonial Saint-Louis * 26, 53, 78, 370, 403, 490 sunnite * Voir islam sunnite sarauniya * 354, 430 • Voir aussi animisme, surprise (tactique militaire) * 277, 317, 329 • Voir paganisme, païen, bori, religion aussi siège, bataille Sawaba * 128, 135, 173, 192-198, 201, 340, 431 Syliphone * Voir radio (Syliphone, label) Sénégal * 41, 69, 72, 116, 118, 230, 264, 419-420, 449, 488-489 T shona * 11, 15, 32-33, 38, 46, 57, 84-90, 100-101, 103, 106-107, 139, 144, 147-148, 173, 176-182, 184, théâtre * 1.1.2.2 190, 221, 274, 286, 296-297, 301, 303-304, 306, 310, 318, 369-370, 384, 395-396, 425-426, 461, 18, 41, 52, 63, 66, 115-116, 121, 146, 152, 170, 469-470, 473-475 185, 214-216, 234, 258-261, 266, 303, 307, 330, * Mashonaland * 26, 33, 88, 178, 221, 251, 324, 355, 369, 386, 410, 439, 448, 453 332, 391-392, 474, 491 * théâtralité * 383 timbre * 147, 220 siège (Sikasso, par Samori) * 31, 37, 40, 74, 81, 121, tirailleur * 10, 75-76, 79, 81, 91-92, 95, 126, 130, 135- 152, 153, 155, 160, 161, 228, 245, 249, 259, 260, 283, 408, 417, 479-480 137, 215-216, 251-253, 275-277, 322, 339, 409, * siège (Sikasso, par les Français) * 478 422, 429, 449, 466-468, 482 Tombouctou * 32, 157 Sikasso * 31, 37, 40, 45, 53, 73-75, 78, 81-82, 121, 152-153, 155, 159-161, 228, 233, 245, 249, 259, trace * 14, 17, 19-20, 46, 54, 69, 72, 84-86, 97, 132, 260, 282-283, 330-331, 336-337, 407, 408, 416, 283, 299, 329, 343, 364, 377, 411, 416, 436, 454, 417, 464, 477-480 467, 469, 491, 493 • Voir aussi indice, enquête transfuge * 239-241, 243, 249, 259-260 • Voir aussi silence (des sources) * 46, 57, 84, 91, 93, 97, 101, 122, intertexte, intertextualité 128, 148, 167, 257, 308, 315, 460-461, 493 • Voir transvalorisation * 309, 371, 388, 403-404, 407, 410- aussi oubli, mémoire, amnésie 412, 479 • Voir aussi intertexte, intertextualité socialisme * 127, 187, 189, 225, 227 • Voir aussi trauma, traumatisme * 327, 349, 369, 383, 422 • Voir marxisme aussi guerre, bataille, carnage, horreur, infanticide * socialiste * 42, 113, 127-128, 172, 187, 189, 192, travail forcé * Voir esclavage (travail forcé) 194, 196, 198, 225, 234-235, 431, 466 tyran * 80, 117, 150, 157, 158, 200, 230, 232, 347, sofa * 31, 37, 40, 74-75, 81, 116-117, 156, 159, 161- 439, 481-484 163, 231, 262-265, 275, 283, 295, 305, 307, 330331, 350-351, 408-410, 417, 421-422, 445-446, 449, 453 • Voir aussi guerrier U sosso * 18 statue * 147, 151, 219, 220, 436 univers fictionnel * Voir fiction * statuaire * 217, 220, 399, 402, 417, 437, 489 • Voir aussi lieux de mémoire, commémoration, capitale 550 Zimbabwe * 14, 17, 24, 32, 36, 40-41, 44, 54-57, 65, V 67, 88, 98, 100-101, 103-106, 108, 110-111, 139, 141-147, 166, 173-177, 179, 181-192, 208, 215, variante * 150, 227, 242-244, 351-352, 402, 404, 414, 217, 220-222, 231, 234, 255, 257-258, 285, 296- 464, 492 • Voir aussi invariant 297, 301-302, 306, 309-310, 318-319, 337, 342, variation * II.1 346, 362, 365, 374, 378, 399-402, 413, 416, 425- 58-59, 61-61, 74, 242-245, 249-250, 258, 266, 347, 427, 436-437, 459, 469, 471-472, 475-476, 487- 351-352, 374, 404, 484, 491-492 • Voir aussi 488 • Voir aussi indépendance (indépendance du invariant Zimbabwe) * arbre des variations, Samori * 246 Zimbabwe African National Union (ZANU) * 36, 40, * arbre des variations, Sarraounia * 247 42, 89, 100-101, 112, 128, 131, 166, 173, 175, 177- * arbre des variations, Nehanda * 248 178, 181-182, 187, 192-193, 198, 202? 208, 236, Vincennes (fort) * 45, 161, 259, 389 257-258, 306, 315n 318-319, 323, 325, 425, 436, 474, 476, 488-489 Z Zimbabwe African People's Union (ZAPU) * 89, 100101, 103, 112, 142, 173, 175, 177-179, 181-183, ZBC * Voir radio (ZBC) 187, 192, 208, 257, 306, 310, 318, 323, 325 Zambie * 182, 189, 234, 474 Zinder * 30, 37, 122, 134, 194-195, 215, 270, 305, 375, 428, 431, 477-478, 481 551 Mémoires postcoloniales et figures de résistants africains dans la littérature et dans les arts. Nehanda, Samori, Sarraounia comme héros culturels Tour à tour gloires nationales, héros, pères fondateurs ou au contraire tyrans sanguinaires et sorciers malfaisants, les résistants africains à la colonisation ont souvent connu une grande fortune littéraire et suscitent la fascination collective. D'abord investies par la littérature orale africaine et par l'historiographie coloniale, ces figures émergent souvent au tournant des indépendances et font leur apparition sur la scène culturelle : romans, pièces de théâtre, ballets, films, chants s'attachent à réécrire l'histoire dite nationale des nouveaux États. Interroger les représentations en littérature et dans les arts de ces figures héroïques, c'est donc analyser l'écriture de l'histoire en acte, la mémoire collective et l'imaginaire commun en formation. Notre hypothèse est la suivante : les arts, et la littérature au premier plan, jouent un rôle prépondérant dans la création d'identités collectives. Il s'agit donc de vérifier de manière pragmatique la place du fait littéraire, et plus généralement artistique, dans la formation d'imaginaires collectifs, de lier littérature, histoire, société afin d'expérimenter que la littérature n'est pas qu'un « lieu de mémoire » sanctuarisé a littt st alo li au fait politique, au sens large de construction du vivre-ensemble dans et par les discours. Mots-clés : Mémoire, héros culturel, Niger, Zimbabwe, Guinée, représentations Postcolonial memory and figures of African resistance in literature and arts. Nehanda, Samori, Sarraounia as cultural heroes Great figures, national heroes, founding fathers or on the contrary tyrannical figures or witches, African resistants to colonisation often appear in literature and arts, and they possess a fascinating aura. Those heroes have emerged since the end of the nineteenth century in oral african literature and in the colonialist European literature. Then, they morphed into National heroes during the independence period and they still play a prominent role in today's African literature and in fictions more generally. The aim of my thesis is to analyse different kinds of updating those heroes, from 1890 to the contemporary world, in fictions and “texts” in its extensive meaning. This study is inspired by Certeau's approach to historical writing. Literature (theatre, poetry, novels...) but also other texts less valued by institutions or less studied as songs, ballets (in television or in theatres), school books (as history textbooks). The latter section requires fields research, as manuals cannot be found in France. Samori (Guinea Conakry), Sarraounia (Niger) and Nehanda (Zimbabwe) were converted from historical person into narrative characters, and as such they embody the memory of the colonization process, the fascinating values (with all connotations, whether positive or negative) of a group, and a collective imagination of history. Far from being a sanctuary dedicated to the preservation of memory and history, literature plays a major role in the construction of imaginative communities and in the elaboration of a common past. Literature, through such cultural heroes or “literary myths”, performs the critical function of encompassing as well as reshaping the lines of postcolonial memory. Keywords : Memory, cultural hero, Niger, Zimbabwe, Guinea, representations ED 120 Littérature française et comparée. 4 rue des Irlandais, 75005 Paris. 552