L’ASBL Dune ferme certains services : pour l’associatif bruxellois, “d’ici quelques mois, l’ensemble du secteur peut s’effondrer”
Lundi soir, l’ASBL venant en aide aux usagers de drogues et aux sans-abri fermait ses portes suite à des débordements. La cause est commune pour le secteur associatif : une demande bien trop grande pour l’offre. Les conséquences, elles, pourraient se répercuter sur l’ensemble de la société bruxelloise.
- Publié le 27-10-2023 à 07h00
”Appeler la police, c’est la dernière des choses que l’on veut faire”, déplore Charlotte Bonbled, chargée de communication à l’ASBL Dune. Lundi soir, l’organisme venant en aide aux personnes sujettes à des questions d’assuétudes et, par rebond, aux sans-abri, devait fermer les portes de son service d’accueil en soirée. Ce soir-là, 100 personnes se sont présentées devant l’établissement situé porte de Hal, qui peut en accueillir trente maximum. Cette demande surproportionnée par rapport à l’offre a généré de la nervosité chez l’un des bénéficiaires qui en est venu à menacer violemment un travailleur. Pour la sécurité de ses travailleurs et de ses bénéficiaires, Dune a fermé ses portes pour une semaine au moins.
En mai, dans un contexte similaire, Doucheflux – proposant un accompagnement sanitaire et socio-culturel à un public sans-abri – faisait de même. Depuis la fin de la crise sanitaire, la pression s’est accrue sur les épaules du secteur associatif, et si un refinancement est appelé, les travailleurs ont bien conscience qu’il ne suffira pas.
”On a des services qui, tous les jours, sont victimes de violence, mais les travailleurs n’en parlent pas car ils savent que ça fait partie du métier”, note Christine Vanhessen, directrice de la fédération des maisons d’accueil et de services d’aide aux sans-abri. Pour mieux comprendre le phénomène, la fédération cherche à débloquer des subsides afin de cartographier la violence en rue à Bruxelles, et à mieux comprendre le phénomène et ses enjeux.
Entre 2020 et 2022, on est passé de 5 000 à 7 000 personnes en rue à Bruxelles”,
Cette violence émerge d’une demande d’aide qui ne cesse de grandir, note Benjamin Peltier, chargé de plaidoyer à l’îlot, une ASBL venant en aide aux sans-abri. “Entre 2020 et 2022, on est passé de 5 000 à 7 000 personnes en rue à Bruxelles”, et évoque une multiplication par six du chiffre d’il y a dix ans.
Un financement présent, mais instable
Si Christine Vanhessen reconnaît que les financements envers le secteur associatif sont plus volumineux aujourd’hui que jamais, se fier à cette seule solution relève d’un constat simpliste. “Parce qu’il y a un morcellement des subsides qui viennent de plusieurs entités fédérées, ou que ce sont des financements temporaires sur des projets”, ajoute Alexis Jurdant, chargé de communication à la féda, fédération bruxelloise des institutions spécialisées en matière de drogues et addictions asbl (anciennement Fedito). En clair, il manque de moyens structurels, “mais on nous fait comprendre que c’est compliqué, à cause de restrictions budgétaires”.
”Nous allons ouvrir et agréer une nouvelle salle de consommation à moindre risque a proximité de Ribeaucourt et d’Yser ainsi qu’un abri de crise pour toxicomane, rassure Alain Maron (Écolo). Les salles de consommation à moindre risque permettent la réduction des risques sanitaires, sociaux et d’ordre public liés à l’usage de drogues illicites en apportant un soutien aux personnes.” Concernant la fermeture, lundi dernier, le cabinet du ministre assure être en relation avec l’association pour lui offrir une solution, “mais c’est très important de rappeler que, plus globalement, le niveau de réponse doit aussi être ailleurs, les déterminants principaux de cette misère sont la crise de l’accueil, le (non) accès au logement et à l’emploi”. Les réunions sont en cours avec la commune et la région, et les horaires en soirée seront probablement revus.
Une crise de l’accueil intrinsèquement liée
Sur le constat de l’accès au logement et de la crise de l’accueil, l’écologiste trouve écho au sein du secteur associatif. À Dune, 70 % des bénéficiaires environ sont à la rue. Lundi soir, plusieurs demandeurs d’asile qui vivaient dans l’occupation de la rue de la Loi “Toc Toc Nicole” se sont présentés devant les portes de l’association.
”Il n’y aura pas de lien direct avec l’augmentation des gens dans la rue”, avait pourtant assuré le Premier Ministre Alexander De Croo (Open-VLD) suite à la décision de la Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, Nicole De Moor (CD&V), de ne plus accueillir les hommes seuls dans le réseau Fedasil. “Le département de l’asile et de la migration finance 1 500 places dans les centres pour sans-abri à Bruxelles et ce nombre est en train d’être augmenté de 500 places. Il existe une bonne collaboration avec la Région bruxelloise pour ces places”, commente le cabinet De Moor.
Blues social, vocation intacte
”Ce qui a poussé Dune à fermer, c’est la récurrence de la violence”, poursuit Alexis Jurdant, de la Feda. Du côté des travailleurs, on parle bien d’un “blues social, mais la vocation, elle reste intacte”, rassure Charlotte Bonbled. Il n’en demeure pas moins que les travailleurs sociaux sont épuisés, déprimés, selon Chantal Vanhessen. Les jeunes continuent à se former en nombre, “se décrivent comme des acteurs de changement, aspirent à une société plus altruiste, mais depuis le Covid, le turn-over est énorme, quand on met une offre d’emploi, s’il y a quatre, cinq ou six candidatures, on est content. C’est un métier en pénurie.”
Et Charlotte Bonbled, de Dune, de conclure : “dans quelques mois, l’ensemble du secteur social-santé peut s’effondrer”, les conséquences dans les rues de Bruxelles seraient, pour toute la société, désastreuses.