La réussite des Anglais à l’Union, ses années RWDM, son flirt avec Anderlecht : Jean-Marie Philips ouvre le livre des souvenirs avant Union-RWDM
Jean-Marie Philips, l’ancien administrateur-délégué de l’Union, revient sur ses années bruxelloises à Saint-Gilles mais aussi au RWDM.
- Publié le 31-01-2024 à 12h08
- Mis à jour le 31-01-2024 à 21h34
Le derby Union-RWDM aura une saveur particulière pour Jean-Marie Philips, né il y a 79 ans à Molenbeek. Cet ancien administrateur-délégué de l’Union, qu’il a quittée en 2022, a également occupé les bureaux du “Daring” dans sa carrière. Celui qui vit aujourd’hui avec son épouse à Wemmel, à un jet de pierre du stade Roi Baudouin, préface la rencontre.
Jean-Marie Philips, RWDM – Union, c’est un match particulier pour vous, non ?
”Ce sont les Alphas et Omégas de mon passage dans le football. J’ai commencé en 1986 au RWDM. Le président (Jean-Baptiste) l’Ecluse, qui était un gros entrepreneur, tombe en faillite, et le club avec. J’étais avocat et un de mes clients me demande de me renseigner pour voir comment racheter la faillite… Il se trouve que le curateur était mon ancien professeur de droit fiscal. Messieurs Mabille, futur secrétaire, et Uytterhaghen, futur président, ont racheté la faillite pour 21 millions de francs belges. Le lendemain, je vendais deux joueurs à Malines pour onze millions.”
Au RWDM, je me suis occupé du papier toilette et de la merde.
Et vous entriez donc dans le monde du football.
”Je n’avais jamais joué, même en amateur. J’ai commencé par des matières juridiques et, de fil en aiguille, c’est devenu une passion. Le RWDM était toujours en D1 car une faillite n’entraînait pas la relégation. Je deviens secrétaire administratif du club qui n’avait que trois employés bénévoles. J’étais le seul à plein temps. Je me suis occupé de tout, y compris des “affaires”, notamment une accusation de corruption. Je dis toujours que je me suis occupé et du papier toilette… et de la merde (sic). C’était une autre époque, où le conseil d’administration se réunissait deux fois par semaine, surtout pour aller au restaurant. Mais il y avait une certaine ambiance qui se répercutait chez les supporters… Ce n’est plus tout à fait la même aujourd’hui. Le matricule 47 d’alors n’avait rien à voir avec le RWDM d’aujourd’hui, même si le retour en D1 est une belle réussite.”
Vous avez signé quelques grands noms comme entraîneurs…
”Notamment Paul Van Himst, en duo avec Vandendael. On s’est dit qu’avec deux Souliers d’or, ça allait être un plus… mais comme ils étaient tous les deux droitiers, c’était bancal (il sourit). Et puis, on a eu Hugo Broos. Il avait terminé sa carrière de joueur (NdlR : en 1988) et alors qu’il était censé s’engager le jour même comme coach d’une équipe amateur, le président me propose de l’appeler. Son premier contrat d’entraîneur, c’est moi qui lui ai fait signer au RWDM. On était descendu au terme de sa première saison mais on est remonté directement en D1… et l’année suivante, Bruges le débauchait.”
J'ai toujours eu des doutes sur la relégation du RWDM de 1989.
C’était une petite catastrophe de voir le RWDM descendre, à l’époque ?
”C’était particulier. Nous avions été avertis qu’il y avait eu quelques “chipotages” entre joueurs et clubs ou intermédiaires. Il nous suffisait d’un partage pour rester en D1 lors du dernier match et nous menions à Bruges 1-2… puis on encaisse trois buts (NdlR : score final 4-3) et on est relégué. Il n’y a pas eu d’affaire à proprement parle, mais j’ai toujours eu de gros doutes sur la possibilité que des joueurs aient été approchés par des clubs concurrents.”
Michel Verschueren a voulu me faire venir à Anderlecht mais ça ne s'est pas fait.
Après votre premier long mandat au RWDM, vous passez ensuite à l’Union Saint-Gilloise une première fois. Pourquoi vous retrouvez-vous chez le voisin ?
”Je quitte le RWDM après l’arrivée du président Vilain. Un jour, (Johan) Vermeersch, directeur technique, a ce mot magnifique : “Philips, il doit partir, il est ‘te kut’”, comme on dit à Bruxelles. Trop court. J’ai quitté le RWDM et je suis passé à l’Union à la demande d’un administrateur, M. Michielsen (NdlR : qui deviendra président). Après cette année-là, Michel Verschueren m’a demandé de venir à Anderlecht. Je l’ai rencontré avec Constant Vanden Stock mais, finalement, ça ne s’est pas fait. Roger Vanden Stock m’a alors proposé de devenir le secrétaire général de la Ligue professionnelle dont je suis ensuite devenu président et directeur général encore huit ans.”
Et Lucien D'Onofrio m'a dit: 'Tu aimes vivre dangereusement, toi...'
Une période où le foot belge se professionnalisait de plus en plus…
”J’y ai mené la première convention collective pour les joueurs; le premier contrat pro des arbitres. J’ai été le premier à lancer la procédure d’adjudication publique des droits TV, ce qui a fait passer le montant annuel de 80-100 000 francs belges à 1,2 million. Un huissier recevait les offres. Une semaine avant, je croise Lucien D’Onofrio qui me dit : 'Tu aimes vivre dangereusement, toi. Si tu n’as pas entre 1 et un 1,5 million, alors (il mime le couteau sous la gorge)…' Je sautais, quoi. C’était du D’Onofrio, avec humour. Quand j’ai quitté la Ligue pour passer à la fédération, j’ai dit aux présidents de clubs : 'Je vous ai amené 2,5 milliards de francs sur ma période… qu’en avez-vous fait ?' Il ne faut pas dépenser 100 quand on ne touche que 80.”
Lors de votre deuxième passage à l’Union (2012-22), vous assistez à l’arrivée des “Anglais”, en 2018.
”Tout a changé d’un coup. L’ancien président (NdlR : Jürgen Baatzsch) permettait au club de survivre mais avec les Anglais, on demandait 200 000 € et ils étaient sur le compte trois jours après. Leur gestion financière et sportive est un exemple.”
Avez-vous vite compris qu’ils allaient amener un tel élan au club ?
”Le premier directeur sportif, Alex Hayes, a métamorphosé le vestiaire. On sentait le désir de rendre ce club sérieux, alors qu’il était folklorique. Il y a eu un virage à 180 degrés vers le professionnalisme. Mais envisager un tel succès à l’époque… c’était une surprise. D’autant que l’Union a pu évoluer en D1B suite à une procédure que j’avais lancée contre la Fédération, mon ancien employeur, qui voulait prendre en compte les résultats des cinq années antérieures pour former la nouvelle D2. Mais l’Union était perdante puisqu’elle n’avait jamais joué à ce niveau-là. On a gagné. Et l’Union a pu monter en D1B.”
Alex Muzio n'a pas voulu imposer son anglitude à l'Union mais a accepté sa belgitude.
Quelle première impression vous ont fait les nouveaux investisseurs ?
”J’ai souvent côtoyé Alex Muzio, avec qui je garde un excellent rapport. La première fois qu’on l’a vu, il nous a dit : 'Je suis tombé amoureux de ce club par sa façade, qui me rappelle d’anciens clubs anglais'. Il s’est imprégné de l’esprit du club. Il n’a pas voulu imposer son anglitude à l’Union, il a accepté sa Belgitude. Il y a une belle osmose entre direction, supporters et joueurs. C’est typiquement bruxellois, voire belge, de ne pas se prendre au sérieux, ni snober les autres. Dès le début, j’ai eu un sentiment positif avec Muzio, qui n’avait pas cet air dédaigneux que peuvent avoir certains Anglais. Ici, on n’est pas sur un fonds d’investissement qui cherche à s’enrichir mais avec des gens qui ont envie de construire quelque chose.”
Et cette soi-disant présence de Brighton à l’Union, était-elle vraie ?
”Non. Je n’ai été qu’une fois à Brighton, lors de l’achat du club (NdlR : Tony Bloom, alors actionnaire majoritaire, était aussi propriétaire de Brighton). D’ailleurs, les premiers joueurs prêtés par Brighton ne l’étaient pas gratuitement. On payait leur salaire. Il s’agit bien de deux entités distinctes.”
Qu’avez-vous pensé de la remarque de Bart Verhaeghe quand il a parlé de “l’équipe B de Brighton” ?
”Je l’ai très mal prise. C’était déplacé. Quand l’Union a battu le Club, j’ai dit : “La réserve de Brighton a battu Bruges” et il m’a d’ailleurs appelé ensuite. Il n’y avait pas de politique concertée de mise à disposition de joueurs de Brighton qui viendraient faire leurs armes à l’Union, non.”
Le stade Marien a un cachet et une belle ambiance… mais a ses limites, aussi.
”Je suis devenu un mordu de l’Union, surtout de son ambiance. J’entre dans le stade Marien comme dans une chapelle. Mais c’est impossible de l’exploiter commercialement. On y mangeait entre directions dans la petite salle de réception où on peut asseoir quinze personnes. Le repas que l’on servait était cuisiné dans une camionnette à l’extérieur du stade.”
Pensez-vous voir l’Union championne cette année ?
”Il faut une certaine expérience pour aller chercher un titre. C’était un peu juste la première et la deuxième année. On dit 'Jamais deux sans trois', mais pas ici. On a l’expérience, huit points d’avance sur Anderlecht, une bonne gestion sportive. Les moyens de l’Union sont limités mais l’esprit est là, l’ambition aussi : peut-être que le rêve deviendra réalité à court terme.”
Le Poulidor du foot belge? Poulidor était plus sympathique qu'Anquetil.
Certains taxent l’Union de Poulidor du foot belge…
”Mais Poulidor était plus sympathique qu’Anquetil ! Et l’Union est plus sympathique que n’importe quel autre club… mais cela ne suffit pas pour un titre. Ceci dit, malgré le départ de nombreux titulaires et une équipe peut-être moins talentueuse sur papier, on est là. Ce n’est pas un miracle, c’est le fruit d’un travail en profondeur. Tout ça mérite l’obtention d’un titre.”
Votre cœur balancera-t-il ce mercredi ?
”Non, même si je suis molenbeekois d’origine, il sera unioniste, d’autant que le RWDM d’aujourd’hui n’est plus celui que j’ai connu.”
Cela vous rend-il fier de voir trois clubs de la capitale en D1 ?
”Bien sûr. Le foot bruxellois était limité à Anderlecht pendant des années et il y a maintenant plus de clubs de la capitale que de Brugeois. Pour l’anecdote, dans son discours au repas entre direction, avant l’Anderlecht-Union de Coupe 2018, Marc Coucke dit : 'On a vu deux grands clubs (NdlR : le Standard et Bruges) être éliminés hier mais, aujourd’hui, Anderlecht va renverser la tendance'. Après le match (NdlR : 0-3 pour l’Union), je reviens vers lui et je lui glisse : “Alors… ?”. Le seul qui avait un sourire dans la salle, c’était Roger Vanden Stock.”