Le calvaire des internés: à l’ombre des Marronniers
Une dizaine de familles dénoncent le sort des internés aux Marronniers, à Tournai, qui héberge 350 patients qui ont commis un délit ou un crime. L'internement dure en moyenne 8 ans. Une visite sur place permet de mieux comprendre le contexte, complexe et délicat, de la défense sociale.
- Publié le 16-08-2013 à 05h37
- Mis à jour le 16-08-2013 à 16h20
Pavillon 15, "Les Sorbiers" : admission ( 24 places). Un lit, une garde-robe, une table, un bloc sanitaire et une odeur de cigarette qui flotte dans l’air. Un signe qui ne trompe pas : on n’est pas ici dans un hôpital comme un autre. "S’ils fument dans leur chambre, près de la fenêtre ouverte, on laisse faire. On travaille avec des gens soignés sous la contrainte", explique Tony Staelens, infirmier chef de service à l’établissement de défense sociale (EDS) du centre régional de soins psychiatriques "Les Marronniers", à Tournai.
"L es normes d’encadrement sont les mêmes que dans les hôpitaux psychiatriques. C’est d’abord un lieu de soins", insiste-t-il. Les 350 pensionnaires de l’EDS ont tous été adressés ici par la justice après avoir enfreint le code pénal en état de déséquilibre mental. Ici, ce sont des patients, pas des délinquants ou des criminels; ils dorment dans des chambres, pas en cellule.
Au cœur de l’hôpital, on croise essentiellement des soignants (médecins, infirmiers, psychologues…) et des paramédicaux (kinés, logopèdes, assistants sociaux…) et pas de gardiens. Les agents de sécurité sont concentrés à l’entrée de l’EDS, pour contrôler les visites et les flux des allées et venues des patients - les deux tiers d’entre eux ont des permissions de sortie.
"On n’est pas dans le jugement, mais dans la compréhension", renchérit Antonella Bandinelli qui coordonne le service psychologie. "On est évidemment informés du fait commis, mais on va plus loin : que s’est-il passé ? La famille était-elle au courant ? Comment la personne en est-elle arrivée là ? A-t-elle conscience de ce qu’elle a fait ?"
Autre indice qui distingue l’EDS d’un autre hôpital : le détecteur de métaux dans le sas d’entrée, auquel sont soumis les patients, à chaque retour, et les visiteurs. Comme en prison. La comparaison s’arrête - presque - là. Le périmètre est sécurisé par de hauts grillages, mais il n’y a pas de barbelés. A l’intérieur, les grilles se font discrètes. Des portes succèdent aux portes, pas forcément blindées, que le personnel ouvre et referme systématiquement avec un passe.
Profil psychopathologique
A leur arrivée aux Marronniers, les nouveaux (deux à trois par semaine) restent entre trois et six mois dans le pavillon des admissions - le plus sécurisé de l’EDS . Pris en charge et traités, ils y passent des batteries de tests, sont observés et évalués, ce qui permettra d’établir leur profil psychopathologique pour les diriger ensuite vers l’unité de soins qui convient le mieux à leur état mental.
Aux Sorbiers, déjà, il y a des groupes de parole et des groupes d’éducation. Les patients sont invités à monter sous les combles, dans les salles communes, où ils peuvent jouer au billard, faire du ping-pong, s’entraîner sur les engins de musculation… "Il faut qu’ils réapprennent à vivre avec l’autre, à se resociabiliser. Ils arrivent de prison, où ils passaient leur journée en cellule, ce qui a renforcé les symptômes négatifs de la maladie mentale : ils n’ont plus envie", détaille encore la coordinatrice du service psychologie.
La répartition se fait en fonction de quatre publics cibles : les psychotiques (les plus nombreux); les déficients mentaux (une centaine); les délinquants sexuels; les personnalités antisociales. On tient aussi compte de leur état mental : stabilisés, délirants, présentant un risque de passer à l’acte…
Dans le déni
"Ricki" séjourne depuis 12 ans aux Marronniers. Pieds nus, en short et tee-shirt, le corpulent quinquagénaire est ravi de faire visiter sa chambre surchargée de bibelots, de napperons, de vierges, de crucifix, de carpettes… Fier de montrer sa télé, sa chaîne hi-fi et son installation vidéo. "J’ai plus de 300 DVD." Des posters de Bruce Lee sont scotchés sur l’armoire. Un caddie trône devant le lit. Il se rengorge : "J’entretiens bien ma chambre." Il gagne un peu d’argent en faisant des travaux de maçonnerie à l’hôpital. Et participe aux sorties sportives accompagnées. Sait-il pourquoi il est aux Marronniers ? "J’ai fait un accident de voiture." Et forcément autre chose, de plus grave.
"Beaucoup de patients sont dans le déni de la pathologie mentale", éclaire Antonella Bandinelli. "Et il y a des familles qui le sont autant que l’interné : elles ont beaucoup de mal à reconnaître les faits qui ont été commis et la maladie mentale. Il arrive que les liens soient pathologiques. Quand c’est le cas, il est difficile d’associer les familles au travail thérapeutique."
Un long couloir surplombe deux préaux : le pavillon des "Oliviers" (ou ORI) héberge 49 patients atteints de polypathologies et les personnalités antisociales. Il ressemble sans doute le plus à l’univers carcéral, même si on en reste loin. Chaque patient détient les clés de sa chambre (pour éviter les vols et les rackets) et dispose d’une large autonomie. On y organise des sorties actives (marches, randonnées sportives, balades en VTT…)… pour ceux à qui la commission de défense sociale autorise des sorties accompagnées.
Trois demi-jours par semaine
Le psychiatre responsable est joignable en permanence. Il est présent physiquement trois demi-jours par semaine dans chaque unité de soins, pour les réunions pluridisciplinaires et les rendez-vous avec les patients et les familles. "Ce n’est pas énorme, mais s’il faut entamer une psychothérapie, cela se fait aussi avec les psychologues présents dans tous les services", précise encore le responsable du service infirmier. "Le psychiatre donne les lignes thérapeutiques et dirige l’expertise."
Le patient peut-il refuser un traitement ? "Ils sont ici suite à des mesures pénales et donc, certains droits peuvent être limités. Ils doivent suivre le traitement médicamenteux et psychosocial. Il y a tout un travail de négociation pour arriver à une compliance du patient", précise encore Tony Staelens.
Des plaintes "classiques"
Dans le couloir des "Oliviers", comme dans tous les pavillons, une boîte aux lettres est destinée à recueillir les plaintes des patients. Un service de médiation a été instauré aux Marronniers. La médiatrice est présente un jour par semaine; elle passe les trois quarts de son temps à l’EDS.
Une plainte sur deux n’a rien à voir avec la prise en charge thérapeutique, précise le docteur Benjamin Delaunoit, directeur médical. On rouspète pour un chauffage mal réglé, l’absence de télévision en chambre, l’heure des repas… S’agissant des soins, les patients se plaignent essentiellement, auprès de la médiatrice, de leur traitement médicamenteux, des relations avec le personnel, du médecin qui leur est désigné ou du choix de l’unité de soins… "En fait, les plaintes sont comparables à celles des hôpitaux psychiatriques."
Certains patients réclament de pouvoir consulter leur dossier médical. "Ils peuvent avoir accès à tout ce qui est somatique et à tout ce qui est directement en relation avec les soins psychiatriques", précise le docteur Delaunoit. "Mais ce qui est généralement derrière la demande, c’est d’accéder au dossier d’écrou et aux notes personnelles du psychiatre", décode-t-il. Qui ne sont jamais transmis au patient. "Les internés sont certes des malades, mais s’ils sont ici, c’est qu’il y a eu un passage à l’acte. Le dossier d’écrou est propriété de la justice. Quant à leur permettre d’accéder aux notes du médecin et du personnel, qui consignent aussi des informations sur leur famille et leurs proches, cela peut nuire à leur état mental, voire mettre des tiers en danger."