Martine Abeloos : "A l’école, on m’a reproché d’être une présidente flamingante parce que j’exigeais des parents d’y parler le néerlandais”
Martine Abeloos est née à Uccle, a grandi à Westende et habite à Saint-Gilles. La politique est une vocation tardive pour cette excellente bilingue. Aujourd’hui, elle est directrice générale de la Basilique de Koekelberg, la cinquième plus grande Église catholique… du monde.
- Publié le 06-01-2024 à 07h14
Martine Abeloos semble vivre mille vies en une. Personnalité multiple, cette femme énergique et visionnaire a toujours l’un ou l’autre projet à concrétiser. Née à Uccle en 1958, elle a grandi à Westende où la famille Abeloos s’est installée alors qu’elle avait 1 an à peine. “Mon père, néerlandophone, était militaire de carrière, se souvient-elle. Il avait décidé de se rapprocher de son lieu d’affectation professionnelle. Ma mère, elle, était francophone. J’ai grandi à la mer, c’était merveilleux ! L’eau, le sable, les dunes, la voile… mon enfance a été bercée par les embruns et l’air iodé de la mer du Nord. Ensuite, j’ai fait deux ans de droit, j’ai étudié la communication et les langues à Gand. Mes premiers pas professionnels, je les ai faits dans le secteur bancaire. Ma vie professionnelle s’est déroulée dans la Capitale. J’ai quitté mon job pour élever mes enfants. J’ai fait énormément de bénévolat à ce moment-là et ce pendant des dizaines d’années. J’ai présidé plusieurs comités de parents à Saint-Gilles et ensuite le pouvoir organisateur. À 42 ans, j’ai été happée par la politique… et n’en suis sortie que récemment.”
Happée par la politique
Son premier engagement politique, c’est à la Vlaamse Gemeenschapscommissie (VGC) – l’institution qui gère les compétences communautaires flamandes à Bruxelles – qu’elle le fait. “Je travaillais pour le député CD&V Walter Vandenbossche, se remémore-t-elle. Il m’avait demandé de mener également sa campagne en vue des élections communales à Anderlecht. Il s’y présentait en espérant devenir échevin… ce qu’il est devenu. C’est lui qui, en politique, me mit le pied à l’étrier.”
Elle n’a pas franchi le pas toute seule. “Mon mari, décédé il y a près de six ans, m’avait conseillé de faire un essai d’un mois non rémunéré en politique ce qui me permettrait de juger sur pièces… Aussitôt dit, aussitôt fait. Jamais pourtant je n’avais imaginé qu’un jour je travaillerais en politique ! J’ai attrapé le virus, j’ai adoré. Cela a duré 19 ans. Après avoir travaillé pour Walter Vandenbossche, j’ai été engagée au cabinet de la ministre Brigitte Grouwels (CD&V) qui cherchait aussi des néerlandophones bilingues. J’avais en charge notamment les matières Bien-être et Santé ainsi que l’enseignement néerlandophone.”
Abattre la barrière des langues
Martine Abeloos maîtrise aussi bien le néerlandais que le français. Elle s’en félicite tous les jours. “C’est un atout qui fait la différence, professe-t-elle. Je me souviens qu’à Saint-Gilles, il y avait autrefois un curé, président d’une école, qui traitait tous les dossiers en néerlandais. Il sollicitait des subventions pour des rénovations pour ses écoles, mais ne parvenait pas à ses fins. Il finit par me demander de reprendre sa présidence. Je me suis lancée dans l’aventure pour essayer d’ouvrir une brèche. J’ai pris l’initiative de m’adresser à la commune en français pour toutes les demandes concernant mon école. Et oui, j’étais présidente d’une petite école catholique flamande…. sans Flamands et sans catholiques… Miracle ! Tout à coup, la mayonnaise a pris, les portes se sont ouvertes.”
Son bilinguisme a donc porté ses fruits. “Oui, j’avais pourtant fait les mêmes démarches que mon vieux curé Marc Leermakers. Je suis tombée au bon moment sur les bonnes personnes… vingt ans après. L’inauguration de l’école rénovée s’est faite en présence de tous les partis politiques démocratiques Bruxellois. Charles Picqué a dit que c’était la première fois à Bruxelles que l’on inaugurait une école flamande à Bruxelles en présence de partis politiques néerlandophones et francophones. Ma grande fierté, comme Bruxelloise et Belge ! Le bilinguisme ouvre des portes…”
Une présidente flamingante…
Le bilinguisme est tellement ancré chez elle que Martine Abeloos ne peut dire si elle est davantage néerlandophone ou francophone. “Je n’ai jamais voulu trancher. Mon identité linguistique est double. Je n’ai jamais choisi l’une ou l’autre communauté linguistique. Je défends les francophones lorsqu’ils sont attaqués. Je fais de même lorsque les néerlandophones sont menacés. Ce que j’aime à Bruxelles, c’est ce multilinguisme.”
Maîtriser les langues à Bruxelles, c’est capital pour les jeunes, enseigne-t-elle aujourd’hui. “Pour obtenir un bon niveau d’apprentissage des deux langues, il est important d’avoir un bon mélange de francophones et de néerlandophones dans une classe. L’échange se fait alors de façon idéal et l’apprentissage est optimal. Par le passé, des élèves néerlandophones venaient de Flandre et séjournaient à l’internat des collèges. Cela donnait un excellent échange en dehors des heures de cours entre francophones et néerlandophones. À l’école, on m’a reproché d’être une présidente flamingante parce que j’exigeais des parents qu’ils y parlent le néerlandais. Les parents à l’école flamande doivent donner l’exemple et faire un effort minimum pour la réussite de leurs enfants. L’objectif, c’est qu’ils soient bilingues quand même !”
La Basilique de Koekelberg gagne à être connue
Martine Abeloos a quitté la politique. Elle occupe la fonction de directeur général de la Basilique de Koekelberg. Un lieu très particulier pour elle. “Sa particularité s’explique par plusieurs facteurs, explique-t-elle. Géographique d’abord. La basilique est située à la fois sur le territoire de Koekelberg, côté porte royale, et sur Ganshoren. Ce monument national dépend de la Région de Bruxelles-Capitale et du vicariat général. Linguistique ensuite. Il est fréquenté par des francophones, des néerlandophones et de nombreux touristes. Il est aussi un repère essentiel à Bruxelles. Le sanctuaire domine les environs. Au sommet, cette promenade fait 360 ° avec vue sur le tout Bruxelles. Sur le plan touristique, la Basilique pourrait jouer un rôle plus important. Or, le monument national est trop peu connu. Nous avons beaucoup de touristes étrangers, oui, mais trop peu de Bruxellois visitent ce bel édifice art déco. Une vaste campagne de promotion s’impose. Le culturel et le tourisme font vivre la basilique. Les fidèles et les pèlerins aussi.
Et de poursuivre : “Il faut dire que le monument a toujours été sujet de controverse. Cependant, la grandeur des lieux impressionne. Beaucoup sont conquis par sa grande sobriété intérieure. On peut accueillir 5 000 personnes ici. Cela s’y prête bien, on pourrait d’ailleurs accueillir le pape François et beaucoup de monde en septembre prochain ! ”, lance Martine Abeloos.
Mon job préféré
Martine Abeloos aime Bruxelles. Repense-t-elle souvent à la Flandre de ses jeunes années, ne voudrait-elle pas y passer sa retraite ? “Un de mes frères habite encore à la mer. Mais y retourner habiter durablement, je ne pense pas, non. J’ai fait ma vie à Bruxelles, j’y ai beaucoup d’amis. Il y a tant à y faire, je suis bien à Saint-Gilles. J’habite à un saut de puce d’Ixelles. Depuis 40 ans, grâce à feu mon mari Gustave Motteux, je passe presque tous mes week-ends et mes vacances à Braffe dans notre petite fermette hennuyère. J’y fréquente des amis Flamands, Wallons et Bruxellois.”
Sur son lieu de travail, Martine Abeloos passe du néerlandais, langue du rectorat, au français, langue de la majorité du personnel. “J’aime mon travail et cet univers bilingue, je ne compte pas les heures… Ici, à la Basilique, c’est mon job préféré.”