L’INTERVIEW DU LUNDI | André Flahaut: «On ne peut tolérer la banalisation d’un salut nazi»
André Flahaut, vous ne vous séparez jamais du triangle rouge boutonné au revers de votre veste. De quoi s’agit-il?
- Publié le 15-02-2021 à 13h36
Ce triangle rouge rappelle le triangle rouge que portaient les prisonniers politiques dans les camps de concentration, lors de la Seconde Guerre mondiale. C’est une initiative de l’ASBL liégeoise Territoires de Mémoire. Porter ce triangle, c’est montrer son attachement aux valeurs de la démocratie, et sa résistance à toutes les dérives dangereuses que nous observons.
Il faut éduquer. Mais aussi prendre des mesures pour que certains actes ne restent pas impunis
C’est en observant ces dérives que vous vous êtes dit qu’il était nécessaire de légiférer contre le nazisme?
La proposition de loi complète la loi Moureaux. Le problème, c’est qu’il y a aujourd’hui, une certaine banalisation de certains actes, notamment de dérives dangereuses qui se manifestent au niveau des réseaux sociaux. Ce sont des pièges – les thèses complotistes, les fakes news – qui attirent toute une série de personnes qui, faute d’informations et de formations de base adhèrent par ignorance à certaines thèses dangereuses. C’est le cas de cette policière qui fait le salut nazi en disant finalement qu’elle ne s’est pas rendu compte de la gravité de son acte. C’est aussi le cas, par exemple, le long des terrains de football, où ça se termine en disant que ce n’est pas si grave, que ce serait pour rire. Tout cela procède d’une dérive, d’une banalisation. Ces faits quotidiens, ajoutés les uns aux autres, amènent à des mouvements plus dangereux, comme Schild & Vrienden. Sans cette fameuse émission télé en Flandre, les agissements de ces gens auraient été tolérés. Mais si on n’y prend pas garde, ces gens peuvent être très dangereux. C’est bien présent dans notre société. C’est pour cette raison qu’il faut informer, qu’il faut éduquer. Mais aussi prendre des mesures pour que certains actes ne restent pas impunis.
La proposition de loi que vous défendez est cosignée par trois députés francophones. Faut-il conclure que la problématique n’est pas abordée de la même manière des deux côtés de la frontière linguistique?
Non. Pour être tout à fait franc, je trouvais ça bien que ma proposition de loi soit cosignée par notre chef de groupe (PS) Ahmed Laaouej. Je trouvais bien aussi d’y associer le ministre de la Défense sortant (Philippe Goffin, MR) avec qui j’avais pas mal travaillé et qui est sensible à la question aussi. Il ne faut pas y voir un signe que la question est abordée différemment en Flandre. Le rapporteur, qui est un rôle important quand on discute d’une loi, est l’ancien ministre de la Justice Koen Geens. Ce combat contre les extrêmes, les nazis, les néonazis, les fascistes n’est pas limité à l’intérieur de certaines régions, ou même de pays. C’est un combat qui doit être planétaire. On le voit avec ce qui s’est passé au Capitole.
Ce n’est pas un combat limité à une région ou un pays. C’est un combat planétaire
Pensez-vous que de pareils événements pourraient se produire aujourd’hui, en Belgique?
Je sais, d’expérience, que le parlement belge est protégé. Quand j’étais président de la Chambre, j’ai dû veiller à éviter les manifestations, avec, par exemple, des jets de tracts au balcon. Est-ce qu’une chose pareille pourrait se produire ici? Il y a eu, il y a quelques semaines, cette manifestation au Heysel, où l’on exhibait le drapeau nationaliste flamand – pas le drapeau de la Flandre, le drapeau nationaliste flamand – et où on a pu voir sur certaines voitures des autocollants faisant explicitement référence à des mouvements d’extrême droite très dangereux, de Belgique ou d’ailleurs. On a une espèce d’organisation internationale qui est en place, qui fonctionne, et qui se traduit par des espèces de réunions musclées dans des pays comme la Hongrie. Et donc, on a intérêt à ne pas sous-estimer ce risque présent. On fait parfois des fixations sur certaines communautés sans percevoir ce danger d’extrême droite, de remise en cause de la démocratie.
Selon vous, le politique mesure-t-il la dangerosité de ces mouvements d’extrême droite?
Comme député, je suis membre des commissions de suivi des services de police et des services de renseignement. Quand on lit le rapport de la Sûreté de l’État, on constate que, à la suite des attentats de Bruxelles, la Sûreté de l’État a abandonné le suivi systématique des mouvements d’extrême droite. Il y a également eu un relâchement du suivi des sectes. J’ai donc pris l’initiative de harceler le Comité R pour qu’on ramène ces questions à l’ordre du jour.
La Sûreté de l’État a abandonné le suivi systématique des mouvements d’extrême droite
Quel accueil a reçu votre proposition de loi? En êtes-vous satisfait?
Formellement, la proposition a été prise en considération. Elle a été, en urgence, placée à l’ordre du jour de la commission de la justice. Et personne ne s’est opposé à l’urgence. Maintenant, nous allons pouvoir passer aux discussions. À un certain moment, il y aura peut-être des mesures dilatoires: une demande de deuxième lecture, ou des demandes d’avis du Conseil d’État. Mais on va être vigilants. Et puis, à un moment, on se comptera. Ceux qui se sentent visés ne voteront sans doute pas (la proposition de loi). Mais, en tout, cas, la certitude, ce sera que des actes comme on a vu dans ce commissariat de police, ou les tags de croix gammées sur la maison du Premier ministre, les chants nazis dans un café ou les propos racistes ou homophobes sur et autour des terrains de sport, tout cela sera poursuivi et puni. En espérant que cela découragera certains.
Moins formellement, vous avez pu en discuter avec des parlementaires d’autres partis ?
J’ai senti un certain intérêt. La preuve: le cdH a déposé un texte supplémentaire, jumelé à la proposition. Le fait que Koen Geens ait accepté d’être rapporteur donne une certaine garantie de la part du CD&V. Le MR, avec Goffin mais aussi Piedbœuf, adhère. Le PS aussi, évidemment. Et chez les écologistes, certains m’ont déjà fait part de leur adhésion. Beaucoup de députés se sont déjà manifestés. Plus que pour une loi «ordinaire».