Jacques Dutronc : «Je ne suis pas un solitaire»

Nous avons rencontré Jacques Dutronc dans sa retraite corse, alors que sort une compilation de ses succès. Il ne boit plus, mais fume toujours le cigare. Et s’entoure d’amis.

 Monticello (Haute-Corse), lundi 11 février. Jacques Dutronc
Monticello (Haute-Corse), lundi 11 février. Jacques Dutronc LP/Eric Bureau

    Depuis huit ans, ceux qui aiment Jacques Dutronc prennent l'avion pour la Corse. Puis la voiture pour Monticello, petit village perché au-dessus de L'Ile-Rousse (Haute-Corse). C'est sa compagne Sylvie, avec qui il vit depuis vingt ans, qui nous conduit ce lundi matin vers la maison toute blanche que Françoise Hardy avait fait construire il y a plus de cinquante ans à l'écart du monde. On arrive en même temps qu'une petite cave à cigares déposée par la postière. Il nous attend à la porte, un cigare à la main et le sourire aux lèvres.

    Malgré une très courte nuit à cause de ses chats qui le réveillent - il en a eu jusqu'à cinquante-cinq, il n'en a plus que douze -, et de brusques douleurs au dos, il est en forme. Toujours prêt à un bon mot. La sortie d'une nouvelle compilation* est un parfait prétexte pour parler. Assis dans son salon avec pour seul luxe une vue imprenable sur la Méditerranée, il en profite.

    « On est bien ici, mais les journées d'hiver sont parfois longues, reconnait-il. Je ne suis pas un solitaire, contrairement à l'image qu'on me donne, j'aime bien voir du monde. Malheureusement, il y a un paquet de copains qui se sont absentés, Johnny, Villeret, Serge (NDLR : Gainsbourg)… Heureusement qu'il y a Eddy, Lindon, Daho… L'été dernier, j'ai mangé à L'Ile-Rousse avec Belmondo. C'est une légende et qu'est-ce qu'il est bien ! »

    « Johnny sera toujours le meilleur ». C'est la première fois qu'on revoit Jacques Dutronc depuis la disparition de son pote Johnny. « Je n'aime pas trop la nostalgie, cela attire les larmes, avoue-t-il d'emblée. C'est salé, ce n'est pas très bon. » Mais il a envie, l'air de rien, de faire quelques mises au point. « Je n'aime pas les enterrements, je ne suis même pas sûr d'aller au mien. Mais si je ne suis pas allé aux obsèques de Johnny, c'est surtout parce que c'était trop loin d'ici. J'aurais été à Paris, j'y serais allé avec Eddy. On s'appelle souvent avec Eddy, j'adore son humour et son côté bougon. C'est le seul qui soit en appel masqué. Alors je l'ai noté dans mon répertoire à Zorro. »

    De leur dernière tournée à trois, e n 2017 avec « Les Vieilles Canailles », Dutronc garde ému « l'image inoubliable d'un sourire magnifique que Johnny m'a fait, un soir, alors que nous étions assis au bar, pendant qu'Eddy chantait. Je l'ai vu énormément souffrir, mais il était tellement courageux que j'en oubliais parfois sa maladie. Notre dernier concert à Carcassonne, où il a fait monter ses deux petites princesses, c'était très touchant. On a dîné ensemble après, avec l'ami fidèle Jean Reno. Johnny avait encore des projets, acheter une maison, aller à Tahiti, comme Brel. Il voulait qu'on reparte en tournée tous les deux. Mais ce type de projets, j'y étais habitué. Ici, en Corse, il m'avait proposé un jour de faire le Paris-Dakar avec lui. La fois d'après, il voulait être enterré avec moi, près de Carlos. Pour qu'on se marre! »

    Les blousons en cuir de Jacques Dutronc. Le premier lui a été offert par Johnny. LP/Eric Bureau
    Les blousons en cuir de Jacques Dutronc. Le premier lui a été offert par Johnny. LP/Eric Bureau LP/Eric Bureau

    Dans l'entrée de la maison corse de Jacques Dutronc, plusieurs blousons de cuir noir sont accrochés sur un portant. Le premier lui a été offert par Johnny. « Quand je repense à lui, je nous revois gamin en train de répéter dans une cave rue de Clichy. J'étais son guitariste, il n'avait pas encore sorti de disques mais il avait déjà une présence incroyable. C'était le meilleur, c'est le meilleur et il le sera toujours. »

    Sur son héritage, il est moins élogieux. « Je vous l'avais dit une fois et je n'ai pas changé d'avis. On peut déshériter ses enfants quand on est couvert de dettes. Mais sinon ça fait un drôle d'effet. » Et lui, a-t-il préparé sa succession? « Houla non! Je ne suis pas superstitieux, mais ça porte malheur. »

    Que fait-il à 75 ans de ses longues journées d'hiver ? Lors de notre dernière rencontre, il y a quatre ans, il travaillait sur un nouvel album, le premier depuis 2003. Qu'est-il devenu ? « J'en suis nulle part, avoue-t-il. Gaëtan Roussel m'a écrit des choses, mais il est reparti s'occuper de son album… Et moi, je suis resté. J'ai commencé aussi avec Francis Cabrel, il m'a envoyé des choses, mais je n'ai plus de nouvelles. J'espère qu'il n'est pas fâché. On a envoyé aussi trois musiques à MC Solaar pour qu'il fasse des textes, sans réponse… Thomas m'avait écrit une chanson, mais il l'a prise pour son disque. Il parle de la faire en duo. Il faut que je me remette à l'écriture, il faut que je finisse Les moutons de Panurge, un texte malheureusement d'actualité. »

    Est-ce une allusion aux Gilets Jaunes ? « Non, à la politique en général. Mais bon, je regarde les infos de loin, dans Le Parisien, chez Leymergie. J'en ai marre de regarder les Gilets jaunes, de voir des voitures cramer dans Paris. Mais je n'ai rien contre leurs revendications, au contraire, je trouve que les gens ont des choses à dire et qu'ils se tiennent plutôt bien. Il faut juste que je change les paroles de L'Opportuniste : Il y en a qui protestent, qui revendiquent, qui contestent, moi je ne fais qu'un seul geste : je remets mon gilet jaune. Ça ne rime pas mais ça ne fait rien. »

    Le double CD et triple vinyle couvre toute la carrière de l’artiste à l’éternel cigare. CRAPULE !
    Le double CD et triple vinyle couvre toute la carrière de l’artiste à l’éternel cigare. CRAPULE ! LP/Eric Bureau

    Il avoue regarder de plus en plus souvent la télé. « Surtout les séries anglo-saxonnes sur Netflix et Amazon, « Downton Abbey », « Breaking Bad », « House Of Cards ». Et parfois les vieux « Maigret », c'est idéal pour s'assoupir. » Autant dire qu'il n'est pas pressé de retravailler sur un nouveau disque. « Ce n'est pas une nécessité existentielle, comme disait Nougaro. Mais cela peut venir d'un coup. Il me faut un déclic… et des claques. Une fois, Goldman m'avait traité de feignant. Après le Casino de Paris, on devait faire un album ensemble. Mais vu le succès des concerts et du disque, j'ai tellement tardé qu'il a laissé tomber. »

    Le comédien Dutronc n'a plus de projet de tournage. « On devait faire une série en Corse sur le vin, Vino, mais elle est tombée à l'eau, c'est le comble. Avec Depardieu, mais on a estimé qu'on n'était pas bankable. Je regrette car j'aime bien Gérard, mais il aurait été malheureux puisque je ne bois plus. J'ai arrêté il y a deux ans. C'est la deuxième fois que j'arrête aussi longtemps. J'ai préféré avant que le médecin ne me le dise. C'est plus facile. Et je me sens mieux depuis. Mais ça, non (NDLR : il montre son gros cigare qui se consume), je n'ai pas essayé d'arrêter. De toute façon, le mal est déjà fait. »

    On reprend l'entretien après un délicieux déjeuner - préparé par Sylvie avec des produits locaux sauf le vin bordelais -, et on parle de son fils Thomas. « Maintenant, il habite à Lumio, à quelques kilomètres. On se voit souvent, c'est bien. Il m'emprunte mes disques et mes guitares, qu'il fait retaper par un luthier près de chez lui. » L'une d'elles trône dans l'entrée. « Je ne joue plus de guitare et je le regrette. J'aurais préféré être un très bon guitariste qu'un chanteur. »

    Coïncidence, il reçoit un message de Françoise Hardy, avec un extrait de l'émission « Dim Dam Dom » dans laquelle elle chantait dans les années 1960. « On s'envoie des messages tous les jours. Son second cancer est guéri, mais elle souffre des effets secondaires. Mais, comme ils disent dans les films, ça va aller. C'est une résistante, Françoise. »

    * Jacques Dutronc « Fume !…. C'est du Best », Columbia/Sony, 2 CD, 17 €.