Ils ont sauvé leur village : voyage dans le temps à Poul-Fetan

Hou là ! Ce n'est pas le french cancan. Ménagez-vous, inutile de lever la jambe aussi haut ! Les meilleurs danseurs bretons sont ceux qui tiennent toute la nuit. » Coiffe blanche et tablier vichy, la Eugénie, comme on l'appelle ici, recadre, goguenarde, un groupe de touristes qui tente de suivre le rythme en se tenant les petits doigts. Rires et applaudissements fusent sous la grange. Plus loin, la Soizig, habillée en costume du XIXe siècle, attelle un cheval postier à un manège en bois, lui-même relié à un broyeur d'ajonc, sous le regard de dizaines de curieux. Ceux-ci ignorent encore que huit d'entre eux devront ensuite faire fonctionner le mécanisme à la force de leurs bras...

De début avril à fin septembre, jusqu'à un millier de personnes par jour s'offrent un voyage dans le temps dans le village de Poul-Fetan, dans le Morbihan, à 30 km au nord-est de Lorient. Ce charmant hameau de chaumières niché dans un vallon verdoyant au bout d'une route sinueuse a été transformé il y a trente ans en conservatoire ludique et pédagogique du patrimoine breton. Son architecture typique, ses expositions et animations vivantes permettent de découvrir le quotidien des paysans en 1850.

Si Poul-Fetan accueillait à l'époque sept familles qui exploitaient 39 ha, l'exode rural a vidé peu à peu le hameau de ses habitants. Le tout dernier est parti en 1970, laissant derrière lui des ruines et des ronces. Poul-Fetan doit sa renaissance à des bénévoles qui, à l'initiative de la commune voisine de Quistinic, se sont retroussé les manches pour restaurer le site. Les travaux dureront une dizaine d'années. Puis des animations ont été organisées afin de redonner vie au village et de l'ouvrir au public en 1985. Visites contées, fabrication du beurre à la baratte, confection de cordes en chanvre, tissage, nourrissage des animaux, immersion auprès des lavandières, danses et jeux bretons...

Des repas du XIXe siècle pris à la cuillère en bois

Dans une chaumière où un intérieur traditionnel a été reconstitué, la Philomène prépare des crêpes de blé noir au feu de bois et raconte des anecdotes sur la vie d'autrefois. « Seuls le père et les enfants qui travaillaient aux champs avaient le droit de s'asseoir à table. Pas les femmes. On dormait à plusieurs dans des lits clos. La dernière à se coucher et la première à se lever était toujours la mère... » Les visiteurs comme Marie, 55 ans, semblent conquis. « C'est un endroit où on peut passer toute la journée sans s'ennuyer. On apprend plein de choses en s'amusant. »

Et les visiteurs ne se contentent pas de regarder. « Nous recréons avec eux les gestes d'antan pour transmettre un savoir-faire quasi disparu », explique Réjane Even, la responsable du site depuis son ouverture. Tous les animateurs sont des passionnés. L'authenticité de leur démarche repose sur des recherches dans les archives locales et auprès des anciens. On la retrouve jusque dans les cuisines du restaurant où l'on ne sert que des plats que l'on concoctait au XIXe siècle. On les déguste d'ailleurs à la cuillère en bois ! « La fourchette n'a fait son apparition que bien plus tard dans les campagnes », précise Réjane. Malgré la concurrence de la côte lorientaise à quelques kilomètres, Poul-Fetan accueille jusqu'à 50 000 visiteurs par an.

Quatre permanents, 15 saisonniers et un chantier d'insertion

Et ce site touristique, qui emploie quatre permanents et quinze saisonniers, dynamise ce territoire rural. Commerces, hôtellerie, restauration, tout le monde en profite alentour. Et la commune de Quistinic a aussi mis en place un chantier d'insertion qui emploie une dizaine de locaux pour entretenir le lieu et les bâtiments. « Depuis la moitié des années 2000, nous regagnons des habitants. Nous sommes sur une bonne dynamique », se félicite la maire, Gisèle Guilbart. A la rentrée, une nouvelle ère s'ouvrira pour Poul-Fetan car sa gestion va être reprise par une société privée, qui promet de nouveaux investissements. L'avenir appartient à ceux qui regardent leur passé.

Hameau historique de Poul-Fetan, commune de Quistinic, Morbihan, visites du 1er avril au 30 septembre, tous les jours de 10 h 30 à 19 heures (horaires été), tarifs : 10,80 € et 5 € (5-15 ans).

LA FIGURE HISTORIQUE

Maire depuis huit ans du village de Quistinic, dans le Morbihan, Gisèle Guilbart, 65 ans, est une amoureuse du patrimoine. Elle consacre donc beaucoup de son énergie à Poul-Fetan, propriété de la commune. C'est l'un de ses prédécesseurs, Guy Corlay, qui décida d'acquérir ce hameau fantôme en 1977. Quelques années auparavant, une communauté de hippies s'était installée non loin de là et avait suscité l'intérêt en retapant quelques chaumières en ruines. «Je crois que cela a ouvert les yeux de certains habitants qui se sont mis à regarder autrement les vieilles pierres», estime Gisèle Guilbart.

Des bénévoles enthousiastes se sont proposés pour débroussailler et restaurer le site sous la supervision d'un architecte des bâtiments de France. Un projet ambitieux et de longue haleine pour ce petit village de quelque 1500 habitants. «Ça n'a pas été toujours facile. A une époque, tout le budget de la commune y passait », évoque l'édile. Le hameau de Poul-Fetan est aujourd'hui un élément fédérateur, «créateur de liens entre les générations, un joyau historique qui valorise notre village».

REPÈRES

• 1970 : départ du dernier habitant de Poul Fetan
• 1977 : Quistinic rachète le lot de ruines et 9,5 hectares de terres
• 1985 : Ouverture au public du site touristique
• 1992 : Fin des travaux de restauration
• Septembre 2018 : arrivée d’un gestionnaire privé, Sites & Cie.
• 2 millions de visiteurs ont afflué de 1985 à 2017