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Didier Reynders : « Nous sommes prêts à sanctionner les Etats qui enfreignent l'Etat de droit »

Le dispositif qui doit permettre à l'Union européenne de lier le versement des fonds budgétaires au respect de l'Etat de droit est prêt à entrer en action. Le commissaire en charge de la Justice assure aussi aux « Echos » qu'il ne compte rien lâcher aux pays qui, comme la Pologne, veulent remettre en cause les valeurs européennes et les principes démocratiques.

Didier Reynders, 63 ans a été ministre des Finances puis ministre des Affaires étrangères et de la Défense dans de nombreux gouvernements belges entre 1999 et 2018. Il est entré en septembre 2019 dans la Commission dirigée par Ursula von der Leyen
Didier Reynders, 63 ans a été ministre des Finances puis ministre des Affaires étrangères et de la Défense dans de nombreux gouvernements belges entre 1999 et 2018. Il est entré en septembre 2019 dans la Commission dirigée par Ursula von der Leyen (Eric HERCHAFT/REPORTERS-REA)

Par Catherine Chatignoux, Karl De Meyer

Publié le 23 sept. 2021 à 17:40Mis à jour le 23 sept. 2021 à 18:28

Le Parlement européen met la pression sur la Commission pour qu'elle applique au plus vite le règlement qui conditionne le bénéfice des fonds budgétaires européens au respect de l'Etat de droit. Quand allez-vous commencer à l'appliquer ?

Ce règlement est en vigueur depuis le 1er janvier et donc toute action de la Commission remontera à cette date. Il est vrai que les dirigeants ont fixé des règles de clarification de ce règlement et il a fallu rédiger des lignes directrices qui ont été débattues avec le Parlement. Mais nous avons pratiquement terminé. On espère par ailleurs que la Cour européenne de justice, saisie par la Pologne et la Hongrie se prononcera sur ce texte avant la fin de l'année.

Mais nous allons pouvoir engager des procédures dans les prochaines semaines. Nous adresserons nos griefs aux Etats membres. Ils auront un délai pour répondre et, s'il le faut, nous irons devant le Conseil. Mais nous devons monter des dossiers solides. Dans ces matières, on ne va pas à la légère devant la Cour de justice ou devant le Conseil.

Le tribunal constitutionnel polonais vient de repousser une nouvelle fois son jugement sur la primauté ou non du droit européen sur le droit polonais. Comment interpréter ces reports ?

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Nous avons un problème depuis des années avec la Pologne sur la manière dont le parti majoritaire veut réformer son système judiciaire et qui, pour nous, porte atteinte à l'indépendance de la justice. La Commission européenne a introduit de nombreuses actions devant la Cour de justice qui ont abouti à une première condamnation sur le fond, avec la demande de suppression de la chambre disciplinaire le 14 juillet dernier. Comme le gouvernement ne semble pas prêt à obtempérer, j'ai demandé des sanctions financières sur lesquelles la Cour se prononcera en octobre.

Nous espérons qu'elle aura la main suffisamment lourde pour faire pression sur les dirigeants polonais comme elle vient de le montrer en condamnant le pays à verser 500.000 euros par jour au profit de la République tchèque pour obtenir l'arrêt de la mine de charbon de Turow. Ce qui m'inquiète, c'est que des voix s'élèvent à nouveau en Pologne pour contester cette condamnation.

« Nous demandons un signal clair à la Pologne pour qu'elle garantisse l'indépendance de la justice et se mette en conformité avec les arrêts de la cour. »

La remise en cause de la Cour européenne de justice ne concerne pas seulement la Hongrie, mais aussi l'Allemagne où la cour de Karlsruhe avait contesté la légitimité d'un arrêt de la Cour européenne de justice.

Vous avez raison, d'ailleurs nous avons engagé une procédure à l'égard de l'Allemagne pour éviter un effet de contagion de la contestation de l'ordre juridique européen. Je note que le gouvernement allemand a insisté, lui, sur son intention de respecter les jugements de la Cour, ce qui n'est pas le cas de la Pologne. La primauté du droit européen s'impose aux autorités nationales de même que la compétence de la Cour pour interpréter le droit européen.

Si les règles européennes ne conviennent pas aux Etats, à eux de les changer. Dans le cas de l'Allemagne, la chancelière a accepté de participer à un programme d'endettement commun, la Cour de justice le fera respecter. On utilise souvent les cours comme bouc émissaire alors que le problème porte souvent sur la législation.

Les négociations sur les aides à la Pologne du plan de relance semblent bloquées pour un bon moment. Jusqu'à quand ?

Il est clair que nous demandons un signal clair à la Pologne pour qu'elle garantisse l'indépendance de la justice et se mette en conformité avec les arrêts de la Cour. On peut parfaitement comprendre qu'un Etat membre conteste une décision de la Commission et les Etats peuvent la porter devant la Cour de justice. Mais une fois que la plus haute juridiction européenne s'est prononcée, tout le monde doit respecter sa décision qui est contraignante.

Dès le début, nous avons dit que les plans de relance nationaux devraient tenir compte des recommandations spécifiques du semestre européen. Or on y trouve des demandes sur la justice. La Pologne n'est d'ailleurs pas un cas à part même si, dans ce pays, le problème est systémique. Nous avons imposé des conditions très strictes à l'Italie qui s'est engagée à réduire de 40 % la durée des procédures civiles et de 25 % au pénal. Nous avons aussi demandé à la République tchèque d'agir pour supprimer les conflits d'intérêts.

Le bras de fer avec la Pologne et la Hongrie sur l'Etat de droit dure depuis des années. Les outils à la disposition de la Commission sont-ils suffisants ?

La procédure de l'article 7 est compliquée à mettre en place puisqu'elle exige l'unanimité des Etats membres mais elle permet d'exercer une pression politique et d'avoir un débat politique au conseil. Pour moi, l'arme la plus puissante reste la Cour de justice. Nous avons toutefois considéré que la boîte à outils n'était pas suffisante et nous l'avons complété avec le rapport annuel sur l'Etat de droit dans l'Union qui se révèle très utile et le mécanisme de conditionnalité qui lie accès aux fonds européens et atteintes à l'Etat de droit. Ce dernier est d'autant plus utile que certains Etats, comme la Pologne et la Hongrie, ne participent pas au parquet européen.

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« On constate que le respect des valeurs démocratiques n'est pas un acquis définitif. »

Pensez-vous qu'il y a un risque de fracture de l'Union européenne sur ces questions des valeurs et de l'Etat de droit ?

Ce débat sur les valeurs est assez récent, entre ceux qui soulignent que l'Europe doit respecter les valeurs sur lesquelles elle s'est fondée et certains dirigeants en Europe qui s'en prennent de plus en plus souvent aux libertés individuelles et à la justice. Dans certains Etats, les contribuables ne veulent plus payer pour des partenaires qui ne respectent pas les valeurs communes.

On constate que le respect des valeurs démocratiques n'est pas un acquis définitif. C'est pourquoi nous mettons en place des outils pour prévenir les dérives. Le rapport annuel sur l'Etat de droit permet de détecter en amont les problèmes avant qu'ils deviennent problématiques. Avec la plupart des gouvernements, cela fonctionne bien et c'est positif.

Quel premier bilan faites-vous du parquet européen, cette coopération renforcée entre 22 Etats membres qui vise à poursuivre les fraudes au budget européen ?

Il a pu démarrer au 1er juin, au terme d'un parcours compliqué. Il a fallu désigner une première procureure générale, la Roumaine Laura Kövesi, puis 22 procureurs, enfin 140 procureurs délégués dans les pays participants. Il nous en manque d'ailleurs encore en Slovénie, mais nous avons décidé d'avancer sans attendre. Le parquet a déjà traité 1.700 signalements et ouvert 300 enquêtes, pour un préjudice au budget de l'Union estimé à 4,5 milliards d'euros - même si on en récupérera probablement beaucoup moins au final.

On a déjà procédé à des saisies en Italie, on a recensé beaucoup de fraudes à la TVA. On fera un point complet au 1er octobre. J'ai fait tripler le budget du parquet européen par rapport aux besoins estimés en 2017, à 45 millions d'euros. Sous la présidence française de l'UE, au premier semestre 2022, nous pourrions aussi examiner la possibilité d'une extension des compétences du parquet, par exemple au terrorisme transfrontalier. Mais montrons d'abord que le parquet fonctionne pour préserver les intérêts de l'Union.

L'Allemagne vote dimanche pour un nouveau Bundestag. Les libéraux du FDP, qui sont dans votre famille politique, pourraient revenir au pouvoir. Vous vous en réjouiriez ?

Sur l'Allemagne, je suis très prudent, car les sondages ont beaucoup fluctué au cours des dernières semaines. On verra quelles coalitions sont possibles . Ce qu'il me paraît important de préserver, c'est l'équilibre trouvé par Angela Merkel entre la défense des intérêts nationaux et sa capacité à les transcender pour permettre une avancée européenne. Quand elle a poussé son pays à accepter une dette européenne pour le plan de relance de 2020, elle a dû franchir de hautes barrières, y compris au sein de son propre parti. Le prochain chancelier ou la prochaine chancelière devra savoir faire de même quand les enjeux seront importants.

« Sans renoncer au rôle de l'Europe comme pilier fort de l'Otan, ne pourrait-on pas renforcer notre capacité d'action propre, mettre en commun des moyens ? »

Catherine Chatignoux et Karl de Meyer

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