Témoignage: «Pour Fabiola, la vraie vie était celle après la mort»

Michel Didisheim a passé 24 ans aux côtés d’Albert et 25 ans à la Fondation roi Baudouin. Il raconte Fabiola, ses convictions, sa volubilité, sa solitude aussi.

Cheffe adjointe du service Politique Temps de lecture: 7 min

Michel Didisheim a été pendant près de… 40 ans au service direct ou indirect de la famille royale. D’Albert surtout, mais aussi de Baudouin. Après le décès du roi Baudouin, et jusqu’il y a deux, trois ans, il est d’ailleurs resté en contact régulier avec la reine Fabiola.

Dès 1962, Michel Didisheim est le conseiller « Commerce extérieur » du prince Albert. A ce titre, il lui arrive de rédiger des notes économiques pour le roi Baudouin. Quatre ans plus tard, en 1966, il devient chef de cabinet du prince Albert. Il le restera 20 ans.

Parallèlement, en 1976, le roi Baudouin lui demande de créer la Fondation roi Baudouin, dont il sera l’administrateur-délégué, puis le président jusqu’en 2001.

C’est dire si Michel Didisheim a eu l’occasion de rencontrer la reine Fabiola, dans le cadre professionnel, mais aussi de manière informelle. Il la raconte.

Les poulets à la broche de Baudouin

« Le roi Baudouin me retenait parfois à déjeuner à Laeken et la reine Fabiola était là, se souvient-il en évoquant ses premières années au service du prince Albert. Il lui arrivait d’ailleurs de faire la cuisine : dans la salle de ping-pong, il y avait un coin où l’on pouvait rôtir un poulet à la broche et le roi Baudouin s’en occupait lui-même. »

A l’automne 1965, Michel Didisheim accompagne le couple royal lors d’une grande visite d’Etat d’un mois en Amérique du Sud, qui les mène successivement au Mexique, au Chili, en Argentine et au Brésil. L’occasion pour lui de découvrir notamment « l’intensité de la religiosité de Baudouin et Fabiola : tous les jours, chaque matin, un prêtre local venait dire une messe. Jusqu’à la fin d’ailleurs, une messe était quotidiennement célébrée au Stuyvenberg ».

La solitude de la veuve

Mais c’est après le décès de Baudouin que Michel Didisheim apprend vraiment à connaître la reine Fabiola. Car dès le mois d’août 1993, la Fondation roi Baudouin lui propose de devenir présidente d’honneur, ce qu’elle accepte immédiatement. « A cette époque, je la rencontrais en tête-à-tête. Car il m’arrivait d’aller chez elle pour des questions relatives à la Fondation et, comme elle me connaissait, elle me gardait à déjeuner. Et cela durait tout l’après-midi, car elle se sentait très seule à Laeken, puis au Stuyvenberg. Comme elle était très loquace, pour ne pas dire bavarde, le déjeuner durait jusqu'à 19 heures ! Elle avait besoin de communiquer, de communiquer sa solitude aussi. Elle me posait parfois des questions et disait : “Baudouin a parlé par votre bouche”. »

Pas conviée, elle s’impose le 21 juillet

Après le décès de Baudouin, on le sait, une tension s’installe entre Fabiola et Albert-Paola.

Fabiola se plaît au château de Laeken, mais le nouveau couple royal souhaite qu’elle déménage. Et en 1998, elle emménage finalement au château du Stuyvenberg. Pas de gaieté de cœur : le Grand Maréchal de la Cour lui a fait savoir que l’heure était venue de quitter le château de Laeken, habituellement occupé par le couple royal régnant même si Albert et Paola résident au Belvédère. Motif : « on » (comprenez : Albert et Paola) a besoin de Laeken pour certains grands événements. Fabiola n’est plus l’épouse du Roi régnant : elle doit s’exécuter.

Michel Didisheim se souvient d’une anecdote que la reine Fabiola lui a racontée et qui illustre la tension de l’époque avec le Belvédère : « Pour le 21 juillet 1994, on lui avait signifié qu’elle ne pourrait participer au défilé militaire. Mais elle avait dit : “J’y participerai !” Et le 21, elle est arrivée en voiture et est allée s’installer dans la tribune où il a fallu rajouter une chaise ! »

Heureuse de rejoindre son époux

Femme de caractère, Fabiola avait aussi des convictions très fortes. « Cela ne l’empêchait pas d’aller vers les autres, de se montrer ouverte, par exemple sur le divorce ou l’homosexualité, explique Michel Didisheim. Ainsi, il est faux de dire qu’elle ne fréquentait pas de personnes divorcées. Elle était catholique convaincue, pratiquante, mais elle était ouverte et tolérante envers les autres, et le roi Baudouin aussi. Ils avaient une vie religieuse en dehors de la vie publique et même amicale. Cette vie religieuse était réservée à un très petit nombre de gens, dont je ne faisais pas partie : ils avaient des relations avec des cercles de prières, le Renouveau charismatique, la Communauté de Bethléem ou le mouvement des Focolari. Je crois que pour eux, la vraie vie était celle après la mort. Je suis convaincu qu’elle était heureuse de rejoindre Baudouin. »

Le roi ne lui laissait pas de rôle politique

Mais pour Michel Didisheim, tout cela ne veut pas dire que Fabiola influençait Baudouin dans sa fonction royale ou jouait un rôle politique dans l’ombre : « Je ne crois pas à ce rôle politique, ni même moral de Fabiola, ni qu’elle était liée à l’Opus Dei ou qu’elle ait poussé Baudouin à ne pas signer la loi dépénalisant l’avortement. Le Roi ne l’aurait jamais laissé faire.

Leur vie religieuse n’a eu aucune influence sur le rôle du Roi, il connaissait trop les problèmes qu’avait connus son père. Seule exception : l’avortement, mais c’était plutôt un problème de conscience.

Il est possible qu’en privé, Baudouin lui demandait ce qu’elle pensait de telle ou telle chose. Mais en général, Fabiola s’abstenait de donner son avis. Et quand, dans des réunions techniques auxquelles j’ai assisté, il sentait qu’elle allait dire quelque chose qui ne convenait pas, il l’arrêtait gentiment. »

Les petites farces de Fabiola

Autant Baudouin était réservé, autant Fabiola était enthousiaste, volubile. « C’était une personne intelligente, très bien élevée, très bavarde, toujours en action, qui prenait des notes, écrivait tout, et qui remplissait la pièce de son rayonnement. Elle vous mettait tout de suite à l’aise, vous aviez l’impression de la connaître depuis toujours. Elle était très attentionnée et avait une mémoire d’éléphant : elle se souvenait de tout, des gens, de leurs éventuels problèmes de santé… Un jour, j’avais un problème à l’oreille. Elle m’a téléphoné et m’a dit : “Je connais quelqu’un de très bien à Anvers et j’ai pris un rendez-vous pour vous”  ! Et elle était très drôle, même cocasse. A la Fondation roi Baudouin, alors qu’elle rencontrait des femmes de pays différents, elle a ainsi affirmé à une Chinoise : “Je connais très bien la Chine, mes parents avaient un cuisinier chinois !”Et à la maison, c’était complètement détendu : Baudouin était en pull, sans cravate, les pieds sur la table basse et Fabiola faisait des farces. »

Elle était plus forte que lui

Reine, Fabiola agissait comme si elle était investie d’une mission. « Aristocrate, elle se savait née “du bon côté”. Peut-être à cause de cela, elle pensait qu’elle devait s’occuper des autres. Et elle a occupé une place extrêmement importante aux côtés du roi Baudouin. »

Beaucoup a été dit et écrit sur le couple qu’ils formaient. Mais pour Michel Didisheim, « c’est très difficile de décrire leur relation. Beaucoup la décrivent comme une relation simple, mais c’est plus compliqué que cela. Car par certains côtés, Fabiola était plus forte que Baudouin, comme sont souvent les femmes. Elle avait des certitudes ; quant à lui, la vie et son métier lui avaient appris à être moins affirmatif. Elle était sa mère, sa femme, sa sœur, sa confidente. »

L’influence sur Philippe

Fabiola était aussi proche de Philippe et Mathilde. « Durant son enfance et son adolescence, Philippe était terriblement seul. Il s’est forgé lui-même, par le sport, la lecture (il a énormément lu)… Cela explique d’ailleurs sa difficulté de communiquer. Et comme il ne trouvait pas chez lui le genre de conversation et de climat susceptibles de le cultiver, il a beaucoup compté sur son oncle. Il avait une admiration folle pour Baudouin, qui a été un modèle pour lui. Et il était attaché à Fabiola qui, comme Baudouin, a eu une l’influence sur lui. »

 

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