Covid 19, parcs, jardins et espaces verts publics, quelles leçons tirer ?
En forêt noire allemande, photo prise par D. Boulens 08 07 2007

Covid 19, parcs, jardins et espaces verts publics, quelles leçons tirer ?

Si les premières semaines du confinement ont été propices à de nombreuses et intéressantes réflexions sur nos modes de vie, nos valeurs, la globalisation et la mondialisation, nous voyons malheureusement maintenant en France, à l’approche du déconfinement, de nouveaux discours qui tournent déjà la page aux bonnes intentions d’il y a quelques semaines.

Aujourd’hui, les propos sont plutôt à pointer tous les problèmes liés au déconfinement et à la reprise d’une activité économique rapide pour limiter la casse de l’endettement phénoménal lié à cette pandémie.

De grandes entreprises parlent de moratoire aux lois environnementales développées ces dernières années.

Déjà oubliées les analyses qui pointaient les corrélations entre cette maladie et nos modes de vie et notre dépendance à la mondialisation et à une économie planétaire ?

Nous en sommes à discuter de la qualité des masques, des distances de déplacements, des distances entre personnes … et nous nous querellons sur ces sujets, préférant pointer des problèmes que d’avancer sereinement.

J’avais l’habitude de dire à mes collaborateurs lorsqu’ils entraient dans mon bureau : « Ne venez pas m’exposer la liste de vos problèmes, mais venez plutôt m’exposer les solutions que vous pensez que nous pourrions envisager pour leurs résolutions ».

Alors certes, soulever les problèmes est plus facile que de trouver les solutions aux problèmes; mais il est tellement plus enrichissant de trouver de bonnes solutions aux problèmes !

Le confinement prend officiellement fin le 11 mai, mais l’on pressent que la reprise ne se fera pas en claquant simplement dans les doigts, mais elle demandera de nombreux ajustements pour les semaines à venir.

J’ai lu avec intérêt la déclaration du sénateur Claude Malhuret faite le 4 mai au Sénat. Je reprends volontiers sa citation de Richelieu : « Il ne faut pas tout craindre, mais il faut tout préparer. C’est la tâche qui vous attend aujourd’hui, c’est la tâche qui nous attend tous ».

En matière de cadre de vie, cette crise sanitaire mérite que l’on en tire des leçons et que l’on envisage une profonde (r)évolution de nos pratiques. La reprise de l’activité est essentielle pour l’économie de la nation, mais aussi pour notre fonctionnement individuel. Mais personnellement, je pense que nous devons renverser la hiérarchie établie depuis la fin du XIXème siècle qui privilégiait l’économie à la société, qui privilégiait l’économie à l’humain.

Pablo Servigne, biologiste, agronome et auteur de plusieurs ouvrages sur l’effondrement (théorie de la collapsologie), disait dans une interview récente à la radio suisse : « Nos économies sont très interconnectées et cela nous rend fragiles. L’homme est arrogant et il croit qu’il peut maitriser la nature, les virus, … Mais ce qui est toxique aujourd’hui, c’est l’économie qui privatise les profits et socialise les pertes. Avec ce système, on court à la catastrophe … ».

Comme je l’ai écrit dans un précédent article, je ne dirai pas que le libéralisme est la cause de la pandémie, les maladies virales ont existé de tous temps, mais nos modes de vie liés à la mondialisation l’ont favorisée.

Alors oui, chacun d’entre nous peut apporter sa pierre au changement. La situation actuelle est une opportunité à saisir. Nous devons nous rappeler en permanence que nous n’avons qu’une planète et que nos ressources sont finies.

A propos de ressources, j’ai en tête le souvenir de mes études d’agronome, d’il y a une quarantaine d’années. Nos cours d’économie étaient certes passionnants, mais très orientés sur une économie de marché. L’économie était basée sur le postulat d’une croissance permanente, avec deux facteurs qui n’avaient  pas de limites apparentes, le facteur humain et les rentes humaines (le capital). Comme ces 2 facteurs pouvaient évoluer à la hausse en cas de besoin, cela a nourri nos sociétés dans l’illusion que la croissance serait perpétuelle. Aujourd’hui, le Covid est le grain de sable qui paralyse toute l’économie mondiale d’une façon inattendue, et qui met en lumière la faiblesse de ces théories économiques, celui de la limite des ressources planétaires. Ressources qui peuvent être énergétiques, minérales, mais aussi constituantes du Vivant, comme l’eau, l’air, la biodiversité.

L’enseignant chercheur, Jean Marc Jancovici, lors d’une récente interview sur l’après Covid, nous invite à penser différemment. Il prévoit que la reprise ne sera pas comme avant, car l’énergie et le climat sont des composantes essentielles à prendre en compte dans cette reprise. « Notre futur défi, dit-il, sera d’être heureux dans un monde sans croissance, dans des sociétés sobres en énergie, dans des fonctionnements décarbonés ».

Oui, nous avons toujours vécu avec des objectifs de croissance, demain nous devrons faire différemment.

Dans un monde en contraction, nous devrons faire ce que les ingénieurs appellent du « low tech », faire de l’optimisation fine de ce que l’on sait déjà faire. Nous devrons réduire notre empreinte carbone, décarboner nos fonctionnements.

Demain est là, avec un risque énorme que les engagements en direction du climat soient totalement oubliés ou reportées aux calendes grecques. Nous ne pouvons plus faire des plans pour 2040 ou 2050, ce serait la seule façon de ne rien réaliser. Nous devons agir tout de suite avec des calendriers serrés qui nous imposent l’action.

Alors, pour nos espaces verts publics, pour nos parcs et jardins ? Quels sont les leviers du changement pour un futur meilleur, pour nous les humains, mais aussi pour notre environnement, pour la biodiversité et la planète ? La question est d’autant plus pertinente que nous sommes au début d’un nouveau mandat pour les élus des villes de France.

Chaque Maire, chaque équipe municipale doit avoir conscience que la qualité de vie en ville, en milieu urbain, va passer par le cadre de vie et l’environnement de sa ville.

Dans les articles que j’ai écrits depuis 2 mois, j’ai largement repris tous les intérêts de la végétation, intérêts directs pour la santé des habitants, intérêts environnementaux avec les réductions d’ilots de chaleur urbains, de captation de CO2, des poussières, intérêts économiques directs et indirects, … plus que jamais, la stratégie d’amélioration du cadre de vie par le développement du végétal est indispensable.

En promouvant la biodiversité et en particulier végétale, c’est la santé des habitants que l’on améliore. Si le végétal et les parcs et jardins sont source de beauté et d’émotions, ce sont surtout leurs apports fonctionnels que nous devons privilégier

Il est donc indispensable de renforcer toutes les stratégies visant à augmenter le patrimoine végétal des communes, notamment arboré, et en réduisant toutes les sources de pollutions.

Planter le bon arbre au bon endroit et dans de bonnes conditions, semble une évidence simple. Ce n’est pourtant pas ce que l’on a constaté depuis près d’un siècle, avec des arbres mal adaptés ou demandant des tailles drastiques pour survivre dans un environnement contraint.

Placer des jardinières dans la ville, ersatz à une végétation durable, est aussi une absurdité qu’il faut condamner. Ces deux derniers mois, j’ai eu l’occasion de constater à Lyon combien cette stratégie des jardinières avait ses limites. Notamment sur le Boulevard Vivier Merle, où l’absence d’arrosage (une simple vanne à ouvrir) a conduit à la mort d’une quinzaine de Magnolias en pots de 6/7 mètres de hauteur, près de 100K€ en pures pertes. Ou encore sur la rue Edouard Herriot, la décision politique de l’enlèvement de lourdes jardinières, (installée il y a moins d’un an),  dans le but de  permettre rapidement une meilleure distanciation sociale sur les trottoirs et la voirie, représente un gâchis d’environ un million d’euros, en moins d’un an ! Lamentable ! Quelle gestion des deniers publics !

Oui, il faut planter ! Oui, il faut désimperméabiliser les sols ! Oui, il faut promouvoir la place du végétal, de l’eau et de la biodiversité dans nos villes!

A tous nos futurs décideurs politiques : faites-le sans tarder ! Ne nous promettez pas des plans ou des projets qui ne se réaliseront jamais…

Créer, aménager, verdir les villes, …, le Plan Local d’Urbanisme et d’Habitat est un outil de base pour élaborer une stratégie de végétalisation et d’évolution de la ville, vers une ville sobre en énergie et agréable pour ses habitants.

Bien créer et aménager le cadre de vie, c’est aussi se poser la question des usages et de la maintenance de ces espaces dès leur programmation et leur conception.

Là encore, les 2 mois de confinement que nous venons de vivre ont été très instructifs. Inégalités sociales flagrantes entre un confinement dans un petit appartement contraint, ou confinement dans une villa avec jardin ou avec un accès à la nature environnante …

En France, les parcs urbains et squares ont été fermés, alors que dans très nombreux pays d’Europe ils étaient ouverts et constituaient une zone de respiration pour les personnes bloquées dans de petits appartements…

Oui, nous devons accélérer la végétalisation de nos villes en structurant des trames vertes et bleues efficaces pour nos promenades et déplacements urbains, tout autant que pour la biodiversité. Il faut également répondre à d’autres attentes citoyennes de participation, de production de légumes ou de fruits, … Il faut agir avec vigueur et ambition !

Ces 2 mois, où l’accès aux espaces verts était interdit et où il n’y a eu aucun entretien à cause des règles de confinement imposées, nous obligent à réfléchir à nos modes et à notre pression d’entretien. Les jardins se sont passés de jardiniers (et d’utilisateurs) pendant 2 mois et nous avons vu évoluer la végétation et une réappropriation de la biodiversité…

Faut-il ressortir dès la reprise du travail les tondeuses, motoculteurs, souffleuses, tronçonneuses, … ?

Non ! Avant de se jeter sur nos outils, nous devons observer, analyser, comprendre et porter un autre regard sur notre maintenance des parcs et jardins.

Lorsque j’étais aux commandes de la DEV de Lyon, dès 2001, nous avions initié une politique environnementale qui se voulait précurseur à l’époque, avec un plan d’actions basé sur trois points:

-         la préservation des ressources naturelles pour garantir le bien-être de tous,

-         la maitrise et la réduction jusqu’à la suppression de nos activités polluantes, en veillant aux conformités réglementaires

-         l’exécution de nos missions de service public avec le souci d’une amélioration continue, en développant la Responsabilité Sociétale de l’Organisation (RSE / RSO)

Plus que jamais, ces stratégies environnementales sont à renforcer.

L’absence de nos jardiniers pendant 2 mois concrétise une devise qui devrait être la règle de tous les gestionnaires : « entretenir aussi peu que possible, mais autant que nécessaire ». Devise que je mets aussi en relation, avec celle des 3 R en matière de déchets : réduire, réutiliser, recycler.

Combien de jardiniers (publics ou privés) qui travaillent dans les collectivités, ont des circuits pré-établis de tonte, de nettoyage, de désherbage, de taille…, fonctionnant sur l’habitude, sur la routine ? Combien de tonnes ou de mètres cubes de déchets verts sont produits parce que l‘on fertilise, coupe, taille, tond … ? Un véritable travail de Sisyphe, voué à un recommencement perpétuel !

Les pelouses qui sont montées à graines avec tout un cortège de plantes fleuries que l’on ne connaissaient pas auparavant, doivent interpeller et être un levier du changement.

Certes, il faudra garder des zones de pelouses rases pour une utilisation ludique par le public, ou parce que le jardin correspond à un héritage culturel et historique qui justifie le maintien de cette pratique, certes, il faudra biner, désherber, arroser, pour limiter la concurrence de plantes, d’arbustes ou d’arbres que l’on installe dans un nouveau jardin, maintenir la sécurité pour tous, … C’est tout l’art du jardinier et de la complexité de ce beau métier professionnel.

Observer et agir en gardant comme guide la nature !

Oui les problèmes liés aux changements climatiques ou encore l’érosion de la biodiversité n’ont pas disparu avec la pandémie de Covid 19. Demain plus qu’aujourd’hui nous aurons besoin de toutes les solutions basées sur le fonctionnement de la nature pour conserver les grands équilibres.

Demain nous aurons toujours besoin de jardiniers, de vrais professionnels de la nature, car ils devront prendre en charge plus de surfaces et d’activités. Mais très certainement  ceux-ci devront poursuivre leurs mutations de jardiniers horticulteurs à jardiniers naturalistes, en adjoignant à toutes leurs compétences horticoles et paysagères, les connaissances du vivant, de la nature et de l’environnement.

Pour répondre à ces demandes d’évolution, ces demandes de nature urbaine, de participation citoyenne, nous aurons peut-être moins de jardiniers sur des tondeuses ou avec des souffleuses de feuilles, mais plus de jardiniers médiateurs de l’environnement, partageant leurs savoirs et leurs connaissances.

C’est dans cette réelle utilité sociale et environnementale que les jardiniers de demain trouveront la source de leurs satisfactions.

Jean-François Fave

Conseil en environnement et éco-jardinage

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Merci Daniel pour cet article, dont je partage globalement les arguments. Il serait utile de fédérer les responsables EV qui pensent que le moment est venu de faire fortement bouger les lignes. Dans ma petite ville, j'ai contribué à mettre en place des mesures similaires à celles que tu mentionnes. Moins de deux ans après mon départ, un gros retour en arrière est survenu, fauchages précoces, mise en place de bacs bricolés pour pallier le report de plantation d'arbres, travaux lourds menant à la destruction de bandes végétalisées pour les "appauvrir". La logique doit être renversée, appliquer des solutions simples, légères et agiles pour optimiser l'utilisation des ressources.

Maarten Thiels

ingénieur forestier, Chargé de Mission Service Canopee

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C'est toute a fait la réflexion à mener et surtout à mettre en œuvre (ou continuer) immédiatement. Il nous faut une sensibilisation profonde de la population, sur la façon de voir la nature en ville, changer les anciens idées qu'il fait tout désherber, ou encore les "3 R" pour les déchets, point sur laquelle je vois une amélioration mais pas assez de pression et de mise à disposition de moyens... les poubelles grises dont toujours remplies à bloc (!). A Montpellier nous faisons des efforts dans une tentative d'améliorer cette situation... la gestion différenciée, la fauche tardive laissant les fleurs sauvages se ressemer, les jardins (potagers) partagés, ou encore le Permis de Végétaliser, végétalisation participative qui aide à verdir les rues un peu plus et à sensibiliser vers habitants.

Roberto Michieletto

Funzionario Verde Pubblico presso VERITAS Spa - Città di Venezia

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Grazie Daniel per questa tua interessante ed articolata analisi. Speriamo davvero che il difficile momento che stiamo attraversando porti tutti a riflettere e ad intraprendere nuovi stili di vita, più rispettosi dell'ambiente e che possano favorire un maggior benessere per l'umanità.

Jean-Michel Sainsard

Expert parcs et jardins chez Ministère de la Culture

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et on y gagnera en poésie ...

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Noemi Petit

International and development manager

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Daniel, j'attends toujours tes posts avec impatience et voici que tu nous apprends une mauvaise nouvelle : je suis sincèrement triste pour les magnolias de l'avenue Vivier-Merle...Par contre et surtout, je suis totalement convaincue par les développements que tu avances et qui sont une voie tellement plus attirante que la surconsommation et les constructions anarchqiues...il faut trouver les bons équilibres mais plus de vert est définitivement une perspective enchanteresse!

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