Le débat sur les « classes moyennes » (lire notre définition) est un serpent de mer de la vie politique qui refait surface à la moindre occasion. De quoi se compose, concrètement, cette classe du milieu, entre la France populaire et celle d’en haut ? Autant le débat fait rage, autant les définitions sont rares. Il est important de tenter de combler ce vide. Pour le faire, on peut procéder de deux façons : raisonner en termes de revenus ou de catégories sociales.

Dans le débat public, les « classes moyennes » sont souvent définies par leurs niveaux de vie : ce sont ceux qui sont ni modestes, ni aisés. L’Observatoire des inégalités, par exemple, considère que les classes moyennes ont un niveau de vie après impôts et prestations sociales compris entre 1 500 et 2 700 euros pour une personne seule, ou entre 3 750 et 6 500 pour un couple avec deux adolescents de plus de 14 ans (données 2020). Puisque l’organisme considère que ces classes moyennes sont comprises entre les 30 % les plus modestes et le 20 % les plus aisés, elles représentent toujours 50 % de la population, par définition1.

Dans une étude publiée en 2017, l’Insee avait préféré employer le terme de « ménages médians » : en langage statistique, la médiane partage un effectif en deux, autant se trouve au-dessous, autant au-dessus. La médiane se distingue de la moyenne. Pour l’Insee, les « médians » se situent entre les catégories modestes dont le niveau de vie pouvait représenter jusqu’à 90 % du niveau de vie médian (1 880 euros en 2020) et les catégories « plutôt aisées », au-delà de 110 % de ce niveau de vie. Dans cette optique, plus restrictive, les « médians » représentaient 19 % de la population, soit avec un revenu compris entre 1 700 euros et 2 100 euros pour une personne seule (données 2020).

La définition de l’Insee est sans doute restrictive, mais jusqu’où aller ? Celle de l’Observatoire des inégalités fixe une barre laissant 30 % en bas et 20 % en haut, est-ce juste ? Il n’existe aucune méthode scientifique pour trancher. Il faut se poser la question du sens des mots. Peut-on qualifier par exemple de « moyenne » une personne dont le niveau de vie est parmi les 15 % les plus aisés ? Assurément non, puisqu’elle aurait un revenu supérieur à 85 % de la population. Ou alors, la notion de « moyenne » perdrait son sens d’intermédiaire entre un haut et un bas.

L’analyse sociologique

Une autre manière de procéder, beaucoup moins employée, est de raisonner en utilisant les professions des personnes, par le biais de ce que l’on appelle les « catégories socioprofessionnelles » (lire notre article sur l’évolution des catégories sociales). Cette méthode a plus de sens d’un point de vue sociologique : elle cherche à distinguer les personnes situées à un niveau intermédiaire, entre des catégories supérieures qui décident et des classes populaires qui exécutent. Une courroie de transmission entre le haut et le bas de la pyramide sociale, une interface essentielle à l’organisation du travail, comme l’est le contremaitre dans le bâtiment. Le cœur de cet ensemble est constitué des anciens « cadres moyens » aujourd’hui appelés par l’Insee « professions intermédiaires ». On y rassemble nos contremaitres, mais aussi des techniciens, des agents de maitrise, des professeurs des écoles, des infirmières, etc. Typiquement, ce sont les professions en expansion à partir des années 1960 à la faveur du développement des services et des emplois du secteur public. Ces professions intermédiaires représentent un quart de l’emploi en 2021, selon l’Insee. Leur salaire net moyen à temps complet est d’environ 2 500 euros (à ne pas confondre avec le niveau de vie après impôt cité plus haut).

Considérer que les classes moyennes se résument à ces professions est aussi restrictif. Depuis 40 ans, le groupe des cadres supérieurs a doublé de taille, pour représenter plus de 20 % des emplois : il comprend une part de « moyens », des professions qui ne sont pas réellement en position dominante. Inversement, une partie des employés et les ouvriers les plus qualifiés, notamment ceux qui ont le plus d’ancienneté ne sont plus uniquement des exécutants et occupent une position, par leur niveau de vie notamment, plus proche de la moyenne que du bas de l’échelle. Enfin, une partie des classes moyennes se trouvent aussi parmi les non-salariés.

Il n’existe aucune méthode définitive pour délimiter une frontière sociologique. Dans un article, nous avons posé des limites arbitraires incluant par exemple 20 % des cadres supérieurs ou des ouvriers parmi les classes moyennes. Nous arrivons alors à un ensemble qui regrouperait 42 % des emplois, laissant d’un côté 39 % de classes populaires et 19 % de classes supérieures. Ce groupe est en progression, mais moins rapide que les catégories supérieures.

Que retenir de ces enseignements ? Une conception trop étroite des classes moyennes rend mal compte des transformations de la société française et du rôle essentiel joué par ce groupe intermédiaire. Inversement, une extension trop importante vers le haut incorpore des personnes dont la position n’est guère moyenne. Il faut être conscient des enjeux politiques du débat : se dire « moyen » quand on appartient aux plus favorisés est une manière de tenter d’échapper à l’effort de solidarité collectif. En même temps, on tente parfois d’opposer les intérêts des classes moyennes et populaires, deux groupes dont les modes de vie et les intérêts se rejoignent en réalité, en tout cas davantage qu’avec une grande partie des catégories supérieures qui les dirigent.

Notes:

  1. Le Crédoc utilise une définition assez proche.