Les "Idées noires" : le refuge dans l'humour d'André Franquin

André Franquin, dessinateur de bandes dessinées
André Franquin, dessinateur de bandes dessinées
Les "Idées noires" : le refuge dans l'humour d'André Franquin
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Les "Idées noires" : le refuge dans l'humour d'André Franquin

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Génie de la bande dessinée et père de Gaston Lagaffe et du Marsupilami, André Franquin était aussi un auteur tourmenté. Dans les années 1970, il transforme ses inquiétudes en l’une de ses plus grandes œuvres : les "Idées noires”.

“Ce qui me tracasse un peu, comme je suis un inquiet, c’est qu’il me vient parfois des idées noires”, glissait avec un petit rire le dessinateur André Franquin dans une interview en 1981. Les Idées noires, ces mini-histoires teintées d’un humour grinçant finissent souvent mal, mais avec toujours le même objectif : faire rire.

Né en 1924 en Belgique, André Franquin grandit dans une famille catholique plutôt rigide. Comme il explique dans de nombreuses interviews “le fait d’avoir vécu dans une famille où l’on ne riait pas beaucoup ”a provoqué chez lui“ un prodigieux besoin de rire.”

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Une vie, une oeuvre
59 min

"Un chef d'œuvre absolu"

Après trente ans de collaboration  au magazine Spirou, le dessinateur belge veut se renouveler. C’est le début des Idées noires“Il ne se contentait pas de s'asseoir dans un style, il a fait des recherches graphiques, des recherches de style”, explique Frédéric Jannin, auteur de bande dessinée qui collabore avec Franquin dans les années 1970.

Il est présent quand André Franquin et le scénariste Yvan Delporte lancent Le Trombone illustré. Un supplément impertinent du Journal de Spirou, en décalage avec les histoires colorées et bon enfant de  Gaston Lagaffe. “Et puis là, tout à coup, il essaye les Idées noires et ça devient vraiment le cri, détaille-t-il*. C'est un chef d'œuvre absolu. Ça boucle toute son œuvre, en fait. C'est extrêmement pessimiste, mais toujours avec la volonté d'aider le lecteur à en rire plutôt que de se flinguer tout de suite.”*

58 min

La survie dans l'humour

On est presque dix ans après Mai 68, la déflagration des mutations sociales et économiques touche profondément le dessinateur. “Parfois il fondait en larmes en voyant les actualités à la télévision. Donc cette hypersensibilité, évidemment, entraîne le refuge dans l'humour, parce que c'est une vraie survie. Mais aussi parfois, ça se retourne et la douleur est trop forte”, se rappelle Frédéric Jannin. C’est après la conception des Idées noires que Franquin confie avoir connu un épisode dépressif.

Il cible tour à tour les militaires, le nucléaire, les chasseurs, le capitalisme ou encore la peine de mort. En France elle est abolie en 1981 mais en Belgique, il faudra attendre 1996. Franquin tourne alors en dérision cette loi dans la planche ci-dessous. “Toute personne qui en tuera volontairement une autre aura la tête tranchée”. Le bourreau doit donc logiquement être exécuté et ainsi de suite, à l’infini.

Un extrait des "Idées noires" de Franquin sur le sujet de la peine de mort
Un extrait des "Idées noires" de Franquin sur le sujet de la peine de mort
© Radio France - ©Franquin – Fluide Glacial

Les Idées noires, c’est aussi une rupture technique dans l'œuvre de Franquin. Il s’inspire d’autres auteurs comme le dessinateur italien Guido Buzzelli. Finie les couleurs vives, place au noir grâce à un nouvel outil. Frédéric Jannin se rappelle du jour où il lui a fait découvrir le rotring, un stylo avec réservoir d’encre : “c'est à partir de ce moment là que Franquin s'est engouffré dans un style beaucoup plus fouillis encore, et beaucoup plus minutieux et miniaturiste”.

Les Idées noires sont rassemblées dans des tomes en 1981 et 1984. Franquin meurt en 1997, laissant derrière lui ces silhouettes sombres qui ont marqué une génération.