Philippe Charlier : "La vraie mort, c'est l'oubli"

Médecin légiste, anthropologue, archéologue, auteur, maître de conférences, directeur du laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie à l'Université Paris-Saclay, Université de Versailles, Saint-Quentin-en-Yvelines. Directeur de la collection Terre humaine chez Plon et rédacteur en chef de la revue numérique Ethics Medecine and Public Health, Philippe Charlier est aussi familier avec la sphère physique et les corps qui la peuplent qu'avec le monde de l'invisible et ses manifestations.

Ancien directeur du Département de la recherche et de l'enseignement du Musée du Quai Branly, membre cofondateur de la Fondation Anthropologie, Archéologie, Biologie de l'Institut de France et praticien hospitalier à l'APHP, il est l'auteur de nombreux ouvrages consacrés au surnaturel, aux zombies, au vaudou, aux momies, aux vampires et aux esprits. Il vient de publier chez Hazan, l'ouvrage richement illustré Fantôme yokaï dédié aux apparitions et démons japonais accompagnés d'estampes de grands-maîtres comme Hokusaï.

Sa tentative d'assassinat

Philippe Charlier a été médecin chef à la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine à Nanterre, également chef de service à l'hôpital de la ville de 2016 à 2018, et lors de sa dernière journée de consultation en prison, veille de sa nouvelle prise de poste au Quai Branly, un patient a tenté de l'assassiner avec une arme blanche qu'il avait fabriquée de façon artisanale : « Il ne voulait pas rester dans cette maison d'arrêt et le meilleur moyen d'être transféré immédiatement, c'était de faire une tentative d'assassinat. Je remercie beaucoup ce qu'on appelle la gradée, la supérieure des gardiens, qui a vu qu'il avait une démarche un peu bizarre, il ne pliait pas la jambe du côté droit, c'est là qu'il avait son arme bloquée contre le genou*. Elle a fait une fouille juste avant qu'il rentre dans mon bureau, et je la remercie beaucoup, c'est grâce à elle que je peux rentrer chez moi tous les soirs. »***

Curieux des rituels qui accompagnent la mort

Philippe Charlier est intéressé par tous les rituels qui accompagnent la mort : « Cette façon qu'ont les humains d'essayer d'organiser le chaos qu'il y a dans la maladie, l'impondérable et donc la mort. J'adore cette façon de construire une sorte de géographie de l'autre monde, comme ces dessins qui représentent le paradis de Dante. J'aime beaucoup les "Livres des morts", tout ce qui est juste après le dernier souffle et tous ces rituels qui entourent la gestion du cadavre dans les populations anciennes, actuelles, extra-européennes et européennes. »

Jean Christophe Rufin, un modèle

Plus jeune, quand on demandait à Philippe Charlier ce qu'il voulait faire, il répondait "Jean-Christophe Rufin", et c'est d'ailleurs toujours le cas. Il lui a succédé chez Plon, où il est devenu directeur de la collection Terre humaine en 2020, et Rufin a même préfacé son livre Autopsie de l'art premier : « C'est un modèle à la fois sur le plan humain, le plan professionnel et c'est pour moi l'image parfaite du médecin humaniste. J'aime profondément cet homme, je ne fais pas aussi bien que lui, mais j'essaie de bénéficier de son enseignement et de son expérience. »

La vraie mort, c'est l'oubli

Dans la spiritualité de Philippe Charlier, les morts n'ont pas intégralement disparu : « Tant que le souvenir persiste, que je me souviens encore de leurs voix, de leurs odeurs, de la sensation de leurs peaux, ils ne sont pas entièrement morts. La vraie mort, c'est l'oubli. »

La mort est devenue scandaleuse

Avant la fin du XVIIIᵉ siècle, en Occident, la mort n'était jamais cachée, mais visible en permanence. Les enfants vivaient au milieu des morts. Aujourd'hui, elle est scandaleuse : « Elle est dissimulée parce qu'elle s'associe à une notion de souillure, de dangerosité, peut-être à cause de la contagion des agents infectieux. On n'aime plus l'altération du corps mort alors qu'avant, il pouvait être embaumé. De nos jours, il y a les soins de conservation corporels qui sont quasiment systématiques. Mais la mort, il ne faut pas la montrer. Il faut très vite la dissimuler. Il faut réapprendre, au moment où on est en train de parler d'euthanasie, où il y a un vrai débat sociétal sur quand la mort doit survenir et dans quelles conditions. Je pense que c'est le bon moment pour réfléchir à la place de la mort en général dans la société et ne plus fermer les yeux. »**

Autopsier les cœurs célèbres

Philippe Charlier a coécrit avec David Alliot, Autopsie des cœurs célèbres. Il a été au contact des restes présumés de Jeanne d'Arc conservés à Tours, de ceux de Diane de Poitiers, du cœur embaumé de Richard Cœur de Lion, du crâne de Descartes, du cadavre d'Adolf Hitler qu'il a authentifié grâce à ses dents, et en ce moment, il travaille sur le cœur de Voltaire et sur les restes du peintre Raphaël : « On peut pas tout s'autoriser avec les défunts. Nous ne sommes pas allés exhumer Raphaël en ouvrant sa sépulture au Panthéon de Rome. Nous avons été opportuns en profitant de petits fragments du peintre qui avaient été récupérés au moment de l'ouverture du tombeau en 1833 et conservés par trois peintres et sculpteurs qui les ont ensuite ramenés chez eux. Pareil, avec Voltaire, on a profité, en lien direct avec la Bibliothèque nationale de France, à l'occasion d'une vérification de l'état du reliquaire du cœur qui est dans le socle de la statue de Houdon sur le site Richelieu, on n'a pas ouvert le reliquaire, on a simplement utilisé une petite ouverture. Le mort est pour moi un patient. »

S'occuper des patients lointains

Philippe Charlier a pratiqué des autopsies pendant dix ans, ensuite, il s'est occupé de patients vivants et notamment des prisonniers et des migrants pendant trois ans, aujourd'hui, il s'occupe des patients du lointain : « Le lointain, c'est un monde, si on peut dire, où je mélange les disciplines des sciences fondamentales et des sciences humaines en permanence. Ce clivage artificiel entre les deux me semble totalement abscons. J'aime ce mélange des genres me permet de mieux comprendre la complexité à la fois des rituels autour de la mort, de la maladie et de la réalité biologique. Dans ce monde, il y a les vampires, les morts-vivants, les zombies d'Haïti ou les fantômes occidentaux et japonais. C'est aussi une façon de mieux comprendre et d'interpréter les mauvaises morts, celles violentes, les assassinats, les suicides, les homicides. Ce qui m'intéresse, c'est comment, dans ces différents contextes, on essaie de trouver une issue, une explication ou un moyen de réguler ces mauvaises morts. »

Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

Extraits diffusés :
Nous diffusons la bande annonce du film japonais Ring d'Hiroshi Takahashi en 1998 ainsi qu'un extrait de Ryōko Sekiguchi dans Grand Canal le 3 avril 2024.

Choix musicaux de l'invité :
Arleta - Afiachto Ki Astolisto
Miles Davis - Ascenseur pour l'échafaud

Découverte de l'invité :
Philippe Charlier présente un masque de théâtre Nô de la fin du XIXe siècle représentant Zohonna, une jeune mariée.

Programmation musicale :
Pomme - _jun perseides
Maxwell Farrington & Le SuperHomard - Hexagon