Abonné

Les premières formes du vivant, de « Luca » à la multicellularité : un incroyable foisonnement !

Publié le 11 Jan 2024 à 09H00 Modifié le 11 janvier 2024
2823_162047_k7_k5_389009

Du microscopique Luca, ancêtre commun de tous les organismes, à ceux d'aujourd'hui, procaryotes ou eucaryotes, en passant par la révolution de l'ADN, la vie se poursuit en se démultipliant et en se diversifiant.

Le train est lancé ! Suivant son rythme effréné, les premières formes du vivant vont se transformer, disparaître, réapparaître ici et là, se complexifier, et ce, en empruntant un maximum de chemins possibles. Enfin, jusqu’à ce que l’un d’eux se révèle particulièrement porteur : celui emprunté il y a plus de 3 milliards d’années par “Luca”, le “dernier ancêtre commun” de tous les organismes actuels. “Luca n’était pas la première cellule vivante, il était juste l’un des nombreux descendants de celle-ci. Et il est le seul dont les lignées ont survécu jusqu’à aujourd’hui” , détaille Patrick For-terre, biologiste spécialiste des premières formes de vie à une cellule, à l’Institut Pasteur.

LUCA : AVEC OU SANS NOYAU

En étudiant la structure des protéines partagées par des organismes actuels, les scientifiques en esquissent à gros traits le portrait : Luca était microscopique, formé d’une seule cellule et, à coups d’innovations d’une ingéniosité folle, il aurait non seulement gagné la bataille de l’évolution, mais aussi donné naissance aux trois branches de l’arbre de la vie actuel. D’un côté sont nées les archées et les bactéries, des micro-organismes unicellulaires pour la plupart procaryotes, c’est-à-dire sans noyau. De l’autre sont apparus les eucaryotes, constitués de cellules avec noyau, qui regroupent rien de moins que les champignons, les plantes et les animaux, ainsi que de nombreux micro-organismes comme les paramécies et les amibes.

Mais l’héritage de Luca pourrait être plus immense encore… “L’étude de l’ADN des archées et des bactéries indique que Luca contenait sans doute plusieurs centaines de gènes , soutient David Moreira, biologiste de l’évolution à l’université Paris-Saclay. Or il est impossible d’en faire tenir autant dans de l’ARN. ” Autrement dit, Luca pourrait être à l’origine de l’ADN, la fameuse molécule en double hélice, support de l’information génétique de presque toutes les cellules modernes, dont les nôtres.



L’ADN, qui assure une transmission plus fidèle du matériel génique à la descendance que l’ARN, a permis l’émergence de la vie complexe GRÉGOIRE DANGER Astrochimiste à Aix-Marseille Université

L’hypothèse fait encore polémique. Mais ce qui est sûr, c’est que l’invention de l’ADN a été une véritable révolution. “Formé aussi de 4 bases nucléotidiques (‘lettres’) comme l’ARN, mais où l’uracile (lettre U) est remplacé par de la thymine (T), l’ADN est plus stable et assure une transmission plus fidèle du matériel génique à la descendance. En outre, il peut stocker plus de gènes. Il a permis l’émergence de la vie complexe”, révèle Grégoire Danger, astrochi-miste à Aix-Marseille Université.

Armée d’ADN, la vie a pu s’attaquer à de nouveaux sommets.

Jugez plutôt : quelques millions d’années après Luca – un instant dans l’histoire de notre planète -, un processus biologique sophistiqué, réalisé par des complexes enzymatiques, véritables bijoux d’ingénierie naturelle, apparaît : la photosynthèse. Ce qui a permis l’avènement d’un monde à l’atmosphère riche en oxygène (O2) propice à la vie ! “Ce processus utilise la lumière du soleil pour convertir le dioxyde de carbone (CO2) de l’air et de l’eau en matière organique – notamment des sucres – et en O2. Ce faisant, il a été crucial pour l’apparition de la vie animale : la matière organique produite permet de nourrir les animaux ; et l’O2 libéré est indispensable pour dégrader le glucose issu de leur alimentation en énergie”, développe Jean-Pierre Jacquot, professeur émérite à l’université de Lorraine.

>> Lire aussi : La vie… c’est ensuite une question de membrane

PROFITABLE ENDOSYMBIOSE

D’abord apparue chez des bactéries appelées “cyanobactéries”, la photosynthèse est, de nos jours, également réalisée par les plantes et les algues vertes. Sauf que chez ces dernières, elle ne survient pas directement dans le cytoplasme, l’espace interne des cellules. Non, c’est un organite particulier, petit compartiment au sein des cellules, qui s’en charge : le chloroplaste.

Comment cette structure est-elle arrivée là ? Grâce à une autre merveille de l’évolution : l’endo-symbiose, association durable et profitable de deux organismes vivants où l’un est contenu dans l’autre. Autrement dit, le chloroplaste était à l’origine un individu à part entière, une cellule… qu’une autre cellule aurait intégrée ! Ce n’est pas le seul : d’autres compartiments baignent dans les cytoplasmes actuels : le noyau – qui permet de protéger le génome – et la mitochondrie – l’usine énergétique. “Les similitudes structurelles entre ces trois compartiments et certains procaryotes – les cyanobactéries pour le chloroplaste, les myxobactéries pour le noyau et les alphaprotéobactéries pour la mitochondrie – laissent penser que ces procaryotes auraient été ‘avalés’ puis ‘domestiqués’ par une archée, explique David Moreira, qui a co-publié en mai 2023 un article sur ce sujet. Cela leur aurait permis d’avoir un foyer en échange de leurs fonctions cellulaires spécifiques. ” L’ordre d’intégration des différents organites dans le temps reste à définir… mais cette fusion de quatre éléments – trois compartiments et une enceinte – a donné naissance à un monstre de l’évolution : la cellule eucaryote, apparue il y a au moins 2 milliards d’années.

L’union fait donc bien la force, et l’endosymbiose n’est pas le seul moyen d’y parvenir. Une autre innovation va permettre à des cellules isolées de fonctionner à plusieurs : la multicellularité, soit la formation d’organismes constitués de plusieurs cellules. Selon une hypothèse, ce saut du vivant, effectué il y a près de 2 milliards d’années, aurait été stimulé par la nécessité d’échapper à des prédateurs.

Tout aurait commencé au fond de mers peu profondes, avec des organismes microscopiques à une seule cellule appelés protistes. En permanence attaqués et ingérés par d’autres formes de vie, ils auraient un jour évolué : au lieu de se séparer complètement, les cellules filles issues de la division de ces algues seraient restées collées. Génération après génération, elles auraient alors formé une colonie de cellules solidaires toujours plus grande… jusqu’à ce que leurs prédateurs ne puissent plus les avaler. Ainsi serait né, dans les mers, le premier organisme multicellulaire ! “Cette hypothèse a été soutenue par des expériences en laboratoire”, souligne Thibaut Brunet, spécialiste en biologie cellulaire évolutive à l’Institut Pasteur.

INNOVATIONS AVANTAGEUSES

Fait notable, “la multicellularité ne serait pas apparue qu’une seule fois, mais sans doute plus de vingt fois !, continue l’expert. Et ce, en divers endroits et chez des eucaryotes différents, dont certains ont mené de façon indépendante aux groupes de multicellulaires actuels : animaux, champignons, végétaux, algues brunes… Plus encore, chacun de ces ancêtres a sans doute évolué en réponse à ses pressions spécifiques : nécessité d’échapper à des prédateurs pour certains ; besoin de faire barrière à des produits chimiques pour d’autres ; nécessité de se mouvoir pour d’autres encore, etc. ” Pour Evelyn Houliston, biologiste à l’Institut de la mer de Villefranche, ces éclosions multiples de la multicellularité montrent que “c’était une bonne idée !” Or une innovation avantageuse ouvre le chemin à d’autres : les organismes multicellulaires ont donc continué à se complexifier. Comment ?

“Via l’émergence de la communication moléculaire entre les cellules ; la formation des jonctions cellulaires ; l’expression différentielle des gènes au sein de diverses cellules, et donc la spécialisation de ces dernières dans des fonctions particulières : reproduction, mouvement, absorption de nutriments, etc.”, liste la chercheuse. Levons donc nos verres à cette suite de bonnes idées qui a fait ce que nous sommes. Et à la prochaine ?



L’ADN et LUCA

Plus stable et pouvant stocker davantage de gènes que l’ARN, la molécule de l’information utilisée par la première forme de vie, l’ADN (ici en jaune), assure une transmission plus fidèle à la descendance. Selon certains, Luca en était doté, et cela pourrait expliquer son incroyable succès.

La cellule eucaryote

Les principales fonctions de la cellule eucaryote se déroulent au sein des différents organites qu’elle contient – noyau (en rose) ou encore chloroplastes (en vert foncé). Le secret ? Ces organites étaient auparavant des bactéries à part entière. Elles auraient fusionné au sein d’un autre organisme, créant ce chef-d’œuvre du partage des tâches.

La multicellularité

Cette union des cellules est apparue plus de 20 fois au cours de l’évolution, au sein d’organismes très divers (ici, l’algue Volvox carteri , constituée de seulement deux types de cellules), et possiblement en réponse à diverses pressions – échapper aux prédateurs, se mouvoir, etc.





Un article issu du N° 1276 de Science & Vie
Retrouvez le dernier numéro S&V
Lire le magazine Abonnez-vous tous les articles de ce numéro
Partager