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Biologie cellulaire

La vie complexe est-elle apparue sur Terre un milliard d'années plus tôt que prévu ?

Des chercheurs chinois ont exhumé plus d'une centaine de fossiles d'organismes multicellulaires datés de 1,56 milliard d'années. Selon eux, il s'agit de cellules complexes eucaryotes : des conclusions qui ne font pas l'unanimité chez les chercheurs.

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Les cellules fossiles datés de  1,56 milliard d'années présentées comme eukaryotes dans une étude publiée dans Nature Communications

Les cellules fossiles datés de 1,56 milliard d'années présentées comme eukaryotes dans une étude publiée dans Nature Communications en mai 2016

©Nature Communications
Les cellules fossiles datés de  1,56 milliard d'années présentées comme eukaryotes dans une étude publiée dans Nature Communications
La vie complexe est-elle apparue sur Terre un milliard d'années plus tôt que prévu ?
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DIVERSIFICATION. Quand la vie est-elle apparue sur Terre ? Et à quel moment s'est-elle complexifiée ? Deux questions centrales pour les biologistes qui étudient le développement et l'évolution des formes de vie terrestres. Mais aussi pour les astronomes qui scrutent les exoplanètes à la recherche d'indices de sa présence. La réponse à la première question fait globalement consensus : la vie est apparue très tôt après la formation de la Terre, il y a 4,54 milliards d'années. En revanche, il lui faut bien plus de temps pour se complexifier, c'est-à-dire passer du stade de la bactérie (une seule cellule simple dite "procaryote") à celui d'organismes faits d'une multitude de cellules complexes ("eucaryotes") plus ou moins spécialisées. En fait, les premiers fossiles formés de plusieurs cellules eucaryotes (cellules possédant un noyau) et reconnus comme tel par les spécialistes datent de 635 millions d'années et appartiennent à la faune de l'Ediacara. Mais la date de cette complexification de la vie est sujette à d'âpres controverses. En témoigne cette nouvelle étude publiée dans le magazine Nature Communications par une équipe internationale de chercheurs sous la houlette de plusieurs Universités chinoises. Les auteurs y décrivent 167 fossiles découverts à Gaoyuzhuang au nord de la Chine, dans une strate géologique ancienne de 1,56 milliards d'années. Les plus grands mesurent jusqu'à 30 centimètres de long et huit de large.

Quelques exemples de fossiles d'organismes multicellulaires découverts Gaoyuzhuang au nord de la Chine, dans une strate géologique ancienne de 1,56 milliards d'années. ©Nature Communications

Maoyan Zhu, de l'Institut de géologie et paléontologie de Nanjing et co-auteur de l'étude, l'affirme sans ambages : non seulement ces fossiles appartiennent à des organismes multicellulaires, mais en plus il s'agit très vraisemblablement de cellules eucaryotes. Par ailleurs, sur les 167 fossiles mesurés, 53 présentent des formes régulières que l'équipe a divisé en quatre morphotypes (des groupes de formes) qu'ils identifient comme autant de types d'organismes différents. L'un d'entre eux, très allongés, en forme de langue, et présentant des stries longitudinales apportent selon l'étude "la preuve d'une croissance apicale (orientée dans un sens précis, NDLR), ainsi que d'une différenciation cellulaire sommaire". Si cette découverte était confirmée, cela remettrait en cause une bonne partie du scénario le plus couramment admis pour la complexification de la vie.

"Boring Billion". Jusqu'à présent, la majorité des études scientifiques font remonter l'apparition des premiers organismes multi-cellulaires eucaryotes entre 635 à 541 millions d'années avant notre ère. Certains chercheurs parlent même de 2,1 milliards d'années. Or les organismes décrits dans la publication comme "marins", "sans doute photosynthétiques" sont plus anciens d'un bon milliard d'années. "Ce nouveau fossile nous prouve qu'il existait des organismes multicellulaires eucaryotes de plus de 10 cm au moins un milliard d'années avant l'explosion de la vie au Cambrien" affirme de manière enthousiaste l'étude. Si cela s'avère exacte, il y a de quoi remettre en cause la notion de "boring billion" (le milliard d'année ennuyeux), autrement dit cette période comprise entre 1,9 milliard et 900 millions d'années et durant laquelle le développement de la vie semble stagner. Elle prend fin au moment où apparaissent les premières formes de vie eucaryotes qui vont foisonner en une myriade d'êtres vivants aux formes aussi diverses que complexes.

Des doutes quant à la nature eucaryote des bactéries 

Les auteurs de la publication y glissent toutefois un bémol... Ils reconnaissent en effet qu'un doute demeure quant à la nature eucaryote ou procaryote des cellules composant ces fossiles. Et pour cause, cet exercice d'identification est particulièrement difficile sur des organismes aussi anciens, dont les fossiles ont subi les outrages du temps tout comme les compressions ou les étirements des strates géologiques dans lesquels ils ont été figés. L'identification de la nature procaryote ou eucaryote s'effectue essentiellement en étudiant la taille des cellules (les bactéries procaryotes sont souvent bien plus petites (5 à 10 microns) que les cellules eucaryotes (50 à 60 microns), ainsi que la manière dont elles ont modifié leur environnement. "Aujourd'hui on sait ce que les bactéries sont capables de fabriquer", explique Abderrazzak El Albani, professeur à l'Institut de Chimie des Milieux et Matériaux à l'Université de Poitiers-CNRS. "On a l'habitude de trouver des formations caractéristiques telles que des stromatolithes, ou encore des voiles bactériens" précise-t-il. Les stromatolites australiennes, des roches carbonatées formées de feuillets superposés ont été formées par des bactéries. Certaines sont vieilles de 3,5 milliards d'années. D'autre part, quelques atomes de graphite découverts dans un grain de zircon en 2015 font même remonter l'apparition de la vie à environ 4,1 milliards d'années. 

Un exemple de stromatolithes encore en développement actif en Australie. ©CC

Comme on peut le voir, ces structures sont très homogènes. "En revanche, lorsque l'on trouve des choses beaucoup plus diversifiées en terme de taille et de formes de fossiles, on sait qu'on est plutôt sur des organismes de type eucaryotes" poursuit le chercheur. "Or, lorsque j'étudie cette publication, je constate que les cellules présentées comme de probables eucaryotes ont en réalité une taille relativement faible" poursuit M. El Albani. En effet, le texte décrit des cellules d'une taille comprise entre 6 et 18 microns, avec une moyenne autour de 10. "Ce qui les place dans la fourchette de taille des bactéries." Quant à la diversité des formes des fossiles décrits dans cette publication "tout cela se ressemble beaucoup !" commente le chercheur. "Je ne vois pas de variabilité suffisante pour affirmer qu'il s'agit d'organismes multicellulaires eucaryotes qui précèderaient l'ediacarien. La publication ne fournit pas assez de données géologiques ou de coupes en 3D microtomographiques pour étayer son propos. Au vu des données qu'ils fournissent, ce qu'ils ont analysé ressemble pour moi simplement à un bel organisme multicellulaire procaryote" poursuit Abderrazzak El Albani. "D'ailleurs au vu du peu d'oxygène présent dans les océans à cette époque du "boring billion", on voit mal comment des organismes multicellulaires eukaryotes auraient pu se développer" conclut le chercheur.   

Procaryotes ou eukaryotes quelles différences ?

 

Les organismes "procaryotes" sont parmi les plus simples qui soient. Ils sont d'ailleurs la plupart du temps constitués d'une seule cellule, très peu cloisonnée, dans laquelle le matériel génétique n'est pas protégé derrière la membrane d'un noyau. Le matériel génétique (l'ADN) s'y trouve sous la forme d'une pelote qui baigne dans le cytoplasme de la cellule. La cellule eucaryote, elle, se caractérise par la présence d'un noyau enfermé derrière une membrane, et par l'existence de petits organites (des "mini-organes") appelés des mitochondries, dont la fonction est d'alimenter la cellule en énergie chimique.

Par Joël Ignasse et Erwan Lecomte

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