Le bar et ses gros «pourboires» au procès du cercle Wagram

Par Ph. M. Agence Locale de Presse

Au septième jour du procès Wagram, les employés de l'établissement ont confirmé que l'argent liquide coulait à flot au cercle. Les seuls pourboires semblent bien légers pour justifier le trafic

Elle est indépendante, mais sans pouvoir. Elle est cartésienne, mais jette des sorts. Elle a un petit salaire mais un grand train de vie. Elle est isolée, mais bien informée. Durant plus d'une heure trente, Marie-Claire Giacomini, 34 ans, a dû démentir, et parfois justifier, tous ces paradoxes, hier devant la XVIe chambre correctionnelle de Paris.

Cette jeune femme native de Petreto-Bicchisano, s'est retrouvée à la fin des années quatre-vingt-dix dans la capitale par hasard.« Je suis un peu instable »,confie-t-elle pour expliquer l'abandon de ses études de droit à Aix-en-Provence, au profit de la vie parisienne, où elle débute comme vendeuse.

Très vite grâce à un ami corse membre des RG, elle devient serveuse au cercle Wagram. Le président Denis Couhé en profite pour faire confirmer à Marie-Claire Giacomini son « lien d'amitié fort » avec l'ancien préfet Bernard Squarcini.

D'entrée de jeu, celle-ci aussi confirme au tribunal « qu'elle doublait régulièrement son salaire avec les pourboires ». Comme toutes les autres serveuses d'ailleurs. « Un partage équitable », précise la prévenue qui, en 2005, devint la chef du bar.

Des oreilles baladeuses

« Pas au nom d'une relation privilégiée avec Antoine Ferracci, mais parce que je faisais bien mon travail. » Un rôle de chef qui, pourtant, à l'entendre l'exonère des entretiens d'embauche, et « la maintient éloignée des décisions de la hiérarchie ». À la distribution des fameux pourboires, c'est bien elle qui est à la manœuvre.

Le président a bien compris que ceux-ci étaient un complément de salaire « officiel » pour la douzaine de serveuses, qui grâce à cela, pouvaient multiplier leur salaire par deux. Le fond de l'interrogatoire, courtois mais déterminé, consiste à savoir d'où venaient ces pourboires.

« Des joueurs sont généreux, surtout les joueurs de poker. » Ainsi, une vingtaine de milliers d'euros étaient redistribués chaque mois à son équipe selon Marie-Claire Giacomini. Sans aucune preuve de ce qu'elle avance, puisqu'aucune comptabilité n'existe. « Qui prouve que tous les sacs à main de luxe retrouvés à votre domicile n'ont pas été prélevés sur les enveloppes ? », ironise le président Couhé. La chef de bar, qui est restée en place après le putsch du janvier 2011, revendique une neutralité de pensée. « Le changement de direction ? Je n'en ai pensé ni bien ni mal ». Assumant ses « oreilles baladeuses », la prévenue laisse entendre qu'elle comprenait beaucoup plus de choses qu'elle ne le laissait paraître. Allant même, bien que cartésienne revendiquée, jusqu'à placer dans son congélateur les coordonnées de Jean Testanière sur un papier, « afin de l'éloigner de nous ».

Un sort suggéré par une collègue africaine. Comme s'en amuse le président, un fait que le mage n'a pas senti venir…

Après le témoignage de Marie-Françoise Tomey-Gil la veille, les propos de Marie-Claire Giacomini confirment une chose : l'argent liquide, et les enveloppes qui vont avec, coulaient à flot partout à l'intérieur du cercle.

« On déclarait 10 tables de poker sur 15 »

Et ce n'est pas le responsable des tables de poker, recruté sur ses talents de joueurs pour amener une nouvelle clientèle qui va éclaircir les choses. Joueur dans l'âme, il est bien sûr lui aussi rémunéré en grande partie « au black », et se permet même de faire prêter de l'argent aux joueurs fidèles, mais momentanément fauchés, par les caissiers du cercle. Ce qui est strictement interdit. Mais Thierry Thill-Bolleret n'a jamais pris le temps de lire la réglementation de 47… Comme sa collègue, il ne sait pas les manœuvres et le circuit des enveloppes : « N'étant pas Corse, je n'étais pas dans la confidence. » Sauf que les écoutes téléphoniques le mettant en scène le font paraître beaucoup moins naïf qu'il n'y paraît. « Peut-on détourner de l'argent d'une table de poker ? », lui demande le président. « Tout est possible », affirme le champion.

Des faits confirmés par l'ancien directeur de salle Arnaud Graziani : « On déclarait dix tables sur quinze à la banque. Nous avons repris les méthodes de l'ancienne équipe. » Soit un détournement mensuel avoué de 90 000 euros.

Me Anne-France Roux, estimant son client, Thierry Thill-Bolleret, interrogé sur des faits qui ne lui sont pas reprochés, hausse le ton. « Ce sont des éléments de contexte, rassure le président Couhé,et hors le contexte, il ne nous reste pas grand-chose ! », Murmure unanime de satisfecit de tous les avocats de la défense…