Qui est derrière le mystérieux boycott de Danone au Maroc ?

Une campagne anonyme contre de grandes marques remporte un succès inattendu dans le royaume et tourne à la contestation du système économique.

 Rabat (Maroc), le 5 juin 2018. Des salariés de Centrale Danone protestent dans la nuit de lundi à mardi devant le parlement marocain contre l’appel au boycott de la marque qui commence à menacer leurs emplois.
Rabat (Maroc), le 5 juin 2018. Des salariés de Centrale Danone protestent dans la nuit de lundi à mardi devant le parlement marocain contre l’appel au boycott de la marque qui commence à menacer leurs emplois. REUTERS Youssef Boudlal

    Ils étaient des centaines de salariés de la filiale marocaine de Danone à manifester dans la nuit de mardi à mercredi devant le parlement marocain à Rabat. « Nos emplois sont menacés », « nous réclamons une intervention du gouvernement » ont notamment scandé les manifestants.

    A l'origine du mouvement, une campagne de boycott inédite qui touche de plein fouet Centrale Danone, la filiale locale du géant français de l'alimentaire. Tout a commencé il y a six semaines, de façon anonyme, sur les réseaux sociaux. Face à la « cherté de la vie », les mystérieux promoteurs du boycott affirment vouloir obtenir une baisse des prix en s'attaquant aux « leaders du marché » marocain.

    20 % de chiffre d'affaires en moins

    L'appel lancé sur Facebook a obtenu un écho inattendu au point que lundi, Danone Maroc a annoncé s'attendre à une baisse d'environ 20 % de son chiffre d'affaires. La filiale du groupe français cotée en Bourse à Casablanca, prévoit également une perte nette de 150 millions de dirhams (13,5 millions d'euros) au premier semestre 2018 contre un bénéfice net de 56 millions de dirhams (cinq millions d'euros) sur la même période l'année dernière.

    Lancée au non du pouvoir d'achat des Marocains, la campagne de boycott commence à avoir un impact sur l'économie marocaine. Mardi, Centrale Danone a annoncé une réduction de 30 % de son approvisionnement en lait auprès de ses fournisseurs locaux (120 000 éleveurs au total). Elle attribue aussi à la baisse de ses ventes - « tous produits confondus » - sa décision de mettre un terme à 886 contrats d'intérimaires de courte durée.

    C'est aussi pour maintenir leurs emplois que les salariés ont manifesté cette nuit. « Je suis avec les citoyens pour une baisse des prix, mais pas de cette façon qui porte atteinte aux intérêts des employés », souligne Brahim, 34 ans, salarié de Danone à Salé, près de Rabat, qui assure « manifester spontanément ». « Le message est passé, il est temps de mettre un terme au boycott », dit Alaeddine, 39 ans, employé de l'entreprise dans son usine d'El Jadida, à 200 kilomètres au sud de Rabat.

    L'essence et l'eau minérale aussi visées

    Danone n'est pas la seule cible de la mystérieuse campagne de boycott. Deux autres marques, les stations-service Afriquia, premier réseau du pays, et l'eau minérale Sidi Ali, en font aussi les frais.

    Contrairement à Centrale Danone, filiale du groupe du français à 99,68 %, les deux autres sociétés sont détenues par des Marocains, qui incarnent la porosité entre le véritable pouvoir politique et les milieux économiques.

    Afriquia est la propriété d'Aziz Akhannouch, l'un des hommes les plus riches du Maroc en tant qu'actionnaire du groupe Akwa, proche du palais royal, actuel ministre de l'Agriculture dans le gouvernement de coalition et espoir de l'opposition aux islamistes avec son parti, le RNI.

    C'est Miriem Bensalah-Chaqroun, patronne des patrons marocaine et considérée comme l'une des femmes d'affaires les plus influentes au Maroc, qui détient, quant à elle, l'eau minérale Sidi Ali.

    Un succès fulgurant

    Règlements de compte dans le petit monde de l'économie marocaine? Coup de boutoir de certains islamistes du PJD qui dirige le gouvernement de Rabat sans disposer de la réalité du pouvoir? Les conjectures vont bon train sur l'origine de ce boycott mais ce qui ne laisse pas de surprendre, c'est la rapidité avec laquelle il a pris dans la population. A mettre sans doute en rapport avec les derniers mouvements sociaux dans le Rif (Nord-Ouest), à Zagora (Sud) ou à Jerad (Nord-Est).

    « Les produits visés auraient pu être interchangeables. L'important, c'est pourquoi cette dynamique, nous les petites gens et les classes moyennes contre eux les puissants, a pris une telle ampleur», résume le journaliste Abdellah Tourabi cité par Le Monde.

    Le gouvernement marocain a officiellement condamné le boycott qui « pourrait avoir un impact négatif sur l'investissement national et étranger (au Maroc) et, par conséquent, sur l'économie nationale. La poursuite du boycott est à même de causer de gros dommages pour les coopératives laitières et les producteurs qui y adhèrent, dont une majorité de petits agriculteurs .». Comme si le malheur des gros pouvait aussi faire le malheur des petits. Et inversement.