Conte japonais #22 – Le singe pêcheur

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Il y avait une fois un singe qui vivait haut, haut dans les montagnes.

L’hiver s’installait tôt dans ce pays, ses vents glacials rudoyant violemment les roches. En quelques semaines, tous les arbres avaient perdus leurs feuilles et les rivières s’étaient figées.

Bientôt, toutes les vies s’endormirent sous un épais manteau de glace et de neige.

Perché dans les cèdres, le singe grelottait, gelé de la pointe de son museau pâle jusqu’au bout de sa longue queue. Il avait de plus en plus de mal à trouver fruits et noix dans ces terres à présent désolées et la faim se faisant sentir.

La pauvre créature n’avait pas su suivre l’exemple sage des ours et des blaireaux et des écureuils, s’engraissant, creusant un terrier et faisant des réserves.

Il gémit :

– Oh mais que vais-je bien pouvoir manger maintenant ?

Un jour pourtant, des rires clairs tintèrent dans le froid.

Intrigué, le singe se dépêcha d’accourir, sautant d’arbre en arbre… et tomba sur une scène bien étrange.

Une famille de loutres batifolait gaiement sur un lac gelé. Chacune tenait entre ses pattes un poisson argenté et l’on pouvoir voir ça et là de nombreuses arêtes.

Sous le yeux fascinés du singe, les insouciants animaux prenaient part à un véritable banquet.

– Une telle abondance alors que moi je meurs de faim…

Le singe descendit de son arbre et héla les loutres :

– Et bien et bien, petits chanceux ! Votre race ne semble pas souffrir de ce temps épouvantable. Comment avez vous bien pu attraper autant de poisson malgré toute cette neige et toute cette glace ?

L’une des loutres gloussa :

– C’est fort simple mon ami. Tu vois, nous creusons un trou dans la glace, puis nous laissons nos queues tremper dans l’eau. Si tu te tiens tranquille, les poissons mordent à l’hameçon. Et tu n’as plus qu’à les remonter !

Une autre loutre admira le singe, sans cacher sa curiosité :

– Quelle longue queue tu as !  Avec un tel outil, tu es probablement un pêcheur né tout comme nous. Tu dois absolument essayer !

Le singe, se rengorgea sous tous ces compliments. Il prit congé des loutres et poursuivit sa route. C’était au fond un animal bien paresseux. Il se disait :

– Cette méthode de pêche semble en effet très facile, même un enfant y arriverait ! Il n‘y a même pas à courir !

Il décida donc de tenter l’expérience immédiatement.

Il s’installa dans un endroit tranquille sur le lac et perça un petit trou dans la glace. Puis, il laissa glisser sa queue dans l’eau :

– Brrrrr ! C’est tellement froid !

L’attente commença.

Le singe se tenait parfaitement immobile, ne bougeant pas d’un poil malgré sa queue de plus en plus engourdie. Pourtant, aucun poisson ne mordait à l’hameçon.

La neige commença à tomber, paisible, étouffant peu à peu les bruits de la forêt.

Et doucement, l’animal s’assoupit.

Les minutes s’écoulèrent. Dans l’air glacial, la surface du lac se mit de nouveau à geler, et le trou se referma bien vite autour de la queue du singe.

Il se réveilla en sursaut lorsqu’il sentit quelque chose tirer sur sa queue.

– Ah enfin !

Pensant qu’un poisson avait mordu, il tenta de remonter sa queue. Sans succès.

– Ce doit être une bien grosse prise !

Le singe tira et tira, de plus en plus fort, son museau rougi par l’effort.

Quand soudain…

Pouf !

… la queue du singe se brisa en deux.

Le pauvre animal, engourdi par le froid, n’avait pas réalisé que sa queue avait été prise dans la glace.

Honteux et gelé, le singe courut à la plus proche source chaude, espérant ainsi cacher sa mésaventure derrière les épaisses vapeurs de ces eaux.

Et, depuis ce jour, les singes des montagnes ont encore le museau rouge, une courte queue et passent les jours d’hiver à tremper dans des bains chauds !


Notes:

Ce conte connait des nombreuses variations à travers le monde. La plupart du temps, l’infortuné animal est un ours et comme ici, l’histoire est là pour expliquer pourquoi les ours n’ont plus une longue queue… et pour avertir les enfants des dangers de la paresse !

Les terres du Japon abritent de nombreux singes. Ces animaux sont si communs et ont des attitudes si proches de celles des humains qu’il n’est pas surprenant de les retrouver dans de nombreux contes japonais (où ils présentent souvent les même défauts que les Hommes).

Le macaque japonais est aussi surnommé “singe des neiges” car de nombreuses colonies vivent sur des territoires froids où la neige est fréquente. Ce sont des animaux très sociaux, capables de créer et d’enseigner à leur petits de véritables pratiques culturelles (l’exemple des singe de Koshima Island est très bien documenté).

Les baignades dans les sources chaudes n’est pas une habitude très commune chez les singes. Les bains dans les onsen sont en fait un phénomène assez récent que l’on peut observer au Jigokudani Park dans la préfecture de Nagano. Cependant, je trouve cette manie assez mignonne et j’ai donc décidé de tout de même l’inclure dans le conte d’aujourd’hui !

Si vous souhaitez une autre histoire avec un singe, j’ai publié un autre conte sur le sujet du “pourquoi les singes ont…” ici 😉

[sources images : 1 / 2 / 3]

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