Jeanne Hébuterne, artiste énigmatique et muse d’Amedeo Modigliani

Jeanne Hébuterne, artiste énigmatique et muse d’Amedeo Modigliani
Amedeo Modigliani, Jeanne Hébuterne, 1919, huile sur toile, Metropolitan Museum of Art

Il y a un siècle, le suicide de Jeanne Hébuterne, compagne de Modigliani, apportait la touche finale au mythe de l’artiste maudit. Muse tourmentée à la beauté sculpturale, Jeanne fut aussi une artiste, amoureuse de la lumière et de la couleur.

Au petit matin du 26 janvier 1920, dans le quartier du Panthéon à Paris, une fenêtre s’ouvre au cinquième étage dans une cour de la rue Amyot. Une jeune femme s’élance dans le vide. Son corps disloqué porte un enfant, mort lui aussi. Ce drame entre dans la légende de l’art moderne. La suicidée se nomme Jeanne. Fille d’Achille Hébuterne, comptable, et d’Eudoxie Tellier son épouse, elle fut la compagne d’Amedeo Modigiani de 1917 à la mort de l’artiste en 1920. Selon Marc Restellini, spécialiste du peintre, auteur du catalogue raisonné de l’œuvre de Jeanne Hébuterne, le geste fatal de celle-ci a contribué au mythe Modigliani : « La mort de Modigliani le 24 janvier 1920 fut brutale mais pas étonnante. Tuberculeux, il était malade depuis de longues années. […] Mais la mort tragique de Jeanne 24 heures après la disparition de celui-ci a en partie suscité, ou du moins cristallisé, la légende de l’artiste maudit. On a oublié le peintre moderne, l’intellectuel, pour ne retenir que l’artiste séducteur, “ joli ”. Et l’immense talent de Jeanne a été minimisé ».

L’arrivée en beauté dans le monde artistique

Née à Meaux en 1898, Jeanne Hébuterne baigne très tôt dans un climat artistique grâce à son frère André, peintre paysagiste. Elle étudie la peinture à l’Académie Colarossi, rue de la Grande-Chaumière, fameuse institution de Montparnasse. La blancheur maladive de son teint rehaussée par ses magnifiques cheveux châtain lui vaut le surnom de Noix de coco. Cette pâleur ajoute à sa beauté singulière. Avec ses yeux en amande, son nez droit et fin, l’ovale parfait de son visage posé sur la haute colonne de son cou, elle ressemble à une madone de Parmigianino revue par Brancusi.

Amedeo Modigliani, Jeanne Hébuterne avec un large chapeau, 1918, huile sur toile, 55 x 38 cm ©Wikimedia Commons

Amedeo Modigliani, Jeanne Hébuterne avec un large chapeau, 1918, huile sur toile, 55 x 38 cm ©Wikimedia Commons

La tendresse et le silence

La jeune femme rencontre Modigliani lors du carnaval de 1917. L’artiste a vécu une violente passion avec une romancière anglaise, Béatrice Hastings. « Jeannette était à la fois la tendresse et le silence, la beauté et le pardon. […] Après les orages de sa liaison avec Béatrice puis les désordres de l’errance, Modigliani, déjà usé, trouvait auprès de Jeanne un havre de repos », écrit Daniel Marchesseau en 1981. Elle lui inspire quelques-unes des plus belles toiles de sa dernière période. La beauté maniériste de la jeune femme rencontre son idéal de beauté féminine. Il peint son portrait, la représente nue à plusieurs reprises, sans que son visage soit identifiable.

Jeanne n’est pas seulement belle et silencieuse. Elle est intelligente, elle a du caractère, et du talent ! « Composée de quelques tableaux, de beaucoup de dessins et de carnets magnifiques, son œuvre traduit une étonnante maturité, déclare Marc Restellini. Son frère André Hébuterne, bel artiste classique, a initié Jeanne à la peinture. La mobilisation de celui-ci en 1914 et sa longue absence ont sans doute été difficilement vécues par sa sœur. La rencontre de Modigliani en 1917 est venue combler ce vide. À l’âge de 15-16 ans, elle est déjà une artiste brillante, influencée par l’art de Maurice Denis et des Nabis. Modigliani tombe amoureux d’elle car il a perçu son talent. Il est attiré par les femmes artistes, les poétesses, les intellectuelles. Il aimait aider le talent, comme il l’a montré par ailleurs avec Soutine. Modigliani n’a pas été son maître. Il a été le soutien de cette jeune femme dont il avait perçu la fragilité, dans une relation aussi brève qu’intense. » Quelques tableaux de Jeanne seront vendus par Léopold Zborovski, poète, ami et marchand de Modigliani, ou par le peintre lui-même. Deux d’entre eux ont été acquis par Jonas Netter, un des premiers acheteurs de Modigliani.

Jeanne Hébuterne, Autoportrait, 1916, huile sur carton. Photo Wikimedia Commons

Jeanne Hébuterne, Autoportrait, 1916, huile sur carton. Photo Wikimedia Commons

Une jeune femme psychologiquement fragile 

En juillet 1917, le couple s’installe dans un atelier rue de la Grande-Chaumière. Leur premier enfant naît l’année suivante à Nice où, devant l’aggravation de l’état de santé d’Amedeo, le couple passe l’hiver. Le temps est désormais compté pour Amedeo qui écrit sur une feuille contresignée par les amis Zborovski et Lunia Czechowska : « Je m’engage aujourd’hui 7 juillet 1919 à épouser Mademoiselle Jane [sic ]Hébuterne aussitôt les papiers arrivés ». La légende dit que mourant, il demandera à Jeanne de le suivre dans la mort. Ce prétendu « pacte » a fait oublier la santé psychique précaire de Jeanne. « Son suicide n’est pas un acte romantique, en soudaine réaction à la mort de Modigliani, poursuit Marc Restellini. Bien avant leur rencontre, la correspondance de Jeanne Hébuterne montre une jeune femme physiquement et psychologiquement fragile, déjà perdue. Sa pâleur était légendaire. Sa famille la savait suicidaire. Son frère André dormait dans sa chambre pour éviter le pire. Elle a échappé à sa vigilance au petit matin, alors qu’il dormait profondément. » Selon la volonté de ses parents, Jeannette fut enterrée dans la plus grande discrétion au cimetière de Bagneux. Sa tombe rejoignit plus tard au Père Lachaise celle du « prince de Montparnasse » qui n’avait pas eu le temps de l’épouser…

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