Kultur

Bob Verschueren : « Destins » chez Schweitzer

Après que Beethoven, Tino Rossi et tant d’autres aient mis le destin en musique, c’est peut-être ces vers de Céline Dion qui reflètent le mieux les « destins » (au pluriel) des oeuvres d’art de Bob Verschueren, ainsi que, peut-être, de son destin à lui :

« Je vais les routes et je vais les frontières /Je sens, j’écoute, et j’apprends, je vois / Le temps s’égoutte au long des fuseaux horaires / Je prends, je donne, avais-je le choix ? / Tel est mon destin... ». Verschueren lui-même n’affirme-t-il pas de son côté : « Le bonheur de pouvoir inclure l’action du temps dans mon travail est bien plus fort que tout souci de conservation » ?

Voilà une phrase qui révèle l’un de ses principes créateurs fondamentaux : l’éphémère ! La plupart des artistes aiment non seulement à saisir l’instant, mais également à le conserver, à le pérenniser, à transformer l’image en objet durable, cataloguable, muséable. Lui non. Cet artiste, qu’aucun nom ou qualificatif reconnu ne saurait cerner, refuse d’ailleurs lui-même de se laisser enfermer dans quelque moule lexical contemporain. Lorsque je lui demandai, le soir du vernissage de son exposition à la Galerie Lucien Schweitzer (1), si on pouvait le considérer comme un créateur tenant du « land art », de l’art d’installation ou de l’art in situ (2), il m’avoua ne pas aimer ces termes.

C’est pourtant bien ce dernier type d’art que je découvre cette fois chez Schweitzer. Quoique apparenté en effet au land art et à l’art d’installation, l’art « in situ » (du latin : dans le site) est monté, construit et implanté en harmonie complète avec le lieu où il est réalisé. Généralement liée au site, qui ne l’acceptera qu’un temps limité (exposition), l’oeuvre est d’autant plus éphémère qu’elle est souvent très périssable et généralement intransportable. Si certains de ses éléments – voire leur majorité – peuvent être démontés, récupérés et réinstallés ailleurs, il en résultera cependant une tout autre composition. Et nous serons dès lors en présence d’une sorte de palimpseste à la fois végétal et temporel, symbolisant parfaitement ce que Verschueren appelle « inclure l’action du temps dans mon travail ».

Herbes, paille, épis, joncs, rameaux, branches, ramilles, troncs d’arbres, racines, buissons, feuilles, fruits, légumes, mousses, gravier, sable, roches ; impossible de citer tous les matériaux et fruits de la nature qu’il rassemble et assemble dans des caveaux, des halles, cours, parcs, jardins, prairies, galeries d’art et galeries tout court, bois et autres lieux d’accueil. Accueillants, ces lieux et pour cause ! Ils se doutent (à moins que le temps ne le leur souffle) combien l’élégance, la beauté, voire l’arachnéenne légèreté des créations de Verschueren s’intègrent avec goût et harmonie dans leurs volumes et les magnifient le temps d’un fragment... d’éternité.

Heureusement que la photographie permet de conserver le souvenir d’oeu-vres surgissant de l’esprit et des expérimentations de l’artiste, oeuvres qui sans cela, s’évanouiraient, fugaces, telles ces compositions de feuilles mortes du vent d’automne sur les prairies, les chemins et les trottoirs. C’est d’ailleurs ces photos et notamment une série de 34 tirages d’installations miniature, qui nous accueillent dès que nous poussons la porte de la Galerie Schweitzer. À droite de l’entrée, une première sculpture intitulée, justement, « Destin » annonce, elle, la couleur « en dur ». Puis, question de nous plonger dans le bain... de la nature sculptée, voici une première installation originale toute d’écorces d’arbre artistement et hasardeusement accrochées au mur de la première salle. Vis-à-vis, d’autres tirages de mini-installations disposées en « suites » et ainsi de suite jusqu’à la salle deux, où une table et deux chaises arrêtés dans leur station féerique attendent le spectateur sur leurs hautes jambes de branchages aux rameaux dénudés. Vous souvenez-vous, amis lecteurs, de la marche des arbres dans le film « Le seigneur des anneaux » ? Eh bien, c’est un peu l’effet que ça m‘a fait. Mais l’image est inversée, le côté épais de la branche en haut et les branchettes foulant le sol, leur mouvement semble s’être arrêté, sur commande, comme pour permettre aux elfes de s’y reposer et restaurer.

Pour ce qui est des autres oeuvres installées dans la galerie et des splendides photographies d’installations exposées aux parois de presque toutes les salles, je vous laisse découvrir de par vous-mêmes leur géniale harmonie.

Juste quelques mots encore sur le parcours de l’artiste. Né en 1945 à Etterbeek (Bruxelles), c’est en peintre autodidacte fortement attiré par la nature et les arbres en particulier que Verschueren affronte dans les années soixante la jungle du monde pictural. Mais la peinture semble bientôt ne plus satisfaire sa soif d’espace et d’autres dimensions. Vers la fin des années soixante-dix il réalise des « light paintings », ce qui l’amène à exploiter le potentiel de la lumière artificielle et son interaction avec la photographie, ainsi que des « Wind Paintings ». Ici, son assistant, c’est le vent, qui déplace, répartit, redistribue poussières et pigments artistement disposés sur une surface généralement plane et... à vous d’imaginer la suite.

Mais notre artiste ne s’arrête pas là, ni s’arrêtera jamais d’inventer, de découvrir, se remettre en question et se mettre en danger. « Il me faut une part d’incertitude, une chance d’être surpris. Travailler avec les éléments de la nature exclut le risque de tout maîtriser, de s’ennuyer », dit-il sur le site du Musée Lapidaire de Montauban-Buzenol (www.caclb.be/verschue ren. asp), où vous trouverez encore beaucoup d’autres précisions. Pour ce qui est de son site personnel, www.bob verschueren.net/, qui promet bien de découvertes, il n’est pas encore entièrement achevé. « Mon plaisir ne réside pas tant dans l’oeuvre achevée (elle ne l’est jamais), que (dans) la joie que m’apporte sa formation, son éclosion, la surprise de la découvrir telle que je ne pouvais l’imaginer au départ ».

Notez aussi que les Éditions Mardaga ont édité un très beau livre : « Dialogues entre nature et architecture » de Bob Verschueren, dont on peut lire dans le magazine en ligne de La Bibliothèque municipale de Lyon (www.points dactu.org) du 2.5. 2008 : « Cultivateur ou couturier de l’éphémère, Bob Verschueren, plasticien belge, (...) conjugue éléments végétaux et lieux architecturaux dans des réalisations passagères, au gré de ses voyages... » Voilà des mots qui vous viendront sans doute spontanément à l’esprit devant les merveilles exposées aujourd’hui chez Schweitzer !

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1) Galerie Lucien Schweitzer, 24 avenue Monterey, Luxembourg (entre Parc et boulevard Royal), mardi à samedi de 10 à 18 h, exposition Bob Verschueren jusqu’au 7.11.2009

2) Apparenté au land art et à l’art d’installation, l’art « in situ » désigne une méthode qui dédie l’oeuvre d’art à son site d’accueil (elle n’est donc pas transportable) et/ou qui prend en compte le lieu, où elle est installée. (ex Encyclopédie Wikipedia – à consulter pour les définitions et explications détaillées)

Giulio-Enrico Pisani